On ira marcher sur la lune

Transcription

On ira marcher sur la lune
On ira marcher sur la lune
M.F. LE ROUX, J.M de CHAISEMARTIN, A.M. KERVEADOU
(secteur de Landerneau)
Raconter une histoire, collective qui plus est, quelle gageure. C'est pourtant à un tel
exercice que nous nous sommes efforcés en présentant un bout de l'histoire du 13e
secteur du Finistère.
L'organisation d'une journée de travail sur le thème "Transfert et contre-transfert dans
le champ institutionnel" lui a été confiée, et pas par hasard. On a déjà évoqué la
nécessité de retravailler le concept de Transfert ; chez nous, "le transfert", on n'entend
que ça, depuis 3 ans ; parfois sans autre précision, parfois, c'est "le transfert du secteur
13", l'administration intitule un document de travail "les processus du transfert".
Alors le jeu de bascule d'une signification à l'autre insiste trop et on ne peut pas
s'empàcher de penser que raconter cette histoire, c'est apporter sa pierre à l'édifice de la
réflexion.
C'est aussi l'apporter à l'édifice en construction car nous avons un chantier en cours...
Chronique d'une mort annulée
La sectorisation s'est mise en place dans le Finistère, du moins dans les textes, en
1972. Pendant 6 ans, il n'y eut que 12 secteurs dans ce département. Le 13e n'est
individualisé qu'en 1978. Géographiquement compliqué par le dessin côtier, il est
plutôt "étendu". Sans pôle hospitalier sur le territoire, il est rattaché à Morlaix, à 40 km
du point le plus proche, mais à 120 du plus éloigné. Cette configuration, l'absence de
transports en commun, l'ignorance des chemins d'attraction traditionnels d'une bonne
part de ce territoire, portent en germe les problèmes de déplacement qu'il faudra traiter
si on se refuse à ce que Morlaix continue à être, comme alors pour les malades de la
presqu'île de Crozon, un lieu "d'où l'on ne revient pas".
Mais à l'époque, on n'en est pas là. Des élèves sont recrutés par l'école infirmière de
Morlaix, "pour Landerneau". Un projet de construction dans cette ville est subordonné
à une réduction égale de la capacité morlaisienne : cette décision, jamais prise,
maintient au rayon des hypothèses la constitution définitive de ce secteur,
régulièrement qualifié de "provisoirement morlaisien", par opposition aux "secteurs
définitifs de Morlaix".
A ce handicape vont s'en rajouter deux autres :
- s'il est doté des moyens dévolus à l'époque par le département au travail
extra-hospitalier, le secteur 13 n'est pas autorisé à recevoir dans les lits qui lui sont
affectés les malades de sexe masculin. Ceux-ci continuent d'être accueillis à Quimper,
assimilés là-bas (à 90 km de Morlaix) aux "sans domicile fixe". Autre obstacle à
contourner si on veut travailler la continuité des prises en charge.
- Par ailleurs, depuis 1970, il existe à Morlaix un "secteur "D". Il est issu d'une
réorganisation interne à ce centre hospitalier : à cette époque, ici, la sectorisation dans
ses prémices, signifiait quasi-exclusivement nouvel organigramme interne aux
établissements, pour réguler les admissions.
Cette entité voit le jour "pour permettre aux 3 secteurs définitifs de Morlaix de
fonctionner normalement". Elle accueille les 210 malades alors hospitalisées dont les
secteurs d'origine dépendent désormais de Quimper. Il a été décidé de ne pas les y
transférer, "afin d'éviter une déportation massive".
Tout naturellement, l'accueil des malades de Brest (étendu jusqu'à St Pierre et
Miquelon), pendant la construction de l'hôpital de cette ville, vient s'ajouter à cette
fonction de métabolisation de celles qu'on appelle "les chroniques hors-secteur".
Ce secteur D est voué à disparaître lors "du décès ou du départ de Morlaix de la
dernière "de ces malades". Quelles "fées" se sont donc penchées sur le berceau de ce
curieux bébé ?
Quoiqu'il en soit, les deux canards boiteux du département, le D promis à extinction et
le 13e secteur d'implantation précaire et bancal dans ses moyens, sont rassemblés en
une même entité administrative. Le poste de médecin-chef n'est, pour ses détenteurs
successifs, qu'une étape de leur carrière : ils gèrent les affaires courantes, peu
intéressés par le long terme.
