L`amant d`une seule nuit

Transcription

L`amant d`une seule nuit
1.
Une vive appréhension s’empara de Leila tandis que,
par la vitre du taxi, elle voyait les invités s’engouffrer
dans le luxueux hôtel.
Dans cette région glaciale, proche du cercle polaire
arctique, ce n’était pas vraiment le meilleur moment de
l’année pour organiser une soirée. Mais quand Britt, sa
sœur aînée, lançait ce genre d’événement, personne ne se
souciait du froid…
De plus en plus nerveuse, Leila regarda les femmes
au style glamour perchées sur des talons d’une hauteur
vertigineuse gravir les marches en ondulant des hanches,
au bras de compagnons en smokings sombres et écharpes
de soie blanche sous de somptueux manteaux d’alpaga.
En fait, elle était la seule des trois sœurs Skavanga
à ne pas briller lors de ce genre de manifestation. Non
seulement le bavardage mondain n’avait jamais été son
fort, mais Leila se sentait bien plus heureuse dans le soussol du musée de la Mine, au département des archives
où elle passait des heures à rassembler et répertorier de
précieuses informations.
« Détends-toi », s’ordonna-t‑elle en lissant sur ses cuisses
la superbe robe prêtée par Britt. Leila saisit sa veste doublée
en mouton posée à côté d’elle sur la banquette. Elle n’avait
plus qu’à gravir les marches elle aussi, se faufiler dans le
hall puis se fondre dans la foule.
— Amusez-vous bien ! lança le chauffeur en prenant le
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billet qu’elle lui tendait. Et désolé de ne pas vous déposer
plus près : je n’ai jamais vu autant de taxis ici…
— Ne vous inquiétez pas. C’est parfait comme ça !
— Attention à ne pas glisser…
Trop tard !
— Vous ne vous êtes pas fait mal, au moins ? demanda
le chauffeur en sortant la tête par la vitre ouverte.
— Non, non ! Merci.
— Il y a du verglas, ce soir.
En effet, Leila l’avait remarqué à ses dépens… Et elle se
retrouvait accroupie à côté du véhicule, dans une position
fort peu élégante, avec en outre, constata-t‑elle, un collant
filé. Quant à sa robe… Dieu merci, celle-ci n’était pas
déchirée ; et vu sa teinte bleu nuit, elle pourrait réparer
les dégâts. Enfin, plus ou moins…
Après s’être redressée, elle attendit que la file de taxis
ralentisse pour traverser la chaussée à la surface brillante.
— Dites donc, ce ne sont pas les trois gars du consortium,
ceux qui ont sauvé la ville ? demanda soudain le chauffeur
en désignant l’entrée de l’établissement brillamment éclairé.
Le cœur de Leila fit un petit bond. En effet, le mari
de Britt, le cheikh Sharif, son autre beau-frère, le comte
italien Roman Quisvada, et leur associé espagnol montaient
les marches en bavardant. Soudain, le seul célibataire du
trio se retourna.
Raffa Leon. Le plus farouche des trois. Il dégageait une
aura de danger, mais le chauffeur avait eu raison en disant
que les trois hommes avaient sauvé la ville.
A la mort de leurs parents, ses deux sœurs, son frère
et elle avaient hérité de la compagnie minière familiale.
Mais lorsque, au moment où les minerais commençaient à
s’épuiser, des diamants avaient été découverts, elles s’étaient
retrouvées dans l’impossibilité matérielle d’exploiter ceux-ci.
A ce moment‑là, la ville de Skavanga ayant toujours
dépendu de la mine, l’avenir de tous s’était sérieusement vu
menacé. Sans l’intervention providentielle du consortium,
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les pires catastrophes économiques et sociales n’auraient
pu être évitées.
— Il y en a encore un de disponible, lança le chauffeur du taxi en lui adressant un clin d’œil. Si vous vous
dépêchez un peu… Les deux autres sont mariés, à ce que
j’ai entendu dire.
