never let me go - Rencontres Cinématographiques
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never let me go - Rencontres Cinématographiques
NEVER LET ME GO Drame intimiste ou triste fable de SF ? Never Let Me Go joue habilement sur les deux tableaux. Il y a moins d'un mois est né en France le premier être humain génétiquement sélectionné pour être un donneur compatible avec ses aînés gravement malades. « Bébé médicament » ou « enfant du double espoir » ? Fable de science-fiction, Never let me go tombe à pic dans ce débat. Et pousse la condition de « donneur » jusqu'à d'inquiétantes extrémités, façon Meilleur des mondes : naître, et n'être que pour soigner les autres. Jusqu'à épuisement des organes « compatibles ». Adapté d'un célèbre roman de Kazuo Ichiguro (l'auteur des Vestiges du jour), le film présente une société où des générations entières sont conçues, élevées et sacrifiées dans ce but. Tel est le destin de Kathy, Ruth, et Tommy, dont on suit le quotidien, depuis l'enfance jusqu'à l'orée de l'âge adulte, dans une campagne anglaise lumineuse et détrempée. Mark Romanek (remarqué pour Photo Obsession) prend le contre-pied des codes de l'anticipation : pas de violence, aucune démonstration choc, mais une chronique mélancolique, romanesque, intimiste. Le trio de jeunes héros est «ordinaire » en tout, les amours, les rivalités, les plaisirs. Tout, sauf l'essentiel : l'avenir. Ces personnages ciselés, délicatement interprétés donnent au film à la fois sa finesse et sa limite. TÉLÉRAMA. Mark Romanek est un réalisateur étrange. Assez connu pour ses clips, c’est avec le bizarre Photo Obsession qu’il était arrivé sur grand écran en 2002, révélant une nouvelle facette de Robin Williams, mais aussi instaurant un univers de SF assez particulier. …..Mais ce qui surprend le plus est en fait, c’est l’atmosphère intimiste et triste du film. Jamais ici nous ne quitterons la grisaille d’un littoral anglais. Le pessimisme est de rigueur et rares seront les rayons de soleil. Et lorsque les personnages pourtant pleins d’espoirs se verront disparaitre petit à petit, c’est avec une tristesse infinie que nous les quitterons. Alors bien entendus, certains pesteront devant l’usage intempestif de violons et de plans stagnants se confortant dans leur désespoir, mais le film est tout de même emprunt d’une envoutante poésie qui laisse encore songeur après sa vision. ANIMAL KINGDOM «Animal Kingdom», ou la déliquescence d’une famille mafieuse à Melbourne sous l’œil d’un jeune Candide. Un polar chromé et austral de David Michôd. LIBÉRATION Animal Kingdom" : plongée dans la noire jungle urbaine des antipodes Dès la première séquence, on pénètre un monde dont l'atmosphère n'est pas tout à fait la nôtre. Les maisons et les petits immeubles de banlieue sont les mêmes, les gens sont habillés comme nous en été. Mais il y a autre chose, une violence et un détachement qui font de la vie une espèce de cauchemar éveillé. Les scènes violentes (meurtres, braquage) sont filmées souvent de loin avec efficacité, sobriété, ramenant à la sensation d'aliénation qui saisissait à la première séquence. David Michôd fait monter juste assez d'adrénaline pour que son film gagne sa qualité de thriller, mais il se refuse avec un certain panache à magnifier la violence. LE MONDE Le film fait cette position, un peu intenable pour le spectateur, celle de l’adolescent observant le monde des grands : des gangsters féroces mais minables, que le réalisateur passe son temps à saisir et travailler au quotidien, au canapé ou devant le barbecue. Pas d’attaques de banque ici, juste une trivialité glauque bien documentée. Michôd envisage son film comme un zoo, la tragédie comme éthologie et conclut joliment sur l’hérédité criminelle. Il dispose pour cela de spécimens d’acteurs de choix, en particulier la matriarche du clan Cody : entre Gena Rowlands et Shelley Winters, Jacki Weaver compose une impressionnante chef de famille aux faux airs de coiffeuse, vieille lionne capable de protéger comme de manger ses petits. LES INROCKS . SIBÉRIE MONAMOUR Sibérie, Monamour confirme les talents de portraitistes de Ross annoncés dés sa première œuvre (Le gros lapin stupide) et s'affirme comme un film qui, malgré sa sobriété, prend soin d'éviter les écueils habituels de ce type de cinéma. Mieux, le film surprend par une mise en scène dynamique et une maîtrise narrative qui, visant à condenser l'essentiel, conduisent à l'épure et laissent s'épanouir la magnificence désuète du décor et la force émotionnelle du récit. Celui-ci, éminemment russe de par sa tonalité et ses thèmes (rudesse, racisme, ruine sociale et politique), vise aussi à atteindre l'universalité grâce à l'élémentarité du propos : l'Homme face à la nature, l'Homme face à sa Nature. Les plans d'introduction du film, une meute de chiens sauvages s'entredévorant, puis de solennels plans aériens au-dessus de l'immense (l'infinie !) Sibérie, donnent d'emblé le la. Avant d'avoir à lutter contre l'hostilité grandissante du décor, c'est bien contre eux-mêmes, contre leurs instincts triviaux liés à la nécessité de survivre, que les personnages vont devoir se battre. Oubliés de tous, y compris d'un Dieu qui ne répond plus aux prières de ses fidèles même les plus dévots, les personnages deviennent aussi rudimentaires et brutaux que leur environnement. À ce stade, même la famille ne compte pas, elle ne compte plus. Revenu à l'état de nature, les loups s'entredévorent au sein même de la meute. C'est donc vers une autre famille, de substitution celle-ci, que les personnages vont se tourner, s'affiliant à des êtres humains partageant la même déréliction, victimes, parfois consentantes, de l'isolement (géographique, affectif, idéologique, spirituel), véritable point d'orgue du récit. C'est alors seulement, une fois la meute recomposée, que derrière la cruauté, la rigueur, la violence et les égoïsmes pourra enfin affleurer l'espoir. A l'image de ce chien sauvage du dernier plan, laissé à la traine, ces personnages, cette famille de substitution, se dirigent vers un autre ailleurs où peut-être parviendront-ils à retrouver l'humain derrière l'animal. Yann LARGOUËT Face à ces crève-la-faim prostrés dans leur maison perdue au fond de la Sibérie, difficile de ne pas songer au sublime Few of us du Lituanien Sharunas Bartas. Aux confins du monde, même impression de découvrir des survivants oubliés depuis des décennies. Le récit restait gelé chez Sharunas Bartas. Avec un budget plus important, Slava Ross apporte un peu de chaleur, en racontant l'histoire de destins croisés. Notamment celui d'un vieil homme pieux et de son petit-fils, luttant face aux pilleurs et aux chiens sauvages qui rôdent. Mais aussi celui d'un militaire de passage, profil de baroudeur à la Poutine, qui cumule d'abord les tares (raciste, va-t-en-guerre) avant de se racheter. La bassesse et la dignité, la misère et la grandeur de l'homme : ce sont bien les stéréotypes qu'inspire « l'âme russe ». Que le cinéaste parvient à surpasser en créant, à partir de cette nature sauvage et des personnages romanesques, un chant d'amour tourmenté à la Sibérie. TELERAMA NI À VENDRE NI À LOUER Un week-end de printemps sur le littoral atlantique. Deux retraités se rendent dans leur toute petite résidence secondaire et croisent un couple de punks ayant pour gîte une maison dessinée sur le sable d'une plage. Plus loin, deux imposteurs vêtus d'orange et de vert se mettent au golf à côté d'une procession funéraire. Au même moment, un représentant en parapluies a rendez-vous avec une maîtresse sado-maso dans un hôtel du bord de mer où séjournent deux couples dont l'existence sera chamboulée par un cerf-volant perdu... Un weekend où les destins, les classes sociales, les générations, les sentiments, les douleurs comme les joies, se croisent. Un week-end normal à la mer, en somme. ... Le tout sans paroles, parce que les petits bonheurs, finalement, se passent de mots...TELERAMA Tout ce que j'aime dans le cinéma : on est surpris, amusé, étonné, charmé. Film qui sort des sentiers battus, on observe et se laisse imprégner par cette succession de tranches de vie aux situations souvent comiques mais pas toujours. Ce n'est pas du Tati mais un peu si on doit le définir. UN INTERNAUTE REVENGE Auréolé de l'Oscar du meilleur film étranger après un Golden Globes, le nouveau film de Susanne Bier, Revenge, attise la curiosité. La cinéaste revient avec un sujet ambitieux, et un film étonnant, voir quelque peu déroutant, pour qui connait son travail. Après une escapade américaine, Susanne Bier revient dans son pays d'origine, le Danemark. La réalisatrice a quelque peu laissé tomber ses si chers principes du Dogme, qui prônent un cinéma au plus proche de la vérité, sans artifice, pour une œuvre finalement très travaillée sans être excessivement démonstrative. Toujours caméra à l'épaule, elle filme ses personnages au plus près, cherchant leurs failles cachées mais pourtant si évidentes. Car ce qui les ronge tous, à l'intérieur, et au-delà de leur apparente tranquillité, c'est la haine, la colère, la rancœur. Un cancer qui se développe chez des êtres peu habitués à laisser transparaître leurs émotions. Qu'il s'agisse d'Anton, médecin humanitaire, incapable de supporter toutes les violences du monde, ou celles de sa sphère privée, de Christian, jeune garçon traumatisée par la mort de sa mère et à la recherche d'un responsable, reportant sa haine sur les autres, et de tous ceux qui les entourent. Susanne Bier, dans un cinéma parfois contemplatif, mêle habilement les cieux tout en clair-obscur du Danemark et de l'Afrique, reflets sauvages de la violence des âmes de ses personnages, emmurés dans l'ombre, mais à la recherche d'une lumière qui perce à travers les nuages. Jamais trop démonstratif, Revenge, habile film choral, laisse le spectateur vivre aux côtés de ces êtres, qui souhaitent enfin trouver leur rédemption, le courage de pardonner, de recommencer. De vivre vraiment, en humains apaisés. EXCESSIF Oscar du meilleur film étranger, Revenge ne témoigne pourtant pas de l'habileté avec laquelle Susanne Bier explorait les brisures familiales dans Brothers ou After the weeding. Chaque personnage affronte une forme de violence - la mort de sa mère pour un enfant, des persécutions à l'école pour un autre, la guerre pour un humanitaire en