SE COMPORTER

Transcription

SE COMPORTER
Chapitre 3
se comporter
en new-yorkais
Où l’on découvrira comment le savoir-vivre new-yorkais s’est forgé
à la croisée des chemins entre Vieille Europe et Nouveau Monde.
Où l’on sera présenté à la véritable New-Yorkaise.
Où l’on
tentera de définir l’humour new-yorkais, sous la houlette de spécia‑
listes du domaine. Où l’on glorifiera le roi dollar.
Où l’on se mettra
au diapason d’une ville dont les habitants se montrent soucieux de
leur apparence.
adopter le new york way of life
Adopter le New York
way of life
Discret et décontracté, busy mais toujours courtois, soucieux des
convenances et prêt à les renverser, le New-Yorkais est un fameux
cocktail de contradictions, nées sans doute de l’héritage européen
agrémenté d’une bonne dose d’esprit du Nouveau Monde.
Se tenir dans le monde
A
u xixe siècle, la bonne société new-yorkaise est
encore marquée du sceau des valeurs europé‑
ennes léguées par les premiers colons de Manhattan, hollandais comme anglais. Dans cette communauté repliée
sur elle-même, la conduite d’Ellen Olenska, femme divorcée osant librement converser avec le prétendant de sa
cousine, apparaît fort déplacée.
L’étiquette à New York voulait qu’une dame attendit, immobile comme une idole ; c’était aux hommes à se
succéder à ses côtés.
Edith Wharton, Le Temps de l’innocence
E
t des règles de conduite semblent établies pour
chaque événement de la vie… ou de la mort.
Kate se rappelait les règles inflexibles qui régentaient les
deuils dans le New York de sa jeunesse : trois ans de crêpe
pour un père ou une mère, deux pour un frère ou une sœur,
une année pleine, au bas mot, pour un des grands-parents,
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les oncles et les tantes, six mois pour les cousins (…). Quant aux voiles de
la veuve, ils devaient durer autant que son chagrin, et ce chagrin lui-même,
rigoureusement manifesté par la longueur des crêpes et celle de la retraite,
n’avait d’autre limite que celle qu’il plaisait de fixer au plus intransigeant
censeur de la famille (…).
Edith Wharton, La Récompense d’une mère
Une vie menée tambour battant
C
omme poussés par le dicton « Time is Money », les New-Yorkais semblent
sans cesse pressés, ce qui ne manque pas de choquer Oscar Wilde, lors
de son voyage en 1885. Pour le dandy britannique, le rythme
de la ville apparaît peu propice à la création.
(…) tout le monde a l’air de courir après un
train. Disposition peu favorable à la poésie
ou au romanesque : si Roméo et Juliette
avaient été constamment angoissés par les
trains ou préoccupés par la question du
billet de retour, Shakespeare n’aurait jamais
pu nous offrir cette scène pleine de poésie
et de pathétique, la ravissante scène du
balcon.
Oscar Wilde, Aristote à l’heure du thé
D
e fait, New York mérite à plus d’un titre son surnom de « ville qui ne
dort jamais ».
New York est une ville de lève-tôt. Le premier jour où je me suis réveillé
dans cet appartement, avec la lumière de l’aube à cause de mon sommeil déréglé par le voyage, je suis sorti dans la rue, hébété, à la recherche d’un café et il
y avait le long des trottoirs et sur les carrefours (…) beaucoup de gens tôt levés
et actifs, joggeurs en route pour Central Park, marcheurs rapides en short et
en tennis (…).
Antonio Muñoz Molina, Fenêtres de Manhattan
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adopter le new york way of life
On Sunday !
Seul parmi la foule
F
arouche défenseur des libertés individuelles,
habité par une réserve tout anglo-saxonne, le
New-Yorkais craint plus que tout l’ingérence dans
la vie d’autrui. Cette respectueuse indifférence est
fortement appréciée par Kiki Takehashi, jeune NewYorkaise d’origine japonaise.
(…) à New York, je suis enveloppée dans un
anonymat qui me donne une impression de sécurité,
même au milieu de millions d’autres êtres humains.
L’anonymat confère la liberté. En dehors de
Mrs. Noffz et du concierge, je ne connais personne
dans mon immeuble, par conséquent je ne dois rien
à mes voisins, pas même une réponse polie à leurs
bavardages, quand je me trouve avec l’un d’eux dans
l’ascenseur. La ville elle-même est remplie d’inconnus
qui me fichent la paix et ne demandent en retour que
le même traitement. Les gens sont si indifférents à
ma présence, comme toutes les présences, qu’ils font
paradoxalement de cette mégapole l’endroit le plus
accueillant du monde.
