Contrats / Marchés publicsCOMMENTAIRE
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Contrats / Marchés publics COMMENTAIRE 2119 2119 Les marchés d’avocats dans la nouvelle directive « marchés », essai de préfiguration La nouvelle directive « marchés » prévoit une dispense de mise en concurrence pour une grande partie des prestations d’avocats. Indépendamment des seuils de mise en concurrence élevés, elle propose une piste de dispense intéressante, en distinguant les prestations selon qu’elles entretiennent un lien, direct ou non, avec un contentieux présent ou à venir. PE et Cons. UE, dir. n° 2014/24, 26 févr. 2014 : JOUE 28 mars 2014 (...) (25) Un certain nombre de services juridiques sont fournis par des prestataires de services désignés par une cour ou un tribunal d’un État membre, impliquent la représentation de clients par des avocats dans le cadre de procédures judiciaires, doivent être prestés par un notaire ou sont associés à l’exercice de l’autorité publique. De tels services juridiques sont habituellement fournis par des organismes ou des personnes qui sont désignés ou sélectionnés d’une manière qui ne peut être soumise à des règles de passation des marchés publics par exemple pour la désignation de procureurs publics dans certains États membres. Ces services juridiques devraient dès lors être exclus du champ d’application de la présente directive. Article 10 Exclusions spécifiques pour les marchés de services La présente directive ne s’applique pas aux marchés publics de services ayant pour objet : (...) d) l’un des services juridiques suivants : i) la représentation légale d’un client par un avocat au sens de l’article 1er de la directive n° 77/249/CEE du Conseil dans le cadre : – d’un arbitrage ou d’une conciliation se déroulant dans un État membre, un pays tiers ou devant une instance internationale d’arbitrage ou de conciliation, ou – d’une procédure devant les juridictions ou les autorités publiques d’un État membre ou d’un pays tiers ou devant les juridictions ou institutions internationales ; ii) du conseil juridique fourni en vue de la préparation de toute procédure visée au présent point, sous i), ou lorsqu’il existe des signes tangibles et de fortes probabilités selon lesquels la question sur laquelle porte le conseil fera l’objet d’une telle procédure, pour autant que le conseil émane d’un avocat au sens de l’article 1er de la directive n° 77/249/CEE ; iii) des services de certification et d’authentification de documents qui doivent être réalisés par des notaires ; iv) des services juridiques fournis par des administrateurs légaux ou des tuteurs ou d’autres services juridiques dont les prestataires sont désignés par une juridiction de l’État membre concerné ou par la loi pour réaliser des tâches spécifiques sous le contrôle de ces juridictions ; v) d’autres services juridiques qui, dans l’État membre concerné, sont liés, même occasionnellement à l’exercice de la puissance publique ; NOTE La publication récente de la directive « marchés » confirme que les marchés de prestation juridique bénéficient d’un dispositif particulièrement souple. Celui de l’annexe 14 de la directive, qui traite des services juridiques, en même temps que des services sanitaires et sociaux, éducatifs et culturels, ainsi que des services d’hôtellerie et de restauration. Pour ces marchés de services dont la valeur estimée est égale ou supérieure à 750 000 euros HT (par an), les procédures de publicité et de mise en concurrence prévues par la directive « marchés » ne s’appliquent pas. Comme, il n’est pas dit que la transposition du texte par le gouvernement français retienne toutes les opportunités que celui-ci lui offre, il importe d’examiner plus en détail le dispositif prévu par la directive au dessus du seuil précité. Le Code des marchés publics français peut parfaitement demeurer ce qu’il est, et ne pas exempter les marchés d’avocat des obligations de mise en concurrence. Ou plus exactement, il peut rester dans le clair obscur actuel, en