Afrique... Mais la réalisatrice articule maladroitement ces différents récits et cède souvent aux clichés, notamment sur les dilemmes du bon docteur blanc face aux guerres tribales. Dommage qu'elle n'ait pas développé davantage l'amitié presque morbide entre deux collégiens, dont l'intensité est la seule surprise du film. TELERAMA NOCES ÉPHÉMÈRES Les "Noces éphémères" du titre- c'est-à-dire la possibilité pour des fiancés, légale en Iran, de se marier provisoirement et ainsi de pouvoir se fréquenter avant le mariage définitif -, c'est l'objectif de Kazem. C'est aussi l'occasion, pour Maryam, de pouvoir retrouver un compagnon. Ce à quoi la pousse la famille, qui voit dans sa solitude un danger potentiel. Tolérance d'un côté, pression de l'autre, dans les deux cas une manière de jouer avec l'observance des codes. L'intérêt du film repose non seulement sur cette illustration de l'inclination humaine à composer avec la réalité, mais aussi sur la façon dont, subtilement, l'apparente évidence des enjeux du récit est perturbée par une évolution subtile et inattendue des relations entre les personnages. Car la vérité humaine qui transparaît dans ce film, à la maîtrise formelle invisible et pourtant brillante, est la stricte conséquence de la manière dont Reza Serkanian parvient à rendre tout un petit monde particulièrement attachant. Loin et proche. LE MONDE L'Iran suffoque. Une nouvelle génération de cinéastes nous envoie régulièrement d'alarmants bulletins de santé, des Chats persans, de Bahman Ghobadi, à Une séparation, d'Asghar Farhadi. Les dernières nouvelles ne sont pas meilleures : Reza Serkanian, réalisateur exilé en France, a eu toutes les peines du monde à faire exister son long métrage. Calvaire kafkaïen pour obtenir des autorisations, tournage à la sauvette, en Iran, pendant les émeutes insurrectionnelles de 2009. L'histoire commence dans le cocon d'une fête de famille, chaleureux chassécroisé autour d'un patio. C'est la partie la plus réussie du film, élégante et douce. Dès lors qu'il sort de ce cadre intime, le film convainc moins, s'empêtre dans une attente un peu morne. Mais le propos garde toute sa force : à travers l'attirance refoulée entre une belle veuve et son jeune beau-frère, le cinéaste montre la pression des codes sociaux et des traditions sur les moindres aspects de la vie privée. Le cinéaste n'en fait pas un drame, juste une chronique discrètement amère. Autour d'une tradition très particulière, le « mariage temporaire » (sorte de laissez- passer religieux pour une brève rencontre amoureuse), il souligne les impasses et les hypocrisies. En privilégiant les instants minuscules, anodins, parfois drôles. Et sans jamais caricaturer personne : ses personnages ne sont pas les pantins d'une fable politique, mais des êtres de chair, vifs, attachants. Leur dilemme - plier ou s'exiler - n'en est que plus glaçant. TÉLÉRAMA. LA PRIMA COSA BELLA Formidable film en douceur, tendresse, sourire, délicatesse et intelligence des sentiments. Faisant penser à Hable con Ella d'Almodovar. Sur l'incommunicabilité d'un homme, repli féroce en réaction à la formidable force de vie de sa mère. Regard tendre projeté sur cet homme. Ode à la joie pour sa mère, et ses 2 âges. Les acteurs en justesse et par petites touches égrainées. Egalement pour les rôles secondaires. Spectateurs pris en témoins complices. Rires et sourires d'allégresse, souvent. Enjoy ! UN INTERNAUTE Auréolé par le succès rencontré par ses précédents films (Bella Vita, Ovosodo, Tutta la Vita Davanti), le réalisateur italien Paoli Virzi s'essaie de nouveau au genre de la comédie à travers l’histoire chaotique de la famille Michelucci de Livourne des années 1970 à nos jours. Tournée dans la ville d'origine du cinéaste, cette comédie familiale et mélancolique qui fut sélectionnée pour représenter l'Italie aux derniers Oscars a pourtant bien du mal à se mettre en place et à nous extirper de notre torpeur. Ainsi, au fil des incessants va-et-vient temporels où l'on découvre les fragments de la vie de cette mère anticonformiste et les blessures que son comportement a pu causer à ses enfants et à son entourage, l'ennui ne tarde pas à s'emparer de nous. L'autre raison de notre défection est dû en partie à l'interprétation des protagonistes. En effet, entre une caricature (Micaela Ramazzotti) et un héros antipathique (Valerio Mastandrea), il paraît difficile de ne pas rester à distance et d'instaurer une véritable empathie envers ces personnages. Mais tout n'est pas mauvais ici, car en dépit de son intrigue proche de celle d'un téléfilm mélodramatique, La Prima Cosa Bella jouit de salvatrices petites touches d'humour et d'une photographie impeccable qui relèvent quelque peu le niveau d'une œuvre moribonde. EXCESSIF. J’y vais …. Pour Micaela Ramazotti. C’est la comédienne qui monte en ce moment en Italie. A l’écran, la jeune femme irradie : elle a d’ailleurs remporté le prix David di Donatello de la meilleure ectrice pour sa prestation dans le film. La compagne du réalisateur, Paolo Virzi incarne aà merveille la frivolité et la naïveté d’une femme qui va se confronter de plein fouet au machisme des hommes. Pour son héroïne anticonformiste. : tout en dynamisme, Anna n’a cessé de croquer la vie, même à l’aube de la quitter. Tout au long de sa vie, Anna ne fait rien come les autres et c’est tant mieux. Elle trimballe ses enfants avec elle, les aime d’un amour inconditionnel et a beau enchaîner les amants, ne les trhait presque jamais. Pourtant, elle sera jugée, toujours pour sa sensualité débordante, son sex-appeal à fleur de peau. Elle incarne la liberté. Pour son héros un brin cynique : devenu adulte, Bruno, le fils d’Anna, est excellent en prof qui fume, refuse de s’engager et vit le nez en l’air, au gré du vent. Tour à tour, bourru, paumé, attentionné, sa rencontre avec sa mère des années après le clash qui va les opposer, est étonnante. Comment faire connaissance avec celle qui nous a donné la vie des années après. Bouleversement des sentiments, confusion des rôles mais amour filial plus fort que tout vont éclairer la suite de son parcours. Pour l’humour tout en pudeur qui jalonne tout le film. Rien de glauque dans La Prima Cosa Bella ; l’humour est le fil conducteur et c’est comme une leçon de vie que nous donne à voir Paolo Virzi : la question de faire la paix avant de partir et du « bien mourir » est au cœur du film et lui donne toute sa profondeur humaine. ELLE. Un film anecdotique, mais néanmoins sympathique. Anna, Miss 1971 d'une station balnéaire italienne, aurait pu être actrice et même peut-être star. Son mari, possessif, en a décidé autrement. Obligée de fuir avec ses enfants, Anna mène sa vie comme elle peut. Aujourd'hui, elle est à l'article de la mort. Son fils torturé et sa fille autoritaire en profitent pour solder les comptes filiaux et sentimentaux. Ils font cela très bien, avec de belles envolées dramatiques propices à de bons numéros d'acteurs. Pour l'émotion, en revanche, on repassera. La faute à un problème de point de vue, ici trop éclaté pour qu'on s'attache à un personnage en particulier. Le réalisateur, dont c'est peu ou prou l'histoire, n'a su choisir entre sa mère et lui. En découle un film anecdotique, mais néanmoins sympathique. L’EXPRESS CASSOS Quelques mots de l’auteur, réalisateur, dessinateur de presse …… Philippe Carrese est né en 1956, à Marseille. Entré à l’IDHEC en 1974, il est réalisateur depuis 1984, romancier depuis 1994 et multifonction depuis toujours (comme les couteaux suisses, mais marseillais…). Après avoir conçu et réalisé quelques séries comiques : Bzzz… avec Bruno Carette et Chantal Lauby (1983-1986), Bazar… avec la bande à FM (19911992) et mis en scène quelques téléfilms à gros budget (Conrad, le Radjah des Mers) ou à budgets ridicules (La vente continue pendant les travaux, Fromage et Dessert), il passe à l’écriture de romans noirs et drôles au début des années 90. Avec son style efficace, sa verve méridionale et son humour ravageur, il devient en dix ans un des incontournables de la littérature noire française (et pas seulement à cause de son tour de taille). Fasciné par l’univers méditerranéen, il a développé en l’espace de quatorze romans l’écriture de chroniques en forme de polar à l’humour caustique (Le bal des cagoles, prix polar SNCF 2001, Une belle histoire d’amour, prix des lycéens 2004)(éditions Fleuve Noir – Pocket). Plus récemment, il s’est lancé dans une série décapante pour les adolescents « Marseille quartiers sud », qui raconte les aventures agitées de collégiens massaliotes. Le dernier opus de la série Le jardin des délices vient de recevoir le prix des lecteurs marseillais au Carré des Ecrivains (2008). Depuis quelques temps, il revient à ses premières amours, la réalisation de films de fiction : « Malaterra » (2004), « Liberata » (2005), « L’arche de Babel » (2008) (films plusieurs fois primées dans de nombreux festivals) dans lesquels il développe des univers très différents de ceux que l’on peut trouver dans ses romans. Et CASSOS dont la sortie nationale est prévue en Juin 2012 Un homme sans histoire, un peu couard, effacé, petit assureur de province, va se transformer en truand aux méthodes radicales et expéditives, au contact du voyou avec lequel il doit cohabiter pendant plus d'une heure, dans sa voiture. Une tranche de vie surréaliste et cocasse. AMNISTIE Un film albanais. Autour d'une prison de Tirana... Non, ne fuyez pas : il s'agit d'une histoire d'amour, modeste et palpitante. Elle, c'est Elsa, visage de madone fatiguée, deux enfants et un beau-père envahissant. Shpetim, lui, est un échalas entre deux âges, grand oiseau mélancolique, plumé par la vie. Une fois par mois - la loi les y autorise depuis peu -, ces deux-là viennent visiter leur conjoint respectif, accomplir leur devoir conjugal dans une cellule crasseuse. Prisonniers, eux aussi, en quelque sorte : de ces mariages à bout de souffle, de leur entourage, du vide de leur vie... C'est à la sortie de ces séances de sexe triste, hygiénique, que l'amour les cueille par surprise, et avec lui la tentation de la liberté. Elsa et Shpetim (interprétés par deux comédiens magnifiques) s'apprivoisent à petits pas infimes, hésitants, timides. Leur abandon n'en sera que plus intense. TELERAMA . Le cinéaste albanais Bujar Alimani réussit à créer une vraie atmosphère