COUV II a P 3 edito 339 - Etudes Economiques du Crédit Agricole
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COUV II a P 3 edito 339 - Etudes Economiques du Crédit Agricole
HORIZONS BANCAIRES NUMÉRO 339 - DÉCEMBRE 2009 Banque de détail et innovations technologiques HORIZONS BANCAIRES N U M É R O 3 3 9 – D É C E M B R E 2 0 0 9 HORIZONS BANCAIRES N U M É R O 3 3 9 – D É C E M B R E 2 0 0 9 Banque de détail et innovations technologiques ÉDITO ...................................................................................................................................................................................................................... 3 ALAIN DESCHÊNES, directeur informatique et industriel du groupe Crédit Agricole S.A. Enrichir les usages, enrichir la relation Banque et sites sociaux : retour d’expérience, perspectives ................................................................... 5 JEAN PHILIPPE, directeur général de la Caisse régionale de Crédit agricole mutuel Pyrénées Gascogne La banque tout électronique : mythes et réalités .................................................................................................... 9 JEAN-PIERRE VAUZANGES, directeur du développement Caisses régionales, membre du Comité exécutif, Crédit Agricole S.A. Les consommateurs, les TIC et la banque MICHÈLE FRANZA ET ................................................................................................................... 12 DANIEL VILLATTE, direction études de marchés groupe, Crédit Agricole S.A. Insuffler la confiance envers les nouveaux services ......................................................................................... 18 ALEXIS PETITJEAN, analyse stratégique groupe, Crédit Agricole S.A. Innovations technologiques et mutualisme ................................................................................................................. 22 CHRISTIAN TALGORN, président de la Caisse régionale de Crédit agricole mutuel du Morbihan Nouveaux horizons L’unification du système d’information des Caisses régionales de Crédit Agricole : un projet historique ...................................................... 29 YVES NANQUETTE, directeur général de la Caisse régionale de Crédit agricole mutuel d’Ille-et-Vilaine Président du COSIR, Comité de pilotage du projet NICE Les nouvelles technologies au service de la microfinance ....................................................................... 33 ÉTIENNE GUYOT, chef de projet, Crédit Agricole S.A. ET FATIMA EL MOUKHTAFI, chargée des nouveaux développements, Fondation Grameen Crédit Agricole La finance islamique appelle-t-elle de nouveaux outils informatiques ? .................................. 40 LADISLAS GALLANT, global islamic banking, Calyon, Crédit Agricole CIB Dessinons le futur Les nouveaux enjeux de la concurrence bancaire en sortie de crise ........................................... 42 MICHEL CALLIAU, business development executive, GBS financial services sector, IBM France ET OLIVIER PARISOT, consultant senior, GBS financial services sector, IBM France L’agence du futur dans un dispositif « user centric » ...................................................................................... 50 JEAN-PHILIPPE BLANCHARD, responsable du pôle innovation, Crédit Agricole S.A. Cinq défis sécuritaires des systèmes d’information bancaires du XXIe siècle .................... 56 GIL DELILLE, directeur de la sécurité des systèmes d’information, direction informatique et industrielle groupe, Crédit Agricole S.A. – Président du Forum des compétences Le droit bancaire à l’épreuve des nouvelles technologies ......................................................................... 62 STÉPHANE HENRY, direction des affaires juridiques, Crédit Agricole S.A. L’avenir à 50 ans ......................................................................................................................................................................................... 67 ALAIN ARGILE, direction des études économiques, études industrielles et sectorielles, Crédit Agricole S.A. Argent, éthique et technologie : quelques réflexions pour mieux construire l’après-crise ........................................................................................................................................................................ 72 LUC DE BRABANDÈRE, The Boston Consulting Group ET LAURENT HUBLET, The Boston Consulting Group Service aux lecteurs ............................................................................................................................................................................................... 77 HORIZONS BANCAIRES N U M É R O 3 3 9 – D É C E M B R E 2 2 0 0 9 HORIZONS BANCAIRES N U M É R O É D IRECTEUR 3 3 9 D I – T D É C E M B R E O R I A 2 0 0 9 L ALAIN DESCHÊNES INFORMATIQUE ET INDUSTRIEL DU GROUPE C RÉDIT A GRICOLE S.A. À une époque où les chœurs médiatiques chantent les louanges de l’innovation technologique, il serait trop facile de simplement se joindre à une telle chorale ! Dans ce domaine, à maintes reprises dans le passé, les prédictions et autres certitudes ont fait long feu, parfois même au prix de bulles boursières. Néanmoins, les enjeux concurrentiels, les dangers sécuritaires, les exigences de nos clients sont eux actuels et bien réels, et c’est bien l’immobilisme qui présente le plus de risque. Sans être candides, nous devons donc intégrer toute l’étendue de ces bouleversements multiples qui dépassent la seule dimension technologique. Bien que provenant d’horizons différents, il est intéressant de noter que les auteurs réunis ici ont des visions souvent convergentes sur ces sujets. Leurs contributions soulignent les nombreuses opportunités en matière de produits et de services bancaires et l’engagement concret du groupe Crédit Agricole sur ces différents thèmes ; lequel s’appuie sur des racines et des valeurs clairement assumées. L’humain, client, collaborateur ou partenaire, est au centre de leurs propos en particulier dans son usage familier des TIC ou de l’évolution de sa relation commerciale avec des industries comme la nôtre. Ainsi, le foisonnement d’innovations technologiques, sources de succès universels souvent inattendus comme les Texto/SMS, l’iPhone ou autre Facebook, démontre l’engouement de la société pour des outils toujours plus communicants et son étonnante capacité d’assimilation. Si aujourd’hui tout ce qui est tendance en matière de technologie se doit d’être « virtuel » et « dans le nuage », les préoccupations plus classiques d’accessibilité et d’ergonomie sont plus que jamais d’actualité, qu’il s’agisse de la nouvelle agence bancaire, des services en ligne ou des processus métiers. Face aux limites inhérentes des automates et autres serveurs vocaux, les clients souhaitent maintenir et développer une relation de confiance fondée sur la disponibilité, l’écoute, la sécurité, ainsi que les outils qui tissent et étendent cette relation. De même, nos métiers en prennent la mesure et veulent en tirer eux-mêmes pleinement avantage dans leurs activités. Le culte du « tout numérique », porteur de bénéfices tangibles, doit donc soutenir l’humain en particulier sur des domaines porteurs de valeurs essentielles comme la proximité, l’accessibilité et la transparence. 3 HORIZONS BANCAIRES NUMÉRO 339 – DÉCEMBRE 2009 Enrichir les usages, enrichir la relation La révolution numérique porte en germe une nouvelle façon de faire la banque. Comment élargir la communication avec les clients ? Comment inventer un « Internet de proximité » valorisant l’ancrage territorial de la banque mutualiste et la relation de confiance existant entre elle et ses sociétaires ? Comment accompagner les transformations de nos espaces de travail, de consommation, de sociabilité ? Autant de questions auxquelles les auteurs des cinq articles suivants apportent des réponses nourries d’expérimentations, de réalisations et d’engagement. 4 HORIZONS BANCAIRES N U M É R O 3 3 9 – D É C E M B R E 2 0 0 9 Internet enrichit la relation de proximité qui existe entre une banque mutualiste et ses sociétaires et clients. Les expériences menées depuis quatre ans par la Caisse régionale de Crédit Agricole Mutuel Pyrénées Gascogne en apportent la preuve. De nouvelles idées, de nouveaux projets émergent, dont celui d’un « internet de voisinage » à partir de chaque agence. JEAN PHILIPPE Directeur général de la Caisse régionale de Crédit agricole mutuel Pyrénées Gascogne dans l’agence : on identifie le client, mais on lui parle aussi du temps qu’il fait, de la vie locale, on lui donne des informations sur la banque et l’actualité, il y a un échange de personne à personne. Si la relation par Internet en reste à l’authentification et à la transaction, elle oublie cette dimension de relation qui fait la force du modèle de la banque de proximité. Si on sous-évalue cette dimension relationnelle, c’est parce qu’elle est prise en charge depuis des décennies par les conseillers en agence et que l’informatique bancaire se concentre sur les traitements comptables. Les sites sociaux offrent aux banques un moyen simple de rétablir cet équilibre, de renforcer leur avantage relationnel en élargissant leur communication avec leurs clients. Pour cela, il est souhaitable que les usages d’Internet associent les services de consultation et de transaction avec les outils d’échange et de partage interactifs. De cette combinaison dépendra l’attractivité du site et celle de la banque. Faut-il s’en occuper dès maintenant ? Les banques comptent aujourd’hui 50 % APRÈS TOUT, LE MÉTIER DE BANQUIER EST TROP SÉRIEUX pour céder à un effet de mode et il y a bien d’autres moyens de séduire la clientèle des jeunes ! Elle ne vient d’ailleurs pas sur ces sites pour y rencontrer des financiers. À moins que ces nouveaux outils de communication ne portent en germe une nouvelle façon de faire la banque ? C’est sur cette conviction que le Crédit agricole mutuel Pyrénées Gascogne a engagé de multiples usages professionnels de ces nouveaux réseaux. Explications. Pourquoi une banque s’intéresse-t-elle aux sites sociaux ? Le métier de la banque de détail associe la connaissance des personnes à la sécurisation des valeurs et des flux. Ce qui est vrai quand le client entre physiquement dans son agence et confie son dépôt au banquier, est vrai aussi quand il s’authentifie par son code personnel et effectue des opérations électroniques. Il se passe cependant bien d’autres choses 5 ▼ Banque et sites sociaux : retour d’expérience, perspectives HORIZONS BANCAIRES N U M É R O 3 3 9 – D É C E M B R E d’internautes habituels, mais sur 100 internautes, 60 2 0 0 9 commencé par des blogs. Celui du directeur général a été le premier, en quelque sorte pour autoriser, pour démystifier, pour ouvrir la voie. D’autres sont venus depuis, gérés et enrichis chaque semaine par plusieurs collaborateurs. L’entreprise compte aujourd’hui une cinquantaine de blogueurs. Faut-il dire « blogueur » d’ailleurs ? Sans doute pas. Il s’agit en fait de sites Web dont l’architecture est celle du blog, qui fonctionnent comme un blog, mais qui parlent de la banque et autour de la banque, du territoire et des clients. J’insiste sur ce point car le « blog » fait peur tant le mot renvoie à un journal intime nombriliste quand il n’est pas immoral ou pousse-au-crime. Pour illustrer cette appréhension, disons deux mots du journal d’entreprise que nous avons décidé un jour d’éditer sous forme de blog interne. Cette évolution n’a pas entrainé, loin s’en faut, l’adhésion de tous les salariés en raison de cette image qui fait peur. Nous avons alors décidé de ne plus parler de blog mais de donner au site le nom du défunt journal d’entreprise « PG Mag ». Les freins se sont aussitôt levés et le site a été adopté sans réserve par tous les salariés. Il faut respecter cette perception bien compréhensible. Depuis la page principale de la banque, les clients accèdent désormais à des sites dédiés (patrimoniaux, professionnels, agriculteurs, entreprises, jeunes) ou traitant de sujets généraux, comme le mutualisme, le développement durable ou encore l’innovation. Sur ces pages, ce sont « des gens d’ici qui parlent aux gens d’ici depuis ici », des Pyrénées, de la Gascogne. Les rédacteurs parlent métier, ce sont des professionnels, mais aussi territoire, car ils sont des voisins qui vivent les mêmes villes, quartiers, villages, que les clients. A tout moment, l’internaute peut réagir à une note, demander un rendez-vous, accéder à des informations plus détaillées sur tel ou tel produit ou service. Il peut même pousser un « Coup de cœur » ou un « Coup de gueule » que la banque affiche et auquel elle répond. Le site « Do U speak jeunes ? » mérite une mention spéciale. Au-delà de la présentation des offres et services, il a été utilisé pour organiser le concours du meilleur site personnel des moins de 30 ans. Plus de 250 candidats ont concouru sur le territoire et chacun a vu son site adressé depuis le site de la banque. Ce succès montre l’intérêt des jeunes pour ce média (on n’utilisent qu’un moteur de recherche et interrogent leur compte, 30 vont au-delà et achètent fréquemment sur le Web ou bavardent en ligne, et 10 % seulement sont des internautes agiles intéressés par les sites sociaux. Faut-il investir pour si peu de monde ? Nous pensons que la banque doit se mettre au niveau des plus agiles et penser ses services pour eux : c’est la meilleure façon de bien servir les autres et d’être prête quand tous les internautes auront progressé dans ces usages. Ajoutons que la banque mutualiste est plus concernée que les autres. Puisque l’association entre finances et territoire crée de la valeur durable dans la relation physique, que c’est sur ce modèle que les mutualistes ont bâti leur réussite, pourquoi ne serait-ce pas vrai aussi avec Internet ? Et pourquoi Internet ne permettrait-il pas de valoriser la relation de proximité ? Pourquoi clients et conseillers n’utiliseraient-ils pas les mêmes outils pour partager sur ces sites et donner aux services en ligne une dimension régionale et communautaire ? Pourquoi les mutualistes ne se différencieraient-ils pas avec cette forme nouvelle de « proximité augmentée » ? La relation à distance renforcera alors pour le client la confiance dans les personnes qu’il connaît, qui sont dans l’agence proche et à qui il peut quand il le veut serrer la main. Peut-être pensez-vous que cela n’a rien de bien original et que je décris là le modèle bien connu du « click & mortar » ? En fait, il a plusieurs façons de faire du « click & mortar » : en juxtaposant la banque « béton » et la banque Internet, sans qu’elles communiquent ; en associant le canal Internet et le conseil en agence, les deux se parlant, intervenant l’un ou l’autre au fil d’une même relation ; en créant sur Internet une relation proche de la relation physique avec des échanges sur la vie, le quartier, l’actualité. C’est bien là notre objectif : donner à la relation à distance une teneur la plus proche possible de la relation humaine, chaleureuse et pas seulement « produits et techniques ». Les expériences de Pyrénées Gascogne L’aventure de Pyrénées Gascogne sur les sites sociaux remonte maintenant à quatre ans. Nous avons 6 Banque et sites sociaux : retour d’expérience, perspectives J E A N P H I L I P P E le savait déjà), mais aussi leur regard positif sur le partenaire qui valorise leurs créations en entrant dans leur univers par leur centre d’intérêt. La remise des prix a été faite sur Second life ®, il n’y en pas eu d’autre. Soixante personnes étaient présentes en même temps par leur avatar dans l’amphithéâtre de l’Institut Mutualiste, une des installations que nous développons depuis trois ans maintenant avec la Fédération nationale du Crédit agricole sur des îles électroniques. Les implantations sur Second Life ® participent plus du « buzz » que du développement de la banque. Ce genre de monde virtuel, fortement médiatisé, n’a pas encore pris sa place dans les utilités du Web. Les réunions en 3D apportent pourtant beaucoup d’avantages : on voit les participants, on dialogue avec eux, on exprime des sentiments comme l’intérêt ou la lassitude, on se déplace. Ajoutons que le réalisme du 3D, avec les formes, les couleurs, les décors, l’environnement, permet d’adapter l’ambiance à l’événement, de suggérer un climat ; il est aussi possible de diffuser des vidéos ou diapositives, de parler depuis une tribune, de poser des questions. Tout cela donne aux réunions une dimension très proche du réel. Alors pourquoi en rester à l’expérimentation ? Tout simplement parce que la technologie reste difficile d’accès et demande un apprentissage. Ce frein sera levé avant l’autre qui réside, là encore, dans l’image des univers virtuels : ils ont été utilisés d’abord pour des jeux vidéo et restent très marqués par cette origine (dans « serious game », on entend plus « game » que « serious »). Du coup, les utilités pour les clients, donc l’intérêt pour les entreprises, passent au second plan, et il est bien difficile d’intéresser à un conseil bancaire un public qui vient pour jouer. Nous sommes là en veille et c’est essentiel. D’abord, il serait faux de croire que l’on aura toujours le temps de s’y mettre car ceux qui prendront demain des positions fortes sur ces activités font aujourd’hui leur apprentissage. Ensuite, en maîtrisant ces techniques et leurs usages, nous améliorons la maîtrise des autres techniques largement utilisées aujourd’hui : si Pyrénées Gascogne a des sites sociaux qui marchent bien, c’est parce qu’il est en recherche sur les évolutions du Web. Dans la foulée des blogs, nous avons entrepris d’utiliser les outils sociaux les plus populaires, FaceBook ® et Twitter ®. Nous les utilisons comme les « mordus » du Web, c’est-à-dire en relais de nos sites professionnels. Chaque nouvelle note sur un site fait l’objet d’un message sur ces sites sociaux, ce qui permet d’informer nos « fans » et « followers » (nos abonnés). Cette démarche ne suffit pas, bien sûr, et il est important d’entretenir la relation et de coopérer en ligne en émettant aussi des messages moins conventionnels selon l’humeur de celui qui est au clavier. Parler au nom de l’entreprise Je me suis intéressé aux sites sociaux à titre personnel avant de m’intéresser à leurs utilités pour la banque. Je vous confie cette démarche parce qu’il me semble essentiel de considérer ces nouvelles technologies comme des moyens de communication qui prolongent les moyens humains. Ainsi, j’aurais pu commencer en vous disant : « J’ai appris à parler à titre personnel avant de parler au nom de mon entreprise, et j’ai procédé pareil pour l’écriture », cela vous aurait paru une évidence. De la même façon, il doit vous paraître évident que l’on commence à écrire des blogs, à utiliser Facebook ® et Twitter ® à titre personnel, à s’immerger dans des mondes virtuels comme Second Life ® d’abord à titre personnel. Ce sont des moyens de prolonger les expressions que sont la voix et l’écriture. Cette vision très humaine des sites sociaux est fondamentale. Envisager d’utiliser ces outils comme on le fait de la publicité ou du spot télé, à savoir sans s’y impliquer soi-même, c’est comme se mettre au micro à la tribune sans avoir appris à parler. Mieux vaut rester spectateur. Il ne sert à rien à une entreprise de s’offrir une place dans la « websphère » si c’est pour reproduire les modes de communication utilisés dans la publicité. Les internautes ne rejettent pas, mais ne s’intéressent pas non plus. Cela ne fait pas de mal peutêtre, mais cela ne sert à rien. Une présence utile sur les sites sociaux est autre : les propos sont personnels et doivent s’affranchir des prudences habituelles ; il faut être soi, avec ses goûts et ses préférences. L’entreprise qui utilise ces sites ne peut donc le faire qu’en laissant s’exprimer les personnes comme elles le souhaitent. Celui qui s’adonne au clavardage (le tchat en québécois), qui le fait déjà à titre personnel, peut le faire aussi dans le cadre de son entreprise. C’est très 7 HORIZONS BANCAIRES N U M É R O 3 3 9 – D É C E M B R E exigeant puisqu’il parle alors « lui-même » en tant 2 0 0 9 mais aussi, je dirais, l’excellence sur internet, a alors été ressentie par beaucoup de collaborateurs comme une condition indispensable à la réussite collective. Et ils ont raison. que représentant de son organisation, sans filtre, sans faux-nez. Il doit être convaincu et porter les valeurs et le projet de son entreprise. Cela suppose quelque chose qui ressemble à du militantisme. L’exercice est exigeant puisque les salariés et les clients ont accès aux mêmes ressources et voient la même chose, ce qui suppose un parti pris de sincérité. Il n’y a pas de présence sur les sites relationnels sans cette forme d’engagement, ce qui signifie que les entreprises qui se lancent dans cette démarche ne peuvent le faire que si leurs modes de relations internes sont compatibles avec ceux du Web. Par exemple, à Pyrénées Gascogne, les notes rédigées par les salariés internautes ne sont ni commandées ni relues. Mon expérience est qu’en quatre ans, je n’ai jamais demandé d’en modifier un mot. L’exercice de la responsabilité est total, les acteurs internes le savent et en font un usage conscient et adapté. Je leur en suis énormément reconnaissant. Lorsque nous avons envisagé, après des expériences personnelles, d’utiliser les sites sociaux pour l’entreprise, cela s’est fait par des coopérations internes. L’accès à mon blog personnel a d’abord été ouvert aux salariés de Pyrénées Gascogne via l’Intranet. Une innovation qui a suscité chez certains l’indifférence, chez d’autres une réaction de surprise, de crainte voire de rejet, chez d’autres encore une réaction d’adhésion et l’envie de participer. C’est avec ces derniers que nous avons ensuite développé des sites d’entreprise. La question de l’adhésion interne est fondamentale. Elle a été possible parce que ces évolutions ont été comprises comme nécessaires pour accompagner un mouvement plus important, plus structurant, celui d’établir avec nos clients une relation nouvelle. Nous avons inscrit ces évolutions dans une stratégie d’entreprise avec deux priorités affichées : offrir aux clients une relation « multicanal » et réduire nos consommations de matières et d’énergie. L’utilisation d’internet Quelles perspectives ? Nous allons continuer. Nous avons le projet immédiat de doter chaque agence d’un site d’information et d’échange avec ses clients qui sera alimenté et animé par l’agence elle-même. Ce sera le support d’un « Internet de voisinage » qui apportera en ligne, en plus des services bancaires, la relation humaine de proximité avec l’agence et les conseillers que le client connaît physiquement. Nous sommes également en train d’équiper nos agences de postes de travail qui vont permettre de développer la formation à distance en univers virtuel. Nous avons aussi engagé un partenariat avec une société de « peer to peer » (« de pair à pair ») qui, dans quelques semaines, proposera à des épargnants de prêter en ligne à des porteurs de projets qui présenteront sur le site leur activité : il s’agit d’utiliser un réseau social pour développer une activité bancaire, le microcrédit. Enfin, nous avons commencé à utiliser les vidéos faites par les équipes de la banque pour présenter à la fois nos services et les femmes et les hommes qui sont disponibles pour en parler, avec bien sûr possibilité pour l’internaute d’engager le débat ou donner son avis. Nous aurons certainement d’autres projets dans les prochains mois, tant les choses vont vite dans ce domaine. Nous prendrons position avec toujours trois objectifs : renforcer notre expérience et notre agilité sur la toile ; continuer de capitaliser sur l’image d’une banque ouverte au monde et aux nouvelles technologies ; privilégier les applications qui apportent des flux d’internautes ou de l’activité en banque ou assurance. Ce qui est sûr, c’est que ce sont les équipes de Pyrénées Gascogne qui décideront du contenu et du rythme de ces nouvelles avancées. ◗ 8 HORIZONS BANCAIRES NUMÉRO 339 – DÉCEMBRE 2009 La relation entre le client et la banque est en train de s’inverser : ce n’est plus la banque toute puissante qui définit ce qui est bon et nécessaire pour son client, c’est celui-ci qui décide quand et avec qui il souhaite parler de ses projets et avancer. La banque électronique s’insère dans cette évolution. JEAN-PIERRE VAUZANGES Directeur du développement Caisses régionales Membre du Comité exécutif, Crédit Agricole S.A. La banque tout électronique : mythes et réalités Vision d’angoisse ! L’opérateur Télécom devenu le fournisseur de moyens de paiement au quotidien, le grand distributeur celui de solutions de crédit. À quand les Livrets d’épargne dans les stations-services, entre les bidons de laveglace et les bouteilles d’eau minérale, à côté des cartes de rechargement de téléphone et des bonbons à la menthe ? De cette vision d’un futur peut-être pas si lointain, peut-on dire qu’il va rester un métier de conseiller de proximité du client « captif » de la banque ? Et quelle place pour la banque tout électronique ? Faut-il pousser ce mode de relation, développer des sites marchands en ligne, encourager les clients à les utiliser ? Et en même temps repenser les agences, leurs organisations, leurs finalités ? Rappelons-nous les évolutions dans l’organisation de la relation entre le client et sa banque de détail ces vingt dernières années. ▼ Une agence vide de clients où les conseillers commerciaux s’ennuient ! L’agence commerciale est devenue une vitrine sans vie où rentrent de temps à autres des passants en mal de conversation. Un client devenu un consommateur averti et mature qui passe sur le Net de comparateur en comparateur, qui vole d’offre promotionnelle en offre promotionnelle, choisit le moment de son achat et le canal par lequel il veut le réaliser de jour comme de nuit, dans n’importe quel pays, sans souci de la distance ni de la langue. Un client qui, de plus, décide du moyen avec lequel il veut payer et se sent totalement libre de résilier ou de changer d’offre quand cela lui chante. Le conseiller indépendant, l’agent général qui visite le client à son domicile le soir en semaine ou le dimanche matin, et qui par ailleurs échange avec ce même client à 23 heures par messagerie électronique sur la meilleure offre du marché. 9 HORIZONS BANCAIRES NUMÉRO 339 – DÉCEMBRE Dans les agences, les comptoirs et les guichets 2009 banque a été entraîné dans cette évolution par les changements de mode de vie et par le poids des média qui facilitent l’affichage de la concurrence. Mais c’est la banque elle-même qui, en utilisant la technologie pour optimiser ses processus de production et de gestion, a fait évoluer ses organisations commerciales et transformé la nature de la relation avec son client qui, à son tour, s’adapte à cette modernité de consommation. Il y a quelques années, des assureurs français ont lancé des banques en ligne ; seule l’ouverture du compte est réalisée en agence, l’essentiel de la relation bancaire qui suit est gérée à distance, un peu encore par le courrier, la plus grande partie par Internet. Ces banques revendiquent toutes aujourd’hui plusieurs centaines de milliers de clients actifs, preuve que la banque au quotidien peut être gérée à distance. En mode tout électronique ? Non, car ces banques ont toutes mis en place des plateformes téléphoniques d’assistance au client sur des horaires élargis. Il est également vrai que la quasi-totalité de ces clients sont en même temps bancarisés dans d’autres réseaux. Ils ont une bonne connaissance de la gamme des produits et des services de la banque au quotidien. Ils arbitrent donc, en fonction de leurs besoins du moment, le choix de la banque et le type de canal de la relation. Quand les Caisses régionales du Crédit Agricole lancent BforBank avec comme positionnement en communication : « Mon banquier, c’est moi », elles font le pari qu’un segment de consommateurs est mature pour un modèle de relation bancaire tout électronique, et qu’il peut se passer de la relation en face à face dans une agence. disparaissent, remplacés par des bureaux et des postes d’accueil en même temps que l’informatique s’installe (pour le banquier !). Afin d’augmenter la disponibilité des conseillers commerciaux, des plateformes téléphoniques sont créées, déchargeant ceux-ci des appels entrants. Au fil du temps, ces plateformes montent en compétence et réalisent des ventes, devenant ainsi un nouveau canal de distribution. Très pratique pour le client, quand il n’est pas l’otage du « taper 1, taper 2, musique d’attente, un conseiller va vous répondre dans quelques instants, etc. ». Un client indépendant Dans le même temps, la banque met en place des automates permettant de retirer de l’argent ou de le déposer, de remettre des chèques et d’imprimer des états de comptes. Plus de manipulations de monnaie dans les agences. Pratique également pour le client, plus besoin de faire la queue au guichet : une fois passée la phase d’apprentissage, il devient autonome. Enfin, le déploiement d’Internet permet à ce même client de consulter à distance sa situation personnelle, puis au fil du temps de réaliser lui-même des opérations bancaires simples et de disposer de l’information en ligne sur les nouveaux produits et services. Car timidement, cette banque à distance électronique plutôt « vitrine » devient marchande. D’autonome, le client devient indépendant. Le type de relation que le client entretient avec sa banque a donc changé au fil des années, le sentiment de dépendance s’est estompé, le client est devenu un consommateur ravi. Ravi de pouvoir enfin choisir, de pouvoir prendre le temps de s’informer et de comprendre en s’appuyant de plus en plus sur une technologie qu’il maîtrise et qui lui apporte toute la connaissance à la maison. Ravi d’être « protégé » par des associations de consommateurs qui dénoncent sans hésitation, réclament toujours plus et lancent toujours plus d’actions juridiques. Ravi d’être « considéré » par des pouvoirs publics qui régulent à tour de bras. Ravi enfin d’être libéré de l’emprise de la relation client à sens unique. Certes, il faut bien reconnaître que le client de la Une relation équilibrée Depuis longtemps, la banque de détail est, dans la vision de son client, essentiellement un métier de conseil et de distribution de produits et de services, dans une relation voulue et organisée par le banquier pour être pérenne ; cette relation fondamentalement basée sur la proximité (d’abord géographique puis à distance avec le téléphone et Internet) aurait dû permettre d’augmenter la connaissance du client pour 10 La Banque tout électronique : mythes et réalités JEAN-PIERRE mieux l’accompagner dans les différentes étapes de sa vie personnelle et professionnelle. Mais la rotation des personnels des agences, le rajeunissement des équipes commerciales, le développement basé en majeure partie sur des campagnes successives d’équipement en produits et en services bancaires, la mobilité croissante des clients eux-mêmes, la lourdeur des programmes internes d’informatisation en connaissance client, sont autant de réalités que le client perçoit, qu’il dénonce et dont il peut s’affranchir avec la banque électronique. La relation est en train de s’inverser : ce n’est plus la banque toute puissante qui définit ce qui est bon et nécessaire pour son client « captif », mais un consommateur qui a des envies, des besoins, voire des projets et qui décide quand et avec qui il souhaite en parler et avancer. Dans une telle situation, le banquier doit demeurer sans contestation un « producteur d’offres à forte valeur ajoutée perçue par le client, un