En 1980, le secteur 13 comprend donc 8 unités de soins à Morlaix, dont une seule
d'admissions. Elles accueillent 284 femmes dont beaucoup sont âgées et/ou portent les
stigmates d'un traitement asilaire. Le personnel est isolé par le sentiment d'avoir été
rejeté des autres secteurs mieux lotis, avec une tâche peu gratifiante, l'impossibilité
d'exercer pleinement sa mission de secteur ; l'activité des dispensaires est réduite ; le
projet d'implantation à Landerneau tient du serpent de mer, l'avenir sur Morlaix est
sombre.
Que faire d'un secteur "aussi mal noué" ?
Un médecin-chef titulaire, extérieur à l'établissement, s'y fait pourtant nommer,
affirmant sa volonté d'y travailler, et si possible jusqu'à sa retraite... imposant ainsi une
tentative de cohérence vis-à-vis du long terme.
Elle va s'efforcer d'appliquer la politique de secteur, entendue comme une politique de
continuité des soins, d'unicité de l'équipe qui en est responsable. Ce qui suppose de
travailler le morcellement, les cloisonnements, les circulations.
Les malades, leurs familles, les correspondants aideront, pense-t-elle, à remettre en
cause la bipolarité hospitalière (Morlaix-Quimper). De fait le renouvellement du
regard des responsables administratifs et tutélaires se conjugue aux forces ainsi mises
en oeuvre et, fin 1982, une réunion à Landerneau jette les bases d'un nouveau
règlement départemental, arrêté fin 1984 :
- à court terme, l'ensemble des malades du secteur peut désormais être hospitalisé à
Morlaix.
- à moyen terme, les possibilités de prise en charge extra-hospitalière doivent être
développées
- à long terme, le secteur de Landerneau sera rattaché à l'hôpital de cette ville, quand
les moyens de celui-ci le permettront.
Notre travail a, d'emblée et de façon volontaire, refusé la coupure entre l'intra et
l'extra-hospitalier, tant vis-à-vis des malades du secteur que des "apatrides" qu'étaient
devenues les malades sédimentées à Morlaix, et ce pour tout le personnel.
Cela a permis d'interrompre les processus de chronicisation, de diminuer de moitié le
nombre moyen des hospitalisés, de rendre espoir aux malades et aux infirmiers "des
quartiers". Ces quartiers se sont transformés en services d'admission. Les symptômes
pathologiques, au lieu d'être source d'exclusion, ont pu être reconsidérés comme des
éléments d'une dynamique complémentaire, soignante.
Les discours des soignants jusqu'alors épars, ont été peu à peu repris, retravaillés en
commun dans un réseau de réunions aux fonctions distinctes, réseau tissé patiemment,
mais obstinément, au fur et à mesure des nécessités d'avoir à fournir une réponse,
nécessités saisies comme autant d'opportunités.
L'extra-hospitalier s'est étoffé, appuyé sur les visites à domicile, les visites familiales
faites par les infirmier(e)s, et sur l'activité des dispensaires. Ceux-ci ont cessé de
fonctionner comme des contrôles de post-cure, pour devenir des lieux de soins
contractuels. Le personnel para-médical s'est relayé dans ces "laboratoires de
formation" ; confronté à la vie ordinaire, il a pris le pli d'adapter ses comportements
sur place puis dans l'unité de soins où il continue d'exercer.
Inversement la lutte contre l'enfermement dans les lieux ou dans les rôles, à l'hôpital,
apprend à traiter les difficultés de communication et de rencontre dans tout le secteur.
L'irrigation de celui-ci repose aussi sur les malades et leurs familles qui passent avec
moins de difficultés d'une structure à l'autre.
Ce travail de longue haleine a rendu la mixité des unités de soins d'emblée possible en
1985, quand l'environnement hospitalier continuait à pratiquer la bisexualisation. En
octobre 1984, une journée portes ouvertes, à Morlaix, permet de fêter avec malades,
familles et correspondants, l'unification du secteur. En avril 1986 une journée d'étude
sur l'implantation d'un hôpital de jour permet d'inviter à une réflexion commune les
équipes du grand ouest, à Landerneau, autour du Docteur J. Oury qui venait pour la
deuxième fois animer un stage de formation permanente.
L'ouverture de l'hôpital de jour à Landerneau en 1986 scande cette période de
développement.
