BOOK REVIEW - McGill Law Journal

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BOOK REVIEW
"DROIT CIVIL 1. INTRODUCTION GENERALE A L'ETUDE
DU DROIT ET DES INSTITUTIONS JUDICIAIRES.
LES PERSONNES"
par G. Marty et P. Raynaud
SiRFY 22 RUE SOUFFLOT. PArs. 1956.
Depuis quelques annes, les ouvrages classiques de droit civil a l'usage des
6tudiants franais contiennent enfin A titre d'introduction A l'6tude du droit
les notions g~n~rales de philosophie de droit et des doctrines juridiques qui
sont indispensables i l'intelligence de cette science sociale qu'est la science
du Droit.
En replaqant le droit dans son contexte social, l'6tudiant est plus en mesure,
s'il le veut bien se donner la peine d'en lire les d6veloppements qui y sont
consacr6s, de juger par lui-mfme de la valeur des rbgles du droit priv6 positif
et par cons6quent de se cultiver.
Le tome I de roeuvre de MMRS. Marty et Raynaud r6pond A cette exigence
irm6rative.
'Le titre premier de ]a premiere partie examine les notions g6n6rales sur le
droit, l'histoire des idies sur le concept, le fondement ou les buts du droit
et les tendances doctrinales actuelles. Ce titre devrait 8tre s6rieusement 6tudi6
par les 6tudiants qui y puisoront les 61ments indispensables d'une culture
g6n6rale qui devrait faire d'eux des ttes bien faites et non des cervelles
bourr~es. Or la tendance g6n~rale des 6tudiants est de n~gliger l'histoire des
doctrines sous le pr~texte qu'il n'y a IU rien, pensent-ils, qui puisse leur &re
directement utile. Le sens du pragmatisme hitif est devenu si aigu qu'il
devient une m~thode de paresse intellectuelle. Ce livre est donc le bienvenu
dans la mesure o6, nous l'esp&ons, il aidera Aredresser cet 6tat d'esprit ficheux.
Le titre II de rouvrage examine la structure du droit sous ses deux aspects
fondamentaux: aspect positif et aspect subjectif. Le premier traite du d6licat
probl~me des sources du droit franqais, loi, coutume, jurisprudence, actes
juridiques, 6quit6. Les 6tudiants trouveront notamment h propos de la jurisprudence l'expos6 fort bien ramass6 du point de savoir si la jurisprudence
fran~aise doit 8tre considir&e comme une source du droit positif. Les 6tudiants
canadiens pourraient utilement en tirer des conclusions en comparant le r6le
de la jurisprudence ici et en France.
Les auteurs se posent ensuite ]a question de savoir s'il faut ranger dans les
sources du droit positif franqais les actes juridiques. Peut-on admettre avec
Kelsen que les actes juridiques, r~gles individuelles pourtant, puissent prolonger
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l'ordre juridique au, point de devenir dignes de figurer comme sources du
droit positife MMRS. Marty et Raynaud refutent cette thise dans ce qu'eUe
a de trop absolu. Elle aboutirait en effet a "enfler abusivement la notion de
source du droit en y int~grant toute l'application concrite des rigles juridiques"
(p. 211 No. 123). C'est 1 que se trouve pr~cis~ment la distinction entre
"la formulation du droit et son application concrite." Pourtant les auteurs
ont soin de noter l'accueil que la cour de Cassation a fait r&emment &certains
actes juridiques, dans la mesure oji, par leur caract~re de gn6rait6, ils sont
devenus g~n~rateurs de rigles constantes, pouvant ainsi donner ouverture ;k
un pourvoi en cassation. Ce problime du reclassement des sources juridiques,
problime de philosophie du droit est fort bien venu ainsi d'ailleurs que celui
concernant les principes g6n&aux du droit et de Nlquit&
Signalons enfin dans ce chapitre rinfluence que la doctrine a dans le d~veloppement du droit francais; ce chapitre pourrait 6tre mdit6 utilement ici
oii ilest permis d'esp&er qu'un jour le nombre des professeurs de carri~re
augmentera au sein des diverses facult~s de droit, permettant de crier un
veritable corps professoral si ncessaire A ravancement de la science juridique
dans cette province.
Quant i l'aspect subjectif du droit, MMRS. Marty et Raynaud reprennent
d'embl~e sous un titre 6vocateur ("la querelle du droit subjectif et des sujets
de droit") la question de savoir s'il faut ou non 6pouser les theses de Duguit
et de Kelsen sur la negation du droit subjectif auxquelles le premier substitue
la notion de "situation juridique", et le second, tout en gardant le terme de
subjectif, donne .celui-ci un contenu identique a celui du premier.
Ce chapitre montre de faqon saisissante, en un raccourci tr6s net, la lutte
entre les privatistes G~ny Saleilles Ripert en faveur de la these du droit
subjectif dont MMRS. Marty et Raynaud admettent qu'elle peut voisiner
avec celle de la "situation juridique"; cette denire notion vient compl.ter, et
non pas 61iminer, la premiire qui puise son fondement solide dans la r~aliti
sociale et psychologique.
Par un processus tris logique les auteurs examinent ensuite toute la th~orie
g~n&ale des droits: Problme de classification des droits d'apris leur caractire patrimonial ou extra patrimonial, d'apris leur objet (droits de la personnalit6, droits r~els, de cr~ance, droits intellectuels) et d'apr~s les sujets de
droit: droits individuels et droits corporatifs. Ces g~n6ralit~s indispensables
.qui veut avoir rintelligence du droit, constituent les pro1kgom~nes n&essaires h la comprehension du problime des sanction du droit dont la mise en
oeuvre relive de l'organisation judiciaire de la proc~lure et de la th~orie si
ordue, mais si fonciirement utile, du droit de la preuve.
Le titre III s'attache tout d'abord aux notions fondamentales du droit civil.
MMRS. Marty et Raynaud rappellent la fonction sociale du droit priv6 et
constatent que'c'est cette branche du droit qui a conserv6 relativement le plus
de stabilit6 et demeure le rempart de la vie priv&e. Apr~s avoir retrac6 les
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phases de l'6volution du droit civil, les auteurs en viennent A l'examen du
"tableau des 6l6nents constitutifs du r6gime civil": notion de patrimoine,
d'universalit6, de subrogation r6elle, classification des biens, comprenant sous
ce vocable choses et droits.
Ce sont ces notions g~nrales d~gag~es par la science juridique a ]a lumi6re
de l'exptrience qui constituent en droit priv6, et notamment en droit codifi6,
la diff6rence majeure avec le simple "statut" anglais d6pouil!6 de toute idle
gin6rale ou de tout concept fondamental. La lecture de ce chapitre est des
plus instructive notamment pour l'6tudiant canadien de cette province.
La deuxiime partie de l'ouvrage est enti6rement consacr~e i l'6tude d'une
part des personnes physiques et d'autre part A celle des personnes morales.
Apr6s une large introduction sur la personnalit6 juridique des personnes
physiques, les auteurs examinent alors tout le droit de la famille et celui de la
filiation avec les principes de capacit6 qui dominent toute ]a mati~re. La section
qui traite de 1'obligation alimentaire oit se pose, comme en droit et jurisprudence qu6becoise, la question de savoir si cette obligation est divisible ou
indivisible, si elle est de nature solidaire ou in solidum, si elle est simultane
ou non, est riche d'enseignements.
Le livre II est relatif aux personnes morales. C'est un livre particulirement
fouill6 et prtcis dans un domaine oi pourtant les plus vives controverses non
seulement ne sont pas 6teintes mais encore paraissent se ranimer plus que
jamais 6rant donn6 1'6norme accroissement des int6rts collectifs, que ceux-ci
rel~vent du droit public ou du droit priv6.
MMRS. Marty et Raynaud reprennent la gen6se de la notion de la
personnalit6 morale. Certains juristes nient le concept mrne de personne
morale dont ils expliquent les effets en les rattachant soit i tine id~e de
"lien contractual" (Vareilles, Sommi6res) soit t l'id~e de propri~t6 collective
(Planiol, Berthel~ny, Ihering). D'autres s'attachent i un systxne dit de la
"fiction" qui ne rgsiste pas . l'examen, car le l6gislateur n'a pas besoin de
feindre pour crer. D'autres enfin s'attachent au syst me de la "r~alitV" des
personnes morales: r6alit6 technique (G~ny, Savatier): "volont6 collective"
(Michaud) ou notion "d'institution" (Hauriou). Cette derni&e notion est
reprise et modifi~e par Waline, qui ajoute que "les int~r~ts qul servent de
base i.]a personnalit6 doivent 8tre dignes de la protection sociale".
Apr~s cet examen th~orique ncessaire, les auteurs montrent comment cette
notion de personnalit6 morale a 6t6 favorablement accueillie et encourag~e
petit i petit soit par le l~gislateur soit par la jurisprudence dans tous les
domaines de la vie juridique (Socit~s commerciales, soci6t~s civiles, associations, syndicats, comit~s d'entreprises, fondations). Cette 6volution command6e au fond par les n6cessit6s in6luctables d'une vie economique sociale
et politique interne et internationale sans cesse mouvante est l'objet d'un
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examen extr~mement attachant. L'expos6 des id~es est plein d'enseignements
surtout pour cette Province ofi la remarquable souplesse de certaines institutions relevant du droit des personnes morales de droit public ou de droit
priv6 est telle qu'elle est le plus souvent synonyme d'une absence totale ou
quasi-totale de principes s'opposant ainsi . l'6closion d'un pays en pleine crise
de croissance.
L. BAUDOUIN*
*Professeur A la Facult6 de Droit de l'Universit6 McGill, Montreal.