laissant les marchés d’avocat dans un régime allégé qui en réalité ne l’est pas, car il les banalise en les assimilant aux autres marchés à procédure adaptée. On se souvient que l’arrêt Association pour la transparence et la moralité des marchés publics à censuré le premier alinéa de l’article 30 du Code des marchés publics dans sa version issue du décret du 7 janvier 2004. En autorisant la passation sans publicité préalable et éventuellement sans mise en concurrence des marchés de prestation non énumérés à l’article 29,la disposition conduisait à dispenser de la mise en œuvre d’une procédure adéquate de publicité et de mise en concurrence, et méconnaissait de ce fait les principes de liberté d’accès à la commande publique, d’égalité de traitement des candidats et de transparence des procédures (CE, 23 févr. 2005, n° 264712, 265248, 265281 et 265343, Assoc. pour la transparence et la moralité des marchés publics (ATMMP) et a. : JurisData n° 2005-068145 ; Dr. adm. 2005, comm. 65, note A. Ménéménis ; Contrats-Marchés publ. 2005, comm. 107, note G. Eckert ; JCP A 2005, 1151 et 1190 ; JCP E 2005, 743, notes F. Linditch ; A. Mescheriakoff, Les marchés de prestations juridiques : Gaz. cnes 11 avr. 2005, p. 52). Le code 2006 avait prolongé cette logique de banalisation des prestations juridiques. Selon l’article 30, 5°« Les marchés de services juridiques ne sont pas soumis aux dispositions du titre IV de la présente partie. En outre, ceux de ces marchés qui ont pour objet la représentation d’une collectivité territoriale en vue du règlement d’un litige ne sont pas transmis au représentant de l’État ». Le titre IV portant uniquement sur l’exécution du marché (notamment l’exécution financière), il faut comprendre que l’ensemble des prestations juridiques relève des règles de passation des prestations de services allégées de l’article 30. De fait, nombre de pouvoirs adjudicateurs, incertains devant le régime exact des marchés de prestations juridiques, ont préféré les soumettre au même traitement que celui des autres marchés de services, en appliquant les mêmes règles de mise en concurrence, les mêmes seuils, et plus largement les mêmes procédures. C’est à dire, peu ou prou,un appel d’offres qui ne dit pas son nom où sont confondues toutes les prestations juridiques dans des marchés à bons de commande faiblement allotis. La jurisprudence du Conseil d’État a d’ailleurs parfois encouragé ce mouvement en acceptant que le même marché réunisse des presta- JCP / LA SEMAINE JURIDIQUE – ÉDITION ADMINISTRATIONS ET COLLECTIVITÉS TERRITORIALES N° 16. 22 AVRIL 2014 1 2119 Contrats / Marchés publics COMMENTAIRE tions parfois très différentes, ce qui ne peut qu’avantager les gros cabinets d’avocats seuls capables de couvrir tous les besoins exprimés (sur la légalité de deux lots – prestation de conseil et représentation en justice – comprenant chacun des prestations dans les domaines du droit public, du droit privé ou du droit pénal, V. CE, 21 mai 2010, n° 333737, Cne Ajaccio : JurisData n° 2010-006704 ; ContratsMarchés publ. 2010, comm. 239 ; CP-ACCP sept. 2010, n° 102, p. 15 ; adde TA Marseille, 13 janv. 2009, n° 0808872, Me Benoît Caviglioli). Dans certains cas, on a même vu réunies dans le même marché, les prestations de représentation des avocats aux Conseils et celles de leurs autres confrères. Ce qui de facto aboutit à mettre sous la dépendance des avocats aux Conseils, les autres cabinets, parisiens ou provinciaux. Raisonnement à courte vue, mais tellement plus facile. Une seule procédure, un seul cabinet. Peu importe qu’au final on se retrouve mal marié avec un prestataire disposant de fait du monopole sur toutes les prestations juridiques, monopole imposé par le régime du marché à bon de commande (CMP, art. 77), le Code des marchés publics appliqué avec une marge de sécurité maximale le voulait. C’est avec ce manque de discernement que rompt la nouvelle directive. Comme on le verra, elle exempte de mise en concurrence la plus grande partie des prestations juridiques (1). Même si des incertitudes demeurent, elle devrait mettre un terme à une situation peu satisfaisante pour les pouvoirs adjudicateurs comme pour leurs conseils (2). 