dans son film Pour ses débuts, Bujar Alimani s'impose par son aisance à créer une atmosphère tout à la fois chargée mais jamais étouffante et l'écriture fluide de son récit. Peuplée de très belles idées de cinéma (comme celle de ne jamais montrer les visages des conjoints respectifs), ce drame poignant qui rappelle par beaucoup d'aspect - en particulier celui de l'évocation de la condition féminine - L'étrangère, sorti voilà quelques semaines, révèle donc un cinéaste à suivre. L’EXPRESS. SUR LA PLANCHE La Planche du titre est multiple, elle est tremplin, plongeoir ou planche à requins. C'est l'histoire d'une « fraternité » en danger, l’histoire d’un quatuor: celle de quatre filles en course, faite d'amour, de choix, de destins fracassés. Elles sont les personnages d'un film noir sous les auspices conflictuels du rêve du mondialisme. Un film tourné avec fougue dont il se détache une "envie de dire" qui force l'admiration. Alors on suit ces jeunes filles en se disant que la débrouille dans cette zone franche de Tanger doit être faite de ces vertiges-là. Actrices touchantes dans leur contraste volontaire, chacune jouant sa partition dans l'affrontement sans saliver de ce que l'autre soit plus ceci ou plus cela. D'une certaine manière toutes les quatre sont logées à la même enseigne, de la plus plastique à la plus garçonne en passant par celle qui s'affranchit jusqu'à ne plus savoir où se positionner. UN INTERNAUTE. Des filles jeunes... Ces filles pour moi sont un emblème de la transformation du Maroc, mais aussi d’une transformation plus vaste, qui a lieu partout. Ce sont des filles jeunes, qui arrivent, qui changent la ville. Elles sont dans un rapport à l’espace, un rapport à elles mêmes, un rapport au temps, complètement différent. La manière qu’elles ont d’affirmer leur identité individuelle est totalement nouvelle, pas du tout idéologique. Ce flot d’humains qui vient buter sur cette ville à Tanger c’est un peu la Californie dans les années 1930 ou 1940, avec en toile de fond la récession qui frappe toute l’Afrique. Un fait divers J’ai écrit le film à partir d’un fait divers. En 2005, je m’amusais à lire la presse à scandale marocaine. On parlait d’un nouveau trend : la féminisation de la criminalité. Une bande de quatre filles, un peu ouvrières, mais ce n’était pas tout à fait clair, repéraient des mecs dans les cafés et les dévalisaient. Il y avait eu un meurtre. A partir de cette matière, j’ai écrit un projet, et puis j’ai proposé à Hafed Benotman, un écrivain de roman noir… qui a aussi à son actif d’avoir braqué quelques banques, d’écrire avec moi. Le film noir n’était pas un choix de ma part mais une évidence. PROPOS DE LA RÉALISATRICE On ne sait pas si elle est vraiment jolie, mais on est sûr qu'elle a la bougeotte, cette jeune Tangéroise - « aimable comme un chiffon », comme le dit sa logeuse. Toujours en mouvement. Elle ressemble à la Rosetta des frères Dardenne qui marchait, marchait pour ne pas tomber. Avec un atout de plus : la tchatche. Badia parle l'argot du coin, un drôle d'arabe cahoteux, particulièrement guttural. Cet idiome, elle le tord en un slam vigoureux, qui lui sert au moins à recouvrir sa vie d'un voile poétique. Transformer son existence par les mots : ainsi se ditelle « sur la planche » d'un plongeoir d'où elle s'élancerait... Badia est une « fille-crevette ». Comprenez qu'elle travaille à décortiquer des petits crustacés dans une vaste usine agroalimentaire où s'escriment de petites mains féminines - les cigarières de Carmen, un siècle et demi plus tard. « Fillecrevette », c'est le bas de l'échelle : surtout à cause de l'odeur qui ne s'en va jamais. Régulièrement, Badia se lave, s'enduit d'une pâte parfumée, se frotte comme si elle voulait provoquer une mue. Changer de peau, de vie, elle en rêve : les yeux rivés sur la nouvelle zone franche, où se sont installées les industries textiles, boulots plus nobles et plus rémunérateurs. En attendant, avec sa copine Imane, elle multiplie la nuit les trafics en tous genres : elles monnaient leur compagnie, leur corps, à des hommes qu'elles volent au passage... Pour son premier film, la jeune Marocaine Leïla Kilani ne lâche pas d'une semelle ses héroïnes en marche : caméra ultra mobile, bel éclairage hyper réaliste (le noir de la nuit contre le blanc de l'usine) du chef op français Eric Devin. Forte impression de vérité - presque comme si le film était tourné en live. La -cinéaste s'affirme, surtout, comme une étonnante directrice d'actrices : les quatre personnages principaux (Badia et Imane croisent un duo de concurrentes qui pourraient devenir des complices) sont joués par des nonprofessionnelles à l'incroyable présence. C'est le Maroc de Mohammed VI, loin des clichés folkloriques : la construction du nouveau port de Tanger, l'un des grands projets du règne, a précipité l'immigration de l'intérieur, transformé la ville en une antichambre impatiente de l'Europe. Mondialisation oblige, ça se passerait sans doute de la même manière dans un grand port espagnol ou italien... Ce dévoilement du réel, Leïla Kilani a voulu l'habiller des oripeaux du polar : trafic de smartphones, double jeu des unes ou des autres... C'était inutile : jusque-là toujours surprenant, le récit se banalise, patine. Mais ce léger surplace n'enlève pas grand-chose à la qualité d'un film entêtant, qui révèle une cinéaste de tempérament. TÉLÉRAMA . L’ÉTRANGÈRE Sur le papier, ‘L’étrangère’ a tout du film à thèse sur le sort malheureux des femmes musulmanes en Turquie et en Allemagne, puisque le poids des traditions et de la religion traverse les frontières. De fait, quand Umay quitte Istanbul et un mari violent avec son fils sous le bras pour rejoindre ses frères et ses parents à Berlin, l’accueil n’a rien de chaleureux. La jeune femme est rejetée par sa famille, plus soucieuse de se préserver du déshonneur que de voir Umay prendre son destin en main. Mais l’Autrichienne Feo Aladag, dont c’est le premier long-métrage comme réalisatrice, est avant tout comédienne. Et sa façon de diriger les acteurs, tous formidables et criants de vérité, est pour beaucoup dans le fait que le film échappe à la simple illustration d’un fait divers – l’intrigue est inspirée de l’affaire Hatun Sürücü, un « crime d’honneur » très médiatisé en Allemagne. La puissance des interprètes va de pair avec le soin qu’a pris Aladag, également scénariste et productrice, de ne négliger aucun des personnages qui entourent l’actrice principale, la superbe Sibel Kekilli, découverte en 2004 dans ‘Head-on’ de Fatih Akin. Père, frères, mère, sœur ou petit ami ne sont pas ici de simples silhouettes ou caricatures mais existent pleinement comme les protagonistes d’une histoire à la fois contemporaine et archaïque. Le dénouement, glaçant, est digne d’une tragédie grecque. EVENE Umay, une jeune femme turque d'origine allemande, quitte Istanbul et son mari violent pour se réfugier chez ses parents, à Berlin, avec son fils. Elle est d'abord chaleureusement accueillie. Mais très vite, question d'honneur, la famille s'oppose à son choix : mener une vie de mère célibataire en Allemagne. Umay et son fils doivent fuir de nouveau... Des yeux charbon brûlant dans un visage diaphane et anguleux, une force hors du commun dans un corps frêle : Sibel Kekilli (déjà remarquée dans Head-on, de Fatih Akin) porte le film. Seule contre tous, elle compose un étonnant personnage féminin, fille reniée, femme libre, mère sacrificielle. Dans un Berlin menaçant, souvent filmé de nuit, elle se bat jusqu'au bout contre son destin de paria. Déchirée entre la volonté de s'émanciper et le besoin d'être aimée, elle enrage et encaisse. La mise en scène est sèche, les dialogues sont durs : « La main qui frappe est aussi celle qui apaise », dit le père à sa fille battue. Dans ce mélo, nulle sensiblerie, nul manichéisme. La famille d'Umay est bien intégrée, les parents sont aimants et la fratrie (l'aîné excepté) cherche d'abord à protéger sa soeur. Tous sont pourtant les jouets d'une force qui les dépasse : le code de l'honneur et les lois de la communauté. La cinéaste parvient à incarner le dilemme moral qui dévore de l'intérieur ces bourreaux-victimes. Le père vieillit de dix ans sous nos yeux, la mère s'abîme dans un silence lugubre... En les humanisant, la cinéaste dépasse le particularisme pour atteindre l'universel. TÉLÉRAMA L’HOMME D’À CÔTÉ L'Homme d'à côté est ancré dans la réalité argentine. Les relations de la plus européenne des sociétés d'Amérique latine avec le reste du continent sont signalées à travers le personnage d'Elba, la bonne immigrée à qui l'on donne les vêtements usagés. L'insécurité qui pèse sur Buenos Aires comme sur la plupart des continents reste omniprésente (ne serait-ce que parce que Le Corbusier n'a pas pensé aux nécessités qu'elle impose en dessinant la maison Curutchet). Le conflit entre l'homme dans la maison et l'homme de la rue se transforme peu à peu en une fascination trouble, à sens unique. Victor exerce une emprise quasi érotique sur Leonardo, qui se débat entre son désir de ressembler - ne serait-ce que pour un instant - à cet homme qui ne vit qu'au gré de ses pulsions, et les règles que lui impose sa vie sociale et conjugale. Le scénario d'Andrés Duprat illustre cette contradiction par des trouvailles comiques souvent brillantes - le monologue de Leonardo décrivant à ses amis sa première rencontre avec Victor -, parfois trop appuyées (la conduite du designer, également enseignant, à l'égard de ses étudiants est d'une abjection caricaturale). Au bout du compte, on obtient un film rare, même s'il est imparfait, une satire analytique qui exige un peu de réflexion pour faire rire. LE MONDE. BRAZIL : Les réalisateurs on taillé un scénario de génie . Petit bijou ultranoir et sacrément jouissif ! le film est hi-la-rant ! D’un humour noir, très noir. Bourré de situations cocasses, tout en étant toujours sur la corde raide et ultra-tendu, le film vous baladera durant deux heures pour se terminer par une des ces les plus glaçantes, cyniques et effroyables qu'on ait vues depuis un bail. Une comédie acérée sur les limites rapidement atteintes de la tolérance et sur le plaisir cauchemardesque du voyeurisme. LE TEMPS DURE LONGTEMPS AVANT-‐PREMIÈRE Sumru prépare un master d'ethnomusicologie à l'Université d'Istanbul. Elle s'installe dans le