Les administrateurs du Cref pouvaient loger à l

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Les administrateurs du Cref pouvaient loger à l
Les administrateurs du Cref pouvaient loger à l’ombre ou rue de
Solferino
L’audience du 5 décembre 2013 devant la 5ème chambre correctionnelle de la Cour
d’appel de Paris est consacrée à l’examen des avantages en nature que
s’accordaient les administrateurs permanents du Cref. Ils bénéficiaient de
remboursements en indemnités de frais de séjour, en plus d’un logement gratuit
fourni par la mutuelle. (Tous les articles sur l’affaire Cref ici)
Troisième partie (3 sur 5)
Maîtres Stéphane Bonifassi, Francis Terquem, Yann Le Bras et Nicolas Lecoq-Vallon,
avocats des victimes du complément de retraite des enseignants et fonctionnaires, Cref.
(photo © GPouzin)
– Est-ce que des administrateurs contestaient ? Posaient des questions ?
Onze ans après les mises en examen il est important pour la bonne foi de nos
clients de voir l’état d’esprit des administrateurs, y compris non
permanents, qui ne se posent pas de questions, alors qu’il y a parmi eux
un représentant du syndicat des impôts, interroge Maître Pudlowski, l’avocat
de Norbert Attali.
– La question de l’état d’esprit des administrateurs est importante, renchérit
Maître Lecoq-Vallon, l’avocat des épargnants victimes du Cref. Quand on voit
qu’ils ignoraient totalement l’article 125-5 du Code de la mutualité. Il a
été dit qu’ils étaient logés par les caisses départementales, donc sur le
patrimoine de la mutuelle, en avaient-ils conscience ?
– En réalité, nous n’étions pas pris en charge par les caisses mais par
l’Union nationale qui payait les loyers aux caisses, précise Norbert Attali.
J’arrive alors que l’immobilier est encore en crise, en 1996, l’Union nationale fixe
le loyer dans le haut de fourchette car elle veut donner cet argent aux caisses où
sont logés les droits des souscripteurs.
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Les administrateurs du Cref pouvaient loger à l’ombre ou rue de
Solferino
Le débat s’attarde un moment à l’examen des travaux réalisés dans les appartements avant
d’y loger les administrateurs. Peu concluant. La présidente passe à l’examen des
appartements suivants dont celui de Jean-Louis Vaucoret, qui explique qu’on lui a précisé
qu’il serait logé en lui proposant de devenir permanent en 1992 et qu’il n’aurait pas pu
accepter ce mandat sans être logé.
– Mais pourquoi, quand on énonce ces avantages, personne ne pose de
questions ? relance la présidente.
– On en parlait, explique Mr Vaucoret. Quand on me demandait si j’étais logé
je répondais, « heureusement, sinon comment je ferais pour me loger »,
avec un traitement d’instituteur de 10 000 francs environ en 1993. Il m’est arrivé
d’inviter des administrateurs chez moi et ils n’ont jamais été surpris ni choqué.
L’avocat général, Dominique Gaillardot, repose la question régulièrement soulevée par la
présidente : « On ne pourrait pas imaginer que la première sujétion est d’habiter
Paris, donc qu’il y a une indemnité de sujétion. Mais pourquoi multiplier les
compensations de cette sujétion ? » Il revient sur l’assemblée générale d’avril 2000,
faisant remarquer qu’il n’y a eu que 21 voix contre la résolution des régularisations
imposées par l’Igas, sur 800 inscrits, et demande s’il y a eu des contestations sur le
maintien des indemnités de logement. Maître Pudlowski répond qu’il n’y a pas eu de
contestation, ce que conteste l’avocat des épargnants, Nicolas Lecoq-Vallon : « vous êtes
sûr qu’il n’y a pas eu de recours contre cette assemblée générale ? lance-t-il à
l’avocat de la défense qui se tient à cette version. Cette information est fausse ». « Pas
du tout, c’est mensonger », réplique son confrère de la défense. « Il y a eu une demande
d’annulation de l’assemblée générale, vous ne connaissez pas le dossier », maintient Maître
Lecoq-Vallon.