Mako Yoshikawa, Vos désirs sont désordres
C
ependant, il est vrai que la réserve affichée par
les New-Yorkais éveillera peut-être chez vous
un sentiment de solitude. Comme dans toute grande
ville, il est parfois délicat de nouer des amitiés.
Les New-Yorkais se cachent derrière une façade impénétrable (…). J’ai eu beaucoup de chance de réussir ma
vie sentimentale de bonne heure parce que rien n’est
plus facile que de rester seul à New York. Et alors, il est
pratiquement impossible de revenir en arrière.
Candace Bushnell, Sex and the City
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S
’agitant en tous sens durant la semaine, les New-Yorkais consacrent
leurs week-ends à des activités plus paisibles. Découvrez ainsi une
ville nimbée de tranquillité quand arrive le dimanche, qui ne peut débuter
sans une grasse matinée.
“Le dimanche, m’a dit une Américaine, on passe la matinée au lit à lire
le supplément du New York Times.” La première fois que j’ai acheté le Sunday
New York Times, j’ai cru que je me trompais, que j’emportais toute une pile de
journaux : mais toute cette pile n’était qu’un seul journal.
Simone de Beauvoir, L’Amérique au jour le jour
I
nutile de chercher à contourner les traditions dominicales. Jacques
Offenbach, qui séjourne à New York en 1877, se heurte à l’interdiction de
boire de l’alcool le jour du Seigneur et essaye en vain d’enfreindre la règle.
(…) après avoir conduit mon orchestre avec chaleur, par une température
sénégalienne, je me précipite dans un bar. Je demande un verre de bière.
Le maître de l’établissement me regarde d’un air triste :
– Impossible, monsieur, je n’ai plus de garçons.
– Comment ? vous ! Qu’avez-vous donc fait de votre nombreux personnel ?
– Tous mes garçons sont en prison pour avoir voulu servir des clients malgré
la défense formelle.
– Il est défendu de boire le dimanche ?
– Expressément défendu.
(…) Ce dimanche-là, on a coffré trois cents garçons qui avaient osé porter des
rafraîchissements aux clients.
Jacques Offenbach, Notes d’un musicien en voyage
Le base-ball, religion moderne
À
New York, le base-ball est une passion à laquelle
s’adonnent les quelque 52 300 spectateurs
qui peuvent remplir le Yankee Stadium du Bronx. Don
DeLillo nous livre l’ampleur de ce phénomène.
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Reliée par la voix vibrante de la radio, unie au bouche-à-oreille
qui transmet le score dans la rue et aux fans qui appellent
le numéro de téléphone spécial et la foule du stade qui
devient l’image de la télévision, des gens de la taille
de brisures de riz, et le match en tant que
rumeur, conjecture, histoire intérieure. Il y
a un gamin de seize ans dans le Bronx qui
emporte sa radio sur le toit de son immeuble pour pouvoir écouter tout seul, un fan
des Dodgers affalé dans le crépuscule (…) et il a la chair de poule. Le match ne
change pas la manière dont on dort, dont on se lave la figure ou dont on mastique sa nourriture. Il ne change rien sauf votre vie.
Don DeLillo, Outremonde
D
eux équipes professionnelles se disputent le cœur des New-Yorkais :
les Yankees (jouant en American League) et les Mets (National League).
Ces derniers, qui ont remporté les World Series en 1969, ont donné l’occasion
à la ville de montrer la démesure de sa passion pour le sport.
Sur huit rencontres en octobre, les Mets ne perdirent qu’une seule fois, et
quand l’aventure fut terminée, New York leur fit une nouvelle parade de confettis
qui surpassa même en extravagance celle qui avait salué les astronautes deux
mois plus tôt. Plus de cinq cents tonnes de papier tombèrent ce jour-là dans les
rues, un record qui n’a jamais été égalé depuis.
Paul Auster, Moon Palace
Un dimanche à la new-yorkaise !
◆ Réservoir Jackie Onassis Emboîtez le pas aux dizaines de joggeurs qui
viennent courir chaque jour au cœur de Central Park. • Mo 86th Street, 96th
Street • www.centralpark.com
◆ Yankee Stadium Vivre un match de base-ball au milieu des supporters est une
expérience inoubliable. • E 161st Street (à l’angle de River Avenue) • M° 161st
Street • www.newyork.yankees.mlb.com
Voir aussi portrait « Edith Wharton », p. 55.
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Se glisser
dans les escarpins
des New-Yorkaises
Que serait New York sans les New-Yorkaises ? Joan Crawford,
Susan Hayward, Sarah Michelle Gellar, Scarlett Johansson, Barbra
Streisand ou encore Norah Jones… Autant de noms qui évoquent
talent, ambition et élégance. À Midtown comme dans le Lower
Manhattan, vous croiserez ce mélange harmonieux mais complexe
entre la femme européenne aux traditions bien ancrées et la pionnière intrépide du Nouveau Monde.