sud-est de la Turquie pour quelque mois afin d'y étudier les élégies anatoliennes et leur histoire. A Diyarbakir, elle rencontre Ahmet, vendeur de DVD pirates ayant filmé des témoignages de survivants kurdes. Sumru est hantée par le souvenir douloureux de son premier amour, un kurde mystérieusement disparu. Aux côtés d'Ahmet, dans le contexte tragique de cette guerre non reconnue à ce jour, elle va devoir affronter son passé et l'histoire de son pays. « Dans toutes les cultures, les élégies sont par essence un moyen de faire face à la mort et de l'accepter. Mais elles contiennent aussi des éléments de défiance et d'opposition. Dans le même temps, elles forgent la mémoire partagée du passé commun d'une communauté. En Anatolie et en Mésopotamie, où la tradition orale est forte, les élégies abondent. L'une des principales motivations de ce film est d'essayer de donner un sens au présent et au passé à travers ces poèmes qui sont au cœur de l'histoire. Alors que Sumru traque ces élégies pour appréhender la souffrance d'un peuple, elle ouvre une blessure personnelle liée à son passé. Cette histoire est importante car elle permet de présenter la diversité de ces sociétés mais aussi parce qu'elle montre comment l'expérience collective se reflète dans la vie des individus. À travers cette guerre sans nom qui se poursuit depuis les trente dernières années, au cours de laquelle 17 500 assassinats politiques ont été commis sous le nom de "cas non résolus", je tiens à regarder la Turquie d'aujourd'hui en face. » Özcan Alper « Le second film d'Özcan Alper réunit beaucoup d'atouts. Visuellement, c'est un travail étonnant, avec les images parmi les plus belles vues cette année, qui capture les différents tons de la campagne turque. C'est aussi une histoire d'amour peu ordinaire où l'un des deux protagonistes est en fait absent la plus grande partie du film. Ce qui éclaire d'une toute nouvelle dimension la réalité kurde à l'intérieur de la Turquie. ABEL Depuis deux ans, Abel vit à l’hôpital. Traumatisé, fou, mutique… Un peu tout ça à la fois. De retour chez sa mère qui refuse de le contrarier de peur qu’il ne rechute, le petit se glisse dans le rôle du père absent. Un classique ? Oui, mais que Diego Luna revisite dans un scénario bien ficelé auquel peu de choses échappent. Les personnages sont fouillés, les enfants d’un naturel surprenant, les rebondissements maîtrisés, le complexe d’oedipe rapidement plié. Sobre et efficace, ce premier long métrage surprend tant il ne dévie jamais de la voie qu’il s’est fixée. L’enfant est devenu le père, quoi de plus naturel alors qu’il interdise à sa fille (sa soeur, donc) de ne pas fréquenter tel garçon, qu’il contrôle ses bulletins de notes, et qu’il décide d’honorer sa femme (sa mère). Le délire virerait-il au sordide ? Jamais, car Luna habille son film de tendresse, d’humour et de poésie. Il navigue sur les ondes du malaise sans jamais se laisser emporter par le courant. Sa caméra, elle aussi, oscille entre gros plans sensibles et cadres dansants. ‘Abel’ est un premier film sensible, fulgurant, concis qui révèle une rare modestie et une grande humanité. EVENE Ce film mexicain rappelle parfois la comédie italienne d'antan. Même sens du grotesque dans la misère sociale. Le jeune réalisateur, qu'on connaissait comme comédien (Y tu mamá también), est encore timide dans le délire, et son scénario faiblit sur la fin. Abel a malgré tout le charme d'une fable qui illustre au pied de la lettre - innocemment ? - le complexe d'OEdipe. TÉLÉRAMA. En 1986, Alex van Warmerdam réalisait Abel, l’histoire d’un trentenaire au comportement enfantin bien décidé à squatter le domicile familial. Vingt-quatre ans plus tard, l’acteur Diego Luna, qui n’a pas vu le film hollandais, signe une oeuvre parfaitement symétrique : l’Abel du titre se prend pour un adulte et n’a plus grand-chose d’un enfant, sinon la morphologie. Aussi noir que la comédie de Warmerdam était absurde, ce drame mexicain emprunte au réalisme magique sud américain des García Márquez et autres Borges avec sa vision décalée du monde qui facilite la subversion. Osé sur le papier, le lien ambigu entre Abel et sa mère est ainsi pleinement justifié par le fait que le scénario adopte le point de vue perturbé de l’enfant. Poétique et dur à la fois, ce premier film révèle un cinéaste à suivre. PREMIERE. WE WANT SEX EQUALITY "Une comédie légère et dynamique dans laquelle les femmes mènent la danse" C’est un film comme seuls les Anglais savent les faire. Dans la veine des Virtuoses, de The Full Monty ou de Billy Elliott, Nigel Cole réussit avec We Want Sex Equality à parler de la difficile réalité de la classe ouvrière en Grande-Bretagne et à en faire une comédie légère et dynamique. Avec une particularité: cette fois-ci, ce sont les femmes qui mènent la danse, qu’elles exercent la fonction d’ouvrière, de ministre ou d’épouse du directeur de l’usine. A une ou deux exceptions près, comme le sympathique Albert (Bob Hoskins) qui prend fait et cause pour les travailleuses, les hommes sont complètement dépassés par les événements et relégués au second plan. We Want Sex Equality est basé sur une histoire vraie. L’héroïne, Rita, (excellente Sally Hawkins, révélée dans Be happy de Mike Leigh) incarne le combat de David contre Goliath. Face à elle, la très puissante direction de Ford mais aussi ouvriers et représentants de syndicats peu enclins à soutenir une lutte qu’ils ne prennent pas au sérieux. Propulsée un peu malgré elle sur le devant de la scène, Rita va réussir à transformer une simple révolte ouvrière en faveur de l'égalité salariale en affaire nationale et à changer le sort des femmes en GrandeBretagne. La force de We Want Sex Equality : une histoire forte et émouvante, des dialogues enlevés et une joyeuse bande de comédiennes qui transmettent leur énergie à la pellicule. Le “happy end”, quelque peu prévisible et convenu, nous ferait presque oublier que la lutte pour l’égalité salariale entre les femmes et les hommes est un combat toujours d’actualité. EXCESSIF. Les coiffures choucroute, l’eye-liner soulignant lourdement la paupière, les minijupes, la robe culte Biba, les couleurs pétantes pour les moments clés du film : le souci du détail est poussé à l’extrême. (…) Mais tout cela n’enlève rien au charme du film et à la performance impeccable des acteurs ; LIBÉRATION PURE Le premier long métrage de Lisa Langseth, qui a d'abord travaillé pour le théâtre, livre ainsi une passionnante réflexion sur l'identité et la tromperie. L'imposture semble être la clé d'une réinvention de soi : c'est en mentant sur son passé que Katarina existe dans un monde de gens riches et beaux. Pour s'y faire accepter, elle se transforme physiquement en se maquillant (les fards viennent décliner le thème du mensonge) et en troquant ses jeans informes et ses T-shirt trop larges pour des robes élégantes. Elle se métamorphose aussi sur le plan intellectuel en lisant le philosophe Kierkegaard et le poète suédois Ekelöf.Mais les motivations de Katarina sont ambiguës : souhaite-t-elle simplement s'élever socialement, s'instruire pour plaire à Adam, ou veut-elle vraiment atteindre une certaine pureté en approchant le "beau" de manière désintéressée ? Aime-t-elle la musique classique en soi, ou aime-t-elle l'image que le fait d'aimer cette musique lui renvoie d'elle-même ? Le film ne donne pas de réponse univoque. C'est d'ailleurs en proposant un personnage d'une complexité vertigineuse que Pure, servi par l'interprétation toute en nuances d'Alicia Vikander, fascine. En dressant une critique nette de la société de classe, le film semble s'orienter vers une explication socio-économique de l'attrait du beau. Lisa Langseth met en scène des oppositions culturelles qui recoupent des divisions sociales : la musique classique et MTV, l'univers sophistiqué du centre-ville (bibliothèque, auditorium) et le monde vide de la banlieue. Beauté et pureté semblent clairement du côté des riches. Le film va redistribuer ce monopole. L'ancien compagnon de Katarina, Matthias, simple mais authentique, semble plus "pur" que le perfide Adam. De même, Katarina, dont la curiosité intellectuelle dépasse une simple aspiration à l'élévation sociale, semble parfois moins prosaïque que les musiciens qui demandent à finir les répétitions parce que c'est "l'heure de la lessive".Le propos se nuance progressivement pour finalement annuler toute pureté : si la bourgeoisie semble dissimuler ses aspects les plus répugnants sous des masques de convenance, le petit peuple, incarné par Katarina, n'est pas "pur" pour autant, la jeune fille se révélant être une parvenue, calculatrice et manipulatrice. Comme dans L'Effrontée, de Claude Miller (en 1985), ou La Tourneuse de pages, de Denis Dercourt (en 2006), la musique classique, puissant marqueur social, cristallise cet univers riche et délicat auquel aspirent des femmes issues d'un milieu modeste. La mise en scène dépouillée de Lisa Langseth filme de manière impeccable la lutte de Katarina pour s'extirper de son quotidien dans une esthétique très proche du réalisme social britannique, façon Ken Loach, ou bien des films sociaux des frères Dardenne. LE MONDE . UNE TENSION DE THRILLER POUR CE DRAME SENTIMENTAL ET SOCIAL Imaginez qu’un jour vous vous rendiez dans votre fast-food habituel pour y -ingurgiter des nuggets de poulet avec frites, sauce mayo-ketchup et soda light. Et, ô surprise, on vous sert, à la place, un raffiné suprême de volaille de Bresse en papillote à la citronnelle façon Guy Savoy, accompagné d’une lichette de -petrus 1989. Vous ne saviez même pas qu’un truc pareil pouvait exister ! Voici, toutes proportions gardées, ce qui -arrive à Katarina (Alicia Vikander) lorsque, voulant puiser de la « zik » sur le Net, elle se trompe de morceau et télécharge le « Requiem » de Mozart.Pour cette fille de 20 ans, issue de la banlieue -défavorisée de Göteborg, c’est la révélation, le choc des synapses, le grand shoot dans les neurones. En voyant s’ouvrir les portes de sa perception, elle n’a plus qu’un seul désir : claquer celles de son passé, oublier sa cité pourrie et une mère dépressive à la dérive. Terminés les petits jobs dévalorisants, les « amis » Facebook et le sexe sordide. La musique classique – Katarina le sent – est un passeport pour un monde meilleur fait de pureté et de beauté. En