C'est la première étape d'un plan directeur, un projet que l'équipe doit vitaliser (elle
prendra son temps, car elle avait plutôt en tête un C.A.T.P). Les risques d'une
satellisation sont limités par quelques précautions : une navette bi-quotidienne circule
entre les deux sites, quatre infirmiers (sur 7) travaillent à mi-temps à Landerneau et à
Morlaix, le temps médical est partagé. L'hôpital de jour est intégré dans la structure
institutionnelle.
Cette continuité du service, voulue par ses acteurs, est fortement soutenue par les
instances administratives qui défendent le "droit de retour" et parce que les infirmiers,
continuant à habiter à Morlaix, commencent leur journée en passant "au bureau".
Mais c'est la première fois que le secteur dispose de locaux propres sur son territoire,
de locaux permanents. C'est la première fois que trois infirmiers peuvent être
considérés comme extra-hospitaliers "pur", et qu'une ASH est recrutée sur place.
C'est surtout la première fois que des soignants formulent la question : "pourquoi
ferais-je tous les jours 80 km pour mon travail, jusqu'à maintenant je peux y aller à
pied ?"
Peu avant cette ouverture, le premier club de malades s'est mis en place ; trois autres
verront le jour, un sur chaque site d'intervention, d'ici 1989. Ces clubs, outils de
gestion dans un cadre associatif, permettent de reconnaître et de faire reconnaître que
les malades, y compris ceux hospitalisés à plein temps depuis longtemps, sont ou sont
redevenus capables, à tous les sens du terme, de responsabilités dans leur vie
quotidienne.
Ils sont conçus avant tout comme des outils de médiation, avec pour fonction
principale de créer, d'organiser un paysage, toile de fond sur laquelle il peut y avoir
des possibilités d'inscription. Organisateurs de circuits d'échange, ils aident à traiter la
maladie mentale, maladie de relations, à soi-même et aux autres, en facilitant
l'approche du monde du psychotique, tout en respectant la singularité de celui-ci.
Ce qui nous intéresse en premier lieu, c'est en effet ce qu'il y a de particulier, d'insolite,
d'inattendu dans la personne, et non ce qui la fait ressembler aux autres.
J’ai perdu mon Eurydice
La sécurité nécessaire à un tel développement paraissait alors avoir été apportée par le
règlement départemental de 1984. Elle est cependant illusoire : le 13 janvier 1988 le
nouveau directeur du Centre Hospitalier de Morlaix, lors d'une fête à l'hôpital de jour à
Landerneau annonce qu'il a reçu comme mission de préparer le rattachement du
secteur au Centre Hospitalier de Landerneau.
Cette annonce fait l'effet d'une bombe, frappant une équipe qui avait le sentiment de
remplir sa mission. Puisqu'il n'est tenu compte, ni en bien, ni en mal, du travail
effectué, on se demande s'il est tenu compte des besoins de la population desservie. On
entend alors parler d'arbitraire.
Cependant cette intervention a pour mérite de nous pousser à une analyse des motifs et
des enjeux, ainsi que de notre dispositif : nos frais de déplacement sont la cause
invoquée ; ils sont importants, c'est vrai, mais ne peuvent justifier à eux seuls un tel
chambardement.
La région Bretagne a été désignée comme région pilote pour la planification en
psychiatrie avec deux idées directrices : les capacités d'hospitalisation y sont trop
importantes, la sectorisation (entendue là dans une dimension essentiellement
géographique) n'y est pas achevée. Une restructuration de l'hôpital de Morlaix se
profile ; que représente dans ces projets le départ du secteur 13 ? L'activité de l'hôpital
de Landerneau où 30 lits de médecine sont fermés à la même époque a-t-elle besoin
d'être soutenue ? En quoi le projet de construction d'un nouveau C.H.U à Brest (distant
de 20 km) interfère-t-il avec cette accélération subite de l'histoire qu'on impose au
secteur ? Mais c'est aussi dans notre propre fonctionnement que le pôle hospitalier
pèse lourd. Les équipes ne sont identifiées que par rapport au découpage interne de
l'établissement, sans que cette empreinte puisse être pondérée par des critères
fonctionnels : comment pourrait-on s'organiser pour assurer telle ou telle activité ? Ce
genre de questions apparaît parfois sur la place publique, mais n'est sûrement pas
repris de façon adéquate puisque, pour donner un exemple, c'est toujours "la grille" des
unités de soins qui commande l'organisation des congés.
