L`article de Michel Voiturier paru dans le n° 55 de FLUX
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L`article de Michel Voiturier paru dans le n° 55 de FLUX
LA LOUVIÈRE Flux News n°55 Jean-Michel Alberola, un engagement à penser À l’occasion de l’inauguration d’une extension qui permettra au Centre de la Gravure une meilleure organisation et une visibilité accrue, l’institution accueille Alberola, artiste multiforme qui collabora notamment avec notre compatriote Jean Daive. Jean-Michel Alberola (Saïda, 1953) est apparenté à la « figuration libre » aux côtés de Blais et Combas. Son travail est une quête de partage d’idées au sujet de son, de notre époque, travail à situer dans la lignée d’un Filliou ou d’un Broodthaers. Il a d’ailleurs mis en exergue de son expo des travaux signés par ce dernier. La notion de «‘résistance’ ayant désormais supplanté celle de l’ ‘avant-garde’ » avec pour corollaire « la faculté de récupération du système marchand dont l’auxiliaire est la logique de la mode » 1, cet artiste se situe dans un courant politique où une esthétique a moins d’importance que le message. L’artiste se sert d’une multitude de moyens d’expression : peinture, sculpture, collages, gravure et cartes imprimées, interventions, livres. Il puise dans l’histoire de l’art et surtout dans celle de la littérature, il parodie, il joue avec les mots, il détourne les images et les formules. Il pratique ce qu’il définit comme de la « subversion homéopathique ». On peut appliquer à ses productions cette constatation de Vander Gucht : « […] elles relèvent exclusivement de l’expérience sensible et non d’expérimentations cliniques ; elles sont exemplaires et non démonstratives ; elles donnent à voir et à penser mais ne prétendent rien prouver ; elles ne nous convainquent pas, et ne nous émeuvent peut-être pas davantage, mais nous perturbent » 2 Ce qui attire de prime abord dans ces œuvres, c’est leur côté ludique. Subvertir avec le sourire Si le message est sérieux, l’humour le fait passer avec ironie, dérision, boutade. Parfois les mots sont seuls sur le papier comme pour remplacer l’image et devenir à leur tour un élément d’abord purement visuel. C’est le cas de ce paradoxe qui résume assez l’état d’esprit du graveur et qui est décliné sous plusieurs aspects : « La question du pouvoir est la seule réponse ». Même avec une décoration de style guirlande en haut et en bas, une feuille typographiée ose une rencontre pleine de sens multipliés, voire contradictoires, en proposant à l’œil un affrontement entre un malfrat de fiction et un révolutionnaire historique : « Tony Montana vs Che Guevara ». Parfois, quelques éléments jouent avec les syntagmes, ceux-ci jouant aussi entre eux, tel ce « La précision des terrains vagues » associé à des effigies proches des graffiti. Ou encore cette bribe de paysage aperçu par une ouverture dans un mur à demi caché par une inondation ou une coulée de sable, que sous-titre la phrase « Le local a la parole » où les signifiés du sujet créent un double langage. Il y a aussi ces pages arrachées à un exemplaire du « Capital » de Marx, estampillées d’un rouge « 10 € ». Et qu’Alberola, parfois, vend à ce prixlà, multipliant de façon astronomique la valeur d’un livre acheté pour quasi rien en brocante, avec évidemment toute la réflexion induite à propos du fonctionnement économique du monde et de l’idéologie généreuse qui n’a pas réussi à vaincre le capitalisme. Ailleurs, voici des sortes de schémas mettant en relations des objets, des situations, des représentations. Des dessins approximatifs, dans le style enfantin, se réfèrent à des passetemps récréatifs autant qu’à des constructions fragiles. Quant aux photos, cette catégorie pléthorique de notre environnement quotidien, elles sont soit détournées de leur contenu originel par des légendes subversives, comme celles consacrées à la France réunies sous l’appellation « Dérèglement de comptes ». Ou, soit réinventées, comme ce célèbre « Enfance de Tintin », cliché d’un gamin d’autrefois au bas duquel l’artiste a esquissé en noir les oreilles de Milou. Chaque fois, Alberola, partant du réel socio-politico-culturo-économique, oblige le regard à voir différemment, l’esprit à réfléchir de manière imprévisible. Cette mise de l’image au service d’une pensée donne une autre dimension à l’iconographie traditionnelle que la publicité, la propagande imposent sans cesse aux citoyens. L’artiste s’en empare en usant à profusion de toutes les techniques, de tous les supports en une sorte de volonté d’être à son tour envahissant, d’être susceptible de toucher le plus grand nombre, devenant pour nous, selon son expression une sorte de « chien d’aveugle » habilité à nous conduire là où il faudrait que nous voyions ce que nous ne regardons qu’à peine, que nous approfondissions ce qui n’est plus décodé par lassitude, indifférence, conditionnement. Parallèlement à cette expo, les participants au 20e prix de la gravure témoignent qu’une jeune génération poursuit le travail des aînés. La lauréate est Anne-Françoise Quoitin, dont les personnages, très finement dessinés, sont placés dans des situations de communication où le regard prend une importance capitale. On retiendra aussi les présences corporelles d’êtres en action évoqués par Véro Vandegh, le caustique montage « Belgique mon amour » de Nicolas Kohen, les pointes sèches ironiques de Nadine Abril. Michel Voiturier Centre de la gravure et de l’Image imprimée, 10 rue des Amours à La Louvière, jusqu’au 15 mai, du mardi au dimanche de 10 à 18h. Infos : 064 27 87 27 ou www.centredelagravure.be Catalogue : « Jean-Michel Alberola. L’œuvre imprimé » (supplément au catalogue raisonné la Bibliothèque nationale de France de 2009), 36 p. (10 €) 1 2 Daniel Vander Gucht in Les formes contemporaines de l’art engagé, Bruxelles, La Lettre volée, 2007, p. 59 Ibid. p.65