Lire - Luc 9,51-11,54 - Fraternités de Jérusalem
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Fraternités de Jérusalem | Atelier biblique en ligne 10 avril 2010 | 1 Lire - Luc 9,51-11,54 N ous abordons ce mois-ci la seconde grande section de l’évangile selon saint Luc. En effet, alors que la première relatait son ministère en Galilée, cette section est construite comme une longue montée vers Jérusalem. Une montée, à vrai dire, plus symbolique que géographique, car l’itinéraire n’a rien de linéaire et n’intéresse d’ailleurs pas véritablement Luc. Alors qu’il insiste en revanche, à plusieurs reprises, sur l’importance de la Ville Sainte (9,31 ; 13,33-35 ; 18,31 ;19,41-44) où commence et où s’achève son évangile, dans le Temple même (1,8s ; 24,53). Cette section, qui s’ouvre par un verset (9,51) théologiquement très dense (allusions à Isaïe 50,7 et Ézéchiel 3,8 ; vocabulaire de l’enlèvement utilisé aussi pour l’Ascension en Actes 1,2.11.22), est aussi celle qui contient le plus d’épisodes propres au troisième évangile. Elle développe le thème du voyage de celui qui «n’a pas où reposer la tête» (9,58), ce qui, dès les débuts de cette section (dans les chapitres 10 et 11 que nous lisons ce mois-ci), implique de préciser qui peut suivre Jésus. Le voyage commence en effet par un rejet : celui d’un «village samaritain» (9,52) – de même d’ailleurs que Jésus avait été, au début de son ministère public rejeté par les habitants de sa ville de Nazareth (4,28-30). Ce rejet ne fait que mettre en lumière la difficulté qu’il y a à suivre Jésus : Jacques et Jean sont réprimandés pour vouloir agir contre la manière de leur maître (9,55) ; les disciples potentiels qui se présentent sont découragés par la pauvreté et le détachement qui leur sont demandés, tant matériels (9,58) qu‘affectifs (9,60) et sociaux (9,62). Le chapitre 10 s’attache plutôt au versant positif de la suite du Christ, selon deux grands thèmes : l’envoi en mission et le commandement de l’amour. Il s’ouvre en effet par l’envoi en mission des 72 disciples (10,1-16) et les réactions à leur retour (10,17-24). Les consignes données aux 72 rappellent celles qu’avaient reçues les Douze (9,3-5) ; mais leur nombre est intéressant car il évoque celui de l’ensemble des peuples de la terre (cf. Genèse 10,2‑32) à qui doit donc être portée la Bonne Nouvelle. L’accent est mis d’abord sur la prière (10,2), la pauvreté (10,4), mais surtout sur les conduites à adopter dans les cas de refus ou d’accueil (10,6.8-11) de ce qui n’est pas seulement un message, mais la personne même de Jésus (10,18). Leur retour, dans la joie, provoque l’action de grâces de Jésus qui se réjouit de ce que l’empire du mal commence à s’écrouler, pour laisser place à son Règne (10,17-20) ; puis associe la Trinité entière à cette action de grâces (10,21-22) – l’Esprit qui le fait «tressaillir de joie» et le Père qui lui «a tout remis» – ; et englobe enfin tous les témoins de ces événements, qui annoncent la fin des temps, dans une même béatitude (10,21-24). La deuxième séquence de ce chapitre 10 (10,25-42) propose un double portrait du disciple, sous des traits inattendus. Le cœur en est la définition du double commandement de l’amour, l’amour de Dieu et l’amour du prochain (10,25-28). Une parabole et un récit illustrent ces deux formes de l’amour qui ne font qu’un : la parabole du bon Samaritain (10,29-37), exemple de l’amour en acte de celui dont on «se fait proche» (10,36) ; et l’attitude de Marie, sœur de Marthe (10,38-42), qui, «assise aux pieds du Seigneur» (10,34), s’absorbe tout entière en sa contemplation. Le chapitre 11 poursuit, en sa première