mentant sur ses origines sociales, elle se fait embaucher comme réceptionniste dans une salle de concert. Envoûtée par l’orchestre, elle tombe sous le charme de son chef -(Samuel Fröler), qui devient son mentor. Mais l’intello est marié… Après « La brindille », dont nous vous parlions la semaine dernière, c’est au tour du cinéma suédois d’explorer ce territoire sauvage et dangereux que constitue le passage de l’adolescente à la femme. Ce drame sentimental et social, mené avec une tension de thriller, fait le constat violent du caractère quasi -infranchissable des barrières -sociales et culturelles. A la fois réaliste et excessif, ce film à la partition impeccable doit sa tonalité humaine particulière à la surprenante Alicia Vikander, qui, pour sa première apparition à l’écran, sait imposer son jeu en virtuose et non pas en -soliste, le restant de la distribution étant au diapason. En parvenant à être aussi attirante que dérangeante, aussi « dérangée » qu’affirmée, elle place son personnage en marge du bien et du mal, quelque part entre « Pure » et impure PARIS MATCH CURLING Peut-on épargner à sa progéniture le spectacle de la cruauté du monde ? Un père et sa fille de 12 ans vivent en vase clos dans un coin perdu du Québec. Surprotégée, l'enfant est tenue à distance de l'extérieur, dans un cocon de vide et d'ennui. Un jour, pourtant, lors d'une balade en forêt, elle découvre l'horreur. Et se mure dans le secret... Curling échappe à toute morale comme à toute classification : faux thriller à la lisière du fantastique, film intimiste avec des passages documentaires... Il faut accepter de s'y perdre et se laisser surprendre par les détours d'un récit atypique l'hor-rible découverte de la fil-lette restera jusqu'au bout une énigme. Plutôt que de fournir des explications, factuelles ou psychologiques, le réalisateur préfère se concentrer sur l'intimité asphyxiante et fascinante du couple père-fille. Ces deux-là s'aiment bizarrement, anormalement, mais sûrement. Un vrai charme émane de ce film sombre et curieusement aveuglant, comme la neige omniprésente. Entre réalisme âpre et onirisme morbide se glissent quelques respirations inattendues : les scènes de curling, cette pétanque sur glace. En digne représentant de la Belle Province, le film vaut, enfin, par ses dialogues, délicieusement idiomatiques, dont cette réplique formidable : « T'as pas d'char, t'as pas d'cellulaire, t'as pas de ti-vi, t'as pas de blonde... T'as pas d'fun !... » TÉLÉRAMA Depuis sa première apparition avec Les Etats nordiques (2005), le Québécois Denis Côté appartient à cette famille un peu ingrate des cinéastes de festivals, ceux dont on suit l’évolution au rythme des rencontres annuelles (à Cannes ou Locarno, où ses films ont souvent été montrés), avec qui l’on noue une relation lointaine, toujours menacée par l’oubli.Peut-être plus pour longtemps grâce à Curling, le premier de ses films distribué en salle, son plus accessible, qui résume et affine (sans les corrompre) les principaux motifs du cinéaste – à ce niveau, on peut parler d’obsession. Le dispositif y est encore minimal, proche de l’installation à ciel ouvert, l’histoire élusive, l’atmosphère apocalyptique (le rire, certes permis, est toujours angoissé)… Mais on retrouve surtout ces personnages de freaks ordinaires, ces marginaux déclassés, souvent à l’extrême limite du déséquilibre mental, qui donnent au cinéma de Denis Côté son étrangeté – l’impression de naviguer dans un monde souterrain, loin des hommes. Dans Curling, ce sont un père (l’impressionnant Emmanuel Bilodeau) et sa fille qui vivent reclus au fin fond d’un bled paumé du Canada, isolés de tout, encerclés par la neige. On comprend très rapidement qu’un amour déviant lie les deux personnages ; un amour fait d’interdits et d’ambiguïtés que le film ne cherchera jamais à lever. Le père enferme sa fille dans la solitude, lui refuse le moindre contact social, ordonne sa vie en fonction de ses propres angoisses mais on ne saura jamais les désirs qui le motivent, le fin mot de l’histoire. Le film joue habilement de ce suspense morbide, déclinant la double personnalité de cette figure paternelle, ce monstre “aux yeux tristes”, dans des séquences terrifiantes : une chambre maculée de sang après son passage, des affrontements tendus avec la police… Ce qui n’est pas dit (les désirs coupables ?) passe par un réseau de signes mystérieux, une suite de fausses pistes qui mènent le film sur le terrain du thriller enneigé (Fargo à l’horizon). LES INROCKS ATTENBERG C'est le grand retour du cinéma grec ! En 2004, Dennis Iliadis frappait fort avec Hardcore, dépoussiérant un bon coup les tabous (prostitution, homosexualité). De nouveaux réalisateurs, figures du cinéma indépendant grec, émergent alors, divorçant des conventions en tout genre. En tête : Yorgos Lanthimos et Athina Tsangari. Il est le metteur en scène du sulfureux Canine ; elle en est la productrice. Aujourd'hui derrière la caméra, Tsangari, la plasticienne, continue de prendre des risques. Attenberg, son second long métrage, est en effet une vraie surprise... Dès la séquence d'ouverture, la réalisatrice impose un ton peu banal. Elle ouvre son oeil sur un mur jauni à la peinture craquelée. Deux jeunes femmes entrent dans le champ, l'une côté cour, l'autre côté jardin. Bella donne une leçon de "french kiss" à Marina. Rien d'érotique dans le mouvement des langues, l'exercice pratique est plutôt risible. Cette séquence décrit parfaitement l'ambiance dans laquelle nous plonge Tsangari durant le film ; cette dernière partage son cadre entre le tragique et le comique, entre l'impudique et la retenue. La caméra reste statique, laissant le corps des acteurs occuper l'espace d'une façon nouvelle et chorégraphique. Immobiles ou en action, la chair est la matière première du film d'Athina Tsangari, le composant qui fait tenir tout l'équilibre de la mise en scène. Attenberg raconte le deuil de Marina, celui du père (dont le rôle est éminemment symbolique) et celui de la virginité. Car à mesure que la maladie gagne le corps de son père, la jeune femme fait un pas vers les autres, commençant enfin son apprentissage. Tsangari, crue, filme alors l'aventure en zone industrielle d'une héroïne aux rapports au monde chaotiques. Ariane Labed, prix d'interprétation féminine du festival d'Angers, est lumineuse dans le pull XXL de Marina. Elle parvient à rendre son personnage à la fois réel et mystérieux, échappant à tous les stéréotypes. A l'image de ces chantiers sur lesquels le film se clôt, la protagoniste est en reconstruction, prête à affronter le XXIème siècle. L'optimisme circonspect d'Attenberg en déroutera plus d'un, c'est certain. Mais le cinéma grec montre qu'il a encore de beaux jours devant lui. Car, face à la crise, la création est un remède nécessaire. Attenberg, en avant la révolution. CLAPMAG De l'enfant à la femme “Tous les garçons et le filles de mon âge se promènent dans la rue deux par deux…”, voilà un refrain qu’aime fredonner Marina. Pourtant, c’est avec son amie Bella qu’elle va main dans la main. En blouse d’écolière ou d’ouvrière, on ne sait, elles inventent des chorégraphies grotesques qui vont des singeries à la marche militaire des evzones (les gardes grecs aux chaussures à pompons). Quelquefois Bella essaye d’initier, à sa manière, son amie à l’art du baiser. C’est peine perdue, car Marina préfère rester confinée chez elle à écouter le groupe “Suicide” ou discuter mammifères avec son père. Un peu déconcertant comme entrée en matière, non ? Pourtant ”Attenberg”, sous ses faux-airs de film d’auteur torturé révèle de très beaux moments. à 20 ans passés, Marina se complaît dans une relation fusionnelle avec son père. Tous deux très indépendants, ils aiment se retrouver pour refaire le monde. Complices avant tout, ils jouent comme des enfants à singer les animaux pour ensuite parler ouvertement d’amour et de sexualité. Leur affection est palpable malgré une grande réserve. Une proximité accentuée d’autant plus par la maladie du père. Et lorsque que celui-ci aborde son intimité lors d’une séance de chimiothérapie, il se ressaisit et s’excuse : “Désolé, mais des fois j’oublie que tu n’es pas mon meilleur pote”. Cette période troublée marque un tournant dans l’existence “idéale” de la jeune fille. Elle peut à présent devenir femme. Un ingénieur de passage devient alors le catalyseur de cette transformation. Dans sa chambre d’hôtel, il initie Marina à ses premiers émois sexuels. Des scènes brutes de réalisme, en plans fixes, qui néanmoins dégagent une profonde sensualité. C’est là tout le charme de ce film qui parvient à décortiquer tous les rouages des sentiments humain par le biais d’un prisme minimaliste autant qu’audacieux. Artiste plasticienne de formation, Athina Rachel Tsangari construit son récit comme une performance. Une histoire simple, agrémentée de variations iconoclastes, qui, à bien y regarder, soulignent un très joli portrait de femme. Le personnage de Marina est d’autant plus troublant qu’il est savamment porté par son interprète : Ariane Labed. Très justement récompensée à la Mostra de Venise 2010, l’actrice incarne son rôle avec retenue. Une mélancolie assumée, sans excès, ni froideur, qui parfait l’atmosphère du film. “Attenberg” est comme certaines œuvres d’art contemporaines : on peut passer à côté sans les voir… ou bien s’arrêter, les observer, et découvrir avec bonheur qu’elles recèlent un angle de vue à part, original et captivant. Il ne tient qu’à vous de tenter l’expérience. ABUS DE CINÉ. EL GUSTO Amitié, nostalgie et musique arabo-andalouse. C’est la recette de ce vibrant documentaire qui raconte une belle histoire : celle de musiciens natifs d’Algérie, juifs et musulmans, unis par le même amour pour le Chaâbi, genre populaire inventé dans les années 20, avant d’être séparés par la guerre. Sabina Bousbia les réunit devant sa caéra et dans un orchestre qui désormais se produit sur scène. En somme la variante méditerranéenne de, un « chouia » plus sucrée de Buena Visto Social Club. LA VIE. Des musiciens grisonnants aux doigts toujours agiles, une culture populaire renaissante... il n'en fallait pas plus pour étiqueter El Gusto, le grand orchestre de Chaâbi célébré par ce documentaire, de Buena Vista Social Club algérien. De fait, comme les Cubains, ces papys ont connu leur heure