créateur de solutions financières globales, un innovateur ». Le VAUZANGES « tout électronique » croisé avec le « tout à distance » n’est pas la solution. Certes, le client doit pouvoir choisir sa manière de communiquer avec la banque, passer de l’Internet au téléphone et à l’échange en entretien face à face. À condition que le « tout électronique » facilite le transfert de connaissance entre les deux parties et assure la continuité des échanges dans les différentes étapes de la relation. Banque au quotidien en mode tout électronique ? Banque « projets épargne, crédits » en relation face à face dans l’agence, même si une partie du chemin a été faite en amont par le client en mode « autonome » ? Cette vision segmentée est tentante... mais trop simplificatrice. Mythes et réalités ? Tout ce qui a été écrit plus haut démontre que la banque électronique est déjà une réalité et rappelle que comme toujours en matière de distribution, c’est le client qui aura le mot final et que les organisations qui sauront le mieux capter ses attentes en matière de consommation tireront des profits dans une relation marchande équilibrée. ◗ 11 HORIZONS BANCAIRES NUMÉRO 339 – DÉCEMBRE 2009 Les technologies de l’information et de la communication (TIC) ont remanié en profondeur nos environnements de travail, de consommation, de sociabilité. Car plus encore que de nouveaux outils, elles sont porteuses de nouveaux usages. Le client bancaire est désormais multicanal, épris d’accessibilité sous toutes ses formes... et en attente de signes d’humanité, contrepoids du virtuel. MICHÈLE FRANZA ET DANIEL VILLATTE Direction études de marchés groupe, Crédit Agricole S.A. Les consommateurs, les TIC et la banque capacités de production et économies d’échelle. Les innovations des early 90’s étaient encore davantage guidées par des préoccupations de réduction des coûts que par une volonté de répondre aux attentes des consommateurs. Or le client bancaire, peu réceptif à ce déploiement d’une technicité qui semblait le tenir à l’écart, en était arrivé à prendre en grippe murs d’automates et plateformes téléphoniques. L’enjeu consistait alors à passer des principes du monde industriel, où la performance s’apprécie en termes de productivité, à ceux de l’univers des services, où ce sont la valeur ajoutée et la qualité de la relation client qui constituent la performance. Banques et clients ont beaucoup évolué depuis ces débuts ingrats. Avec et par les technologies. Celles-ci ont engendré un immense mouvement d’acculturation du grand public, dont les attentes portent aujourd’hui la trace à tous niveaux, depuis les produits et services jusqu’à la relation à la marque, en passant par la question du prix et celle des canaux. L’INFORMATIQUE, INTERNET ET LA TÉLÉPHONIE MOBILE, lieux phares de l’innovation, constituent pour les consommateurs un univers formateur favorisant l’apprentissage de nouvelles pratiques, l’acquisition de nouvelles habitudes. Ces nouveaux comportements s’étendent bien au-delà des frontières du Web : c’est notre vie quotidienne dans son ensemble qui s’en trouve affectée. Les relations à l’argent, au commerce, à la banque sont donc inévitablement concernées. Le champ est si vaste qu’on ne peut prétendre à l’exhaustivité. Nous nous proposons donc d’éclairer quelques facettes des transformations à l’œuvre au sein de la relation commerciale bancaire, sous l’influence des TIC. Le passage du back au front office L’informatisation, dans l’univers bancaire, s’est d’abord appliquée au back-office, dans une optique de rationalisation de type industrialiste : augmentation des 12 Les consommateurs, les TIC et la banque MICHÈLE FRANZA ET DANIEL VILLATTE Au-delà d’eBay, c’est l’ensemble des pratiques commerciales sur Internet qui participent à ces changements. Le consommateur prend un certain plaisir à court-circuiter les réseaux et marques classiques, pour accéder à ce qu’il estime être un plus juste prix des choses. Négocier, commercer, lui procurent le sentiment, non dénué de fierté, d’être l’un des acteurs de ce monde en mutation et de contribuer à la création de ses règles du jeu. Et si les outils du Web 2.0 ne sont pas encore aussi familiers au grand nombre, ils travaillent cependant dans le même sens, et forgent pour les années à venir un client beaucoup plus actif, participatif, autonome. Ces marques qui donnent le ton Les grands annonceurs des technologies inventent de nouvelles manières de s’adresser à leur public, de nouveaux services périphériques, de nouveaux modes de tarification qui deviennent les standards auxquels le client va désormais comparer les discours et les offres des autres secteurs. Les marques sont observées, et jugées selon leurs pratiques en matière de stratégie marketing, de discours publicitaire, de techniques de vente. Le consommateur a haussé jusqu’à l’expertise ses compétences de consommateur : il sait plus, peut plus, veut plus. Apple et le marketing des usages À une époque où le monde PC rivalisait à coups de méga-octets et de gigahertz, Apple faisait valoir sa différence en centrant son discours non sur les performances techniques mais sur les usages innovants, avec un slogan qui disait, en substance : « l’important n’est pas ce que votre ordinateur peut faire, mais ce que vous pouvez faire avec ». C’est aujourd’hui sur ce même positionnement que triomphe l’iPhone. Doté de l’interface intuitive et ludique propre à la marque, il est devenu, avec sa simplicité et sa richesse d’usage, la référence en téléphonie mobile. L’environnement Mac constitue ainsi un « pattern » qui a remodelé les comportements et attentes des consommateurs dans le sens d’une plus grande fluidité, simplicité, souplesse, légèreté, ergonomie. De la banque à accès multiples à la relation bancaire multimédia Un maître-mot : accessibilité L’accessibilité est la notion clé héritée des technologies. Les immenses progrès accomplis dans ce sens par la micro-informatique ont permis de l’appréhender, de l’identifier, de l’isoler, au sens où l’on isole une substance, une nouvelle molécule. Et la complexification de la vie urbaine, dans ses structures et sa temporalité, rend cette notion désirable, crée l’appel d’air. La demande d’accessibilité se fait ainsi sentir à tous les niveaux de la relation commerciale bancaire, qu’il s’agisse d’accessibilité... • physique : heures d’ouverture de l’agence, possibilités de parking ; • à distance : téléphone, e-messagerie, sites Internet ; • technique : ergonomie, facilité d’emploi, « userfriendliness » ; • intellectuelle : clarté des explications, des documents ; • pécuniaire : aspect « abordable » des coûts des services, des taux ; • ou encore relationnelle : attitude d’écoute du conseiller, disponibilité. eBay ou le nouveau regard sur la transaction commerciale Les pratiques de ventes aux enchères à grande échelle initiées par eBay ont, quant à elles, induit un changement de la perception de l’acte commercial. Tour à tour vendeur et acheteur, le consommateur relit la situation à la lumière de cette double position. Il envisage désormais la transaction comme un travail qui se fait à deux. Il a besoin que les deux parties y trouvent leur compte, afin que soit assurée la pérennité du système. Il y gagne l’intuition d’une relation d’échange équilibrée, marquée de co-responsabilité, qu’il va ensuite chercher à retouver dans d’autres situations de sa vie de client ou de citoyen. Tout client est multicanal Pour le client, il est devenu impensable que la banque ne mette pas à sa disposition ces outils qui lui sont devenus familiers, quotidiens. La question stratégique de savoir quel canal offrir à quel profil a perdu de son 13 HORIZONS BANCAIRES NUMÉRO 339 – DÉCEMBRE acuité. Tout client est « multicanal », au moins poten- 2009 Internet ses opérations de banque au quotidien ou la gestion courante de ses titres, c’est malgré tout à l’agence que l’on préfère se rendre pour signer un contrat, le « noir sur blanc » du document officiel ayant gardé toute sa valeur probatoire. C’est aussi à l’agence que l’on va chercher un conseil lorsque l’information ne suffit pas pour fonder une opinion, prendre une décision, et que l’on a besoin d’une écoute active. C’est dire que le conseiller est vraiment attendu, aujourd’hui, dans son rôle de... conseiller : au-delà de la transaction, de l’information, de la vente, le client lui demande de l’accompagner dans les décisions relatives à la gestion de son argent et d’en faciliter la mise en œuvre. La tâche est ardue face à ce consommateur évolué, informé, outillé, exigeant : le conseiller doit, lui aussi, être multicanal ! C’est donc bien sur la capacité de l’enseigne à organiser ce fonctionnement multimédia que reposera la valeur d’usage offerte au client. tiellement. La question est plutôt de parvenir à orchestrer et à harmoniser entre eux ces canaux, afin que chaque client puisse choisir celui qui convient le mieux à sa situation du moment, selon l’heure, le lieu, la circonstance, le besoin. Les clients utilisateurs des services de banque en ligne se recrutent dans toutes les tranches d’âge et à tous les niveaux de revenus, même si on les trouve, sans surprise, légèrement plus nombreux parmi les populations aisées et chez les jeunes. On a pu craindre un temps que l’usage d’Internet n’éloigne ces clients de leur agence bancaire. Il n’en est rien : leurs rythmes de fréquentation de l’agence restent très proches de ceux que l’on constate chez les non-utilisateurs. Ils sont en effet 4 sur 10 à rendre visite à leur agence au moins une fois par mois, contre 5 sur 10 chez ces derniers1. Ceci n’a rien de paradoxal. C’est en effet l’un des corollaires de l’inflation du virtuel que de susciter un besoin de matérialité compensatrice (c’est d’ailleurs ce besoin qui a fait nommer bureau, fenêtre, dossier ou corbeille les principaux éléments de l’interface informatique). Les performances des technologies procurent à l’utilisateur une impression de puissance et de facilité. Mais au moindre grain de sable dans leurs rouages, elles laissent la place à un sentiment d’isolement et de totale impuissance. D’où l’importance, pratique et psychologique, de tous les signes concrets et humains venant de l’organisme auquel on confie son argent. Cela commence, bien sûr, par l’agence et le conseiller. Mais les pages Internet devront elles aussi en porter la trace. Nouvelles technologies et innovation Si les consommateurs s’attendent à bénéficier de l’avancée des TIC dans le cadre de leur relation commerciale avec la banque, en ligne ou en agence, il y a des limites à ce qui leur paraît légitime et recevable de la part d’une banque. La crise n’a fait qu’exacerber l’hostilité du public à toutes les formes de gadgétisation, les offres qui s’écartent du champ bancaire étant souvent perçues comme une dispersion de l’énergie et de l’attention dues aux clients. De ce point de vue, TIC et banques ne sont pas égales devant l’innovation. Du côté de la micro-informatique, de la téléphonie mobile ou de l’image et son, l’appétit des consommateurs reste vif pour les nouveaux objets, parce qu’il y a en ce domaine de vraies innovations produits, et que celles-ci prennent des formes visuelles et tactiles très attrayantes. De plus, ces innovations peuvent garantir à leur producteur une longueur d’avance, du moins pendant un certain temps. Il n’en est pas de même dans le secteur bancaire, où l’offre est abstraite, souvent aride et « copiable » presque instantanément. Les deux secteurs vivent en effet sur des temporalités différentes. Ainsi, dans les TIC, où les consommateurs se La valeur de l’agence L’agence a ainsi une double valeur, d’usage et de sens. Elle est avant tout, par sa matérialité et sa permanence, un lieu symbolique fort, qui apporte un ancrage dans l’espace et dans le temps à cet espace virtuel « où habite mon argent ». Cette fonction symbolique de l’agence justifierait à elle seule son existence. Mais elle a d’autres raisons d’être, au croisement du symbolique et du pratique. Si l’on effectue volontiers sur 1. Source : Moyenne des études de satisfaction réalisées en 2009 par Crédit Agricole S.A. pour des Caisses régionales de Crédit Agricole. 14 Les consommateurs, les TIC et la banque MICHÈLE FRANZA ET ruent sur la nouveauté, trois mois peuvent assurer une avance précieuse, alors que, sauf exception, le dernier modèle de convention de compte ou de plan d’épargne ne suscitera pas le même rush. L’innovation attendue de la part de la banque – le grand changement – concerne moins les produits que ce qui entoure les produits : les modalités d’accès aux produits (canaux, information, conseil) et, au-delà, la relation du client à l’enseigne. DANIEL VILLATTE montants comme sur celui des modalités, un juste reflet de la consommation. Échaudé par les packages « fourre-tout » des années quatre-vingts, parfois égaré par les offres des opérateurs téléphoniques de la dernière décennie, le consommateur fait trois vœux : • Disposer d’une offre flexible et évolutive adaptée à ses besoins. • Ne payer que ce qu’il consomme. • Maîtriser les coûts prévisionnels liés à sa consommation. La télévision avait donné naissance au concept de « bouquet ». Les consommateurs en ont gardé un intérêt pour les packages thématiques, qui, sur une offre trop vaste, opèrent un « pré-choix » conforme à leurs besoins. Les TIC sont allées plus loin, en mettant à leur disposition tout un éventail de modalités de tarification à l’acte, à l’abonnement, au package, au temps passé... Les consommateurs apprécient cette variété, qui, tout en évitant habilement la confrontation entre payant et non-payant, leur offre une large possibilité de choix et suggère l’adaptabilité. Un exemple : l’offre bancaire sur téléphone mobile Ces nouveaux services sont bien acceptés s’ils apportent une réelle nouveauté en termes de valeur d’usage. C’est ainsi que sont valorisés ceux qui... • permettent une réactivité forte face à des événements personnels de la vie courante, et augmentent le potentiel d’action de leurs utilisateurs : ils sont alors vus comme de vraies inventions ; • garantissent un accès simple et sécurisé ; • semblent avoir été pensés d’abord dans l’intérêt du client. L’attractivité de ces services n’implique pas pour autant spontanément le principe d’un coût, dans la mesure où : • ils sont vus globalement comme une remise à niveau nécessaire de la qualité de l’offre de services bancaires ; • la dématérialisation des services est perçue comme une source d’économie pour la banque (ça se fait tout seul, sans intervention humaine) ; • la logique économique du téléphone mobile, fondée sur les principes de forfaits et d’illimité, alimente l’attente de gratuité. En résumé, dans ce domaine, la seule offre qui puisse justifier un coût est celle qui propose une solution là où il n’en existait pas. Mais la gratuité, il faut le rappeler, n’est pas toujours attendue par les consommateurs pour ce qui concerne les services bancaires. Un coût, modique s’entend, a toujours cet effet de confirmation d’une valeur, à condition que celle-ci lui soit reconnue à l’usage. Who’s afraid of the World Wide Web ? Lors des transactions sur Internet, la peur est toujours plus ou moins présente. Elle est là chez les novices qui s’aventurent dans la jungle du Net, elle s’atténue avec un peu de pratique, et elle revient en force chez les plus experts, liée à la prise de conscience de la complexité des échanges de flux financiers. Comme l’explique l’un d’eux : « Plus j’ai peur, plus je m’informe, et plus je m’informe, plus j’ai peur ! ». Il s’agit là de la crainte d’exposer des données personnelles, en particulier bancaires, aux risques de piratage. Mais les transactions sur Internet charrient bien d’autres inquiétudes. Un processus d’achat sur Internet suppose un investissement en temps, en énergie, en stress, dont on n’évaluera le retour qu’au terme de la transaction. Lors d’un achat en magasin, la situation est différente. Le consommateur peut garder le contrôle des opérations tout au long de leur déroulement. Il peut s’assurer corporellement, par un ou plusieurs sens, que le magasin inspire confiance, que le vendeur a l’air honnête et compétent, que la matière est de belle qualité, Une offre tarifaire diversifiée Ce qui est attendu d’un système de tarification des services bancaires, c’est qu’il soit, sur le plan des 15 HORIZONS BANCAIRES NUMÉRO 339 – DÉCEMBRE que le fauteuil est confortable, le vêtement seyant... 2009 La délimitation dans le temps de cette génération est sujette à controverses, mais on peut dire qu’elle touche, en gros, les 15-25 ans. Quoi qu’il en soit, qu’il s’agisse ou non d’un fonctionnement de cohorte importe peu finalement. L’important est d’avoir identifié une nouvelle logique, qui infiltre tous les secteurs de la vie en société, et de recueillir quelques clés pour en comprendre la cohérence. Ils sont décrits comme fondamentalement « multitâches », surfant sur Internet tout en parlant au téléphone ou en lisant leurs textos, moins « accro » à la télévision que leurs aînés, accordant davantage de temps à leurs activités privées, pilotant leur vie depuis leur mobile, et partageant très libéralement leurs infos, via les réseaux sociaux notamment (cf. liens en bas de page). Il peut, à chaque étape, interrompre le processus s’il n’est pas entièrement convaincu. Un achat sur Internet ne permet pas d’évacuer ainsi la charge d’angoisse par petites doses. Celle-ci, au contraire, s’accumule au fil des questions qui se posent aux différentes étapes : vais-je trouver le bon produit ? Arrivera-t-il en bon état ? Arrivera-t-il, tout simplement ? Sera-t-il conforme à mes attentes ? Ai-je fait le bon choix ? Ce n’est qu’en fin de parcours, si tout va bien, que la tension peut se relâcher. Ces inquiétudes, le consommateur les endigue en recherchant des signes de réassurance, tels que les avis des autres consommateurs, la réputation d’un site, le nombre d’étoiles, la présence d’un label de sécurité, voire le soin apporté à l’annonce (qualité des photos, précision du descriptif, niveau de langage) qui témoignent de l’implication du vendeur. Il leur oppose également la confiance qu’il existe un recours qui va minimiser les risques et, du coup, contenir l’angoisse. D’où son attente d’une panoplie d’assurances et de garanties capables de le protéger des aléas, des indélicatesses, et même de ses propres erreurs, voire de ses caprices. La victoire du bouche à oreille ? Leurs comportements de consommateurs et leurs attentes sont dessinés à traits fermes par les bloggeurs qui s’intéressent à eux : des comportements où l’on voit se préciser et s’accuser certaines tendances déjà à l’œuvre. Un bref aperçu de leur rapport à la communication et au discours des marques en fournira ici une illustration : « They don’t care about your ad, they care what their friends think » (Ils n’ont rien à faire de votre pub, ce qui compte, c’est ce que pensent leurs amis). «Parce qu’il sont en immersion constante dans les médias, que ce soit en ligne ou hors ligne, la génération Y est cernée par le marketing, mais quand ils ont une décision à prendre, ils se retournent vers leurs amis. La génération Y a tendance à se reposer sur son réseau social et ses recommandations bien plus que sur le marketing et la publicité. » [...] « Le partage est synonyme de pouvoir au sein de cette génération, quoi que ce soit que l’on partage : connaissance, liens, compétences ou musique, au sein d’un cadre privé ou professionnel. Le pouvoir s’acquiert par le partage, là où le fait de posséder sans partager était lié au pouvoir pour les anciennes générations, qui ont vécu dans une économie de la Une nouvelle race de consommateurs à l’horizon On entend beaucoup parler, dans les coulisses de la sociologie et du marketing, de la « Génération Y », et il n’est pas possible de parler d’évolution de la consommation et de nouvelles technologies sans en dire quelques mots. La « Gen Y » : qui sont-ils ? Il s’agit de ces jeunes hyper branchés, au sens propre, c’est-à-dire vivant à longueur de journée avec un terminal au bout des doigts (smartphone, « laptop », iPod, voire simple téléphone mobile ou console de jeux vidéo), et qu’on appelle également « digital natives » (traduction : ils sont tombés dedans quand ils étaient petits). 16 Les consommateurs, les TIC et la banque MICHÈLE FRANZA ET rareté et ne comprennent pas cette économie de l’abondance propre au numérique. »2 Si l’on en croit ces constats prophétiques, l’image de l’enseigne tendra donc de plus en plus à s’émanciper de « l’image corporate » construite par elle, pour être, plus que jamais, fondée sur les expériences concrètes des consommateurs, co-construite et diffusée par eux. DANIEL VILLATTE comme je peux). L’accessibilité, c’est cette proximité ponctuelle choisie. Une mise à disposition sans pesanteur. • C’est moi qui décide. Le choix, certes, mais un choix accompagné, balisé, dans le dédale d’une offre aussi diversifiée qu’abondante. D’où l’importance grandissante du conseil, mais aussi des outils de comparaison et de simulation, ainsi que du partage d’expérience. • C’est moi qui l’ai fait. On adapte, on décore, on customise... son interface graphique, sa page Yahoo !, son compte eBay, son iPod, etc. : une liste où « sa carte bancaire » ne ferait pas figure d’intrus. Une opportunité pour la banque de faire évoluer son rapport à sa clientèle. ◗ Pour conclure : trois concepts de premier plan Accessibilité, choix, personnalisation : trois concepts en phase avec le grand processus d’individualisation observé par les sociologues. Trois concepts qui ont creusé leur lit dans l’abondance et la fluidité des TIC : • Où je veux, quand je veux, comme je veux (et Sources : études réalisées en 2008 et 2009 pour Crédit Agricole S.A. par les cabinets H2O, Initial, Innovacorp, Ipsos, Synovate, TNS Sofres 2. Sarah Perez, dans ReadWriteWeb du 15 mai 2008 ; traduction et extrapolations de Fabrice Epelboin, dans ReadWriteWeb France du 8 septembre 2009. L’article : http://fr.readwriteweb.com/2009/09/08/analyse/generation-y/ La controverse : http://www.chroniquesduweb.com/2009/09/17/la-generation-y-est-elle-si-connectee/ 17 HORIZONS BANCAIRES NUMÉRO 339 – DÉCEMBRE 2009 Dans le domaine de la banque de détail, la confiance du client face aux nouveautés, qu’elles soient technologiques ou commerciales, repose à la fois sur son appréciation de l’adéquation de l’offre nouvelle avec ses propres besoins et sur la confiance qu’il accorde à l’établissement qui la lui propose. Cette confiance dans le produit s’inscrit toujours dans la durée. ALEXIS PETITJEAN Analyse stratégique groupe Crédit Agricole S.A. Insuffler la confiance envers les nouveaux services surmonter un certain nombre de difficultés autres que monétaires. Ce qui le fera passer à l’acte, c’est non seulement la confiance qu’il aura dans l’adéquation de ce nouveau produit avec ses besoins et dans les avantages qu’il en tirera par rapport à l’inaction, mais aussi la confiance qu’il accordera à l’institution qui le lui propose. Dans le domaine de la banque de détail, cette confiance est loin de naître ex nihilo. Pour le client des services bancaires – et même si nombreux sont les banquiers qui en rêvent – l’achat « coup de cœur » d’un produit bancaire n’existe pas. De la même façon, pour les établissements bancaires, l’activité ne se prête pas davantage au lancement « minute » de nouveaux produits ou services. Avant sa mise en marché, chacun d’entre eux est mesuré, pesé, évalué à l’aune de la réalité du marché lui-même, de sa réglementation et, pour utiliser une expression d’actualité, de sa « soutenabilité ». Car dans le retail, pour que le client adhère DEPUIS QUELQUES ANNÉES, l’approche consumériste se focalise sur les « coûts de sortie », c’est-àdire les difficultés, y compris de nature psychologique, que rencontre un consommateur pour changer de fournisseurs de biens ou de services. La Commission européenne, au nom de la recherche d’une concurrence parfaite, regarde d’ailleurs avec suspicion tous les secteurs économiques où la relation avec le client dure trop longtemps. Même si cette vision est extrêmement partielle, voire partiale, la banque de détail entre pour elle dans cette catégorie. Les nouvelles technologies et les nouveaux services ont cette particularité qu’ils inversent le paradigme : on ne sort pas d’un nouveau service puisqu’il n’existait auparavant, on ne peut qu’y entrer. Or, dans ce cas, l’analyse consumériste a tendance à assimiler « le coût d’entrée » au seul prix payé par le consommateur pour accéder à ce produit ou service. Pourtant, lorsqu’un client choisit la nouveauté, il accepte de 18 Insuffler la confiance envers les nouveaux services ALEXIS PETITJEAN à l’innovation, il ne s’agit pas seulement d’insuffler la confiance, il faut aussi l’inscrire dans la durée. Au risque de voir les autorités s’étonner de la longévité de la relation banque-client, le souci permanent de cette double démarche, y compris dans l’innovation, est une caractéristique de la relation bancaire et le gage de la satisfaction de la clientèle et de sa fidélité. interne et externe. Quand il y a vingt ans, les banques françaises choisirent de développer la carte à puce, système qui est encore aujourd’hui parmi les plus sécurisés au monde, elles réagirent exactement en adéquation avec ce que leurs clients attendaient pour adopter la technologie. Pour autant, ces gages de sécurité ne suffisent pas pour que la greffe prenne, même s’ils en constituent un élément essentiel. En fait, s’il n’y a pas de ruée massive de la clientèle face à une innovation technologique bancaire, il y a dans la plupart des cas une montée en puissance progressive et régulière de l’adhésion à l’innovation. Source de coûts à l’origine, c’est sur ce schéma que les banques françaises peuvent inscrire toutefois leur business model en matière d’innovation technologique. En outre, dans un pays comme la France où 99 % de la population est bancarisé, la rentabilité d’une innovation, gage de sa qualité, dépend en grande partie de son industrialisation. En conséquence, l’offre doit être accessible au plus grand nombre tant en termes de prix que de simplicité d’utilisation. En matière de banque en ligne, les établissements français ont également fait évoluer leurs services au fur et à mesure que s’installait la confiance des consommateurs dans cette offre nouvelle. Vécu surtout au départ comme une source d’information, Internet s’impose désormais comme un canal à part entière de la relation banque-client. Un nombre significatif d’utilisateurs de ce canal ont dépassé le stade de l’apprentissage et s’attendent à y trouver les mêmes services qu’en agence, y compris en terme de sécurité des opérations. Les banques y ont répondu en mettant en place des moyens d’authentification performants, comme la signature électronique. En matière de produits commerciaux innovants, le comportement prudent des clients est relativement similaire, y compris lorsque les innovations sont encouragées par les pouvoirs publics. On l’a vu par exemple avec les produits d’épargne retraite issus des lois Fillon. On le constate également sur des innovations commerciales comme la Garantie des accidents de la vie, la GAV, lancée par les assureurs il y a moins de dix ans. La montée en puissance a été progressive mais elle est solide et personne n’imaginerait aujourd’hui son retrait du marché. Privilégier la sécurité et la simplicité dans l’innovation La relation banque-client est une relation commerciale très particulière. L’argent, qui en est le ciment, est une « matière première » multidimensionnelle. C’est particulièrement vrai en France où il véhicule, à travers l’histoire politique et sociale de notre nation, une dimension émotionnelle forte. L’innovation technologique ou commerciale dans le domaine de la banque de détail doit nécessairement en tenir compte. En la matière, le leitmotiv s’apparente à l’adage de l’essayiste américain Oliver Wendell Holmes : « Ne mettez pas votre confiance dans l’argent mais mettez votre argent en confiance ». Mettre son argent en confiance, c’est avant tout s’assurer que les conditions sont réunies pour bénéficier à la fois d’un environnement propice mais aussi de la compétence et la solidité de l’institution à qui on le confie. Un peu à l’image du comportement des Français face à la campagne de vaccination contre la grippe A (H1N1), le client du secteur bancaire est rarement un cobaye enthousiaste. Certes, il est sensible aux tendances sociétales mais il adhérera d’autant plus facilement à une nouvelle technologie ou un nouveau service qu’il sera convaincu que l’état de l’art en la matière a été suffisamment éprouvé pour offrir le maximum de garanties. Si l’on se penche, par exemple, sur le développement de la carte bancaire à la fin des années 1980 ou de la banque en ligne à la fin des années 1990, on peut constater qu’il n’y a pas eu de ruée massive et immédiate sur ces nouveaux produits. Pourtant, les banques françaises n’ont rien d’apprentis sorciers et, dans un passé récent, aucune d’elles n’a jamais lancé sur le marché la moindre innovation sans l’avoir testée et fait valider par les clients eux-mêmes, et, pour la plupart, par leurs autorités de tutelles et de contrôle 19 HORIZONS BANCAIRES NUMÉRO 339 – DÉCEMBRE L’importance de l’environnement réglementaire 2009 comprend pas faute d’éducation adaptée) et/ou renforce le contrôle et les sanctions sur les établissements bancaires pour les décourager d’abuser de cette asymétrie. La crise financière a accéléré cette dernière tendance. Plutôt que d’en expliquer la réalité complexe, on a accusé les banques d’à peu près tous les maux, y compris les banques françaises dont la bonne résistance témoignait pourtant d’une gestion beaucoup moins risquée que la plupart de leurs consoeurs. Avec une telle attitude qui encourage la suspicion à l’égard de l’institution bancaire, il est pourtant très encourageant de constater que les enquêtes d’opinion menées auprès des clientèles des différentes banques françaises confirment qu’elles maintiennent de façon très largement majoritaire leur confiance dans leur banque. Compte tenu des spécificités nationales évoquées plus haut, et notamment l’ambivalence entretenue à l’égard de l’argent, l’image de la banque en général n’a jamais été excellente et a encore été fortement écornée par la crise. Comment expliquer alors cette résistance ? Le « darwinisme » bancaire y est sans doute pour quelque chose. Les sept ou huit établissements qui assurent aujourd’hui plus de 80 % des services de banques de détail en France ont des racines plus que centenaires. Cette longévité a permis d’inscrire dans leur gène non seulement leur capacité d’adaptation et de service mais aussi le sens des responsabilités à l’égard de leurs clientèles. La notoriété de ces établissements et de leurs marques contribue fortement au capital « confiance » dont elles bénéficient auprès de leurs clients. Parmi eux, rares sont ceux qui ont entendu parler de la Directive MIF ou qui savent que le règlement CRBF 97-02 demande aux banques de se couvrir également contre les risques opérationnels ou les risques de non-conformité. Mais par expérience, même s’ils n’en connaissent pas le processus, ils savent que leur banque n’a aucun intérêt à les flouer, les surendetter ou les exposer à des expériences technologiques douteuses. Et par intuition, ils perçoivent que leurs exigences morales et professionnelles à l’égard du secteur bancaire sont un stimulant pour innover et améliorer en permanence les services proposés. Quant à la réglementation, elle constitue un élément clef de la confiance mais n’en est pas la pierre angulaire. Le consommateur français a cette particularité de vouloir être protégé par la loi – et le droit