Léon-Gontran Damas Poète, écrivain patrimonial et postcolonial
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Léon-Gontran Damas Poète, écrivain patrimonial et postcolonial
35 Introduction Kathleen GYSSELS Mors dans la bouche, mort dans l’âme AVEC avec l’amour qui s’en viendrait par l’âpre et rude et dur chemin qui mène non pas au CHRIST mais à DAMAS tomberait demain pour sûr la fièvre du dégoût Black-Label Un étrange mal frappe le poète Léon-Gontran Damas : lui-même se moquait déjà de son patronyme, évocateur d’une route de Damas, d’un chemin sinueux qu’il lui était imposé par le « destin ». L’on pourrait encore remarquer que son nom de famille évoque le « damas », acier particulièrement résistant qui donne les meilleures machettes. Comme saint Paul, foudroyé sur sa route, il a rencontré maint obstacle, mais a « marronné », avec sa « foi de marron ». En cette année du centenaire, il était temps de réparer un double oubli du poète de la Guyane, tant en métropole que dans l’outre-mer. En France, l’on aura quelques petites, mais combien significatives, manifestations (le Salon du Livre, la Plume Noire). Ce n’est pas faute d’avoir essayé de plus grands événements17 pour mettre le nom du troisième cofondateur de la négritude au programme. Dans son pays même, plusieurs initiatives ont certes rendu hommage à celui qui n’en finit pas d’être « élidé » par les critiques et publics du duo-phare de la négritude. Pourtant, Césaire et Senghor n’ombragent pourtant pas leur allié, ce « nègre américain » (Césaire), ce « bohémien » qui fréquentait les jazzmen et savait transférer aux vers le 17 Le 28 mars 2012 était prévu un Hommage à Fort-de-France, avec une dizaine d’universitaires de plusieurs pays ; l’évènement dûment préparé a été brusquement annulé la veille par l’Association Négritud’ ce qui se passe de commentaires. 36 LÉON-GONTRAN DAMAS : POÈTE, ÉCRIVAIN PATRIMONIAL ET POSTCOLONIAL rythme du tam-tam, comme dans le poème préféré de Senghor 18. Contrairement à Senghor, que l’on célèbre à l’UAG en 2009, avec un numéro spécial de la revue martiniquaise Archipélies, « Senghoriana19 », et à l’Université de Dakar avec la revue Ethiopiques, dont le Centenaire de la naissance était ponctué de beaucoup de colloques et de publications20, Damas n’a même pas droit à un numéro dans la belle série adpf21, ni dans la revue Sud (avec les Actes du colloque de Senghor à Cerisy-la-Salle en 1986). La même « ritournelle » pourrait se répéter pour Césaire dont le Centenaire se fête par de nombreux colloques et numéros spéciaux, et cela est hors de question : lustres mérités pour celui qui, comme son héritier Daniel Maximin22, saura honorer Damas de paroles vénérables. Absent aussi dans la collection « Poètes d’aujourd’hui » de Seghers, Damas a pourtant trouvé dans ledit éditeur, Pierre Seghers, preneur chez ce poète de la résistance. Graffiti paraît après la débâclede Pigments (saisi pour atteinte à la sûreté de l’Etat, en 1937), en 1952. « