"France, Europe: quels regards sur la jeunesse?" Les

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"France, Europe: quels regards sur la jeunesse?" Les
"France, Europe: quels regards sur la jeunesse?"
Les cahiers de profession banlieue, février 2010, 166p.
En Europe, le regard porté sur la jeunesse change d'un pays à l'autre. Cependant, de matière
générale, la jeunesse tend à être envisagée comme un état variable et plus ou moins durable dans le
continuum de la vie.
En France, la question de l'emploi et celle de la délinquance sont particulièrement sensibles chez les
jeunes. La jeunesse y est en effet un âge plus soumis que les autres à un sentiment de déclassement
et de précarité. Le taux d'emploi y est un des plus bas. On observe par ailleurs en France une
crispation sur la délinquance des jeunes. La question de l'emploi comme celle de la délinquance sont
autant de signes d'une jeunesse qui ne trouve que difficilement sa place dans la société.
Que peut-on apprendre des politiques menées dans le reste de l'Europe pour favoriser l'entrée dans la
vie adulte ?
1- Etre jeune en Europe
Dans son article "Mieux comprendre les transitions vers l'âge adulte", Raphaël Wintrebert se
demande comment définir le fait d'être adulte. Devient-on adulte après avoir franchi des étapes
objectives (trouver un emploi, un logement…) ou est-on adulte parce qu'on se considère soi-même
comme tel ?
L'entrée dans l'âge adulte n'est pas vécue de la même manière par les jeunes d'origine modestes, qui
tendent à subir les événements qui font d'eux des adultes, et les jeunes issus d'un milieu social
favorisé, qui auront, à l'inverse, tendance à repousser l'échéance en insistant sur l'aspect subjectif de
la transition.
Si la notion même de l'état adulte est incertaine, la notion de jeunesse n'est pas plus aisée à définir.
La jeunesse n'est plus considérée aujourd'hui comme une classe d'âge ni comme un groupe social à
part entière, les frontières traditionnelles entre les différentes périodes de la vie tendant à s'estomper
progressivement au profit de parcours discontinus et réversibles. La pluralité des trajectoires de vie
est liée au contexte social, à la diversité des histoires familiales et des bagages culturels.
Une enquête internationale menée en 2006 par Kaïros sur 22 000 jeunes âgés de 16 à 30 ans issus
de 17 pays différents, portant sur trois thèmes principaux (les jeunes et l'emploi, les jeunes et la
famille et les jeunes et la société), a permis de mettre en évidence la réelle difficulté des jeunes
Français à penser l'avenir et à pouvoir agir sur celui-ci. Cette enquête a également permis de mettre
en avant l'impact des politiques publiques sur la manière de penser et de catégoriser la jeunesse.
Les politiques publiques de jeunesse sont nées avec l'avènement de l'Etat-Providence. Le critère
d'âge, utilisé à l'époque pour ordonner l'évolution des populations, n'est plus opérationnel aujourd'hui,
à l'heure ou les cycles de vie des individus sont de plus en plus marqués par l'incertitude et
l'instabilité. Le temps de la jeunesse se prolonge à mesure que sont élaborées les politiques
spécifiques aux jeunes. L'observation de ces politiques permet de mettre en avant trois constats :
•
Il existe un décalage de plus en plus fort entre les normes institutionnelles, les normes
juridiques et les normes sociales, l'âge étant de moins en moins chargé de significations
en termes de socialisation des individus
•
La transformation de l'usage de l'âge comme catégorie produit une fragmentation de la
population jeune et un foisonnement des dispositifs
•
Le jeune n'est pas au centre des dispositifs et est rarement considéré comme une
richesse.
Il faudrait au contraire penser la question des jeunes au sein d'une réflexion beaucoup plus globale
sur l'organisation de la société et les rapports entre les générations, et élaborer des dispositifs
transversaux, à l'instar de la Suède qui, à travers le Conseil de la Jeunesse, a inscrit les jeunes, leurs
parcours et leur besoin au sein d'un système général permettant de penser des articulations entre les
générations. Cette réflexion prend en compte les modes d'articulation des différents temps sociaux
1
Dans son article "Jeunesse et construction de soi en France et en Espagne", Sandra Gaviria tente
d'expliquer les différences entre les modalités de départ de chez leurs parents des jeunes Français et
des jeunes Espagnols.