La présidente intervient pour arrêter l’escalade : « Vous posez la question : y a-t-il eu un
recours ? Vous dites que la réponse est fausse, vous le plaiderez », propose-t-elle à Maître
Pudlowski. « On vous a demandé de devenir permanent, c’est un peu une inversion du
processus démocratique, relance Maître Terquem en renfort des parties civiles, ce qui
peut expliquer que certaines décisions soient approuvées a des majorités
albanaises ». Cette facétie ravive une vague d’indignation dans les rangs de la
défense qui oblige la présidente à faire la police. « Vous plaiderez demain, dit-elle cette fois
à l’attention du camp des parties civiles. On a prévu la possibilité de donner la parole ce soir
à des victimes, mais si ça continue comme ça ce ne sera pas possible ».
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On revient sur l’examen des appartements, cette fois celui de Mr Pierre Teulé-Sensacq,
ex-trésorier général du Cref. « Quand j’ai occupé ce logement, c’était dans une logique
de remboursement de frais de déplacements, explique-t-il. A partir de mes agendas
réels j’ai fait un calcul et j’arrive à un montant comparable au niveau du loyer, on
peut donc considérer le logement comme une contre valeur de frais ». Maître Terquem lui
demande pourquoi faire cette comparaison en incluant les frais de repas mais se fait stopper
par la présidente : « On peut le discuter, concède-t-elle, mais monsieur a fait son calcul
comme ça le jour où on lui a demandé de s’expliquer ». L’intéressé complète
néanmoins son explication : « C’est parce qu’il y avait une règle à l’Education
nationale, quand on était en déplacement, si le train arrivait à 21h59 il n’y avait
pas d’indemnité de repas, mais s’il arrivait à 22h oui ». La présidente passe ensuite à
l’appartement de madame Monique Escande, visiblement la moins bien logée malgré sa
« sujétion » de trésorier général-adjoint. « C’était un appartement de 70m2 au rez-dechaussée sur rue, explique-t-elle. On ne voyait jamais le soleil. Les quatre fenêtres
donnaient sur la rue si bien qu’on ne pouvait pas les ouvrir à cause du bruit et du passage ».
Les deux dernières années elle avait pu déménager dans celui d’au-dessus qui s’était libéré.
Le trésorier lui disait que 10% des appartements n’étaient pas loués et elle avait pu en
visiter plusieurs. Elle avait choisi celui là car le quartier lui plaisait. Il faut dire que la Rue
de la Bucherie est presque en face de Notre-Dame depuis le Quai de Montebello, rive
gauche. « Avant j’habitais un appartement dans une école comme directeur d’école,
poursuit-elle. Plutôt une villa dans l’enceinte de l’école, rectifie-t-elle. Il faut bien loger
quelque part. Et il y avait eu une étude de Mr Teulé-Sensacq qui par comparaison établissait
que c’était moins cher que l’hôtel. »
Arrive ensuite le tour du sénateur-maire ex-ministre René Teulade, dont
l’appartement retient davantage l’attention tant il est chargé d’histoire. Situé Rue
de Solferino, ce logement de quatre pièces principales avait la particularité de
jouxter le siège historique du Parti Socialiste, au numéro 10. Et il semblait
impensable de le louer à n’importe qui, car ses fenêtres donnaient, paraît-il, sur le bureau
du premier secrétaire du parti au pouvoir.
L’histoire de ce logement est une histoire de cinquante ans, confirme René
Teulade. Quand le président de la mutuelle est venu en 1972 me chercher car
j’étais le principal militant syndical, il m’a dit j’ai besoin de toi, j’ai répondu que
c’était impossible sans logement. Le secrétaire général de l’époque m’a dit oui, il
faut que tu sois logé pour ne pas recommencer mon aventure car j’ai
divorcé. A l’époque je n’avais pas de patrimoine immobilier, on m’a donné un
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Solferino
logement de la ville de Paris rue Lecourbe. Quand on a construit rue de Solferino
des bureaux avec un parking de 60 places et 4 logements, il m’a dit de l’occuper
et qu’on payerait le loyer aux caisses départementales propriétaires des
logements plutôt qu’à la ville de Paris. Je paye le loyer depuis 1999 et j’y suis
encore. C’est un appartement de 70m2 avec trois chambres, un séjour, un petit
bureau au 5ème étage. Aujourd’hui le loyer est de 2288,13 euros plus 442 de
provisions pour charges, que je paye avec mes charges du Sénat. Je le
quitterai quand je ne serai plus au Sénat et que je rejoindrai ma Corrèze.
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