DE LA COMPAGNIE DISSOLUTION ET
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DE LA COMPAGNIE DISSOLUTION ET
DE LA COMPAGNIE DISSOLUTION ET LIQUIDATION AU QUÉBEC ET AU CANADA par Eleni Yiannakis1 1 L’auteure aimerait remercier Marie Blanchard, Constantinos Ragas et Jonathan Cohen pour tout leur travail dans le cadre de la rédaction du présent chapitre. -i- I. LA DISSOLUTION INTRODUCTION ET LA A. Principes généraux et définitions LIQUIDATION DES COMPAGNIES : 1. La dissolution. – « Une compagnie, être intangible et incorporel, n’existe qu’en vertu du fait d’une autorité souveraine et continue d’exister jusqu’à ce que cette autorité lui retire sa reconnaissance. [L]a compagnie, personne morale, ne peut disposer unilatéralement de sa vie. Elle doit demander la permission de mettre fin à son existence »2. La dissolution d’une compagnie est l’action par laquelle il est mis fin à l’existence de la compagnie3. Elle est donc la suppression du lien, de la communauté d’intérêts existant entre les actionnaires4. 2. La liquidation. – La liquidation d’une compagnie est quant à elle l’opération par laquelle il est mis fin aux opérations courantes de la compagnie, il est disposé de ses actifs, ses dettes sont payées et le reliquat est éventuellement distribué entre les actionnaires proportionnellement à leurs droits5. 3. Distinction entre les concepts de « dissolution » et « liquidation ». Le concept de « dissolution » est donc relié à la fin de l’existence corporative d’une compagnie tandis que le concept de « liquidation » est relié à la disposition des actifs d’une compagnie. La liquidation n’entraîne pas nécessairement la dissolution d’une compagnie, soit donc la fin de son existence juridique. En effet, une compagnie pourrait être liquidée sans pour autant être dissoute et donc demeurer une « coquille vide ». Par exemple, on pourrait avoir intérêt à garder en vie une compagnie puisque cette dernière bénéficie de pertes fiscales importantes, de la propriété intellectuelle intéressante, tels des accords de licence ou mêmes des crédits d’impôt. Néanmoins, tel que nous le verrons, en principe, la liquidation mènera à la dissolution de la compagnie. B. Législation applicable 4. Régime législatif. - Au Québec, le régime législatif applicable aux dissolutions et liquidations d’entreprises se trouve dans diverses lois provinciales, notamment la Loi 2 Paul Martel, La compagnie au Québec, vol. I, Montréal : Wilson & Lafleur, 2009, n° 34-1, cité par Lambert c. Minerve Canada, Cie de transport aérien Inc., [1998] R.J.Q. 1740 au para. 23 (CA Qué.). 3 Raymonde Crête et Stéphane Rousseau, Droit des sociétés par actions, 2e éd., Montréal, Thémis, 2008 au para. 1073. 4 Hubert Reid, Dictionnaire de droit québécois et canadien, 3e éd., Montréal, Wilson & Lafleur, 2004, s.v. « dissolution ». 5 Raymonde Crête et Stéphane Rousseau, Droit des sociétés par actions, 2e éd., Montréal, Thémis, 2008 au para. 1073. -2sur les compagnies (« LCQ »)6 et la Loi sur la liquidation des compagnies (« LLQ »)7. Nous trouvons aussi utiles quelques dispositions de la Loi sur la publicité légale des entreprises individuelles, des sociétés et des personnes morales (« LPL »)8. Certes, les articles du Code civil du Québec (« C.c.Q. »)9 ainsi que ceux du Code de procédure civile (« C.p.c. »)10 informent le régime québécois aussi. Notre analyse au niveau du Québec se limitera aux compagnies constituées en vertu de la Partie IA de la LCQ. Par contre, le régime fédéral est moins dispersé. Les dispositions qui gèrent la dissolution et la liquidation des compagnies fédérales se trouvent dans la Loi canadienne sur les sociétés par actions11 (« LCSA »). Finalement, nous utiliserons le terme « compagnie » même quand nous traiterons des compagnies fédérales afin d’alléger le texte. 5. L’insolvabilité d’une compagnie. Lorsque nous traitons des concepts de « dissolution » ou de « liquidation », la question inévitable qui se pose est : Qu’en est-il de la Loi sur la faillite et l’insolvabilité (« LFI »)12? D’emblée, il est important de retenir que si une compagnie est insolvable, elle ne pourra se prévaloir des dispositions ciaprès exposées pour se dissoudre ou se liquider. Elle devra nécessairement passer par la LFI, ou dépendamment de son passif, par la Loi sur les arrangements avec les créanciers13. En effet, une compagnie insolvable ou en faillite, au sens du paragraphe 2(1) LFI ne peut pas mettre fin à son existence de façon unilatérale en vertu de la LCSA14. La 6 Loi sur les compagnies, L.R.Q. c. C-38. 7 Loi sur la liquidation des compagnies, L.R.Q. c. L-4. 8 Loi sur la publicité légale des entreprises individuelles, des sociétés et des personnes morales, L.R.Q. c. P-45. 9 Code civil du Québec, L.Q., 1991, c. 64. 10 Code de procédure civile, L.R.Q. c. C-25. 11 Loi canadienne sur les sociétés par actions, L.R.C. 1985, c. C-44. 12 Loi sur la faillite et l’insolvabilité, L.R.C. 1985, c. B-3. 13 Loi sur les arrangements avec les créanciers, L.R.C. (1985) c. C-36. 14 Art. 208(1) LCSA. En vertu de l’art. 2 LFI, une personne insolvable est une personne « qui n’est pas en faillite et qui réside au Canada ou y exerce ses activités ou qui a des biens au Canada, dont les obligations, constituant à l’égard de ses créanciers des réclamations prouvables aux termes de la présente loi, s’élèvent à mille dollars et, selon le cas : a) qui, pour une raison quelconque, est incapable de faire honneur à ses obligations au fur et à mesure de leur échéance; b) qui a cessé d’acquitter ses obligations courantes dans le cours ordinaire des affaires au fur et à mesure de leur échéance; c) dont la totalité des biens n’est pas suffisante, d’après une juste estimation, ou ne suffirait -3procédure de dissolution engagée par une telle compagnie est suspendue dès la constatation de son insolvabilité15. Le même principe vaut pour les compagnies régies par le régime québécois16. Par conséquent, l’analyse qui suit ne s’applique que dans les cas de compagnies solvables. C. Plan 6. Structure du texte. – La section sur la fin de l’existence corporative se divise en deux grandes lignes : la dissolution et la liquidation. Chacune des ces sous-divisions peut être encore sous-divisée en deux selon la nature volontaire ou forcée de la procédure. Mais tout d’abord, il faut noter que le régime législatif qui gère la dissolution et la liquidation est aussi divisé par juridiction. Nous terminons notre analyse avec un tableau comparatif des deux régimes qui inclut des références aux dispositions législatives principales. II. LA DISSOLUTION VOLONTAIRE A. La dissolution volontaire au Québec 7. Quatre conditions à la demande de dissolution. – Pourquoi faire une dissolution volontaire? L’article 28 LCQ stipule que la compagnie doit démontrer au registraire des entreprises : « 1° qu'elle n'a ni dettes ni obligations; 2° qu'elle s'est départie de ses biens, a divisé son actif proportionnellement entre ses actionnaires ou membres et n'a pas de dettes ou de passif; ou 3° qu'il a été pourvu à ses dettes et obligations, ou que le paiement en a été assuré, ou que ses créanciers ou leurs ayants cause y consentent; et 4° qu'elle lui a donné avis de son intention de demander sa dissolution en produisant une déclaration à cet effet conformément à la Loi sur la publicité pas, s’il en était disposé lors d’une vente bien conduite par autorité de justice, pour permettre l’acquittement de toutes ses obligations échues ou à échoir ». 15 Art. 208(2) LCSA. 16 Art. 24 LLQ. -4légale […] et par une annonce à cet effet dans un journal publié dans la localité, ou dans une localité aussi rapprochée que possible de celle où elle a son siège. » Ainsi, pour procéder à une dissolution volontaire, au moment de sa demande auprès du registraire d’entreprise, une compagnie ne doit plus avoir de dettes. 8. L’acte de dissolution. – Si la compagnie s’est conformée aux conditions de l’article 28 LCQ, elle sera dissoute à partir de la date fixée par le registraire des entreprises qui déposera un acte de dissolution au registre17. 9. La procédure n’est pas déterminée. - L’absence d’une procédure déterminée est un vide problématique dans la Loi sur les compagnies puisqu’il n’y a pas de preuve expressément prévu pour démontrer que la compagnie s’est conformée aux modalités de l’article 28 LCQ. Pouvons-nous se fier sur la procédure prévue dans le Code civil du Québec? L’article 334 C.c.Q. à l’alinéa 1 indique que si la loi qui constitue ou est applicable à une personne morale n’indique aucun autre régime de fonctionnement, de dissolution ou de liquidation, elle sera soumise aux règles du chapitre deuxième qui comprend les deux sections énoncées à l’article 334 C.c.Q.18. Il existe présentement un débat à ce sujet. D’un côté, la thèse avancée par la doctrine19 et supportée par la Cour d’appel20 indique que les articles 355 à 364 C.c.Q. ne s’appliquent pas aux compagnies puisque la Loi sur la liquidation des compagnies ainsi que les articles 28 et suivants LCQ touchent directement à la dissolution et la liquidation. De l’autre côté, dans une analyse exhaustive du régime de dissolution dans le Code civil du Québec, la Cour suprême a pris la position que « l’art. 334, al. 1 C.c.Q., exerce une fonction organisatrice en énonçant que les règles prévues aux articles 355 à 364 C.c.Q. s’appliquent à la dissolution et à la liquidation d’une personne morale dans la mesure où il est nécessaire de combler les carences d’une loi particulière »21. En retenant qu’il nous faut un manquement dans la loi applicable, il nous semble que l’absence de règles de procédures dans la Loi sur les compagnies laisse la porte ouverte aux procédures prévues dans le Code civil du Québec mais seulement pour déterminer (1) 17 Art. 28.1 LCQ. 18 Une section sur le fonctionnement des personnes morales (art. 335 à 354) et une deuxième section sur la dissolution et la liquidation des personnes morales (art. 355 à 364). 19 Paul Martel, La compagnie au Québec, vol. I, Montréal : Wilson & Lafleur, 2009, n° 34-17 à la p. 34-4. 20 Citadelle, coopérative de producteurs de sirop d'érable c. Fédération des producteurs acéricoles du Québec, 2005 QCCA 301 (CanLII) au para. 54. 21 Fédération des producteurs acéricoles du Québec c. Regroupement pour la commercialisation des produits de l'érable inc., 2006 CSC 50 (CanLII) au para. 30. -5qui doit approuver la dissolution au nom de la compagnie; et (2) les éléments de preuve nécessaires pour démontrer que la compagnie s’est conformée aux exigences de l’article 28 LCQ. 10. Les actionnaires doivent approuver la dissolution. – C’est un principe bien reconnu : une personne morale est dirigée par son conseil d’administration qui gère les affaires de la personne morale et exerce tous les pouvoirs nécessaires à cette fin22. Par contre, l’article 37 al. 1 LPL exige qu’une compagnie qui veut se dissoudre volontairement doit produire une déclaration à cet effet, mais ne nous donne aucune direction sur la source de cette déclaration. Se basant sur la décision de la Cour suprême dans Fédération des producteurs acéricoles, nous pouvons appliquer les articles 355 à 364 C.c.Q. dans le cas où il existe une déficience dans la loi. En l’espèce, l’article 356 C.c.Q. mentionne qu’une compagnie peut-être dissoute par le consentement d'au moins les deux tiers des voix des actionnaires exprimées lors d’une assemblée convoquée expressément à cette fin. 11. La preuve nécessaire pour démontrer la conformité avec les conditions de 28 LCQ. - Généralement, la résolution des actionnaires approuvant la dissolution volontaire doit être accompagnée d’une demande de dissolution adressée au registraire des entreprises avec un affidavit d’un membre du conseil d’administration affirmant que la compagnie s’est conformée aux exigences de l’article 28 LCQ. Cependant, le pouvoir de dissoudre reste avec le registraire23. En surplus d’une copie certifiée de la résolution et la demande de dissolution, le registraire pourra demander à la compagnie de produire d’autres informations pertinentes sur les affaires de la compagnie ou bien l’acte constitutif24. Le registraire présumera la véracité des documents soumis par la compagnie pour démontrer qu’elle s’est conformée aux exigences de l’article 28 LCQ25. 12. La dissolution n’efface pas les dettes et les administrateurs en sont responsables. – Une condition non-équivoque de l’article 28 LCQ est que la compagnie ne peut être dissoute tant qu’elle lui reste des obligations ou des dettes. S’il existe des dettes lors de la dissolution de la compagnie, elles seront assumées par les administrateurs personnellement, conséquence de l’article 29 LCQ. En effet, l’article 29 LCQ crée une responsabilité conjointe et solidaire des administrateurs pour les dettes existantes lors 22 Art. 335, al. 1, C.c.Q. 23 Nous notons l’utilisation du mot « peut » dans l’article 28.1 LCQ: « Le registraire des entreprises peut, si la compagnie s'est conformée à l'article 28, accepter de la dissoudre… ». 24 Paul Martel, La compagnie au Québec, vol. I, Montréal : Wilson & Lafleur, 2009, n° 34-9 à la p. 34-3. 25 Art. 123.31, al. 4 LCQ. Voir aussi Paul Martel, La compagnie au Québec, vol. I, Montréal : Wilson & Lafleur, 2009, n° 34-23 à la p. 34-6.1. -6de la dissolution26. Cependant, un administrateur peut décharger cette responsabilité en établissant sa bonne foi27. 13. Responsabilité personnelle des actionnaires. - Contrairement au régime fédéral, il n’y a pas de disposition précise dans le régime québécois tenant les actionnaires personnellement responsables du passif de la compagnie à concurrence des sommes qu’ils ont reçues28. Par contre, on pourrait tenir responsables les actionnaires dans un scénario de fraude où la levée du voile corporatif serait justifié29. 14. L’opposabilité de la dissolution volontaire. - L’article 82 LPL liste quinze types d’informations qui sont opposables aux tiers. À l’alinéa 15 de cet article, nous trouvons que « la date de sa continuation ou de toute autre transformation » sera opposable aux tiers. Dans l’arrêt Martineau, la Cour d’appel confirme qu’une dissolution n’est pas « strictement parlant » une transformation et que de toute façon l’opposabilité énoncée à l’article 82 LPL est relative30. En d’autres termes, la Cour conclut que l’article 82 LPL crée une présomption quant à la connaissance de la dissolution par le tiers, mais cette présomption peut être repoussée en prouvant la connaissance réelle de la tierce partie31. 15. Limitation de responsabilité des administrateurs dans le cas d’une filiale à part entière. – La compagnie mère d’une filiale à part entière peut prendre en charge des dettes de cette dernière. Ceci est une possibilité, nous dit la Cour supérieure32 mais ce n’est pas une novation des dettes33. Dans le cas où la compagnie mère néglige de payer les dettes de sa filiale dissoute, les administrateurs de la filiale seront toujours tenus responsables solidairement34. 16. Élection des administrateurs. – L’article 85 LCQ précise que la faute des membres de la compagnie d’élire un ou plusieurs administrateurs, peu importe le temps, ne peut pas causer la dissolution. Autrement dit, la compagnie ne peut pas « tomber » en dissolution pour n’avoir pas procéder à une élection d’un administrateur. Les 26 Martineau c. Canada (Procureure générale), J.E. 2003-1979 (C.A.) au para. 40. 27 A.S.M. Canada c. Créalise Conditionnement Inc., J.E. 97-1399 (C.S.). 28 Voir sous le régime fédéral l’art. 226(4) LCSA. 29 Voir Art. 316 et 317 C.c.Q. 30 Martineau c. Canada (Procureure générale), J.E. 2003-1979 (C.A.), au para. 32; Canada (Procureure générale) c. Auberge Bon Conseil (1988) inc., [2001] R.J.Q. 2665 (C.S.). Renversé en appel. 31 Martineau c. Canada (Procureure générale), J.E. 2003-1979 (C.A.), au para. 32. 32 Garmaise c. Nun's Island Investments Inc., J.E. 2004-1709, 2004 CanLII 5850 (C.S.). 33 Paul Martel, La compagnie au Québec, vol. I, Montréal : Wilson & Lafleur, 2009, n° 34-25 à la p. 34-7. 34 Art. 29 LCQ. -7administrateurs sortant de charge demeurent en place « jusqu'à ce que leurs successeurs soient élus »35. B. La dissolution volontaire sous le régime fédéral a) Les motifs et la procédure de dissolution 17. Motifs d’une dissolution volontaire et régime d’adoption. – L’article 210 LCSA énonce les situations où il peut y avoir dissolution volontaire de la compagnie. Ainsi, la mise en œuvre du régime de dissolution varie selon les caractéristiques de la compagnie : a. Une compagnie qui n’a émis aucune action peut être dissoute sur décision du conseil d’administration36. La dissolution est alors autorisée par une résolution de tous les administrateurs décrétant la dissolution de la compagnie. b. Une compagnie qui a émis des actions mais qui n’a ni biens ni dettes peut être dissoute par résolution spéciale soit des actionnaires (deux tiers des voix exprimées) soit en présence des détenteurs d’actions de chaque catégorie assorties ou non du droit de vote37. c. Lorsque la compagnie a émis des actions et possède des biens ou a des dettes, les actionnaires doivent autoriser les administrateurs à régler préalablement les dettes et à répartir les biens. Il faut que la répartition des biens et le règlement des dettes soient faits avant l’envoi des clauses de dissolution au Directeur38. Une résolution spéciale, soit des actionnaires (deux tiers des voix exprimées), soit en présence des détenteurs d’actions de chaque catégorie assorties ou non du droit de vote, est également nécessaire39. 35 Art. 85 LCQ. 36 Art. 210(1) LCSA. 37 Art. 210(2) LCSA. 38 Art. 210(3)(a) et (b) LCSA. 39 Art. 210(3) LCSA. -818. Procédure : clauses de dissolution. – Lorsque la dissolution a été approuvée, le conseil d’administration prépare des clauses de dissolution qui sont ensuite envoyées au Directeur40. 19. Procédure : certificat de dissolution. - Sur réception des clauses de dissolution, le Directeur émet un certificat de dissolution qui est envoyé à la compagnie41. Si le Directeur refuse de délivrer le certificat de dissolution, il doit donner, un avis motivé de son refus, par écrit42. La compagnie cesse alors d’exister à partir de la date mentionnée dans le certificat de dissolution43. b) Les effets de la dissolution sur les poursuites contre/par la compagnie 20. Fin de la personnalité morale de la compagnie. – La compagnie cesse d’exister à la date mentionnée sur le certificat de dissolution44. La dissolution met donc fin à sa personnalité morale. Cela a pour conséquence, par exemple, que les chèques émis à l’ordre d’une compagnie dissoute doivent être considérés comme faits à une personne inexistante et sont donc considérés comme payables au porteur et négociables par simple livraison sans endossement45. 