Elle établit d'abord une distinction entre les notions d'indépendance, qui définit la manière dont
l'individu peut, grâce à ses ressources personnelles, moins dépendre de ses proches, et l'autonomie,
qui est la maîtrise du monde dans lequel vit cette personne. Sur cette question, il n'y pas de modèle
européen uniforme. Si, dans le modèle danois, le départ du domicile familiale est considéré comme
une preuve d'autonomie du jeune, en Grande-Bretagne, ce départ est souvent précipité et vécu
comme une rupture, les jeunes voulant avoir rapidement un travail.
En France comme en Espagne, la présence tardive des enfants au domicile familial s'explique en
partie par le prolongement des études et les difficultés d'accès au monde du travail. Pourtant cet
argument n'est qu'en partie vérifié en Espagne : même les jeunes qui trouvent rapidement un travail
ne quittent pas immédiatement le domicile parental.
De même, l'argument de la difficulté d'accès au logement pour les jeunes espagnols n'explique pas
leur départ tardif. Si les jeunes accèdent tardivement à un logement, c'est surtout parce qu'ils
souhaitent accéder directement à la propriété et attendent donc de s'être constitué le capital financier
nécessaire. Contrairement à la France, les mesures d'aides à la location sont rares et peu utilisées
par les jeunes espagnols.
Les raisons matérielles, seules, ne peuvent expliquer les écarts et doivent être complétées par une
observation des modes de construction de soi dans les deux pays.
Si la jeunesse est considérée comme une ressource positive en Espagne, elle est plutôt considérée
comme problématique, dangereuse, en France.
Dans le modèle espagnol, les parents mettent en place des logiques de protection symbolique et
matérielle très fortes envers leurs enfants. Les jeunes ne sont, par exemple, pas tenus de participer
aux frais du foyer et la cohabitation tardive avec leurs parents leur permet d'économiser. Le départ du
domicile parental est presque toujours définitif et organisé, et s'effectue généralement au moment du
mariage.
En France, un "bon parent" est celui qui permet que son enfant parte de la maison à un moment
donné. La présence tardive du jeune au domicile familial est pointée socialement comme un
problème. Les parents favorisent l'autonomie de leur enfant même lorsqu'il vit encore chez eux en le
poussant à travailler, même pendant ses études. ll est par ailleurs essentiel que le jeune se construise
un "monde à soi", séparé du domicile familial. Une fois partis, le jeune continue à bénéficier de l'aide
de ses parents pendant quelques années.
On observe donc des processus de construction de soi s'inscrivant dans des logiques distinctes en
France et en Espagne. Le parcours de vie des jeunes espagnols est continu, et entrecoupé de rites de
passage comme le mariage. Leur autonomie reste contrôlée par les parents. Leur projet de vie est
préétabli et bien tracé.
Le parcours de vie des jeunes français est discontinu, avec des ruptures et des crises ponctuelles. Ils
jouissent d'une plus grande liberté et affrontent une insécurité plus grande. Ils traversent des
changements qui influent sur leur identité et ont un moi plus évolutif.
2- Jeunesse et emploi
Florence Lefresne, dans son article "Insertion professionnelle des jeunes et politiques d'emploi
et de formation, une comparaison européenne", souligne que les jeunes sont devenus une
catégorie cible des politiques publiques, au niveau national, mais aussi au niveau communautaire à
travers la Stratégie européenne pour l'emploi définie en 1997.
Si le fait de parler des jeunes comme une entité pose problème, il existe chez l'ensemble des jeunes
une conscience commune de la précarité, déjà irréversible chez les "jeunes des cités" et toujours
menaçante chez les jeunes étudiants.
La "catégorie des jeunes" désigne à la fois un stock et un flux, la "jeunesse" se rapportant à la fois au
parcours qui conduit le jeune de la scolarité initiale à l'accès à l'emploi, et à un groupe d'âge
particulier.
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De même, la notion d'insertion condense deux dimensions, le passage de l'état d'inactif à l'état d'actif
en emploi durable, révélateur d'un effet d'âge, et la forme historique de ce passage, révélateur d'un
effet de génération.
Si l'on s'en tient à l'indicateur de taux de chômage des moins de 25 ans, la France arrive bien au
dessus de la moyenne de l'Union à 27 comme de l'Union à 15.
Face au chômage, il existe des arbitrages générationnels différents d'un pays à l'autre. Lorsque la
formation et l'emploi des jeunes font l'objet de compromis centraux comme en Allemagne, au
Danemark ou aux Pays-Bas, le poids du chômage est mieux partagé entre les différentes classes
d'âge de la population.
Alors que la stratégie de Lisbonne a fixé des objectifs ambitieux en matière de taux d'emploi, le taux
d'emploi des jeunes a eu tendance à baisser au cours des 10 dernières années.
La première composante des systèmes nationaux d'insertion professionnelle concerne la formation
initiale. Un premier clivage apparait entre les pays marqués par une tradition de scolarisation à plein
temps de la formation professionnelle (comme la France) et les pays marqués par une tradition
d'apprentissage ou de formation par l'emploi (comme l'Allemagne), même si ce clivage tend à
s'atténuer sous l'action des politiques de l'emploi.
L'acquisition d'une première expérience de travail, si elle permet de se familiariser avec un processus
de socialisation propre au travail et de se constituer un réseau, n'a pas forcément de dimension
"insérante". Le développement des situations emploi-formation relève d'une grande diversité de
statuts dont beaucoup se révèlent précarisants.
La rapidité d'accès à l'emploi est positivement corrélée avec le niveau de diplôme. Les jeunes non
qualifiés représentent donc un défi majeur pour les systèmes de formation initiale. Les travaux de
comparaisons internationales soulignent des résultats convergents concernant les jeunes non
qualifiés : l'échec scolaire est partout stigmatisant, les déterminants sociaux de la non-qualification
sont identiques et les difficultés scolaires sont renforcées par la concentration géographique de
l'échec scolaire. Enfin, les performances scolaires sont d'autant plus liées au milieu d'origine que les
jeunes sont scolarisés dans des structures particulières.
Quant à l'échec dans le premier cycle universitaire, en Europe, ce sont 30 % des effectifs estudiantins
qui échouent en premier cycle. Ce phénomène est du à la massification de l'enseignement supérieur
et à une orientation subie plutôt que choisie.
Le taux de chômage des jeunes est très sensible à la conjoncture économique. Les jeunes sont
particulièrement vulnérables au chômage par la faiblesse de leur expérience professionnelle et par
leur propension à occuper des emplois temporaires. En revanche, lorsque l'emploi redémarre, ces
mêmes caractéristiques les placent dans une situation relativement favorable. On peut donc décrire la
situation de l'emploi des jeunes comme une forte instabilité sur le marché du travail caractérisée par
une alternance emploi-chômage.
Dans l'UE, le salaire horaire des jeunes de moins de 30 ans est en moyenne de 25 points inférieur à
celui des plus de 30 ans. Les écarts salariaux liés au genre sont en revanche plus réduits chez les
jeunes que pour l'ensemble des actifs, mais cet écart se creuse au fur et à mesure des carrières.
Le diplôme joue pour l'employeur comme un signal des potentialités des jeunes plus que comme une
garantie de leur qualification. Il est néanmoins de moins en moins suffisant pour garantir le niveau
d'emploi et de salaire attendus.
La conception même du rôle de la politique d'insertion en Europe relève de logiques différentes.
-
dans les pays du Nord de l'Europe, la politique de l'emploi revêt un caractère contra-cyclique,
c'est-à-dire qu'il s'agit pour l'Etat de déployer des moyens suffisants pour maintenir une forte
cohésion sociale même en période de crise. Une coopération s'est instaurée entre acteurs
dans le cadre du système scolaire pour ce qui concerne les jeunes de moins de 18 ans, et,
au-delà de 18 ans, les dispositifs d'insertion sont inclus dans la négociation collective de
branche. La concertation syndicale est obligatoire pour définir les modalités de recours à
l'emploi aidé dans les entreprises. Elle se heurte toutefois à des tensions importantes depuis
quelques années.
-
Dans les pays dotés d'un fort système d'apprentissage (Allemagne, Autriche, …), les
dispositifs d'insertion concernent surtout les jeunes qui n'ont pas accès à une place
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d'apprentissage. Désormais, même les jeunes ayant accompli un apprentissage sont de plus
en plus contraints d'accepter un passage par des contrats précaires.
-
Au Royaume-Uni, le "New deal for young people" instauré en 1998 par Tony Blair relève d'une
politique d'activation contrainte. Tout jeune chômeur doit s'inscrire dans un "Jobcenter plus" et
se voit proposer un emploi aidé. Ce programme encourage de fortes rotations sur un marché
du travail peu réglementé.
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Dans les pays latins, la politique de l'emploi oscille autour de trois logiques d'action :
o Le traitement social du chômage, qui vise à limiter les risques sociaux engendrés
par le chômage. Dans ce type de situation, le jeune connaît souvent un statut
dévalorisé et une rémunération précaire.
o L'acquisition d'une formation professionnelle
o Les formes particulières d'emploi. Elles désignent les configurations où le jeune est
soumis à des règles particulières en matière de droit du travail, de prestations
sociales ou de conventions collectives.
En France, les travaux d'évaluation de la politique de l'emploi mettent en avant un bilan en demiteinte, la principale limite des dispositifs consistant en leur faible contra-sélectivité : ils ne parviennent
pas à contrer l'effet de sélection des plus qualifiés. La faiblesse de la politique de l'emploi réside
également dans celle des partenariats et des négociations engagées entre ses différents acteurs.
Pourquoi l'Etat ne se donne-t-il pas les moyens de négocier avec l'employeur le contenu de l'emploi
confié au jeune, en contrepartie de l'aide accordée à l'entreprise?
En conclusion, Florence Lefresne rappelle que la récession économique mondiale actuelle fait subir
aux jeunes une remontée en flèche de leur taux de chômage. Les effets contra-cycliques des
politiques de l'emploi sont limités puisque les contrats aidés du secteur marchand refluent. D'autre
part, l'attribution de statuts particuliers à des catégories particulières de population comporte le risque
de conforter la dualisation du marché du travail. Il faut donc sortir les jeunes des statuts particuliers
et considérer qu'avec l'allongement de la jeunesse se joue la redéfinition de la situation d'adulte. Il
faut sortir d'une logique en termes d'âge pour passer à une lecture générationnelle ou les jeunes
doivent être considérés comme une plaque sensible des transformations de la société.
L'analyse du système fédéral allemand par Monika Salzbrunn, dans l'article "Les mesures
d'accompagnement vers l'emploi des jeunes allemands", met en avant l'importance du concept
d'altérité dans les politiques éducatives allemandes.
Sur un plan démographique et économique, le taux de natalité de l'Allemagne est un des plus bas
d'Europe, malgré les efforts du gouvernement de contrer cette tendance. Le taux d'activité des jeunes
allemands est en revanche supérieur à celui des jeunes Français, et celui du chômage des jeunes y
est inférieur à la France.
Les systèmes éducatifs allemand et français diffèrent beaucoup en ce que l'enseignement
professionnel est très valorisé en Allemagne, et la filière généraliste moins fréquentée qu'en France.
L'orientation des élèves s'opèrent, en fonction du niveau de ces derniers, dès l'âge de 10 ans. Trois
écoles différentes existent :
o
o
o
la Hauptschule, qui prépare en 5 ans les élèves à l'apprentissage.
La Realschule, en six ans, qui mènent à des filières de formation professionnelle ou
permet d'accéder aux écoles supérieurs de technologies.
Le Gymnasium (10 ans) mène au baccalauréat (Abitur).