de gloire dans les années 1940, au côté du maître El Anka, la première figure du genre. Comme eux, ils ont été séparés à la fin des années 1950, avec l'indépendance. Seulement, là où Wim Wenders faisait résonner le son de La Havane dans chaque image, Safinez Bousbia, jeune réalisatrice algérienne, retrace davantage l'aventure humaine. On la suit dans l'échoppe minuscule de la casbah où elle rencontre, en 2003, le premier de ces vétérans à la nostalgie contagieuse, puis, plus tard, à Marseille, où ont lieu les émouvantes retrouvailles avec les amis juifs d'antan. S'invitent ainsi le battant Bernaoui, au corps brisé par la torture, le débonnaire Tahmi, l'intarissable Robert Castel... A travers eux - et aussi des plans magnifiques d'Alger -, elle rend un bel hommage au chaâbi, blues arabo-andalou aux accents cosmopolites des quartiers populaires. Et raconte, au passage, la petite histoire d'une Algérie fraternelle et œcuménique...TÉLÉRAMA. A travers l’histoire de cet orchestre, réuni à nouveau en 2006, c’est l’histoire du Chaâbi que retrace el film El Gusto. Sa bande originale ressuscite le blues originel de la Casbah, mélange de formes savantes et d’influences gouailleuses cosmopolites, dans sa forme la plus émouvante. Nostalgiques et fringants, ces papys aux voix habitées chantent, en arabe et en français, sa fraternité retrouvée. LA VIE. LES COULEURS DE LA MONTAGNE La Colombie vit depuis des décennies une atmosphère de guerre civile. Le conflit qui oppose l'armée, des guérilleros marxistes et des groupes paramilitaires d'extrême-droite à la solde des grands propriétaires terriens gangrène la vie quotidienne. Ce premier film primé au Festival de San Sebastian n'entend pas expliquer la situation politique du pays mais l'évoquer du point de vue d'un groupe d'enfants habitant un village de la Cordillère des Andes. Pour ces gamins épisodiquement privés d'école pour cause de fuites de leurs institutrices, le spectacle des adultes apeurés, traqués, disparaissant pour rejoindre la guérilla ou enlevés et assassinés par représailles reste incompréhensible, absurde, irrationnel. Influencé de son propre aveu par le cinéma iranien, Carlos César Arbelaez suit donc les allées et venues et activités plus ou moins buissonnières d'une petite bande dont Manuel est le repère. A 9 ans, il ne perçoit pas les raisons pour lesquelles son père se terre dans sa ferme, ni celles qui ont mené le frère aîné de son meilleur ami à prendre le maquis, qui provoquent le survol de la région par des hélicoptères, qui poussent des hommes à venir la nuit inscrire des slogans révolutionnaires sur les murs de l'école. Manuel a la passion du foot. Il se fait offrir un ballon neuf... qu'un coup de pied maladroit envoie dans un champ de mines. Une partie du film tourne autour de cette impossibilité symbolique de pouvoir aller récupérer l'indispensable objet de leurs jeux, l'interdit des parents de s'aventurer sur la zone dangereuse, les désobéissances d'un trio turbulent, tentatives infructueuses dont l'une se solde (autre métaphore) par l'envoi au casse-pipes d'un enfant albinos qui y perd ses lunettes. Troisième métaphore : la fresque colorée que, surmontant intimidations et terreurs locales, une institutrice idéaliste fait peindre aux enfants sur un mur, effaçant une inscription exhortant à prendre les armes pour la remplacer par un paysage bucolique, celui du site transformé en campagne de guerre. Tourné avec des acteurs non professionnels, Les Couleurs de la montagne décline avec modestie l'art de peindre l'irrespirable sans imposer l'horreur plein cadre. La tyrannie quotidienne est ici suggérée à hauteur de pinceaux d'enfants. LE MONDE. Des gosses, un ballon de foot... et la guerre. Aussi écrasante que les Andes où habitent le petit Manuel, ses copains et ses parents. D'un côté, les militaires. De l'autre, une guérilla omniprésente. Au milieu, les paysans du coin. Le réalisateur aligne de courtes séquences : perception morcelée d'une réalité où la violence croît insidieusement. A la périphérie, d'abord : quelques hommes en poncho semblent terrifier le père de Manuel, des graffitis menaçants s'étalent sur le mur de l'école, des voisins fuient en hâte... Et puis, un jour, une mine explose sur le terrain de foot du village. L'image s'assombrit et les somptueux paysages se muent en enfer boueux... On ne saura presque rien sur les belligérants : dans ce premier film épuré, le réalisateur a préféré filmer les dommages subis par les enfants, dont il capte la fougue et la complicité avec une fraîcheur quasi documentaire, une gouaille à la Truffaut. TÉLÉRAMA. CIRKUS COLUMBIA Tout repose sur le comédien Miki Manojlovic, vu chez Kusturica (Chat noir, chat blanc, Promets-moi), mais aussi dans Les Amants criminels, de François Ozon, et Largo Winch, de Jérôme Salle. Exilé -durant de longues années en Allemagne, où il a guetté - et financé - la chute du communisme, Divko s'en revient chez lui, en cette année 1991, du fric plein les poches, une jolie fille à son bras et son chat porte-bonheur dans ses bagages : sa fugue donnera lieu, d'ailleurs, à des scènes particulièrement réjouissantes... Un peu comme la « vieille dame » de la pièce de Friedrich Dürrenmatt, Divko va reprendre possession de son village et y imposer sa loi... Si l'on excepte son adaptation catastrophique d'un scénario inédit de Krzysztof Kieslowski (L'Enfer), Danis Tanovic n'a filmé que la guerre. Son horreur (No Man's Land). Ses conséquences (Eyes of war, avec Colin Farrell). Ses prémices, ici, puisque le retour de Divko se situe dans la -parenthèse - pas si enchantée que ça - entre un communisme à bout de souffle et un conflit serbo-croate meurtrier. Entre deux clichés (le fils du héros tombant amoureux de la maîtresse de son père), le réalisateur filme plaisamment des égoïstes et des lâches -retrouvant, mais un peu tard, leur dignité perdue face à un péril obstinément nié. Ainsi quitte-t-on Miki Manojlovic, tournoyant sur un manège dérisoire, son chat retrouvé, mais ses illusions perdues, entre flonflons et bruit des bombes. TÉLÉRAMA Le réalisateur de Eyes of war revient avec talent sur ses racines yougoslaves On avait laissé Danis Tanovic en petite forme avec Eyes of War, un mélo sur les conséquences de la guerre, avec Colin Farrell. Le réalisateur de No Man's Land revient avec bonheur à ses racines "yougoslaves". Dans Cirkus Columbia, il met en scène le retour d'un exilé en Bosnie, au lendemain de la chute du mur de Berlin. L'homme, qui a dû fuir le communisme, réapparaît sur ses terres en conquérant. C'est à la fois comique et pathétique. Surtout quand on sait que son pays va être le théâtre d'une guerre sanglante peu de temps après. Très inspiré (sûrement par des souvenirs), Danis Tanovic tisse sa propre toile sans emprunter la cocasserie d'un Kusturica. Mieux, l'humour vient du réalisme et la tristesse de l'excès. Miki Manojlovic, qu'on avait l'habitude de voir en chien fou chez Kusturica, trouve ici des accents de vérité et de maturité, et l'un de ses plus beaux rôles. L’EXPRESS LE SEPTIÈME SCEAU De fait, Le Septième Sceau est un des films qui feront du cinéma – pendant, quoi, un quart de siècle ? – un art sérieux pour gens sérieux. « Vous avez vu Le Septième Sceau ? Glaçant, non ? », s'interrogeait-on dans les dîners de 1956. Le contexte de l'époque n'y est pas pour rien : on est en pleine Guerre Froide, une autre forme de peste menace, et le chevalier à la triste figure est celui qui a vu Auschwitz et Hiroshima. C'est l'homme brisé du XXe siècle, le cousin de Steiner dans La Dolce Vita. Bergman n'est pas un idéologue, il n'a pas les réponses attendues sur l'humain et ce qu'il y a au-delà. Il peut poser les questions, en revanche, de manière dynamique, car c'est un homme de spectacle. Dans ces années-là, il passe l'hiver à la scène, l'été sur les plateaux : les acteurs sont les mêmes, et leur entente, leur jeu collectif donnent quelque chose de théâtral à ces aventures historiques. Voilà, Bergman peut donner un point de vue de saltimbanque, et ne s'en prive pas ; Les comédiens ambulants (dont Bibi Andersson, ultra-mimi) sont interrompus par une spectaculaire procession, menée par un oiseau de mauvais augure annonçant la mort pour tous. Par rapport à leurs tréteaux minus, l'Eglise, c'est un sacré budget, une sacrée mise en scène : des figurants, de la fumée comme dans un film d'Angelopoulos, etc. On admire l'organisation de l'espace : le long plan fixe, à hauteur d'homme sur les processionnaires, les cadres admirablement composés sur les visages. Une mise en scène en capte une autre, ce dont personne, ni le cinéaste, ni les personnages, ni le spectateur d'aujourd'hui, n'est tout à fait dupe. A la fin du show, l'écuyer du chevalier, dont Bergman a fait une sorte d'existentialiste, s'écriera : « Aucun homme moderne (il veut dire de son époque à lui) ne gobera ça. » L'anachronisme fait partie des coquetteries du maître. Il y a peut-être plus d'ironie que de profondeur dans Le Septième Sceau ; mais, sur certains sujets, l'ironie, c'est la profondeur. TÉLÉRAMA LA NUIT AMÉRICAINE Truffaut tourne La Nuit américaine en 1973 après une dizaine d’années de cinéma. On y trouve dès les premiers travellings les amours naturelles du réalisateur : la marche rapide d’un homme et de figurants entre les arbres comme dans Baisers volés, le goût des scènes de rue foisonnantes, et... JeanPierre Léaud, son mentor, son Doinel, prénommé ici Alphonse, du nom du rejeton Doinel dans Domicile conjugal. Mais La Nuit américaine n’est pas un film sur Truffaut, sur un cinéma centré et fermé, c’est une déclaration d’amour à un métier et une réflexion (parfois grinçante) sur le rôle d’un cinéaste et sa place sur un plateau. Comment François Truffaut voit-il son métier ? Comment l’appréhende-t-il ? Ni documentaire de technicien ni ode maniaque à la gloire d’un réalisateur, La Nuit américaine fait d’une pierre deux coups : penser personnellement un art tout en entrant dans les thématiques de ce "personnel" : les femmes, grand sujet truffaldien, le couple et ses marivaudages, les égarements du cœur et de l’esprit, et leur construction à l’image... voici ce que donne à voir en parallèle François Truffaut. Son cinéma se décline donc entre une réalité plus ou moins falsifiée, et le caractère organisé de la création. De nombreux thèmes, comme le