partie (11,1-13), cette séquence consacrée aux disciples par un enseignement sur la prière. Luc, seul parmi les évangélistes, insiste en effet sur le fait que c’est la vue de Jésus en prière qui incite les disciples à lui demander : «Seigneur, apprends-nous à prier» (11,1). Ce qui occasionne donc un enseignement composé d’abord de la remise aux disciples de la «prière du Seigneur» (11,2-4), le Notre Père, donné ici dans une recension plus brève que celle de Matthieu (6,9‑13) ; puis d’une parabole, celle de l’ami importun (11,5-8) qui, par son insistance, obtient de son ami ce qu’il désire ; suivie, en guise d’explication, d’une instruction sur l’efficacité de la prière (11,9‑13) qui compare le Seigneur, non plus à un ami, mais à un père qui ne saurait rebuter son fils, surtout lorsque celui-ci demande le don parfait de l’Esprit Saint (11,13), ce don même qui sera accordé à l’Église naissante (Actes 2,33.38). http://jerusalem.cef.fr | © FMJ2010 Fraternités de Jérusalem | Atelier biblique en ligne 10 avril 2010 | 2 La deuxième partie de ce chapitre (11,14-36), plus disparate, développe plutôt le versant négatif de ce thème de la suite du Christ. Après un exorcisme opéré par Jésus (11,14), les critiques de la foule – qui sont pour la première fois mentionnées – fusent en effet (11,15-16) et vont appeler une réponse en deux temps. La première critique affirme que les pouvoirs de Jésus lui viennent de «Béelzéboul, le prince des démons» (11,15). Jésus y répond (11,17-26) en montrant l’illogisme de cette accusation puisque la division ne peut conduire qu’à la destruction (11,17-19) ; puis en affirmant, au contraire, que ces exorcismes sont le signe de la présence du Royaume de Dieu déjà à l’œuvre en sa personne (11,20-23). Une mise en garde complète la réponse (11,24-26) : il ne suffit pas d’avoir été exorcisé ; encore faut-il changer de vie et donc, est-il implicitement affirmé (en référence à 11,23), se situer du côté de Jésus. Un intermède (11,27-28) montre que tous ne sont pas aussi critiques : une femme dit, en une béatitude, son admiration. La réplique de Jésus, sous forme d’une autre béatitude, exalte, non seulement celle qui l’a porté, mais tous «ceux qui écoutent la Parole de Dieu et la gardent» (11,28), manière encore de se prémunir contre le retour de l’esprit mauvais (cf. 11,26) et de devenir un disciple fidèle. La réponse à la seconde critique peut alors intervenir (11,29-36). Alors qu’on avait demandé à Jésus «un signe venant du ciel» (11,16), il n’accepte de donner que «le signe de Jonas» (1,29). L’histoire de Jonas (cf. le livre qui porte ce nom) n’est pas ici utilisée comme la préfiguration de la résurrection (ainsi que le fait Matthieu 12,60), mais comme un appel à la conversion semblable à celui qu’avait prêché Jonas aux Ninivites (11,32). Ce que renforce un autre exemple : celui de la reine de Saba (11,31 ; cf. 1 Rois 10,1-13). La réponse est complétée par deux petites paraboles (11,33-36) : la prédication de Jésus est comparée à une lampe (11,33) qui éclaire suffisamment pour que l’on n’ait pas besoin d’autres signes ; cette lumière de l’Évangile est donnée à tous, et c’est à chacun de se laisser illuminer par elle (11,24), sans faire en lui place aux ténèbres (11,35). La troisième et dernière partie de ce chapitre 11,37-54) s’inscrit dans une situation nouvelle : l’invitation à déjeuner d’un Pharisien (11,37) ; mais elle peut aussi être vue comme un exemple de la lutte contre les ténèbres qui empêchent de reconnaître qui est Jésus. L’étonnement réprobateur du Pharisien devant l’attitude de Jésus qui «ne fait pas ses ablutions avant le repas» (11,38) provoque