Carcan hospitalier ? Oui, quand la culture locale, la formation, les personnels ne
s'interrogent pas, ou plus sur leurs buts. Le modèle qui continue à s'imposer à Morlaix
date, il n'a pas intégré la dynamique sectorielle. Celle-ci, on le sait, a émergé dans
l'après-guerre, appuyée sur l'analyse du vécu concret dans les hôpitaux psychiatriques
pendant l'Occupation. L'hôpital de Morlaix, exclusivement féminin y compris dans son
personnel, à part quelques médecins et administrateurs, paie-t-il d'avoir de ce fait été
relativement "tenu à l'écart", d'avoir subi les privations sans pouvoir se battre, lui qui
semble n'avoir pas tiré parti des réflexions issues d'un tel bouleversement.
Le modèle hospitalocentrique est, chez nous, si bien intégré que c'est de soi-même
qu'on annule un atelier ou une visite à domicile, qu'on dégarnit une permanence de
consultation, quand l'effectif théoriquement nécessaire à l'intra-muros le réclame. Les
rares protestations restent individuelles, sans effet pratique.
Autre marque étonnante de la prééminence que nous accordons au pôle hospitalier : au
comité de secteur, qui regroupe de façon paritaire les représentants des clubs de
malades et ceux de l'équipe, le club morlaisien bénéficie d'un siège, d'une voix de plus
que les trois autres. Cette répartition, allait tellement de soi pour tant d'entre nous que
ceux qui tentent de nous interroger sur ce privilège exorbitant ne peuvent se faire
entendre. L'imprégnation était si profonde qu'avec les malades, cette répartition a été
indiscutable.
La représentation qu'on a adoptée là pour le secteur reflète un découpage issu de
critères administratifs : dans la file active, deux patients sur trois ne mettent pas les
pieds à l'hôpital. Six sièges pour Crozon, Landerneau et Pont de Buis c'est bien les 2/3
des mandats des malades, Morlaix s'étant vu réserver le 1/3 restant. En fait cette
ventilation revient à nier l'existence de circulations dans le secteur : la file active est
établie sur un an ; or en un an on va, on vient, on peut être hospitalisé, reparti. Là, rien
de tel : les malades hospitalisés à plein temps à ce moment-là représentent "tous les
hospitalisés de l'année", les 3 autres clubs ne sont réputés représenter que ce que le
jargon administratif isole comme l'extra-hospitalier "pur" !
Trop pesant, le modèle hospitalier en tant que modèle d'administration et non de
création, d'invention ? Alors, très vite, "créer des structures de dimensions plus
humaines, plus accueillantes, plus adaptées à nos pratiques, pour plusieurs d'entre
nous, cela devient attrayant".
Mais après la déclaration fracassante du directeur, il ne s'entend plus rien ; trois mois
de silence, éprouvant.
Les médecins décident de demander un rendez-vous à la DASS, pour s'informer. La
directrice de la DASS ne confirme, ni n'infirme. Certes elle a pensé à la reconversion
des 30 lits de médecine de Landerneau, mais rien n'a encore été approuvé. Elle
demande une étude. Celle-ci est rédigée. Le "projet printemps 1988" refuse les 30 lits,
comme insuffisants et inadaptés. Il présente un projet de redéploiement de la totalité
du dispositif, de ré-affectation de la totalité des malades et du personnel.
Il s'agit d'une période de "vacance" des conseils d'administration puisque d'élection
municipale (les maires sont présidents des conseils d'administration), les médecins (et
aussi les malades des bureaux des clubs) utilisent cette opportunité pour rencontrer
chacune des têtes de listes landernéennes.
Deux médecins font le pari de changer leur domicile, de la zone d'attraction
morlaisienne, vont habiter dans l'espace géographique du secteur. Des infirmiers
achètent des voitures "qui tiennent la route".
Les effets dévastateurs s'accélèrent. Confronté au déménagement, on se positionne très
rapidement, c'est une question concrète que chacun résout à sa façon. Certains peuvent
et veulent bien changer leur cadre de vie, d'autres ne le peuvent ou ne le veulent pas.
Mais est-ce seulement une question de déplacement ? L'autre dimension de choix,
celle qui demande de décider entre son cadre social et sa façon de travailler est plus
difficile à traiter. Dès qu'elle émerge dans le collectif, elle est refoulée.
Obligée de travailler ses choix, de dégager un peu ses désirs, l'équipe médicale et paramédicale semble sidérée : le mot de Landerneau devient tabou, évoquer les projets
d'avenir en réunion c'est déclencher un silence pesant ou des discussions répétées.