français est bien l’un des plus protecteurs d’Europe – mais il se méfie presque davantage de celui qui le protège que de celui contre qui il souhaite être protégé. Ce particularisme est décrit notamment dans l’ouvrage d’Y. Algan et P. Cahuc, « La société de défiance » (Éd. Rue d’Ulm). Il se traduit par une tendance forte à se tourner vers l’État pour plus de réglementation et de protection mais la conséquence en est une défiance croissante à l’égard des institutions qui, malgré la multiplication de leurs interventions, laissent toujours le monde dans l’imperfection. Et la multitude de textes et de normes régissant les activités bancaires ne fait rien pour arranger les choses, y compris face au développement des innovations technologiques. La plupart d’entre eux sont, bien sûr, indispensables. Certains en revanche sont fortement imprégnés d’une dimension politique qui ne contribue pas nécessairement à la clarté du service. On peut penser, par exemple, à l’automatisation du solde bancaire insaisissable. Avec un client à la fois prudent face à l’innovation et souvent sceptique sur la réalité de sa protection (pourtant l’une des plus étendues d’Europe), comment les banques françaises peuvent-elles alors figurer en tête des palmarès mondiaux en matière d’innovation dans les produits financiers? Sans doute parce qu’elles ont choisi de répondre à la recommandation d’O. Wendell Holmes : « mettez votre argent en confiance ». La confiance à l’épreuve de l’insuffisante éducation financière La France souffre – et notre pays est loin d’être le seul – d’un déficit chronique en matière d’éducation financière et économique. Les banques n’en sont pas responsables mais il en résulte, dans la relation banqueclient, une dépendance relative du client vis-à-vis de sa banque. C’est ce que l’on qualifie aujourd’hui d’asymétrie d’information entre le professionnel et le client. Pour en atténuer les effets, le législateur, qu’il soit national ou européen, multiplie les informations obligatoires à destination du client (que bien souvent il ne 20 Insuffler la confiance envers les nouveaux services ALEXIS PETITJEAN La trop grande discrétion des banques sur leurs efforts de recherche Placer le client au cœur du dispositif d’innovation À l’égard de l’innovation, l’approche pragmatique et prudente de la clientèle qui veut que le produit comme l’établissement qui le propose aient fait leurs preuves, a nécessairement un impact sur le marché. Au moment de la bulle Internet ont fleuri les offres de banque et de courtage en ligne. Mais, comme le souligne le CECEI, autorité de tutelle des banques, dans son rapport 2008, « Ces établissements novateurs se sont peu développés et, depuis 2002, on assiste à un mouvement de repli de ce type de structures ». On l’a vu, l’innovation bancaire a un coût et ce coût s’amortit dans la durée. Tout nouvel entrant doit donc assumer à ses débuts non seulement les exigences financières prudentielles indispensables à sa présence sur le marché, mais aussi les pertes de fonctionnement jusqu’à l’atteinte d’un seuil d’adhésion (de conquête) suffisant pour le rendre rentable. Dans ces conditions, on comprend que si le rôle de la concurrence est très important dans l’organisation du marché, fondamentalement celui-ci s’organise surtout en fonction du comportement et des attentes de la clientèle. En bout de chaîne, le client ne perçoit pas nécessairement l’extraordinaire travail accompli par les équipes internes de recherche. Elles constituent de véritables laboratoires, que ce soit dans le domaine commercial ou technologique. Les produits bancaires ne bénéficiant pas du « copyright », tout ce travail est en général gardé précieusement à l’abri des regards de la concurrence. Le process mériterait peut-être d’être porté à la connaissance du public afin qu’il réalise à quel point il est indéniablement au cœur de la relation bancaire. En matière d’innovation technologique, certains établissements commencent à mesurer l’enjeu d’une meilleure visibilité donnée aux travaux de leurs laboratoires. Ainsi, la presse économique évoquait récemment le projet de « technolab » du Crédit Agricole qui fonctionnerait comme une vitrine expérimentale, notamment dans le domaine de l’application des nouvelles technologies de l’information aux services bancaires. Dans son rapport annuel pour 2008, le CECEI rappelle également que « le système bancaire et financier français connaît depuis la deuxième partie des années quatre-vingt-dix une restructuration continue (...). Composé d’établissements expérimentés, dans les activités traditionnelles comme dans les produits les plus sophistiqués, le secteur bancaire français exerce des activités aussi bien en France qu’à l’étranger. Ces acteurs opèrent sur un marché de plus en plus ouvert et concurrentiel, où le phénomène des concentrations au plan européen est loin d’être achevé ». A en croire de nombreux observateurs, la crise financière devrait encore accélérer ce mouvement de concentration. Il n’est évidemment pas question de faire le lien entre la fragilisation de certaines banques européennes – voire de systèmes bancaires nationaux – et l’idée que ces établissements auraient quelque peu perdu de vue les attentes réelles de leurs clientèles. Le monde bancaire est plus complexe que ça. Pourtant aujourd’hui, les banques qui ont su préserver la confiance de leurs clients en les maintenant au cœur de leurs préoccupations, savent le rôle que cette confiance a joué pour les aider à traverser la crise. Plus que jamais, elle constitue l’une des valeurs clefs de leur fonds de commerce et contribue à leur solidité. Pas étonnant que dans un monde où l’information circule dès la survenance du moindre événement, les banques accordent à leurs risques d’image et de réputation une attention toute particulière. Pour le client, la « partie émergée de l’iceberg » est souvent le conseiller et, en cas de difficultés, les services « qualité et relations clientèle » et parfois le médiateur. Mais il ne faut pas oublier qu’en amont, les fonctions liées au contrôle (inspection, audit, risque, conformité, déontologie...) représentent désormais une part significative des effectifs. Pour la banque de détail française, insuffler auprès de sa clientèle la confiance dans les nouveaux produits et services, ne serait-ce pas finalement lui apporter la garantie que d’un bout à l’autre de la chaîne de l’innovation, la prise en compte de ses besoins et de ses intérêts sont restés le fil conducteur de la démarche ? ◗ 21 HORIZONS BANCAIRES NUMÉRO 339 – DÉCEMBRE 2009 En donnant à chaque consommateur, à chaque sociétaire la possibilité de participer aux débats, d’apporter une contribution et de devenir ainsi acteur, la deuxième génération du web enrichit considérablement la vie du mutualisme. Nous sommes pour un usage sans limite de ces technologies qui permettent de toucher toutes les populations, dont les jeunes, et tous les territoires. CHRISTIAN TALGORN Président de la Caisse régionale de Crédit agricole mutuel du Morbihan Innovations technologiques et mutualisme de l’usager consommateur à l’usager acteur, du web des « biens » à celui des « liens » s’est accompagné d’une autre évolution plus matérielle : celle des moyens d’accès. Si l’ordinateur a pu constituer l’instrument privilégié dans l’usage du web, il est maintenant fortement concurrencé par des moyens « miniaturisés » qui en facilitent l’usage de manière permanente, tels l’iphone, le téléphone portable, les tablettes... La démocratisation de ces moyens d’accès permet d’élargir de manière considérable le champ des personnes pouvant les utiliser. Ces multiterminaux par les commodités offertes permettent de communiquer en tout temps et en tout lieu sur la planète entière, de manière ultra rapide. En outre, hormis le cas de services particuliers et l’achat des éléments matériels, l’usage est le plus souvent marqué par la gratuité. L’impact de ces technologies se fait sentir autant au niveau local qu’au niveau mondial. Cette « glocalisation » du phénomène offre de riches perspectives dans LA PROFONDE ÉVOLUTION DES TECHNOLOGIES d’information et de communication ces deux dernières décennies a fortement impacté la sphère professionnelle et privée, modifiant de manière irréversible les comportements. L’avènement du Web 1.0 dans les années 90 avait déjà changé le paysage. C’était le web des données, des connaissances, constituant une véritable bibliothèque universelle. L’apparition du Web 2.0 au début de ce XXIe siècle modifie à nouveau et de manière forte la donne. Le monde du Web 2.0 est celui des personnes et des échanges, créant un véritable lieu de vie caractérisé par le partage. Il densifie et intensifie le lien social en mettant en présence, à tout moment et sans véritable distinction ni des rôles, ni des fonctions, une tribune et un auditoire, encore plus nettement affirmé aujourd’hui par le recours à la visioconférence. La recherche extrêmement prolifique menée en ce domaine laisse présager de nouvelles avancées. Ce passage d’un web statique à un web dynamique, 22 Innovations technologiques et mutualisme CHRISTIAN l’extension des relations humaines, proposant ainsi des moyens de diffusion à toutes les cultures, à toutes les nations, pouvant même résister mieux que d’autres à la censure politique. Des craintes se sont manifestées de manière protéiforme à la vue de ces nouvelles possibilités de communication : distanciation de la relation personnelle physique et donc son affaiblissement, triomphe du virtuel et de la dématérialisation sur le réel, superficialité des rapports plutôt qu’approfondissement, abandon de la dimension territoriale au profit de repères incertains... Au regard de ces craintes, la réflexion mérite d’être menée sur les implications de ces technologies de communication sur le mutualisme. Sans entrer dans l’examen des valeurs qui lui sont rattachées – solidarité, proximité et responsabilité, elles-mêmes « complétées » par des principes qui guideront l’action tels l’utilité des actes et des comportements, la présence physique et relationnelle, la confiance réciproque –, le mutualisme se décline notamment à travers la relation de proximité avec un fort ancrage territorial et sa dimension humaniste, les deux s’imbriquant étroitement. La réalité territoriale doit être appréhendée sous toutes ses formes – économique, sociale, culturelle, vie citoyenne... – au profit des femmes et des hommes qui vivent sur ce territoire. Concernant le secteur bancaire, il est évident que l’usage des nouvelles technologies est une nécessité impérieuse. Il est vital de développer la banque dans tous ses métiers au vu des opportunités offertes par ces technologies. Mais il faut aussi que la banque mutualiste en fasse un usage pour y développer non seulement l’approche philosophique et juridique du mutualisme, mais également en faisant état de ses opérations et réalisations. En d’autres termes, si la banque mutualiste dans un passé récent vivait son mutualisme de manière très rituelle – relations traditionnelles lors des rencontres organisées ou assemblées de caisses locales ou régionales, communication par le support papier – le nouveau paysage de la communication offre des capacités de développement du mutualisme. Cela nous paraît d’autant plus pertinent qu’assez souvent le manque de communication et donc de médiatisation du mutualisme, de ses valeurs et – encore plus – de ses concrétisations, est dénoncé. TALGORN Incontestablement, la vision traditionnelle de la proximité territorialisée s’en trouve remodelée dans une photographie qui désormais fait appel à un grand angle. En outre, internet offre la possibilité de mettre en place un mutualisme dynamique qui nous amènera à souligner l’apport de ces nouvelles technologies à la fois sur l’organisation bâtie sur ce fondement et la facilitation de la réalisation des valeurs. La proximité renforcée La relation physique s’atténuant par les nouvelles formes de communication, ne va-t-on pas assister à l’effritement de l’approche territoriale et voir de cette manière s’effacer la relation de proximité ? Nous faisons nôtre la réflexion de Jean Philippe, Directeur général de la Caisse régionale du Crédit agricole de Pyrénées Gascogne, quand il affirme sur son blog : « Puisque l’association entre finances et territoire crée de la valeur durable dans la relation physique, que c’est sur ce modèle que les mutualistes ont bâti leur réussite, pourquoi ne serait-ce pas vrai aussi avec Internet ? Et pourquoi Internet ne permettrait-il pas de valoriser la relation de proximité ? Pourquoi clients et conseillers n’utiliseraient-ils pas les mêmes outils pour partager sur ces sites et donner aux services en ligne une dimension régionale et communautaire ? » La valeur ajoutée par ces nouvelles technologies créerait alors une « proximité augmentée ». La relation à distance qui peut a priori sembler une menace sur cette territorialité, peut au contraire y trouver une valorisation. Nous le savons, une banque mutualiste se doit avant tout de mener son action sur son territoire, ce que le Crédit agricole définit comme un espace prioritaire à travers l’expression « la territoire attitude ». C’est aussi sur ce territoire que doivent se développer et se concrétiser ses valeurs mutualistes. Le système décentralisé de l’organisation d’une banque coopérative telle le Crédit agricole permet une innovation permanente dans les moyens d’appréhender le mutualisme et ses réalisations sur le territoire. Chaque caisse locale, chaque caisse régionale constitue elle-même un excellent terrain d’innovation et d’expérimentation. La réussite d’une opération permettra par la suite son extension aux autres entités du groupe et cela de manière le plus souvent progressive en fonction du choix de 23 HORIZONS BANCAIRES NUMÉRO 339 – DÉCEMBRE chacune d’entre elles. À ce titre, nous pouvons citer 2009 leur ouvrage « Mutualisme financier, société de personnes et post-modernité » (éd. CNRS 2009). En faisant état de relations sociales plus implicantes, du partage d’expériences relationnelles, les auteurs témoignent de la réalité d’un espace qui peut être détaché de l’espace physique. « Le territoire dont nous parlons se rapproche d’une définition anthropologique, qui en fait la somme d’un espace et d’une mémoire ». Et d’affirmer qu’il est très probable « qu’une correspondance secrète existe entre le sentiment d’appartenance à une communauté sur la toile et la conviction mutualiste, ce qui pourrait souligner l’actualité et la puissance d’une telle culture dans l’esprit des jeunes générations » (op. cit. p. 92 et s.). Il s’agit bien du « renouveau du territoire » et une considération de « l’humanisme au quotidien » par un développement de la relation sociale, et non son affaiblissement. Enfin, le Net par la proximité humaine qui s’y établit arrive aussi à se faire rencontrer une communauté dispersée dont l’identité, sous tous ses aspects, y compris culturel, est attaché à un territoire. Ainsi, la création toute récente sur internet de la banque affinitaire « Breizh- banque.com », en offrant outre les services bancaires tout un espace de discussion, forum, visioconférence et en y intégrant un espace sociétaire, constituera un instrument privilégié de dialogue au sein de la diaspora bretonne quel que soit le lieu où les personnes se situent. L’interaction de la proximité humaine renforcée par le net avec la notion de territoire revêt en ce cas un aspect particulier. comme exemples de réalisations expérimentées au sein d’une caisse régionale et étendues par la suite à bon nombre d’entre elles (et sans doute à toutes dans un proche avenir), la mise en place du réseau « Passerelle » pour venir en aide aux accidentés de la vie, l’apparition de la carte sociétaire avec les avantages qui peuvent y être attachés, eux-mêmes différents selon les caisses régionales, sans oublier l’ensemble des actions menées pour aider la vie associative, dont les trophées de la vie locale... La labellisation nationale sera l’aboutissement de toute cette extension territoriale. Or, la réussite de cette extension repose dès le départ sur une communication interne non seulement de l’opération mais du savoir-faire pour sa mise en œuvre. Le Web aujourd’hui accélère la connaissance de ces opérations, l’identification des projets et de ses porteurs, le mouvement de transfert du savoir-faire et la création de partenariats. De même, en diffusant sur la toile les multiples formes de réalisations des opérations, Internet permet de montrer la vitalité de la vie mutualiste et surtout, d’entrer plus facilement en contact avec les publics concernés. Par ailleurs, l’univers du web aboutit sans conteste à développer des phénomènes d’appartenance à des groupes, « familles », tribus, ou communautés (qu’atteste, notamment, la création des sites sociaux). Le mutualisme est aussi l’expression d’un sens collectif dont la manifestation concrète de manière traditionnelle prend le plus souvent une forme juridique et rituelle : assemblées de caisses locales, assemblées de caisses régionales, rencontres spécifiques réservées aux sociétaires ou aux élus... Le Web autorise aujourd’hui – et peut-être encore davantage demain – une conscience collective d’appartenance sur un territoire donné à ce corps de valeurs communes. En diffusant sur son espace territorial l’information mutualiste – y compris dans sa dimension conceptuelle – en faisant un état des réalisations concrètes sur ce territoire quelle que soit sa dimension, en permettant à tout moment aux sociétaires – voire même clients – de se manifester sur les valeurs mutualistes, la « plus-value territoriale » est manifeste. Un autre angle d’approche a été analysé d’une manière pertinente par Marc Pouzet et Michel Maffesoli dans La réalité mutualiste dynamisée D’une manière récurrente, le concept mutualiste souffre d’une déficience de communication. Peu véhiculé par la recherche universitaire, peu médiatisé par les moyens de communication traditionnels, le concept risque d’être marginalisé et avec lui son support juridique, dont la société coopérative (pour ne citer que celui-ci). Tel est en quelque sorte le destin de ceux qui ne se manifestent pas dans une société dominée par la communication. De plus, la détention du statut mutualiste ne vous pare pas de toutes les vertus. Encore faut-il le faire vivre. Précisément, à un moment où le modèle établi sur la société de capitaux avec la loi du profit qui la carac- 24 Innovations technologiques et mutualisme CHRISTIAN térise a été à l’origine d’un cataclysme financier et économique, avec son cortège de drames humains, le modèle mutualiste offre une autre voie d’approche sociétale. Pour dénoncer l’existence du modèle unique et vanter les mérites d’un modèle mutualiste, encore faut-il pouvoir en faire connaître l’existence et ses multiples apports. Déjà, la première génération du web offrait cette capacité d’acculturation par les consultations et l’accès aux bases de données. Cette vertu demeure. Mais le Web 2.0 offre de nouvelles perspectives bien plus satisfaisantes. En donnant à chaque consommateur la possibilité de participer aux débats, d’apporter une contribution et de devenir ainsi acteur, la deuxième génération du Web peut enrichir considérablement la vie du mutualisme. Le Web devient l’instrument pour remédier – sans doute pas totalement – à la carence informative déjà signalée. La communication exacerbée faite à propos de la société de capitaux – et la forme de « pensée unique » qui en découle – tend à lui conférer le statut de modèle de référence exclusif, passant ainsi sous silence les mérites de la société coopérative et ses valeurs mutualistes, y compris l’intelligence collective qui s’y manifeste. Or, l’utilisateur du web devient à la fois récepteur et émetteur, révélant de la sorte une formidable démocratie participative bien réelle et permettant de développer le débat mutualiste, de l’enrichir de ses réalisations. Cette diffusion-création s’affirme à plusieurs niveaux. Pour une organisation décentralisée comme le Crédit agricole, c’est un moyen incontestable de communication intense au plan interne au sein des caisses locales, des caisses régionales et de l’ensemble des entités constituant le groupe, y compris dans son volet capitalistique. C’est en plus un moyen de communication mettant en connexion les élus et/ou les salariés, le politique et l’opérationnel. C’est encore un moyen de se faire connaître auprès des non-sociétaires, dont les nouvelles générations, les jeunes étant particulièrement férus de ces technologies de communication. En outre, c’est le moyen efficace d’affirmer la « banque autrement ». La contrepartie, c’est une forte exigence : celle de faire réellement vivre les sites car toute passivité ou inertie révélerait d’une manière évidente la faiblesse du mouvement. Le mutualisme trouvera la place TALGORN que voudront bien lui donner les acteurs de la banque, dont les élus. L’autre niveau de cette diffusion-création est sans conteste le développement des relations à l’extérieur, bien entendu avec les autres organisations de statut similaire, mais surtout avec les entités qui en ignorent le sens, pour ne pas dire l’existence. Enfin, un dernier niveau de communication apparaît à travers le caractère universel des moyens de communication qui permet ainsi d’entrer en contact avec n’importe quelle partie du monde, avec les multiples formes d’organisations et d’institutions tant privées que publiques, aux missions et cultures différentes. Les connaissances et les échanges qui peuvent s’en dégager offrent alors une formidable tribune au mutualisme. Du reste, une rapide recherche sur le Net permet de prendre conscience de l’existence d’un vrai patrimoine commun mutualiste au niveau mondial, parfois décliné sous des mots différents ou des formes propres au territoire sur lequel il s’exerce. Cette ouverture « multinationale », « mondialisée » et « transfrontalière » est source d’un enrichissement sans limite de nature à vaincre le scepticisme des opposants. Cela permet d’accéder aux échanges d’expérience à ce niveau en intégrant dans le transfert de savoir-faire l’idée de partenariats à mettre en place. La culture mutualiste, loin d’être attentiste et sur la défensive, est bien présente pour relever les défis d’un monde fortement perturbé et déséquilibré dans son développement. Mieux encore, cette forme de technologie facilite et favorise tout modèle ascendant. Il s’agit bien du système du « bottom up « qui permet à toute personne et à toute entité de proposer et participer à la vie mutualiste. Les forums de discussion permettent à chacun de réfléchir, de s’exprimer à son rythme et selon sa propre disponibilité. Il y a place pour l’expression de tous, y compris pour ceux qui peuvent avoir en d’autres circonstances des réticences à s’exprimer. En outre, la discussion ouverte n’a point de limite de temps ni de moment : la créativité est permanente. Il n’y a plus d’exclusivité dans la création, puisque les dernières évolutions du Web permettent à tout un chacun d’être coauteurs de textes. 25 HORIZONS BANCAIRES NUMÉRO 339 – DÉCEMBRE Les récentes évolutions renforcent encore la proxi- 2009 cation de tous les sociétaires aux assemblées par voie électronique et éviter ainsi un usage inapproprié du papier. Il en sera ainsi de la tenue de rencontres ponctuelles par le recours à la visioconférence intégrée, de la possibilité de suivre ces assemblées, voire peutêtre même la tenue d’assemblées dans des circonstances particulières. Par ailleurs, une véritable vie mutualiste au sein d’une banque oblige à une certaine discipline dans un souci de pleine efficacité des dispositifs mis en place. Les sites créés au sein des caisses régionales doivent être parfaitement tenus pour ceux, sociétaires ou clients, qui voudraient y accéder. Une condition du succès de cette accessibilité à la connaissance et à l’identification de l’action mutualiste de sa banque est bien la simplification du site, du portail et des différents menus. La diffusion des offres bancaires, la description des différentes opérations commerciales ne doivent pas occulter le portail mutualiste, lequel doit être bien identifié aux fins de « cliquage immédiat ». L’attractivité du site demeure une condition fondamentale de son succès. En outre, de nouvelles potentialités sont offertes par ces nouvelles technologies pour développer des agences virtuelles – comme cela est perceptible sur Second life – ou des agences plus ciblées de type affinitaire comme nous l’avons signalé. Quelle que soit la forme retenue et les modalités de mise en œuvre, ces nouvelles agences disposent de moyens autrement plus adaptés pour développer les espaces sociétaires comparativement à ce qu’il est possible de faire dans les agences ou bureaux « physiques ». Ces nouveaux lieux de vie et ces nouvelles opportunités offertes pour la connaissance du mutualisme illustrent d’une autre manière l’apport des nouvelles technologies dans sa diffusion. Enfin, dans un souci de pleine efficacité et de maîtrise de l’usage de ces nouvelles technologies, et face au « mutant » que constitue Internet, une formation permanente adaptée s’impose aux utilisateurs – élus notamment – non seulement au point de vue technique mais aussi linguistique. La performance de la formation commande la performance de l’usage de ces nouveaux moyens pour qu’ils ne soient pas l’exclusivité des détenteurs de la connaissance. mité humaine, puisqu’à l’écrit sur la toile, accompagné par l’audio, s’ajoute aujourd’hui la visioconférence. Ce sont de véritables débats interactifs qui se déroulent à distance, facilités par les nouveaux supports matériels. La communauté mutualiste doit profiter de ces nouvelles possibilités pour multiplier les échanges sans trouver l’alibi d’une indisponibilité d’agenda ou de déplacement difficile. L’organisation remodelée La diffusion et l’appropriation du concept mutualiste dans les échanges sur la toile impose des disciplines pour en assurer l’efficacité. Les nombreux partisans du mutualisme doivent se réjouir des apports du web. Les liens entre le mutualisme et les technologies de communication d’aujourd’hui nous autorisent à souligner la contribution de ces dernières dans la réalisation de valeurs mutualistes. Deux exemples vont l’illustrer. Ainsi, il est indéniable que parmi les nombreux axes d’action du mutualisme figure l’intégration sociale et donc professionnelle des handicapés. Bien des apports technologiques autres qu’internet facilitent cette intégration, quelle que soit la nature du handicap. Mais il nous paraît opportun de souligner que les nouvelles technologies de communication contribuent pleinement aussi à cette réalisation. En changeant la configuration des postes de travail, il est aujourd’hui possible pour les handicapés qui connaissent de grandes difficultés de mobilité de développer le télétravail. La visioconférence permet, en outre, d’intégrer un service ou une équipe à distance. Cette dernière technique offre encore la possibilité pour les malentendants d’entrer en correspondance à distance avec des personnes souffrant du même handicap ou avec celles connaissant le langage des signes. Un autre exemple d’identification des valeurs mutualistes à travers les nouvelles technologies nous est offert par leur apport en faveur du développement durable, valeur sociétale incontournable. Or, les nouvelles formes de communication entraînent, entre autres avantages, des économies substantielles de papier et une réduction significative des déplacements. Sur ce dernier point, il est facile d’imaginer, quand tout un chacun disposera du terminal adapté, la convo- 26 Innovations technologiques et mutualisme CHRISTIAN TALGORN qui peuvent s’animer autour du concept, les convictions affirmées par les nombreux membres de la communauté, la diffusion des réalisations sont les éléments fondamentaux pour la connaissance approfondie des valeurs qui y sont rattachées. C’est aussi le moyen adapté pour instaurer la confiance dans les organisations qui le mettent en œuvre. Pour une banque, cela constitue un élément différenciant de tout premier ordre. ◗ Conclusion Les nouvelles technologies de communication offrent sans conteste de réelles opportunités dans la diffusion et l’enrichissement du mutualisme, touchant toutes les populations dont celles des jeunes et tous les territoires. « Être ou ne pas être » utilisateur n’est pas la question tant l’évidence joue en faveur d’un usage, que nous préconisons sans limite, de ces techniques pour le développement du mutualisme. Les débats 27 HORIZONS BANCAIRES NUMÉRO 339 – DÉCEMBRE 2009 Nouveaux horizons Les ruptures technologiques dont notre XXIe siècle bénéficie permettent de traduire en projets concrets une vision équilibrée du développement. Trois domaines différents donnent la mesure des sauts qualitatifs ainsi rendus possibles : – la création, en France, d’un système multicanal répondant aux besoins de liberté et de facilité des clients et des collaborateurs des Caisses régionales de Crédit Agricole, qui sera totalement opérationnel d’ici trois ans et demi ; – la diffusion dans les pays émergents de la microfinance comme outil de lutte contre la pauvreté, grâce notamment à la téléphonie mobile et à internet ; – la diversification culturelle des approches financières avec, par exemple, la finance islamique. 