— Oui, répliqua-t‑elle en souriant. Avec mes sœurs
Britt et Eva.
— Ça par exemple ! Vous êtes l’un des célèbres
« Diamants de Skavanga » ?
— C’est le surnom que nous ont donné les journalistes,
reconnut Leila en riant. Je suis le plus petit, celui qui a le
plus de défauts…
— Eh bien, si vous voulez mon avis, c’est ce qui vous
rend la plus intéressante, rétorqua l’homme. Et vous avez
encore une chance puisqu’il en reste un !
— J’ai trop de bon sens pour me risquer à ce genre
d’aventure, affirma-t‑elle en riant de plus belle. Et je ne
suis vraiment pas le genre de Raffa Leon !
— Il a une sacrée réputation, celui-là. Mais, vous savez,
il ne faut pas croire tout ce qu’on raconte dans la presse.
Effectivement, notamment toutes les bêtises rapportées
au sujet des Diamants de Skavanga…
— Et n’oubliez pas : ce dont ils ont besoin en rentrant
à la maison, ces milliardaires hyper actifs, c’est d’un peu
de calme et d’une femme douce et tranquille. Mais ne le
prenez pas mal, ajouta-t‑il à la hâte. De ma part, c’est un
compliment !
Leila éclata de nouveau de rire.
— Je ne le prends pas mal, ne vous en faites pas. Mais
vous, soyez prudent, cette nuit : les routes sont vraiment
dangereuses.
— Merci, mademoiselle. Ne vous inquiétez pas pour
moi et amusez-vous bien !
Oui, elle tâcherait de s’amuser. Après être passée par les
toilettes pour nettoyer sa robe. Même si ce genre de soirée
ne faisait pas partie de ses distractions préférées, Leila
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ne déshonorerait pas ses superbes sœurs en apparaissant
vêtue comme une souillon.
Après avoir adressé un dernier signe de la main à
l’aimable chauffeur, elle profita d’un espace entre deux
véhicules pour se lancer. Raffa Leon se tenait toujours en
haut de l’escalier et fouillait la rue du regard, attendant
sans doute une personnalité glamour qui surgirait d’une
limousine.
Il était d’une beauté renversante…
A l’instant même où ce constat s’imposait à elle, et alors
qu’elle grimpait les marches, Leila glissa de nouveau : ses
talons partirent d’un côté et elle de l’autre tandis qu’elle
poussait un cri et perdait l’équilibre.
— Leila Skavanga !
Le souffle coupé, elle comprit que le bel Espagnol l’avait
rattrapée in extremis. Elle vit le visage le plus somptueux
de la planète se rapprocher du sien.
— Señor Leon, murmura-t‑elle en feignant la surprise.
Je ne vous avais pas vu…
En réalité, Leila se retrouvait en proie à un embarras
phénoménal : son sauveur la tenait si étroitement qu’elle
ne pouvait bouger ! La chaleur du corps de celui-ci se
répandait dans ses veines, dans tout son être, et les effluves
entêtants qui montaient de lui, épicés, musqués, rehaussés
d’une pointe de lavande, enivraient Leila.
— Merci, dit‑elle en reprenant ses esprits tandis qu’il
l’aidait à se redresser.
— Je suis ravi d’être arrivé à temps.
Seigneur… Son léger accent rendait sa voix profonde
et mélodieuse encore plus sensuelle.
— Moi aussi.
— Vous ne vous êtes pas tordu la cheville, j’espère ?
Quand cet homme immense à la beauté ténébreuse
baissa les yeux sur ses jambes, elle songea à son collant
filé et se força à sourire pour se donner une contenance.
— Non, tout va bien.
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— Je suis également ravi de vous revoir, ajouta-t‑il,
les yeux brillants.
— Je… Oui, moi aussi.