Reconnaissant, dans de rares moments, pratiquer la politique de l'autruche quand elle
est menacée, le groupe espère des éléments de réponse venus d'ailleurs... D'ailleurs,
mais d'où ? Il y a bien quelqu'un qui doit savoir ! On parle beaucoup de plans plus ou
moins secrets, ce qui permet de se refuser à prendre position puisque "toutes les
décisions sont déjà prises" mais aussi de façon plus pernicieuse de séparer les initiés
(entendu comme ceux qui essaient encore de balbutier des idées ou dont la position
hiérarchique permet des contacts "de haut niveau") des autres.
Or la tutelle elle aussi paraît lointaine. Interrogée par écrit, la DASS se retranche
derrière l'avis des conseils d'administration qui s'empressent de lui renvoyer la
responsabilité de la décision.
La décision du Comité des objectifs de Santé Mentale n'est pas claire. Le débat sur le
secteur 13 permet de faire oublier à tous, que l'ordre du jour était la présentation du
guide de planification en psychiatrie, texte qui impose à tous les secteurs la
redéfinition de leurs objectifs et de leurs moyens.
Le silence est bruissant de rumeurs qui font tourner les têtes, guetter l'indice qu'on
pourrait interpréter.
Le secteur s'embourbe dans l'incertitude. L'inquiétude gagne l'équipe qui voit les autres
secteurs faire des plans incluant dans leurs données de base le "départ du secteur 13".
Les locaux, déjà vétustes, ne sont plus entretenus, tout aménagement est suspendu
dans l'attente du transfert, qui permettrait (magiquement ?) de résoudre les problèmes
que pose la réorganisation de la psychiatrie à Morlaix.
Le projet global de l'équipe se heurte au refus des autorités. "Pour le moment, tout le
monde est bien disposé envers vous, mais soyez raisonnable".
Le centre hospitalier de Morlaix, principal employeur d'un canton particulièrement
frappé par la crise économique et le chômage, pouvait-il se dessaisir de la totalité des
postes et de l'activité générée par le secteur ?
Ce refus redonne chair au vieux fantôme appelé secteur D : on n'a qu'à laisser partir le
secteur 13 et qu'à reconstituer ce qui était réputé permettre aux autres secteurs de
fonctionner : un secteur déterritorialisé, simple service hospitalier. La rumeur insiste et
désigne un praticien pour en prendre la charge.
Les éléments moteurs du groupe décident de porter leur désarroi sur la place publique.
Au cours d'une journée d'étude départementale organisée à Combrit sur la planification
en santé mentale, la surveillante-chef fait une communication pour décrire les effets
concrets, dans le vif, de la planification. Elle a le sentiment que Morlaix ne veut plus
du secteur 13 et que Landerneau n'en veut pas encore. L'opinion du modérateur de
séance est claire : "vous pouvez demander votre rattachement à l'Ile d'Ouessant, c'est
au cimetière de là-bas qu'on rattache les péris en mer".
Mais dans l'après-réunion, le Médecin Inspecteur Régional et l'Inspectrice de la DASS
nous écoutent et nous proposent de venir à Morlaix le 29 juin pour rencontrer l'équipe
et "calmer les inquiétudes".
La journée de Combrit restera dans les têtes, celle où tout a été décidé. Le 29 juin
1989, le refus du "projet printemps 1988" est confirmé. Deux éléments dans le débat
surprennent. La DASS affirme n'avoir pas à prendre de décision puisque celle-ci est
prise depuis l'arrêté préfectoral de 1978 constituant le secteur de Landerneau. Par
ailleurs, le directeur de Morlaix, quand est traitée la question de la prise en charge des
malades devant rester à Morlaix fait état "d'une position commune des psychiatres de
l'établissement". Nouvelle surprenante. Les médecins du secteur 13 qui n'ont été ni
informés, ni invités à une réflexion sur ce thème ne font-ils donc plus, ni pour leurs
confrères, ni pour le directeur, partie du centre hospitalier de Morlaix ? Nous y
reviendrons plus loin.
Le principe du rattachement du secteur 13 à Landerneau est donc affirmé ce jour là par
les responsables de l'administration sanitaire. Il ne sera plus vraiment contesté. Les
instances locales n'émettront aucun vote défavorable (ni favorable non plus).
Appliquer une décision prise en...1978 confortera certains sceptiques dans l'opinion
qu'il s'agit d'une contorsion de plus du serpent de mer, que celui-ci retournera dans les
profondeurs quand on abordera les éléments financiers. "Vous n'aurez jamais les
moyens de construire".
A l'issue de cette journée, l'idée d'une équipe d'implantation, gagée sur les effectifs du
secteur est retenue. Cette équipe aurait une triple mission :
- accueillir les nouvelles demandes de soins
- coordonner les actions sur l'ensemble du secteur
- mener une recherche sur les besoins de la population, rencontrer les partenaires
sanitaires et sociaux ; élaborer un projet d'implantation.
Une deuxième réunion, patronnée par la DASS, rassemble cette fois au centre
hospitalier de Landerneau, en septembre 1989 les responsables médicaux et infirmiers
du secteur, les présidents des instances landernéennes (C.A. - C.M.E) et les directions.
Elle s'ouvre sur un incident lié à la présence inattendue, et aussitôt jugée inopportune
d'un chef de service morlaisien. Celui-ci, réduit au silence sur place, répandra
largement ailleurs ses doléances.
Cette réunion permet la mise en place d'un groupe de travail bipolaire et restreint qui
pointera les difficultés et explorera les solutions.
A la mi-octobre la DASS préside à Morlaix une "assemblée générale" hors instances
réglementaires. Techniciens de la DASS, Médecin Inspecteur Régional, administratifs
des deux directions, présidents des deux C.M.E sont présents. La salle est composée
des secteurs morlaisiens, médecins et infirmiers. Les 3 médecins du secteur 13 sont
invités à présenter les projets. Ils sont accompagnés des infirmiers du comité de
secteur.
Les médecins pensent toujours quand on leur demande leurs projets qu'il s'agit de
projets thérapeutiques. Ils pensent aussi que l'occasion est belle de rappeler certaines
valeurs qui sous-tendent leur travail. Mais il ne s'agissait pas d'écouter "un délire
verbal". Il s'agissait de métaboliser les restes de l'opération de transfert. La DASS
incite à les utiliser pour mettre en place un long séjour psychiatrique (dont on ne
connaît pas la définition exacte). Le Médecin Inspecteur Régional, lui, qualifie comme
"moyen" au regard des chiffres régionaux, et en les rapportant à la population du
secteur 13, l'effectif en personnel de l'équipe, qu'il affirme vouloir préserver au
bénéfice du secteur.
Les représentants du personnel s'inquiètent du flou entretenu autour des modalités
proposées en pratique, pour la poursuite des carrières de chacun. La DASS pose alors
comme principe que seuls les personnels volontaires seront recrutés par Landerneau.
Cette prise de position a l'effet d'un baume magique : les inquiétudes non plus lieu
d'être, chacun choisira comme il veut. En fait d'enchantement c'est plutôt d'un feu de
Bengale qu'il s'agit : comme un beau fumigène, le "principe du volontariat" fascine (le
regard encore !) et masque tout l'arrière-plan avec la complicité obligée du spectateur.
En fait c'est parce qu'il ne tient pas compte de la notion d'équipe en tant que collectif
que ce principe se révelera pernicieux, c'est à dire ravageur.
Chacun se retrouve à nouveau confronté, comme s'il était seul, à un dilemme cruel : "
tu veux ou tu veux pas ?" Vouloir quoi ? Dans quelles conditions ? Avec quelles
garanties ? Avec qui ? Le débat n'a pas eu lieu. Les réponses, dont le dévoilement ne
peut être que parcellaire, et dont les éléments sont détenus par chacun des acteurs de
cette histoire, ne pouvaient être mises en forme ailleurs que dans l'équipe. Mais la
croyance illusoire au secours de l'autre représenté là par les "puissants" est tenace.
Les effets dévastateurs s'amplifient, la dépression gagne ce qu'on ne peut plus qualifier
d'équipe : le collectif soignant s'est fragmenté en individualités. La séparation
annoncée impose des processus de deuil que chacun traite comme il peut : pour
certains ce travail paraît assez aisé, pour d'autres il est trop douloureux et s'exprime
plus facilement par du dépit, de l'agressivité vis-à-vis de ceux qu'on a décidé (sans
pouvoir se le dire) de quitter, on multiplie les empêchements de poursuivre le travail
habituel, sans parler de celui que devrait représenter l'élaboration collective d'un projet
de redéploiement.
à suivre...