Aperçu sur l`art lyrique basque
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Aperçu sur l`art lyrique basque
Aperçu sur l'art lyrique basque Si on connaît, et fort bien, les arts lyriques italien, allemand, viennois,russe, français voire tchèque ou suédois... qu'en est-il de l'art lyrique basque? Mais le pays basque n'est qu'une province du sud-ouest ! Eh bien non !! C'est un véritable pays constitué de sept provinces que se partagent l'Espagne et la France : il possède sa langue aux origines encore mystérieuses, l'Euskara, que des maîtres compétents enseignent à l'école,sa littérature,ses arts spécifiques et ses propres traditions. Aussi à partir du XIXè siècle, et plus particulièrement entre 1884 et 1937, a-t-il cherché à se doter d'un art lyrique propre- mélodies, zarzuelas (équivalent à peu près de notre opéra comique), opéras- et à montrer ainsi que sa culture valait bien les autres cultures européennes dont l'opéra était une des manifestation les plus abouties. Cet art lui sert aussi à traduire une revendication identitaire à laquelle adhère la population des deux cotés de la frontière qui partage notre beau Pays Basque. N'est-ce pas ce que fit Verdi pour la péninsule italienne avec son Nabucco? Là aussi les sujets historiques côtoient les intrigues paysannes mais dans un environnement typiquement basque : les compositeurs n'hésitent pas à faire appel au folklore, chants et danses populaires ; les librettistes utilisent assez souvent sans crainte l'Euskara qu'ils mêlent parfois à la langue de Cervantes ou à celle de Molière.Ces caractéristiques,ajoutées à notre manque de curiosité pour ce qui sort des sentiers battus, expliquent sans doute le peu de retentissement que ces oeuvres ont pu avoir en dehors des frontières régionales, et justifient peut-être aussi leur véritable succès en Euskadie. Ajoutons à cela que la production reste limitée: une quinzaine d'opéras, un peu plus de zarzuelas. Ces oeuvres ont cependant toujours été montées avec soin malgré des moyens souvent limités . Les mises en scène généralement traditionnelles, ce dont on ne peut que se féliciter aujourd'hui où tant d'entre elles trahissent compositeurs et librettistes et s'avèrent de véritables contresens, les mises en scènes ,dis-je, sont d'avant-garde par l'utilisation des techniques les plus modernes. Les chorales locales, fort compétentes, assurent les choeurs. Quant aux solistes, ils peuvent être issus de ces chorales et apporter, dans ce cas, la simplicité et le naturel qui fait parfois défaut aux professionnels, ce qui compense leur timidité et leurs maladresses; c'est du moins comme cela que les perçoit le public basque. Bien des grands noms pourtant ont apporté leur concours à ces oeuvres typiques tels Ainhoa Arteta, Alfredo Kraus, Juan Pons, Teresa Berganza, Maria Bayo-comment les nommer tous?- qui en mettent volontiers des extraits à leur répertoire Mais peut-être est-il temps de présenter quelques compositeurs bien connus des musiciens basques, beaucoup moins des musiciens français, présentation qui réserve quelques surprises! La première est que plusieurs d'entre eux ont fait des études à la Schola Cantorum- vous avez bien lu: à la Schola Cantorum, rue St Jacques à Paris- et eu pour maîtres les plus grands de nos compositeurs comme Vincent d'Indy. D'autres étudièrent en Allemagne ou en Belgique, et bien évidemment à Bilbao ou Madrid. Commençons donc notre tour d'horizon par Jose Antonio Santesteban Jose Antonio SANTESTEBAN, pianiste et organiste comme beaucoup de compositeurs basques, nait à St Sébastien le 26 mars 1835 et y meurt le 13 janvier 1884. Il étudie à Paris sous la férule de François Marmontel, pédagogue et musicographe, du compositeur de Maître Pathelin, François Bazin, et de Samuel David. Il aurait été un intime de Bizet. En 1862 il publie des Aires vascongados pour chant et piano, primés en 1876 lors de l'exposition de Vienne. Son opéra Pudente , sur un livret de Serafin Baroja Zornoza, achevé et représenté l'année de sa mort, premier opéra basque, raconte l' histoire compliquée