28 HORIZONS BANCAIRES NUMÉRO 339 – DÉCEMBRE 2009 Le Crédit Agricole lance l’un des plus grands projets de refonte de système d’information en France, et sans doute en Europe. Le prototype déjà réalisé permet de toucher du doigt le saut qualitatif qui en résultera. Description d’une démarche qui contribuera à placer, en trois ans et demi, la banque de proximité au cœur de l’univers technologique du XXIe siècle. YVES NANQUETTE Directeur général de la Caisse régionale de Crédit agricole mutuel d’Ille-et-Vilaine Président du COSIR, comité de pilotage du projet NICE L’unification du système d’information des Caisses régionales de Crédit Agricole : un projet historique L’ÉTUDE DE FAISABILITÉ sur la construction du nouveau système d’information des Caisses régionales de Crédit Agricole, publiée juste un an après le Congrès de Nice des 20 et 21 octobre 2008, tient toutes les promesses faites par Jean-Paul Chifflet, secrétaire général de la Fédération nationale de Crédit Agricole (FNCA). Il avait annoncé la création d’un système multicanal pour répondre aux besoins de liberté et de facilité de nos clients et de nos collaborateurs. Le prototype réalisé par les équipes des cinq systèmes d’information régionaux actuels (SIR) avait comme objectifs d’alimenter par des exemples concrets le champ des possibles de la technologie pour les internautes, les commerciaux et les métiers, et faire mieux appréhender certains points des nouvelles architectures technologiques devenues des normes d’utilisation et de développement. Après une présentation en avantpremière fin octobre 2009 à des conseillers et direc- teurs d’agence, le principal commentaire recueilli était : « C’est vraiment bluffant ! » L’ambition est donc clairement affichée. Le qualificatif d’historique vient facilement à l’esprit. Il faut toutefois se souvenir de notre passé récent. Sans remonter à l’époque des fiches perforées mécanographiques, les Caisses régionales en 1998 comptaient encore trente-quatre systèmes d’information différents. L’état actuel des cinq SIR ne date que de 2007, avec la dernière bascule de la Caisse régionale de Crédit agricole mutuel Centre France sur l’un d’entre eux, AMT. Il s’agit donc d’une trajectoire de convergences et de coopérations toujours plus poussées. D’autre part, il est surtout question de la vision que nous avons de la relation commerciale à moyen terme avec nos clients, en face à face, à distance ou en acheteurs à l’unité. Le diagnostic appro- 29 ▼ Un projet d’envergure hors normes HORIZONS BANCAIRES NUMÉRO 339 – DÉCEMBRE fondi fait par les directeurs généraux des SIR et la 2009 Des ambitions au service du client, un calendrier exigeant FNCA a montré les limites de nos outils actuels, et la nécessité de passer, tous ensemble, dans l’univers technologique du XXIe siècle, où les normes sont Il est important de s’arrêter un instant sur les ruptures portées par les ambitions du projet. L’approche multicanal dans chacun des processus deviendra la norme, avec une possibilité de commencer, d’interrompre et de terminer une action en des temps, des lieux et sur des outils différents (poste agence, iPhone, ordinateur du client...). D’ailleurs, les postes de travail du conseiller et la « banque à accès multiple » des clients (BAM) demain seront identiques. Les processus des Caisses régionales deviendront plus convergents et devront être complètement partagés avec les filiales, ces scénarios de vente devant être structurés en fonction des besoins et des événements bancaires du client. Client qui sera d’ailleurs beaucoup plus acteur dans la relation, pouvant lui-même mettre à jour certaines données le concernant. La facilité d’usage devenant obligatoire, les schémas d’apprentissage devront être naturels et intuitifs, les accès simplifiés tout en gardant un excellent niveau de sécurité. Au-delà, il sera possible aux Caisse régionales de redonner à l’Internet une dimension territoriale de proximité, en offrant la personnalisation de sites et de leur banque en ligne. Enfin, le partage potentiel d’informations entre les entités du Groupe permettra un meilleur service aux clients sur tout le territoire et une plus grande efficience dans les coopérations. Du côté des filiales, des évolutions seront parallèlement nécessaires, pour livrer désormais des services qui seront agrégés dans des scénarios de conseil et de vente. Grâce à de nouveaux modes de développement, le détourage et la transformation des applications actuelles pourront se faire à des coûts très raisonnables. En coordination sur le projet, la direction informatique de Crédit Agricole S.A. a largement été associée à l’ensemble des travaux. Et dans ses différentes interventions en tribune, Georges Pauget, directeur général de Crédit Agricole S.A., a déjà salué plusieurs fois l’initiative et assuré les acteurs de tout son soutien. Trois étapes sont prévues dans la montée en charge, ce qui laissera donc à chacun le temps nécessaire pour préparer les évolutions requises. En 2011, la première version, ou V.1, aura traité les écarts fonctionnels d’une part, et sera porteuse d’extension de fonctions désormais « Touch » et « Search ». L’intuitif est le maître mot. Si historique n’est peut-être pas le meilleur qualificatif, il s’agit en tout cas d’un des plus grands projets de refonte de système d’information en France et sans doute en Europe. Par exemple, les Caisses d’épargne finaliseront l’an prochain leur unification, en basculant deux de leurs systèmes sur le troisième au bout d’un plan-projet qui aura duré quatre ans. Les Banques populaires, sur la même durée, ont réalisé une quinzaine de migrations pour aboutir à un système unique. Pour ce qui nous concerne, nous aurons trente-deux migrations à conduire en trois ans et demi. La différence notable est la taille des banques concernées et la cible sur un nouveau système. C’est en référence à cette dimension hors normes et à cette ambition partagée de développement que l’on peut finalement qualifier ce projet d’historique ! La cible du système d’information devra assurer, au travers d’un nouveau « SI 2.0 orienté client et distribution », un saut qualitatif et une compétitivité améliorée, avec un potentiel de développement multiplié par trois par rapport à la situation actuelle. Autre nouveauté, la création d’une structure nationale pour la maîtrise d’ouvrage (MOA) et une structure pour la maîtrise d’œuvre (MOE) de type GIE employeur avec un pilotage commun aux niveaux stratégiques et opérationnels. En conséquence de ces réorganisations, on peut aussi avoir des perspectives d’économies significatives sur les études et sur la production dans le respect des personnes et de l’emploi en région. Cette démarche s’appuiera sur un investissement très important sur trois ans, dont bénéficieront les clients et les collaborateurs : plus de 460 millions d’euros seront mobilisés par les Caisses régionales pour réaliser les migrations et surtout la création d’une nouvelle plateforme Internet et d’un nouveau poste de travail pour les collaborateurs. Ce budget de transformation sera assez largement amorti dans les comptes d’exploitation par les économies dues aux arbitrages collectifs qui se feront dès le lancement des travaux. 30 L’unification du système d’information des Caisses régionales de Crédit Agricole : un projet historique YVES NANQUETTE d’autre part (le logiciel Score Crédit Conso s’intégrant dans le processus crédit complet, offre entreprises, suivi du PNB Client, souplesse dans l’organisation des agences grâce à des portefeuilles secondaires, développement du PNB grâce à l’ouverture de nouvelles modalités de facturation, harmonisation des Comptes services Crédit agricole avec une offre souple répondant aux besoins clients pour trente-neuf Caisses régionales...). Cette version apporte aussi des améliorations comme la communication sur le poste de travail (travail à trois avec les experts en plateforme), la dématérialisation des processus (crédit, entrée en relation), l’intégration du canal téléphonique dans l’approche multicanal, la finalisation de la refonte du processus crédit et des compléments à la BAM (boutique en ligne, gamme de produits achetés de bout en bout sur Internet...). En 2012, la version 2 apportera des évolutions majeures en s’appuyant sur la refonte de l’architecture permettant la convergence des postes de travail des agents selon une approche web, la gestion de processus interruptibles et tournés vers le client, le déploiement du CRM, l’exploitation d’un catalogue d’offres personnalisables par client, le lancement des offres entreprises à niveau avec le marché et la personnalisation des services pour le marché haut de gamme. En 2013, la version 3 finalisera la trajectoire vers le SI 2.0, avec l’intégration totale des produits et services des producteurs, la mise à niveau de tous les processus métiers et commerciaux caractérisés par des processus tous interruptibles, la personnalisation du poste de travail, la déclinaison de scénarios d’aide à la vente intégrés au poste de travail client et conseiller, le dossier de crédit électronique entreprise et les adaptations des offres aux collectivités publiques. régionales, entre les métiers et l’informatique, entre le futur GIE et les producteurs. Associé à ces éléments, nous avons assez vite dessiné également le potentiel d’économies, estimé à 35 %, que l’on peut attendre d’une telle opération. La gouvernance unique du système d’information des Caisses régionales est basée sur des structures qui leur garantissent le pilotage des développements technologiques : une structure nationale pour la maîtrise d’ouvrage (MOA) et une structure pour la maîtrise d’œuvre (MOE) de type GIE employeur avec un pilotage commun aux niveaux stratégiques et opérationnels. La MOA, qui allie professionnels des domaines et des méthodes, prendra en charge les projets du début à la fin, avec des ressources employées par la structure ou détachées des Caisses régionales. La MOA sera organisée autour de treize pôles métiers regroupés en univers de besoin clients. Ces pôles seront pris en charge par des Caisses régionales leaders en liaison avec plusieurs Caisses associées. Le métier crédit sera traité comme les autres, au sein du SI 2.0, avec un directeur MOE qui est le directeur de Greencam, GIE de développement logiciel crédit. Le pôle métier crédit englobera l’intégralité des outils traitant du domaine crédit. Conformément à la lettre d’intention signée en avril 2009 par les présidents des cinq SIR actuels, chaque collaborateur de l’informatique retrouvera un poste dans la nouvelle structure ou dans une des Caisses régionales qui assurent solidairement le volet social du projet. D’ailleurs, un système de péréquation a déjà été imaginé. Aucun site ne sera fermé, puisque l’informatique est généralement hébergée dans les sièges des Caisses régionales. Il sera toutefois nécessaire de concentrer les équipes pour permettre une gestion efficace de la cible à horizon 2014 autour d’une quinzaine de sites sélectionnés pour leur taille et leurs compétences, pour les bassins d’emploi ou leur capacité à permettre des regroupements de proximité entre sites actuels, pour répondre à un équilibre entre communautés et Caisses régionales. Quatorze sites seront spécialisés sur les fonctions d’études et d’intégration informatique, et deux sites consacrés à la production avec un troisième site de secours. Par ailleurs, sur un grand nombre de sites, verront se créer des fonctions de maîtrise d’ouvrage « professionnalisées ». Une gouvernance innovante, responsable et efficace Au Crédit Agricole, il y a au moins deux sujets avec lesquels on ne plaisante pas : la gouvernance et la gestion budgétaire. À tel point que nous avons su développer de réelles expertises sur ces aspects. Et ce projet a confirmé que, si nous avons avancé rapidement, c’est parce que nous avons donné très tôt une vision en termes de répartition des pouvoirs, entre Caisses 31 HORIZONS BANCAIRES NUMÉRO 339 – DÉCEMBRE Le dossier est soumis pour consultation aux instances 2009 multiples. Ensuite saluer la dynamique collective qui a permis de mobiliser autant de collaborateurs dans une échéance de temps aussi réduite pour produire un dossier aussi complet et d’une grande qualité, illustré même d’un prototype qui permet de mieux comprendre la nature du changement attendu. Enfin, se redire que le nouvel outil deviendra d’autant plus un avantage concurrentiel que nous saurons accompagner son implantation en faisant évoluer parallèlement les compétences et savoir-être de nos collaborateurs, nos modes de management et l’attention portée à nos clients. ◗ du personnel et au Conseil d’administration des Caisses régionales. Le résultat de ces consultations est attendu pour la fin d’année 2009 et le lancement des travaux pourrait donc avoir lieu avant le printemps 2010. Quels enseignements peut-on déjà retirer des mois qui viennent de s’écouler ? Tout d’abord se rassurer sur la volonté et l’ambition du Crédit Agricole. Investir collectivement et aussi massivement dans un projet aussi important témoigne de la confiance que nous avons en notre avenir et en celui de la banque de proximité, même si nous devons la réinventer sous des formes 32 HORIZONS BANCAIRES NUMÉRO 339 – DÉCEMBRE 2009 Fourmillantes par essence, les technologies de l’information investissent de plus en plus le monde financier. La microfinance n’y échappe pas, laissant entrevoir de nouvelles opportunités de développement. De plus en plus d’applications s’appuyant sur le Web comme sur les téléphones mobiles commencent déjà à faire leurs preuves. Mais le tout n’est pas exempt de risques... ÉTIENNE GUYOT Chef de projet, Crédit Agricole S.A. FATIMA EL MOUKHTAFI Chargée des nouveaux développements Fondation Grameen Crédit Agricole Les nouvelles technologies au service de la microfinance Quand le Web se met au service du développement L’OBJECTIF DES ACTEURS DE LA MICROFINANCE est de fournir des services financiers aux populations pauvres, exclues des systèmes bancaires classiques, déconnectées des marchés financiers globalisés. À première vue, la relation entre la microfinance et les nouvelles technologies semble ténue, ou du moins loin d’être un facteur clé de succès. Il n’en est rien. Dans les faits, on se rend compte que le boum de la microfinance des années 1990 - 2000 correspond également à celui des nouvelles technologies. Sans pour autant surévaluer le rôle de ces nouvelles technologies dans l’évolution de la microfinance vers une véritable industrie structurée à l’échelle mondiale, il est évident qu’elles ont eu, et auront encore à l’avenir, un rôle déterminant dans le développement de cet outil de lutte contre la pauvreté. Deux innovations récentes du secteur illustrent à merveille l’impact des nouvelles technologies de l’information sur la microfinance : Internet et le téléphone mobile. Un catalyseur de nouvelles ressources S’il s’agit de la première illustration des nouvelles technologies au service de la microfinance, Internet reste toutefois peu utilisé dans les pays en développement, notamment par rapport au téléphone mobile. D’après l’UIT (Union Internationale des Télécommunications), en 2008, l’Afrique comptait 5 % d’utilisateurs (avec une concentration sur les deux extrêmes que sont l’Afrique du Nord et l’Afrique du Sud) alors que le taux de pénétration du téléphone mobile était de 33 %. La faible progression du Web (passage de 4 % en 2005 à 5 % en 2008) est essentiellement due à l’infrastructure nécessaire ainsi qu’aux coûts d’abonnement qui restent élevés malgré la concurrence exercée depuis l’arrivée de nouveaux opérateurs ou le déploiement de technologies sans fil (Wimax). 33 HORIZONS BANCAIRES NUMÉRO 339 – DÉCEMBRE 2009 Si Internet sert les besoins de la microfinance, c’est QU’EST-CE QUE LA MICROFINANCE ? essentiellement au travers de son exploitation dans les pays développés. Internet a permis la mise à disposition de plates-formes de gestion en open source au profit des Institutions de Microfinance (IMF)1. La plus connue de ces platesformes, MIFOS, qui a été initiée par Grameen Foundation, est déployée depuis 2006. Le logiciel est aujourd’hui utilisé par neuf IMF dans huit pays (Sénégal, Ghana, Kenya, Népal, Inde, Tunisie, Philippines, Honduras). Internet a également contribué à la centralisation et à la structuration d’informations relatives au secteur de la microfinance. Le Mix Market par exemple est aujourd’hui la référence pour de nombreux acteurs du secteur de la microfinance. Il s’agit d’une base de données, accessible sur le Net 2 , fournissant des La microfinance se définit par l’offre de services financiers (épargne, crédit, assurance, etc.), à destination des plus pauvres. Elle s’adresse à des personnes à faible revenu, n’ayant pas accès aux institutions financières classiques et sans activité salariée régulière. Aujourd’hui, la microfinance touche 150 millions de personnes dans le monde, servies par plus de 10 000 Institutions de Microfinance (coopératives, ONG, banques de microfinance) ou banques commerciales. On estime à 500 millions le nombre de personnes toujours en attente de financement. montant qu’ils souhaitent prêter, et, éventuellement, le taux applicable à ce prêt. En général, un projet est financé par plusieurs internautes. Aussi, le prêt est réalisé une fois la somme nécessaire au micro-entrepreneur recueillie auprès des internautes. Le prêt n’est pas directement affecté au micro-entrepreneur. La somme est apportée à l’IMF dont le micro-entrepreneur est client et qu’elle aura probablement déjà financé au moment où les fonds sont reçus. Il existe deux grands types de plates-formes de social banking : • Des plates-formes qui permettent de financer des projets à taux zéro. C’est le cas de Kiva, première plate-forme de social banking lancée en 2005, par Matt Flannery et Jessica Jackley ou encore de Babyloan, lancée par Arnaud Poissonnier en France en 2008 et dont la conception est très largement inspirée de Kiva. • Des plates-formes qui permettent de financer des projets à taux réduit et offrent donc une rémunération aux internautes. C’est notamment le cas de MYC4 dont la vocation est le financement de projets en Afrique. Créé par Mads Kjaer et Tim Vang en 2006, MYC4 fonctionne sur un modèle similaire à celui de Kiva à la différence notable que les internautes/investisseurs perçoivent un taux d’intérêt sur leurs financements. Ces taux d’intérêt sont fixés par un système d’enchères à la baisse entre les différents internautes. C’est aussi le cas de Microplace, filiale d’E-Bay dont la particularité est de permettre à des particuliers d’investir dans des IMF : les internautes acquièrent des parts auprès de informations sur les IMF, les fonds investissant dans la microfinance, les agences de notation, consultants, agences gouvernementales et autres autorités réglementaires. L’objectif du Mix Market est de mettre en relation les IMF avec les investisseurs et bailleurs de fonds et ainsi de promouvoir l’investissement au profit de la microfinance. Mais l’une des avancés les plus novatrices, ce sont les plates-formes de microcrédit en ligne, également appelées plates-formes de social banking ou encore sites Internet de microcrédit solidaire. Les plates-formes de microcrédit en ligne mettent en relation des internautes des pays du Nord avec des micro-entrepreneurs des pays du Sud et les premiers financent les projets des seconds en réalisant des prêts de faible montant non ou faiblement rémunérés. Concrètement, des micro-entrepreneurs des pays du Sud sont présentés à des internautes au travers de photos et d’une description de leurs projets entrepreneuriaux ainsi que de leur situation socio-économique. Sur la base de ces informations, les internautes/investisseurs sociaux choisissent de participer au financement d’un ou de plusieurs projets. Ils indiquent le 1. Une IMF est une structure de proximité délivrant des services financiers de faible montant (crédit, épargne, assurance) à des populations privées d’accès aux systèmes bancaires traditionnels. 2. www.mixmarket.org 34 Les nouvelles technologies au service de la microfinance ÉTIENNE GUYOT ET FATIMA Microfinance Investment Vehicules (MIV)3 qui apportent EL MOUKHTAFI Au vu du succès de Kiva, on peut estimer que les plates-formes de microcrédit solidaire ont un potentiel de croissance important, une croissance qui devra cependant faire face à un certain nombre de limites. ensuite leur financement à des IMF. Lancé en 2007, le site compte aujourd’hui 6 500 membres et a permis la réalisation de plus de 26 000 prêts à des micro-entrepreneurs partout dans le monde. Limites de ce mode de financement pour les IMF Si l’on reconnaît l’impact bénéfique des plates-formes de microcrédit solidaire en termes de financement du secteur de la microfinance, on sait aussi que ces plates-formes sont génératrices de coûts et de risques pour les IMF. Ce sont les IMF qui sont chargées de présenter les projets des micro-entrepreneurs sur les plates-formes : elles doivent collecter l’information, la mettre en ligne et assurer son suivi en précisant notamment la mesure de l’impact final du financement apporté par les internautes. Ce travail mobilise a minima une personne au sein de l’IMF et nécessite une certaine infrastructure dont les IMF ne sont pas toujours dotées. Outre le coût du financement (même lorsque les prêts sont effectués à taux zéro par les internautes, celui-ci fait l’objet d’une facturation par les plates-formes), il est donc important de considérer le coût du reporting. Autres facteurs potentiellement limitants : le risque de change qui pèse sur les IMF, les internautes prêtant dans leurs devises ainsi que le risque de liquidité généré par l’absence de garantie sur la stabilité du financement dans le temps. L’apport de ces plates-formes au secteur de la microfinance En permettant à des internautes des pays du Nord de soutenir et financer des projets de micro-entrepreneurs dans les pays du Sud, les plates-formes de microcrédit solidaire constituent une nouvelle source de financement pour les IMF. Les montants en jeu sont loin d’être négligeables : à l’occasion de son 4e anniversaire, en octobre 2009, Kiva annonce avoir passé la barre des 100 millions de dollars de prêts cumulés pour le financement de projets dans les pays du Sud. Les fonds, levés auprès de 573 000 prêteurs, ont permis le financement de 240 000 projets dans cinquante pays. MYC4, grâce au soutien de plus de 15 000 investisseurs, a investi quelques 10 millions d’euros dans 5 000 projets en Afrique (Ouganda, Kenya, Côte d’Ivoire, Rwanda, Ghana, Sénégal et Tanzanie). Quant à Babyloan, dernière née des plates-formes de social banking, après un an de fonctionnement, elle aura permis la collecte de près de 400 000 euros auprès de 4 000 membres et le financement de 1 500 projets dans six pays. Ces chiffres représentent plus que ceux de Kiva la première année. GRAMEEN CRÉDIT AGRICOLE MICROFINANCE FOUNDATION Grameen Crédit Agricole Microfinance Foundation a été créée en 2008 à l’initiative conjointe de Crédit Agricole S.A. et de Grameen Trust en partenariat avec le professeur Muhammad Yunus, Prix Nobel de la Paix 2006 et fondateur de la Grameen Bank au Bangladesh, dans le but de contribuer à l’éradication de la pauvreté dans le monde par l’outil de la microfinance. Grameen Crédit Agricole Microfinance Foundation fait siennes les valeurs de ses fondateurs et traduit en action leur engage- ment, en accompagnant le développement des institutions de microfinance et en facilitant l’émergence de « social business » dans les pays en développement. Elle propose aux IMF une gamme complète de financements dans un esprit de partenariat. Elle s’adresse aux institutions qui se conforment aux meilleures pratiques de gouvernance, de transparence et de protection des consommateurs. Elle donne priorité aux institutions de microfinance dédiées au secteur agricole et rural et à celles qui s’adressent principalement aux femmes. Organisme sans but lucratif, Grameen Crédit Agricole Microfinance Foundation intervient dans des conditions lui permettant de maintenir dans le temps la dotation de 50 millions d’euros reçue de ses fondateurs. La Fondation est présidée par René Carron et compte le Professeur Yunus parmi les membres de son Conseil d’Administration. Plus d’informations sur : www-grameen-credit-agricole.org 3. MIV est la formule générique désignant l’ensemble des organisations dont la mission est de refinancer des IMF, quels que soient leur statut juridique et leur objectif commercial. 35 HORIZONS BANCAIRES NUMÉRO 339 – DÉCEMBRE L’enjeu consiste à encadrer le risque 2009 trois-quarts dans les pays émergents (voir graphique 1). Les facteurs qui expliquent cette envolée sont multiples, mais nous retiendrons particulièrement : • le prix des terminaux basiques (les modèles utilisés dans les pays émergents) qui a considérablement baissé ces dernières années, passant d’un prix moyen d’environ 250 $ en 1997 à 20 $ aujourd’hui ; • l’adoption d’un modèle de paiement prépayé qui convient davantage aux pays pauvres ayant une culture de l’argent liquide que les facturations a posteriori mises en place initialement. Au Nigéria, la plus petite carte de rechargement ne coûte que 50 Naira, soit environ 0,40 $ ; • la libéralisation du marché des télécommunications dans beaucoup de pays, ce qui, en dynamisant la concurrence, a permis d’augmenter la couverture tout en faisant baisser les tarifs. Dès lors, le téléphone mobile a commencé à montrer les opportunités de développement qu’il offrait au niveau économique : l’explosion de l’utilisation des messages textes et l’arrivée de nouveaux services tels que la fourniture d’informations sur l’agriculture, les marchés ou la santé ont permis aux agents économiques d’augmenter leur productivité et de diminuer leurs coûts d’exploitation. Une étude de la Banque mondiale4 menée sur 120 pays est venue valider ces constats en calculant qu’à chaque augmentation de et réduire les coûts pour maximiser l’impact social Au travers du développement des plates-formes de social banking, Internet aura permis de promouvoir, auprès du grand public, une nouvelle forme de solidarité dont le succès est aujourd’hui indéniable. Reste à espérer que ce changement de comportement du grand public se confirme dans le temps : les platesformes de social banking sont particulièrement actives sur les plans de la pédagogie et de la communication. Reste aussi à espérer qu’elles ne se focalisent pas uniquement sur la collecte de fonds mais aussi sur les moyens de soutenir le secteur de la microfinance dans les meilleures conditions de coût et de sécurité. Le téléphone mobile, nouvel outil phare du développement Les premiers apports du téléphone mobile Le secteur des télécommunications fait partie de ces secteurs où les pays émergents n’ont pas à rougir de la comparaison avec les pays développés. En Asie, en Afrique ou en Amérique latine, partout, la téléphonie mobile effectue une percée spectaculaire. A fin 2009, l’ITU estime que le nombre de téléphones portables utilisés dans le monde sera de 4,6 milliards dont les G RAPHIQUE 1. Abonnements mobiles (en milliards) 4 3,5 5 Pays émergents Pays développés* 3 2,5 5 2 1,5 5 1 0,5 5 0 2000 2001 2002 2003 2004 *Membres de l’OCDE 2005 2006 2007 2008 Source : Banque mondiale, ITU 4. Voir le rapport de la Banque mondiale, « Information and Communications for Development 2009 : Extending Reach and Increasing Impact », mai 2009. 36 Les nouvelles technologies au service de la microfinance ÉTIENNE GUYOT ET FATIMA EL MOUKHTAFI T ABLEAU 1. Bancarisation et équipement mobile en Afrique : le grand écart Pays Tanzanie Kenya Liberia Mozambique Sierra Leone Zambie Soudan Nigeria Accès Services Financiers 5% 10 % 11 % 12 % 13 % 15 % 15 % 15 % Pénétration Téléphonie Mobile 2008 2012* 33 % 61 % 49 % 101 % 29 % 49 % 26 % 42 % 26 % 55 % 31 % 63 % 29 % 73 % 46 % 97 % *Projection Sources : Banque mondiale « Finance for all? », Wireless Intelligence • le paiement par mobile : l’abonné utilise son téléphone pour effectuer des paiements ou recharger son temps de communication. Selon les pays et les offres, les paiements vont du règlement de factures d’électricité au règlement des commerçants voire à des solutions de paiements B2B. La solution Celpay, développée en Zambie et au Congo, propose par exemple à une entreprise ayant un vaste réseau de distribution de passer par le mobile pour encaisser à distance les paiements de chaque point de vente ; • l’épargne : l’abonné effectue des dépôts et se constitue ainsi une épargne de précaution afin de faire face à d’éventuels coups durs (maladies, accidents...). Cette épargne peut parfois être liée à un compte bancaire « réel » comme le propose par exemple l’opérateur Zain grâce à des accords avec Citibank et Standard Chartered Bank. À l’avenir, d’autres facettes du monde bancaire pourraient être déclinées sur les téléphones mobiles comme le crédit – le service Pepesha Pesa de M-Pesa propose déjà de payer les échéances d’un prêt aux clients de la Family bank – ou même les assurances (paiement des primes, versement des dédommagements...). 10 % de la pénétration des téléphones mobiles correspondait une hausse de la croissance économique de 0,8 % dans les pays émergents. Le mobile banking, nouvelle ruée vers l’or des nouvelles technologies Les services de mobile banking (m-banking) recouvrent notamment les applications permettant de fournir des services financiers sur un terminal mobile. Ils suscitent particulièrement l’intérêt des acteurs du développement en ce qu’ils permettraient de toucher une gigantesque population de personnes non bancarisées. Le CGAP5 prévoit ainsi que d’ici 2012, 1,7 milliard d’individus nonbancarisés seront équipés d’un terminal mobile. L’Afrique illustre particulièrement bien ce principe avec des taux de bancarisation particulièrement faibles et un équipement en téléphone mobile qui explose (voir tableau 1). De nombreuses entreprises proposent déjà des services de m-banking dans les pays émergents : • le transfert de fonds : l’abonné peut transférer des fonds à ses proches au niveau national voire dans certains cas depuis l’étranger (par exemple : offre Smart Padala pour la diaspora philippine). Cette fonction est essentielle car elle est souvent la première adoptée par les utilisateurs et celle qui va les familiariser avec le maniement de la monnaie électronique. Le cabinet de consultants Juniper research prévoit que 500 millions de personnes utiliseront des services de transferts via leur téléphone d’ici 20146 ; Comment le m-banking est-il vecteur de développement ? Ces offres ont commencé à montrer leur efficacité dans les pays les plus en avance comme le Kenya (voir encadré M-Pesa), les Philippines, l’Inde ou l’Afrique du Sud. 5. Consultative Group to Assist the Poor, organisme de recherche indépendant visant à améliorer l’accès de la population pauvre au système financier. 6. Voir l’étude : « Mobile Money Transfer & Remittances : Markets, Forecasts & Strategies 2009-2014 », octobre 2009. 37 HORIZONS BANCAIRES NUMÉRO 339 – DÉCEMBRE Pour les utilisateurs, les avantages sur les autres 2009 tion et dispersion géographique... Plus la population est urbaine et déjà familiarisée avec les offres bancaires, moins les efforts d’éducation seront lourds avant de faire comprendre l’intérêt des solutions proposées. En revanche, il ressort d’une étude comparative entre le Kenya et la Tanzanie que les choix technologiques importent finalement peu et les différentes solutions peuvent fonctionner tant que l’ergonomie reste simple. formes de services financiers sont multiples. L’absence de manipulation de liquide les rend plus sûrs qu’il s’agisse de transfert ou d’épargne. L’argent est plus accessible qu’en passant par le réseau d’agences bancaires notamment dans les zones rurales. Les utilisateurs apprécient également la rapidité et la praticité des transferts et des paiements réalisés par téléphone. Cela leur évite de coûteux déplacements pour rapatrier ou aller chercher l’argent. Au total, ces apports ont une réelle incidence financière pour les abonnés : une étude du centre de recherche CGAP menée au Kenya a fait ressortir des hausses de revenus de la population rurale (cible des transferts) pouvant aller de 5 à 30 %7. Les IMF y voient aussi un moyen de sortir de l’exclusion financière des populations qu’elles n’arrivaient pas à toucher auparavant. Ces technologies leur ouvrent en effet l’accès à des clients plus reculés pour un moindre coût. De plus, la mise en place de solutions mobiles constitue pour elles l’occasion de rationnaliser leurs processus de fonctionnement souvent archaïques (réunions hebdomadaires de remboursement, tenue des comptes sur des cahiers, etc.). Tout n’est pas joué Malgré les premiers résultats encourageants, plusieurs problèmes pèsent sur le m-banking laissant de nombreuses zones d’incertitude. Les problématiques liées au contexte national tout d’abord. Au-delà des risques d’instabilité politique, la réglementation en vigueur peut considérablement évoluer : un opérateur peut-il émettre de la monnaie ? Un agent peut-il faire des opérations de dépôt ou de retrait ? Comment mettre en œuvre les procédures Know your customer (KYC) dans le cadre du m-banking ? Comment lutter contre le blanchiment et le financement du terrorisme ? Toutes les réponses à ces questions pourront radicalement modifier l’environnement des acteurs. Il existe aussi des risques liés à la sécurité des solutions, risques variant fortement en fonction de la technologie utilisée. Or, il est à prévoir que les tentatives de fraude et de piratage augmenteront à mesure que les technologies auront du succès. L’état des infrastructures locales peut aussi constituer un frein important dans les pays les plus mal servis. En Afrique, l’ITU précise qu’en 2008, 58,5 % des habitants se trouvaient à proximité d’un signal mobile mais la couverture reste limitée pour les zones rurales. L’interopérabilité des réseaux est également un point à surveiller, certains opérateurs pouvant être tentés de conserver leurs clients en interdisant l’utilisation des services aux non-clients. Enfin, la gestion du cash, maillon essentiel de la chaîne, peut devenir très complexe lorsque les agents sont dans des zones reculées. On le voit, les schémas ne sont pas aisément duplicables entre les différents pays. Il appartient aux acteurs Faciliter l’adoption des utilisateurs Au regard des premières expériences menées, il est déjà possible de souligner plusieurs conditions qui faciliteront l’adoption des utilisateurs : • la mise en place d’un réseau de distribution décentralisé et étendu pour faciliter l’approvisionnement en liquide (les utilisateurs auront toujours besoin d’argent liquide et la praticité du service sera grandement fonction de la proximité de l’agent au travers duquel ils pourront effectuer dépôts et retraits) ; • la notoriété et l’implantation des acteurs dont le nom est associé à la solution facilitera l’entente du message et de ce fait, l’adoption du service ; • l’adoption d’une tarification adaptée : au lancement du service, la tarification doit être la plus simple et transparente possible (type commission fixe) ; • les aspects sociologiques : éducation de la population, familiarité avec les offres « bancaires », urbanisa- 7. CGAP brief note, “Poor people using mobile financial services : observations on customer usage and impact from M-Pesa”, août 2009, O. Morawczynski & M. Pickens. 