1. Les dispenses de mise en concurrence des prestations rendues par les professionnels du droit « non avocats » La directive reprend la distinction entre les avocats et les autres professionnels du droit, et ce faisant, confirme la reconnaissance de la spécificité des premiers (A), sans exclure les seconds du bénéfice de la dispense de mise en concurrence (B). A. - Confirmation implicite du périmètre des prestations juridiques réservé aux avocats La directive prévoit certes des exemptions au profit d’autres professionnels du droit, mais celles-ci sont très limitées. Il est intéressant de relever que le terme « avocat » revient à de multiples reprises. La directive aurait pu mentionner les « professionnels du droit », la « profession juridique » ou tout autre qualificatif. Il n’en est rien, elle retient le terme « avocat ». Ceci devrait contribuer à la défense du périmètre du droit, et éviter les incursions de plus en plus fréquentes de non juristes dans le domaine du droit. On mentionnera les contrats d’assistance à maîtrise d’ouvrage ou de maîtrise d’œuvre incluant des prestations juridiques, parfois même la représentation, via la présentation d’un cabinet d’avocat en qualité de sous-traitant dans l’hypothèse ou la procédure de passation serait contestée (pour la censure de cette pratique, v. TA Paris, ord., 27 juill. 2007, n° 0710469, Palmier et Rayssac : CP-ACCP nov. 2007, n° 71, p. 78, P. Le Bouëdec ; V. Drain : JCP A 2007, 2320 ; JCP G 2007, act. 395 ; JCP E 2007, 2168). Le maître d’ouvrage d’ailleurs n’y gagne rien, tant il est évident qu’en pareil cas l’avocat travaille principalement pour le maître d’ouvrage délégué ou l’assistant à la maîtrise d’ouvrage, en faisant l’impasse sur les possibilités offertes à ce dernier de se retourner contre ce même prestataire. Certes le montage ne devient pas illégal et les pouvoirs adjudicateurs adeptes du « tout en un » pourront continuer à confier leurs intérêts à ce type de prestataire, mais on peut penser que la mise en concurrence les conduira à plus de réflexion. 2 On citera également les bureaux d’études divers et variés dont l’action ne se limite pas à préconiser des choix techniques ou financiers (contrats de chauffage, délégations de service public), mais qui interviennent également dans le domaine juridique. On y ajoutera enfin, certaines associations intervenant résolument dans le périmètre du droit (pour une sanction de cette intervention sur le fondement de la loi de 1971, v. TA Cergy-Pontoise, 3 févr. 2011, n° 1100321, Gachi : JCP A 2011, 2107, note F. Linditch). Certes, comme on le verra, tout le conseil juridique n’est pas distrait de l’obligation de mise en concurrence s’il est confié à un cabinet d’avocats. Néanmoins, la directive adresse un signal clair de reconnaissance d’une profession qui a connu des temps meilleurs, si l’on veut user d’un euphémisme. B. - Professionnels du droit exemptés de l’obligation de mise en concurrence On retrouve ici,les notaires (1),les prestataires juridiques désignés par les juridictions (2), ainsi que les services liés à l’exercice de la puissance publique (3). 1° Les notaires La directive exclut de l’obligation de mise en concurrence « Les services de certification et d’authentification de documents qui doivent être réalisés par des notaires » (art. 10, d) iii). On remarquera que tous les actes juridiques accomplis par les notaires ne sont pas exclus de la mise en concurrence. En particulier, le conseil juridique n’en bénéficie pas. De plus, le nouveau texte pose deux conditions cumulatives. Il doit s’agir : - 1° de « services de certification et d’authentification » ce qui pose la question de la rédaction des actes eux-mêmes. Pour le formuler différemment : l’authentification d’un acte authentique inclut-elle nécessairement sa rédaction ? Nous laissons à d’autres plus compétents dans ces domaines, le soin d’apporter la réponse ; - 2° la prestation concernée « doit » être délivrée par un notaire. Bien que la directive ne le précise pas, il semble qu’on doive comprendre ici que la loi, ou un autre texte gouvernemental impose la certification ou l’authentification par notaire. Dès lors, il semble que les actes sous-seing privé, promesses de vente, ou autres, n’échappent pas à l’obligation de mise en concurrence. Néanmoins, la directive fait preuve d’un plus grand libéralisme que la doctrine française. Une réponse ministérielle précisait en effet que « le recours aux services de professionnels du droit (notaires, avoués, huissiers de justice, avocats) doit s’effectuer dans le cadre de l’article 30 du Code des marchés publics (...). Le fait que les prestations considérées soient soumises à des barèmes tarifaires réglementés ne pose aucune difficulté quant au respect de ces prescriptions. La liberté d’accès à la commande publique peut en revanche être encadrée s’agissant des restrictions géographiques propres à certaines professions et résultant de dispositions législatives ou réglementaires. En tout état de cause, dans une telle hypothèse, l’atteinte au principe ne saurait être imputée à la collectivité publique. Il y a alors lieu de considérer que la collectivité s’est acquittée de son obligation quant au libre accès à ses marchés dès lors qu’elle peut établir qu’elle est dans l’impossibilité d’assurer le respect du principe correspondant » (Rép. min. n° 13542, 12 août 2004, M. JeanLouis Masson : JO Sénat Q, 6 janv. 2005, p. 35. – Rép. min. n° 51902, 30 nov. 2004, Mme Marie-Jo Zimmermann : JOAN Q, 22 févr. 2005, p. 1948 ; Contrats-Marchés publ. 2005, comm. 172). 2° Prestataires juridiques désignés par les juridictions Son exemptés de mise en concurrence, les « services juridiques fournis par des administrateurs légaux ou des tuteurs ou d’autres ser- JCP / LA SEMAINE JURIDIQUE – ÉDITION ADMINISTRATIONS ET COLLECTIVITÉS TERRITORIALES N° 16. 22 AVRIL 2014 Contrats / Marchés publics COMMENTAIRE vices juridiques dont les prestataires sont désignés par une juridiction de l’État membre concerné ou par la loi pour réaliser des tâches spécifiques sous le contrôle de ces juridictions » (art. 10, d) iv). On comprend que la désignation d’un prestataire juridique, fût-il appelé à travailler dans l’intérêt d’un pouvoir adjudicateur et au final rémunéré par lui, échappe à l’obligation de mise en œuvre des procédures du code, ne serait-ce que pour permettre de conserver la rapidité de mise en œuvre de la décision de justice. En réalité, ce cas de figure ne devrait pas trouver de nombreuses applications pour les personnes publiques échappant par principe aux voies d’exécution privées (Cass. 1re civ., 21 déc. 1987, n° 86-14.167). Faute d’expérience du sujet, nous n’en avons trouvé qu’une catégorie, elle viserait la désignation d’un mandataire, administrateur ou liquidateur d’un satellite privé d’une personne publique. Par exemple, une association ou une société d’économie mixte ou encore une SPL en difficulté financière, pourrait se voir désigner ce type de prestataire juridique, dont la rémunération serait au final supportée par la collectivité publique actionnaire majoritaire dans le cadre de la liquidation judiciaire de l’entité privée. Éventuellement, mais en oubliant qu’il ne se prononce normalement pas sur des questions juridiques, l’exception pourrait également trouver à s’appliquer aux experts judiciaires désignés dans le cadre du référé instruction. Il ne s’agirait d’ailleurs pas d’une nouveauté, dans la mesure où le magistrat ayant désigné l’expert dispose actuellement de la possibilité de déterminer le montant de ses émoluments et d’en faire répartir la charge entre les parties, au moyen d’une ordonnance de taxation. 