d' un père, Pudente, et de son fils, Lépido, amoureuxde la même femme, Fulvia.L'action se déroule à l'époque romaine dans une colonie minière ibérique(en Andalousie?). Selon la presse la distribution constituée entièrement d'amateurs ne démérite pas et les décors particulièrement soignés surprennent. Cet ouvrage sera repris plusieurs fois à SaintSébastien entre 1884 et 1904. Cependant c'est surtout un pot pourri d'airs en vogue et traditionnels. L'ensemble tient de la revue: le compositeurs a opéré les arrangements et l'orchestration. Glissons sur Iparaguirre, oeuvre d'un jeune compositeur de 22 ans, Juan GUIMON, jouée une fois et dont partition et livret ont, semble-til, disparu pour arriver à une oeuvre plus ambitieuse et méritant sans doute plus que les deux précédentes la qualification d'opéra: Chanton Piperi (1899).On trouve là la volonté de créer un véritable opéra nationaliste avec une structure rigoureuse (airs, romances, ensemble...) L'action située au moyen âge raconte la lutte entre deux lignages rivaux. Chanton, jeune orphelin, accusé de trahison est réhabilité à la fin et les factieux se réconcilient. Un hymne à la fraternité basque, encore célèbre aujourd'hui et régulièrement interprêté par les chorales et choeurs du pays, achève l'ouvrage qui révèle le compositeur Buenaventura ZAPIRAIN (Lekeitio 1873-Saint-Sébastien 1937). Celui-ci fut élève de son frère,aumonier et organiste, avant de venir étudier deux années à Paris la fugue et le contre-point avec Alexandre Guilmant, professeur à la Schola. Son second ouvrage, la dama d'Amboto, 1906, raconte une histoire confuse de sorcellerie, de combats, d'enlèvement qui s'achèvera par la libération du peuple et un hymne célébrant la croix et l'arbre de Guernika (le chêne sous lequel les rois s'engageaient vis à vis de leur peuple). Le livret est en basque et en latin. Toute cette complication explique un succès mitigé; toutefois l'oeuvre sera reprise en 1909 à Bilbao et bien plus récemment en 1955 à SaintSébastien. Mais il fallait à l'opéra basque une audience plus large que les deux villes que je viens de citer, ce que réalise la création à Buenos Aires, avec un vrai succès, de Artza Mutilla, trois actes de Pello Maria OTAÑO et F. ORTIZ.L'intrigue est simple, une fois n'est pas coutume: un riche propriétaire amoureux contrarie les amours de deux jeunes bergers. Le père de la jeune fille le ramène à d'autres sentiments et les jeunes gens se marient dans l'allégresse générale.L'oeuvre, dont la partition a malheureusement disparu,sera donnée pour la dernière fois au Colon en 1927. Le compositeur,né en 1856, connut une vie agitée. Après des études au Conservatoire de Madrid, il dut s'exiler à Montpellier pour des raisons politiques,compléta sa formation à Paris, Milan,Vienne Ferrare, partit s'installer à Buenos Aire où il enseigna, devint maître de chapelle, composa zarzuelas et oeuvres religieuses. Passons sur l'échec d'Iziar de Miguel OÑATE, opéra repris cependant à SaintSébastien, Vitoria, Urieta et Bayonne en 1999, et sur des oeuvres peu ou pas représentées pour diverses raisons (souvent des questions de budget ou de distribution) pour nous intéresser à quatre ouvrages de quelque importance. Tout d'abord l'opéra labourdin (de la province basque le Labour) Maïtena nait entre 1905 et 1908 de l'amitié qui unit Etienne DECREPT, le librettiste, et Charles COLIN, le compositeur. Le premier est né à Bayonne en 1867, le second à Ciboure en 1863.Tous deux, ignorés des dictionnaires ou à peu près, sont aussi peintres, sculpteurs...de véritables artistes,plutôt complets! L'ouvrage écrit en labourdin sera traduit en espanol pour attirer un plus large public et à cause de la difficulté que connaitraient certains chanteurs à chanter en basque. La création se fera à Bilbao car les villes françaises Saint-Jean-de-Luz, Bayonne ou Biarritz ne semblent pas avoir été intéressées;Hendaye ne l'accueillera qu'en 1913, après Buenos Aires, puis ce sera Hossegor ou Saint-Jean-Pied de Port beaucoup plus tard. L'intrigue parait bien légere: un père rejette sa