38 Les nouvelles technologies au service de la microfinance ÉTIENNE GUYOT ET FATIMA de savoir prendre en compte les spécificités de leur EL MOUKHTAFI coûts et de rentabilité – paraissait ne pas avoir de réponse. Cependant, comme toujours sur les marchés pionniers et particulièrement en matière de technologie, les risques ne sont pas encore pleinement circonscrits et la prudence reste de mise. Pour reprendre la terminologie introduite par D. Porteous8, il faut savoir jouer entre ouverture, facteur d’innovation et certitude, facteur de stabilité. Il est probable qu’à mesure que les marchés arriveront à maturité, les États passeront d’un système très ouvert et peu régulé à un système plus contrôlé. L’avenir appartiendra alors aux acteurs qui auront le mieux su anticiper et s’adapter. ◗ marché. L’exemple le plus frappant est fourni par le lancement de la solution M-Pesa en Tanzanie qui peine à percer alors qu’elle a explosé dans le Kenya voisin (voir encadré M-Pesa). En conclusion Les nouvelles technologies ont très clairement fourni d’importants relais de croissance pour les IMF et tous les acteurs du développement. En simplifiant l’accès aux ressources en amont comme aux entrepreneurs en aval, elles offrent des perspectives là où la banque traditionnelle – pour des raisons de M-PESA, UNE SUCCESS STORY KENYANE Mis au point par Vodafone en partenariat avec l’opérateur kenyan Safaricom, le système M-Pesa a été lancé par ce dernier en mars 2007. Cette offre est rapidement devenue un phénomène dans le monde du m-banking de par le succès commercial qu’elle a rencontré au Kenya. À ce jour, M-Pesa sert près de 6,5 millions d’abonnés (sur 38 millions d’habitants) pour un volume de transactions moyen de 1,96 millions de dollars par jour. M-Pesa a construit son succès en captant les flux financiers qui transitaient entre les travailleurs urbains et leurs familles restées à la campagne. Mais au-delà des transferts de fonds, l’offre permet également d’ouvrir un compte sur lequel effectuer des dépôts comme des retraits, payer des factures aussi diverses que l’électricité, les frais de scolarité ou le taxi ou encore acheter du temps de communication. Aguerri par ses différents succès, Safaricom propose même depuis septembre 2009 un service de paiement des échéances de prêts pour les clients de la Family Bank ainsi que le transfert de fonds entre le Kenya et le Royaume-Uni. Si le succès du système M-Pesa attise les ambitions de nombreux acteurs dans le monde, la réussite n’est cependant pas garantie. Safaricom a en effet pu s’appuyer sur un contexte national favorable : sa part de marché est de 80 %, la population kenyane était relativement familiarisée avec le système financier (en 2006, seuls 38 % de la population n’utilisait aucune forme de services financiers, à comparer avec 54 % en Tanzanie) et le régulateur a été peu contraignant. En outre, Safaricom a pu s’appuyer sur son large réseau de distribution initial pour signer des contrats avec d’autres agents, passant ainsi en deux ans de 300 à quasiment 10 000 agents de proximité. G RAPHIQUE 2. Impact du service M-Pesa sur les transferts d’argent au Kenya T RANSFERTS D ’ ARGENT AU K ENYA AVANT M-P ESA T RANSFERTS D ’ ARGENT AU Virement sur compte De la main à la main Chèque Compte tiers Par bus APRÈS M-P ESA Par bus Services de transferts de fonds Mandat postal K ENYA Virement sur compte Autres De la main à la main M-PESA Source : FinAccess, 2006 Source : FSD Kenya M-PESA study 2007 8. Étude DFID, “The enabling environment for mobile banking in Africa”, mai 2006, D. Porteous. 39 HORIZONS BANCAIRES N U M É R O 3 3 9 – D É C E M B R E 2 0 0 9 Les systèmes informatiques jouent un rôle crucial en finance islamique. Il est souvent nécessaire de construire des architectures sur mesure capables de gérer à la fois les principes et les actifs réels sous-jacents. LADISLAS GALLANT Global islamic banking, Calyon, Credit Agricole CIB La finance islamique appelle-t-elle de nouveaux outils informatiques ? une relation étroite avec des fonctions telles que la comptabilité ou le département de gestion des risques. La difficulté de la gestion informatique s’étend jusqu’aux confirmations puisque celles-ci doivent représenter l’achat et la vente des commodities, et non le produit conventionnel. LA FINANCE ISLAMIQUE EST UNE FINANCE FONDÉE SUR DES PRINCIPES ISLAMIQUES (Murabaha, Ijarah...) faisant appel à des actifs réels et tangibles tels que des immeubles ou des matières premières. Ces principes sont utilisés afin de répliquer l’effet économique d’un produit conventionnel (dépôt, financement, dérivés). On peut par exemple reproduire un swap par combinaison de Murabahas. La prise en considération de ces principes à plusieurs niveaux pose de nombreux problèmes puisqu’ils ne correspondent pas à un produit en soit, mais servent à reproduire les caractéristiques d’un produit conventionnel. À travers ces quelques exemples, on constate le rôle crucial des systèmes informatiques dans le cadre de l’activité de finance islamique. Une analyse de son architecture informatique et de la souplesse de ses systèmes est un des pré-requis avant le lancement de cette activité. Plusieurs sociétés ont su saisir cette opportunité et proposent des systèmes dédiés à la finance islamique. Toutefois, ces solutions s’appliquent à des banques purement islamiques, plus difficilement aux banques déjà établies qui ne pourraient utiliser ces systèmes spécifiques que parallèlement à leur architecture. Ainsi, aujourd’hui, les banques telles que Calyon ont dû établir des architectures sur mesure qui impliquent notamment de surveiller la compatibilité des systèmes entre eux. D’où la mobilisation de leurs équipes informatiques ! ◗ D’un point de vue informatique, les challenges concernent la mise en place de systèmes qui soient capables de gérer les principes et en même temps le produit qu’ils répliquent. Ainsi, un Murabaha est concrètement un achat spot suivi d’une vente spot de matières premières avec paiement différé à un prix majoré. Toutefois, les systèmes dans une banque classique ne peuvent gérer un produit conventionnel à travers de simples achats et ventes de commodities. Cela implique donc l’emboîtage de différents systèmes et 40 L’unification du système d’information des CR : un projet historique YVES NANQUETTE Dessinons le futur L’ampleur des changements engendrés par la révolution numérique implique de nombreux domaines : le droit, bien sûr, la sécurité informatique, l’aménagement des agences, les modèles concurrentiels... sans oublier l’éthique. Six articles pour poser les repères des prochaines années. 41 HORIZONS BANCAIRES NUMÉRO 339 – DÉCEMBRE 2009 À l’évocation des nouvelles formes de concurrence issues de la crise, il est facile de penser « nouvel entrant spécialiste low cost ». Mais ce serait occulter un peu hâtivement la banque de détail qui grâce à son modèle, et sous réserve d’une relation client repensée, possède tous les atouts pour demeurer une figure incontournable de ce nouveau paysage concurrentiel. MICHEL CALLIAU Business development executive GBS financial services sector, IBM France OLIVIER PARISOT Consultant senior GBS Financial Services Sector, IBM France Les nouveaux enjeux de la concurrence bancaire en sortie de crise Une nouvelle donne issue de la crise Relation Client centré sur la connaissance du comportement client, dont les ambitions sont l’efficacité opérationnelle des ventes croisées et la complémentarité des canaux de distribution, il est désormais crucial de recentrer la relation commerciale sur des valeurs de conseil et d’éthique pour combler ce déficit d’image. Dans cette optique, l’agilité et la souplesse de l’offre deviennent des vecteurs majeurs de différentiation dans la reconquête d’un client devenu consommateur de produits et services dépassant largement le cadre du cœur de métier historique d’une banque. Indépendamment des éléments concurrentiels clé que sont, pour la banque de détail, les spécificités de l'organisation, le rôle prépondérant des collaborateurs et l'efficacité du modèle de distribution multicanal, cet article analyse plus particulièrement en quoi les technologies de l’information peuvent contribuer à supporter les enjeux d’une relation client repensée en adéquation aux nouveaux comportements de consommation. Plus d’un an après la faillite de la banque Lehman Brothers, s’il est encore tôt pour enterrer la crise et en dresser son bilan, force est de constater que les banques de détail ont plutôt bien résisté et que de nombreux indicateurs repassent au vert : les activités de banques d’investissement renouent avec les bénéfices et plusieurs acteurs majeurs ont remboursé les aides publiques débloquées en urgence l’an passé. Pour autant, quel que soit son développement futur, cette crise laissera une séquelle durable : la perte de confiance des clients envers l’institution bancaire qui se reflète par une détérioration de l’image de la banque et de ses collaborateurs, en particulier ceux en contact direct avec la clientèle. À l’issue de cette crise, l’enjeu principal sera par conséquent la reconquête du client en donnant aux collaborateurs les moyens de porter de nouvelles valeurs. En effet, alors que l’on assiste depuis une dizaine d’années à des investissements de la part des banques de détail sur un modèle de Gestion de la 42 Les nouveaux enjeux de la concurrence bancaire en sortie de crise MICHEL CALLIAU ET Les enjeux de personnalisation de l’offre commerciale OLIVIER PARISOT Par exemple : finaliser la simulation d’un crédit immobilier avant de proposer une assurance MRH et un crédit à la consommation pour les travaux. • Par diagnostic de situation client : cette approche, qui ne peut être envisagée que dans une relation directe, permettant de travailler en profondeur sur les besoins à différents horizons du client et de lui constituer une véritable offre sur mesure. Par exemple : établir une préconisation d’optimisation patrimoniale suite à un entretien exploratoire avec le client. • Par sollicitation d’offres privilèges : cette approche, qui se base sur des études d’appétence par comparaison de l’équipement et de population type, permet de contacter le client sur différents canaux en lui proposant des offres pré-calibrées par le marketing à des conditions préférentielles. La flexibilité au centre des nouvelles orientations marketing Cette nécessité de rééquilibrer la balance de la relation commerciale afin de conquérir et de conserver leurs clients force les banques à adopter un comportement quasi schizophrénique. L’enjeu est de recomposer leurs offres pour mieux répondre aux attentes et aux besoins du client, tout en optimisant leur produit net bancaire. Cette recomposition intègre la prise en compte des nouveaux comportements de consommation en multicanal, mais aussi la capacité à s’adapter à une situation client et à proposer des modules sur mesure et à la carte permettant d’améliorer la rentabilité de l’équipement client. Dans ce cadre, si l’approche « pack » qui permet de maîtriser le rapport « avantages client / assurance de PNB » reste d’actualité, notamment pour les entrées en relation et l’équipement de base, elle doit évoluer pour inclure plus de flexibilité. Selon le principe de « choix cadré », cette flexibilité consiste à proposer des produits optionnels à forte valeur ajoutée au libre choix du client, tandis que la banque aura assuré son PNB via des produits obligatoires composant le cœur de l’offre. Cependant, une recomposition de l’offre ne peut se limiter à une simple évolution de cette approche qui reste incertaine en regard des évolutions réglementaires latentes, de son rejet par les associations de consommateurs, mais surtout de la réticence d’un client devenu méfiant et qui attend d’avantage de sa banque. C’est pourquoi une nouvelle approche commerciale de vente multi produits à géométrie variable émerge. Basée sur la détection de situations client, elle permet de composer une offre à partir d’un groupe de produits pouvant être contractualisés unitairement tout en offrant des avantages croisés. Dans cette approche, le lien situation client / offre de produits groupés doit se décliner dans le contexte de relation commerciale notamment : • Par foisonnement suite à une simulation produit aboutie : cette approche permettant de répondre au besoin primaire du client avant d’entamer la proposition d’un certain nombre de produits complémentaires améliorant sa couverture bancaire. La composition et l’édition du contrat doivent suivre le modèle de construction dynamique de l’offre, pour supporter sa flexibilité et son agilité et éviter qu’un accord d’offre client ne soit qu’un simple agrégat des contrats produits. Cependant cette agilité se heurte au respect des cycles respectifs d’acceptation selon les lignes produits. Une personnalisation qui s’étend jusqu’aux tarifs Si la flexibilité de l’offre est un point clé de la reconquête, le prix reste au centre des préoccupations d’un client sensible aux messages des nouveaux entrants qui axent le plus souvent leur communication exclusivement sur ce critère. Pour les banques de détail, la tarification devient donc un levier stratégique aussi bien dans l’acquisition des nouveaux clients que dans la fidélisation de son portefeuille existant. C’est pourquoi, la mise en place des nouvelles stratégies commerciales doit s’accompagner de politiques tarifaires efficaces et innovantes. Ces dernières doivent se globaliser sur l’ensemble de la relation commerciale et la tarification doit donc évoluer pour dépasser le seul contenu de l’offre vendue. D’ores et déjà on constate la mise en place de mécanismes d’avantages tarifaires pouvant s’étendre du cadeau au cash back en passant par la réduction sur 43 HORIZONS BANCAIRES NUMÉRO 339 – DÉCEMBRE des produits partenaires ou propriétaires afin d’en- 2009 Enfin, dans le cadre des nouveaux modèles de distribution, les banques devront opérer une césure entre leur gestion de l’offre et celle des produits se déclinant jusqu’à la dissociation entre les tarifs de vente de l’offre aux clients et les coûts de gestion des produits par les producteurs, qui leur permettra alors de disposer d’un plus grand nombre de leviers d’optimisation de leur marge. courager la vente croisée. Néanmoins, de telles mesures ne prouveront leur efficacité que si elles sont accompagnées : • D’une connaissance toujours meilleure du client, de ses relations, mais aussi de son comportement, de sa rentabilité et de son potentiel pour mieux cibler le type d’avantage à offrir. • D’un effort pour rendre ces avantages plus lisibles aux acteurs de la relation commerciale qu’ils soient clients, collaborateurs ou partenaires, et ainsi intégrer la composition de l’offre dans les nouvelles perspectives de négociation. Par exemple : Argumenter sur les simulateurs en ligne et autres comparateurs de taux de crédits immobiliers qui occultent une partie de l’offre globale allant des frais de dossier aux possibilités de rééchéancement ou de rachat. Des modèles de distribution centrés sur l’offre Le découplage Distribution / Production Les principes de découplage entre les entités de distribution et celles de production pour les organismes financiers sont bien antérieurs à la crise. Dès février 2002, lors des entretiens de la Maison Dorée, Henri de Castries s’exprimait sur le sujet : « Pour maximiser notre positionnement, nous devons accepter de mettre nos produits dans des réseaux que nous ne maîtrisons pas et accepter que nos propres réseaux vendent des produits que nous ne fabriquons pas ». Ainsi, là où les atouts du distributeur sont la relation client et la connaissance qui en découle pour lui permettre de proposer le bon produit, au bon client, au moment le plus opportun, via le bon canal. Pour le producteur, ce sont le développement d’une expertise métier et l’adaptabilité de ses produits conjugués à l’optimisation opérationnelle de ses processus de gestion qui doivent lui permettre de passer des accords de partenariats avec des distributeurs internes ou externes et ainsi atteindre la masse critique nécessaire à la rentabilité de son activité. Les principaux acteurs du marché ont, dès cette époque, adopté ces principes de spécialisation de la distribution et de mutualisation des productions. Toutefois, l’extension du catalogue commercial à des produits et services dépassant le strict cadre du cœur de métier de la bancassurance impose de structurer ce découplage autour de nouveaux modèles adaptés aux besoins d’un client devenu consommateur. L’agilité de l’offre, vecteur de croissance et de fidélisation Dans tous les cas, une offre agile, personnalisable et lisible dans son contenu et dans son prix, devient un outil majeur aussi bien pour supporter la croissance, où la capacité à lancer rapidement des offres innovantes à forte valeur ajoutée sera essentielle, que pour renforcer la fidélisation, où apparaître comme un partenaire capable de comprendre et d’adapter son offre aux situations de son client sera primordial. Pour répondre à ces enjeux, la tendance vise à corréler l’offre à des situations client qui apparaissent en temps réel lors du contact quelque soit le canal. Pour ce faire, les concepteurs des offres doivent prévoir les critères qui permettront, lors de l’identification de la situation, de proposer en mode réactif les produits et tarifs adaptés, ainsi que les argumentaires de vente scénarisés associés. Toutefois, cette approche ne se substitue pas aux campagnes marketing ciblées en mode proactif, mais celles-ci devront évoluer afin d’intégrer les situations client, et d’adapter leurs conditions de déclenchement et de scénarisation. Les campagnes ainsi menées se révèleront plus efficaces, mais éviteront surtout la sur-sollicitation, véritable plaie de la relation commerciale. Les nouveaux modèles de distribution Aujourd’hui, dans un marché mature, composé de banques universelles et d’un ensemble d’acteurs 44 Les nouveaux enjeux de la concurrence bancaire en sortie de crise MICHEL CALLIAU ET spécialisés faisant face à un client informé, averti et multi bancarisé, ce découplage doit se structurer au travers de modèles centrés sur l’offre. Déclinés sur l’ensemble de la chaîne de valeur de vente, depuis la conception jusqu’à la production, ces modèles représentés dans les schémas qui suivent, formalisent le partage des prestations offertes par le distributeur (bleu) et le producteur (vert). Cependant, ces modèles n’ont pas pour objectif de spécifier l’acteur ayant en charge d’exécuter ces activités, cette déclinaison étant généralement spécifiée lors de la mise en place d’accords de partenariat ou à l’occasion des réflexions sur l’articulation des activités front et back, en particulier via le partage des processus métier. Le modèle Intégrateur (voir figure 1.2) En tant qu’intégrateur d’usines produit, le distributeur maîtrise l’ensemble des activités de conception et de distribution de l’offre. Après les activités de vente et d'après-vente, le distributeur sollicite le ou les producteurs pour qu'ils réalisent la gestion et les traitements après-vente des produits unitaires entrants dans l’offre contractualisée avec le client. F IGURE 1.2. Chaîne de valeur du modèle intégrateur Conception Le modèle Prescripteur (voir figure 1.1) En phase de conception, après avoir qualifié les besoins pour une cible, le distributeur après avoir choisi le producteur ayant l'offre la plus adaptée, se positionne en tant que prescripteur d’une offre clé en main conçue par ce producteur. Dans la distribution, après les DéfiniCondi- Market tion tions offre offre DéfiniCondi- Market tion tions offre offre Accueil Vente Aprèsvente Accueil Vente Aprèsvente Production Gestion Traitement aprèsvente Source : IBM Production Gestion Distribution Dans ce modèle, le changement d’un producteur n’a pas un impact majeur ce qui augmente les opportunités de mutualisation. L’adaptabilité et la généricité de ce modèle sont optimum. En revanche, même si l’intégration des producteurs est simple pour les processus et pour les SI, la réactivité est fortement pénalisée par la nécessité de développer intégralement les phases de vente et d’après-vente dès que l’on souhaite élargir l’offre à de nouveaux produits. Ce modèle peut répondre à une stratégie Universal bank reposant sur une offre stable intégrant les produits historiques de la banque. F IGURE 1.1 Chaîne de valeur du modèle prescripteur Distribution PARISOT activités d'accueil et de découverte du besoin, le distributeur sollicite le producteur pour dérouler la chaîne de valeur pour l'intégralité des activités de vente et d'après-vente liées à cette offre. Dans ce modèle, la réactivité est forte grâce à la simplicité de l’intégration au niveau des processus et du SI, mais l’adaptabilité est limitée au strict périmètre initial de l’offre et la généricité est faible. Ce modèle peut répondre à une stratégie Industry specialist sur un produit spécifique qui n’est pas à un instant donné dans le cœur de métier de la banque mais qui doit être présent rapidement dans son catalogue. En fonction de la stratégie de la banque sur une famille de produits ou un segment de marché, ces modèles se projettent de façon spécifique selon trois axes de qualification d’une offre : • La réactivité qualifie chaque modèle sur sa capacité à mettre en marché rapidement une offre. • L’adaptabilité le qualifie sur sa capacité à adapter facilement une offre au comportement d’un client. • La généricité le qualifie sur sa capacité à s’intégrer simplement dans un processus de relation commerciale. Conception OLIVIER Traitement aprèsvente Source : IBM 45 HORIZONS BANCAIRES NUMÉRO 339 – DÉCEMBRE Le modèle Agrégateur (voir figure 1.3) sur une large gamme de producteurs spécialisés. De son côté, un producteur souhaitant avoir une stratégie multi-distributeur pour améliorer sa rentabilité et répondre à différentes stratégies de distribution, pourra proposer pour son périmètre d’activités les trois modèles à des distributeurs internes ou partenaires. Quels que soient ces positionnements au travers des modèles, l’articulation de l’offre entre le client, le distributeur et le producteur amène à reconsidérer le paradigme de la qualité de service. En tant qu’agrégateur de services, au niveau conception le distributeur maîtrise les activités liées à la définition de l’offre et ses conditions puis s’appuie sur les producteurs les plus compétitifs pour y intégrer leurs conditions de produits associées. Au niveau distribution, pour la vente, les activités de découverte & composition, de négociation & contractualisation de l’offre sont celles du distributeur, le producteur supporte celles liées aux accords sur les conditions de fonctionnement de produits ainsi que les demandes de modifications contractuelles associées. La maîtrise des processus au service de la qualité de la relation commerciale F IGURE 1.3. Chaîne de valeur du modèle Agrégrateur Conception DéfiniCondi- Market tion tions offre offre Distribution Accueil Vente Aprèsvente Du fait des changements dans la relation commerciale, la qualité de service est encore, plus que par le passé, un élément majeur de la reconquête. D’une part, le client devient défiant et attend d’avantage de sa banque : il veut savoir ce qu’il se passe, ce qu’il paie, et comment les services dont il bénéficie lui sont rendus. D’autre part, les banques de détail, dans leur volonté d’afficher envers leurs clients et leurs collaborateurs une nouvelle éthique, doivent suivre la transformation de leur métier : vendeurs de produits bancaires, il leur faut maintenant appréhender la situation du client pour pouvoir le conseiller et lui proposer la composition de l’offre la plus adaptée. Dès lors, le maintien a minima du niveau actuel de qualité de service client devient un challenge qui, pour être relevé, passe par un contrôle de bout en bout des processus liés à la relation client. Dans ce cadre, un processus ne doit pas être vu comme une simple modélisation de procédures à appliquer pour répondre à une demande client en dehors de tout autre contexte, mais comme un élément de référence dans la maîtrise de l’ensemble des interactions entre les participants dont dépend la qualité de la relation commerciale. En effet, même s’il est toujours propriété d’un acteur de la banque, un processus peut faire participer tour à tour un collaborateur, un partenaire ou le client et ce via l’agence, le web ou le mobile. Ainsi, un processus n’est plus isolé, il doit intégrer les événements liés aux différents acteurs sur les différents canaux. Il n’est plus simplement exécuté en straight through processing, mais peut être suspendu et repris avec un changement de canal ou d’acteur sans perdre Production Gestion 2009 Traitement aprèsvente Source : IBM Dans ce modèle, l’adaptabilité est forte sous réserve d’un bon niveau de paramétrage par les producteurs des conditions des produits et services composant l’offre. La généricité est optimum et la réactivité est bonne grâce à l’utilisation de « briques de services » fournies par les producteurs. Ce modèle peut répondre à une stratégie Multi specialist reposant sur une souplesse de conception des offres tout en s’appuyant sur des producteurs spécialisés. L’offre et les modèles de distribution En regard des stratégies par ligne produit ou segment client, un distributeur qui se positionne comme acteur de plein exercice sur le marché de la banque de détail verra probablement cohabiter ces trois modèles avec un certain degré de porosité. Il pourra ainsi, via la solution d’un spécialiste, répondre rapidement à une attente client sur un produit périphérique à son cœur de métier, continuer à se différencier sur ses offres historiques, mais surtout coller au plus près des besoins de ses clients via une offre évolutive s’appuyant 46 Les nouveaux enjeux de la concurrence bancaire en sortie de crise MICHEL CALLIAU ET son contexte et son état d’avancement. Enfin il doit pouvoir être suivi par l’ensemble des participants qu’ils soient collaborateurs, clients ou partenaires. Pour répondre à cet enjeu sans tomber dans le travers d’une démarche exhaustive de modélisation détaillée, ni dans le syndrome « couteau suisse » d’une approche trop conceptuelle et générale, il convient de distinguer et de spécialiser les diverses perspectives sous-tendues par la notion générique de gestion de processus. OLIVIER PARISOT Modéliser les processus pour les analyser et les implémenter Au-delà de cette perspective de partage, supportée par une démarche type dictionnaire de processus, il peut être intéressant de les analyser et de les modéliser pour supporter une perspective d’implémentation répondant à une finalité précise. Au cours de ces dernières années, les grandes initiatives autour des processus, notamment avec les projets dits de workflow ou de BPM1, ont été entreprises sans généralement adapter les principes de modélisation aux objectifs, ce qui a eu souvent pour conséquence de complexifier leur réalisation voire d’en perdre la finalité. Si l’on veut limiter ces travers, il faut voir la modélisation de processus suivant trois grandes perspectives : • La perspective de suivi représente le franchissement des étapes d’un processus, avec pour objectif d’une part de piloter les engagements de service et les performances, et d’autre part d’exprimer les situations client pour supporter la découverte d’offres. • La perspective d’orchestration représente la distribution d’activités au sein d’un processus, avec pour objectif d’optimiser son déroulement. Une activité s’entend ici comme un ensemble de tâches déclenchées par un seul évènement, réalisée par un seul et même acteur sans qu’il ait besoin de s’interrompre. • La perspective de chorégraphie représente un enchainement de services informatiques, avec pour objectif le développement d’applications du système d’information. En fonction de leur finalité, ces modélisations peuvent être réalisées indépendamment, mais dans le cas où une perspective d’orchestration serait modélisée, s’appuyer sur elle pourra accélérer la modélisation des deux autres. Décrire les processus pour les comprendre et les partager Un processus est une représentation conceptuelle du savoir faire métier de l’entreprise. Il décrit et formalise via un enchaînement de phases « comment se fait mon métier » et avec quel résultat. Dans l’objectif de faire des processus métier un véritable capital intellectuel de l’entreprise, il faut, dans un premier temps, les décrire et les partager : • Au niveau des acteurs de la chaîne de valeur de l’offre pour en particulier qualifier les responsabilités Distributeur et Producteur dans chacun des modèles de découplage. • Au niveau des entités partageant les mêmes processus pour identifier les spécificités ou les axes de mutualisation comme par exemple lors de réorganisation suite à une fusion. • Au niveau des décideurs afin de pouvoir prioriser plus finement les axes de développement, mais aussi de tracer le respect des exigences tout au long du cycle de mise en œuvre. Pour accélérer et faciliter la compréhension et le partage, il faut être vigilant sur le nombre et l’homogénéité des processus décrits, mais surtout sur la granularité des phases. De fait, si l’on considère la cinquantaine de processus majeurs d’une banque de détail, chaque phase devra exprimer une action portant sur un objet métier issu d’un catalogue d’environ une trentaine d’éléments permettant de classer les principales informations manipulées dans l’entreprise. Intégrer la sphère événementielle La modélisation de processus s’appuie sur la gestion des événements. Qu’ils soient constatés ou déterminés, ces derniers contribuent à identifier les risques et les opportunités métier et à partager l’information au 1. Business Process Management. 47 HORIZONS BANCAIRES NUMÉRO 339 – DÉCEMBRE bon moment. En revanche, du fait du nombre élevé 2009 bien pour les données que pour les règles métier. • Pour la structuration des modèles de distribution : s’appuyer sur une architecture d’intégration riche et adaptable en fonction du modèle de découplage retenu pour la gestion d’un produit. Cette architecture devra offrir des mécanismes industrialisés permettant en particulier : – dans le cas du modèle prescripteur, l’intégration d’IHM2 entre les activités d’accueil et de vente et la réplication de données pour les remontées d’informations de la production ; – dans le cas du modèle intégrateur, la réplication de données au fil de l’eau et par vacation une fois l’acte de vente réalisé et les échanges d’événements nécessaires aux processus de suivi et d’orchestration ; – dans le cas du modèle agrégateur couvrir les périmètres des deux modèles précédents complétés par l’intégration de services métier pour la création des contrats produit. • Pour la maîtrise de la qualité de service au travers des processus : bâtir un référentiel de processus de suivi et d’orchestration pour les instancier en tant que véritable donnée de référence de la relation commerciale tout en industrialisant les points de capture des événements et leur exploitation dans le SI. C’est pourquoi, afin de pérenniser les investissements déjà réalisés tout en répondant à ces nouveaux enjeux, les banques de détail vont devoir s’engager dans des chantiers de transformation du système d’information capables de conjuguer rationalisation des existants et mise en œuvre des nouvelles ambitions. Pour cela, les grands acteurs du marché optent pour une stratégie de construction progressive d’assets de distribution via des étapes ayant un apport métier mesurable et s’intégrant sur un périmètre non-régressif dans un existant rénové. Pour accélérer, via le partage de composants, les développements de ces nouveaux assets et faciliter leur intégration dans la souche existante, doit s’associer à cette démarche la mise en place d’un socle d’intégration composé : d’interactions pouvant survenir dans le cadre de la relation commerciale, la modélisation des évènements métier se conjuguera à celle des processus modélisés leur permettant alors de jouer pleinement leur rôle de transformation d’information en action. Par ailleurs, un évènement isolé n’a pas forcément de valeur métier. C’est pourquoi, il peut être intéressant de le replacer dans son écosystème car, corrélé avec une série d’autres évènements, il peut faire apparaître une nouvelle situation de risque ou d’opportunité commerciale. Cette combinaison de la gestion des événements avec les différentes perspectives des processus, notamment celles de suivi et d’orchestration, permet de renforcer l’efficacité opérationnelle et commerciale de la banque, mais aussi de répondre aux attentes des clients en analysant et en exploitant au mieux toutes les interactions constituant la relation commerciale. Le système d’information support de ces stratégies Aujourd’hui, à l’issue des programmes de GRC multicanale initiés début des années 2000, les systèmes d’information des principales banques de détail implémentent avec une certaine efficacité, notamment au travers de référentiels client, les activités liées à la relation commerciale. En revanche, ils ont subi avec plus ou moins de douleur les vagues successives de rapprochements et de consolidations qui ont impacté leur homogénéité. C’est dans ce contexte que les enjeux liés à la personnalisation de l’offre, la structuration des modèles de distribution et à la maîtrise de la qualité de service au travers des processus viennent à leur tour percuter les SI. Pour pouvoir absorber cette nouvelle onde de choc, les SI devront être capables d’opérer les transformations nécessaires, notamment : • Pour la personnalisation de l’offre : extraire les règles métier d’éligibilité et de tarification des systèmes de production pour construire un atelier de conception à la main du métier pilotant l’alimentation du référentiel d’offre du système opérationnel aussi • Au niveau fonctionnel : – des référentiels « Personnes et Contacts », « Offres et Produits », et « Processus et Evènements » ; 2. Interface Homme Machine. 48 Les nouveaux enjeux de la concurrence bancaire en sortie de crise MICHEL CALLIAU ET OLIVIER PARISOT Une opportunité pour la banque de détail – des mécanismes transverses de type ECM 3 , workflow, dispatching d’événements et moteurs de règle. • Au niveau technique : – de framework d’intégration de fonctions (IHM et Services), de données (au fil de l’eau et par vacation), d’événements (pour le suivi et l’orchestration) ; – de framework de développement pour les couches de présentation et de navigation, d’orchestration et d’intégration, et de services métier et d’information (voir figure 2). Comme nous l’avons vu, la crise a induit une double transformation sur le marché : le client devient méfiant et exigent envers les organismes financiers qui, de leur côté, se recentrent sur la maîtrise de l’offre dans le cadre de la relation commerciale. À l’instar du marché de la bourse, il semble fort probable que seule une minorité de clients experts souhaitera gérer elle-même l’ensemble de ses produits en s’adressant en direct, et au cas par cas, à des spécialistes. C’est dans ce cadre que les banques de détail ont une réelle opportunité de capitaliser sur leur valeur ajoutée principale : leur réseau de distribution et la maîtrise de la relation commerciale. En proposant à leurs clients une offre lisible et flexible, et en se concentrant sur leur rôle de conseil, ces banques peuvent se positionner en tiers de confiance et reconquérir le client. Ainsi, en adoptant une stratégie de multi spécialiste, elles pourront proposer l’agrégation d’un ensemble de prestations au sein d’une offre agile dont la compétitivité sera comparable par domaine à celle des meilleurs acteurs du marché, quitte à les intégrer via des accords de partenariats, et pour laquelle la qualité de service, grâce à une maîtrise des processus de l’ensemble de l’offre, sera bien supérieure à celle de la somme des prestations unitaires. ◗ En complément, pour supporter les objectifs de rationalisation et mesurer la contribution du SI aux enjeux métier, cette transformation doit également s’accompagner d’un investissement sur : • La chaîne de valeur de la construction logicielle couvrant l’ensemble des étapes de la fabrication à l’utilisation, en intégrant les nouveaux enjeux d’assemblage, d’adaptation, d’intégration, et de déploiement propres aux nouveaux modèles de développement logiciel basés sur l’intégration. • Une gouvernance permettant de tracer les besoins métier de leur modélisation dans les processus à leur implémentation en tant que services métier tout en optimisant la réutilisation fonctionnelle par l’approche processus. F IGURE 2. Construire et intégrer Agence Internet Mobile Nouveau Système Distribution Vente Aprèsvente Personnes, Offres, Processus Bornes Système de distribution intégration Accueil Téléphone Vision globale Client, Gestion des contacts Système de production Gestion des Crédits Socle d’intégration Réalisation Ventes, Banque au quotidien Gestion de l’épargne Gestion des Moyens de Paiement Source : IBM 3. Enterprise Content Management. 49 HORIZONS BANCAIRES NUMÉRO 339 – DÉCEMBRE 2009 Malgré la prolifération des canaux de distribution numériques et la prégnance croissante d’internet et des téléphones mobiles, l’agence bancaire reste un élément important dans la relation client, contredisant les oracles qui avaient prématurément annoncé sa disparition et même celle des banques classiques au profit de nouveaux entrants « tout numériques ». JEAN-PHILIPPE BLANCHARD Responsable du pôle innovation Crédit Agricole S.A. L’agence du futur dans un dispositif « user centric » Nouvelles approches permettant à la banque d’améliorer l’usage de ses ressources humaines et logistiques en inscrivant son image dans la modernité. Mais elle permet aussi, par la dématérialisation et les progrès des modes de communication, de prendre en compte un changement important de comportement de la clientèle : la mobilité. L’agence s’inscrit donc au sein d’une expérience utilisateur multi-canal qui gagne en cohérence, grâce à une expérience client enrichie mettant en valeur chaque canal en tant que tel et surtout en tant que maillon en continuité avec les autres. Par conséquent, la logique du web et des téléphones mobiles s’invite dans l’agence, et symétriquement cette dernière en fait de même au sein des canaux électroniques : l’imbrication agence physique / agence virtuelle entre dans la réalité, créant de meilleures synergies entre canaux (une opération peut être initiée sur un canal et débouclée sur un autre) et accroissant la valeur de la relation face à face en agence au-delà de la relation à distance. La grande tendance des zones d’automates, amorcée au milieu des années 90, a peu à peu modifié les habitudes des clients, faisant gagner de la productivité sur les opérations de base. Elle a cependant eu des effets pervers en banalisant la relation et en diminuant drastiquement les occasions d’instants commerciaux. Certes, les centres d’appels sortants ont tenté de prendre le relais, cependant le constat demeure : la relation-client s’est distendue. Paradoxalement les ouvertures d’agences continuent, mais leur positionnement dans la logique « distribution » est en train de se modifier pour recréer le lien humain et pour valoriser le conseil et la réelle prise en compte des désirs et besoins du client ou du prospect. La technologie a son rôle à jouer dans cette recréation de valeur commerciale sur plusieurs points : permettre d’une part au client de mieux s’approprier les offres, notamment par une personnalisation à sa main, offrir de l’autre une qualité de conseil accrue tout en 50 L’agence du futur dans un dispositif « user centric » JEAN-PHILIPPE BLANCHARD En parallèle, de nombreux prototypes, puis des produits industriels ont banalisé la « tactilité ». Les plus connus sont le mobile iPhone de Apple et la table Surface : cette dernière innovation sera détaillée dans la suite de l’article. Une autre technologie, « le sans contact », a permis de créer de nouvelles opportunités. Ce terme générique recouvre plusieurs techniques : le RFID (Radio Frequency Interference Identification), le NFC (Near Field Communication) et le Bluetooth (liaison par microonde à courte distance), mais on pourrait aussi y ajouter les « tags graphiques »... Ces technologies permettent de reconnaître des objets ou d’échanger des données entre objets. Les applications sont multiples, par exemple reconnaître un client et personnaliser une application, faire reconnaître par une borne un objet promotionnel pour lancer une publicité, télécharger de l’information à la demande dans un téléphone portable, authentifier un client dans un processus bancaire comme la dématérialisation de la signature contractuelle... Cette tendance appelée « l’internet des objets » est en train de se généraliser à beaucoup d’actes du quotidien : c’est le cas de Navigo pour les transports en commun, mais aussi, de manière moins visible pour le consommateur, dans la gestion logistique. Elle s’invite maintenant dans les agences bancaires et les moyens de paiement. Par exemple, il serait aujourd’hui possible de proposer à la clientèle, notamment lors de la mise en œuvre de ses premiers contrats, un objet ayant la forme d’une clé USB, donc utilisable sur un PC, contenant une puce RFID permettant de lire et de mettre à jour la mémoire, cette dernière étant un coffre-fort électronique sécurisé par un code PIN comme une carte bancaire. L’idée est de proposer au client d’y stocker son identité numérique sécurisée ; on y stockerait également le certificat du client, mais aussi sa signature scannérisée. Quand il signerait un contrat en agence, il présenterait la clé à un lecteur sans contact et saisirait son code PIN. Sur le contrat dématérialisé apparaîtrait la signature digitalisée et le document serait scellé via le certificat. À domicile, les mêmes fonctions seraient possibles en enfichant la clé USB, permettant ainsi de sécuriser les paiements sur internet. Enfin, la clé disposerait d’espace mémoire Rendre l’agence plus attractive La première rupture concerne l’organisation de la chalandise des agences. Elle part du constat que la mise en place des murs d’automates dans les agences à l’entrée de l’espace commercial a permis l’élargissement des plages horaires sur les services de base, mais qu’elle a aussi provoqué une baisse de la fréquentation des espaces commerciaux classiques en agence. Afin de rétablir un flux en direction des guichets, les concepteurs ont tendance à faire machine arrière en intégrant une partie des bornes au sein même de l’agence. Certaines banques ont même imaginé des îlots d’automates mobiles au centre de l’espace d’accueil pendant les heures d’ouverture, puis déplacés dans la zone librement accessible au client pendant les heures de fermeture de l’agence. Au-delà de cette problématique de positionnement, les automates évoluent vers de nouveaux modes d’interactions, en particulier le tactile et le sans contact. Les bornes de publicités sur le lieu de vente ont été les premières à bénéficier de ces tendances. Les premiers écrans tactiles étaient limités à un contact et les applications dérivaient des interfaces informatiques classiques, le curseur de la souris étant remplacé par le doigt. On était plus près des bornes SNCF que de ce que l’on voit aujourd’hui. Des matériels et logiciels spécifiques sont apparus il y a deux ans, prenant en compte deux contacts digitaux puis plusieurs doigts simultanés, ce qui a permis d’envisager un saut qualitatif vis-à-vis des interfaces homme-machine (voir figure 1). F IGURE 1. L’apparition d’un menu contextuel sur un produit bancaire interactif par multi-contact sur une borne tactile 51 HORIZONS BANCAIRES NUMÉRO 339 – DÉCEMBRE utilisable pour stocker des documents soit dans la 2009 d’usage et apportant une plus-value explicative pour chaque produit ou service. Ces objets graphiques doivent être capables de mettre en scène des situations simples ou plus complexes, comme par exemple des interactions financières entre produits. Ce travail va bien au-delà de ce que nous connaissions dans la conception classique d’une application. Il s’agit de mettre en œuvre un processus créatif connu dans l’industrie sous le terme de « design thinking »1 et qui fait ses premières armes dans le « design de services financiers ». Le challenge repose sur la nature le plus souvent immatérielle de la prestation bancaire qu’il va falloir représenter concrètement sur l’interface tactile afin que le client et le commercial puissent « jouer » ensemble. Ce contact matériel crée réellement un phénomène bien connu des écoles de vente : « si le client prend le produit en main, la vente est quasiment faite ». D’où l’intérêt de l’ajout d’interaction avec des objets réels comme la carte, renforçant l’expérience utilisateur (voir figure 2). zone confidentielle, soit dans une zone publique. Une borne interactive équipée de RFID pourrait donc y transférer de la documentation à la demande. Un changement dans la relation bancaire Ces bornes de nouvelles générations posent un questionnement sur le rôle du commercial. Ne risquent-elles pas d’éloigner encore plus le client du vendeur ? Paradoxalement non si on en profite pour établir une relation à trois : le client, le commercial, l’écran. L’exemple-type concerne « Surface » de Microsoft, composé d’une table tactile où commercial et client peuvent choisir de se mettre face à face ou côte à côte pour dialoguer en s’appuyant sur une application bancaire conçue pour enrichir l’échange. L’ergonomie et le design deviennent des éléments essentiels pour mettre le client en situation d’appropriation. Pour ce faire, il faut créer des métaphores graphiques compréhensibles au premier regard, faciles F IGURE 2. Recherches autour des interfaces tactiles 1. Design Thinking : processus créatif pluri-disciplinaire « user centric » qui associe non seulement les informaticiens et les maîtrises d’ouvrage métier, mais aussi des sociologues, comportementalistes, ergonomes, designers graphistes, marketing, commerciaux ... et clients. 52 L’agence du futur dans un dispositif « user centric » JEAN-PHILIPPE Ces technologies permettent de s’interroger aussi sur les processus de vente déterministes. En effet, ce type d’interface peut privilégier l’immersion du client dans un « espace des désirs et des besoins » où il va naviguer librement et faire ses choix dans un ordre quelconque, ce qui implique la nécessité de prévoir des scénarios très souples et des techniques de réalisation privilégiant des processus flexibles. Bien évidemment, le poste de travail du commercial évolue aussi sous l’influence de ces nouvelles possibilités, dont l’une des plus intéressantes est l’intégration des outils de « communication unifiée ». Ce nouveau concept est la transposition professionnelle de produits grand public comme Skype, qui allie messagerie instantanée, téléphonie, visioconférence interpersonnelle ou en groupe, partage d’applications et « présence », cette dernière fonction signalant la disponibilité de chaque personne (« libre », « occupé », « absent », « ne pas déranger »...). L’une des applications marquantes est la possibilité de faire dialoguer expert, client et responsable commercial, avec une qualité de contact remarquable : grand écran vidéo, partage d’applications... Mais cette technologie peut être aussi intégrée aux bornes classiques ou tactiles. Elle répond également à des besoins internes, comme réunions à distance, formation sur sites dédiés ou sur postes de travail, permettant une rentabilisation rapide des investissements. BLANCHARD la solidarité, la vie sociale, la culture, les agences devenant un point de rencontre pour les habitants afin de créer et renforcer les liens en l’insérant dans la dynamique locale. Mais il est nécessaire aussi de prolonger le contact audelà de l’agence physique. Que ce soit sur le web ou sur le mobile, l’agence doit être présente. L’éditorial du directeur, le conseil du commercial, l’annonce de changements de personnel, la rénovation de l’agence, une promotion, la participation à une animation locale... autant d’opportunités pour communiquer de manière plus personnelle avec sa clientèle. De plus les technologies du Web 2.0 permettent d’aller plus loin dans le prolongement de l’agence dans le monde virtuel via les technologies de communication unifiée, donnant au client l’accès à son commercial ou à un pool de commerciaux et d’experts à partir d’un simple ordinateur. Cette généralisation de la vidéoconférence apporte une qualité de présence, de partage d’information et de conseil personnalisé proches d’un entretien en vis-à-vis. Les capacités croissantes des téléphones mobiles permettront à court terme de faire aussi de la visioconférence, sachant qu’il est déjà possible d’avoir un indicateur de disponibilité de son interlocuteur, de lui envoyer des messages et de lui téléphoner d’un clic. Cette continuité entre les différents canaux physiques et virtuels se retrouve dans les mécanismes de vente et d’opérations bancaires, toute action pouvant être initiée à partir de n’importe quel canal et finalisée sur un autre. L’agence s’imbrique donc intimement dans la relation multicanal. Renforcer le lien avec le client L’aménagement des agences contribue aussi à la recherche de « plus d’humain ». Sont ainsi visées des salles d’attente plus attrayantes avec des coins enfants disposant non seulement de jouets classiques mais aussi de distractions technologiques, des zones de détente accueillantes, bref, un vrai travail sur l’ambiance de chaque zone : matériaux, couleurs, lumières, musique... et même odeur. Les recherches se multiplient donc, y compris dans l’intégration de la zone bancaire dans des zones de chalandises plus larges ou, inversement, l’intégration de boutiques au sein même de l’agence. Les banques du nord de l’Europe, en Allemagne, en Suède, au Danemark notamment, ont ouvert la voie depuis plus de deux ans. Des initiatives voient le jour autour de valeurs comme De nouveaux écosystèmes Les changements de mode de vie actuels sont en train de modifier le rapport de force au sein du système économique et remettent en question les habitudes des entreprises. Longtemps dominé par un univers de l’offre et par le productivisme jusqu’au milieu du XXe siècle (« Tout le monde peut avoir une Ford T de la couleur qu’il souhaite, à condition que ce soit le noir... »), le marketing a pris peu à peu la mesure de la demande, mais en restant le plus souvent dans un raisonnement centré 53 HORIZONS BANCAIRES NUMÉRO 339 – DÉCEMBRE sur l’entreprise qui se sentait « propriétaire du client » 2009 opérateurs de télécommunication pour mettre en œuvre des infrastructures pouvant accueillir des services marchands au sein d’un catalogue où les utilisateurs pourront puiser pour se créer leur propre bouquet de services, y compris en les assemblant sous forme de « composition de services ». Inquiétant ? Certes, mais c’est ce que le client a toujours fait dans le monde physique en allant d’une boutique à l’autre. La différence est que, dans le monde numérique, l’offre est encore plus pléthorique, la compétition exacerbée et le risque de désintermédiation plus élevé si l’on n’y prend garde. Le défi pour les offreurs de services est donc de : • lever tous les freins d’accessibilité du client aux offres, notamment en termes de mobilité ; • créer une forte valeur ajoutée autour d’un écosystème cohérent, évolutif et ouvert, capable de répondre aux désirs et aux besoins du client ; • ne pas se limiter à son propre écosystème en étant prêt à partager les profits plutôt que de tout perdre. Ces éléments de stratégie ont des conséquences multiples sur la manière de concevoir les offres et les délivrer dans la sphère physique de l’agence comme dans l’espace numérique. La gestion de la relation client, le passage d’une relation systématique d’affrontement à une recherche d’interopérabilité avec les compétiteurs anciens et les nouveaux entrants, bref, passer d’un monde fermé à un monde ouvert où ce n’est pas celui qui tente de se poser en dominant qui gagne, voici probablement l’un des défis qui nous attend demain. Il faut donc s’interroger sur l’avantage qui pourrait être accordé aux entreprises qui accepteraient de s’intégrer comme une ressource à disposition du consommateur dans un ensemble plus vaste, lui laissant le choix de construire/personnaliser son écosystème : en un mot, aux entreprises s’organisant pour être « centrées vers l’utilisateur ». Dans ce futur contexte ouvert, l’agence devient un élément à forte valeur, car elle symbolise et concrétise et s’organisait pour se protéger contre la concurrence. Michaël Porter, dans les années 80, avait formalisé les limites de cet exercice en décomposant la chaîne de valeur et en théorisant la création et le maintien de l’avantage compétitif qui, le plus souvent, ne peut exister que par une intégration des partenaires, sous-traitants, distributeurs, clients mais aussi « coopétiteurs » (concurrents avec lesquels on coopère sur des éléments de l’offre) dans la construction de l’offre. Peu à peu, et notamment par la nécessité d’intégrer des métiers non maîtrisés par l’entreprise ou par la recherche d’effets d’échelle, les collaborations entre compétiteurs directs ou indirects se sont multipliées en se limitant la plupart du temps au « back office » de l’offre (pièces détachées puis équipementiers dans l’automobile, filiales communes dans la gestion des titres, commercialisation de produits tiers, etc.). Mais clairement, l’entreprise considérait toujours le client comme « captif » ou « à rendre captif ». Cette ambition de retenir le client reste fondamentale et les efforts faits notamment autour de la connaissance client ou de nouveaux concepts comme l’exploitation des réseaux sociaux (marketing viral, utilisation des communautés, communication plus interactive) vont dans le sens de la fidélisation. Malgré cela, la volatilité devient, si ce n’est la règle, du moins un facteur incontournable, le client devenant plus critique vis-à-vis de ses fournisseurs habituels, adepte du picorage (« cherry picking »), capable de se fabriquer un service sur mesure en assemblant lui-même les meilleurs composants, Il est aidé en cela par les sites comparateurs d’offres. Les évolutions technologiques actuelles (portails personnalisables, « mash up ») et celles que l’on peut percevoir à cinq ans (composition dynamique de services par l’utilisateur2) ne font que renforcer les possibilités laissées au client de choisir et personnaliser son écosystème numérique. Les premiers travaux de recherche ont commencé chez les 2. Composition de services : cette technique consiste à assembler plusieurs fonctionnalités suivant diverses modalités. La plus simple consiste en un portail permettant de juxtaposer des services sans interaction (vous sélectionnez par exemple plusieurs services d’information pour vous construire votre portail personnalisé dans Netvibes ou iGoogle). Plus sophistiqué, le « mashup « mixe deux fonctions pour créer une application (le grand classique : une application ayant des adresses géographiques qui sont localisées sur GoogleMap ou BingMap). Stade ultime qui en est aux premiers balbutiements techniques : la composition par l’utilisateur lui-même. 54 L’agence du futur dans un dispositif « user centric » JEAN-PHILIPPE l’écosystème aux couleurs de la banque. Cela nécessite une continuité dans la relation multicanal, où le client peut commencer un acte en un point de vente physique ou virtuel et le finir dans un autre, et entrer à tout moment en relation avec un ou plusieurs commerciaux. De plus, comme la composition de services sera au cœur des écosystèmes, l’agence devra être BLANCHARD capable de fournir des services dépassant son propre cadre, sans doute dans des espaces multi-fonctions et multi-partenaires. Elle peut donc jouer sur la proximité tant géographique que numérique grâce à ses prolongements sur le web et le mobile afin d’accroître l’appétence de l’écosystème, et donc la fidélisation du client. ◗ 55 HORIZONS BANCAIRES NUMÉRO 339 – DÉCEMBRE 2009 Les systèmes informatiques bancaires des deux prochaines décennies opéreront dans des environnements bouleversés. Nous en sentons les prémices en observant les évolutions de l’informatique individuelle. La donne sécuritaire change en profondeur. Plutôt que subir ce changement, il faut en faire le moteur de la réflexion sur la sécurité des nouveaux systèmes et en déduire des avantages « business ». GIL DELILLE Directeur de la Sécurité des Systèmes d’Information, Direction Informatique et Industrielle Groupe, Crédit Agricole S.A. Président du Forum des Compétences Cinq défis sécuritaires des systèmes d’information bancaires du XXIe siècle Une donne sécuritaire en plein bouleversement s’amenuise : travail à domicile sur l’ordinateur familial, pléthore de terminaux depuis lesquels peuvent être passées des transactions et dont on ne pourra pas indéfiniment garantir la compatibilité avec nos applications transactionnelles. • L’étanchéité des réseaux des entreprises s’effrite au fur et à mesure que les éditeurs proposent des logiciels contournant les systèmes de sécurité qu’ils ont parfois eux-mêmes vendus. Nos ordinateurs sont désormais envahis de programmes communiquant de façon permanente avec le monde extérieur. • Le piratage, autrefois maîtrisé par quelques individus chevronnés, est désormais à la portée de tout utilisateur « avancé ». Les outils sont largement diffusés, que ce soit sur Internet ou... dans les kiosques. Les logiciels malveillants permettent la prise de contrôle à distance d’un poste de travail et se propagent automatiquement ; les fameux pare-feux ne sont plus une panacée. • La rentabilité économique, la part décroissante du prix des ordinateurs par rapport à celui des infrastructures La plupart des systèmes d’information bancaires actuels ont été conçus dans les années 1990. Depuis cette époque, le contexte sécuritaire a profondément changé et tout laisse à penser que les choses vont continuer : • Les banques dépendent toujours plus de leurs systèmes informatiques, non seulement pour leurs opérations classiques mais également pour leurs échanges multicanaux avec la clientèle particulière ou institutionnelle. Les frontières entre les réseaux d’entreprise et l’extérieur, notamment l’Internet, s’atténuent rapidement : l’Internet projette ses synapses dans l’entreprise et l’entreprise y exporte ses ressources informatiques. Les limites entre entreprises s’estompent : joint-ventures, intérêts croisés, mutualisation « d’usines » favorisent l’existence d’entreprises dont les réseaux sont intimement liés à leurs multiples géniteurs. • La frontière entre les sphères privée et professionnelle 56 Cinq défis sécuritaires des systèmes d’information bancaires du XXIe siècle GIL DELILLE immobilières et logistiques, amènent des concentrations extrêmes de matériels dans quelques lieux dont la probabilité de destruction n’est pas nulle. • La réglementation s’est durcie et se durcira encore : confidentialité des données, lutte contre la fraude, traçabilité des échanges avec la clientèle, signature électronique et, globalement, intensification du besoin de contrôle permanent. Dans ces conditions, l’entreprise qui conçoit maintenant un système d’information destiné à perdurer se doit de devancer la tendance plutôt que la subir. Quels sont les défis à relever ? Quelles orientations pour mieux s’adapter ? S’affranchir des faiblesses de l’environnement « client » Si l’on renonce au dogme imposant l’utilisation exclusive des systèmes depuis des terminaux parfaitement contrôlés, deux voies complémentaires sont à explorer. L’une consiste à « virtualiser » les composants essentiels du système d’information et à n’en transmettre que l’image. L’application bancaire s’exécute sur un dispositif virtuel (sain, précisément contrôlé au sein de l’entreprise), son image étant projetée sur le terminal de l’utilisateur. Ce mode de fonctionnement soustrait les composants du système d’information bancaire aux comportements potentiellement hostiles des terminaux non contrôlés ; les tentatives de malveillance (recherche de vulnérabilités, exploitation de failles techniques, détournement des transactions) buteront sur une simple image. L’autre voie consiste, plutôt que chercher à sécuriser l’environnement, à faire entrer en jeu des moyens de validation hors de portée des fraudeurs car indépendants du terminal de l’utilisateur. Il s’agit, pour toute transaction saisie (par un utilisateur légitime ou non), de contrôler, à différents stades de son exécution, son auteur et l’intégrité de ses caractéristiques (par exemple, en vérifiant que ni le montant, ni le bénéficiaire n’ont été modifiés par rapport à ce que l’utilisateur avait saisi). Cette logique est en rupture avec les habitudes acquises. Dans les systèmes actuels, les contrôles sont trop souvent faits au début d’une session de travail puis considérés comme acquis par les systèmes successivement impliqués, sans nouvelle vérification. Il est ainsi possible qu’un utilisateur passe des dizaines de transactions en n’ayant prouvé son identité qu’une seule fois. Dans ces conditions, la tâche du fraudeur est grandement facilitée. Cette approche était défendable dans un environnement sain où les terminaux étaient parfaitement maîtrisés. Garantie environnementale perdue d’avance, comme nous l’avons vu... C’est pourquoi, avec la nouvelle voie que nous venons de décrire, l’identité de l’émetteur et l’inaltération des caractéristiques de la transaction sont vérifiées tout au long de la chaîne de traitement. Un maillon de la chaîne Défi n° 1 : résister à un environnement moins maîtrisé De quoi s’agit-il ? Les vers informatiques transportent des Chevaux de Troie. Ceux-ci « squatteront » de plus en plus souvent nos ordinateurs et ceux de nos partenaires et clients. Ils seront de plus en plus difficiles à détecter. Par ailleurs, force est de constater que la tactique « traditionnelle » consistant à empêcher la diffusion, dans l’entreprise, de logiciels communiquant constamment avec l’extérieur est battue en brèche. La téléphonie et vidéoconférence dans le PC, les outils bureautiques centrés sur l’Internet (voire dépendant d’Internet), les échanges d’ordinateurs à ordinateurs (« peer to peer ») ébranlent la fragile citadelle de l’ordinateur individuel. Dans ces conditions, comment garantir que ces logiciels ne seront jamais dévoyés ? Par ailleurs, les techniques de prise de contrôle malveillante d’un ordinateur se sont largement répandues et vulgarisées (des tutoriels en vidéo sont disponibles). Enfin, le développement du travail à distance, l’utilisation d’applications depuis des sociétés dont nous ne maîtrisons pas la sécurité, l’éventuelle externalisation de fonctions bancaires et, bien sûr, les banques en ligne, font que nos systèmes seront de plus en plus utilisés depuis de multiples terminaux (table intelligente, console de jeux, smartphone, affiche interactive, etc.) dont nous ne saurons presque rien. L’ensemble de ces évolutions augmente le risque d’une utilisation frauduleuse du système d’information bancaire. 57 HORIZONS BANCAIRES NUMÉRO 339 – DÉCEMBRE échappera forcément au contrôle du fraudeur. La 2009 d’interopérabilité entre systèmes d’un même groupe mais aura d’autres retombées. Les entreprises maîtrisant les technologies de publication de services sécurisés seront en mesure de commercialiser leur savoir-faire plus vite que les concurrents. démarche s’appuie sur le scellement et sur l’une de ses variantes, la signature électronique. S’adapter aux évolutions du modèle de sécurité interne Nous faisons face à des paradoxes : • Les réseaux internes devraient être de plus en plus hermétiques pour contrecarrer la montée en puissance des outils de piratage. • Les nouveaux usages bancaires (muticanal et mobilité) et les logiques de partage d’information entre utilisateurs (outils collaboratifs) tendent au décloisonnement des réseaux. Partons du principe que, dans les dix prochaines années, la segmentation des réseaux va perdre du terrain. Certaines réflexions vont jusqu’à anticiper l’abolition de la barrière entre Intranet et Internet. Ces réflexions ne sont pas des vues de l’esprit : la mobilité, les ambiguïtés sur la nature personnelle ou professionnelle des terminaux portables, les interconnexions de réseau érodent la thèse de la ségrégation. Dans ces conditions, il vaut mieux que les applications destinées à durer soient conçues dans une optique de résistance intrinsèque face à un environnement incertain. Nous avons vu qu’il fallait les empêcher d’être dupes d’une fraude, il s’agit maintenant d’en empêcher l’altération. En d’autres termes, un système d’information d’avenir est conçu pour résister d’emblée à un réseau hostile, en particulier à l’Internet. Nous maîtrisons ce savoirfaire puisque nous plaçons des applications sensibles sur Internet. Pourtant, pour des raisons historiques, certains ajouteraient « financières », les développements à vocation interne ne bénéficient pas des mêmes égards. La construction d’un système d’information moderne est l’occasion de rompre avec cette inconsistance. Un système d’information moderne ne comptera plus sur l’herméticité des réseaux pour garantir sa propre intégrité. La reconnaissance des serveurs entre eux, par recours à la cryptographie, permettra le passage d’ordres sécurisés, via des interfaces pourtant accessibles depuis des réseaux publics, « entreprise étendue » oblige. Réussir ce tournant sera un gage Défi n° 2 : survivre au pire De quoi s’agit-il ? La dépendance des entreprises vis-à-vis du système d’information s’accroît sans relâche. Il s’agit donc : • De concevoir les infrastructures informatiques pour qu’elles résistent à la panne d’un composant. • De prévoir l’hypothèse selon laquelle ces infrastructures, dites résilientes, pourraient elles-mêmes subir une défaillance logique qui corromprait les données nominales et leur sauvegarde. Nous savons que beaucoup d’efforts sont consacrés à la résilience. Le premier cas (panne d’un composant) est, en général, pris en compte dès la conception des systèmes. Il s’agit de doubler un composant sensible par un « miroir ». En revanche, le traitement de scénarios de corruption ou de destruction logique de données dans ce type d’environnement peut poser problème et en particulier la copie simultanée des données entre le composant et son « miroir ». En outre, la concentration, voire la mutualisation, des infrastructures de calcul et de stockage réduisent la tolérance aux aléas d’un redémarrage en cas de sinistre. Comment améliorer la capacité de reprise en cas de sinistre ? Lorsque plusieurs banques victimes d’un sinistre de centre informatique attendent la reconstruction des données d’un système d’information vital, il s’agit de connaître : • (dans le cas d’une remise en ligne de données sauvegardées en temps réel), le délai de remise en ligne prenant en compte le temps de vérification de l’état d’exécution et de l’intégrité des transactions qui étaient en cours au moment de l’incident ; • (dans le cas d’une reconstruction des données après une destruction logique par bug ou malveillance des 58 Cinq défis sécuritaires des systèmes d’information bancaires du XXIe siècle GIL DELILLE données et de leur copie instantanée), le délai de restauration des données à partir d’une sauvegarde, incluant le délai de vérification de l’état des données et du statut des transactions depuis la dernière sauvegarde exploitable ainsi que le délai de reconstitution manuelle des données perdues entre le moment de la sauvegarde et l’instant de l’incident. Un système d’information moderne doit être conçu pour maîtriser ces deux problématiques. S’en déduisent de multiples caractéristiques souhaitables : • une résilience portant sur les données mais aussi sur la capacité de traitement (processeurs) pour favoriser le maintien, sans interruption, de l’activité et limiter le délai d’indisponibilité lié à la validation des données et des transactions ; • une identification des transactions, de bout en bout, inter-systèmes, probablement inter-entreprises, pour faciliter l’examen de l’état de finition des transactions interrompues par le désastre et partiellement propagées dans les chaînes de systèmes de traitement ; • la production, dans le même but, de traces suffisamment riches et compréhensibles ; • des performances de sauvegarde/restauration (capacité et temps de reconstitution des données) en rapport, de manière vérifiée (tests), avec les exigences des métiers. Un système d’information moderne doit proposer une gestion de la sécurité qui favorise cette agilité. Comment favoriser l’agilité ? Comme vu précédemment, le système d’information idéal, conçu pour œuvrer en environnement « incertain », pourra être mis à la disposition de tiers via des réseaux ouverts. La question de l’ouverture, sans risque d’utilisation réussie du système par des indésirables, étant réglée, il s’agit maintenant de maîtriser le processus selon lequel les droits d’accès seront gérés en particulier par des partenaires. Il y aura divers cas de figure à traiter : • délégation, ou non, de la gestion des accès par le propriétaire du système d’information ; • délégation des contrôles. Pourquoi externaliser si l’on ne tire pas la quintessence de cette externalisation, en particulier, si l’on gère, dans le détail, les accès des tiers ? Il faut donc, dans un cadre contractuel bien conçu et responsabilisant l’entreprise partenaire, ouvrir la voie à la délégation de l’administration des droits d’accès détaillés. Mais le fait de sous-traiter ne dégage pas des responsabilités (textes réglementaires relatifs aux prestations de services essentiels externalisées). Lorsque le système d’information est rendu accessible à autrui, la maîtrise des opérations reste une obligation. Défi n° 3 : favoriser l’agilité du business Les systèmes d’information modernes doivent donc anticiper l’émergence d’une entreprise composite : ils devront permettre la délégation de l’administration d’un domaine à des tiers tout en autorisant un contrôle précis des opérations par le propriétaire du système d’information. De quoi s’agit-il ? On peut estimer que les activités bancaires devraient évoluer davantage dans les quinze prochaines années qu’elles n’ont changé dans le passé : • les acquisitions et/ou reventes s’intensifieront pour s’adapter rapidement aux évolutions des marchés ; • la localisation des activités sera révisée régulièrement (centralisation ou décentralisation de back-offices, délégation de prestations essentielles à des sociétés tierces...) ; • les co-entreprises se multiplieront ainsi que les partenariats avec des entreprises tierces (mise à disposition de services, etc). Nous avons vu qu’une banque doit garder un œil sur l’activité en cas de sous-traitance de ses activités. Allons plus loin et considérons maintenant que les systèmes puissent servir de base à l’activité de tiers auxquels seraient proposés des services. Il faudrait alors que les entreprises tierces disposent de moyen de contrôle de leurs propres activités et d’une vue sur la liste des personnes ayant accès à leurs données. 59 HORIZONS BANCAIRES NUMÉRO 339 – DÉCEMBRE Si un groupe bancaire souhaitait se positionner comme 2009 Nous constatons aussi que des comportements anormaux (prêt d’identifiant, sans que cette délégation soit consignée) sont induits par une conception inadéquate des systèmes qui ne permettent pas, sauf rare exception, la délégation temporaire d’une activité. Ces mécanismes de délégation deviendraient nécessaires, quoi qu’il en soit, si le recours à la biométrie se développait (on peut « prêter » son mot de passe, mais pas son empreinte digitale ou son iris !). offreur de services hébergés, les choses seraient plus aisées si ses systèmes assuraient, au tiers, des garanties de confidentialité des données vis-à-vis de l’hébergeur technique et de l’administrateur central. Seul un design particulièrement soigné le permet. Défi n° 4 : faciliter l’exercice du contrôle De quoi s’agit-il ? Les exigences de contrôle permanent s’accroissent constamment mais il n’est pas rare que le contrôle s’exerce sans que des fonctionnalités spécifiques soient prévues dans les systèmes. Il s’appuie donc sur des moyens marginaux (extraits bruts, rapprochement manuel d’informations collectées depuis divers éléments du système d’information, etc.). Or, à l’instar de toute autre activité, le contrôle permanent, exercé par des milliers de personnes, devrait pouvoir s’appuyer sur des fonctionnalités visant à faciliter son exercice. Il y va de la faisabilité du contrôle mais aussi de son efficacité. Dans un univers réglementé, le contrôle fait partie intégrante du business ; il est nécessaire de le doter d’outils adéquats, bien intégrés ; c’est devenu un enjeu de productivité pour l’entreprise. Défi n° 5 : répondre à l’accroissement des exigences De quoi s’agit-il ? Si nous résumons la somme des exigences issues des autorités de tutelles, des législations en vigueur ou des grands opérateurs (Visa et Mastercard), et qui influencent directement la politique de sécurisation du système d’information, il s’agit très grossièrement de : • mieux protéger les données au nom du secret professionnel ou de la protection de la vie privée (Loi n° 2004-801 modifiant la loi n° 78-17) ; • pratiquer la catégorisation de la clientèle pour les opérations de marchés (MIF) ; • prévenir la fraude (CRBF 9702 modifié par décret de janvier 2009) ; • pratiquer la signature électronique ; • assurer la protection avancée des données liées aux cartes bancaires (PCI-DSS). Comment faciliter l’exercice du contrôle ? Le système d’information moderne intègre des fonctions visant à faciliter le contrôle permanent : • production de traces lisibles par les métiers sans recours au savoir-faire des informaticiens ; • mise à disposition de fonctions spécialement conçues pour le contrôle ; • prise en compte de besoins d’utilisateurs, relatifs à la sécurité, pour éviter les comportements générateurs de risques (prêt d’identifiant et d’authentifiant). Pour éviter l’enfreinte à la réglementation par le recours, hors de toute traçabilité, à des expertises techniques pour obtenir la correction de données erronées, un système d’information bien pensé devrait aussi permettre les « opérations bistouri » sur les données tout en produisant les traces nécessaires. Comment ? Nous n’aborderons pas les exigences de la MIF qui se traduisent par une revue fonctionnelle des processus « métier », ni la prévention de la fraude et la signature électronique abordées supra. Il reste la question d’une meilleure protection des données (données à caractère personnel, données liées aux cartes bancaires). Il est manifeste que la seule gestion rigoureuse des droits d’accès ne suffira pas indéfiniment. De plus en plus, les autorités ou fournisseurs incontournables spécifient la nature des moyens à mettre en œuvre et en particulier le recours au chiffrement. 60 Cinq défis sécuritaires des systèmes d’information bancaires du XXIe siècle GIL DELILLE Un système d’information moderne se doit donc d’intégrer des solutions cryptographiques qui, lorsqu’elles sont bien conçues, s’appuient sur des infrastructures globales, en particulier une Infrastructure de Gestion de Clefs Publiques. Cette infrastructure étant nécessaire à la signature électronique, déjà évoquée, son retour sur investissement n’est pas exclusivement basé sur la confidentialité. Le chiffrement doit être étudié globalement : de l’unité de stockage du micro-ordinateur de l’utilisateur (collaborateur ou client) aux dispositifs de sauvegarde centralisés. Le but est de dissocier la capacité d’intervenir techniquement sur les systèmes et la capacité d’exploiter les données qui y sont stockées, en d’autres termes : soustraire les données des métiers à la convoitise d’un informaticien peu scrupuleux. Un système d’information ayant vocation à traverser les années 2010-2020 ne peut éluder la question de la cryptographie, harmonieusement intégrée à chacun de ses maillons. Conclusion Relever ces cinq défis dès à présent, lors de la conception de chaque nouveau composant du système d’information, permettra d’anticiper les risques futurs plutôt que de les subir. Un système hautement interopérable, apte à tirer parti des réseaux ouverts, s’accommodant de tout type de terminal, résistant aux environnements hostiles, propice à l’évolution de l’entreprise et des marchés n’est pas antinomique de sécurité, bien au contraire. Dans l’intervalle, il nous faut encore bichonner nos anciens systèmes d’information, donc les environnements réseaux et les postes de travail qui y accèdent... chaque chose en son temps. La vitesse de concrétisation des systèmes « tout terrain », garants de la malléabilité des offres business et des grands partenariats des décennies à venir, sera proportionnelle à la conviction dont les métiers feront preuve dans leurs expressions de besoins. Chaque occasion de progresser devra être saisie ! ◗ 61 HORIZONS BANCAIRES NUMÉRO 339 – DÉCEMBRE 2009 Plus de 200 ans de pratique et de règles issues du code Napoléon de 1804 sont malmenés par l’irruption des nouvelles technologies dans la vie quotidienne. Revue des évolutions du droit dans la banque de détail. STÉPHANE HENRY Direction des affaires juridiques Crédit Agricole S.A. Le droit bancaire à l’épreuve des nouvelles technologies LA BANQUE DE DÉTAIL connaît depuis une dizaine d’années des évolutions technologiques majeures dues principalement au développement spectaculaire d’internet et des nouveaux moyens de communication en ligne, ainsi qu’à la transformation des mentalités et des comportements. Il ne s’agit pas là d’un phénomène passager : la perspective d’un fort potentiel de développement pour les entreprises, conjuguée à un engouement croissant des particuliers pour l’utilisation des nouvelles technologies dans leur vie quotidienne, montrent qu’il s’agit d’un mouvement en profondeur qui va marquer, voire révolutionner, nos habitudes pour les années à venir. Cette mutation de l’économie traditionnelle vers l’économie numérique entraîne dans son sillage toutes les professions, même les plus traditionnellement conservatrices comme le notariat, qui est cependant la pre- mière à s’être dotée d’une signature électronique sécurisée, pierre angulaire de la dématérialisation des contrats. Pour que cette projection soit parfaite et se concrétise, il est indispensable que les personnes physiques aient confiance dans l’utilisation des nouvelles technologies et que disparaisse progressivement dans l’inconscient collectif ce sentiment que le commerce électronique est une zone de non droit et d’insécurité. Les tribunaux ont très vite apporté une première réponse en transposant les règles juridiques existantes lorsque cela était possible. Toutefois, certains verrous ne pouvaient être levés que par l’intervention du législateur tant la mutation est profonde, notamment quand il s’agit de modifier plus de 200 ans de pratique et des règles issues du code Napoléon de 1804. Nous verrons successivement les principaux domaines 62 Le droit bancaire à l’épreuve des nouvelles technologies STÉPHANE du droit qui, sous l’effet de l’introduction des nouvelles technologies dans la banque de détail, ont déjà ou vont progressivement évoluer. HENRY forme dématérialisée dès leur émission (« e-facture », « e-relevé », « e-bulletin de salaire ») sans que le client ne puisse remettre un original papier si la banque le lui demande. Non encore véritablement entrée dans les habitudes et retranscrite dans les procédures, cette situation devrait à terme conduire la banque à accepter et à conserver ces « e-documents » dans ses dossiers clients comme justificatifs de ses contrôles. Toutefois, la banque devra au préalable s’assurer techniquement que ces documents sont authentiques. La réglementation bancaire et la connaissance du client Le développement des nouvelles technologies, parce qu’elles permettent la réalisation d’opérations bancaires par un moyen de communication en ligne, conduit les établissements de crédit à s’interroger sur la façon dont ils vont pouvoir s’acquitter de leurs obligations de vigilance et de contrôle imposées par la réglementation bancaire, et plus particulièrement en ce qui concerne les règles du KYC (Know your customer). L’identification des clients est une obligation fondamentale pour la banque, notamment au regard de la réglementation relative à la lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme, et pour prévenir les fraudes en général. Dans le cas contraire, elle risque de voir sa responsabilité engagée. Traditionnellement, la relation en face à face permet à la banque, avant de nouer une relation contractuelle ou d’assister son client dans la préparation ou la réalisation d’une transaction, de vérifier l’identité de son co-contractant par la présentation de tout document écrit probant et de conserver la trace de son contrôle. L’application fidèle de ces règles conduit les établissements de crédit désireux d’effectuer ces opérations en ligne à devoir adapter, voire différer leur réalisation en attendant une évolution prochaine des technologies, dès lors que la banque ne peut effectuer ses contrôles dans des conditions satisfaisantes. Ainsi, il serait aujourd’hui hasardeux de procéder à l’ouverture en ligne d’un compte à un prospect en l’absence de production d’un justificatif d’identité fiable comme le serait la carte nationale d’identité électronique promise par les autorités pour bientôt, et qui permettrait d’attester sans autre formalité et production de justificatifs de son identité, en bénéficiant de la présomption légale attachée à ce type de document. Quant aux autres pièces justificatives que la banque doit demander, figurent les justificatifs de domicile et les documents permettant de vérifier les déclarations du client (relevé bancaire, bulletin de salaire, avis d’imposition…) qui prennent de plus en plus une Le secret bancaire et la sécurité des systèmes d’informations de la banque L’évolution permanente des techniques, leur maîtrise quelquefois imparfaite par les utilisateurs et surtout l’apparition de pirates informatiques de plus en plus affûtés, posent sous un éclairage nouveau le problème du secret bancaire. L’établissement de crédit devra en permanence lutter contre toutes les formes d’intrusion frauduleuse ou malveillante dans ses systèmes d’informations, mais également être particulièrement vigilant quant à sa propre maîtrise des outils informatiques afin de garantir le secret bancaire et d’éviter que des internautes aient accès en ligne à des comptes de tiers. Le droit a dû évoluer afin de prendre en compte les nouvelles pratiques bancaires, en reconnaissant la validité de l’utilisation d’un code confidentiel comme un élément d’authentification du porteur d’une carte bancaire ou du titulaire d’un compte en ligne, permettant de lui attribuer la paternité d’une opération et laissant reposer sur ses épaules la garde de ses identifiants et les conséquences d’une usurpation de ceux-ci. Avec le développement des nouvelles technologies et des risques inhérents à leur utilisation, nous constatons de la part des différents acteurs, qu’il s’agisse des banques, des autorités de contrôle, des tribunaux, voire même des clients, un aveu d’impuissance face aux risques technologiques et, par voie de conséquence, la nécessité de composer avec les principes jusque-là établis. La banque informe aujourd’hui très clairement ses clients dans ses contrats, sa documentation et ses sites en ligne des risques inhérents à l’utilisation des 63 HORIZONS BANCAIRES NUMÉRO 339 – DÉCEMBRE nouvelles technologies et elle insiste particulièrement 2009 cipalement sur la suprématie de l’écrit-papier, qu’il s’agisse du régime de la preuve ou de la validité de certains actes, cette introduction ne pouvait avoir lieu sans l’intervention du législateur. Les bases juridiques indispensables au développement de l’économie numérique ont été données par la loi pour la confiance dans l’économie numérique du 21 juin 2004 (LCEN). Ce texte reconnaît, sous réserve de satisfaire à certaines exigences techniques, la validité juridique de la signature électronique et de l’écrit électronique, les hissant au même rang que la signature manuscrite et l’écrit-papier. En ouvrant cette brèche abyssale, le législateur ne pouvait reprendre l’ensemble des textes où il est fait référence à l’écrit-papier ou à des procédures empreintes de matérialité. Avec sagesse et au-delà même de toutes espérances, il va donc préciser à l’article 1369-10 du Code civil que « lorsque l’écrit sur papier est soumis à des conditions particulières de lisibilité ou de présentation, l’écrit sous forme électronique doit répondre à des exigences équivalentes ». Dans cette course technologique, le droit passe ainsi le relais aux spécialistes des nouvelles technologies pour trouver, mais également pour renouveler, les dispositifs techniques jugés équivalents en termes de finalité et de sécurité. Dans certains cas, le législateur doit néanmoins apporter certaines précisions. Ainsi, l’exigence d’un formulaire détachable est satisfaite par un procédé électronique qui permet d’accéder au formulaire et de le renvoyer par la même voie. En matière de pluralité d’exemplaires, la condition est satisfaite sous la forme électronique si l’écrit peut être imprimé par le destinataire. La mention manuscrite (art.1326 du Code civil) est remplacée dans le texte par une mention écrite « par lui-même » laissant aux spécialistes des nouvelles technologies le soin de mettre en place un dispositif technique répondant aux exigences légales. Forte de ces adaptations législatives indispensables, la banque de détail s’attache à les mettre en application en recherchant, opération par opération, celles que la banque peut effectuer en ligne et en vérifiant, par rapport au régime légal de la preuve ou de la validité des actes, le niveau de sécurité requis pour déterminer le dispositif technique qui sera utilisé, tant pour la signa- sur les précautions à prendre. En présence d’une clientèle désormais avertie et sensibilisée, la banque mettra conventionnellement à la charge de son client des obligations technologiques d’installation et de mise à jour régulière de son équipement informatique et de ses « antivirus » et « firewalls », et le soumettra à des conditions d’utilisation de ses services. Elle exclura sa responsabilité en cas d’accès à son site bancaire depuis un cybercafé ou un équipement dont le client n’a pas la totale maîtrise, ou encore en cas de connexion à partir d’une borne wifi sans mise en sécurité préalable de son matériel. En matière de secret bancaire, et sans que l’on puisse véritablement parler d’un assouplissement des règles, il suffit de constater que la banque, pour dégager sa responsabilité, devra seulement démontrer qu’elle n’a pas commis d’erreur et qu’elle a déployé les moyens techniques nécessaires et suffisants correspondant à l’état de l’art à un moment donné et compatibles avec le niveau de ses obligations. Lorsqu’il est impossible de répartir les responsabilités face à des cas de fraude liés à l’utilisation des nouvelles technologies, et afin d’instaurer la confiance, le législateur n’hésite pas à intervenir en faveur du consommateur souvent impuissant à se défendre, en créant des présomptions irréfragables (interdisant la preuve contraire) ou simples (renversant la charge de la preuve). Ainsi, la loi dégage le client en cas de contestation, de toute responsabilité pour les paiements par carte effectués sans utilisation physique de celle-ci (art.L 132-4 du Code monétaire et financier). Dans le domaine de la signature électronique, l’utilisation d’une signature « sécurisée » bénéficie d’une présomption de fiabilité mettant à la charge de celui qui en conteste la validité le soin d’en apporter la preuve. Preuve des obligations et conditions de validité des actes L’introduction des nouvelles technologies dans la banque de détail conduit celle-ci à réexaminer toutes les opérations dont elle souhaite la dématérialisation, afin de s’assurer qu’au regard des textes en vigueur ce processus est juridiquement possible. Reposant prin- 64 Le droit bancaire à l’épreuve des nouvelles technologies STÉPHANE ture que pour l’archivage électronique des documents. Désormais, sous réserve de quelques exceptions en nombre limité pour lesquelles le législateur n’a pas souhaité autoriser la dématérialisation en raison de la solennité qu’il attache à certains actes peu compatibles avec la rapidité de décision qu’engendrerait leur dématérialisation (droit des successions, droit de la famille et, dans le domaine bancaire, garanties et sûretés non professionnelles), tous les actes sous seing privé peuvent être dématérialisés. HENRY obligation d’information et de conseil qui dans certains domaines est particulièrement importante et parfois difficile à réaliser en raison du caractère inadapté des supports, comme la taille réduite de l’écran d’un téléphone portable. Lorsqu’elle est en mesure de délivrer ce conseil ou cette information, la banque devra conserver la preuve de la diligence accomplie, en encadrant notamment leur diffusion et en conservant la trace informatique des différents consentements recueillis. Selon la technologie employée, il pourra s’avérer difficile de communiquer toute l’information et le conseil nécessaires, de sorte que la banque devra recourir à d’autres moyens de communication pour y satisfaire, ce qui dans certains cas peut limiter considérablement le recours à diverses technologies de communication en ligne pour la commercialisation de certains produits ou services bancaires. Droit de la consommation et droit bancaire L’apparition de nouveaux modes de commercialisation à distance autres que ceux traditionnels a conduit le législateur et les autorités de contrôle à veiller à ce que le consommateur ne soit pas privé des règles de protections habituelles, et à prévoir de nouvelles dispositions destinées à renforcer la confiance des consommateurs. Ce renforcement de la confiance passe en premier lieu par l’information du consommateur sur l’établissement de crédit. La loi pour la confiance dans l’économie numérique oblige la banque, comme tout cybercommerçant, à indiquer en toute transparence et de façon accessible les informations permettant de l’identifier clairement, d’informer les tiers du statut et des règles professionnelles qui lui sont applicables et de pouvoir être joint directement. Parce qu’elle bouleverse les habitudes, l’utilisation des nouvelles technologies peut être source d’erreurs et d’appréhensions, voire d’inattentions conduisant le consommateur à préférer les moyens traditionnels pour les actes pouvant l’engager. Aussi, pour les accompagner dans l’usage des nouvelles technologies, le législateur est intervenu en précisant dans le Code civil, sous l’article 1369-1, la façon dont se forme juridiquement un contrat sous forme électronique, en énumérant les informations qui doivent être communiquées et les différentes étapes qui doivent être suivies afin que le consommateur puisse être parfaitement informé et puisse contrôler de bout en bout l’ensemble du processus contractuel. Le législateur comme la jurisprudence mettent à la charge du banquier, surtout en banque de détail, une Informatique et libertés L’activité bancaire, et en particulier la banque de détail, est devenue du fait des évolutions technologiques un secteur particulièrement sensible et porteur de risques pour les libertés individuelles, tant la banque traite de données à caractère personnel. La facilité des interrogations et interconnexions de fichiers que permettent aujourd’hui ces nouvelles technologies conduit, plus que par le passé, à collecter et traiter un nombre important de données dont le caractère intrusif dans la vie privée ne manquerait pas d’inquiéter les citoyens si, d’une part, des mesures de cloisonnement n’étaient pas mises en place par les responsables conformité des établissements de crédit et si, d’autre part, la loi du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés, modifiée par la loi du 6 août 2004, n’imposait pas le respect de principes fondamentaux. Le secteur bancaire est d’ailleurs l’un des secteurs où les contrôles de la Commission informatique et libertés (CNIL) sont les plus importants, qu’il s’agisse des contrôles préalables par le biais des demandes d’autorisation avant mise en œuvre d’un traitement, ou des contrôles a posteriori. La vigilance de la CNIL s’exerce particulièrement sur les points suivants : 65 HORIZONS BANCAIRES NUMÉRO 339 – DÉCEMBRE • le droit à l’oubli, principe qui oblige la banque à ne 2009 vers des pays non membres de l’Union européenne qui seraient considérés comme « non adéquats » en termes de protection ; • la communication non autorisée de données à des tiers. Outre la cession volontaire de données sans autorisation, la CNIL contrôle et sanctionne de plus en plus toutes les atteintes à la sécurité et à la confidentialité des données, quelle qu’en soit la forme : non respect des règles d’habilitation, absence de code d’accès, système de sécurité insuffisant ou inadapté. Cette atteinte à la sécurité et à la confidentialité des données est en effet aujourd’hui un risque majeur dans un contexte de développement technologique, où les données se dupliquent et se stockent aisément. ◗ plus conserver dans ses traitements actifs des données de clients, passé un certain délai, afin d’éviter tout risque de stigmatisation ; • le droit d’accès et de rectification, qui permet à une personne physique de connaître les raisons qui sous tendent une décision prise à son encontre ou d’en corriger les éventuelles erreurs ; • l’interdiction du détournement de finalité, corollaire du principe de loyauté, qui interdit l’utilisation d’une donnée à d’autres fins que celle pour laquelle elle a été collectée et traitée ; • la garantie de la mise en œuvre d’un régime de protection des données en cas de transfert des données 66 HORIZONS BANCAIRES N U M É R O 3 3 9 – D É C E M B R E 2 0 0 9 Les technologies qui ont fait émerger puis croître le monde numérique depuis cinquante ans continuent de progresser. Une nouvelle ère paraît s’ouvrir alors que plus de 4 milliards d’individus vont disposer d’outils toujours plus puissants et communicants facilitant l’usage de services plus nombreux et innovants. ALAIN ARGILE Direction des études économiques, études industrielles et sectorielles Crédit Agricole S.A. L’avenir à 50 ans Un peu d’histoire pour éclairer l’avenir L’ère numérique a 50 ans : elle est née quand deux ingénieurs américains, Jack Kilby (Texas Instruments) et Robert Noyce (Fairchild Semiconductors) ont réalisé les premiers circuits intégrés. La lignée la plus riche fut celle de Noyce, qui utilisait le silicium comme matériau semi-conducteur. Il créa Intel en 1968 avec Gordon Moore, auteur de la « loi » éponyme qui, en affirmant que le nombre de transistors sur une puce de silicium double tous les deux ans, explique la « numérisation » progressive des appareils électroniques. D’abord les ordinateurs diminuèrent de taille tout en étant capables de réaliser un nombre toujours plus grand d’opérations sur les données. Vinrent ensuite le son numérique et les « compact-disc » qui ont renvoyé les vinyles à leurs pochettes, puis les images éliminant le film argentique du marché en moins d’une dizaine d’années. ment autorisé, Microsoft lance Windows 95, premier système d’exploitation grand public, et le navigateur 1. La simultanéité du développement des nouvelles technologies et de la déréglementation des secteurs des télécommunications et de la finance explique d’ailleurs l’explosion de la « bulle » au début des années 2000. 67 ▼ C’est à la même époque que les découvertes de C. K. Kao, pour lesquelles il a reçu le prix Nobel en 2009, ont ouvert l’ère de l’optique dans les télécommunications. La capacité de transmission des fibres optiques explose alors, donnant naissance au concept « d’autoroutes de l’information ». Parallèlement, la commutation de circuits cède la place à la commutation de paquets qui va progressivement sonner le glas des systèmes propriétaires – et donc coûteux – du monde des télécommunications. La première liaison est établie pour les militaires américains en 1969. Désignant initialement un protocole de communication, Internet devient l’appellation générique du réseau quand Arpanet fut progressivement ouvert aux universitaires puis au grand public. L’année 1995 est un tournant majeur1. L’usage commercial d’Internet est définitive- HORIZONS BANCAIRES N U M É R O 3 3 9 – D É C E M B R E graphique de Netscape permet de surfer facilement sur 2 0 0 9 Toujours plus Ce court résumé historique permet de mesurer l’extraordinaire chemin parcouru ce dernier demi-siècle (cf. figure 1). Il montre également deux tendances majeures : • La loi de Moore permet la miniaturisation des produits et la baisse de leur prix : ils deviennent portables et accessibles à un nombre toujours croissant de personnes. De quelques dizaines de milliers d’utilisateurs en 1980, on en est à plusieurs milliards en 2008, d’où un cercle vertueux toujours à l’œuvre. • Le développement des télécommunications, car tous ces produits et les individus qui les portent, sont désormais connectés et à des débits toujours plus élevés2. Le motto inventé par Ericsson devient donc réalité : l’accès à tout, n’importe où et n’importe quand3. Les hauts débits sont en effet apparus sur les réseaux fixes ce que tout le monde désigne désormais par l’acronyme « www », ou toile mondiale WorldWideWeb. L’histoire de la téléphonie mobile débute également à la toute fin des années 1950, quand Ericsson lance en Suède le premier service automatique de ce nouveau mode de communication. Le terminal pèse alors 40 kg et le service comprend jusqu’à 600 abonnés dix ans plus tard. La première génération réellement portable naît aux États-Unis chez Motorola dans les années 1970 ; la deuxième génération devient numérique en Europe au début des années 90. Les appareils sont de plus en plus performants mais aussi de plus en plus légers et de moins en moins chers. Avec plus d’1,1 milliard d’unités vendues en 2008, c’est désormais l’appareil électronique le plus vendu dans le monde. On recense aujourd’hui plus de 4 milliards d’abonnés, dont 3 milliards dans les pays émergents (cf. graphique 1). G RAPHIQUE 1. Base installée de téléphones mobiles et pourcentage des smartphones dans les ventes annuelles 5 000 000 45 % 4 500 000 40 % 4 000 000 35 % 3 500 000 30 % 3 000 000 25 % 2 500 000 20 % 2 000 000 15 % 1 500 000 10 % 1 000 000 5% 500 000 0% 0 2003 2004 2005 2006 Base installée 2007 2008 Ventes annuelles 2009 2010 2011 2012 2013 % Smartphones Source : Gartner 2. Alcatel Lucent a récemment battu le record mondial en acheminant 155 canaux transportant chacun 100 Gbit/s de données, soit au total 15,5 Tbit/s, sur 7 000 km. Ceci équivaut à la transmission du contenu de 400 DVD en 1 seconde entre Paris et Chicago. 3. “Anything, Anywhere, Anytime”, motto d’Ericsson. 68 L’ a v e n i r à 5 0 a n s A L A I N A R G I L E à partir de 2000 et la masse critique dépassée vers 2005, provoquant une explosion de l’usage et des usages d’Internet. Ce saut qualitatif est également en passe d’être franchi par les réseaux mobiles : les dernières versions 3G4 permettent des débits de plu- véritables « couteaux suisses » numériques et portables, accèderont à Internet via des débits de 50 à 100 Mbits/seconde sur 80 % de la surface du monde habité. Le marché potentiel des différentes déclinaisons (smartphones, consoles de jeux, navigateurs, lecteurs audio ou vidéo, tablettes PC...) pourrait dépasser les 10 milliards d’unités. sieurs Mbits/seconde, du même ordre de grandeur que ceux obtenus sur les réseaux fixes. Une nouvelle révolution de l’usage est donc en cours avec des produits emblématiques comme l’iPhone d’Apple, dont l’ergonomie et la convivialité ont rendu facile l’accès des téléphones mobiles à Internet, et sans doute comme la future « iTablet » du même Apple qui devrait être lancée en 20105. Le monde numérique chemine rapidement. Et même si les progrès sont amenés à ralentir – on se rapproche des limites physiques théoriques de l’électronique sur silicium – la tendance restera la même. À échéance cinq à dix ans, des appareils compacts et multifonctions, Tous ces terminaux feront appel à la mémoire et aux capacités de calcul d’ordinateurs et de serveurs répartis dans le monde et liés par Internet selon le concept de « l’informatique dans le nuage » (cloud computing). Il concrétise, vingt ans après, la vision de Scott McNealy, fondateur de Sun6, pour qui « l’ordinateur c’est le réseau »7. Des datacenters rassemblant des centaines de milliers de serveurs, reliés entre eux par des liaisons optiques à très haut débit, seront à la disposition des entreprises et des particuliers via un simple naviga- F IGURE 1. Monde numérique : moments clefs Nombre d’utilisateurs Anything Anywhere Anytime Téléphonie mobile 3G données bas débit Téléphonie mobile 1G analogique 10 mds Téléphonie mobile 2G numérique Mobile Internet haut débit 1 md 200 m Ordinateurs portables connectés sans fil 100 k 1980 Ordinateurs personnels Ordinateurs personnels connectés Internet 1995 2005 2010 4. 3,5 G HSDPA ; 3,75G HSPA. 5. Pas plus que l’iPhone n’a été le premier « smartphone », l’«iTablet « ne sera pas la première du genre. Toshiba et le Français Archos ont déjà mis sur le marché des produits de ce type. Mais ils ne possède pas l’« Apple Touch »... 6. Acquisition en cours par Oracle dont le PDG, Larry Ellison, partageait alors la même vision alimentée par une opposition commune virulente à Microsoft. 7. “The network is the computer”. 69 HORIZONS BANCAIRES N U M É R O 3 3 9 – D É C E M B R E 2 0 0 9 F IGURE 2. Nuage de mots clefs (Tag Cloud) du Web 2.0 Source : http://images.google.fr teur. Avec le cloud computing, l’informatique se rap- techniques. Tous les progrès dans la capacité de calcul et les débits de connexion n’ont débouché sur une explosion de l’usage que par les améliorations apportées à la facilité d’utilisation et à l’élaboration de nouvelles applications. Le terme (marketing) de Web 2.09 rassemble des technologies centrées sur l’utilisateur, qui ont fait du web un outil relationnel (cf. figure 2). Dans le « Web 2.0 », l’internaute n’est plus seulement un consommateur passif, il devient acteur et acquiert de facto un nouveau pouvoir10. Les contenus créés par les utilisateurs envahissent la toile : vidéos sur YouTube ou DailyMotion11, blogs (20 millions recensés, dont 420 000 permettraient à leurs auteurs d’être rémunérés) ou encore Wikipédia, encyclopédie où chacun peut contribuer à la rédaction d’articles (elle compterait désormais 13 millions d’articles en 250 langues). L’industrie des médias traditionnels est menacée12. proche de l’électricité ; la puissance de calcul devient une commodité à laquelle on accède en se « connectant » sur le Web et que l’on paie à l’usage. Abaissement des barrières à l’entrée (plus besoin d’acheter des matériels et des logiciels) et puissance disponible ouvrent le champ des applications possibles. Les applications de partage de photos, l’utilisation de logiciels comme des services (SaaS8), ou encore les jeux en ligne en sont les premiers exemples. Amazon d’abord, Google ensuite et progressivement tous les grands acteurs (américains) de l’informatique et de l’Internet ont développé des offres techniques et commerciales pour les entreprises, mais aussi pour les particuliers. L’iPhone montre que le succès d’un produit dépend plus de son design, de la facilité d’utilisation et de la richesse des applications portées que de ses performances 8. Software as a Service. 9. Tim O’Reilly : http://oreilly.com/web2/archive/what-is-web-20.html 10. Voir sur ce sujet : « Le nouveau pouvoir des internautes », M.E. Carrasco, F.X. Hussher, C. Hussher (Timée Edition, 2006) ; « Comment le Web change le monde », par F. Pisani, D. Piotet (Pearson, 2008). 11. Ces sites ont démontré leur puissance en diffusant les dérapages verbaux de responsables politiques. 12. Voir Éclairage n° 137 : Laurent Collet, « La presse voit son avenir en ligne ». http://etudes-economiques.credit-agricole.com 70 L’ a v e n i r à 5 0 a n s A L A I N A R G I L E Autre phénomène à noter, le monde s’horizontalise. Les réseaux d’individus s’organisent avec des lieux de partage et d’échange. Le premier réseau social mondial, Facebook, compte ainsi plus de 300 millions de membres. Quant à Twitter, qui se développe sur les mobiles, il en compterait 18 millions à fin 2009. De même, une multitude de nouveaux services émergent. Ils tablent toujours sur la désintermédiation mais y ajoutent les atouts du Web 2.0 : facilité d’usage, création de communautés et participation active des internautes. La forte baisse des barrières à l’entrée leur permet d’exploiter des micro-niches de marché (« longue traîne »13). Le monde bancaire est directement concerné par ces évolutions. Très présents sur la toile, banques et paiements en ligne connaissent un fort développement après un début difficile lors de la première vague Internet. Par ailleurs, des projets « très Web 2.0 » initiés en dehors de la sphère bancaire traditionnelle, tels que Prosper, Zopa, Smava, Boober..., cherchent à capitaliser sur le désamour entre consommateurs et banques après la crise financière en mettant directement en contact offreurs de capitaux et demandeurs de prêts. On notera également le rôle croissant joué par les sociétés non bancaires. Acquis par eBay, Paypal a été le pionnier et reste loin devant. Mais de plus en plus de grands acteurs, venant notamment de l’univers des mobiles, proposent ou vont proposer leurs propres services financiers. Côté constructeurs, Nokia a ainsi lancé Nokia Money en 2009. Les opérateurs téléphoniques ne devraient pas, non plus, être absents : le président-directeur général de NTT DoCoMo a par exemple déclaré, il y a plus de quatre ans maintenant, que la banque était l’avenir des opérateurs mobiles. Selon le cabinet Gartner, le transfert d’argent et les paiements par mobiles figurent dans les dix premières applications grand public qui se développeront sur les mobiles d’ici 2012. Dans les pays émergents, où les réseaux de télécommunications mobiles sont parmi les seules infrastructures à fonctionner correctement, les opérateurs sont très actifs sur ce créneau depuis deux ans déjà. Une nouvelle ère Internet s’installe14. On aurait tort de penser qu’elle connaîtra le même sort que la précédente. La combinaison de terminaux aux fonctions multiples, plus nombreux et surtout plus communicants, avec des outils logiciels facilitant les usages et multipliant l’offre de services, est sans précédent. Deux freins persistent cependant. La sécurité d’abord, qui reste le talon d’Achille de la toile. L’autre est culturel. Mais les « natifs numériques » (« digital natives ») sont aujourd’hui bien plus nombreux qu’il y a dix ans : le monde numérique est un quinquagénaire plein d’avenir ! ◗ 13. “The Long Tail: Why the future of Business is Selling More for Less”, Chris Anderson (Hyperion, 2006). 14. http://www.clipevents.tv/cedap-serge-soudoplatoff/ 71 HORIZONS BANCAIRES NUMÉRO 339 – DÉCEMBRE 2009 La crise financière récente nous remet face à quelques questions fondamentales. Qu’est-ce que l’argent ? Quel est son lien avec la morale et avec l’éthique ? Comment ce lien s’est-il transformé avec la révolution numérique ? Quelques pistes de réflexion pour ouvrir le débat et tenter de préparer au mieux l’après-crise. LUC DE BRABANDÈRE The Boston Consulting Group LAURENT HUBLET The Boston Consulting Group Argent, éthique et technologie : quelques réflexions pour mieux construire l’après-crise « UNE COMPAGNIE DE CHEMIN DE FER A SON IMMENSE MATÉRIEL, QUI FAIT SES RECETTES ; tandis que le vrai matériel d’une banque est son crédit ; elle agonise, dès que son crédit chancelle. » Peut-être cette phrase aurait-elle pu être prononcée par un expert interrogé il y a quelques mois par Les Échos au sujet de la crise des subprimes, n’est-ce pas ? Elle est pourtant extraite d’un livre publié par Émile Zola, il y a plus d’un siècle, sobrement intitulé « L’Argent ». Zola y décrit la frénésie autour d’une société créée par l’intrigant Sacart, l’élévation progressive du cours de bourse de la société doublée de l’ascension sociale du directeur, puis la chute brutale entourée de rumeurs de malversations et la débâcle qui s’en suit. Bien sûr, beaucoup de choses ont changé dans l’univers financier depuis la publication de « L’Argent » : le téléphone a remplacé la criée dans la corbeille, puis il a lui-même été supplanté par les plateformes d’échanges électroniques. De nouveaux produits financiers, plus complexes sont apparus ; des acteurs importants tels que les agents de change ont disparu. Et pourtant, de nombreux éléments de « L’Argent » trouvent un écho étonnant dans l’actualité financière de ces derniers mois : l’accès à l’information et plus particulièrement le rôle de la presse financière, les croyances collectives qui se transforment en peurs incontrôlées, le manque de réactivité de certains conseils d’administration où trônent « des muets et des aveugles ». Pourquoi donc, cent ans après, a-t-on alors un peu l’impression que « rien n’a changé sous le soleil » ? Vaste et ambitieuse question, à laquelle nous ne donnerons certainement pas une réponse définitive. Notre 72 Argent, éthique et technologie : quelques réflexions pour mieux construire l’après-crise LUC DE BRABANDÈRE ET but est plutôt d’esquisser des pistes, en nous attachant à montrer la chose suivante : au cœur de la notion de finance, il existe une distinction entre l’élément collectif (« monnaie ») et l’élément individuel (« argent ») ; cette distinction est analogue à celle que l’on retrouve dans de nombreuses activités humaines, entre la morale et l’éthique. L’incroyable évolution technique liée à l’argent LAURENT HUBLET relation est vue sous une forme collective. Si la monnaie a une nationalité, l’argent est alors universel (ou presque). En tant qu’individu, on ne possède pas de monnaie2. Cette distinction sémantique remonte en fait à l’époque latine, où « argent » se disait pecunia (dérivé de pecus, le bétail, que l’on peut compter) et « monnaie » par moneta (issu du temple de Junon Moneta, où l’Empire battait monnaie). La distinction argent/monnaie a d’ailleurs donné des idées à certains. Dans un discours prononcé à l’occasion de la signature du traité de Maastricht de 1992, François Mitterrand opposait, sémantiquement et idéologiquement, la monnaie – instrument de la richesse collective et institution qui cimente les nations – à l’argent, qu’il présentait comme le symbole de l’accumulation de la richesse individuelle et de la passion égoïste. « Le règne de l’argent, quand il y a un certain refus d’en partager les profits est une cause de dégradation morale » disait à l’époque le président français3. On trouve en philosophie morale un couple présentant d’étonnantes similitudes avec le couple argent/ monnaie : l’éthique et la morale. L’éthique, c’est un système de règles personnelles ; elle distingue le bon a considérablement modifié notre rapport à ce dernier ; pourtant, la crise actuelle nous montre bien que l’argent reste profondément lié à l’éthique, seule à même de générer la confiance indispensable à l’équilibre du système financier. Argent ou monnaie ? Pour désigner l’élément monétaire, le français (comme de nombreuses autres langues, l’anglais par exemple) fait la distinction entre l’argent (money) et la monnaie (currency)1. L’argent, c’est le support individualisé ou individualisable. La relation entre l’individu et l’élément matériel est vue sous un prisme subjectif. De ce fait, on peut non seulement posséder de l’argent mais également émettre des jugements sur celui-ci (l’aimer, le détester...). La monnaie, c’est le support institutionnalisé ; la G RAPHIQUE 1. Typologie des liens entre l’argent, la monnaie, l’éthique et la morale Argent Monnaie • Je : étalon qui relie l’individu • Nous : étalon qui relie à une chose les individus d’une communauté • Valeur subjective • Valeur collective Régulation, contrôle prudentiel Confiance Ethique Morale • Je : système de règles personnelles • Nous : système de règles collectives établies par la communauté • Distingue le bon du mauvais • Distingue le bien du mal Source : Luc de Brabandère et Laurent Hublet 1. Il y a d’ailleurs eu un glissement sémantique intéressant du français vers l’anglais : l’élément collectif « monnaie » en français a donné lieu à l’élément individuel « money » (« argent » et non « monnaie ») en anglais. 2. Le français ne nous facilite pas la vie, comme souvent... On peut bien sûr posséder de la monnaie, au sens de quelques pièces perdues au fond d’une poche, mais chacun reconnaîtra qu’il s’agit « d’argent » et non de « monnaie » au sens dont on parle ici. 3. Voir : Goux J.-J., « Frivolité de la valeur - Essai sur l’imaginaire du capitalisme », Blusson, Paris, 2000. 73 HORIZONS BANCAIRES NUMÉRO 339 – DÉCEMBRE du mauvais. Par contre, la morale repose sur un 2009 Pour cette raison, l’éthique de l’argent est une éthique de la promesse, où la notion de confiance est centrale5. En effet, quand la confiance se rompt, la ensemble de règles établies par une communauté ; elle distingue le bien du mal4. L’analogie entre la distinction argent/monnaie et la distinction éthique/morale est tentante : chaque premier terme a une forte connotation individuelle et subjective, chaque second terme une connotation collective et institutionnelle (voir graphique 1). promesse n’est plus et l’argent cesse d’exister ; il reste peut-être un morceau de papier (un billet, une action), dérisoire car sans valeur. C’est notamment pour cette raison, très simple finalement, que la confiance d’un client dans sa banque est fondamentale, ou que la perte de confiance des acteurs financiers dans la solvabilité d’une institution peut avoir les conséquences que l’on a vues récemment. Quelle éthique de l’argent ? La monnaie est d’ordre collective, son bon fonctionnement est régi par des règles : on peut donc dire que la morale de la monnaie, c’est la régulation prudentielle. Ce n’est d’ailleurs pas pour rien que certains parlent de « bible » des banquiers à propos de Bâle II : on y dit ce qu’une banque doit faire, on y distingue le bien du mal dans l’activité bancaire. Sans plus. Les partisans d’un retour à une régulation plus forte du marché bancaire veulent donc « moraliser » la pratique financière. Mais est-ce bien cela qui a posé problème ? Ne passe-t-on pas alors à côté de l’aspect « éthique/argent » ? Si l’argent peut être mis en parallèle avec l’éthique, quelle est alors la nature de ce lien ? Une éthique ayant trait à l’argent vise à permettre que ce dernier remplisse au mieux sa fonction. Or, l’argent n’est pas une fin en soi, il vise à faciliter l’échange et à acquérir d’autres biens. La société se moque d’ailleurs de ceux qui confondent le moyen avec la fin : les pingres, les dépensiers compulsifs... La tirade de l’avare dans la pièce éponyme de Molière montre avec humour et férocité le ridicule d’un personnage épris d’argent comme d’autres le sont d’une femme, de leurs enfants ou même de leur animal domestique. Pour remplir convenablement sa fonction, l’argent doit donc circuler. Mais cela ne suffit pas. Pour que vous acceptiez de céder un bien (votre voiture par exemple) contre une somme d’argent, qui n’est jamais que la promesse de pouvoir acheter un jour un autre bien (une autre voiture, une semaine en thalasso...), il faut que vous ayez confiance dans la persistance de cette promesse. Comment la technique a-t-elle changé l’argent ? Au cours de l’histoire, l’argent a pu prendre des formes multiples, et cela importe peu finalement puisque le support sert uniquement à matérialiser un lien social, une promesse. Pourtant, certains auteurs n’hésitent pas à annoncer la fin prochaine de l’argent, liée à la révolution numérique. Pour Joël Kurtzman par exemple, dans son livre « The Death of Money6 », l’argent a perdu sa fonction de communication entre les individus d’une organisation ou d’un groupe social. Dès lors, l’argent est mort et a cédé la place au « megabyte money », un langage électronique, formé exclusivement de bits 0 ou 1. On ne peut pas tout à fait lui donner tort : en mémorisant quelques chiffres de son numéro de carte de crédit et son code secret, il est possible, même à un voleur, d’acheter n’importe quel bien (ou presque) sans aucun support économique matériel. Plusieurs changements fondamentaux dans notre rapport à l’argent ont eu lieu avec la révolution numérique ; loin de faire disparaître l’argent, nous pensons qu’ils ouvrent de nouvelles perspectives d’innovations aux acteurs financiers. Ainsi par exemple, le développement de la banque en ligne a créé un nouveau rapport, désindividualisé, entre le client et sa banque. Le client exige une maîtrise « en temps réel » de sa gestion financière (pour ses passages d’ordres en bourse par exemple), mais il y a en réalité une double réduction de l’espace-temps : les choses peuvent être faites tout de 4. Voir : de Brabandère L. (en collaboration avec Stanislas Deprez), « Le Sens des idées », Dunod, Paris 2004. 5. La promesse est tellement importante qu’elle est même signée sur chaque billet par le directeur de la banque centrale. 6. Kurtzman J, « The Death of Money: How the Electronic Economy Has Destablized the World’s Markets and Created Financial Chaos », New York, Simon and Schuster, 1993. 74 Argent, éthique et technologie : quelques réflexions pour mieux construire l’après-crise LUC DE BRABANDÈRE ET LAURENT HUBLET G RAPHIQUE 2. Évolution de la typologie des liens entre l’argent, la monnaie, l’éthique et la morale Argent Ethique Élargissement du champ régulatoire Ouverture sur l’illimité Désindividualisation des rapports bancaires Confiance « intensive » Monnaie Nouveaux acteurs ? Quelle confiance leur accorder Morale Sourcce : Luc de Brabandère et Laurent Hublet The Economist7, montre les nouvelles perspectives offertes par ces bouleversements. Dans de nombreux pays africains, l’obtention d’argent liquide est un processus souvent long et fastidieux : il faut prendre le bus jusqu’à la ville, patienter dans la file d’attente à la banque, être muni de ses papiers... Pour les sociétés de télécom, cela posait d’ailleurs problème : les clients ne disposaient pas de cash pour pouvoir acheter des recharges pour leur portable. Un brainstorming efficace a transformé le problème en aubaine : nombre d’opérateurs télécom africains se sont lancées dans le « mobile money ». Par l’envoi d’un simple SMS, un client peut envoyer de l’argent à un autre client qui va le retirer auprès d’une boutique de l’opérateur. Plus de voyage, plus de file, et l’opérateur télécom s’est mué en banquier, voire même un banquier central puisqu’il « émet » sa propre monnaie. Le développement de monnaies complémentaires, à l’exemple des miles aériens dont le volume ouvert dépasse les montants de billets de dollars en circulation8, est révélateur des suite et à tout moment, puisque le répondant n’est plus un homme mais une machine. Le client a l’impression d’être en prise directe avec son argent, ou presque ; le banquier se fait transparent. Quelle conclusion éthique en tirer pour le banquier ? La notion de confiance se serait-elle amoindrie ? Certes, dans ses transactions quotidiennes, le client a sans doute moins besoin d’être rassuré. Mais que se passerait-t-il par exemple le jour où tous les systèmes seraient en panne ? Où s’ils étaient détruits ? La probabilité de ce genre d’événement est infime, chacun en conviendra, mais ils n’en sont pas moins générateurs d’une certaine peur, liée à la survenance de catastrophes majeures. Le rapport de confiance évolue donc ; il est plus ponctuel et lié à des événements extrêmes. On pourrait l’appeler la « confiance intensive », pour faire un parallèle avec le monde hospitalier et les soins intensifs prodigués aux patients dans un état critique. La monnaie n’échappe pas non plus à la révolution digitale. Un exemple, récemment mis en évidence par 7. The Economist, «The Power of Mobile Money », 16 Septembre 2009. 8. Pour cette raison, The Economist n’avait pas hésité à titrer il y a quelques années sur la fin du leadership du dollar : « the dollar has already been toppled as the world’s leading currency. (...) It has been superseded not by the euro, nor by the yen or yuan, but by another increasingly popular global currency: frequent-flyer miles. » (The Economist, 6 Janvier 2005). 75 HORIZONS BANCAIRES NUMÉRO 339 – DÉCEMBRE nouvelles perspectives monétaires ouvertes à des 2009 En conclusion, on peut dire que l’argent ouvre toujours sur une promesse, celle de permettre à tout individu (ange ou voleur) d’acquérir le bien de son choix. En corolaire de cette promesse, qui constitue le cœur même de l’activité financière, les acteurs du monde financier ont le devoir de maintenir la confiance indispensable à la pérennité de l’argent. La forme que revêt cette confiance évolue au gré des (r)évolutions technologiques, et les acteurs du monde financier doivent s’adapter à ces nouveaux besoins des clients. Par ailleurs, de nouvelles perspectives liées à la monnaie s’ouvrent, à la fois pour les acteurs bancaires mais également pour de nouveaux acteurs (sociétés actives dans d’autres secteurs ou inexistantes aujourd’hui), qui pourraient constituer les grands concurrents de demain. Cependant, malgré les bouleversements technologiques de ces dernières décennies, l’essence de l’argent – rapport social d’échange incarné dans une réalité plus ou moins matérielle – ne change pas. La confiance reste un élément primordial de la pérennité de l’activité financière, ce qui rend quelques histoire vieilles d’un siècle ou plus encore, étonnement actuelles... ◗ acteurs non bancaires. Et il est bien clair que ces changements impliquent des évolutions dans la « morale de la monnaie ». En effet, dans le cadre de cette « ouverture monétaire sur l’illimité », une compagnie aérienne, un constructeur de voiture ou un concepteur de site internet peuvent s’arroger des prérogatives de banquier, pratiquement du jour au lendemain. Ceci ouvre de nombreuses questions, pour toutes les parties prenantes. De nouvelles formes d’activité monétaire engendrent-elles de nouveaux concurrents sur le long terme, tels que par exemple les opérateurs de télécommunication ? Quelle confiance les clients peuvent-ils avoir dans ces nouveaux acteurs monétaires ? Quelles règles faut-il promulguer pour garantir la stabilité du système ? Les nouveaux acteurs ne seraient-ils pas privilégiés par rapport aux acteurs financiers classiques, du fait qu’ils ne seraient pas soumis aux mêmes règles prudentielles ? Ne faudrait-il pas dès lors élargir le champ de la régulation monétaire ? 76 HORIZONS BANCAIRES NUMÉRO 339 – DÉCEMBRE 2009 SERVICE AUX LECTEURS ABONNEZ-VOUS GRATUITEMENT À NOS PUBLICATIONS ÉLECTRONIQUES Internet : http://www.credit-agricole.com - Études Économiques NUMÉROS DISPONIBLES SUR NOTRE SITE INTERNET 325 À nos marques ! 326 Agriculture et ruralité dans les pays en développement 327 Banque de financement et d’investissement : modèles et développements 328 Face aux risques extrêmes : banques et assurances 329 Conformité : pourquoi et comment 330 Les services à la personne 331 Le Financement des PME en France 332 Des PME et des territoires 333 Banque privée : mutations et défis 334 La microfinance au carrefour du social et de la finance 335 Dynamiques démographiques : une révolution socioéconomique 336 Dynamiques démographiques : quelles stratégies bancaires ? 337 Partenariats public-privé : un nouvel élan pour la commande publique 338 Les moyens de paiement, pierre angulaire de l’intermédiation financière 339 Banque de détail et innovations technologiques 77 HORIZONS BANCAIRES NUMÉRO 337 – NOVEMBRE 78 2008 HORIZONS BANCAIRES NUMÉRO 339 – DÉCEMBRE 79 2009 HORIZONS BANCAIRES N U M É R O 3 3 9 – D É C E M B R E 2 0 0 9 HORIZONS BANCAIRES N U M É R O 3 3 9 – D É C E M B R E 2 0 0 9 D I R E C T E U R D E L A P U B L I C AT I O N Jean-Paul Betbèze RÉDACTION EN CHEF Rémy Contamin - Serge Oppenchaim S E C R É TA R I AT D E R É D A C T I O N Véronique Champion-Faure C O N TA C T p u b l i c a t i o n . e c o @ c re d i t - a g r i c o l e - s a . f r Crédit Agricole S.A. Direction des études économiques 75710 Paris Cedex 15 Tél.: 01 43 23 69 02 - Fax: 01 43 23 58 60 I n t e r n e t : h t t p : / / w w w. c re d i t - a g r i c o l e . c o m - É t u d e s É c o n o m i q u e s A b o n n e z - v o u s g r a t u i t e m e n t à n o s p u b l i c a t i o n s é l e c t ro n i q u e s M I S E E N PA G E Bleu comme une Orange R É A L I S AT I O N C.A.G. IMPRESSION Crédit Agricole S.A. ISSN 2105-2328 « Cette publication reflète l’opinion de Crédit Agricole S.A. à la date de sa publication, sauf mention contraire (contributeurs extérieurs). Cette opinion est susceptible d’être modifiée à tout moment sans notification. Elle est réalisée à titre purement informatif. Ni l’information contenue, ni les analyses qui y sont exprimées ne constituent en aucune façon une offre de vente ou une sollicitation commerciale et ne sauraient engager la responsabilité du Crédit Agricole S.A. ou de l’une de ses filiales ou d’une Caisse Régionale. 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