en effet de la part du Maître un ensemble de reproches, d’abord à l’adresse des Pharisiens (11,39-44), puis, après l’intervention de l’un d’entre eux (11,43), à l’encontre des légistes (11,46-52) ; reproches formulés, à plusieurs reprises, sur le mode des lamentations (11,42-44.47.52). Les reproches faits aux Pharisiens (11,39-44) tournent autour de la question de la pureté – qui est en cause dans l’ablution. Par la distinction intérieur / extérieur, Jésus essaie de les entraîner de la notion de pureté rituelle, qui reste formaliste, à celle d’un comportement moral, plus conforme à l’esprit de la Loi qu’à sa lettre. De même il est reproché aux légistes (11,45-52) de multiplier les principes secondaires contraignants, au lieu de guider le peuple vers ce qui est le fondement de la Loi : l’amour de Dieu ; et donc de refuser – en allant jusqu’à la violence et au meurtre – l’enseignement des prophètes tentant de les ramener à l’écoute de leur Seigneur. La conclusion (11,53-54) souligne la réaction négative des scribes et des Pharisiens qui, au lieu d’écouter la Parole et de se convertir, «se mettent à en vouloir terriblement à Jésus» et s’engagent sur la voie de leurs pères, en «lui tendant des pièges» à lui, le grand Prophète. Les notations dramatiques commencent donc à se multiplier, depuis le rejet initial jusqu’à cette animosité marquée à la fin, dans cette marche vers Jérusalem où chacun est invité, de plus en plus clairement, à se prononcer face à Jésus, à choisir en somme son camp. Car «qui n’est pas avec moi est contre moi» (11,23). http://jerusalem.cef.fr | © FMJ2010 Fraternités de Jérusalem | Atelier biblique en ligne 10 avril 2010 | 3 Méditer - La parabole du Bon Samaritain (Luc 10,25-37) Ce passage est celui que nous vous proposons de creuser plus particulièrement pour cette étape de l’atelier biblique. Les expressions en italique et en couleur sont commentées sous le texte. L a question du légiste à laquelle Jésus répond par la parabole dite du Bon Samaritain, permet de comprendre l’usage qu’il fait de ce genre littéraire très particulier. La parabole dérive du mashal hébraïque par sa mise en scène – mise en images, pourrait-on dire – des idées que l’on veut exprimer ; mais elle sert surtout, par l’effet de surprise qu’elle introduit, à permettre de ne pas rester fixé à des opinions toutes faites, à accepter de laisse déplacer ses interrogations. Ici, c’est la notion de «prochain» qui, d’objective qu’elle était, devient subjective, en ce sens qu’elle dépend du sujet. 10 [25] Et voici qu’un légiste se leva, et lui dit pour l’éprouver : «Maître, que dois-je faire pour avoir en héritage la vie éternelle ?» [26] Il lui dit : «Dans la Loi, qu’y-a-t-il d’écrit ? Comment lis-tu ?» [27] Celuici répondit : «Tu aimeras le Seigneur, ton Dieu, de tout ton cœur, de toute ton âme, de toute ta force et de tout ton esprit ; et ton prochain comme toi-même.» - [28] «Tu as bien répondu, lui dit Jésus ; fais cela et tu vivras.» [29] Mais lui, voulant se justifier, dit à Jésus : «Et qui est mon prochain ?» [30] Jésus reprit : «Un homme descendait de Jérusalem à Jéricho, et il tomba au milieu de brigands qui, après l’avoir dépouillé et roué de coups, s’en allèrent, le laissant à demi mort. [31] Un prêtre vint à descendre par ce chemin-là ; il le vit et passa outre. [32] Pareillement un lévite, survenant en ce lieu, le vit et passa outre. [33] Mais un Samaritain, qui était en voyage, arriva près de lui, le vit et fut pris de pitié. [34] Il s’approcha, banda ses plaies, y versant de l’huile et du vin, puis le chargea sur sa propre monture, le mena à l’hôtellerie et prit