Indépendantes et éprises de liberté
N
e vous étonnez pas de trouver aux NewYorkaises une allure à nulle autre pareille.
Dès le xixe siècle, les journalistes européens le
proclament : un nouveau genre de femme est né
outre-Atlantique, celui de la femme libre !
Quand elles rentrent chez leurs parents, après des
promenades de plusieurs heures, personne ne les questionne sur l’emploi de leur temps. En été (…), elles
courent la ville le soir, vont au spectacle, à la campagne, en chemin de fer ou en bateau à vapeur.
En hiver, elles font des parties de traîneaux qui se
prolongent très avant dans la nuit : elles ont un
passe-partout de la maison et rentrent incognito
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se glisser dans les escarpins des new-yorkaises
dans leur chambre, qui d’ordinaire est éloignée de celle du père et de la mère.
Cette extrême indépendance des filles (…) est évidemment une conséquence du
principe de la liberté qui doit s’appliquer à tout (…).
Léon de Wailly, « Mœurs américaines », L’Illustration, 31 octobre 1857
D
ans un pays en permanente mutation, les Américaines se sont battues
pour acquérir leur indépendance et n’hésitent pas à se montrer les
égales des hommes quand la situation le demande.
Un soir, peu après la rupture de mes fiançailles avec Julia Pratt, j’avais fait
le nécessaire pour me retrouver dans un état d’ébriété un peu plus qu’avancé
et, ayant décrété que les femmes tenues par la société pour des canons de
beauté étaient toutes des mégères, j’avais demandé la main de Sara ; en guise
de réponse, elle m’avait chargé dans un fiacre, conduit au bord de l’Hudson
River et poussé à l’eau.
Caleb Carr, L’Aliéniste
exemple, assistantes et associées en pleine ascension, bronzage acquis et entretenu dans les Hamptons, regards Lancôme qui inspectaient les alentours (…).
Ces filles étaient frivoles, la ronde rituelle et cyclique des soirées et des cocktails
à Manhattan avec leurs musts s’étendaient sans fin devant elles. Elles buvaient
des Chardonnays mordorés et des bières tendance à même la bouteille, ne manquaient ni d’éclat ni d’appétit, et leur insouciance était effrayante.
Laura Jacobs, New-Yorkaises
M
ême si la recherche de l’âme sœur est inscrite dans leur emploi du
temps, gare à l’homme qui s’aviserait de se moquer d’elles, en oubliant
que l’union fait leur force.
Un après-midi, tout récemment, sept New-Yorkaises se sont rassemblées
autour d’un plateau de fromages et d’une bouteille de vin – sans oublier les
cigarettes – pour discuter de la seule et unique chose qu’elles aient en commun : un homme.
Candace Bushnell, Sex and the City
Ambitieuses et accomplies
A
u début du xxe siècle, l’emploi du temps d’une New-Yorkaise de la
bonne société ressemble ni plus ni moins à celui d’un chef d’entreprise. Elle se doit d’incarner la réussite de son mari…
7 h 30, éveil mental. 7 h 45, petit déjeuner. 8 h, psychanalyse. 8 h 15,
voir le cuisinier. 8 h 30, méditation silencieuse. 8 h 45, massage facial. 9 h,
vendeur de miniatures persanes. 9 h 15, correspondance. 9 h 30, manucure.
9 h 45, gymnastique rythmique. 10 h, mise en plis. 10 h 15, pose pour buste.
10 h 30, délégation de la fête de la Maternité. 11 h, leçon de danse. 11 h 30,
Comité du contrôle des naissances…
C
Suivez la guide (new-yorkaise) !
Edith Wharton, Les New-Yorkaises
◆ Kiehl’s Les New-Yorkaises viennent s’approvisionner ici en cosmétiques
fabriqués à base de produits naturels depuis 1851. • 109 3rd Avenue • M° 3rd
Avenue • www.kiehls.com
ent ans plus tard, les New-Yorkaises n’ont plus besoin de l’appui des
hommes pour réussir.
◆ Magnolia Bakery La pâtisserie des héroïnes de Sex and the City propose
des repas légers, à savourer entre filles ! Nous vous conseillons le Devil’s Food
Cake. • 1240 Avenue of the Americas (à l’angle de la 49th Street) • M° 49th
Street • www.magnoliabakery.com
(…) à New York l’esprit de compétition n’était jamais de trop, la ville regorgeait de femmes séduisantes et accomplies. Ces jeunesses de vingt-cinq ans, par
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Voir aussi portraits « Dorothy Parker », p. 50, « Edith Wharton », p. 55, « Diane Arbus »,
p. 65 et « Carrie Bradshaw », p. 99 ; promenade « Parcours mode », p. 173.
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