fille qui refuse le prétendant qu'il lui a choisi pour un joueur de pelote pauvre. Lorsqu'elle perd son époux et revient au village, il lui pardonne. Un tel sujet permettait de décrire les coutumes patriarcales basques, d'exalter les valeurs que prônaient les nationalistes, d'utiliser musicalement les mélodies populaires, ingrédients d'un véritable succès jusqu'en 1955 avant un oubli presque total. Maïtena marque pourtant une date dans l'histoire de l'opéra basque dont elle inaugure une période féconde. C'est entre 1910 et 1920 que JESUS GURIDI (Vitoria 26/09/1886-Madrid 7/04/1961) compose le drame lyrique Amaya. Le compositeur est né dans une famille de musiciens et devient organiste. Après avoir étudié l'orgue avec Abel Decaux, la composition avec Auguste Sérieyx, le contrepoint avec Vincent d’Indy à la schola cantorum de Paris, il part étudier à Bruxelles. Il quitte son poste de professeur à Bilbao pour enseigner au conservatoire de Madrid dont il deviendra directeur. Il écrit de la musique symphonique (Une aventure de Don Quichotte), de la musique de chambre, de nombreux chants populaires basques dont Dix mélodies basques (1941) compose pour le piano, pour l’orgue: Tema y variaciones sobre el « Itsasoa » variations célèbres sur un thème basque (1948) ou le triptique del buen Pastore œuvre de 1953 pour orgue en trois mouvements que l’on donne souvent à Noël et qui remporta le concours organisé pour l’inauguration, le 19/01/1954, de l’orgue de la cathédrale du Buen Pastor à Saint Sébastien, concours auquel participaient trois autres compositeurs basques :Tomas Garbizu, Luis Urteaga et Jose Maria Nemesio Otaño. Amaya se veut un drame historique en trois actes et un épilogue. Il s'agit d'une épopée où les religions antique et chrétienne, les peuples Basques,Goths et Musulmans s'affrontent lors de la création du royaume de Navarre au VIIIème siècle: amours contrariées,meurtres, expiation,pardon et miracle...en constituent la trame.Le succès est immense- on vient par trains entiers- et les critiques excellentes. L'oeuvre poursuivra sa carrière à Madrid, Barcelone, Buenos Aires, Prague...Il en existe un enregistrement chez Marco Polo n°8.225084-85 réalisé en 2001.La partition est éditée à Leipzig, Imprimerie musicale (1920) et plus récemment, en 1948, à la Sociedad Musicale de España (reduction chant et piano) . On peut mettre à l'actif du compositeur plusieurs zarzuelas d’inspiration basque dont Mirentxu (1909), histoire tragique d'une jeune fille tuberculeuse qu'un jeune homme, par pitié, feint d'aimer et qui meurt au printemps en lui pardonnant lorsqu'elle découvre qu'il en aime une autre,ou El caserio,créé au théâtre de la zarzuela le 11/11/1926: Jose Miguel, jeune homme fier, un peu play boy, ne s’intéresse guère à sa cousine tant qu’elle lui était dévoué, mais voici qu’elle regarde ailleurs! Aussitôt son regard sur elle change. J.M. USANDIZAGA Parlons encore d'un ouvrage majeur pour l'opéra basque: Mendy-Mendyan (en pleine montagne) créée le 21 avril 1910 dont le compositeur, J.M. USANDIZAGA n' a que 22 ans.C'est une pastorale lyrique bilingue en trois actes et un épilogue contant l'histoire d'Andréa qui, courtisée par le riche Gaizto, lui préfère le berger Joshe Mari. Ce dernier meurt tué par son rival. Lors de la création le succès est immense. Le public et la critique louent des décors aussi près de la réalité que possible,des effets de lumière très travaillés; on bisse la romance d'Andréa...L'oeuvre sera reprise régulièrement jusqu'en 1987 où elle se donne pour la dernière fois, à ma connaissance, à Bilbao et à Saint-Sébastien. La réduction chant-piano est éditée chez J. Montes en 1911 (Saint-Sébastien) Le compositeur, né en 1887, apprend enfant le piano avant de suivre les cours de notre Schola de 1901 à 1906 où ses professeurs sont, entre autres, Auguste Seriyex et bien sur Vincent d'Indy.des problèmes de santé le force à renoncer à une carrière de concertiste et le contraignent à se consacrer à l'écriture musicale. Que d'oeuvres (Lide ta Ixidor - Hänsel et Grätel basques- Maïté, Yuana... et