Ils s’étaient rencontrés pour la première fois à l’occasion
du mariage de Britt, puis de nouveau lors de celui d’Eva,
en Italie, sur l’île appartenant à Roman.
Mais cette nouvelle rencontre, et les circonstances dans
lesquelles elle avait lieu, déstabilisait complètement Leila.
A tel point qu’elle aurait voulu fuir, mais Raffa Leon ne
semblait pas pressé de la laisser s’en aller. A présent, il
scrutait son visage en plissant le front. Son mascara avait‑il
coulé ? Côté maquillage, elle n’était pas très douée.
— Non seulement nous nous sommes déjà rencontrés,
mais nous sommes presque parents, Leila.
— Pardon ? s’étonna-t‑elle.
C’était maintenant de la malice qui luisait au fond des
yeux de Raffa, éclairant son regard de pépites ambrées.
— Parents ? reprit‑elle en dominant son trouble.
— Oui. Maintenant qu’un deuxième directeur du
consortium a épousé l’une des sœurs Skavanga, il ne reste
plus que nous deux.
Il éclata de rire.
— N’ayez pas l’air aussi choqué, señorita Skavanga, je
voulais simplement dire que cela nous donne l’opportunité
de mieux nous connaître.
Se méfiant d’instinct des motivations de cet homme à la
beauté ravageuse, milliardaire de surcroît, Leila répliqua :
— Vous savez, je ne possède pas beaucoup d’actions
de la compagnie.
Raffa lui prit la main en souriant, avant de pencher la
tête vers ses doigts.
— Je n’ai pas l’intention de vous les voler, Leila !
Les lèvres de l’Espagnol effleurèrent le dessus de sa
main. Comment ce simple contact pouvait‑il faire naître
autant de sensations en elle ? Adolescente, elle avait lu des
romans rapportant ce genre de phénomène, mais jamais
elle n’y avait goûté elle-même. Cependant, il n’y avait rien
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de romantique dans le geste de Raffa : c’était simplement
sa façon de la mettre à l’aise, devina Leila.
Pressés de rentrer au chaud, les invités les dépassaient
en les bousculant, rendant la conversation encore plus
malaisée.
— J’espère que vous êtes content d’être à Skavanga,
dit‑elle.
— Je le suis maintenant, répondit‑il avec un sourire
amusé. A vrai dire, jusqu’à ce soir, j’ai enchaîné rendezvous d’affaires sur rendez-vous d’affaires : je sors à peine
d’une réunion.
— Vous êtes descendu à l’hôtel ?
Elle rougit tandis que Raffa soutenait son regard en
haussant un sourcil. Il devait croire qu’elle lui faisait des
avances, alors qu’elle avait posé la première question qui
lui était passée par la tête. Heureusement, il semblait
l’avoir déjà oubliée.
— J’ai l’impression que c’est plus calme, dit‑il en se
tournant vers l’entrée. On tente une percée ?
— Je peux très bien me débrouiller toute seule, vous
savez.
D’autant que le somptueux duc était sans doute pressé
de se débarrasser d’elle.
— Je n’en doute pas. Mais pourquoi cet air inquiet,
Leila ?
— Je… Je ferais mieux d’aller rejoindre mes sœurs,
bredouilla-t‑elle à la hâte. Mais je vous remercie de…
d’avoir volé à mon secours.
— Je vous en prie.
Le regard de son interlocuteur était chaud, lumineux.
Et terriblement pénétrant. Raison de plus pour s’en tenir à
son plan initial : boire un verre avec ses sœurs, dîner, puis
s’autoriser un brin de causette sans conséquences avant
de s’éclipser le plus discrètement possible.
— Vous tremblez, Leila.
Elle se mordit la lèvre, embarrassée. Car elle tremblait
en effet de tout son corps. Et pas à cause du froid…
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— Tenez, prenez mon manteau.
— Oh ! non… Je…
Trop tard ! Raffa lui enveloppait déjà les épaules de son
élégant manteau. Elle frémit.