L'apprentissage est très développé en Allemagne et concerne les 2/3 d'une cohorte d'âge. Les
employeurs s'engagent à maintenir les places d'apprentis y compris durant les périodes de récession,
grâce à des accords conventionnels de branche. Contrairement à la France, l'Allemagne n'a pas
déployé de moyens importants pour la création d'emplois "garages", les emplois aidés, l'objectif
général étant de mettre les jeunes sur les rails de la voie "normale ".
L'organisation des études supérieures fait beaucoup de place à l'expérience professionnalisante. Les
étudiants peuvent très librement choisir leurs professeurs et leurs matières. Avec la massification de
l'enseignement supérieur, les premiers et seconds cycles ont été réformés pour tenir compte des
étudiants qui étaient moins bien armés. Enfin, ce ne sont pas du tout les mêmes étudiants qui
échouent à l'université en Allemagne et en France. Ceux qui échouent en Allemagne font partie des
30 % meilleurs qui ont choisi de faire des études supérieures. Mais même, les étudiants ont une
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confiance sont relativement détendus quant à leur avenir, à l'inverse des jeunes Français, très
focalisés sur leur image et pour qui le diplôme est prépondérant.
En Allemagne, ce sont les jeunes d'origine étrangère qui sont les moins qualifiés et qui rencontrent
majoritairement des difficultés d'insertion sur le marché du travail. Seulement 8,2% d'entre eux
obtiennent le baccalauréat, contre 24,1 % en moyenne. Ces problèmes d'insertion sont dus à une
faible connaissance de la langue allemande, à une certaine concentration géographique et à l'autoexclusion. Face à ces constats, le gouvernement a développé des mesures spécifiques, notamment
destinées aux familles :
-
un salaire parental à hauteur de 67 % du dernier salaire, pendant 12 mois. Cette initiative
favorise les classes moyennes et supérieures et aggrave, in fine, les inégalités sociales.
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L'augmentation du nombre de places en crèches, qui demeure faible comparé à la France.
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Le développement de l'apprentissage de l'allemand pour les enfants d'immigrés, qu'il faudrait
élargir aux familles entières.
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La réforme du système éducatif, qui continue aujourd'hui à reproduire les inégalités sociales.
La Gesamtschule, un collège unique à la française regroupant les trois filières, a été crée.
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Le Pacte national pour l'apprentissage (Ausbildungspakt), signé entre le Ministère de l'Emploi
et la Fédération des Entrepreneurs, qui vise à déployer 40 000 places en apprentissage et
propose un programme spécifique de requalification destinés aux jeunes qui ne trouvent pas
de places en apprentissage. Ce programme combine un soutien matériel et un soutien
psychologique.
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Le développement des Fachhochschulen, comparables aux IUT, qui prévoient de nombreux
stages et des Projektwochen, semaines pendant lesquelles toute l'école travaille sur un projet
professionnel. Les Fachhochschulen sont mises en place directement par le président
d'Université en lien avec les entreprises.
L'enseignement étant organisé par chaque Land, certains Länder développent des mesures ciblées
sur certains groupes : les femmes, qui sont moins représentées à l'université oui dans certains
emplois de cadres, les jeunes d'origine étrangères…Un réseau d'excellence a ainsi été crée pour les
jeunes d'origine étrangère qui ont de bons résultats.
Beaucoup de mesures sont aussi conduites au niveau communal.
3- Jeunesse et délinquance
Les modes d'approche et de traitement de la délinquance juvénile ont tendance à converger dans les
pays européens vers le retour à une logique de sanction.
Francis Bailleau rappelle, dans son article "Approches et traitements de la délinquance juvénile en
Europe", que la justice pénale des mineurs en Europe s'est construit sur le modèle Welfare. Ce
modèle identifie le passage d'une justice des mineurs peu différenciée de la justice pénale des adultes
à une justice paternaliste avec une vocation spécifique de prévention et d'éducation.
En Belgique, ce modèle s'est développé autour de 1912 avec la création du juge pour enfant. En
France, la loi du 22 juillet 1912 crée des tribunaux pour enfants. Il reconnaît le rôle du travail social
autour de deux fonctions : une fonction d'observation et une fonction d'éducation.