soin de lui. [35] Le lendemain, il tira deux deniers et les donna à l’hôtelier, en disant : Prends soin de lui, et ce que tu auras dépensé en plus, je te le rembourserai, moi, à mon retour. [36] Lequel de ces trois, à ton avis, s’est montré le prochain de l’homme tombé aux mains des brigands ?» [37] Il dit : «Celui-là qui a exercé la miséricorde envers lui.» Et Jésus lui dit : «Va, et toi aussi, fais de même.» «Un légiste» : les légistes ou docteurs de la Loi sont caractérisés non par leur appartenance à un courant religieux, comme les Pharisiens, ou à une classe sociale, comme les prêtres, mais par leur savoir : ils ont longuement étudié la Loi et reçu de leurs maîtres la Tradition, l’interprétation orale de la Loi, qu’ils retransmettent eux-mêmes à des disciples. Ils sont ainsi formés pour interpréter la législation religieuse et l’adapter aux cas concrets. Ils en acquièrent donc un certain pouvoir du fait des décisions de justice qu’ils sont amenés à prendre. «pour l’éprouver» : il ne s’agit pas ici, comme dans d’autres cas (cf. 11,54 ; 20,20) de mettre Jésus à l’épreuve pour tenter de le perdre ; mais seulement de tester ses connaissances concernant la Loi. Le ton est à la joute intellectuelle plus qu’au complot, comme d’ailleurs dans le passage parallèle de Marc 12,28s). Tandis qu’en Matthieu, dans un contexte d’affrontement avec les grands prêtres et les scribes (21,23), puis les Pharisiens (22,15) et les Sadducéens (22,23), la question est posée «pour l’embarrasser» (22,34). http://jerusalem.cef.fr | © FMJ2010 Fraternités de Jérusalem | Atelier biblique en ligne 10 avril 2010 | 4 «avoir en héritage la vie éternelle» : on est bien là dans un débat d’école, comme il était fréquent d’en tenir dans le judaïsme – ce que renforce l’attitude du légiste qui «se lève» pour poser sa question et appelle Jésus «maître» – , comme l’était aussi la question du «plus grand commandement» posée dans le passage parallèle de Marc 12,28s. Il s’agit d’interroger Jésus sur ce qui, pour lui, est le plus important dans la Loi de Dieu. La même question est posée plus loin dans l’évangile par celui que Luc appelle «un notable» (18,18), Marc simplement «un homme» (10,17) et dont Matthieu a fait «le jeune homme riche» (19,22). «se justifier» : le légiste est sans doute frustré par l’absence de discussion ou peut-être agacé par l’invitation de Jésus à faire passer sa réponse théorique sur un plan existentiel et moral. Il pose donc une nouvelle question pour «justifier» la pertinence de la première et faire rebondir le débat. «et ton prochain comme toi-même» : au commandement de l’amour de Dieu est joint celui du l’amour du prochain, emprunté cette fois à Lévitique 19,18. Le rapprochement était certes possible dans le judaïsme qui valorise et encourage l’amour du frère et la miséricorde. Mais la mise sur le même plan de ces deux commandements est audacieuse, et elle paraît plus vraisemblable dans la bouche de Jésus, en suivant la recension de Marc 12,30-31. Cela rejoint de toutes les façons l’enseignement de son discours inaugural (cf. Luc 6,27-38 : «Aimez vos ennemis… Montrez-vous compatissant comme votre Père est compatissant…»). «brigands» : on peut donner aux éléments de cette phrase un sens purement narratif : pour que l’histoire soit significative, Jésus est bien obligé d’introduire des personnages et une action. Mais l’exégèse allégorique des Pères donne un sens théologique et spirituel à chacun de ces éléments : les brigands deviennent ainsi la figure des démons qui ont trompé et blessé l’humanité en la coupant de Dieu et en la laissant soumise au pouvoir de la mort ; ils l’ont