21. Poursuite des procédures intentées avant la dissolution. – Toutes les procédures civiles, criminelles ou administratives intentées par ou contre la compagnie avant sa dissolution sont poursuivies comme si la dissolution n’avait pas eu lieu46. Le terme « procédure » est interprété au sens large et inclut le droit de la compagnie dissoute de faire appel ou de se défendre lors d’un appel47. De même, une notification d’arbitrage débute une procédure administrative qui peut continuer même après la dissolution48. 40 Art. 210(4) LCSA Voir Industrie Canada, Formulaire 19, Clauses de dissolution, en ligne : Industrie Canada <http://www.ic.gc.ca/eic/site/cd-dgc.nsf/vwapj/F17-05-07-11.pdf/$FILE/F17-05-0711.pdf>. 41 Art. 210(5) et 262 LCSA. 42 Art. 245 LCSA. 43 Art. 210(6) LCSA. 44 Art. 212(4) et 213(5) LCSA. 45 Banque Laurentienne du Canada c. Caisse populaire St-Mathieu, [2005] J.Q. nº 9913 aux para. 43-54. 46 Art. 226(2) LCSA. 47 ADI Ltd. c. 052987 N.B. Inc., (2000) 22 C.B.R. (4th) 1 aux para. 1 et 80 (N.B. C.A.), rendu à propos de l’art. 152(2) de la Loi sur les corporations commerciales, L.N.-B. 1981, c. B-9.1 dont les dispositions sont semblables à celle de l’art. 226(2) de la LCSA. Voir également : Canadian Engineering Services Ltd. c. Doraty, 1999 ABQB 709 rendu à propos de l’art. 219(2) de la Alberta Business Corporations Act, R.S.A. 1981, c. B-15. 48 Associated Asbestos Services Ltd. c. Canadian Occidental Petroleum Ltd., (2004) 43 B.L.R. (3d) 221 au para. 17 (Alta. C.A.). -922. Poursuite des procédures intentées après la dissolution. - En revanche, la compagnie dissoute ne peut pas intenter de poursuites après sa dissolution, sous réserve des dispositions applicables à la reconstitution49. Si elle est poursuivie, elle peut néanmoins présenter une défense à l’action, en demandant par exemple un cautionnement pour frais50. 23. Droit des tiers à poursuivre la compagnie dans les deux ans de sa dissolution. – En vertu de l’article 226(2)(b) LCSA, les tiers ont par ailleurs le droit de poursuivre la compagnie jusqu’à deux ans après sa dissolution pour des motifs antérieurs à la dissolution51. La signification se fait alors à toute personne figurant sur la dernière liste d’administrateurs déposée auprès du Directeur52. La prescription de deux ans peut par ailleurs être interrompue lorsqu’un tiers demandeur démontre qu’il était dans l’impossibilité d’agir au sens de l’article 2904 C.c.Q.53. 24. Action en recouvrement contre les actionnaires de la compagnie dissoute. – La dissolution de la compagnie ne fait pas disparaître son passif et ses cautions restent tenues à leurs obligations54. En effet, selon l’article 226(4) LCSA, les actionnaires de la compagnie dissoute sont personnellement responsables du passif à concurrence de la somme qu’ils ont reçue lors de la répartition des biens55. Comme nous l’avons déjà souligné, sous le régime québécois se sont les administrateurs et non les actionnaires qui pourront être tenus responsables du passif lors de la dissolution de la compagnie56. Dans Samson Bélair Deloitte & Touche c. Crespin 57, l’actionnaire unique d’une compagnie a été condamné à supporter le passif d’une compagnie dissoute sur le fondement de la levée du voile corporatif. Le juge a en effet estimé que « [d]ès sa dissolution, l’actif et le passif d’une compagnie sont assumés par l’actionnaire. Ce dernier amasse tous les biens, se les approprie, mais assume le paiement des créances. La dissolution emporte la levée du voile corporatif pour tout ce qui concerne l’actif et le passif, qui retournent entre les mains de l’actionnaire »58. 49 Voir art. 209 LCSA. 50 Interpar Investments Ltd. c. Magnan, J.E. 2003-835 au para. 23 (QC C.S.). 51 Art. 226(2)(b) LCSA. 52 Art. 226(3) LCSA. 53 Royal Lepage Commercial Inc. c. Henderson, [2004] J.Q. nº 1562 aux para. 21-22. 54 Stephen c. Banque de Montréal (1990), 81 D.L.R. (4th) 421 (C.A. N.-B.) à la p. 17. 55 Art. 226(4) LCSA. 56 Voir l’article 29 LCQ, où les administrateurs sont solidairement responsables des dettes existantes de la compagnie. 57 Samson Bélair Deloitte & Touche c. Crespin, J.E. 98-1890 (C.Q.). 58 Samson Bélair Deloitte & Touche c. Crespin, J.E. 98-1890 (C.Q.). - 10 La responsabilité personnelle des actionnaires à l’égard des dettes de la compagnie dissoute « n’est qu’un recours minimal, et ne se substitue pas [à] un engagement contractuel plus large »59. Par conséquent, la prescription de deux ans prévue à l’article 226(4) LCSA « se limite au recours exercé contre un actionnaire d’une compagnie dissoute, qui n’a pas assumé contractuellement le paiement entier de la dette dont le paiement lui est réclamé […] mais qui a néanmoins bénéficié de la distribution de ses biens en vue de la dissolution de cette compagnie »60. Lorsqu’un actionnaire a accepté contractuellement d’acquitter toutes les dettes d’une compagnie dissoute, les droits des tiers résultent de l’engagement contractuel et sont soumis au droit québécois des contrats61. Ainsi, la prescription applicable est celle de droit commun (trois ans) et peut être suspendue dans les conditions prévues par le Code civil du Québec.62. 25. Conservation des livres et documents financiers. – Suite à la dissolution, la compagnie a l’obligation de conserver ses livres et documents financiers pendant six ans63. 26. Répartition des biens. – Les biens à remettre à un créancier ou un actionnaire introuvable sont réalisés en numéraire et le produit est versé au Receveur général64. Les biens dont il n’a pas été disposé à la date de la dissolution sont dévolus à la Couronne65. III. LA DISSOLUTION FORCÉE A. La dissolution forcée au Québec 27. Principes généraux. La dissolution forcée au Québec peut être effectuée soit à la demande d’un tiers ou peut être faite d’office par le registraire des entreprises. Par contre, sur demande, le registraire pourra révoquer la radiation faite d’office d’une compagnie. 59 9078-0669 Québec inc. c. Gravel, [2000] J.Q. nº 7280 au para. 40. 60 9078-0669 Québec inc. c. Gravel, [2000] J.Q. nº 7280 au para. 38. 61 9078-0669 Québec inc. c. Gravel, [2000] J.Q. nº 7280 au para. 27. Le juge rappelle que, conformément aux articles 4 C.c.Q. et 4, 15 et 16 LCSA, « la LCSA ne supplante pas le droit québécois des contrats, bien qu’elle puisse le modifier ». 62 9078-0669 Québec inc. c. Gravel, [2000] J.Q. nº 7280 aux para. 38-40. 63 Art. 223(5)(b) et art. 225 LCSA; art. 230(4) de la Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. 1985 (5e supp.), c.1 et art. 35.1 de la Loi sur le ministère du Revenu, L.R.Q. c. M-31. 64 Art. 227 LCSA. 65 Art. 228 LCSA et art. 5 de la Loi sur les biens en déshérence, L.R.C. 1985, c. E-13. Voir par ex. Fernand Gilbert ltée c. La Baie (Ville de), [2004] J.Q. nº 13106 au para. 51 (C.S. Qué.). Des terrains dévolus à la Couronne en vertu de l’art. 228 LCSA ne deviennent pas automatiquement une propriété publique au sens de l’art. 91(1A) de la Loi constitutionnelle de 1867 (R.-U), 30 & 31 Vict., c. 3, reproduite dans L.R.C. 1985, app. II, nº 5, Burrardview Neighbourhood c. Vancouver (City of), 2002 BCSC 1412. - 11 a) À la demande d’un tiers 28. Disposition législative pertinente. – L’article 123.144 LCQ donne le pouvoir au tribunal d’annuler les statuts d’une compagnie; un pouvoir qui peut être exercé à la demande de tout intéressé66. 29. Motifs de dissolution forcée. En vertu de l’article 123.144 al. 1 LCQ, pour procéder à la dissolution, il y a deux possibilités : a) le certificat d’incorporation a été obtenu illégalement, par dol ou dans l'ignorance de quelque fait essentiel ; ou b) les statuts contiennent des dispositions illégales ou des énonciations mensongères ou erronées67. 30. Le registraire des entreprises. – Lors d’une demande d’un tiers sous l’article 123.144 LCQ, le registraire des entreprises est mis en cause68. Lorsque le tribunal transmet une copie du jugement au registraire, ce dernier dépose un avis à cet effet au registre69. 31. La date de la dissolution forcée. – L’article 123.144 al. 4 LCQ indique que la date de la dissolution est celle qui est prévue dans le jugement. À défaut, c’est la date du jugement. 32. Différence entre « irrégularité » et « illégalité ». L’article 123.144 al. 1 LCQ mentionne clairement qu’un des motifs de dissolution est la commission d’un acte illégal tel une déclaration mensongère. Ainsi, une irrégularité dans l’acte constitutif n’est pas un motif de dissolution70. Cette notion « d’irrégularité » peut causer de la confusion. Quelle est la différence entre une « irrégularité » et une « illégalité »? L’irrégularité semble être un vice non-offensif comme une faute typographique. Par contre, une « illégalité » est d’une nature plus substantive et impliquerait une certaine mauvaise foi puisque les termes « dol » ou « mensongère » sont employés à l’article 123.144 LCQ 71. 66 L’article 123.144 LCQ régit les compagnies constituées sous la Partie 1A. Pour ce qui est des compagnies régies par la Partie I, voir les articles 828-833 C.p.c. 67 Art. 123.144, al. 1 LCQ. 68 Art. 123.144 al. 2 LCQ. 69 Art. 123.144 al. 3 LCQ. 70 Art. 5 LCQ. 71 Paul Martel, La compagnie au Québec, vol. I, Montréal : Wilson & Lafleur, 2009, n° 34-45 à la p. 34-12. - 12 b) La dissolution administrative ou d’office 33. La radiation d’office. – Le registraire des entreprises peut radier d’office l’immatriculation d’une compagnie qui a omis de faire ses déclarations annuelles ou modificatives. Le régime de la dissolution administrative est régi par la Loi sur la publicité légale. 34. Omission de déclaration annuelle. – Le fait qu’une compagnie a omis de déposer sa déclaration annuelle avec le registraire des entreprises n’emporte pas la dissolution immédiate. Ce n’est qu’après le défaut de la compagnie de déposer deux déclarations annuelles consécutives que son immatriculation sera radiée72. 35. La procédure de radiation. – Avant la période désignée pour produire une déclaration annuelle, le registraire envoie un avis à la compagnie immatriculée qui a omis de présenter sa déclaration annuelle pour l'année précédente73. Cet avis indique que l’immatriculation de la compagnie pourra être radiée pour deux causes : (1) le défaut de remédier au manquement original et (2) l’omission de déposer la prochaine déclaration74. Le registraire dépose ensuite une copie de cet avis au registre75. 36. Omission de déposer une déclaration modificative. – Selon l’article 38 LPL, le registraire des entreprises peut demander à la compagnie de corriger certaines informations apparaissant au registre. Cette demande, qui est aussi déposée au registre, indique que la compagnie a 60 jours à compter de la date du dépôt de la demande de s’y conformer et produire une déclaration modificative76. À défaut de se conformer, le registraire pourra radier l’immatriculation77. 37. La radiation emporte la dissolution. – L’article 50, al. 2 LPL explique que la radiation de l'immatriculation d'une personne morale constituée au Québec emporte sa dissolution. 38. Les effets de la radiation d’office. – Tout d’abord, le curateur public assume l'administration provisoire des biens78. En second lieu, comme la compagnie est dissoute, ses créanciers ne peuvent pas la poursuivre79. De plus, la loi ne prévoit aucune 72 Art. 29 LPL. 73 Art. 29, al. 1 LPL. 74 Art. 29, al. 2 LPL. 75 Art. 29, al. 3 LPL. 76 Art. 38 LPL. 77 Art. 38 LPL. 78 Loi sur le curateur public, art. 24, al. 3. 79 Gilbert c. Québec (Sous-ministre du Revenu), [2005] R.D.F.Q. 311 (C.Q.). - 13 responsabilité des administrateurs qui protégerait les créanciers dans le contexte d’une dissolution administrative80. 39. Exceptions à l’absence de responsabilité des administrateurs. – La règle générale sur l’absence de responsabilité des administrateurs souffre de deux exceptions. Premièrement, les administrateurs qui continuent les affaires de la compagnie radiée seront tenues personnellement responsables81. La deuxième exception est la responsabilité fixée par une loi, ou la responsabilité statutaire des administrateurs. Par exemple, l’article 96 LCQ précise que les administrateurs sont tenus responsables du salaire impayé des employés82. c) Révocation de la radiation d’office 40. Révoquer la radiation. – Le registraire peut, sur demande, révoquer la radiation de l’immatriculation de la compagnie faite en vertu de l’art. 50 LPL83. Donc, un créancier qui veut poursuivre une compagnie dissoute par radiation d’office peut la faire revivre si sa demande est accompagnée des droits prescrits par règlement84. Ce pouvoir de révoquer la radiation n’existe non seulement pour corriger les erreurs d’une administration incompétente d’une compagnie, mais aussi pour s’assurer qu’une compagnie ne pourra pas éviter de payer ses dettes en se laissant tomber en dissolution par voie de radiation d’office. Quand la demande en révocation de la radiation d’office est soumise au registraire des entreprises, le registraire peut révoquer la radiation en déposant un arrêté à cet effet au registre85. Une copie de l’arrêté est transmise à la compagnie, et elle reprend son existence à compter de la date de dépôt de cet arrêté86. 41. Effets de la révocation. – Il y a deux effets de la révocation expressément prévus à l’article 57 LPL. Premièrement, la radiation de l’immatriculation est réputée n'avoir 80 Timba Inc. c. Mainro Ltée, J.E. 83-383 (C.P.); Imprimeries Transcontinental inc. c. Salouros, 98BE-434 (C.Q.); Équipement Cardonne Canada inc. c. Litho Expert 1995 inc., 99BE-320 (C.Q.). Voir aussi : Paul Martel, La compagnie au Québec, vol. I, Montréal : Wilson & Lafleur, 2009, n° 34-51 à la p. 34-13. 81 Voir art. 317 C.c.Q. et A&A Environnement inc. c. Stepas, REJB 2000-19505 (C.Q.). 82 Voir aussi Commission des normes du travail c. Mercier, J.E. 2000-2257 (C.Q.). Le même principe est répété dans l’art. 122(1) de la Loi sur les relations du travail, la formation professionnelle et la gestion de la main-d'oeuvre dans l'industrie de la construction, L.R.Q. c. R-20. 83 Art. 54, al. 1 LPL. 84 Art. 54, al. 2 LPL. Les droits sont de $200. Voir l’art 13(1) du Règlement d'application de la Loi sur la publicité légale des entreprises individuelles, des sociétés et des personnes morales, R.Q. c. P-45, r.1. 85 Art. 56, al. 1 LPL. 86 Art. 56, al. 1 et 2 LPL. - 14 jamais été radiée. Deuxièmement, la compagnie est réputée n'avoir jamais été dissoute. Cependant, ces deux effets sont sous réserves des droits acquis par un tiers. 42. Effets de la révocation sur les biens. - Une conséquence d’être réputée n’avoir jamais été dissoute est que la compagnie peut reprendre ses biens auprès du curateur public. Par contre, ce pouvoir n’est pas opposable aux tiers qui ont acquis des droits sur les biens de la compagnie. Ainsi, par exemple, la compagnie ne pourra pas poursuivre un tiers qui a obtenu les biens vendus par le curateur public en vertu de l’article 37 de la Loi sur le curateur public. Cette réserve s’applique aussi à tout titre, hypothèque et priorité acquis par un tiers87. 43. Les effets rétroactifs de la révocation sur le droit d’ester en justice. – Une compagnie dissoute est une compagnie qui n’existe plus. Mais si la radiation d’office est révoquée par le registraire des entreprises, quel effet aura-t-elle sur le droit d’ester en justice de la compagnie? L’auteur Paul Martel énonce : « Il y a donc un effet rétroactif à la reprise d'existence, mais pas un effet rétroactif complet. Cette reprise d'existence se fait sous réserve des droits acquis par quiconque, ce qui inclut notamment les tiers ayant acquis une prescription contre la compagnie, ou encore un titre, une hypothèque ou une priorité sur ses biens entre sa dissolution et sa reconstitution, ainsi que les tiers ayant commencé à utiliser un nom identique ou similaire à celui de la compagnie durant cette période. » 88 Dans l’affaire Intermodal Crane Services Inc. c. Démolitions Mega inc.89, le juge Guibault conclut qu’une action intentée par une compagnie dissoute n’interrompt pas la prescription. Le juge a conclu que la compagnie Intermodal ne pouvait poursuivre ses cocontractantes en dommages-intérêts même si elle avait intenté sa poursuite « trois jours avant que la prescription ne soit acquise ». Selon la Cour, le fait que Intermodal était dissoute, conséquence d’une radiation d’office, l’empêchait de poursuivre ses débitrices tant que cette radiation n’était pas révoquée. La compagnie a reçu un arrêté de révocation de la radiation huit mois après que la prescription était acquise par les parties débitrices90. 87 Paul Martel, La compagnie au Québec, vol. I, Montréal : Wilson & Lafleur, 2009, n° 34-53 à la p. 34-14. 88 Paul Martel, La compagnie au Québec, vol. I, Montréal : Wilson & Lafleur, 2009, n° 34-53 à la p. 34-14. 89 Intermodal Crane Services Inc. c. Démolitions Mega inc. [2000] R.J.Q. 1588 (C.S.). 90 Nous notons que la Cour supérieure se penche sur une décision de la Cour d’appel interprétant la section 209(4) LCSA; Entreprises Jacques Lebeau inc. c. Compagnie d'assurance Victoria du Canada, 1996 CanLII 5795 (QC C.A.). - 15 Par contre, dans une autre cause, Fondation chrétienne Le Rocher, la Cour supérieure reconnait comme valide une inscription pour une enquête et audition par une compagnie qui était radiée d’office, mais avant la révocation de cette radiation91. La Cour a décidé que la révocation de la radiation qui a eu lieu quelques mois après l’inscription avait comme effet de valider cette inscription puisque la compagnie était réputée n'avoir jamais été dissoute. Afin de réconcilier les deux décisions, l'auteur Paul Martel suggère qu’une distinction ait été faite entre une situation de « simple procédure » et celle de droit substantif comme dans l’affaire Intermodal92. Cette controverse jurisprudentielle semble maintenant réglée. En effet, depuis 200593 le législateur a modifié l’article 50 LPL pour venir préciser que la «personne morale est toutefois réputée conserver son existence afin de terminer toute procédure judiciaire ou administrative»94. Ainsi, grâce à ce changement, même radiée, une compagnie pourra continuer des procédures judiciaires. 44. Inexistence d’un régime « général » de reconstitution de la compagnie au Québec. – Il serait utile de préciser que la « révocation » prévue à l’article 54 LPL se limite à une radiation d’office effectuée en vertu de l’article 50 de ladite loi95. Il n’existe présentement, en droit québécois (par opposition au droit fédéral)96, aucun régime général prévoyant la reconstitution d’une compagnie dissoute. B. La dissolution forcée sous le régime fédéral 45. Principes généraux. – En vertu de la LCSA, la dissolution peut être effectuée par le Directeur, sur émission d’un certificat de dissolution, ou par un tribunal, à la demande du Directeur ou de tout intéressé. Par contre, tout intéressé pourra demander au Directeur de procéder à la reconstitution de la compagnie sous certaines conditions. a) Dissolution forcée par le Directeur 46. Motifs de dissolution. – En vertu de l’article 212 LCSA, le Directeur peut dissoudre directement une compagnie dans trois cas : 91 Fondation chrétienne Le Rocher c. Magny Gilles, 2002 CanLII 24791 (C.S.). 92 Paul Martel, La compagnie au Québec, vol. I, Montréal : Wilson & Lafleur, 2009 à la p. 34-14, n. 68. 93 L.Q. 2005, c. 14, art. 24. Voir l’art. 50 al. 3 LPL. 94 Québec (Procureur général) (Office de la protection du consommateur) c. 9108-0630 Québec inc., 2007 QCCQ 312 (CanLII). 95 Art. 54 LPL. 96 Art. 209 LCSA. - 16 a) le Directeur est autorisé à dissoudre la compagnie d’office lorsqu’elle n’a pas commencé ses opérations dans les trois ans suivant la date figurant sur son certificat de constitution ou qu’elle n’a pas exercé ses activités commerciales pendant trois années consécutives97. Il peut ainsi éliminer les compagnies inopérantes du registre et rendre disponibles les noms commerciaux aux personnes désirant incorporer de nouvelles compagnies98; b) le Directeur peut dissoudre une compagnie qui a omis, pendant un an, de lui envoyer les droits, avis ou documents exigés par la LCSA (notamment la déclaration annuelle, les avis de changement d’administrateurs, les états financiers…)99. Il peut également dissoudre d’office une compagnie n’ayant pas payé les droits requis pour la délivrance d’un certificat de constitution100; c) le Directeur peut dissoudre une compagnie sans administrateur ou dont les administrateurs ont démissionné ou ont été révoqués sans être remplacés101. Ce motif de dissolution introduit par la réforme de 2001 permet la dissolution rapide des compagnies sans administrateurs102. 47. Publication. – Avant de procéder à la dissolution, le Directeur doit donner, à chacun des administrateurs, un préavis de 120 jours de sa décision et diffuser un avis de son intention dans une publication accessible au public103. b) Dissolution forcée par le tribunal 48. Notion de personne intéressée. – En vertu de l’article 213(1) LCSA, la dissolution peut être demandée au tribunal par le Directeur ou tout intéressé. Constitue une personne « intéressée », une personne ayant un intérêt économique légitime tels les administrateurs, officiers, actionnaires, liquidateurs, créanciers ou employés de la compagnie104. 97 Art. 212(1)(a)(i) et (ii) LCSA. 98 Canada Corporations Law Reporter, vol. 1, North York, CCH Canadian Limited, 2003 au titre «Involontary liquidation and dissolution», no. 11.205. 99 Art. 212(1)(a)(iii) LCSA Voir par exemple pour un cas de dissolution pour non-production des rapports annuels, Dinasaurium Productions inc. c. Montréal (Ville), [2000] J.Q. nº 1686. 100 Art. 212(3.1) LCSA. En vertu de l’art. 262(2)(b) LCSA, le Directeur peut également choisir de ne pas délivrer de certificat de constitution lorsque les droits correspondants n’ont pas été payés. 101 Art. 212(1)(a) LCSA. 102 Canada Corporations Law Reporter, vol. 1, North York, CCH Canadian Limited, 2003 au titre «Involontary liquidation and dissolution», no. 11.205. 103 Art. 212(2) LCSA. 104 Canada Corporations Law Reporter, vol. 1, North York, CCH Canadian Limited, 2003 au titre «Revival», no. 11.405. - 17 49. Motifs de dissolution. – Le Directeur ou toute personne intéressée peut présenter au tribunal une demande de dissolution de la compagnie lorsque : a) la compagnie a omis de tenir une assemblée annuelle pendant deux ans consécutifs105; b) la compagnie a exercé des pouvoirs ou des activités commerciales en violation de ses statuts106; c) la compagnie a obtenu un certificat sur présentation de faits erronés107; ou d) la compagnie n’a pas respecté les dispositions de la LCSA relatives à la préparation, à la conservation et à la communication des documents et des informations concernant la compagnie108. 50. Avis au Directeur. – Lorsque la demande est faite par une autre personne que le Directeur, le demandeur en donne avis au Directeur109. 51. Ordonnance de dissolution. – Le tribunal rend toute ordonnance qu’il estime pertinente110. Il peut ainsi prononcer la dissolution de la compagnie ou en prescrire la dissolution ou la liquidation sous sa surveillance, notamment lorsque la compagnie a des biens et des dettes. 52. Certificat de dissolution. – La compagnie cesse d’exister à la date mentionnée sur le certificat de dissolution111. 53. Effets de la dissolution forcée. – Les effets de la dissolution forcée sont les mêmes que ceux traités pour la dissolution volontaire112. 105 Art. 213(1)(a) LCSA. 106 Art. 213(1)(b) et 16(2) LCSA. 107 Art. 213(1)(c) LCSA. 108 Pour les livres de la compagnie et la liste des actionnaires, voir les articles 21 et 213(1)(b) LCSA; pour les états financiers et les renseignements d’ordre financier, voir les art. 157, 159(1), 213(1)(b). 109 Art. 213(3) LCSA. 110 Art. 212(3) LCSA. 111 Art. 213(5) LCSA. 112 Voir notamment les articles 212 et 226 LCSA. - 18 c) Reconstitution d’une compagnie dissoute 54. Personnes fondées à demander la reconstitution de la compagnie. – Quand une compagnie a été dissoute en vertu de la partie XVIII de la LCSA, donc soit par dissolution volontaire ou forcée, tout intéressé peut demander au Directeur de procéder à sa reconstitution113. Notons que ce régime « général » de reconstitution au fédéral n’a pas de pendant québécois114. Selon l’article 209(6) LCSA, les personnes intéressées sont notamment les actionnaires, les administrateurs, les dirigeants, les employés et les créanciers, toute personne ayant un lien contractuel avec la compagnie, toute personne qui deviendrait actionnaire, administrateur, dirigeant, employé ou créancier de la compagnie si elle était reconstituée et le syndic de faillite de la compagnie115. L’intéressé envoie les clauses de reconstitution au Directeur, avec les droits exigibles de 200 $116. 55. Absence de limitation de temps. – La LCSA ne prévoit pas de limite au-delà de laquelle une personne intéressée ne pourrait pas demander la reconstitution de la compagnie. En Ontario, les récentes modifications du Business Corporations Act, entrées en vigueur en 2007, prévoient que la demande de reconstitution doit être présentée dans les vingt ans de la date de la dissolution de la compagnie117. 56. Compagnies insolvables. – La demande de reconstitution peut concerner une compagnie insolvable depuis la réforme de 2001118. Ainsi, le Directeur peut également procéder à la reconstitution d’une compagnie insolvable sur demande du syndic, celuici faisant partie des « intéressés » autorisés à procéder à une telle demande119. À notre connaissance, les tribunaux n’ont pas encore statué sur une telle demande. 113 Une compagnie ayant été dissoute en vertu de l’art. 268 de LCSA pour défaut de prorogation avant le 15 décembre 1980 peut également faire l’objet d’une procédure de reconstitution. 114 Au Québec, on peut juste faire « revivre » une compagnie qui a été radiée d’office : art. 50, 54-57 LPL. 115 Paul Martel, La réforme de la Loi canadienne sur les sociétés par actions, 2001, Fasken Martineau, à la p. 77. [non publié]. Voir par exemple Interpar Investments Ltd. c. Magnan, [2003] J.Q. nº1991 au para. 22 (C.S. Qué.). 116 Art. 209(2) LCSA. Voir Industrie Canada, Formulaire 15, Clauses de reconstitution, en ligne : Industrie Canada < http://www.strategis.gc.ca/eic/site/cd-dgc.nsf/vwapj/Form15_07-0102_F.pdf/$FILE/Form15_07-01-02_F.pdf >. 117 Art. 241(5.1) Ontario Business Corporations Act, R.S.O. 1990, c. B.16. 118 Loi modifiant la Loi canadienne sur les Sociétés par actions et la Loi canadienne sur les coopératives ainsi que d'autres lois en conséquence, (Projet de loi S-11), L.C. 2001, ch. 14. 119 Art. 209(6)(d) LCSA. Voir aussi : Wayne Gray, Guide to CBCA Reform : Analysis and Precedents, Carswell, 2002, à la p. 61. - 19 57. Statuts de la compagnie reconstituée. – Les statuts de la compagnie reconstituée doivent être les mêmes qu’au moment de sa dissolution. Si des changements ont été apportés aux renseignements figurant dans les statuts de la compagnie, la compagnie dépose un formulaire de modification des statuts une fois que le certificat de reconstitution a été délivré. 58. Administrateurs. – En raison de la rétroactivité de la reconstitution de la compagnie, les administrateurs de la compagnie reconstituée sont indiqués dans les dossiers publics à la date de la dissolution de la compagnie. Il n’est pas nécessaire de déposer de formulaire indiquant les changements concernant les administrateurs120. Lorsque des changements ont été apportés au conseil d’administration de la compagnie reconstituée, il est nécessaire de déposer un formulaire de changement concernant les administrateurs avec la demande de reconstitution. Ainsi, si un administrateur de la compagnie dissoute est décédé, en faillite ou interdit depuis la dissolution mais avant la reconstitution, une nouvelle liste des administrateurs doit être adressée au Directeur121. 59. Rapports annuels. – Le Directeur peut exiger que la compagnie remplisse certaines conditions préalablement à sa reconstitution122. Il peut notamment demander le dépôt des rapports annuels ou d’autres documents dont le défaut de production avait entrainé la dissolution de la compagnie123. En pratique, le Directeur exige que soient déposés les rapports annuels des deux années précédant la reconstitution en même temps que la demande de reconstitution124. 60. Certificat de reconstitution. – Sur réception des clauses de reconstitution, le Directeur délivre le certificat de reconstitution si la compagnie a rempli les conditions préalables qu’il estime raisonnables et s’il n’y a aucun motif valable de refuser de la reconstituer125. 120 Voir Industrie Canada, Formulaire 6, Changements concernant les administrateurs, en ligne : Industrie Canada < http://www.strategis.gc.ca/eic/site/cd-dgc.nsf/vwapj/F6f-05-07-11.pdf/$FILE/F6f-0507-11.pdf >. 121 Voir Industrie Canada, Formulaire 6, Changements concernant les administrateurs, en ligne : Industrie Canada < http://www.strategis.gc.ca/eic/site/cd-dgc.nsf/vwapj/F6f-05-07-11.pdf/$FILE/F6f-0507-11.pdf >. 122 Art. 209(3)(a) LCSA. 123 Paul Martel, La compagnie au Québec, vol. I, Montréal : Wilson & Lafleur, 2009, n° 34-220 à la p. 34-67. 124 Industrie Canada, La loi canadienne sur les sociétés par actions : Politique de reconstitution (Énoncé de politique), 2007, en ligne : Industrie Canada < http://www.ic.gc.ca/eic/site/cd-dgc.nsf/vwapj/106_02-11-07_frn.pdf/$file/10-6_02-11-07_frn.pdf >. 125 Art. 209(3) LCSA. - 20 61. Pouvoir discrétionnaire du Directeur. – L’article 209(3) LCSA a été modifié lors de la réforme de 2001 pour permettre au Directeur de refuser la délivrance du certificat de reconstitution lorsqu’il existe des motifs valables à ce refus126. Selon l'auteur Paul Martel, cette nouvelle rédaction confère un pouvoir discrétionnaire au Directeur, puisqu’il peut juger des motifs valables pour ne pas effectuer la reconstitution127. Toutefois, récemment la Cour supérieure semblait restreindre « le pouvoir » discrétionnaire du Directeur en précisant que : « [l]a loi précise que le directeur doit délivrer le certificat de reconstitution lorsque la procédure prescrite est suivie » « Dans la mesure où la personne morale a rempli les conditions préalables à la délivrance, cette dernière sera reconstituée à la date mentionnée au certificat »128. 62. Effets de la reconstitution. – La compagnie est reconstituée à la date figurant dans le certificat129. Elle recouvre ses droits et privilèges et la responsabilité de ses obligations comme si elle n’avait jamais été dissoute, sous réserve des modalités raisonnables imposées par le Directeur, des droits acquis par toute personne après sa dissolution et de tout changement aux affaires internes de la compagnie survenu après la dissolution. 63. Effet rétroactif de la reconstitution. – Avant la réforme de 2001, les tribunaux s’opposaient sur la question de l’effet rétroactif de la reconstitution130. Les articles 209(4) et (5) LCSA sont venus clarifier le débat. Il est désormais prévu qu’une reconstitution est rétroactive. Une compagnie reconstituée recouvre, « comme si elle n’avait jamais été dissoute, a) la même situation juridique, notamment ses droits et privilèges indépendamment de leur date d’acquisition et b) la responsabilité des obligations qui seraient les siennes si elle n’avait pas été dissoute, indépendamment de la date où elles ont été contractées »131. Cela signifie que la compagnie bénéficie des activités entreprises alors qu’elle était dissoute. Elle est liée par les contrats passés ainsi que par les fautes commises entre la date de sa 126 Art. 209(3)(b) LCSA. 127 Paul Martel, La réforme de la Loi canadienne sur les sociétés par actions, 2001, Fasken Martineau, à la p. 75. [non publié]. 128 Déom c. Loranger, 2007 QCCS 2639 aux para. 106-07. 129 Art. 209(3.1) LCSA. 130 Pour un aperçu des différentes versions de l’art. 209(4) jusqu’à la réforme de 2001, voir Fernand Gilbert Ltée c. La Baie (Ville), 2004 CanLII 45367 aux para. 32-35 (C.S. Qué.). 131 Art. 209(4) LCSA. - 21 dissolution et la date de sa reconstitution. Les droits et obligations acquis ou contractés avant ou après sa dissolution sont restitués à la compagnie reconstituée132. Cette rétroactivité s’opère « sous réserve des modalités raisonnables imposées par le directeur, des droits acquis par toute personne après sa dissolution et de tout changement aux affaires internes de la compagnie survenu après sa dissolution »133. Cette dernière réserve nous paraît peu claire. D’après l'auteur Paul Martel, les changements aux affaires internes de la compagnie incluent « les changements au conseil d’administration, aux dirigeants et à la répartition des actions »134. Si tel est le cas, une compagnie reconstituée pourrait avoir des administrateurs différents de la compagnie dissoute. Or l’effet rétroactif de la reconstitution veut justement que les administrateurs de la compagnie reconstituée soient les mêmes que ceux de la compagnie dissoute. Par ailleurs, toute action en justice concernant les affaires internes de la compagnie intentée entre sa dissolution et sa reconstitution est validée135. Il s’agit des affaires concernant les relations entre la compagnie, les personnes morales de son groupe et leurs actionnaires, administrateurs et dirigeants. L’article 209(5) LCSA ne traite pas en revanche des actions concernant les « activités commerciales » de la compagnie, notamment contre des tiers cocontractants136. 64. Notification aux actionnaires. – Lorsqu’il a émis le certificat de reconstitution, le Directeur n’a pas d’obligation de le notifier aux actionnaires, aux administrateurs, ni aux dirigeants de la compagnie reconstituée137. Toutefois, dans le cadre des modalités raisonnables prévues à l’article 209(4) LCSA, il peut requérir que le demandeur de la reconstitution prenne les mesures raisonnables pour avertir les actionnaires, dirigeants et administrateurs de la compagnie pré-dissolution. 65. Restitution des biens de la compagnie reconstituée. – En vertu de l’article 228(1) LCSA, les biens qui n’ont pas été répartis sont dévolus à la Couronne. Lorsque la compagnie est reconstituée, les biens dévolus à la Couronne lui sont restitués138. 132 Industrie Canada, La loi canadienne sur les sociétés par actions : Politique de reconstitution (Énoncé de politique), 2007, en ligne : Industrie Canada < http://www.ic.gc.ca/eic/site/cd-dgc.nsf/vwapj/106_02-11-07_frn.pdf/$file/10-6_02-11-07_frn.pdf >. 133 Art. 209(4) LCSA. 134 Paul Martel, La compagnie au Québec, vol. I, Montréal : Wilson & Lafleur, 2009, n° 34-222 à la p. 34-69. 135 Art. 209(5) LCSA. 136 Paul Martel, La réforme de la Loi canadienne sur les sociétés par actions, 2001, Fasken Martineau, à la p. 79. [non publié]. 137 Canada Corporations Law Reporter, vol. 1, North York, CCH Canadian Limited, 2003 au titre « Notice to Shareholders », no. 11.460. 138 Art. 228(2) LCSA. - 22 Notons que s’il s’agit de biens immeubles, leur restitution relève du pouvoir exclusif du ministre des Travaux publics et Services gouvernementaux139. Une demande de restitution doit être présentée au Directeur, avec une preuve démontrant que les biens immeubles étaient la propriété de la compagnie au moment de la dissolution et que la Couronne ne les a pas vendus. Le Directeur demande ensuite au ministre des Travaux publics et Services gouvernementaux de préparer les documents nécessaires à la rétrocession des documents à la compagnie reconstituée140. 66. Publicité légale. – La compagnie fédérale reconstituée qui exerce des activités au Québec doit s’immatriculer dans les six mois de sa reconstitution141. IV. LA LIQUIDATION VOLONTAIRE A. La liquidation volontaire au Québec 67. Dispositions applicables. – La liquidation volontaire d’une compagnie sous le régime québécois est régie par la Loi sur la liquidation des compagnies. Ainsi, toutes les compagnies, qu’elles soient constituées par charte, lettres patentes ou statuts, peuvent se liquider volontairement142. 68. Les administrateurs convoquent une assemblée des actionnaires. – Ce sont les administrateurs qui décident unilatéralement de procéder à la liquidation de la compagnie lorsqu’il y reste toujours des dettes ou des biens. Pour exécuter leur décision, les administrateurs convoquent alors une assemblée générale des actionnaires143. 69. L’avis de l’assemblée générale. – L’article 2 LLC impose une obligation claire aux administrateurs : ils doivent mentionner dans l’avis de l’assemblée générale que la dissolution de la compagnie sera proposée à cette assemblée. 70. La résolution des actionnaires. – La résolution des administrateurs est soumise aux actionnaires pour leur approbation. Pour passer, il faut un vote d’au moins les deux tiers en valeur des actions représentées par les actionnaires présents144. 139 Loi sur les travaux publics, L.C. 1996, c. 16, art. 9. 140 Industrie Canada, La loi canadienne sur les sociétés par actions : Politique de reconstitution (Énoncé de politique), 2007, en ligne : Industrie Canada < http://www.ic.gc.ca/eic/site/cd-dgc.nsf/vwapj/106_02-11-07_frn.pdf/$file/10-6_02-11-07_frn.pdf > 141 Art. 54 à 57 LPL. 142 Art. 1 LLQ. 143 Art. 2 LLQ. 144 Art. 3 LLQ. - 23 La résolution des actionnaires approuvant la décision des administrateurs doit déclarer que (1) « les affaires de la compagnie seront liquidées volontairement » et (2) « que la compagnie sera dissoute »145. 71. Avis de la résolution. – L’article 9 LLC oblige la compagnie de transmettre un avis de la résolution passée par les actionnaires au registraire des entreprises, qui le dépose au registre146. 72. La compagnie n’existe que pour se liquider. - Une fois que la résolution des actionnaires est passée, l’article 3 LLC spécifie que la compagnie n’existe que dans le but de liquider ses affaires. L’article 4 LLC énonce que les statuts de la compagnie, ainsi que ses pouvoirs constitutifs, continuent jusqu’à la fin de la liquidation. La Cour d’appel nous enseigne : « Elle [la compagnie] cesse donc de poursuivre les objets pour lesquels elle avait été constituée. Même si elle maintient sa personnalité juridique, elle n'agit plus par elle-même, entièrement soumise qu'elle est au liquidateur et à la Loi sur la liquidation volontaire. Ce n'est donc pas par l'effet de sa loi constitutive que le statut corporatif est maintenu mais en raison d'une disposition formelle de la Loi sur la liquidation volontaire »147. Ainsi, dès que les actionnaires de la compagnie votent en faveur de la liquidation, la compagnie tombe dans un mode qui restreint ses exercices normaux. Le seul moyen de sortir de ce mode de liquidation est par l’arrêt de la liquidation prévu à l’article 18 LLC. 73. La nomination des liquidateurs. – Un ou plusieurs liquidateurs sont nommés à la même assemblée générale pour liquider les affaires de la compagnie et distribuer son actif. Avec cette nomination, le conseil d’administration cesse d’exister148. Si un liquidateur démissionne, ou une vacance survient autrement, le ou les autres liquidateurs ou tout actionnaire peut convoquer une autre assemblée générale afin de remplir cette vacance149. 145 Art. 3 LLQ. 146 Art. 9 LLQ. 147 Fédération des sociétés d'entraide économique du Québec c. Société d'entraide économique de K.R.T., 1988 CanLII 821 (C.A.). 148 Art. 5, al. 1 LLQ. 149 Art. 6 LLQ. - 24 Les actionnaires peuvent démettre un liquidateur et le remplacer par un autre à une assemblée générale convoquée par au moins trois d’entre eux. L’avis de convocation de cette assemblée doit mentionner que la démission d’un liquidateur sera proposée150. Dans le cas où il y a défaut des actionnaires de nommer un liquidateur ou son remplaçant pendant 15 jours, la Cour supérieure peut, sur demande d’un actionnaire, nommer un liquidateur151. 74. La rémunération des liquidateurs. – L’article 14 LLQ affirme que les honoraires des liquidateurs sont déterminés par les actionnaires. Si une garantie ou un cautionnement est requis, les actionnaires doivent spécifier le montant de la garantie. 75. Les pouvoirs des liquidateurs. – Lorsque plusieurs liquidateurs sont nommés, leurs pouvoirs s’exercent par la majorité152. Les pouvoirs du liquidateur sont précisés à l’article 10 LLQ. Le paragraphe 6 de l’article 10 LLQ est rédigé d’une façon large afin de permettre au liquidateur de faire tous les actes qu’il juge nécessaires afin de liquider la compagnie. Les seules restrictions qui peuvent être imposées sur l’exercice des pouvoirs du liquidateur se trouvent dans la résolution des actionnaires153. 76. Paiement des dettes en premier. – Selon l’article 12 LLQ, le liquidateur doit soustraire le montant de tous les dettes, ainsi que les frais de la liquidation de l’actif de la compagnie. Il paye ces dettes en premier, et distribue la balance aux actionnaires « suivant leurs droits et intérêts dans la compagnie »154. Dans l’affaire Fruits de mer secs Hang Cheong Ltée c. Jian, la Cour supérieure s’est penché sur la portée des termes employés à 12 LLQ, soit « suivant leurs droits et intérêts dans la compagnie » dans le cadre précis d’un créancier-actionnaire qui avait prêté de l’argent à la compagnie155. Selon la Cour, une avance par un actionnaire à la compagnie est un intérêt à part de ses droits usuels comme actionnaire. Suivant cette logique, la créance (l’intérêt) d’un actionnaire devrait être subordonnée à celle d’un créancier ordinaire. 150 Art. 7 LLQ. 151 Art. 8, al. 1 LLQ. 152 Art. 11 LLQ. Pour éviter l’impasse entre les liquidateurs, les actionnaires devront s’assurer de nommer les liquidateurs en nombres impairs, soit 1, 3, 5 etc. 153 Art. 10 LLQ. 154 Art. 12 LLQ. 155 Fruits de mer secs Hang Cheong Ltée c. Jian, 2003 CanLII 42148 (C.S.). - 25 77. Certaines obligations du liquidateur. – L’engagement principal du liquidateur est d’agir d’une manière « ordonnée et diligente en minimisant, dans la mesure du possible, les pertes et préjudices tant aux créanciers qu'aux autres intéressés et en distribuant les actifs selon la loi »156. De plus, en principe, les contrats signés de bonne foi antérieurement à la liquidation seront honorés, à moins que les obligations y contenues ne soient préjudiciables aux autres créanciers et donnent lieu à une préférence injuste eu égard à l’ensemble des circonstances, auquel cas il pourrait y avoir un redressement équitable157. Finalement, le liquidateur qui se trouve au milieu d’un litige entre actionnaires peut procéder et liquider les biens de la compagnie si cela ne cause pas de préjudice à leurs droits. Ceci est le cas lorsque les actifs risquent de perdre leur valeur marchande158. 78. À qui doit se rapporter le liquidateur?. –La Cour suprême a confirmé que le liquidateur doit prendre en considération les intérêts des créanciers mais n’est pas tenu d’obéir à leur volonté—il conserve donc une discrétion dans l’exercice de ses pouvoirs159. En effet, le liquidateur n’est assujetti qu’aux ordres de la Cour160. 79. Le liquidateur est un officier de la Cour. – Le rôle du liquidateur est résumé ainsi par le juge Gonthier de la Cour suprême : « Dans la perspective du régime légal de liquidation, donc, le liquidateur est un officier du tribunal qui a pour fonction de mettre fin aux opérations de la compagnie et de distribuer son actif aux créanciers. Il n'est pas un tiers vis-à-vis la compagnie insolvable. Il est la personne désignée par le tribunal pour agir à la place des administrateurs de la compagnie en liquidation. » Ainsi, le liquidateur agit au nom de la compagnie – les titres des biens ne lui sont pas dévolus161. Le liquidateur est donc un officier de la Cour, mais nommé par les 156 Coopérants (Les), Société mutuelle d'assurance-vie (Liquidateur de) c. Dubois, 1996 CanLII 242 (C.S.C.), au para. 37; Voir aussi : Alepin c. Pelland, J.E. 98-1002 (C.S.). 157 Coopérants (Les), Société mutuelle d'assurance-vie (Liquidateur de) c. Dubois, 1996 CanLII 242 (C.S.C.), au para. 41. 158 Alepin c. Pelland, J.E. 98-1002 (C.S.). 159 Maranda-Desaulniers c. Peckham, [1953] B.R. 163, à la p. 172, cité dans Les Coopérants au para. 37. 160 Maranda-Desaulniers c. Peckham, [1953] B.R. 163, à la p. 172, cité dans Les Coopérants au para. 37. 161 Voir McCarthy and Sons Co. of Prescott Ltd., (1916) 33 O.L.R. 3, cité dans Les Coopérants au para. 36. - 26 actionnaires dans la plus part des cas. Il est aussi fiduciaire des créanciers162 et assume les responsabilités des administrateurs163. 80. La liquidation d’une longue durée. – Une liquidation qui dépasse une année est soumise à l’article 15 LLQ. Les liquidateurs doivent convoquer une assemblée générale des actionnaires annuellement, où ils déposent un rapport indiquant leur progrès pendant l’année précédente164. 81. La fin de la liquidation. – La fin de la liquidation comprend deux étapes. Premièrement, le liquidateur présente l’état prévu à l’article 16 LLQ au tribunal. Une assemblée générale est convoquée pour l’approbation des actionnaires165. Deuxièmement, le liquidateur transmet au registraire des entreprises l’état présenté aux actionnaires, une copie de la résolution et un rapport de la conduite de l’assemblée générale. Une mention de transmission est inscrite au registre par le registraire et la compagnie est dissoute à compter de cette date166. 82. Avis de dissolution. – La conclusion du processus de liquidation ne met pas fin à l’existence corporative de la compagnie. En effet, la fin de l’existence de la compagnie arrive avec le dépôt par le registraire des entreprises d’un avis de dissolution au registre167. 83. Remise des sommes non réclamées. – Les montants de dettes non réclamées et de dividendes non payés doivent être remis par les liquidateurs au ministre du Revenu au plus tard trente jours après la dissolution de la compagnie. Avec ces montants, les liquidateurs doivent aussi inclure une reddition de comptes sous la forme prescrite168. 84. Conserver les livres de la compagnie. – Les liquidateurs doivent aussi conserver les livres et registres de la compagnie pendant cinq années169. Si ces documents sont requis 162 Fruits de mer secs Hang Cheong Ltée c. Jian, 2003 CanLII 42148 (C.S.). Voir aussi: Paul Martel, La compagnie au Québec, vol. I, Montréal : Wilson & Lafleur, 2009, n° 34-74 à la p. 34-19. 163 Paul Martel, La compagnie au Québec, vol. I, Montréal : Wilson & Lafleur, 2009, n° 34-75 à la p. 34-19. Ici, la doctrine nous propose que le liquidateur soit soumis aux « Obligations de l’administrateur envers le bénéficiaire » prévues aux articles 1309 à 1318 C.c.Q. 164 Art. 15 LLQ. 165 Art. 17, al. 1 LLQ. 166 Art. 17, al. 2 LLQ. 167 Art. 19 LLQ. 168 Art. 20 LLQ. 169 Art. 21, al. 1 LLQ. Voir l’art. 35.1 de la Loi sur le Ministère du Revenu, L.R.Q. c. M-31 et l’art. 230(4) de la Loi sur l’impôt sur le revenu, L.R.C. 1985, c. 1 (5e suppl.), qui imposent une période de six ans quant - 27 dans une procédure devant la Cour, les liquidateurs doivent les garder pour une plus longue période170. 85. L’arrêt de la liquidation. – C’est l’article 18 LLQ qui énonce les conditions pour obtenir un arrêt de la liquidation déjà entamée. Le pouvoir d’arrêter un processus de liquidation ne peut être exercé qu’avant la vente des biens171. Une majorité des actionnaires représentant deux tiers du capital doit voter en faveur de discontinuer les procédures de la liquidation et de reprendre les opérations de la compagnie. Donc, nonseulement est-ce nécessaire d’arrêter la liquidation, mais il faut aussi reprendre les opérations de la compagnie pour effacer l’effet de l’article 3 LLQ. Cette résolution n’a aucun effet sans l’approbation de la Cour supérieure.172 Un avis de la requête doit être donné à toutes les parties prenantes (liquidateurs, créanciers et actionnaires), au moins six jours avant la date fixée pour la présentation de la requête.173 La compagnie transmet un avis de la résolution des actionnaires et de son approbation par le tribunal au registraire des entreprises qui le dépose au registre174. À compter de la date du dépôt au registre par le registraire, l’avis de liquidation déposé en vertu de l’article 9 LLQ cesse d’avoir effet175. 86. Cessation des pouvoirs du liquidateur. - L’approbation par le tribunal de la résolution des actionnaires qui met fin à la liquidation entraîne la cessation des pouvoirs des liquidateurs. Les actes réalisés par les liquidateurs avant l’arrêt de la liquidation sont valables et la compagnie peut reprendre toutes les actions qu’elle avait intentées176. B. La liquidation volontaire sous le régime fédéral 87. Disposition applicable. – Le processus de liquidation volontaire est essentiellement régi par l’article 211 LCSA. aux registres de la compagnie. Voir aussi Paul Martel, La compagnie au Québec, vol. I, Montréal : Wilson & Lafleur, 2009, n° 34-82 à la p.34-21. 170 Art. 21, al. 2 LLQ. 171 Art. 18, al. 1 LLQ. 172 Art. 18, al. 4 LLQ. 173 Art. 18, al. 3 LLQ. 174 Art. 18, al. 8 LLQ. 175 Art. 18, al. 8 LLQ. 176 Art. 18, al. 7 LLQ. - 28 88. Proposition de liquidation et de dissolution volontaire. – La liquidation volontaire est proposée à l’occasion de l’assemblée générale annuelle des actionnaires, par les administrateurs ou par un actionnaire titulaire du droit de vote, conformément à la procédure prévue à l’article 137 LCSA.177. 89. Avis de convocation de l’assemblée. – L’avis de convocation doit indiquer que l’assemblée se réunit afin de discuter des modalités de la liquidation et de la dissolution de la compagnie178. 90. Résolution spéciale des actionnaires. – Lors de l’assemblée, la proposition de liquidation est approuvée par une résolution spéciale (deux tiers des voix exprimées) des actionnaires de chaque catégorie, votante ou non 179. 91. Déclaration et certificat d’intention de dissolution. – Une fois la résolution de liquidation approuvée, la compagnie envoie au Directeur une déclaration d’intention de dissolution180. 92. Certificat d’intention de dissolution. – Sur réception de la déclaration d’intention de dissolution, le Directeur émet un certificat d’intention de dissolution181. Le Directeur peut refuser de délivrer le certificat à condition qu’il motive sa décision par écrit182. Sa décision de refus peut faire l’objet d’un appel183. 93. Effets du certificat d’intention de dissolution. – La compagnie débute la procédure de liquidation dès réception du certificat d’intention de dissolution. C’est le certificat et non la résolution des actionnaires qui constitue le point de départ de la procédure de liquidation et qui permet l’ouverture du recours prévu à l’article 211(8) LCSA.184. La compagnie doit cesser toute activité commerciale, sauf dans la mesure nécessaire à sa liquidation185. Sa personnalité morale subsiste néanmoins pendant la procédure jusqu’à la délivrance du certificat de dissolution par le Directeur186. 177 Art. 211(1) LCSA. 178 Art. 211(2) LCSA. 179 Art. 211(3) LCSA. 180 Art. 211(4) LCSA. 181 Art. 211(5) et 262 LCSA Voir Industrie Canada, Formulaire 19, Déclaration d’intention de dissolution ou de renonciation d’intention de dissolution, en ligne : Industrie Canada < http://www.ic.gc.ca/eic/site/cd-dgc.nsf/vwapj/F19-05-07-11.pdf/$FILE/F19-05-07-11.pdf>. 182 Art. 245 LCSA. 183 Art. 246 LCSA. 184 Re Cavendish Investing Ltd., (1997) 29 B.L.R. (2d) 139 au para. 18 (Alta. Q.B.). 185 Art. 211(6) et (7) LCSA. - 29 94. Révocation du certificat d’intention de dissolution. – La compagnie peut révoquer le certificat d’intention de dissolution à tout moment pendant la liquidation, c’est-à-dire avant l’émission du certificat de dissolution. Pour ce faire, les actionnaires adoptent une résolution spéciale de la même manière qu’ils ont autorisé la proposition de liquidation et de dissolution volontaires. La compagnie transmet ensuite une déclaration de renonciation à la dissolution au Directeur187. Celui-ci délivre un certificat de renonciation à dissolution qui permet à la compagnie de continuer à exercer ses activités commerciales normalement188. 95. Formalités de publicité. – À la suite de la délivrance du certificat d’intention, la compagnie doit en envoyer immédiatement une copie à chaque créancier connu et prendre sans délai toute disposition utile pour en donner avis dans chaque province où elle exerçait ses activités189. Cet avis doit être publié au moins une fois par semaine pendant deux semaines consécutives190. Il est un « notice to the world », et après [sa] publication, l’information est présumée connue du grand public et tous ceux qui directement ou indirectement ont transigé avec la compagnie avant sa dissolution »191. 96. Liquidation. – La compagnie procède elle-même à sa liquidation en recouvrant ses biens, en acquittant ses dettes et en disposant des biens non destinés à être répartis en nature entre les actionnaires192. Elle répartit ensuite le reliquat entre les actionnaires en numéraire ou en nature193. Contrairement à ce qui est prévu en matière de changements fondamentaux affectant la compagnie194, la LCSA ne prévoit pas que les actionnaires puissent exercer de droit de dissidence dans le contexte de la liquidation195. Ils peuvent simplement demander la réalisation des biens de la compagnie en numéraire196. 97. Surveillance judiciaire. – Pendant la procédure de liquidation, le Directeur ou tout intéressé peut demander au tribunal de rendre une ordonnance décidant que la 186 Art. 211(6) LCSA. 187 Art. 211(10) LCSA. 188 Art. 211(11) et (12) LCSA. 189 Art. 211(7) (a) et (b) LCSA. 190 Kevin Patrick McGuinness, Canadian Business Corporations Law, 2e éd., Markham, LexisNexis Canada Inc. 2007, au para. 15.188. 191 Samson Bélair Deloitte & Touche c. Crespin, [1998] J.Q. nº4322 au para. 15. 192 Art. 211(7) (c) LCSA. 193 Art. 211(7) (d) LCSA. 194 Art. 190 LCSA. 195 Re Bell Canada International Inc., [2002] O.J. Nº 3253 au para. 4. 196 Art. 224 LCSA. - 30 liquidation sera poursuivie sous sa surveillance197. La demande de surveillance présentée au tribunal doit être motivée, avec un affidavit du demandeur à l’appui198. 98. Nomination d’un liquidateur. – La nomination d’un liquidateur ne semble pas être obligatoire et la LCSA ne prévoit pas de procédure permettant la nomination d’un liquidateur en dehors d’une ordonnance du tribunal compétent. Par conséquent, si la compagnie souhaite obtenir l’intervention d’un liquidateur, elle doit s’adresser au tribunal. Si le tribunal constate que la compagnie est capable de payer ou de constituer une provision pour honorer ses obligations, il procède à la nomination du liquidateur, fixe sa rémunération et le remplace, si nécessaire199. Le tribunal peut nommer en qualité de liquidateur toute personne, incluant un administrateur, un dirigeant, un actionnaire de la compagnie ou toute autre personne morale200. Le liquidateur pourrait donc être un créancier ou un représentant des créanciers de la compagnie201. 99. Pouvoirs du liquidateur. – Les pouvoirs des administrateurs et des actionnaires sont dévolus au liquidateur, à moins que le tribunal n’en décide autrement202. Le liquidateur peut néanmoins déléguer tout ou partie des pouvoirs qui lui ont été dévolus aux actionnaires ou aux administrateurs203. Les vastes pouvoirs du liquidateur sont énumérés par l’article 222(1) LCSA et comprennent notamment le pouvoir de retenir les services de conseillers professionnels, d’ester en justice, d’exercer les activités commerciales de la compagnie et même de signer des documents au nom de la compagnie204. En ce qui concerne la nature des fonctions du liquidateur, celui-ci est « un officier du tribunal qui a pour fonction de mettre fin aux opérations de la compagnie et de distribuer son actif aux créanciers »205. Il est distinct de la compagnie dissoute et a donc 197 Art. 211(8) LCSA Voir par exemple Re Cavendish Investing Ltd., (1997) 29 B.L.R. (2d) 139 (Alta. Q.B.). 198 Art. 215 LCSA. 199 Paul Martel, La compagnie au Québec, vol. I, Montréal : Wilson & Lafleur, 2009, n° 34-187 à la p. 34-57; et art. 217 LCSA. 200 Art. 220(1) LCSA. 201 Canada Corporations Law Reporter, vol. 1, North York, CCH Canadian Limited, 2003 au titre « Appointement of a Liquidator », no. 11.310. 202 Art. 219(1) (b) LCSA. 203 Art. 219(2) LCSA. 204 Voir aussi 222 (3) et (4) LCSA. 205 Coopérants (Les), Société Mutuelle d’Assurance-Vie (Liquidateur de) c. Dubois, [1996] 1 R.C.S. 900 au para. 34. - 31 le pouvoir de poursuivre les administrateurs et les dirigeants de la compagnie ainsi que leurs assureurs206. 100. Obligations du liquidateur. – Les obligations du liquidateur quant à l’information des tiers et à l’administration des biens de la compagnie sont fixées par l’article 221 LCSA. Le liquidateur doit informer de sa nomination le Directeur, les créanciers et les débiteurs de la compagnie. Il tient également une comptabilité des recettes et des dépenses de la compagnie ainsi qu’une liste des actionnaires, créanciers et autres réclamants. Au moins une fois tous les douze mois ou sur ordonnance du tribunal, il remet à celui-ci et au Directeur les états financiers de la compagnie. Il acquitte les dettes de la compagnie ou constitue une provision à cette fin. Il acquitte par ailleurs les frais de liquidation sur les biens de la compagnie207. S’il constate que la compagnie est incapable d’honorer ses obligations ou de constituer une provision à cette fin, le liquidateur doit demander des instructions au tribunal208. 101. Comptes définitifs et répartition des biens. – Dans l’année de sa nomination et après le paiement des dettes de la compagnie ou constitué une provision à cette fin, le liquidateur demande au tribunal d’approuver les comptes définitifs et de l’autoriser par ordonnance à répartir en nature ou en numéraire le reliquat des biens entre les actionnaires209. Avant de s’adresser au tribunal, le liquidateur doit donner un avis de son intention de présenter une demande au Directeur, aux actionnaires, aux personnes ayant fourni une sûreté ou une assurance-responsabilité pour les besoins de la liquidation, par insertion dans un journal publié ou diffusion au lieu du siège social ou encore par tous moyens prescrits par le tribunal210. Si le liquidateur n’a pas été en mesure d’honorer les obligations de la compagnie ou de préparer les comptes définitifs de la compagnie dans les douze mois suivant sa nomination, il peut demander au tribunal de prolonger son mandat, en donnant les motifs justifiant cette extension211. Si le liquidateur manque à cette obligation, tout actionnaire peut demander au tribunal d’ordonner au liquidateur d’expliquer pourquoi les comptes définitifs n’ont pu être dressés et la répartition du reliquat effectuée212. 206 Markham General Insurance Co. (Liquidator of) c. Bennett, [2006] O.J. Nº 1989 au para. 30 (Ont. S.C.). 207 Art. 223 LCSA. 208 Art. 221 (h) LCSA. 209 Art. 223(2) LCSA. 210 Art. 223(4) LCSA. 211 Art. 223(2) (b) LCSA. 212 Art. 223(3) LCSA. - 32 102. Effets de la dissolution. – Si le tribunal approuve les comptes définitifs établis par le liquidateur, il demande au Directeur, par une ordonnance définitive, de délivrer un certificat de dissolution. Il donne également des instructions quant à la garde et l’usage des documents et des livres de la compagnie et libère le liquidateur en lui adressant une copie certifiée de l’ordonnance définitive213. Sur réception de l’ordonnance définitive du tribunal, le Directeur délivre le certificat de dissolution fixant la date à partir de laquelle la compagnie cesse d’exister214. 103. Distinction entre la liquidation volontaire de l’article 211 LCSA et le mode de distribution des biens et de dissolution volontaire de l’article 210(3) LCSA. – La procédure de liquidation volontaire prévue à l’article 211 LCSA est relativement complexe et donc plus coûteuse, notamment parce qu’elle exige l’envoi de plusieurs déclarations et peut impliquer l’intervention d’un liquidateur. Or, tel que nous l’avons déjà vu, une compagnie peut se dissoudre volontairement en vertu de l’article 210(3) LCSA lorsqu’elle a des biens et des dettes ou les deux à la fois. Cette dissolution a lieu par résolution spéciale des actionnaires pourvu que la compagnie ait effectué une répartition des biens et un règlement de dettes avant d’envoyer les clauses de dissolution au directeur. La simple lecture de cette dernière disposition paraît indiquer qu’une compagnie pourrait être dissoute après avoir réparti ses biens et honoré ses dettes, sans suivre la procédure plus contraignante de liquidation telle que prévue à l’article 211 LCSA. C’est cette position que semble avoir retenu l'auteur Paul Martel lorsqu’il note que « [l]a plupart des petites sociétés auront plutôt avantage à utiliser le mode de distribution de biens et de dissolution prévu au nouvel article 210(3) LCSA qui a été ajouté spécialement pour elle »215. Par contre, un autre auteur estime quant à lui que la procédure de l’article 210(3) LCSA s’adresse aux compagnies inactives, alors que celle de l’article 211 LCSA s’applique aux compagnies actives : « If the procedures provided for an inactive corporation by section 210 are not appropriate, the directors of a corporation may propose the voluntary liquidation and dissolution of a solvent corporation pursuant to section 211 »216. Malgré une divergence doctrinale à ce sujet, nous sommes d’avis que la dissolution volontaire prévue a l’article 210(3) LCSA et celle de l’article 211 LCSA demeurent deux 213 Art. 223(5) et (6) LCSA. 214 Art. 223(7) et (8) LCSA. 215 Paul Martel, La compagnie au Québec, vol. I, Montréal : Wilson & Lafleur, 2009, n° 34-195 à la p. 34-58. 216 Canada Corporations Law Reporter, vol. 1, North York, CCH Canadian Limited, 2003 au titre « Liquidation and Dissolution of Active Corporations », no. 11.100. - 33 procédures distinctes et que le choix de leur utilisation sera dicté selon la situation et les circonstances de la compagnie. V. LA LIQUIDATION FORCÉE OU JUDICIAIRE A. Un motif similaire au niveau fédéral et provincial 104. La base législative. – La Loi sur la liquidation des compagnies et la Loi canadienne sur les sociétés par actions contiennent toutes les deux des dispositions sur les motifs de liquidation forcée ou judicaire217. Au Québec, c’est l’article 24 LLQ et au niveau fédéral c’est l’article 214 LCSA. 105. Concordance : la justice et l’équité. – Même si l’article 214 LCSA énumère divers motifs pouvant mener à la liquidation d’une compagnie, il y a une concordance entre l’article 24 LLQ et le sous-paragraphe 214 (1)(b)(ii) LCSA. Ce lien est la liquidation pour un motif « juste et équitable ». Ainsi, les deux dispositions contiennent comme même motif le caractère « juste et équitable » de la liquidation judiciaire. L’analyse qui suit portera sur ce motif et s’appliquera tant aux compagnies constituées au niveau fédéral qu’au Québec, à moins d’indication contraire. B. Les motifs justes et équitables 106. Pouvoirs des tribunaux. - Lord Wilberforce justifiait ainsi le pouvoir conféré aux juges, dans la législation britannique, d’ordonner la liquidation d’une compagnie pour des motifs « justes et équitables » : « The words are a recognition of the fact that a limited company is more than a mere judicial entity, with a personality in law of its own: that there is room in company law for recognition of the fact that behind it, or amongst it, there are individuals, with rights, expectations and obligations inter se which are not necessarily submerged in the company structure. That structure is defined by the Companies Act 1948 and by the articles of association by which shareholders agree to be bound. In most companies and in most contexts, this definition is sufficient and exhaustive, equally so whether the company is large or small. The “just and equitable” provision does not, as the respondents suggest, entitle one party to disregard the obligation he assumes by entering a company, nor the court to dispense him from it. It does, as equity always does, enable the court to 217 Les termes liquidation « forcée » ou « judiciaire » sont synonymes et seront utilisés de façon interchangeables. - 34 subject the exercise of legal rights to equitable considerations; considerations, that is, of a personal character arising between one individual and another, which may make it unjust, or inequitable, to insist on legal rights, or to exercise them in a particular way »218. 107. Exemples de motifs ne constituant pas des motifs « justes et équitables ». – Avant de voir les motifs justes et équitables qui peuvent justifier une liquidation, il serait utile d’énumérer certains exemples de motifs qui ne le sont pas selon la jurisprudence. Le fait qu’une compagnie ne distribue pas autant de dividendes que certains actionnaires le souhaiteraient ne constitue pas un motif de liquidation juste et équitable219. Il en est de même des pertes ou d’un manque de liquidités220. Il est par ailleurs bien établi que, lorsqu’il existe un marché, un actionnaire insatisfait doit vendre ses actions plutôt que de demander la liquidation de la compagnie221. Dans le même ordre d’idées, les juges ordonnent plus difficilement la liquidation d’une compagnie active que celle d’une compagnie inactive222. 108. Les motifs principaux pouvant constituer des motifs « justes et équitables ». Selon la jurisprudence et la doctrine, pour qu’un tribunal ordonne une liquidation forcée d’une compagnie, quatre motifs sont principalement acceptés : 1° L'impasse qui paralyse les activités de la compagnie; 2° La perte de confiance dans l'administration de la compagnie, justifiée par des actes frauduleux ou un manque de probité des administrateurs; 3° Le partnership analogy, c'est-à-dire lorsque la compagnie est en réalité assimilable à une société et qu'il existe des motifs suffisants pour dissoudre cette compagnie; 218 Ebrahimi c. Westbourne Galleries Ltd., [1972] 2 All E.R. 492 (H.L.) cité par Baxted c. Warkentin Estate, 2006 MBQB au para 25. 219 Re James Lumbers Co., [1925] O.J. Nº 143 (Ont. S.C.); Re Noden, Hallit & Johnson Ltd., (1924) 26 O.W.N. 269, 330; Nadeau c. Nadeau, [2001] J.Q. No 3808 (C.S.) au para. 41. 220 Voir Touchette c. Touchette Auto location ltée, 2005 QCCA 1194; In Re Winnipeg Saddlery Co. Ltd., (1934) 16 C.B.R. 57 (Man. Q.B.); In Re York Lambton Corporation Limited, [1975] C.S. 695; Nadeau c. Nadeau, [2001] J.Q. No 3808 (C.S.) 221 Voir par exemple Re Hillcrest Housing Ltd., [1998] P.E.I.J. Nº 57 (P.E.I. S.C.). 222 Pour un exemple de refus de liquider une compagnie active, voir par exemple Korogonas c. Andrew, [1992] A.J. Nº252 (Q.B.). Pour un exemple de liquidation d’une holding sans activité, voir Re R.J. Jowsey Minning Co. Ltd., [1969] O.J. Nº 1358. Voir aussi la jurisprudence citée dans Paul Martel, La compagnie au Québec, vol. I, Montréal : Wilson & Lafleur, 2009, n° 34-161 à la p. 34-47. - 35 4° La perte du «substratum» ou de la raison d'être de la compagnie223. Les demandeurs peuvent fonder leur requête sur plusieurs de ces motifs justes et équitables224. a) L’impasse 109. Définition de l’impasse (« deadlock »). - Il y a impasse lorsque les activités de la compagnie sont paralysées en raison de l’incapacité persistante des administrateurs de mener à bien les opérations. La compagnie se trouve dans une situation « in which the general decision-making process within the corporation has broken down and there is no realistic prospect of it being repaired »225. 110. Mesure de dernier ressort et pouvoir discrétionnaire du tribunal. - En présence d’une impasse, le tribunal ne prononce pas systématiquement la liquidation de la compagnie226. En effet, la liquidation d’une compagnie pour le motif d’impasse est vue comme un remède de dernier ressort et doit donc être pleinement justifié par les circonstances. En effet, la Cour d’appel a énoncé que la liquidation judiciaire est « une mesure grave, draconienne et de dernier ressort, sans compter que le requérant doit être sans blâme»227. Il s’agit donc d’une question de fait relevant du pouvoir d’appréciation des juges228. 111. Exemples de situations ne constituant pas une impasse. - Le fait que le conseil d’administration ne puisse prendre de décisions parce qu’il dispose d’un nombre pair d’administrateur ou à la suite d’une vacance ne constitue pas une impasse. En effet, les actionnaires peuvent dans ce cas élire un nouveau conseil229. 223 Alepin c. Huard, J.E. 92-1481 (C.S.); Nadeau c. Nadeau, [2001] J.Q. No 3808 (C.S.). Voir aussi Paul Martel, La compagnie au Québec, vol. I, Montréal : Wilson & Lafleur, 2009, n° 34-102 et 34-103 à la p. 34-27. 224 Voir par exemple Re Toronto Finance Corp., [1930] O.J. Nº 116. 225 Kevin Patrick McGuinness, Canadian Business Corporations Law, 2e éd., Markham, LexisNexis Canada Inc. 2007, au para. 15.60. 226 Paul Martel, La compagnie au Québec, vol. I, Montréal : Wilson & Lafleur, 2009, n° 34-117 à la p. 34-31. 227 Pierre Touchette c. Touchette Auto location ltée, Touchette Automobile limitée et 128972 Canada Inc., EYB 2005-98599 (C.A.) au para. 22. 228 Voir par exemple Blattgerste c. Heringa, 2006 BCSC 565 au para. 80; Korogonas c. Andrew, [1992] A.J. Nº252 (Q.B.). Voir aussi Paul Martel, La compagnie au Québec, vol. I, Montréal : Wilson & Lafleur, 2009 à la p. 34-30 n. 160 pour des exemples de causes dans lesquelles l’impasse a été un motif juste et équitable de liquidation de la compagnie. 229 Paul Martel, La compagnie au Québec, vol. I, Montréal : Wilson & Lafleur, 2009, n° 34-106 à la p. 34-28. - 36 De même, un partage égal des voix à l’assemblée des actionnaires empêchant l’élection d’un nouveau conseil d’administration ne constitue pas à lui seul une impasse. En effet, le blocage peut être résolu par l’émission d’actions votantes supplémentaires par les administrateurs, dans la mesure où cette émission est autorisée par les règlements ou statuts de la compagnie. Le vote prépondérant du président de l’assemblée, lorsque les règlements de la compagnie le permettent, est un moyen de départager les voix des actionnaires, pour l’élection de nouveaux administrateurs ou la ratification de règlements ne nécessitant pas une résolution spéciale des actionnaires230. Toutefois, il a été jugé que le vote prépondérant du président du conseil d’administration ne constitue pas toujours un moyen de mettre fin à un blocage231. Aussi, certaines hypothèses d’impasse ne justifient pas la liquidation et la dissolution de la compagnie comme l’impasse temporaire qui peut être rectifiée par le comportement raisonnable des parties en conflit232. Par exemple, la Cour refusera l’ordonnance lorsque l’impasse est attribuable au requérant233 ou lorsque la dissolution est contraire aux intérêts des actionnaires234. Finalement, dans l’arrêt Touchette, la Cour d’appel a renversé le jugement de première instance et a conclu qu’il n’y avait pas d’impasse235. En effet, malgré un litige entre les actionnaires, les compagnies en question étaient toujours actives et leurs affaires se continuaient normalement236. Ainsi, le tribunal ne pouvait conclure à une situation d’impasse quand la compagnie demeurait opérante et que les affaires se poursuivaient normalement. 112. Exemples de situations constituant une impasse. - L’impasse existe en revanche quand les voix sont partagées à la fois au niveau du conseil d’administration et de l’assemblée des actionnaires et qu’il en résulte une paralysie complète des affaires de la compagnie. Ce sera le cas, lorsque, par exemple, il n’y a plus de quorum au conseil 230 Paul Martel, La compagnie au Québec, vol. I, Montréal : Wilson & Lafleur, 2009, n° 34-107 à la p. 34-28. 231 Voir Frieberg c. Frieberg, [1988] O.J. Nº 50 au para. 28 (Ont. H.C.J.). Voir aussi la jurisprudence citée par Paul Martel, La compagnie au Québec, vol. I, Montréal : Wilson & Lafleur, 2009 à la p. 34-29, n. 153. 232 Voir par exemple pour un refus d’ordonner la liquidation : Re Dewey and O’Heir Co., (1909) 13 O.W.R. 32 (C.A.). 233 Paul Martel, La compagnie au Québec, vol. I, Montréal : Wilson & Lafleur, 2009, n° 34-116 à la p. 34-31; Voir aussi Re Dewey and O’Heir Co., (1909) 13 O.W.R. 32 (C.A.) à la p. 38; Re Toronto Finance Corp., (1930) 3 D.L.R. 882 (Ont. S.C.); Re Michael P. Georgas Investment Ltd., [1972] C.S. 331. 234 Lefebvre c. Lefebvre Frères Ltée, [1962] C.C.S. Nº 289 (C.S. Qué.). 235 Pierre Touchette c. Touchette Auto location ltée, Touchette Automobile limitée et 128972 Canada inc., EYB 2005-98599 (C.A.) 236 Pierre Touchette c. Touchette Auto location ltée, Touchette Automobile limitée et 128972 Canada inc., EYB 2005-98599 (C.A.), au para. 23. - 37 d’administration et que les actionnaires ne parviennent pas à un consensus quant au candidat à élire237. De même, l’impasse peut résulter de l’application des clauses contractuelles ou réglementaires conférant à un actionnaire un droit de veto. Dans l’arrêt Gold c. Rose, la compagnie se trouvait dans une impasse car la convention de vote entre les actionnaires les empêchaient de prendre une décision fondamentale, à savoir celle de choisir le gestionnaire des biens de la compagnie238. Finalement, le tribunal peut prononcer la liquidation lors d’une impasse sur les questions fondamentales sans paralysie des activités courantes. Ce sera le cas d’un conflit perpétuel239, du refus d’investir240, d’une mésentente quant à un actif important de la compagnie241, ou d’une instance qui affecte la relation entre les parties242. 113. Mesures préventives à une situation d’impasse. – Idéalement, les mécanismes pour résoudre des conflits potentiels devraient être prévus dans des conventions entre actionnaires. Ainsi, la convention entre actionnaires peut être un outil de prévention et une source de résolution rapide d’un conflit relié à la gestion de la compagnie. Par exemple, on peut penser à des clauses « shot gun », une clause de vente au plus offrant et la clause de vote concernant l’élection des administrateurs. b) La perte de confiance dans l’administration de la compagnie 114. Définition de la « perte de confiance dans l’administration ». – La perte de confiance dans l’administration peut aussi constitué un motif « juste et équitable » de liquidation forcée d’une compagnie243. Cette perte de confiance doit être attribuable à la mauvaise foi, à une conduite tyrannique, un manque de probité ou à tout comportement injustifié des personnes 237 Paul Martel, La compagnie au Québec, vol. I, Montréal : Wilson & Lafleur, 2009, n° 34-110 à la p. 34-29. 238 Gold c. Rose, 2001 Carswell Ont. 895 (S.C.). Voir aussi Callebaut c. Ingles, 2001 ABQB 981 au para. 38 dans lequel la Cour ordonne la liquidation seulement à défaut de rachat des actions des actionnaires demandeurs par l’actionnaire majoritaire. 239 Re Purvis Fisheries Ltd., (1955) 1 D.L.R. 93 (Man. C.A.). 240 Compagnie de chemins de fer nationaux du Canada c. 2849-2478 Québec inc., J.E. 97-636 (C.S.). 241 Leung c. Ho, 2005 CanLII 34595 aux para. 1, 4 (Ont. S.C.). 242 Ain c. Centre d’Achats Centreville (Longueuil) Inc., J.E. 95-1677 (C.S.); B. Love Ltd. c. Bulk Steel Salvage Ltd., (1982) 18 B.L.R. 97. 243 Voir par exemple Re Cravo Equipment Ltd., [1982] O.J. Nº 318 (H.C.J.). - 38 contrôlant la compagnie244. Elle peut résulter d’un comportement fautif de la part des dirigeants245 ou d’une accumulation de manquements légaux246. Si la perte de confiance n’est pas justifiée, le tribunal n’ordonne pas la liquidation, même si la demande est effectuée par le plus important actionnaire de la compagnie247. Par conséquent, une simple dissension au sein de la compagnie n’est pas suffisante pour justifier la liquidation pour perte de confiance dans l’administration. 115. Mauvaise foi, manque de probité ou conduite malhonnête. - Le demandeur n’a pas besoin d’établir une fraude pour demander la liquidation. Il suffit qu’il démontre au tribunal que la conduite des dirigeants n’est pas compatible avec la nature fiduciaire de leur responsabilité envers la compagnie et les investisseurs248. Dans l’arrêt Re R.J. Jowsey Mining Co., le Juge Laskin indique à cet égard : « The "just and equitable" power of the Court connotes a broad discretion which I do not think is limited to required proof of actual wrongdoing. The formula is not one that can be easily translated into any set of principles; rather, it fixes a standard whose application must always be an anxious matter on particular facts. When is it "just and equitable" for the Court to order a company to be wound up? The remedy is drastic, and hence must be addressed to a serious condition affecting the proper conduct or management of the company's affairs. » 249 Par conséquent, la preuve d’une intention de nuire pourrait suffire à justifier une demande de liquidation pour motif juste et équitable. La jurisprudence sur ce point est 244 Kevin Patrick McGuinness, Canadian Business Corporations Law, 2e éd., Markham, LexisNexis Canada Inc. 2007, au para. 15.64. 245 Re R.C. Young Insurance Ltd., [1955] O.R. Nº 575 (C.A.). Dans cet arrêt, le juge Laidlaw suggère que le pouvoir de la Cour d’ordonner la liquidation devrait être limité aux cas dans lesquels les dirigeants ont commis une véritable faute. Voir aussi : Kevin Patrick McGuinness, Canadian Business Corporations Law, 2e éd., Markham, LexisNexis Canada Inc. 2007, au para. 15.64, n. 150. 246 Voir par exemple Singh c. Moody Shingles Ltd., [1946] B.C.J. Nº 133. 247 Re Hugh-Pam Porcupine Mines Ltd., [1942] O.W.N. 544 (H.C.) 248 Voir Canada Corporations Law Reporter, vol. 1, North York, CCH Canadian Limited, 2003 au titre « Justifiable Lack of Confidence », no. 11.251; Kevin Patrick McGuinness, Canadian Business Corporations Law, 2e éd., Markham, LexisNexis Canada Inc. 2007, au para. 15.57. Contra Paul Martel, La compagnie au Québec, vol. I, Montréal : Wilson & Lafleur, 2009, n° 34-124 à la p. 34-33. 249 Re R.J. Jowsey Mining Co. [1969] O.J. Nº 1358. - 39 néanmoins contradictoire et l'auteur Paul Martel estime que le demandeur doit prouver des actes frauduleux ou un manque de probité de la part des administrateurs250. 116. Manquements aux obligations légales des compagnies. – Des manquements répétés aux obligations légales des compagnies constituent un motif juste et équitable de liquidation. Ainsi, dans l’arrêt In re Delip Singh & Moody Shingles Ltd.251, la Cour a estimé qu’il était juste et raisonnable de liquider une compagnie n’ayant tenu ni assemblée d’actionnaires ni registre pendant dix ans. 117. Conduite malhonnête de l’actionnaire majoritaire. – Constitue également un critère justifiant la perte de confiance « le fait pour la ou les personnes en contrôle de mener les affaires de la compagnie comme si les biens de celle-ci leur appartenaient, au détriment des droits des minoritaires »252. Dans l’arrêt Reznick c. Bilecki, la liquidation a été ordonnée alors que l’actionnaire majoritaire avait disposé des actifs de la compagnie sans en avertir les autres actionnaires253. De même, le tribunal prononcera la liquidation face au risque que des actifs substantiels de la compagnie soient détournés au profit d’un actionnaire majoritaire254. Le comportement de l’actionnaire majoritaire doit être lié à la compagnie elle-même ou au demandeur, et non à un comportement étranger aux affaires de la compagnie255. 118. Autres considérations. - Nous remarquons que la perte de confiance dans l’administration est un motif fluide et difficile à définir vu la nature subjective de l’allégation. Toutefois, la Cour a statué que les éléments suivants peuvent être pris en considération : le fait que le requérant ait les mains propres256, la bonne foi des actionnaires majoritaires,257 une conduite injuste258 ou une conduite qui met en danger les intérêts des actionnaires minoritaires259. 250 Voir Paul Martel, La compagnie au Québec, vol. I, Montréal : Wilson & Lafleur, 2009, n° 34-124 à la p. 34-33. 251 In re Delip Singh & Moody Shingles Ltd. [1947] 1 W.W.R. 480. 252 Paul Martel, La compagnie au Québec, vol. I, Montréal : Wilson & Lafleur, 2009, n° 34-126 à la p. 34-33. 253 Reznick c. Bilecki , [1986] S.J. Nº 120 (C.A.). Voir aussi Re Martello and Sons Ltd., [1945] O.J. Nº 519. 254 Crossgrove c. Crossgrove, [1977] O.J. Nº59 (H.C.J.). 255 Re Hillcrest Housing Ltd., [1989] P.E.I.J. Nº 117 (T.D.). 256 Lutfy c. Lutfy, J.E. 96-902 (C.S.). 257 9022-8818 Québec inc. (Magil Construction Inc.) (Syndic de), 2005 QCCA 275. 258 Rivers c. Denton, (1992) 5 B.L.R. (2d) 212. 259 Landsman c. Abelson, J.E. 92-384 (C.S.). - 40 c) Partnership analogy 119. Définition du « partnership analogy ». - Si la compagnie est en substance un partnership, des circonstances qui auraient justifié la dissolution d’un partnership permettent à un tribunal de prononcer cette liquidation pour un motif juste et équitable260. 120. Facteurs indiquant qu’une compagnie est un « quasi-partnership ». – Pour déterminer si la compagnie s’apparente à un partnership, les tribunaux regardent si la relation entre les actionnaires est similaire à celle qui prévaut entre les associés d’un partnership. Trois facteurs sont principalement pris en compte. D’une part, les juges se demandent si la compagnie a été formée ou continuée sur la base d’une relation personnelle impliquant une confiance mutuelle. Ce critère est souvent établi lorsque la compagnie résulte de l’incorporation d’une activité exercée dans le cadre d’un partnership. Il n’est toutefois pas nécessaire que la relation entre les actionnaires de la compagnie soit commerciale261. De même, les tribunaux pourront considérer qu’une compagnie s’apparente à un partnership lorsqu’il existe, entre les actionnaires, ou certains d’entre eux, une entente prévoyant qu’ils participeront au contrôle de la compagnie ou une restriction au transfert des actions de la compagnie262. 121. Facteurs indiquant qu’une compagnie n’est pas un quasi-partnership. – La cause de Re Hillcrest Housing Ltd. fournit une liste non exhaustive des facteurs démontrant qu’une compagnie n’est pas un quasi-partnership : « (1) a lack of any previous business association between members of the corporation; (2) the company not having existed previously as a partnership; (3) where the shareholders are sophisticated people and know the difference between corporate and partnership structures; 260 Re Yenidje Tobacco Co., [1916] 2 Ch. 426. Voir aussi l’art. 2230 C.c.Q. qui prévoit qu’une société peut être dissoute pour une « cause légitime ». 261 Kevin Patrick McGuinness, Canadian Business Corporations Law, 2e éd., Markham, LexisNexis Canada Inc. 2007, au para. 15.68. 262 Voir Paul Martel, La compagnie au Québec, vol. I, Montréal : Wilson & Lafleur, 2009, n° 34-133 et ss; Kevin Patrick McGuinness, Canadian Business Corporations Law, 2e éd., Markham, LexisNexis Canada Inc. 2007, au para. 15.68. - 41 (4) the lack of a shareholders agreement that might provide evidence of an expression of a partnership; (5) where the petitioner held a minority position from the outset of the company’s business; (6) where the business was set up to be used for tax purposes or for financial protection; (7) where the present owners of the shares are not the original shareholders; (8) where there are many shareholders; (9) situations where there is nothing to show that the persons involved in the company, or the original petitioners, understood that the acquisition of shares would subject them to the law of partnership; (10) where there is an agreement establishing that the corporation was to be treated as a separate entity; (11) situations where there is no equality of control among the principal shareholders of the corporations; (12) situations where there were obvious reasons for the formation of a corporation in contrast to a partnership, i.e. the principals lacked mutual confidence; (13) where the company is in a strong financial position and is thriving. 263 » 122. Éléments justifiant la liquidation d’un « quasi-partnership ». – Une compagnie peut être liquidée sur le fondement du partnership analogy lorsque le tribunal considère qu’elle ne peut pas poursuivre son activité de façon viable. Dans son examen des faits, le tribunal prend en compte une incompatibilité ou une querelle irréconciliable entre les principaux actionnaires ou le fait qu’un ou plusieurs des associés cessent de traiter un actionnaire comme un associé, rompant ainsi le contrat implicite de la compagnie264. L’exclusion d’un actionnaire de son droit à participer à la gestion ou aux profits de la 263 Re Hillcrest Housing Ltd. [1998] P.E.I.J. Nº 57 au para. 67 (P.E.I.S.C.). 264 Voir Suleiman c. Saffuri, 2004 CanLII 11809 au para. 32 (S.C.). - 42 compagnie ou, au contraire le fait qu’il soit empêché de se retirer de la compagnie constituent des éléments justifiant la dissolution265. 123. Portée du partnership analogy. – Certains tribunaux de common law ont estimé que le partnership analogy avait un fondement juridique inexact266. La notion de partnership doit toutefois être comprise dans un sens figuré et non technique, afin de décrire la nature de la relation de confiance et de dépendance entre les actionnaires et leur droit de participer à l’administration de la compagnie267. Par ailleurs, un courant jurisprudentiel estime que le partnership analogy ne justifie pas à lui-seul une ordonnance de liquidation et exige, en plus, la preuve d’une perte de confiance dans l’administration268. 124. Cas des « compagnies familiales ». – Les compagnies familiales, dans lesquelles par exemple les enfants possèdent les actions alors que les parents conservent le contrôle de l’administration, sont également fondées sur une relation personnelle et une dépendance entre les actionnaires. Les tribunaux tiennent compte de ces caractéristiques pour prononcer la liquidation sur le fondement du partnership analogy269. Dans l’arrêt Safarik c. Ocean Fisheries Ltd.270, la Cour d’appel de la Colombie-Britannique a été plus loin en estimant que, dans le contexte d’une compagnie familiale, l’expression « juste et équitable » devait recevoir une appréciation plus libérale271. Bien que la Cour ait finalement ordonné le rachat forcé des actions plutôt que la liquidation272, elle paraît ouvrir la voie à un motif supplémentaire de liquidation juste et équitable. L'auteur Paul Martel estime lui aussi que « la compagnie familiale […] est différente d’un « quasi-partnership » composé d’associés aux pouvoirs et aux attributs sensiblement égaux » et qu’il convient pour les tribunaux de tenir compte de ces particularités avant d’ordonner la liquidation273. 265 Paul Martel, La compagnie au Québec, vol. I, Montréal : Wilson & Lafleur, 2009 n° 34-138 à la p. 34-39. 266 Ebrahimi c. Westbourne Galleries Ltd., [1972] 2 All E.R. 492 (H.L.). 267 Kevin Patrick McGuinness, Canadian Business Corporations Law, 2e éd., Markham, LexisNexis Canada Inc. 2007, au para. 15.66. 268 Paul Martel, La compagnie au Québec, vol. I, Montréal : Wilson & Lafleur, 2009, n° 34-139 à la p. 34-39. 269 Voir par exemple Belman c. Belman, [1995] O.J. Nº 3155 (Ont. Ct. Gen. Div.). 270 Safarik c. Ocean Fisheries Ltd. (1995) 22 B.L.R. (2d) 1. 271 Safarik c. Ocean Fisheries Ltd . (1995) 22 B.L.R. (2d) 1 .au para. 102. 272 Safarik c. Ocean Fisheries Ltd. (1996) 25 B.L.R. (2d) 44 (B.C. C.A.). 273 Paul Martel, La compagnie au Québec, vol. I, Montréal : Wilson & Lafleur, 2009, n° 34-146 à la p. 34-42. - 43 d) Perte de substratum 125. Définition de « perte de substratum ». - La liquidation de la compagnie pour un motif juste et équitable est parfois prononcée lorsque la compagnie perd son substratum, sa raison d’être, c’est-à-dire qu’elle se trouve dans l’impossibilité de poursuivre ses objets ou qu’elle n’exerce plus les activités pour lesquelles elle a été créée. Les tribunaux ont ainsi ordonné la liquidation de compagnies devenues inopérantes274. Une compagnie ne perd néanmoins pas sa raison d’être en raison du défaut temporaire d’exploiter les biens qu’elle détient275. 126. Motif plus rarement invoqué. - Aujourd’hui, ce motif est plus rarement invoqué puisque les compagnies relevant tant de la LCSA ou de la LCQ n’ont plus d’objets définis dans leurs actes constitutifs. Par conséquent, il est possible de s’interroger sur la façon dont les tribunaux vont apprécier si la compagnie poursuit ou non ses objets276. Nous nous demandons si en l’absence d’une convention limitant les activités de la compagnie, s’ils s’appuieront sur l’historique de la compagnie pour déterminer quelles sont ses activités et dans quelle mesure elles sont devenues incompatibles avec les circonstances présentées par le requérant. Dans une cause récente de la Cour supérieure277, le juge fait allusion à la notion de la perte de substratum d’une compagnie qui avait comme objet l’investissement dans des projets immobiliers; mais vu la détérioration des relations entre les parties, il a préféré accorder la liquidation sur la base de « l’impasse ». C. La liquidation forcée au Québec 127. Procédure de liquidation forcée au Québec. – Nous avons analysé ci-haut les divers motifs « juste et équitable » qui pourraient justifier, en vertu de l’article 24 LLQ, une liquidation forcée de la compagnie. Dans la section suivante, nous allons regarder certaines des particularités du régime québécois. 274 Frieberg c. Frieberg, [1988] O.J. Nº 50 (Ont. H.C.J.). Voir aussi la jurisprudence citée par Paul Martel, La compagnie au Québec, vol. I, Montréal : Wilson & Lafleur, 2009, n° 34-119 à la p. 34-32. 275 Paul Martel, La compagnie au Québec, vol. I, Montréal : Wilson & Lafleur, 2009, n° 34-120 à la p. 34-32; In re Jury Gold Mine Development Co. Ltd., [1928] O.J.Nº 162 (Ont. S.C.). 276 Paul Martel, La compagnie au Québec, vol. I, Montréal : Wilson & Lafleur, 2009, no° 34-119 à la p. 3432. 277 Najatco Enterprises Inc. (Syndic de), 2007 QCCS 3549 (CanLII) au para. 38. - 44 a) Conditions 128. Les « mains propres » du requérant. – Puisque la liquidation judiciaire est une ordonnance avec de graves conséquences, la Cour va vouloir s’assurer que l’actionnaire-requérant278 se présente avec les « mains propres ». Comme explique la Cour supérieure : « Il est vrai que la jurisprudence reconnaît que l'on ne doit pas accorder la liquidation à la demande d'un actionnaire qui n'aurait pas "les mains propres" parce qu'il aurait lui même causé ou provoqué certains des problèmes dans les opérations de la compagnie qu'il invoque par la suite pour justifier une demande de liquidation »279. 129. Un dernier recours. – Recours aléatoire, voir draconien280, la doctrine nous enseigne que le tribunal n’accordera pas une ordonnance de liquidation s’il y a d’autres moyens disponibles281. La Cour supérieure dans Combest semble cependant élargir l’application du recours en liquidation: « Par ailleurs, il n'est pas raisonnable de faire porter sur l'actionnaire minoritaire la responsabilité de surveiller les faits et gestes de la haute direction de la compagnie afin de corriger les malversations ou les abus ou de les prévenir »282. Est-ce l’absence d’un recours en oppression dans la Loi sur les compagnies qui a donné lieu à cette décision ? Il semblerait que oui, puisqu’au moment où la décision Combest a été rendue, en 1992, la LCQ ne prévoyait aucun recours en oppression et la jurisprudence n’avait pas encore pallié à cette lacune. Aujourd’hui, un important courant jurisprudentiel fait état de la possibilité d’élaborer un recours en oppression fondé sur les pouvoir de surveillance et de réforme de la Cour prévu à l’article 33 du C.p.c., ainsi que sur les principes de bonne foi et d’abus de droit 278 Art. 24 LLQ. 279 Combest Corp. c. Développements Urbains Candiac Inc., J.E. 92-1626 (C.S.) à la p. 115. Voir aussi Paul Martel, La compagnie au Québec, vol. I, Montréal : Wilson & Lafleur, 2009, n° 34-149 et 34-150 à la p.3443. La Cour d’appel semble être d’accord avec cette conclusion, Développements Urbains Candiac Inc. c. Combest Corp., [1993] R.J.Q. 1321 (C.A.) : « Comme recours de dernier ressort en cas d'oppression ou d'abus de droit, le droit corporatif québécois n'offre que la possibilité de demander la liquidation de la compagnie pour des motifs justes et équitables ». Voir aussi Windheim (Liquidation de), J.E. 20031358 (C.S.) aux para. 75-76 280 Paul Martel, La compagnie au Québec, vol. I, Montréal : Wilson & Lafleur, 2009, n° 31-8 à la p. 31-2. 281 Paul Martel, La compagnie au Québec, vol. I, Montréal : Wilson & Lafleur, 2009, n° 34-151 à la p. 34-44. 282 Combest Corp. c. Développements Urbains Candiac Inc., J.E. 92-1626 (C.S.) à la p. 114. - 45 stipulés aux articles 6, 7, 317 et 1375 du C.c.Q.283. En effet, dans l’arrêt Desjardins c. Desjardins le juge Gascon est intervenu dans un cas d’oppression survenu dans une compagnie familiale québécoise, forçant ainsi le rachat des actions de l’actionnaire majoritaire, et en ordonnant sa destitution en tant qu’administrateur284. Notons aussi que la réforme de la LCQ inclut d’ailleurs un recours en oppression285. Donc, la liquidation judicaire reste néanmoins un moyen de dernier recours, qui sera seulement considéré par le tribunal lorsque tous les autres droits et recours seront épuisés. 130. La Cour se base sur les faits. – L’ordonnance de liquidation d’une compagnie, nous explique la Cour d’appel, est à la « la discrétion du tribunal et dépend des faits et des circonstances de chaque cas »286. Plus loin, la juge Rousseau-Houle explique que ce n’est qu’après une évaluation de tous les faits pertinents et les intérêts de chaque partie, que la Cour peut procéder à sa décision d’accorder la demande pour l’ordonnance de liquidation : « Pour déterminer s'il y a un préjudice à réparer, le Tribunal doit s'efforcer de respecter un équilibre entre d'une part la protection des intérêts du plaignant et de l'autre, la liberté d'action des dirigeants de la compagnie et la latitude qu'ils ont de poser dans son intérêt des gestes qui affectent le plaignant ou qui ne tiennent pas compte de ses intérêts. Le point de vue de la majorité doit être considéré de même que l'historique, la nature et la structure de la compagnie. Enfin, le comportement du plaignant doit être pris en considération. Si l'équité demande que pèse dans la balance les attentes sous-jacentes du plaignant, ce dernier ne doit pas être l'unique responsable du conflit ou du problème qu'il dénonce »287. 283 Voir : Martineau, Provencher & Associés ltée c. Grace, [2001] R.J.Q. 2414; Laurent c. Buanderie Villeray ltée, REJB 2001-28096; et plus récemment : 9022-8818 Québec inc. (Magil Construction) (Syndic de), 2005 QCCA 275. Toutes ces décisions sont intérimaires en nature. 284 Desjardins c. Desjardins (Succession de), 2008 QCCS 4577 (C.S.). Il serait utile de noter qu’il s’agit de la première décision au fond portant sur un «recours en oppression» au Québec. 285 Québec (Province), Ministre des Finances, Réforme : Loi sur les Compagnies : Document de Consultation, Québec, 2007, en ligne : Bibliothèque de l'Assemblée nationale <http://www.bibliotheque.assnat.qc.ca/01/mono/2008/01/958537.pdf>. 286 Combest Corp. c. Développements Urbains Candiac Inc., J.E. 92-1626 (C.S.). Voir aussi Windheim (Liquidation de), J.E. 2003-1358 (C.S.) au para. 71. 287 Combest Corp. c. Développements Urbains Candiac Inc., J.E. 92-1626 (C.S.) - 46 Essentiellement, c’est l’évaluation de la Cour de la justice et l’équité de la demande qui règne288. Si la liquidation n’est pas juste pour tous les actionnaires, la Cour peut refuser la demande289. b) Procédures 131. Procédure pour obtenir une ordonnance de liquidation de la Cour. – Pour que la Cour ordonne la liquidation judicaire d’une compagnie selon l’article 24 LLQ, il faut une requête provenant d’un actionnaire de la compagnie290, que la requête en liquidation soit pour une raison autre que l’insolvabilité ou la faillite et que la Cour trouve un fondement « juste et équitable » pour procéder291. Un avis de cette ordonnance doit être transmis au registraire des entreprises qui le dépose au registre292. 132. Effets de l’ordonnance. – L’ordonnance de la Cour a les mêmes effets que ceux prévus par la résolution des actionnaires sous l’article 3 LLQ293. Ainsi, la compagnie sera dissoute après la liquidation forcée et la compagnie n’existera que pour liquider ses affaires. 133. Pouvoirs de la Cour. – La Cour nomme un ou plusieurs liquidateurs294, peut les démettre pour « quelque cause que ce soit »295 et peut « donner tout ordre et autoriser toute procédure » pour s’assurer que la liquidation sera faite d’une manière diligente et pour protéger les droits des tiers296. Un juge de la Cour supérieure peut aussi mettre fin à toute procédure devant le tribunal, à la demande d’un des intéressés énoncés à l’article 26 LLQ (la compagnie, les liquidateurs, les créanciers, les actionnaires, les contributeurs). Ce pouvoir discrétionnaire de la Cour ne peut être exercé avant l’ordonnance de la liquidation. 288 Paul Martel, La compagnie au Québec, vol. I, Montréal : Wilson & Lafleur, 2009, n° 34-156 à 34-161 aux pp. 34-45 et 34-47. 289 Re Cucci’s Restaurant, (1985) 29 B.L.R. 196; Re Western Quebec Investment Ltd., [1982] C.S. 331; Morton c. Asper, (1989) 62 Man. R. (2d) 1 (Q.B.). 290 Archambault c. Archambault, J.E. 2000-2007 (C.S.). 291 Art. 24 LLQ. Les motifs « justes et équitables » ont déjà été discutés et peuvent inclure l’impasse, la perte de confiance dans l’administration, le partnership analogy et la perte de substratum. 292 Art. 25.1 LLQ. 293 Art. 25, al. 1 LLQ. 294 Art. 25, al. 2 LLQ. 295 Art. 25, al. 3 LLQ. 296 Art. 25, al. 4 LLQ. - 47 134. Exercer le pouvoir d’une manière restreinte. – Vu la conséquence sévère d’une liquidation forcée d’une compagnie, cette « mesure drastique » oblige la Cour d’exercer ce pouvoir d’une manière restreinte297. 135. Les procédures de la liquidation volontaire sont applicables. – L’article 31 LLQ énonce que les procédures prévues aux articles 4 à 23 LLQ sont applicables à liquidation judiciaire dans la mesure où ces dispositions sont compatibles. Comme nous nous trouvons dans le contexte d’une liquidation forcée, l’approbation des actionnaires de l’état du liquidateur prévu à l’article 16 LLQ n’est pas nécessaire (c’est fort probable qu’un actionnaire qui voit les biens de sa compagnie être liquidés sous une ordonnance de la Cour ne sera pas en mesure d’approuver l’état du liquidateur). C’est l’approbation de la Cour qui remplace celles des actionnaires298. 136. D’autres demandes peuvent être jointes à la requête. – Le dernier alinéa de l’article 25 LLQ permet à la Cour d’accorder d’autres demandes qui sont jointes à la requête en liquidation judiciaire. Par exemple, peut être joint une demande de dommages-intérêts299, une demande d’annulation d’une émission d’actions300, une ordonnance d’émission de valeurs mobilières301, des amendements302, l’annulation d’un contrat de vente303, et même la nomination d’un séquestre304. Finalement, la Cour peut toujours ordonner, sous les auspices de l’alinéa 4 de l’article 25 LLQ, de distribuer des sommes305, ou bien de suspendre l’effet d’une ordonnance de liquidation dans le but de donner une chance aux actionnaires de remédier le problème306. 297 298 Alepin c. Huard, J.E. 92-1481 (C.S.) à la p. 7. Paul Martel, La compagnie au Québec, vol. I, Montréal : Wilson & Lafleur, 2009, n° 34-149 à la p. 34-43. Art. 30 LLQ. 299 Maysenhoelder c. Maysenhoelder, J.E. 96-1383 (C.A.). 300 Maysenhoelder c. Maysenhoelder, J.E. 96-1383 (C.A.). 301 Biermann c. Smache, 2002 CanLII 13227 (QC C.S.). 302 Miron c. Procréa Biosciences inc., J.E. 2004-989 (C.S.). 303 Développement Terriglobe inc. c. Gestion GB-7 inc., J.E. 2005-1796 (C.A.). 304 Petel c. Bitton, 2002BE-258 (C.S.). Voir aussi, Paul Martel, La compagnie au Québec, vol. I, Montréal : Wilson & Lafleur, 2009, n° 34-164 à la p. 34-49. 305 Re Fopex Discount Limited, (1978) 25 C.B.R.n.s. 180. 306 Gestion GB-7 inc. c. Pitre, J.E. 2005-843 (C.S.), confirmé J.E. 2005-1796 (C.A.); Développement Terriglobe inc. c. Gestion GB-7 inc. - 48 137. Ordonnance nonobstant appel. - Se basant sur la jurisprudence307, la doctrine nous enseigne que la Cour doit éviter d’ordonner la liquidation d’une compagnie « nonobstant appel»308. Cependant, elle reconnait que l’ordonnance nonobstant appel est toujours possible dans certains cas exceptionnels309. 138. L’appel de l’ordonnance de liquidation. – Le premier alinéa de l’article 32 LLQ précise que l’appel du jugement ordonnant la liquidation se fait à la Cour d'appel, selon la procédure ordinaire. Cet appel est entendu par privilège, d'une manière sommaire, conformément à l'article 511 C.p.c.310. Ce qui veut dire, selon le juge Chamberland de la Cour d’appel : « Il y a donc appel à la Cour d'appel «selon la procédure ordinaire», c'est-à-dire par le dépôt au greffe du tribunal de première instance, dans les 30 jours de la date du jugement, d'une inscription en appel; l'ordonnance de liquidation est sujette à un appel de plano. L'appel procède «d'une manière sommaire», conformément au troisième paragraphe de l'article 511 C.p.c., en ce sens que l'appelant doit produire et signifier son mémoire, sauf extension de délai, dans les 15 jours du dépôt de l'inscription en appel alors que l'intimé n'est pas tenu d'en produire un. Finalement, l'appel d'une ordonnance de liquidation est entendu «par privilège» en ce que le greffier de la Cour, à moins que le juge en chef n'en décide autrement, porte le pourvoi au rôle à la première session qui suit la production du mémoire de l'appelant, selon le quatrième paragraphe de l'article 511 et selon la règle 23 des Règles de procédure de la Cour d'appel en matière civile »311. Le liquidateur est tenu de transmettre un avis que l’ordonnance a été portée en appel au registraire des entreprises, qui le dépose au registre312. La décision de la Cour d’appel est définitive313. Finalement, cette décision doit être transmise, par le liquidateur ou la compagnie, au registraire des entreprises qui dépose un avis au registre314. 307 Entreprises A.M.J. Inc. c. Rochon Demers, C.A.M. no 500-09-000147827; Tsuru c. Montpetit, [1989] R.J.Q. 2452 (C.S.), à la p. 2484; Lutfy Ltd. c. Lutfy, [1996] R.D.J. 320 (C.A.). 308 Paul Martel, La compagnie au Québec, vol. I, Montréal : Wilson & Lafleur, 2009, n° 34-166 à la p. 34-49. 309 Dans Combest Corp. c. Développements Urbains Candiac Inc., J.E. 92-1626 (C.S.), Madame la juge LeBel a ordonné l’exécution provisoire nonobstant appel (à la page 117 du jugement) parce que « cette affaire a trainé en longueur ». 310 Pour une discussion de l’appel, voir Paul Martel, La compagnie au Québec, vol. I, Montréal : Wilson & Lafleur, 2009, n° 34-168 à la p. 34-50. 311 Lutfy Ltd. c. Lutfy, [1996] R.D.J. 320, 1996 CanLII 6385 (C.A.). 312 Art. 32, al. 2 LLQ. 313 Art. 32, al. 3 LLQ. 314 Art. 32.1 LLQ. - 49 Si la Cour rejette une requête d’une ordonnance de liquidation, aucun appel n’est possible315. D. La liquidation forcée sous le régime fédéral 139. Particularités du régime fédéral. – Nous avons déjà analysé la liquidation pour un motif « juste et équitable » prévu à l’article 214 (1)(b)(ii) LCSA. Dans la section suivante, nous regardons plus spécifiquement les particularités du régime fédéral dans le cadre d’une liquidation forcée. 140. Dispositions applicables. – La procédure de la liquidation judiciaire d’une compagnie fédérale est régie par les articles 214 à 228 LCSA. 141. Demande d’un actionnaire. - L’article 214 LCSA permet aux actionnaires de demander à un tribunal qu’une compagnie ou une de ses filiales soient liquidée et dissoute. Cette demande ne peut pas être présentée par le Directeur ou par un créancier ou un dirigeant de la compagnie, s’il n’est pas également un actionnaire. En revanche, un actionnaire qui a exercé son droit de dissidence ne peut présenter une demande en vertu de l’article 214 LCSA. Dans l’affaire Alberta Treasury Branches c. SevenWay Capital Corp.316, la Cour d’Appel de l’Alberta a décidé qu’en vertu des dispositions relatives au droit de dissidence des actionnaires, « l’actionnaire dissident perd tous ses droits sauf celui de se faire rembourser la juste valeur de ses actions »317. Le droit de dissidence est un « remedy for a shareholder who disagrees with major change proposed by the corporation (such as certain alterations of the articles of association, the sale of substantially all its property, an amalgamation or a continuation). His remedy is to have his shares valued and purchased. […] Were it otherwise, the dissenting shareholder could thwart the will of a majority of the shareholders who have supported a proposed change »318. 315 Pinsky c. Shopeze (1965) inc. et al. (1967) B.R. 456 et Slyomovics c. Gallard Realty Co. et al. (1967) B.R. 578, cité dans Labranche c. Gérard Labranche & Fils Inc., J.E. 90-784 (C.A.); Voir aussi Paul Martel, La compagnie au Québec, vol. I, Montréal : Wilson & Lafleur, 2009, n° 34-168 à la p. 34-50. 316 Alberta Treasury Branches c. SevenWay Capital Corp., 2000 ABCA 194 (C.A. d’Alberta). 317 Art. 190(11) LCSA Alberta Treasury Branches c. SevenWay Capital Corp., 2000 ABCA 194 au para. 25. Cette décision est rendue en vertu des dispositions de l’Alberta Business Corporations Act R.S.A. 2000, c. B-9 dont les dispositions sont comparables à la LCSA. Comparons les articles 190 LCSA et art. 191 ABCA pour le droit de dissidence des actionnaires et les articles 214 LCSA et 215 ABCA pour le droit d’un actionnaire à demander la dissolution. 318 Alberta Treasury Branches c. SevenWay Capital Corp., 2000 ABCA 194 au para. 26. - 50 De même, lorsqu’il existe un litige quant à la qualité d’un actionnaire, ce litige doit être résolu pour que l’actionnaire puisse demander la liquidation de la compagnie en vertu de l’article 214 LCSA319. En Ontario, la demande de liquidation peut être effectuée non seulement par un actionnaire mais également par la compagnie elle-même320. La demande de la compagnie doit être préalablement autorisée par le Conseil d’administration321. 142. Tribunal compétent. - Le tribunal compétent ratione loci pour entendre une requête en liquidation d’une compagnie est « le tribunal compétent du ressort du siège social de la compagnie »322. Par conséquent, les règles du Code de procédure civile, par ailleurs essentiellement supplétives, ne peuvent être substituées aux dispositions claires de la LCSA323. 143. Motifs de liquidation propre à la LCSA. – Nous avons déjà vu les quatre principaux motifs de liquidation judicaire qui découle du caractère « juste et équitable » de cette mesure et qui s’applique tant au niveau fédéral que provincial324. Par contre, l’article 214(1) LCSA prévoit en apparence quatre autres motifs pour lesquels un tribunal peut ordonner la liquidation de la compagnie ou de toute autre compagnie de son groupe. Comme nous le verrons, la plupart de ces motifs recoupent les motifs déjà analysés : «214. (1) (…) a) il constate qu’elle abuse des droits de tout détenteur de valeurs mobilières, créancier, administrateur ou dirigeant, ou se montre injuste à leur égard en leur portant préjudice ou en ne tenant pas compte de leurs intérêts : (i) soit en raison de son comportement, (ii) soit par la façon dont elle conduit ou a conduit ses activités commerciales ou ses affaires internes, 319 827365 Alberta Ltd. c. Alco Gas & Oil Production Equipment Ltd., 2001 Carswell Alta. 471 (Q.B.) rendu également sur le fondement de l’Alberta Business Corporations Act. 320 Art. 207 et 208 Ontario Business Corporations Act, R.S.O. 1990, c. B.16. 321 Wedtech Inc. c. Wedco Technology Inc., (1997) 32 B.L.R. (2d) 145 aux para. 8,9 et 14 (Ont. Gen. Div.). 322 Art. 207 LCSA. 323 Gestion Elico Inc. c. Gestion Maurice Legault Inc., J.E. 95-2245 (C.S. Qué.) 324 Art. 214 (1)(b)(ii) LCSA. - 51 (iii) soit par la façon dont ses administrateurs exercent ou ont exercé leurs pouvoirs; b) il constate : (i) soit la survenance d’un événement qui, selon une convention unanime des actionnaires permet à l’actionnaire mécontent d’exiger la dissolution.» 144. Recoupement avec les motifs « justes et équitables » de liquidation. – Tel que déjà mentionné, les motifs justes et équitables prévus à 214(1)(b)(ii) LCSA incluent l’impasse, la perte du substratum, la perte de confiance dans l’administration, et la partnership analogy. Dans le contexte fédéral, ces deux derniers motifs se superposent avec celui prévu par l’alinéa (1)(a) de l’article 214 LCSA qui permet la liquidation pour des actes ou comportements injustes ou abusifs envers les droits et les intérêts des actionnaires, créanciers, administrateurs ou dirigeants. Ainsi, le seul motif qui ne semble pas relié au motif du caractère juste et équitable est celui prévu à l’alinéa (1)(b)(i) de l’article 214 LCSA, soit lorsqu’une convention unanime des actionnaires permet la dissolution de la compagnie après la survenance d’un événement. 145. Principes d’équité et « mains propres ». - Dans les juridictions de common law, il est bien établi que l’application des motifs justes et équitables de liquidation est soumise aux règles de l’equity. Le tribunal s’assure d’abord que le demandeur s’adresse au tribunal avec les « mains propres », c’est-à-dire qu’il n’est pas à l’origine du motif invoqué325. Il peut néanmoins prononcer la liquidation lorsque les deux parties ont eu un comportement inapproprié et qu’il n’est pas en mesure de déterminer qui est à l’origine du motif de dissolution326. 146. Interrelation entre l’action en oppression et l’action en liquidation de l’article 214(1) LCSA. – Les motifs justifiant un recours en oppression selon l’article 241(2) LCSA sont formulés en des termes identiques à ceux de l’article 214(1)(a). L’analyse de la jurisprudence démontre que ces dispositions doivent être lues ensemble. Elles confèrent aux tribunaux « almost unlimited powers to correct all sort of abuses and injustices committed during the course of the operations of federal companies, or by the conduct of its directors »327. 325 Kevin Patrick McGuinness, Canadian Business Corporations Law, 2e éd., Markham, LexisNexis Canada Inc. 2007, au para. 15.57; Baxted c. Warkentin Estate, 2006 MBQB 214 au para. 24. 326 Suleiman c. Saffuri, 2004 CanLII 11809 (Ont. S.C.). 327 Banque Nationale du Canada v. Titley, 2004 CanLII 42685 au para. 39 (C.S. Qué.). - 52 Comment articuler l’action en oppression et l’action en liquidation? D’après la Cour d’appel de l’Alberta, la voie de droit appropriée en cas d’oppression n’est pas nécessairement la liquidation. L’article 241 LCSA doit être lu avec l’article 214(1) LCSA comme conférant au tribunal de larges pouvoirs, notamment celui de prononcer la liquidation de la compagnie328. La liquidation reste une solution de dernier recours et un juge saisi d’une demande de liquidation pour des actes ou comportements injustes ou abusifs envers les droits et les intérêts des actionnaires, créanciers, administrateurs ou dirigeants n’est donc pas tenu de l’ordonner. Il peut par exemple décider qu’il est préférable d’ordonner le rachat des actions ou toute autre mesure provisoire ou définitive329. Les articles 214(1) LCSA et 241(2) LCSA ne sont toutefois pas interchangeables330. Bien que le tribunal puisse rendre des ordonnances semblables, seuls les actionnaires ont compétence pour agir pour la liquidation et la dissolution alors que le recours de l’article 241 LCSA est ouvert à « tout plaignant ». L’actionnaire qui agit sur le fondement de l’article 214 LCSA dispose de motifs plus larges mais doit satisfaire aux règles d’équité et notamment se présenter à la Cour avec les « mains propres »331. 147. Ordonnance de liquidation. – La liquidation commence dès que le tribunal rend une ordonnance à cet effet332. Les effets de l’ordonnance de liquidation sont similaires à la liquidation volontaire. Par exemple, le tribunal peut notamment nommer un liquidateur 333 dont les pouvoirs et les obligations sont fixés par la LCSA334. 148. La liquidation mène à la dissolution. – Une fois la liquidation terminée, le tribunal, par ordonnance, demande au Directeur de délivrer un certificat de 328 Voir Cie des chemins de fer nationaux du Canada c. 2849-2478 Québec inc, [1997] J.Q. Nº619; Wesfair Foods Ltd. c. Watt, 1991 CanLII 2697 (AB C.A.). 329 Voir par exemple pour une évaluation des actions du demandeur et leur rachat par la compagnie Wittlin c. Bergman, 1995 CanLII 790 (Ont. C.A.). Voir aussi pour une ordonnance de la vente des actions au demandeur Belman v. Belman, [1995] O.J. Nº 3155 (Ont. Ct. Gen. Div.). Voir aussi la jurisprudence citée par Paul Martel, La compagnie au Québec, vol. I, Montréal : Wilson & Lafleur, 2009, n° 34-209-210 aux pp. 34-62 et 34-63. 330 Voir Burnett c. Tsang, [1985] A.J. Nº 604 (Alta. Q.B.) où la Cour a bien distingué les deux causes d’action. 331 Voir Paul Martel, « Recours pour oppression et convention entre actionnaires : l’arrêt McNeil c. Joly » (1988), 48 R. du B. 375, 380. 332 Art. 218 LCSA 333 Art. 220 LCSA. 334 Art. 221 et 222 LCSA. - 53 dissolution335. dissolution336. La compagnie cesse d’exister à la date figurant sur le certificat de 149. Publicité légale. – Les compagnies fédérales qui exploitent une entreprise au Québec sont soumises aux exigences de publicité prévues par la Loi sur la publicité légale. Elles doivent donc déposer une déclaration modificative au moment de la liquidation et une déclaration de radiation lors de la dissolution337. 335 Art. 223(5)(a) LCSA. 336 Art. 223(8) LCSA. 337 Art. 37, 41, 43, 47, 59, 105, 107 et 108 LPL. - 54 – TABLEAU COMPARATIF QUÉBEC FÉDÉRAL DISSOLUTION VOLONTAIRE 28 LCQ 210 LCSA DISSOLUTION FORCÉE a) Dissolution à la demande d’un tiers : a) Dissolution par le tribunal : 123.144 LCQ 213 LCSA b) Dissolution administrative : b) Dissolution par le Directeur : 29, 38, 50 LPL 212 LCSA c) Révocation de la radiation d’office : c) Reconstitution d’une compagnie dissoute : selon 50 LPL : 54-57 LPL 209 LCSA LIQUIDATION VOLONTAIRE LLC 211 LCSA LIQUIDATION FORCÉE 25 LCQ 214 LCSA TABLE DES MATIÈRES I. LA DISSOLUTION ET LA LIQUIDATION DES COMPAGNIES : INTRODUCTION ........................................................................................................ 1 A. Principes généraux et définitions.................................................................. 1 1. La dissolution .................................................................................. 1 2. La liquidation .................................................................................. 1 3. Distinction entre les concepts de « dissolution » et « liquidation » ................................................................................. 1 B. Législation applicable .................................................................................... 1 4. Régime législatif ............................................................................. 1 5. L’insolvabilité d’une compagnie .................................................... 2 C. Plan.................................................................................................................. 3 6. Structure du texte ............................................................................ 3 II. LA DISSOLUTION VOLONTAIRE ......................................................................... 3 A. La dissolution volontaire au Québec ............................................................ 3 7. Quatre conditions à la demande de dissolution............................... 3 8. L’acte de dissolution ....................................................................... 4 9. La procédure n’est pas déterminée.................................................. 4 10. Les actionnaires doivent approuver la dissolution .......................... 5 11. La preuve nécessaire pour démontrer la conformité avec les conditions de 28 LCQ ..................................................................... 5 12. La dissolution n’efface pas les dettes et les administrateurs en sont responsables........................................................................ 5 13. Responsabilité personnelle des actionnaires ................................... 6 14. L’opposabilité de la dissolution volontaire ..................................... 6 15. Limitation de responsabilité des administrateurs dans le cas d’une filiale à part entière ............................................................... 6 16. Élection des administrateurs ........................................................... 6 B. La dissolution volontaire sous le régime fédéral ......................................... 7 a) Les motifs et la procédure de dissolution 17. Motifs d’une dissolution volontaire et régime d’adoption.............. 7 18. Procédure : clauses de dissolution................................................... 8 19. Procédure : certificat de dissolution................................................ 8 b) Les effets de la dissolution sur les poursuites contre/par la compagnie 20. Fin de la personnalité morale de la compagnie............................... 8 21. Poursuite des procédures intentées avant la dissolution ................. 8 22. Poursuite des procédures intentées après la dissolution.................. 9 23. Droit des tiers à poursuivre la compagnie dans les deux ans de sa dissolution .............................................................................. 9 24. Action en recouvrement contre les actionnaires de la compagnie dissoute ......................................................................... 9 25. Conservation des livres et documents financiers .......................... 10 26. Répartition des biens ..................................................................... 10 -i- TABLE DES MATIÈRES (suite) III. LA DISSOLUTION FORCÉE .................................................................................. 10 A. La dissolution forcée au Québec................................................................. 10 27. Principes généraux ........................................................................ 10 a) À la demande d’un tiers 28. Disposition législative pertinente.................................................. 11 29. Motifs de dissolution forcée.......................................................... 11 30. Le registraire des entreprises......................................................... 11 31. La date de la dissolution forcée..................................................... 11 32. Différence entre « irrégularité » et « illégalité » ........................... 11 b) La dissolution administrative ou d’office 33. La radiation d’office...................................................................... 12 34. Omission de déclaration annuelle ................................................. 12 35. La procédure de radiation.............................................................. 12 36. Omission de déposer une déclaration modificative ...................... 12 37. La radiation emporte la dissolution............................................... 12 38. Les effets de la radiation d’office.................................................. 12 39. Exceptions à l’absence de responsabilité des administrateurs ...... 13 c) Révocation de la radiation d’office 40. Révoquer la radiation .................................................................... 13 41. Effets de la révocation................................................................... 13 42. Effets de la révocation sur les biens.............................................. 14 43. Les effets rétroactifs de la révocation sur le droit d’ester en justice ............................................................................................ 14 44. Inexistence d’un régime « général » de reconstitution de la compagnie au Québec ................................................................... 15 B. La dissolution forcée sous le régime fédéral .............................................. 15 45. Principes généraux ........................................................................ 15 a) Dissolution forcée par le Directeur 46. Motifs de dissolution..................................................................... 15 47. Publication .................................................................................... 16 b) Dissolution forcée par le tribunal 48. Notion de personne intéressée....................................................... 16 49. Motifs de dissolution..................................................................... 17 50. Avis au Directeur .......................................................................... 17 51. Ordonnance de dissolution............................................................ 17 52. Certificat de dissolution ................................................................ 17 53. Effets de la dissolution forcée ....................................................... 17 c) Reconstitution d’une compagnie dissoute 54. Personnes fondées à demander la reconstitution de la compagnie ..................................................................................... 18 55. Absence de limitation de temps .................................................... 18 56. Compagnies insolvables................................................................ 18 57. Statuts de la compagnie reconstituée ............................................ 19 58. Administrateurs ............................................................................. 19 -ii- TABLE DES MATIÈRES (suite) 59. 60. 61. 62. 63. 64. 65. 66. IV. Rapports annuels ........................................................................... 19 Certificat de reconstitution............................................................ 19 Pouvoir discrétionnaire du Directeur ............................................ 20 Effets de la reconstitution ............................................................. 20 Effet rétroactif de la reconstitution ............................................... 20 Notification aux actionnaires ........................................................ 21 Restitution des biens de la compagnie reconstituée...................... 21 Publicité légale .............................................................................. 22 LA LIQUIDATION VOLONTAIRE ....................................................................... 22 A. La liquidation volontaire au Québec.......................................................... 22 67. Dispositions applicables................................................................ 22 68. Les administrateurs convoquent une assemblée des actionnaires ................................................................................... 22 69. L’avis de l’assemblée générale ..................................................... 22 70. La résolution des actionnaires....................................................... 22 71. Avis de la résolution ..................................................................... 23 72. La compagnie n’existe que pour se liquider ................................. 23 73. La nomination des liquidateurs ..................................................... 23 74. La rémunération des liquidateurs .................................................. 24 75. Les pouvoirs des liquidateurs........................................................ 24 76. Paiement des dettes en premier ..................................................... 24 77. Certaines obligations du liquidateur.............................................. 25 78. À qui doit se rapporter le liquidateur?........................................... 25 79. Le liquidateur est un officier de la Cour ....................................... 25 80. La liquidation d’une longue durée ................................................ 26 81. La fin de la liquidation .................................................................. 26 82. Avis de dissolution........................................................................ 26 83. Remise des sommes non réclamées .............................................. 26 84. Conserver les livres de la compagnie............................................ 26 85. L’arrêt de la liquidation................................................................. 27 86. Cessation des pouvoirs du liquidateur........................................... 27 B. La liquidation volontaire sous le régime fédéral....................................... 27 87. Disposition applicable................................................................... 27 88. Proposition de liquidation et de dissolution volontaire................. 28 89. Avis de convocation de l’assemblée ............................................. 28 90. Résolution spéciale des actionnaires............................................. 28 91. Déclaration et certificat d’intention de dissolution ....................... 28 92. Certificat d’intention de dissolution.............................................. 28 93. Effets du certificat d’intention de dissolution ............................... 28 94. Révocation du certificat d’intention de dissolution ...................... 29 95. Formalités de publicité.................................................................. 29 96. Liquidation .................................................................................... 29 97. Surveillance judiciaire................................................................... 29 -iii- TABLE DES MATIÈRES (suite) 98. 99. 100. 101. 102. 103. V. Nomination d’un liquidateur ......................................................... 30 Pouvoirs du liquidateur ................................................................. 30 Obligations du liquidateur............................................................. 31 Comptes définitifs et répartition des biens.................................... 31 Effets de la dissolution.................................................................. 32 Distinction entre la liquidation volontaire de l’article 211 LCSA et le mode de distribution des biens et de dissolution volontaire de l’article 210(3) LCSA ............................................. 32 LA LIQUIDATION FORCÉE OU JUDICIAIRE .................................................. 33 A. Un motif similaire au niveau fédéral et provincial ................................... 33 104. La base législative ......................................................................... 33 105. Concordance : la justice et l’équité ............................................... 33 B. Les motifs justes et équitables..................................................................... 33 106. Pouvoirs des tribunaux.................................................................. 33 107. Exemples de motifs ne constituant pas des motifs « justes et équitables » ................................................................................... 34 108. Les motifs principaux pouvant constituer des motifs « justes et équitables »................................................................................ 34 a) L’impasse 109. Définition de l’impasse (« deadlock ») ......................................... 35 110. Mesure de dernier ressort et pouvoir discrétionnaire du tribunal .......................................................................................... 35 111. Exemples de situations ne constituant pas une impasse................ 35 112. Exemples de situations constituant une impasse........................... 36 113. Mesures préventives à une situation d’impasse ............................ 37 b) La perte de confiance dans l’administration de la compagnie 114. Définition de la « perte de confiance dans l’administration » ...... 37 115. Mauvaise foi, manque de probité ou conduite malhonnête........... 38 116. Manquements aux obligations légales des compagnies ................ 39 117. Conduite malhonnête de l’actionnaire majoritaire........................ 39 118. Autres considérations .................................................................... 39 c) Partnership analogy 119. Définition du « partnership analogy »........................................... 40 120. Facteurs indiquant qu’une compagnie est un « quasipartnership ».................................................................................. 40 121. Facteurs indiquant qu’une compagnie n’est pas un quasipartnership..................................................................................... 40 122. Éléments justifiant la liquidation d’un « quasi-partnership » ....... 41 123. Portée du partnership analogy....................................................... 42 124. Cas des « compagnies familiales »................................................ 42 d) Perte de substratum 125. Définition de « perte de substratum » ........................................... 43 126. Motif plus rarement invoqué......................................................... 43 -iv- TABLE DES MATIÈRES (suite) C. D. La liquidation forcée au Québec................................................................. 43 127. Procédure de liquidation forcée au Québec .................................. 43 a) Conditions 128. Les « mains propres » du requérant .............................................. 44 129. Un dernier recours......................................................................... 44 130. La Cour se base sur les faits.......................................................... 45 b) Procédures 131. Procédure pour obtenir une ordonnance de liquidation de la Cour............................................................................................... 46 132. Effets de l’ordonnance .................................................................. 46 133. Pouvoirs de la Cour....................................................................... 46 134. Exercer le pouvoir d’une manière restreinte ................................. 47 135. Les procédures de la liquidation volontaire sont applicables........ 47 136. D’autres demandes peuvent être jointes à la requête .................... 47 137. Ordonnance nonobstant appel ....................................................... 48 138. L’appel de l’ordonnance de liquidation ........................................ 48 La liquidation forcée sous le régime fédéral.............................................. 49 139. Particularités du régime fédéral .................................................... 49 140. Dispositions applicables................................................................ 49 141. Demande d’un actionnaire ............................................................ 49 142. Tribunal compétent ....................................................................... 50 143. Motifs de liquidation propre à la LCSA........................................ 50 144. Recoupement avec les motifs « justes et équitables » de liquidation ..................................................................................... 51 145. Principes d’équité et « mains propres » ........................................ 51 146. Interrelation entre l’action en oppression et l’action en liquidation de l’article 214(1) LCSA ............................................ 51 147. Ordonnance de liquidation ............................................................ 52 148. La liquidation mène à la dissolution ............................................. 52 149. Publicité légale .............................................................................. 53 TABLEAU COMPARATIF …………………………………………………………………………54 -v-