couple ou la trahison amoureuse, sont donc ici développés dans le film qui se tourne et dans le film global. Le cinéma ne serait en fait qu’un mélange savant de ce que l’on fait et de ce que l’on crée. Truffaut aime en ce sens à observer l’intérieur du tournage des séquences en les liant à l’extérieur de la vie : une stagiaire scripte (interprétée par Dani) apprend le métrage des scènes avant de partir avec un technicien, les décorateurs et costumiers, lors de moments aussi drôles qu’instructifs et minutieux, déploient avec excitation leurs dernières trouvailles pour une scène éclairée à la bougie...CRITIKAT La nuit américaine une technique permettant de tourner une scène de nuit en plein jour. C'est à dire de l'art de faire du vrai avec du faux, de produire des effets illusoires. Comme toujours chez Truffaut, on aura donc deux histoires : l'une lumineuse qui raconte la grande aventure du cinéma et l'autre plus tragique et souterraine qui souligne l'extrême solitude du créateur. Truffaut en Ferrand se filme tendu vers la réussite du film en montrant tout le travail qu'il faut faire pour en arriver là : le dialogue écrit sur le mur parce que l'actrice alcoolique ne sait pas son texte, la pluie artificielle le chat qui ne veut pas boire le reste du petit déjeuner, les caprices de la star qui exige le beurre en motte, le butane alimentant le feu de cheminée, l'usage du porte-voix pour faire accélérer un passant ou en ralentir un autre. Selon Michel Chion, la musique emprunte son style à la fois à Bach et à Vivaldi.montage rapide de détails techniques de tournages rythmés par la musique de Delarue, un chœur tragique. Ferrand rêve toutes les nuits d'un petit garçon marchant, étrangement avec une canne, dans des scènes crépusculaires désaturées à la limite du noir et blanc. Il s'approche d'un cinéma pour y dérober les photos de Citizen Kane comme dans Les 400 coups, Antoine Doinel dérobait celles de Monika. Ferrand déclare à Alphonse que, comme lui, il ne pourra être heureux que dans l'exercice de son métier et c'est pourquoi il faut s'y adonner. Curieusement Truffaut ne fait pas du metteur en scène un artiste mais un honnête artisan, un professionnel. Ce n'est donc pas un autoportrait bien qu'il l'interprète luimême… mais avec un sonotone pour marquer la différence. Il ne retient que le côté lisse de sa personnalité, son aspect consensuel tonique, de grand amoureux du cinéma La nuit américaine est tournée aux studios de la Victorine de Nice au moment où ceux-ci connaissent de graves difficultés mais sont encore voués au cinéma. Ensuite ils seront investis par la publicité, par la télévision ou l'audiovisuel. Truffaut déclarait volontiers avoir pensé à Chantons sous la pluie, Huit et demi, Le Schpountz et Les ensorcelés. Le film dans le film raconte le tournage d'un film au scénario caractéristique des films commerciaux des années 50 (Le beau-père et la bru tombent amoureux l'un de l'autre). Casting hétérogène Jean-Pierre Aumont et Valentina Cortese sur le déclin en 1972 sont censés être des stars sur le tournage de Je vous présente Paméla. En revanche, la jeune chanteuse Dani, extérieure au milieu du cinéma en 1972, joue au premier degré le rôle de la stagiaire maîtresse de Jean-Pierre Léaud, le vilain petit canard ne se sentant pas intégré au milieu du cinéma qui d'ailleurs, de son coté le rejette. Jacqueline Bisset est la star nécessaire à la coproduction internationale de La nuit américaine ; Et Truffaut lui donne exactement ce rôle dans le film : une femme rendue fragile par les désirs qui s'accumulent autour d'elle. Décrire modestement mais avec une fascination bienveillante le monde factice du cinéma, "une unanimité de façade, un univers de faux-semblants où on passe son temps à s'embrasser, car il faut montrer qu'on s'aime comme dira l'un des personnages du film "(Antoine de Baecque, Serge Toubiana François Truffaut, 1996). Seule la femme du régisseur, toujours recroquevillée dans un coin du décor ose démythifier ces relations truquées où chacun en fait trop par peur du vide existentiel qui l'oppresse dès que s'éteignent les sunlights des plateaux : "Qu'est-ce que c'est que ce cinéma ? S'écrie-t-elle. Qu'est-ce que c'est que ce métier où tout le monde couche avec tout le monde ? Où tout le monde se tutoie, où tout le monde ment. Mais qu'est-ce que c'est ? Vous trouvez ça normal ? Mais votre cinéma, votre cinéma, moi je trouve ça irrespirable. Je le méprise, le cinéma. " Truffaut déclare que la surdité est symbolique du fait que Ferrand est hors la réalité, enfermé dans son univers cinématographique. Truffaut ne plaide pas pour l'autonomie de l'art pas même pour sa supériorité, en dépit de ce qu'affirme Ferrand pour qui le travail est le plus important et les films plus harmonieux. Un des personnages cite ainsi Le carrosse d'or et La règle du jeu de Renoir où il est montré au contraire que l'art et la vie c'est la même chose. HAPPY HAPPY Mariée à un homosexuel refoulé, mère d'un enfant sadique qui persécute l'un de ses petits camarades, Katia est contente. C'est une « happy christian », du nom de cette communauté de croyants du sud de la Norvège, optimistes jusqu'à l'absurde. Mais, à l'approche de Noël, sa vie paisible se retrouve sens dessus dessous lorsque son voisin, qui plaît beaucoup à son mari, devient son amant. Ces dernières années, l'univers déjanté de Bent Hamer (Kitchen Stories, Factotum) avait donné un aperçu de l'humour norvégien. Caustique à souhait, ce premier film d'une jeune réalisatrice enfonce efficacement le clou. La servitude volontaire dans le couple, les petites comédies que l'on se joue en société, l'obligation au bonheur : autant de cibles qu'elle vise, et atteint, avec une joie contagieuse. TÉLÉRAMA Annie Sewitsky signe un film intelligent qui oscille délicatement entre drame et comédie. Kaia et Eirik forment un couple sans histoire. On ne peut en dire autant de leurs nouveaux voisins, venus s'installer dans ce trou perdu de la Norvège pour se reconstruire. Entre Kaia, sexuellement frustrée, qui se jette sur le nouveau venu, et Eirik, qui cache bien son jeu, ce n'est pas gagné. Pour autant, Happy happy n'est pas un vulgaire vaudeville. C'est une comédie de moeurs joyeusement atypique, où les moments drôles alternent intelligemment avec les passages plus dramatiques. A l'arrivée, cette réflexion sur le mariage et l'éducation (les enfants ont leur importance dans l'histoire) est autrement plus pertinente que la sempiternelle enquête estivale des magazines féminins. ON THE ICE Film glacial et glaçant dans la veine des polars polaires américains. C’est une affaire entendue, le crime s’épanouit fort bien en zone rurale et même au-delà du cercle polaire. Le jeune réalisateur Andrew Okpeaha MacLean, originaire de la riante bourgade de Barrow, Alaska, en offre une nouvelle démonstration avec ce premier long métrage dans lequel il déroule une petite mécanique de claustrophobie noire, sur fond immaculé de banquise. Dans ce patelin au bout de nulle part, il décrit par le menu ce qui a probablement constitué l’essentiel de sa folle jeunesse. Couteau. D’un côté, en guise de mode de vie à perpétuité, les vestiges d’une culture inuit rongée aux mites à base de cuisine à l’huile de phoque et de parties de chasse en motoneige. De l’autre, un ennui poisseux, une poignée de copains avec lesquels on rêve de musique rap en fumant des pétards dans le blizzard, en sachant que tout ça va se terminer, quelques années plus tard, entre chômage endémique, mariage précoce et alcoolisme méthodique voire, pour les moins chanceux, dans un nuage emboucané de meth. Tout cela n’est déjà pas bien folichon, mais quand un jeune homme écope d’un coup de couteau fatal à la suite d’une dispute ridicule, les faméliques illusions de l’adolescence s’évanouissent pour de bon. Le polar polaire est un motif qui a, depuis quelques années, la cotedans le cinéma indépendant américain calibré pour Sundance. Frozen River de Courtney Hunt ou, dans une version tout aussi réfrigérante bien que moins septentrionale, Winter’s Bone de Debra Granik, sans oublier le parangon Fargo des frères Coen, ont eux aussi décliné les principes de ce mini-genre. Gris. MacLean connaît ses classiques : l’horizon bouché dans toutes les nuances de gris, l’oppression du froid et de l’isolement, le contraste choc du sang sur la neige… Il y ajoute une note ethnographique que l’on peut imaginer personnelle, évoquant les fléaux d’une culture standardisée, plus mondiale qu’américaine, engloutissant les recoins les plus oubliés et les plus vulnérables de sa zone d’influence. Son message, un peu trop nourri au mythe d’un paradis perdu, n’en reste pas moins désespéré. LIBÉRATION. Tourné sur la glace, comme son titre l'indique, ce premier long métrage nous révèle un espace régionaliste, voire indépendantiste du cinéma américain : l'Alaska. Un autre monde, un désert blanc où l'on parle l'iñupiaq, la langue inuit, et où l'on obéit à des traditions plutôt qu'à des lois. Mais les jeunes Américains de l'Alaska se battent comme les autres, draguent et prennent de la drogue dans des fêtes, sous le soleil de minuit. On the ice raconte le choc entre des valeurs immuables, figées, et le coup de chaud d'un jeune gars qui « part en vrille ». La confrontation est aussi celle d'une réalité quasi documentaire (le portrait de la communauté iñupiaq) et d'une fiction, à base de bad boys, de faute, de culpabilité et de rachat. Or, sous cet angle, ce sont les petits jeunes qui font vieux jeu, avec leurs histoires classiques, tandis que les ancêtres, garants de l'ordre, apportent du renouveau, cinématographiquement parlant. C'est un peu dommage, car le film semble justement fait pour défendre la nouvelle génération de l'Alaska, la soutenir dans tous les dilemmes auxquels elle est confrontée, pas seulement moraux, mais aussi économiques. On the ice est, par ailleurs, visuellement superbe et, bien sûr, très dépaysant. TÉLÉRAMA . RESTLESS Un garçon rencontre une fille. C'est un début plein de promesses. C'est aussi une fin sans appel. La fille n'a que quelques mois devant elle - cancer. Ce sujet de pur mélo, apporté par des producteurs, Gus Van Sant s'en empare sans chercher à le reconfigurer. Elephant, pour ne citer que le chef-d'oeuvre du cinéaste, était un opus XXL par son élaboration formelle. Restless, beaucoup