Observations sur la fourmi saharienneCataglyphis Bombycina Rog
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Observations sur la fourmi saharienneCataglyphis Bombycina Rog
Mt~MOIRES ORIGINAUX OBSERVATIONS SUR LA FOURMI S A H A R I E N N E C A T A G L Y P H I S B O M B Y C I N A ROG. par G6rard DI~LYE (Laboratoire de Zoologie, .Facult~ des Sciences, Alger, Alg~rie.) Au cours d'un s6jour de quinze jours (du 23 mars au 6 avril t956) au Centre de Recherehes sahariennes de Beni-Abb6s, dont ]e laboratoire de zoologie a 6t6 mis ~ ma disposition par M. MENCHIKOFF,j'ai pu effeetuer quelques observations sur l'habitat et le comportement de Cataglyphis bombycina l%g. Cette Fourmi, remarquable par sa pilosit6 argent6e, ses tr6s grands palpes maxillaires et les mandibules d6mesur6es de ses (( soldats )~, est commune dans tout le Sahara. Pourtant peu d'auteurs ont 6tudi6 sa biologie : LAMEERE S. Biskra, SANTSCHI dans le Sud tunisien, et BERNARD au Fezzan, puis au Tassili des Ajjer, sont /~ peu pr6s les seuls ~ s'en 6tre pr6oecup6s. NID Dans la vall6e de la Saoura, le nid est eonforme au type du Fezzan d6crit par F. BERNARD (19/~8, p. 109, P]. I). J'ajouterai seulement quelques pr6cisions. Presque toujours ereus6 dans du sable pur, mais stabilis6, le nid est fr6quemment abrit6 par une touffe de v6g6tation. I1 peut oeeuper une surface importante : j'ai fouill6 un hid qui s'6tendait sur plus de l0 m 2 et poss6dait einq orifices. La disposition g6n6rale est tr6s semblable d'un hid A l'autre, sauf lorsque des pierres ou des racines g6nent le travail des ouvri6res. Le plus souvent, on trouve un r6seau de galeries superficielles (de 3 5 cm sous la surface ) desservant quelques chambres rides ou ~ demi INSECTES SOCIAUX, TOME IV, N~ 2, 1957. 6 78 G~anno ~)~LYE remplies de cadavres de Fourmis et de d~bris d'Insectes divers. Des L4pismes et des Col~opt~res du genre Thorictus y vivent piesque toujours. Ces galeries, creus~es dans un sable pratiquement see, ne semblent ~tre que des voies de circulation (l). Plus profond~ment (de 20 ~ 30 cm sous la surface) se d~veloppe un deuxi~me r~seau de galeries donnant ace,s aux chambres d'habitation. Ce dernier communique avec l'~tage sup~rieur par des puits ~ peu pros verticaux. A c e niveau se trouvent les reines, les larves, les jeunes sexu~s pr~ts pour l'essaimage (qui avait commenc~ pour quelques nids). Le sable est ici ~ peu pros pur de limon (particules de moins de 0,02 mm de diam~tre). Une analyse granulom~trique sommaire donne en moyenne : 50 % de particules d'un diam~tre compris entre 0,5 et 0,16 mm et 50 % entre 0,~6 et 0,05 ram. Les particules plus fines, apport~es par le vent ou par l'eau, restent en surface, formant une crofite plus ou moins r~sistante. La cohesion des grains de sable est uniquement assur~e par l'eau (2,5 3 % du poids du sable humide), qui maintient en m~me temps un degr~ hygrom~trique ~lev~ favorable aux larves. Cette humidit~ persiste toute l'ann~e (peut-~tre avec une valeur plus faible en saison s~che). Les dunes stables et les zones de sables poss~dent, en effet, une v~g~tation qui trouve en toute saison assez d'eau pour rester verte, et sont utilis~es comme paturages d'~t~ par les pasteurs indig~nes. Dans cette partie du nid, la temperature ne varie que dans d'~troites limites, se maintenant aux environs de 20 ~ C, tandis qu'elle peut atteindre 65 ou 50 ~ C, ~ i cm sous la surface au d~but de l'apr~s-midi (dans les premiers jours d'avril). Un milieu aussi favorable autorise l'absence d'adaptation des larves h la s~cheresse. COMPORTEMENT J'ai essay~ de v~rifier le rSle des ouvri~res /~ grandes mandibules, les (( soldats )). Peu agressifs, ils ont ~t~ consid~r6s par SANTSC~I comme des individus adapt~s au transport de grosses charges de sable. Ce rSle est douteux : j'ai rarement vu travailler les (( soldats )), et dans ce cas leur charge n'est pas plus grosse que celle des ouvri~res ~ mandibules normales. Par contre, il est frequent de voir, au milieu d'un groupe de grandes et moyennes ouvri~res occupies ~ charrier des boulettes de sable, des <(soldats)) inactifs qui les bousculent et les g~nent. (La faible activit~ des grandes ouvri~res est d'ailleurs fr~quente chez les Fourmis.) En cas d'attaque de la fourmili~re, les (( soldats )) courent en tous sens, les mandibules largement ouvertes, et mordent tout ce qui passe ~ leur port,e, ffit-ce une ouvri~re de la m~me colonie. Et, alors que les ouvri~res (l) Au bord de la Saoura, certains nids sont situ~s dans la zone d'~pandage des crues (il serait int~ressant d'y observer le comportement des Fourmis en cas d'inondation) et le plafond des galeries superficielles est form~ par ]a crofite dess~ch~e de limon apport~ par l'oued. OBSERVATIOS/S SUR LA,FOURMI SAHARIE1NNE 79 ne desserrent plus leurs mandibules lorsqu'elles ont mordu, ces derniers l~chent prise rapidement. Le plus souvent, ils se contentent de menacer l'ennemi avant de battre en retraite. Bien que tr@s efficacement outill@s, ils ne font aucun travail suivi hors du nid : plusieurs ouvri@res essayaient d e transporter le cadavre sans pattes ni antennes d'un Zophosis (Col@opt@re t@n@brionide arrondi et t@guments ]isses) qu'elles n'arrivaient pas ~ saisir. Un (c soldat ~ passe, 5m FIG. t et 2. T r a n s p o r t d ' u n s o l d a t p a r une g r a n d e ouvri~re. enl@ve ais@ment le fardeau dans ses mandibules, mais l'abandonne quelques centim@tre s pius loin et s'en va. On a constamment de tels exemples d'activit@ incoh@rente qui portent ~ penser (en accord avec l'opinion de LXMEERE) que les ~csoldats ~ seraient ~ peu pr@s inutiles ~ la colonie. II est assez fr@quent de voir un soldat transport@ par une ouvri@re de grande taille. Je n'ai jamais vu l'inverse, pas plus que le transport d'une ouvri@re par une autre. La position la plus fr@quemment adopt@e par les deux partenaires est celle que repr@sente la figure 2. Elle est habituelle chez les Formicidce, en particulier chez Cataglyphis bicolor Fab. et les Formica. Je n'ai malheureusement pas pu assister aux pr@liminaires du portage, ceux-ci se d@rou- 80 GERARD DELYE lant dans le nid. La Fourmi porteuse sortait avec son fardeau, soit pour le d6poser un peu plus loin, soit pour rentrer au nid par un autre orifice. Assez rarement, la position est invers6e, le (( soldat )) 6tant cette fois audessus de l'ou;cri~re porteuse (fig. i). Cette fagon de faire ~tant celle des Myrmicidx, il est remarquable de la voir utilis~e par un Cataglyphis. Habitant dans le sable, Cataglyphis bombycinaest particuli~rement apte transporter et ~ d~blayer ce mat~riau. Le travail de transport est ex~cut6 par les grosses et par les moyennes ouvri~res. Creusant dans les galeries, elles 6vacuent des boulettes de sable humide entre leurs mandibules. On peut alors constater que ce sont les palpes, tr~s d6velopp~s et pourvus Fig. 3. - - T r a n s p o r t de sable p a r une ouvri~re. Fig. 4. - - Ouvri~re c r e u s a n t d a n s le sable sec. L'6chelle est v a l a b l e p o u r les figures t , 2 e t 4. La figure 3 est e n v i r o n 1,5 fois plus grossie, de grandes soles, qui supportent la b o u l e d e sable, les mandibules servant surtout h la maintenir lat6ralement (fig. 3). C'est sans doute la raison pour laquelle les (( soldats )), lorsqu'ils travaillent, portent des boulettes de taille relativement faible, leurs palpes n'~tant pas plus d~velopp6s que ceux des grosses ouvri~res. (Jamais je n'ai pu, comme SA~TSCHI, les voir utiliser leurs mandibules pour charrier des boulettes de taille importante.) En regardant une Fourmi porter une petite boulette, on peut voir que celle-ci est nettement sous les mandibules, qui ne peuvent donc pas la supporter. Lorsqu'il s'agit de d6blayer le sable sec que le vent ne cesse d'accumuler aux orifices du hid, la technique employ6e est tout autre. Camp6es sur leurs deux paires de pattes post6rieures, les ouvri~res (parfois les (csoldats ))) envoient le sable en arri~re, sous leur gastre relev~, ~ l'aide de leurs deux pattes ant~rieures (l) actionn6es alternativement (fig. 4). Ce travail est fait le matin ou le soir, rarement au milieu du jour (2). Une ouvri~re commence h creuser ; quelques secondes apr~s, une deuxi~me l'imite. Au bout de quelques minutes, il y a l0 ou 15 ouvri~res, rang6es en demi-cercle, la t~te vers l'orifice du nid, qui creusent fr6n6tiquement. Tout leur corps, (i) Je n ' a i p a s v u l e s f o u r m i s creuser h l'aide de leurs p a t t e s post6rieures, c o m m e le r a p p o r t e LAMEERE. (2) AU m i l i e u d u jour, il y a, s i n o n u n arr~t total, c o m m e chez les Messor, d u m o i n s une dimin u t i o n n e t t e de l ' a c t i v i t ~ des fourmis hors du nid. OBSERVATIONS SUR LA FOURMI 8i SAHABIENNE et surtout le gastre, est alors anim~ de rapides vibrations analogues fi celles que l'on observe chez divers Sphegidce qui creusent le sable. L'aisanee avec laquelle C. bombycina travaille le sable lui permet de vivre dans des endroits off aucune autre Fourmi ne peut la concurrencer. C. bicolor, par exemple, est incapable de d~blayer le sable see. J'en ai plusieurs lois d~pos~ sur les orifices des nids de cette esp~ce. Les ouvri~res, apr~s avoir longuement h~sit~, finissent le plus souvent par creuser un nouvel orifice. Ce n'est que par hasard qu'elles parviennent, h force de pi~tiner, ~ d~gager l'entr~e du nid. RI~SISTANCE A LA SI~CHERESSE ET A L'INSOLATION J'ai simplement compar~ sous ce rapport C. bombycina et une esp~ce voisine, C. bicolor, qui vit dans des lieux moins arides. l~tant sommairement ~quip6, j'ai op~r~ en plein air, en exposant des Fourmis au soleil dans des cristallisoirs garnis d'un peu de sable sec. Voiei le d~tail d'une experience : D~but ~ it h. 30, fin ~ i8 h. Contr51e routes les trente minutes. La temperature du sable des cristallisoirs a rdgulihrement baiss~ : 45 ~ k i t h. 30, 40 ~ ~ ~6 heures et 35 ~ h ~8 heures. La temperature de Fair est rest~e voisine de 29 o. I1 souffiait un vent moyen, puis fort, dont les sujets ~taient abrit~s. L'humidit~ de l'air s'est maintenue entre i2 et i4 ~ Dix-huit C. bombycina de tailles vari~es (5 (( soldats )), 5 grosses ouvri~res, 3 moyennes et 5 petites) et II C. bicolor sont plac~es dans deux cristallisoirs. Toutes ces Fourmis viennent d'etre captur~es. Imm~diatement, les C. bombycina cherehent fi s'enfouir ; elles recommenceront plusieurs lois au cours de l'exp~rience. Au bout de deux heures : 3 C. bombycina sont mortes. Au bout de trois heures : i4 C. bombycina et 2 C. bicolor sont mortes. Au bout de quatre heures et demie : i6 C. bombycina et 4 C. bicolor sont mortes. Au bout de six heures et demie, l'exp~rience est arr~t4e : 16 C. bombycina sont mortes. I1 reste un (( soldat )) apparemment en bon ~tat et une grosse ouvri~re en train de mourir. 4 C. bicolor seulement soar mortes, 3 sont bien vivantes et 4 commeneent ~ donner des signes de faiblesse. D'autres experiences, plus sommairement conduites, m'ont donn~ des r~sultats semblables. C'est sans doute en partie grace ~ sa taille plus forte en moyenne que C. bicolor r6siste mieux que C. bombycina. Les grosses ouvri~res et [es (( soldats )) de C. bombycina sont ~ peu pros de la m~me taille que les ouvri~res de l'autre esp~ce. Mais C. bombycina poss~de de petites ouvri~res de couleur claire qui sont peu r6sistantes (elles sortent d'ailleurs moins que les grosses et semblent surtout prendre soin des larves). [PL. I] 82 GERARD D]~LYE J'ai aussi compar~ entre elles des ouvri~res de C. bombycina de m~me taille, intactes ou d~barrass~es de leur pubescence argent~e. Je n'ai pas pu rioter d e difference de r~sistance qui aurait confirm6 le r61e protecteur de ce rev~tement. Cette esp~ce, qui n'est donc pas particuli~rement r~sistante, survit dans des lieux tr~s arides, vraisemblablement en ~vitant, grace ~ sa rapiditY, de rester expos~e trop longtemps h la s~cheresse. E~ R~SUM~ : C. bombycina, bien que ne poss~dant pas tree grande r6sistance ~ la s6cheresse , habite des zones sableuses trbs arides. Mais son nid, malgr~ sa faible throf6r/deur, est toujours humide. L'efficacit~ avec laquelle cette esp~ce travaille le sable est sa meilleure adaptation / t c e milieu. L'observation des <( soldats ), (dont le r61e dans la colonie semble ~ peu pros nul) m'a permis de les voir se faire transporter par les grosses ouvri~res, parfois d'une fagon inhabituelle chez les FormicidEe. Summary. The nest is excavated in pure sand according to an uniform plan. It is not hauly (30 cm) but always damp, and its temperature is never very high. The "soldiers", (workers with large mandibles) seem to play no part in the nest. They are often carried b y the normal workers. The workers dig and carry the sand in a very efficient way, either with their fore legs (dry sand) or with their mandibles and palps (damp sand). A simple experience has shown that C. bombycina, in spite of its desertic habitat, cannot indure dryness and heat so well as C. bicolor, which dwell in the oases. BIBLIOGRAPHIE t948. BERNARD (F.). - - Les Insectes sociaux du Fezzan. F o u r m i s (Institut de recherches sahariennes de l'Uni~ersitd d'Alger. Mission au Fezzan, 1944-1945, p. 87-183). - t951. A d a p t a t i o n au milieu chez les F o u r m i s s a h a r i e n n e s (Bull. Soc. Hist. nat. Toulouse, 86, p. 88-96). - - 1953. Les F o u r m i s du Tassili des A j j e r (Institut de recherehes sahariennes de l'Unieersitd d'Alger. Mission au Tassili 1949, p. 1-t31). t902. LAYIEERE (F.). - - Notes sur ]es mceurs des F o u r m i s du S a h a r a (Ann. Soc. Ent. 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Le diambtre de l'orifice du hid est d ' e a v i r o n ~,5 era. [p. ~l]