— Votre robe est tachée, dit‑il d’un air contrarié. Et
moi qui croyais vous avoir sauvée de la catastrophe !
— Vous y êtes presque parvenu.
— Je ferai mieux la prochaine fois.
— J’espère qu’il n’y en aura pas ! s’exclama spontanément Leila. C’est ma faute : j’aurais dû regarder où je
posais les pieds.
Un petit sourire remonta le coin de la bouche sensuelle
de Raffa.
— Dans l’immédiat, je crois que nous ferions mieux
d’aller réparer les dégâts, répliqua-t‑il avec une lueur
complice dans les prunelles.
Mon Dieu, ce sourire… Leila se força à détourner la
tête. Après tout, pourquoi ne pas se laisser bichonner un
peu, pour une fois ? Se lover dans l’aura de cet homme
superbe, durant quelques minutes seulement ?
De toute façon, le duc trouverait rapidement un prétexte
pour aller rejoindre ses amis et connaissances.
Ainsi, il avait enfin réussi à approcher Leila, la plus jeune
des sœurs Skavanga ! Et leur échange avait duré davantage
que le temps d’une poignée de main. A sa grande surprise,
Raffa venait de découvrir une jeune femme surprenante.
Un peu crispée mais drôle et qui, pour une raison qui lui
échappait, manquait de confiance en elle. En revanche,
il comprenait sa réticence à se mêler aux réjouissances :
faux sourires et bavardages superficiels n’avaient jamais
fait partie de ses occupations favorites.
Ce n’était pas facile d’être le plus jeune d’une fratrie.
Il était bien placé pour le savoir, même s’il s’était dégagé
très tôt de toute contrainte familiale. Mais auparavant,
avec des parents absents et trois frères plus âgés toujours
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prêts à le malmener — et deux sœurs aînées qui prenaient
un malin plaisir à en rajouter —, il avait fini par devenir
un enfant difficile.
D’après son expérience, il n’y avait que deux moyens
de s’en sortir lorsqu’on était le benjamin : la détermination
farouche, comme il l’avait fait, ou le retrait et l’effacement,
voie qu’avait manifestement choisie Leila Skavanga.
— Commençons par trouver le vestiaire, proposa-t‑il
quand ils eurent pénétré dans l’immense hall.
— C’était bien mon intention.
Elle redressa le menton, comme pour lui signifier qu’elle
n’avait pas besoin qu’on veille sur elle, qu’elle avait repris
le contrôle de la situation. Raffa fut envahi par un étrange
et inhabituel instinct protecteur.
— Ça l’était déjà avant que je ne vous rattrape au vol ?
— Bien avant, plaisanta-t‑elle à son tour.
Il retint un sourire. Il appréciait la lueur de défi qui
brillait dans les yeux bleus de la jeune femme. Subitement,
pourtant, ses joues prirent une exquise teinte rose et elle
détourna de nouveau la tête. Leila Skavanga était‑elle une
vraie innocente ? Probable, songea Raffa en l’observant avec
attention. Pourtant, ses sœurs n’étaient pas réputées pour
leur timidité… Cette singularité ne faisait que renforcer
le mystère émanant de la benjamine des Diamants de
Skavanga. Et lorsqu’elle planta dans les siens ses beaux
yeux, immenses et candides, sa libido réagit avec une
intensité inouïe.
— Venez, dit‑il en lui frayant un passage parmi la
foule. Allons régler votre petit problème vestimentaire
pour que vous puissiez profiter pleinement de la soirée.
Quand ils traversèrent le hall, Leila remarqua que tous
les regards étaient rivés sur Raffa, si bien que personne ne
fit attention à elle ni à sa robe tachée. Cette indifférence
lui rappela qu’elle s’était promis de s’accorder une année
de changement, de sortir de sa coquille, elle qui avait
toujours été cataloguée comme la rêveuse de la famille,
la plus tranquille, la conciliatrice. Elle allait avoir du mal
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à se débarrasser de cette étiquette, à la fois commode
et confortable. Toutefois, sa rencontre avec Raffa ne lui
offrait‑elle pas une occasion en or de s’en libérer ?
Pas en un soir, évidemment. Et peut‑être aurait‑il
mieux valu ne pas choisir cet homme-ci pour commencer
à s’émanciper ! Lorsqu’elle s’était promis de changer, elle
n’avait pas prévu que le facteur séduction entrerait dans
l’équation ; ni qu’il pourrait prendre l’apparence de don
Rafael Leon, duc de Cantalabria.
Elle avait toujours pensé que le premier homme qu’elle
approcherait de plus près serait un homme tranquille et
pas compliqué ; un homme peu exigeant et doux avec qui
elle se sentirait en sécurité. Or Raffa Leon était tout sauf
synonyme de sécurité — même s’il se montrait des plus
chevaleresques avec elle, mais c’était sans doute inné,
chez lui.
Il la tira de ses pensées en lui prenant la main pour
l’entraîner sous un immense lustre de cristal. Il recula de
deux pas et contempla le bas de sa robe d’un air consterné.
— Dios ! C’est pire que je ne le pensais.
Leila sentait un délicieux courant naître sous la caresse
du regard de son compagnon.
— Vous êtes sûre de ne pas vous être fait mal ?
demanda-t‑il.
— Oui, oui.
— En tout cas, je ne vous quitterai plus d’une semelle
ce soir. Pas question de risquer un nouvel accident.
C’était de l’humour qui pétillait dans ses yeux, comme
s’il devinait ce qu’elle ressentait à sa proximité.
— Non, vous avez raison, murmura Leila, incapable
de détourner le regard du sien.
— Le vestiaire ?
Elle se secoua mentalement.
— Oui. Et je peux me débrouiller seule, je vous assure.
Mais Raffa l’avait déjà reprise par la main et l’entraînait
vers le vestiaire, comme si elle n’avait rien dit. Sur son
passage, les gens s’écartaient comme devant un chef d’Etat.
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— Vous avez des amis à voir, des obligations…
— En effet, approuva-t‑il. Et j’en ai une qui passe avant
toutes les autres : rester auprès de vous afin de veiller à
ce que le reste de la soirée se déroule mieux que le début.
Et vous ne me privez de rien, Leila. Au contraire, vous
m’évitez de perdre mon temps à bavarder avec des gens
que je ne connais pas, ne désire pas connaître et ne reverrai
jamais. En fait, vous me rendez service. Quant à mes amis,
je peux les revoir quand je le souhaite.
Leila avait pensé exactement la même chose en partant
de la maison, mais seulement parce qu’elle était toujours
intimidée dans ce genre de situation. Ce qui n’était certainement pas le cas du magnétique Raffa Leon.
— Je repensais au mariage de Britt, poursuivit‑il quand
ils prirent place dans la file d’attente du vestiaire. Je vous
ai vue jouer à chat avec les petites demoiselles d’honneur
pour les distraire.
— Je me suis autant amusée qu’elles, reconnut Leila.
La sophistication n’est pas mon fort…
— D’aucuns considéreraient cela comme une qualité.
Leila avait dévoilé son secret : elle adorait les enfants.
Et les animaux. En fait, sa famille mise à part, elle aimait
les enfants davantage que les adultes : avec eux, au moins,
les rapports étaient simples et directs.
— C’est notre tour, reprit Raffa en lui posant la main
sur les reins.
Aussitôt, tous ses sens vibrèrent, peut‑être à cause du
contraste entre les doigts fermes de son chevalier servant
et la légèreté de la caresse.
— Si je comprends bien, vous aimez les enfants ?
— Oui, répondit‑elle en lui tendant son manteau. Je
suis même impatiente d’en avoir, mais sans père.
Raffa plissa les yeux, ce qui renforça encore son charme.
— Cela pourrait se révéler difficile…
— Pourquoi ?
— Sur le plan biologique, voulais-je dire.
Y avait‑il un sous-entendu dans son sourire en coin, se
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demanda Leila en cherchant en vain une réplique appropriée. Par chance, Britt s’avançait dans le hall au bras de
Sharif. Sa sœur aînée lui adressa un regard surpris, avant
de secouer imperceptiblement sa belle tête blonde, comme
pour lui signifier que, si elle ne voulait pas d’ennuis, elle
ferait mieux de s’éloigner de Raffa. Lorsque Leila lui
répondit par un sourire hésitant, Britt haussa les épaules.
« A tes risques et périls ! » traduisit Leila.
— Gardez soigneusement votre ticket.
— Pardon ?
— Votre ticket de vestiaire, expliqua Raffa en le lui
tendant. Maintenant, allez vous occuper de votre robe.
Il se tourna vers la porte des toilettes pour femmes, puis
laissa glisser lentement le regard sur son corps.
— Vos bas sont filés.
— C’est un collant, corrigea-t‑elle d’un ton guindé.
— Je vous en prie, ne m’ôtez pas mes illusions.
Seigneur, ce sourire dévastateur la chamboulait complètement ! Elle se ressaisit. Il était grand temps de mettre un
peu de distance entre cet homme fascinant et elle.
— Ne m’attendez pas, lança-t‑elle par-dessus son épaule
en franchissant le seuil des toilettes.
Penchée au-dessus du lavabo, Leila s’efforça de calmer
les battements désordonnés de son cœur. Raffa l’attendait‑il ou avait‑il saisi la chance qu’elle lui avait offerte
de reprendre sa liberté ? Jamais aucun homme n’avait
produit un effet aussi ravageur sur elle. Don Raffa Leon
aurait rendu Casanova lui-même jaloux ! D’ailleurs, s’il
préférait rester célibataire, c’était sans doute pour continuer
d’accumuler les conquêtes ; dont Leila n’avait pas du tout
l’intention de grossir les rangs.
Après avoir détaché une serviette en papier du rouleau,
elle l’humidifia afin de nettoyer sa robe. Celle-ci fut bientôt
à peu près présentable, mais Leila n’avait pas de collant
de rechange. Eh bien, elle s’en passerait ! Elle s’en débar17
rassa rapidement avant de le fourrer dans la poubelle, puis
regarda ses jambes en faisant la grimace : pas vraiment
sexy, la peau blanche… Mais comme personne ne ferait
attention à elle…
Personne sauf Raffa, qui repérait tout. Mais il ne
lui adresserait sans doute plus la parole de la soirée.
Toutefois, s’il l’attendait derrière la porte, pourquoi ne
le laisserait‑elle pas lui tenir compagnie ? Son année de
changement démarrait ce soir. Leila s’était promis de se
détendre, de s’autoriser des choses qu’elle brûlait de faire
depuis longtemps : voyager, par exemple, rencontrer des
gens nouveaux. En outre, Britt et Eva pouvaient se passer
d’elle. Et Raffa Leon était certes plus divertissant que le
maire de Skavanga, ou le vieux vicaire qui ne manquerait pas de lui faire l’un de ses sermons sur les vertus du
mariage, ni de lui répéter qu’elle devrait se trouver un
mari avant qu’il ne soit trop tard.
Trop tard, à vingt‑deux ans ? Et puis, à quoi bon
s’encombrer d’un mari ? Elle ne désirait qu’une chose :
avoir un enfant. Ou, mieux encore : des enfants.
Elle contempla son reflet dans le miroir étincelant. Raffa
l’attendait‑il, ou avait‑il poussé un soupir de soulagement
dès l’instant où elle avait refermé la porte derrière elle ?
Il n’y avait qu’un moyen de le savoir…
Il était là, son charme viril augmenté par l’énergie
formidable qui exsudait de sa haute silhouette.