3° Services liés à l’exercice de la puissance publique La directive ne s’applique pas aux « services juridiques qui, dans l’État membre concerné, sont liés, même occasionnellement à l’exercice de la puissance publique » (art. 10, d) v). La formule ne va pas sans rappeler le contentieux formé il y a quelques années à l’encontre de la Mission d’appui aux partenariats publics privés (MAPP). On se souvient que le Conseil d’État avait considéré que les avis délivrés par elle ne portaient pas atteinte à la liberté du commerce et de l’industrie, en considérant qu’ils traduisaient l’exercice d’une mission de puissance publique (CE, ass., 31 mai 2006, Ordre des avocats au Barreau de Paris : Rec. CE 2006, p. 272 ; RFD adm. 2006, p. 1048, concl. D. Casas ; AJDA 2006, p. 1592, chron. C. Landais et F. Lenica ; Dr. adm. 2006, comm. 126, note M. Bazex ; Contrats-Marchés publ. 2006, comm. 202, note G. Eckert ; CP-ACCP 59/2006, p. 78, note L. Renouard ; JCP A 2006, 1133, note F. Linditch). Au-delà de cet exemple, il semble qu’en France, du moins, cette dispense doive trouver peu d’application. RGPP oblige, les services d’États ont subi d’importantes restrictions ces dernières années. La concurrence que les services de l’équipement et du ministère de l’Agriculture faisaient aux prestataires privés (d’ailleurs souvent plus dans le domaine technique que juridique), il y a une ou deux décennies, appartient désormais au passé. Peut-être faudrait-il voir du côté des monuments historiques, et encore, l’intervention des architectes des Bâtiments de France paraît se situer davantage sur le terrain technique que juridique. Au final, on eut considérer que les professionnels bénéficiant d’une dispense de mise en concurrence inspirée de celle des avocats restent assez peu nombreux. 2119 2. Les dispenses de mise en concurrence bénéficiant à la profession d’avocat La représentation légale est fort logiquement exemptée de mise en concurrence (A), mais également le conseil juridique, au moins pour partie (B). A. - La « représentation légale » Toutes les prestations rendues par les avocats ne sont pas dispensées de mise en concurrence, tant s’en faut. Seule la « représentation légale » bénéficie de cette dispense (1), et encore, il faudra que celle-ci s’exerce devant les autorités publiques (2). 1° La notion de représentation Que recouvre au juste cette « représentation » ? À défaut d’autres indications, il faut comprendre la formule comme visant la représentation devant les juridictions, à quoi il semble logique d’ajouter les autres hypothèses prévues par la loi, par exemple la soumission dans le cadre des ventes aux enchères immobilières consécutives à une exécution forcée. Un bémol toutefois, le texte mentionne la représentation à l’occasion « d’une procédure devant les juridictions ou les autorités publiques d’un État membre ou d’un pays tiers ou devant les juridictions ou institutions internationales ». Si l’on met de côté la dimension internationale, somme toute exceptionnelle (ou en tout cas, méconnue), la disposition vise expressément les « juridictions ou les autorités publiques d’un État membre », donc l’ensemble des juridictions françaises. Représentation légale, obligatoire, facultative... On pourrait être tenté de comprendre la « représentation légale » comme réservée aux seules hypothèses dans lesquelles l’administration est tenue de recourir aux services d’un avocat pour agir ou défendre en justice. Cette interprétation fait courir le risque d’un contresens sur le « légal », il ne faut pas qu’une loi impose le ministère d’avocat, il suffit que cette représentation ne puisse être prise en charge que par un avocat. On sait que le ministère d’avocat n’est pas obligatoire devant toutes les juridictions et dans toutes les instances. Mieux même, les collectivités publiques sont par principe dispensées de l’obligation de se faire représenter. Par conséquent, réduire la représentation légale aux seules hypothèses dans lesquelles les personnes publiques sont tenues de constituer avocat (nous avouons volontiers n’en pas connaître), conduirait à vider totalement le texte de sa portée. Qui plus est, cette interprétation n’a jamais prévalu jusqu’à présent : la représentation en justice des collectivités publics dans son ensemble, qu’elle soit volontaire ou obligatoire, a été traitée hors Code des marchés publics. Enfin, instaurer une distinction, au sein même de la représentation en justice ne pourrait qu’introduire une source supplémentaire de complexité. Ceci permet d’ailleurs de donner son sens exact à la dispense de mise en concurrence prévue par la directive. Ce n’est pas parce que les lois nationales imposent, ou non, la représentation qu’elle est mise en place, mais c’est eu égard à l’intuitu personae nécessaire à la prise en charge des intérêts d’une partie, à la nécessité de compréhension et d’implication, ainsi qu’à la spécialité du mandataire, que la dispense a été maintenue. On eut même considérer que la dispense a été confortée, par l’adjonction des prestations de conseil lorsque celles-ci sont en lien avec le contentieux (V. ci-après 2, B). JCP / LA SEMAINE JURIDIQUE – ÉDITION ADMINISTRATIONS ET COLLECTIVITÉS TERRITORIALES N° 16. 22 AVRIL 2014 3 2119 Contrats / Marchés publics COMMENTAIRE 2° Une représentation devant des « autorités publiques » À cela s’ajoute la représentation devant « les autorités publiques ». L’expression peut surprendre au regard du principe de séparation des pouvoirs. De prime abord, la représentation « légale » ne paraît envisageable que devant les juridictions. Pourtant, si l’on intègre les autorités administratives indépendantes, on peut comprendre que les personnes morales de droit public aient recours à un mandataire. Cela se comprend d’ailleurs d’autant mieux que le contentieux qu’elles traitent est généralement très spécialisé (concurrence, audiovisuel, etc.). D’autres hypothèses sont plus problématiques. Quid, par exemple, de la représentation d’une collectivité locale devant les services préfectoraux, lorsque ces derniers ont formulé des observations laissant augurer d’un prochain déféré ? On peut réellement douter que l’assistance prêtée constitue la représentation légale, même lorsque l’avocat se rend seul en réunion à la préfecture. Fort heureusement, ce cas peut être résolu grâce à l’évolution de la directive sur la question du conseil, comme on le verra plus bas, la prestation de conseil est également dispensée de mise en concurrence si elle s’opère en lien avec un contentieux probable. D’autres cas épineux existent sans doute, c’est dire le travail d’analyse qui devra précéder la transposition de la directive,la direction des affaires juridiques de Bercy ne devrait pas chômer ces prochains mois, ne serait-ce que pour clarifier la portée de ces dispositions. B. - Le conseil juridique partiellement exempté de la mise en concurrence prévue par le code S’il est en lien avec le contentieux, le conseil sera dispensé de mise en concurrence. Si tel n’est pas le cas, il continuera d’être traité en procédure adaptée. Même s’il devrait permettre plus de souplesse dans la gestion des besoins juridiques des pouvoirs adjudicateurs, le nouveau dispositif méritera d’être précisé (1), ce qui n’empêche pas d’appréhender dès à présent quelques unes des différentes situations auxquelles il peut correspondre (2). 1° Présentation du nouveau dispositif Pour le dire (trop) simplement, le conseil juridique non soumis au Code des marchés publics correspond à celui qui est en lien avec un contentieux ultérieur. La directive paraît d’ailleurs relativement ouverte sur la nature du lien entre le conseil et le contentieux. Sur ces deux points la directive apporte un assouplissement important, dont on espère que le code à venir tirera toutes les conséquences. Certes la règle demeure de la soumission à l’obligation de mettre en concurrence les prestations de conseil. Néanmoins, dès lors que se conseil s’inscrit peu ou prou dans une perspective contentieuse, il bénéficie de l’exemption. Ici encore,il conviendra de tracer les limites exactes.Mais quelques pistes peuvent déjà être proposées. Lorsque la personne soumise au code est attaquée,tous les conseils dont elle s’entoure, et pas uniquement ceux de l’avocat chargé de sa représentation, pourront être dispensés de mise en concurrence. Lorsque, au contraire, la personne publique entend agir en justice, il en va de même pour les prestations de conseil. La question devient plus délicate lorsque la personne publique n’est pas encore attaquée ou n’a pas encore fait elle même de recours. Il ne semble pas que le critère purement chronologique puisse conduire à écarter le conseil du bénéfice de la dispense au seul motif qu’il est antérieur à l’action contentieuse. 