de musiciens ( Elizondo,Arrieta... sans parler de ceux qui exercent aujourd'hui!) il me faudrait encore évoquer. Puissent-il me pardonner: ce n'est plus un article qu'il faudrait mais une thèse, ce qui a déjà été fait par d'autres bien plus compétents que moi et dont je vous parlerai plus loin. J'arrêterai ce survol avec PABLO SOROZABAL (Saint Sébastien 18/09/1897Madrid 26/12/1988),un des compositeurs basques espagnols les plus en vue du XXème siècle. Né dans une famille nombreuse et humble, il étudie d’abord le violon à Saint-Sébastien puis, à 18 ans, joue dans l’orchestre philharmonique de Madrid avant d’obtenir, grâce à ses dons musicaux, une bourse pour aller étudier à Leipzig. En 1931 il crée Katiuska qui précède bien d’autres réussites : La isla de las perlas, Adios a la bohemia etc. Il mourra 11 ans avant la création au Kursaal de SaintSébastien de ce qu’il considérait comme sa meilleure œuvre, l’opéra Juan Jose. En 1936 il avait rencontré l’un de ses plus grands succès avec la Tabernera del puerto dont vous connaissez le célèbre No puede ser De mauvaises langues supposent des relations honteuses entre la jolie tavernière Marola et un vieil homme de mauvaise réputation, lequel est en réalité son père. Léandro, jeune et honnête pêcheur amoureux de la jeune fille, ne peut croire à la culpabilité de celle-ci : « C’est impossible, cette femme est bonne, elle ne peut pas être mauvaise… »,chante-t-il. Pour complèter ce tableau bien rapide et superficiel, il convient peut-être d'évoquer quelques oeuvres et compositeurs que l'on ne rattache pas forcément au pays basque, seulement les évoquer car leur grande, voire immense réputation me dispensera de m'attarder sur eux. Tout d'abord RAVEL! S'il est l'un de nos plus grands compositeurs français, doit-on oublier qu'il est basque d'origine? Sa naissance à Ciboure, près de Saint-Jean-de-Luz permet à la région de le revendiquer. D'ailleurs c'est là que se déroule chaque année les activités en septembre de l'Académie Ravel. Raoul LAPARRA (Bordeaux 1876-Boulogne-Billancourt 1943),ensuite, a des origines espagnoles. Sa famille possédait une villa sur les hauteurs de Saint-Jean-de-Luz. Elève de Lavignac, Massenet, il est inspiré par le pays basque dont il parle la langue courramment. On lui doit La Habanera, le joueur de viole, la suite Dimanche basque. Se souvient-on que les deux protagonistes de la Carmen de BIZET sont navarrais-lui ,Jose Lizarrabengoa,natif d'Elizondo, elle d'Echalar- et que la célèbre habanera s' inspire d'une mélodie de Sébastian IRADIER, de Bilbao, ville à côté de laquelle se déroule l'action de la Navarraise de MASSENET. VERDI situe une partie du Trouvère en Bicaye et DONIZETTI L'élixir d'amour au pays basque, tout comme le fait avec l'Etranger Vincent d'INDY qui enseigna à plusieurs futurs compositeurs basques. C'est encore le cas des Trois vagues de C.BORDES, de la cabrera de Gabriel DUPONT, de Chiquito de J.C. NOUGUES, du Philtre de D.E. AUBERT, du Ramuntcho de G. PIERNE,d'après Loti, de La sorcière d'Espelette d'AMOUROUX. Je me garderai d'oublier le grand mélodiste que fut Francis LOPEZ...! Et pour couronner le tout: le "Ah! vous dirai-je ,maman" de MOZART serait inspiré de la belle mélodie basque Uxo xuri "la colombe blanche"!! J'arrêterai là ces annexions dont je reconnais volontiers qu'on peut les contester, mais quand même... Si ce sujet très vaste - je n'ai guère parlé de la musique religieuse ou chorale ni vraiment de la mélodie - vous intéressait, ce que je souhaite profondément, je ne saurais trop vous conseiller la lecture de l'excellente étude de Natalie Morel BOROTRA L'opéra basque(1884-1937),paru aux éditions Izpegi ou celle, plus courte mais plus générale puisqu'elle évoque aussi la musique symphonique, de Christian LAPRERIE L'histoire de la musique basque, édité chez Atlantica mais dont devrait bientôt sortir une nouvelle édition plus complète. Ces deux auteurs m'ont fourni pratiquement toutes les informations de cet article, ce dont je les remercie vivement en espérant ne pas les avoir plagiés.