dépouillée de la tunique de l’immortalité qu’elle portait (cf. a contrario en Genèse 3,21 les tuniques de peau – des animaux morts – dont Dieu revêt l’homme après le péché). «fais cela» : Jésus ne peut qu’approuver la réponse du légiste (cf. aussi son approbation en Marc 12,34), mais en reprenant le verbe «faire» – en inclusion dans les versets 25 et 28 –, il invite le légiste à ne pas en rester au débat intellectuel, fût-il théologique, mais à réellement mettre en pratique les commandements, ce qui appelle déjà la parabole qui va suivre. «Un prêtre» : la réaction du prêtre, pour choquante qu’elle puisse paraître, s’explique sans doute moins par son indifférence à autrui et son insensibilité, que par un respect trop légaliste des prescriptions de la Loi. Il craint en effet que l’homme qui gît au bord du chemin soit mort. Or le livre des Nombres stipule que «celui qui touche un cadavre sera impur sept jours» (Nombres 19,11). Il ne pourrait donc pas, «Jésus reprit» : Jésus ne répond pas plus directement à cette question qu’à la première, car entrer dans un travail de définition du «prochain» serait se comporter comme ces légistes et ces Pharisiens auxquels il reproche précisément leurs interminables discussions casuistiques qui leur permettent d’échapper à leurs devoirs (cf. 11,39-42) C’est pourquoi il va «Comment lis-tu ?» : Jésus accepte de se situer sur répondre à nouveau par une autre question (verset le plan du débat et, là encore à la manière juive, 36), après le détour d’une parabole. répond à la question par une autre question. Les deux débatteurs ont à se pencher ensemble sur la «Un homme» : la parabole met en scène non des perLoi pour expliquer «comment» ils l’interprètent et sonnes, mais des types, des figures définies par leur confronter leurs interprétations. rôle social (aubergiste, brigands) ou religieux (prêtre, lévite). La silhouette du protagoniste central de «Tu aimeras le Seigneur…» : le légiste répond en l’histoire est encore plus anonyme que les autres : citant Deutéronome 6,4, le passage de l’Écriture à «un homme» sans qualification aucune, en qui les Pèla base de la prière la plus importante pour la foi res ont voulu voir la figure de l’humanité blessée d’Israël, celle qui est récitée soir et matin («Shema par le péché. Pour Jésus, il s’agit, par cet anonymat Israël, Écoute Israël…»). À noter qu’en Marc 12,29, de l’homme, de commencer à déplacer la question c’est Jésus lui-même qui répond en citant le Shema du légiste. Car sa question implicite était : jusqu’où Israël qui affirme l’unicité de Dieu et le comman- dois-je aller pour considérer que l’autre est mon dement de l’amour total en réponse à l’amour prochain ? quelle est la frontière entre celui qui est d’élection que Dieu manifeste à son peuple. mon prochain et l’étranger qui ne l’est plus ? http://jerusalem.cef.fr | © FMJ2010 Fraternités de Jérusalem | Atelier biblique en ligne pendant ce temps, remplir les devoirs de sa charge sacerdotale. D’autant que l’interdiction est encore plus radicale pour les prêtres, concernant même leur famille : «Aucun d’eux ne se rendra impur auprès du cadavre de l’un des siens» (Lévitique 21,1). «un lévite» : la même règle de pureté rituelle s’applique aux lévites, c’est-à-dire aux membres de la tribu de Lévi, l’un des douze fils de Jacob – la tribu de Moïse et d’Aaron, son frère, dont descendent les prêtres. Les lévites sont voués au service de l’arche d’alliance puis du Temple (cf. par exemple 1 Chroniques 23s). À noter que les trois versets 31, 32 et 33 sont composés comme trois petites saynètes figurant de façon pittoresque les attitudes des trois types de personnages. «un Samaritain» : le troisième personnage est bien différent des notables religieux précédents. Ce n’est pas seulement un habitant de la Samarie, la province séparant la Judée au sud de la Galilée au nord, alors que les deux précédents sont judéens. Il est considéré par ceux-ci comme étranger et hérétique. Les Samaritains étaient en effet tenus pour les descendants de peuples païens établis sur ces terres par le roi d’Assyrie après la chute du royaume d’Israël et la déportation de sa population au VIIIe siècle AC (cf. 2 Rois 17,24). Convertis à la foi monothéiste, ils ne reconnaissaient cependant que la Torah (la Loi) écrite et refusaient la Tradition orale (spécialité du légiste !) ; ils avaient bâti un temple rival de celui de Jérusalem, sur le mont Garizim (cf. le dialogue entre Jésus et la Samaritaine, Jean 4,9.20). La parabole oppose donc à l’attitude des religieux, supposés pratiquer les œuvres de miséricorde, celle d’un mécréant. «pris de pitié» : Luc a déjà utilisé ce verbe très particulier – qui signifie littéralement être pris aux entrailles – en 7,13 pour décrire la compassion «viscérale» de Jésus devant la veuve de Naïn. C’est en grec la transposition du mot hébreu qu’utilisaient déjà les prophètes pour définir l’amour inconditionnel, semblable à celui d’une mère, que ressent le Seigneur pour son peuple (cf. Jérémie 31,20 ; Osée 11,8, etc.). Cet hérétique aime donc de l’amour même de Dieu ! 10 avril 2010 | 5 plaies pour désinfecter et calmer. Mais l’exégèse patristique y a surtout vu une préfiguration des sacrements : c’est par l’huile de l’onction du baptême et le vin de l’eucharistie que l’humanité est guérie. Si l’on va jusqu’au bout de l’interprétation allégorique, cela suppose que cet homme mal considéré, «en voyage», est le Christ lui-même, ayant quitté le Père pour venir dans le monde guérir et sauver l’humanité, et non reconnu par les siens (cf. Jean 1,10-11). «Prends soin de lui» : l’expression revient deux fois (v. 34 et 35). Le Samaritain qui n’est pas prisonnier des règles de pureté, comme le prêtre ou le lévite, n’est pas non plus dépendant de son argent qu’il accepte de dépenser pour cet homme qu’il ne connaît pas. Il est centré sur le «soin» qu’il faut prendre de l’homme, sur l’amour authentique et agi. Mais il poursuit son chemin et reste aussi libre par rapport à celui qu’il a secouru (en le laissant, du même coup, libre lui aussi). «s’est montré le prochain» : toute cette histoire n’avait comme finalité que d’amener cette nouvelle question de Jésus qui déplace tout à fait la question initiale du légiste (v. 29). Celui-ci se plaçait au centre et définissait les autres à partir de lui, comme des objets entrant dans telle ou telle catégorie. Pour Jésus, le prochain est celui qui s’approche de l’autre : non plus celui qui doit bénéficier (ou non) de la miséricorde, mais celui qui met en œuvre la miséricorde. La catégorie de prochain n’est plus fixe, elle s’élargit aux dimensions de mon cœur lorsqu’il aime d’un amour comparable à celui du Seigneur même. «celui qui a exercé la miséricorde» : le légiste a bien compris la leçon : il ne désigne plus l’homme par son origine (un Samaritain), mais par l’action miséricordieuse qu’il a posée. «fais de même» : la conclusion de Jésus est une nouvelle invitation à agir en mettant en pratique les commandements (comme au v. 28). Invitation qui ne manque pas d’ironie puisque ce spécialiste de la Loi est convié à imiter, non les ministres du culte qui n’ont pas su allier amour de Dieu et amour du prochain, mais un hérétique qui méconnaît précisé«de l’huile et du vin» : la charité efficace du Samaritain ment la tradition orale explicitant la Loi et qui ceest décrite en cinq verbes (s’approcher, bander, char- pendant agit précisément selon la volonté de Dieu ! ger, mener, prendre soin) qui montrent son engage- Luc aime tout particulièrement montrer l’attachement au service de son prochain. L’huile et le vin qu’il ment de Jésus aux plus faibles et aux plus rejetés, et emportait sans doute comme provisions de voyage, la foi dont ceux-ci sont capables (ce qui culminera à pouvaient aussi être utilisés dans le traitement des la croix avec la figure du bon larron, 23,39-43). http://jerusalem.cef.fr | © FMJ2010 Fraternités de Jérusalem | Atelier biblique en ligne 10 avril 2010 | 6 ◗◗ La loi de l’amour fraternel À tous les pauvres il faut ouvrir notre cœur, et à tous les malheureux, quelles que soient leurs souffrances. C’est le sens du commandement qui nous demande de nous réjouir avec ceux qui sont dans la joie et de pleurer avec ceux qui pleurent (cf. Rm 12,15). Étant nous aussi des hommes, ne convient-il pas que nous soyons bienveillants à l’égard des hommes ? Veillons à la santé de notre prochain avec autant de soin qu’à la nôtre, qu’il soit bien-portant ou épuisé par la maladie. Car «nous sommes tous un dans le Seigneur» (Rm 12,5) : riches ou pauvres, esclaves ou hommes libres, bien-portants ou malades. Pour nous, il n’y a qu’une seule tête, principe de tout : le Christ. Ce que sont les membres du corps les uns pour les autres, chacun de nous l’est pour chacun de ses frères, et tous le sont pour nous. Il ne faut donc ni négliger ni abandonner ceux qui sont tombés avant nous dans un état de faiblesse qui nous guette tous. Plutôt que de nous réjouir d’être en bonne santé, mieux vaut compatir aux malheurs de nos frères. Ils sont à l’image de Dieu comme nous et, malgré leur apparente déchéance, ils ont gardé mieux que nous la fidélité de cette image. En eux, l’homme intérieur a revêtu le même Christ et ils ont reçu les mêmes «arrhes de l’Esprit» (2 Co 5,5). Ils ont les mêmes lois, les mêmes commandements, les mêmes alliances, les mêmes assemblées, les mêmes mystères, les mêmes espérances. Le Christ est mort pour eux également, lui qui «enlève le péché du monde» (Jn 1,19). Ils ont part à l’héritage de la vie céleste, eux qui furent privés de beaucoup de biens ici-bas. Ils sont les compagnons de souffrances du Christ, ils le seront de sa gloire. La nature humaine nous fait une loi d’avoir pitié les uns des autres. En nous enseignant la solidarité dans la faiblesse, elle nous inculque le respect et l’amour des hommes. Saint Grégoire de Nazianze, au IVe siècle De l’amour des pauvres 4…15 Prier S eigneur, alors que tu prends résolument la route de Jérusalem pour y vivre ta Passion rédemptrice, nous voulons te redire notre désir de te suivre partout où tu iras. Ne laisse pas nos cœurs s’obscurcir dans les ténèbres, mais donne-nous de marcher avec toi, dans la lumière de ta vérité, et d’apprendre de toi à aimer le Père, que tu nous as révélé, et les frères que tu nous as confiés, de l’amour même dont tu les aimes. Sois béni de nous avoir appris à prier et d’avoir mis sur nos lèvres, dans la force de l’Esprit, des mots de fils pour nous tourner ensemble vers notre Père. Sois béni de nous guider dans la traversée de cette vie, vers la Jérusalem du ciel où tu nous as préparé une place, toi le Dieu bon et ami des hommes qui veux que tous soient sauvés. Amen. Contempler Le vitrail du Bon Samaritain, cathédrale de Chartres, XIIIe siècle Notre-Dame de Chartres est la cathédrale qui conserve le plus grand nombre de vitraux anciens (2600 m2 de verrières du Moyen Age). La