Il faut attendre l'ordonnance de 1945 relative à l'enfance délinquante, écrit en 1942 et voté sous le
gouvernement de Pétain pour qu'apparaisse la fonction spécialisée de juge pour enfant. Ce texte est
l'aboutissement de réformes mises en place à partir du Front populaire. Il supprime la notion de
discernement chez l'enfant.
Il faut souligner que le modèle Welfare n'avait pas pour objectif la libération de la personne, mais visait
au formatage des individus afin qu'ils occupent correctement les tâches que la société leur assignait.
Il repose sur la notion de responsabilité partagée : il s'agit d'une dialectique entre la responsabilité
individuelle du mineur et la responsabilité collective concernant ses conditions d'éducation.
L'organisation du modèle Welfare concerne les jeunes hommes d'origine ouvrière, plus touchés par la
délinquance. La modèle retenu est celui d'une "justice de cabinet", basée sur la présence d'un
magistrat spécialisé, le juge des enfants, doté d'un pouvoir procédural d'exception : il est chargé de
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l'instruction, du jugement et de l'exécution des mesures. Il est territorialisé et a la possibilité de
prendre des mesures provisoires en cabinet. Ce juge était chargé d'accompagner le jeune dans ce
moment de rupture entre un système imposant la discipline, l'école obligatoire, et le marché du travail.
Le temps était donc un vecteur très important pour le fonctionnement du juge.
Afin de gérer ce temps de transition, dans des conditions respectant l'ordre public, le magistrat
dispose d'une série de mesures ou de sanctions individualisées, avec des acteurs et des institutions
spécialisées.
Les années 1970-1980 voient le développement de "l'insécurité sociale" à la fin des Trente
Glorieuses. Apparaissent les premières mesures pour l'insertion et la lutte contre le chômage des
jeunes (stages de formation continue dits "stages Granet" en 1975, procédure Habitat et vie sociale en
1977, rapport Sécurité et liberté de la Commission Peyrefitte en 1977). L'objectif de ces nouvelles
politiques es de répondre à la déstabilisation du modèle de développement économique qui crée de
l'insécurité sociale. La délinquance devient donc la base de la construction de nouvelles politiques
publiques.
Les années 1980 marquent la rupture avec le principe de responsabilité partagée. A l'inverse, un
mouvement de "responsabilisation du mineur" s'amorce. Si, dans le modèle Welfare, la prise en
charge du jeune se caractérisait par un continuum, il y a dorénavant deux voies possibles : une prise
en charge lourde qui peut mener à l'enfermement et une autre qui mène à du signalement et à de la
surveillance. Par ailleurs, on observe le retour de la victime dans les procédures, qui contribue à une
privatisation des objectifs de la réponse pénale.
Une temporalité courte prend le pas sur le temps long du système welfare. On prône désormais la
communication entre les acteurs, et les logiques managériales basée sur la rentabilité, la rapidité, la
justification permanente du fonctionnement et des coûts, guident les procédures. Enfin, on observe un
abandon progressif par l'Etat du traitement de la délinquance des mineurs au profit d'instances locales
non judiciaires et une prise en charge par des acteurs locaux ou la famille.
Ces transformations sont liées à une modification de la structure même de la délinquance. Jusqu'aux
années 1980, celle-ci consistait essentiellement en une délinquance de consommation de biens. A
partir des années 1980, se développe une délinquance liée à la toxicomanie ou aux conduites
dangereuses ou suicidaires. Parallèlement apparait le phénomène des émeutes, qui exprime la
révolte sociale d'une partie stigmatisée de la jeunesse. Aujourd'hui, la croissance de la délinquance
est majoritairement portée par ces nouveaux types de délinquance.
Cependant, en permanence depuis 2002, sont crées de nouvelles incriminations à l'encontre des
jeunes qui viennent alimenter ces nouvelles formes de délinquance : interdiction de réunions en bas
des immeubles, du transport de bouteilles vides…
La France est en train de développer un système uniquement répressif que l'on ne retrouve dans
aucun autre pays européen. On assiste à un déplacement de l'intervention de l'Etat vers le marché du
travail et à la sécurisation des biens et des personnes au détriment du champ du social et de la
réhabilitation de la personne, et à la formalisation d'une politique sécuritaire basée sur la gestion
sécuritaire des problèmes sociaux et des illégalismes.