plus classique, est de taille S. Mais, sous des atours d'emprunt, le cinéaste manifeste une constance absolue dans ses obsessions. Une tuerie en milieu lycéen (Elephant), les dernières heures d'une jeune rock star (Last Days), une randonnée fatale entre copains (Gerry) : la mort couve dans presque tous les films sur la jeunesse de Van Sant, pulsion irrépressible, mystérieuse, contre soi, les autres, ou les deux. Les adolescents les plus radieux sont des défunts en puissance, la menace qui pèse sur eux ajoute confusément à leur séduction, à l'intensité de leurs jours. Restless met en scène des héros plus dandys qu'à l'habitude, à l'élégance vintage, ouvertement fascinés par le dérisoire, le tragique de l'existence. Enoch et Annabel font connaissance à l'un de ces enterrements où le garçon se rend régulièrement, avec une désinvolture étudiée, sans connaître le ou la dis-paru(e). De son côté, la jeune fille se passionne pour les théories de Darwin sur la sélection naturelle, qui lui font relativiser et mettre en perspective son propre sort... Mais cette part de détachement un peu poseuse, Gus Van Sant la met en scène comme la quintessence de la jeunesse. Et la maladie, comme une métaphore du temps qui file. Il n'est plus l'heure de déclarer la guerre à quoi que ce soit, mais d'être léger et de vivre. Restless (« sans repos ») peut s'entendre ainsi : les deux personnages sont tout ce qu'il y a de plus réveillés. Le film aussi, facétieux jusque dans sa mélancolie. On oublierait presque qu'Annabel est condamnée. Elle et Enoch pourraient n'être que deux grands enfants qui jouent au mélodrame - on les voit d'ailleurs répéter, comme une scène de théâtre, les adieux de la jeune fille. Henry Hopper (fils et, on le jurerait, fantôme du regretté Dennis) et Mia Wasikowska (l'Alice de Tim Burton), diaphanes et ébouriffés, un peu androgynes, expriment par leur fragile perfection de porcelaine tout l'éphémère du monde. Ils enluminent ce Portland (ville du cinéaste et de beaucoup de ses films) hivernal, entre banlieue familière et forêt magique, idéale pour traîner avec des amis imaginaires. Peu à peu, les ficelles dramaturgiques se laissent oublier. Sur fond d'Elliott Smith, troubadour rock trop vite disparu, la délicatesse inouïe avec laquelle Gus Van Sant filme les moindres gestes des amoureux en sursis nous étreint une fois encore. GIGANTE Un minimalisme réjouissant Le réalisateur de « Gigante » filme des gens ordinaires, dans des situations ordinaires auxquelles il ne manque pas grand chose pour devenir extraordinaires. Un peu d'amour y suffirait. Son gardien de supermarché, plutôt enrobé, vit une vie monotone et répétitive, jusqu'au jour où il se prend d'affection pour une femme de ménage sur le point de se faire virer. Ce personnage principal, à la fois maladroit, bourru et silencieux, accroche rapidement le spectateur par sa bienveillance, ne dénonçant pas certains petits vols que peuvent commettre les employés, et venant habilement en aide à son employée préférée. Cela fournit de petits joies, en des scènes comiques plus visuelles que dialoguées, le réalisateur mexicain surprenant par un ton léger et une histoire simple et humaine. Développant les rapports de hiérarchie bas du front, comme les rivalités amoureuses à l'échelle de son magasin, il nous livre une jolie observation d'une micro-société, doublée d'une histoire d'amour originale et touchante. Il arrive même à générer un certain suspense, le gardien pouvant, de l'extérieur, constituer une véritable bombe à retardement. Alors laissez-vous charmer par « Gigante », film vivant et attachant, triplement primé au Festival de Berlin 2009. Comme le héros, en personne lambda, vous pourriez très bien découvrir que vous savez faire des massages improvisés, parce que vous l'avez « vu (faire) à la télé ». ABUS de CINÉ D'Amérique latine, encore une bonne nouvelle : un de ces petits films intelligents, fragiles, humanistes en diable, dont on ressort touché, séduit, heureux. Celui-ci est le premier long métrage d'Adrian Biniez, Argentin de 37 ans, ex-musicien, ex-acteur (dans le drôlement mélancolique Whisky des Uruguayens Pablo Stoll et Juan Pablo Rebella), aujourd'hui installé à Montevideo, en Uruguay. C'est là que se déroule Gigante. Malgré la stature du héros, on peut en faire le tour en une phrase : un veilleur de nuit obèse tombe amoureux d'une femme de ménage aperçue sur l'un des écrans de contrôle de la grande surface qui l'emploie. LE MONDE ANGÈLE ET TONY Personne ne pourrait y croire. Ni vous, ni nous, ni Tony. Quand Angèle débarque un jour dans sa vie, sortie de nulle part mais déterminée à s'incruster, il cherche l'erreur. Qu'est-ce qu'une belle fille comme elle, avec ses longues jambes, son petit blouson, son vélo volé et son air paumé vient faire avec un type comme lui ? Tony, le marin-pêcheur trapu, bourru et taiseux, résiste autant qu'il peut. Dans les embruns d'un port normand, il s'agit pourtant d'amour, entre un ours solitaire et une poupée androgyne un peu cassée (Angèle a un secret, et pas des moindres), à petits pas décisifs. Angèle la sauvageonne en rupture d'éducation et de repères apprend, bon gré mal gré, à reconnaître une sole d'une limande. Plus tard, pour une fête de patronage, Tony lui fait répéter le rôle de... BlancheNeige. C'est bien un conte de fées, touchant, insolite et modeste, que s'offre Alix Delaporte. Une histoire de renaissance et d'espoir, qui appuie parfois un peu trop là où ça fait sens - Angèle « remonte » la pente, encore et encore, avec détermination, sur sa bicyclette. On se laisse, malgré tout, emballer par ce couple si mal assorti, mais si harmonieux. Car les acteurs ont de la grâce. On con-naissait déjà le talent nerveux, habité, de Clotilde Hesme (révélée par Les Chansons d'amour, de Christophe Honoré), mais on découvre Grégory Gadebois. Très sobre, il s'éclaire peu à peu. Du type ordinaire à l'amant craquant, c'est une transfiguration. Angèle et Tony, à la fin, on y croit dur comme fer. TÉLÉRAMA C'est une bouffée d'air frais ce film, des acteurs géniaux, une histoire d'amour super forte. Et puis les marins pêcheurs comme je les ai jamais vus. Tout a l'air vrai et en même temps, ça ne ressemble pas aux films français un peu classiques. Il y a de l'action, des sentiments. Et des grands moments d'émotion. L'actrice principale, Clothilde Hesme est lumineuse, Grégory Gadebois fascinant. On aimerait ne jamais les quitter. A voir à tout prix... UN INTERNAUTE NAOMIE Le cinéma israélien, l'un des plus fertiles en révélations stimulantes, n'est donc pas voué à la fiction politique. Avec l'impeccable Naomi, son premier film, le néophyte Eitan Zur signe un thriller psychologique tendu et maîtrisé, un film de genre haut de gamme où il dévoile un authentique tempérament de cinéaste. Comment vivre avec le fardeau du secret ? Comment faire croire aux autres que l'on ne sait rien, alors que l'on sait tout ? Avec une inspiration formelle constante et un humour noir terriblement grinçant, le cinéaste entraîne dans un suspense cérébral efficace et dirige avec maestria ses deux remarquables acteurs principaux : Yossi Pollak et Melanie Peres, comédienne dont le physique et la voix font irrésistiblement penser à une certaine Scarlett Johansson. Ce qui ne gâche rien au spectacle... LE POINT Ilan Ben Natan est un brillant chercheur scientifique, issu du Technion, école polytechnique de Haïfa en Israël. A 58 ans, cet homme n'a qu'un seul problème : avoir épousé une ravissante jeune femme de 30 ans sa cadette. Naomi n'est pas toujours à la maison lorsqu'il rentre... Pris de jalousie féroce, Ilan fait suivre sa femme et découvre ses liaisons extra-conjugales. Entre silences majestueux et tension palpable, ce thriller israélien nous emporte. Il alterne entre passion et moralité, tragédie et comédie, pour terminer sur un superbe coup de théâtre. LE FIGARO Naomi, énigme douce et blonde, a un mari professeur d'université, bien plus âgé qu'elle, et très inquiet. A juste titre : la belle ment sur son emploi du temps. Il décide de la suivre, dans un Haïfa pluvieux... Sur cette trame très classique, le réalisateur israélien brode un conte moral intimiste sur la jalousie, la faute, le remords et le pardon. Très sobre, découpé en courtes séquences limpides et -pudi-ques, ce premier film, superbement interprété, dominé par Yossi Pollack, l'époux tourmenté, offre un portrait inédit et juste de la bourgeoisie israélienne.TÉLÉRAMA LA DERNIÈRE PISTE Très remarqué au dernier festival de Venise mais injustement reparti bredouille, La Dernière Piste confirme, s’il en était encore besoin, que la réalisatrice Kelly Reichardt est assurément l’une des nouvelles figures de proue du cinéma indépendant américain. Déclinant le concept de ses deux précédents longsmétrages (Old Joy et Wendy & Lucy), à savoir l’expérience limite d’individus livrés à eux-mêmes en marge des repères sociétaux habituels, elle suit ici l’errance d’un groupe de pionniers dans l’Oregon du 19ème siècle. D’une intelligence rare, le film saisit par sa pureté esthétique (les modèles hollywoodiens semblent revenir d’entre les morts) et son acuité – parfois déstabilisante – à poser de véritables questions morales. Avec une sobriété et une humilité qui ne contredisent jamais le talent, la réalisatrice revisite les mythes fondateurs américains. LE POINT. ….Rien de comparable, pourtant, avec La Dernière Piste, de la cinéaste Kelly Reichardt, qui est bien davantage qu'une revisitation. Ce film digne, à certains égards, des westerns beckettiens de Monte Hellman est un des chapitres les plus originaux et saisissants de cet interminable épilogue. La raison en est simple : La Dernière Piste est tout sauf un film terminal. C'est une oeuvre qui ressuscite le sentiment perdu des origines en même temps qu'elle renouvelle la lecture de l'Histoire. LE MONDE. Un désert. L'Oregon, en 1845. Un convoi de braves cherche une piste perdue. Cette image de caravane est un archétype de western : on a pourtant la sensation de la découvrir pour la première fois, dans cette conquête de l'Ouest réduite à sa plus simple expression. Le mythe persiste sous une forme minimaliste, à travers les gestes minutieux des pionniers, l'attente, et l'inquiétude qui plane... La réalisatrice de Old Joy et de Wendy et Lucy est décidément une virtuose de l'épure. TÉLÉRAMA