verrière du Bon Samaritain date de premier tiers du XIIIe siècle. Elle fait partie des verrières offertes par des groupes de métiers : ici il s’agit des cordonniers et savetiers. L a verrière dite «du Bon Samaritain» met en lien deux épisodes bibliques très distincts : juste audessus de la représentation de la parabole (Luc 10) se trouve le récit de la chute d’Adam et Ève (Genèse 3). Les Pères ont vu dans ce rapprochement un sens théologique très profond : «L’homme qui descendait est Adam. Jérusalem est le paradis et Jéricho est le monde. Les brigands sont des pouvoirs hostiles. Le sacrificateur représente la loi, le Lévite, les prophètes et le Samaritain, le Christ. Les blessures sont la désobéissance, la monture est le corps du Seigneur, l’auberge qui accepte tous ceux qui désirent y entrer, représente l’Église… L’hôte de l’auberge est le chef de l’Église, à qui le soin du blessé a été confié. Et le fait que le Samaritain promet de revenir représente la seconde venue du Sauveur» (Origène, Homélie sur Luc 34,3). http://jerusalem.cef.fr | © FMJ2010 Fraternités de Jérusalem | Atelier biblique en ligne 10 avril 2010 | 7 Le récit de la chute La parabole du bon Samaritain Les donateurs 1. Jésus converse avec deux hommes dont le docteur de la Loi (reconnaissable à son bonnet typique). Il lève la main, signe qu’il va donner un enseignement. Il porte déjà l’auréole crucifère. 2. Un homme, bâton à la main, quitte la ville par une porte rouge. Les Pères de l’Église ont vu dans cet homme Adam qui quitte le paradis pour aller dans le monde représenté par Jéricho, la ville de tous les vices. La descente symbolise le parcours de l’homme pécheur. 3. Deux brigands sont en embuscade derrière un arbre. L’un est déjà en train de dégainer son épée pour attaquer le voyageur. 4. Les brigands, maintenant au nombre de trois, dépouillent et frappent le voyageur. Celui-ci prend la position typique de la victime, tel l’agneau mené à l’abattoir auquel Jésus s’offrant librement sera comparé. Renvoi d’autant plus évident que l’arbre situé juste derrière la scène a la forme d’une croix. 5. L’homme gît non pas au bord du chemin mais en plein centre, ce qui rend d’autant plus inexcusable l’attitude des deux voyageurs qui passent sans s’arrêter, au nom même de la Loi qui leur interdit de se rendre impur au contact d’un homme qui pourrait bien n’être plus qu’un cadavre. 6. Le Samaritain s’arrête pour soigner le blessé. Les Pères ont vu en lui la figure de Jésus qui, descendant lui aussi de la Jérusalem glorieuse jusqu’à la Jéricho de notre condition de faiblesse, va jusqu’au bout du chemin pour en ramener l’homme blessé et le guérir définitivement de la blessure du péché. 7. Le Samaritain, dont le visage ressemble à celui du Christ que l’on voit habituellement sur les vitraux de cette époque, prend l’homme blessé (qu’il a rhabillé en le revêtant, peut-être de sa propre tunique ?) sur sa monture et l’emmène à l’auberge. Il tient déjà à la main les deux pièces de monnaie avec lesquelles il entend payer l’aubergiste. 8. L’hôtelier accueille les voyageurs en ouvrant grand sa porte, signifiant par là l’ouverture de l’Église à tout pécheur ramené par le Christ. Les 4 chevaux bien alignés (sous le bras de l’aubergiste) représentent sans doute l’évangile quadriforme que l’Église doit répandre pour guérir l’humanité blessée. 9. Jésus (le bon Samaritain) se penche sur l’homme (l’humanité) blessée. (Cette saynète n’est pas sur l’image dont nous disposons.) http://jerusalem.cef.fr | © FMJ2010 Fraternités de Jérusalem | Atelier biblique en ligne 10 avril 2010 | 8 © John Pole http://jerusalem.cef.fr | © FMJ2010