En France, toutes les mesures et les peines s'organisent désormais autour d'une seule référence : la
privation de liberté (lois Perben 1 et 2 qui durcissent les peines pour les jeune et réintroduisent la
notion de discernement, c'est-à-dire de responsabilité des mineurs par rapport à leurs actes, la loi
Dati sur la récidive du 10 août 2007 qui instaure des peines plancher, la loi du 25 février 2008 relative
à la rétention de sureté…).
Cette orientation ne répond pas aux fragilités liées à la transformation des modes de production et de
partage des revenus de la croissance.
La France est donc dans une position de rupture par rapport aux autres pays européens, dans sa
volonté de revenir sur le statut de minorité dans le système pénal. Cette position s'inscrit dans un
courant néo-libéral. La France n'est cependant pas dans une situation de rupture, en ce que la
majorité des acteurs du système judiciaire dédié aux mineurs ignorent ou détournent ces injonctions
centrales.
Carla Nagels, dans son article intitulé "En Belgique, une justice des mineurs entre protection et
sanction", note que si la justice des mineurs dans les pays occidentaux était jusque là conçue dans
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une optique essentiellement inclusive, l'Etat devant prendre en charge la rééducation des mineurs,
cette logique est désormais battue en brèche.
En Belgique, le système de "protection de l'enfance" crée en 1912, et élargi en 1965 en un système
de "protection de la jeunesse", considère que les jeunes ne sont pas responsables de leurs actes. Ce
système repose sur une figure assez paternaliste du juge pour la jeunesse, qui prononce des mesures
indéterminées dans le temps et non des peines.
Pour répondre aux nouvelles forme de délinquance des mineurs, plus jeune, plus dure, et désormais
commise en bande, ce système, jugé désormais trop doux pour avoir un impact sur les jeunes
délinquants, vient d'être réformé en 2006 au profit d'un système mêlant des ingrédients s'inspirant de
trois modèles :
-
le modèle protectionnel, qui n'est pas abandonné mais devient un modèle parmi d'autres
-
le modèle réparateur, dans lequel la victime devient acteur principal. Il est basé sur la
médiation auteur-victime, sur la concertation en groupes, sur l'implication du jeune dans le
processus de "réhabiliation sociale" et sur le travail d'intérêt général.
-
le modèle sanctionnel, promu par la communauté flamande depuis les années 1970. D'après
ce modèle, l'acte commis devient central. Ce modèle fait explicitement référence aux peines
du code pénal pour adultes. Le juge doit, lors de sa prise de décision, se laisser guider par un
ensemble de critères parmi lesquels figurent la gravité des faits commis, les circonstances
dans lesquelles ils ont été commis, les mesures antérieures prises à l'égard du jeune, son
milieu et sa personnalité. Il peut également se dessaisir du dossier d'un jeune de plus de 16
ans et le renvoyer vers une juridiction pour adulte.
Depuis 2003, la réforme a eu des conséquences sur les pratiques à deux niveaux :
-
l'augmentation de la capacité d'emprisonnement et la diversification de l'offre en fonction
du degré de contention, de la durée du séjour et de l'objectif parcouru, liée à la réduction du
temps de placement, fruit d'une logique gestionnaire.
-
De nouvelles mesures alternatives à l'emprisonnement ont été mises en place, comme la
médiation, qui a pris son envol dans la communauté flamande mais peu dans la communauté
francophone. Cependant, 56 % des médiations relèvent d'une simple prise de contact entre
l'auteur et la victime, sans aucune suite. Dans l'ensemble, les mesures alternatives à
l'emprisonnement sont relativement peu utilisées (16% des décisions au niveau des juges de
la jeunesse).
Quelle que soit la logique choisie, le but poursuivi est la responsabilisation du mineur, en l'amenant
à prendre conscience des conséquences de leurs actes. Or, cette notion de responsabilisation est à
questionner dans une société où la possibilité pour les jeunes d'être effectivement responsable est de
moins en moins grande.
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