4 La directive vise en effet le « conseil juridique fourni en vue de la préparation de toute procédure ». Les termes « en vue », « préparation » montrent bien que le conseil peut être antérieur à l’action. Le même texte indique que la dispense de mise en concurrence est également envisageable « lorsqu’il existe des signes tangibles et de fortes probabilités selon lesquels la question sur laquelle porte le conseil fera l’objet d’une telle procédure ». Ce faisant il admet bien l’antériorité du conseil par rapport à l’action contentieuse, mais on peut se demander si au final, il ne restreint pas le champ de la dispense de simultanéité entre le conseil et le contentieux en posant deux conditions : « signes tangibles » et « fortes probabilités ». 2° Essai de typologie du « conseil contentieux » Si le texte est transposé en l’état, il restera aux juridictions à déterminer le sens exact des conditions d’identification du conseil contentieux.Pour l’heure on peut tenter d’envisager plus concrètement leurs contours : – le « signe tangible » paraît constituer une référence (quasibiblique) à une preuve matérielle du futur contentieux. Bien que la condition soit quelque peu paradoxale (prouver le futur), on peut risquer quelques exemples : – une lettre de réclamation de l’entreprise ; – une lettre de mise en demeure du pouvoir adjudicateur (ou de l’entreprise) ; – un échange de courriel un peu « senti » ; – un refus de réception ; – le constat d’un dommage ou d’un désordre. Quant aux « fortes possibilités », plus juridiquement, il faudrait parler de « fortes probabilités », il semble que l’on soit ici davantage sur le registre de la démonstration intellectuelle. Par exemple, l’existence d’une lettre de réclamation ne suffit pas, il faut encore que telle qu’elle est formulée, le pouvoir adjudicateur puisse démontrer qu’il ne pourra lui donner une suite favorable. La frontière à tracer pour départager le conseil juridique « pur » (non adossé à un futur contentieux) et le conseil juridique « précontentieux » est difficile à saisir par le simple énoncé d’une règle générale. Néanmoins, les circonstances du conseil donnent assez facilement le partage entre les deux. Une collectivité peut vouloir s’assurer que l’acte qu’elle prépare ne l’expose pas (ou au minimum) sur le terrain juridique, et l’on est dans le conseil juridique « pur ». La même collectivité a déjà été approchée par un justiciable durant la préparation de cet acte, ou après son édiction, le conseil serait alors contentieux. Et ce, quand bien même, le recours ultérieur ne serait pas formé. Pour conclure provisoirement sur ces questions, l’apport majeur de la directive va au delà de la relative souplesse résultant du seuil de 750 000 €. Il réside dans l’abandon de qui prévalait jusqu’a présent (suivant l’ouverture, ou non, d’une instance impliquant la représentation). À cette approche procédurale, la directive substitue une vision désormais plus finaliste du conseil et accepte de diviser ce dernier en deux catégories, ce qui constitue une vision très novatrice. Il reste à espérer que les textes de transposition reprendront à leur compte cette conception, en définitive plus proche de la réalité du rôle de l’avocat. Florian Linditch, professeur université Aix-Marseille, avocat au barreau de Marseille Mots-Clés : Contrats / Marchés publics - Directive « marchés » JCP / LA SEMAINE JURIDIQUE – ÉDITION ADMINISTRATIONS ET COLLECTIVITÉS TERRITORIALES N° 16. 22 AVRIL 2014