— Excusez-moi de vous avoir fait attendre aussi
longtemps.
— Cela en valait la peine : vous êtes superbe, Leila.
— Disons plutôt que je suis à peu près présentable. Et
j’ai dû ôter mon collant.
Elle s’interrompit, horrifiée. Pourquoi avait‑elle donné
cette précision stupide, et affreusement ambiguë ?
L’air très amusé, Raffa la regardait en silence.
— Des jambes nues à la peau blanche comme un cachet
d’aspirine, ce n’est vraiment pas terrible, reprit‑elle dans
l’espoir de se rattraper.
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« Des jambes incroyablement longues aux mollets galbés,
aux chevilles fines et gracieuses », corrigea Raffa en son
for intérieur. Des jambes aussi attirantes que le reste de
sa ravissante personne.
— Et ma robe est un peu trop ajustée, poursuivit‑elle,
l’air aussi apeurée qu’une biche prise dans le faisceau
des phares. En fait, Britt me l’a prêtée. Britt est si mince !
Raffa ne releva pas : il préférait les douces rondeurs
de Leila.
— Comme je n’aime pas trop ce genre de soirées, ma
garde-robe n’est pas très fournie. Je préfère les endroits
plus tranquilles.
— Nous avons cela en commun, acquiesça Raffa,
désireux de mettre fin à ce qui ressemblait à un supplice
pour elle.
Il ne mentait pas : il aurait été prêt à fuir cette agitation
mondaine pour aller se réfugier dans sa suite du dernier
étage. Avec Leila…
— J’ai une idée, ajouta-t‑il en lui prenant doucement
le coude. Il y a un petit salon très tranquille au bout de
ce couloir. Vous…
— J’ai une allure épouvantable, c’est cela ? l’interrompit‑elle
visiblement effarouchée et embarrassée.
Elle était si adorable tandis qu’elle levait son beau visage
vers le sien. Non seulement elle avait besoin de se détendre,
mais il souhaitait vraiment la connaître un peu mieux.
— Venez. Eloignons-nous un peu de cette faune. De
toute façon, la soirée proprement dite ne commence que
dans une demi-heure.
— Mais… mes sœurs m’attendent !
— Elles seront si occupées qu’elles ne remarqueront
ni votre absence ni la mienne.
Après avoir ouvert la porte du petit salon, Raffa s’effaça
pour laisser passer la jeune femme. Ils ne seraient pas
seuls : quelques clients de l’hôtel y étaient installés pour
lire le journal ou bavarder au calme, près d’un grand feu
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de cheminée. C’était l’endroit idéal, songea Raffa en se
dirigeant vers deux fauteuils club de cuir fauve.
— Un jus d’orange ? proposa-t‑il quand elle fut assise.
— Oui, avec un peu de limonade, s’il vous plaît.
Comment le savez-vous ?
Il adorait voir ce sourire illuminer son visage au teint
de lys.
— J’ai eu de la chance.
Leila était réputée pour être la plus timide des sœurs
Skavanga, mais quelque chose en elle semblait indiquer
qu’elle entendait bien garder la tête froide — en toutes
circonstances… Eva, elle, avait toujours eu une réputation
de forte tête, jusqu’à son récent mariage avec Roman. Son
ami et associé avait réussi à l’apprivoiser, sans gommer
pour autant sa vivacité et sa détermination. De son côté,
Britt, l’aînée, belle et talentueuse femme d’affaires, s’était
également adoucie grâce à l’amour.
Raffa savait qu’après la mort accidentelle de leurs
parents, Leila, alors encore très jeune, avait été protégée
par ses sœurs et leur frère. Toutefois, dès le premier jour
où il avait posé les yeux sur elle, Raffa avait pressenti que
Leila Skavanga était bien davantage qu’une enfant gâtée.
Et il avait hâte de découvrir les trésors qu’elle dissimulait
sous ses airs innocents et timides…
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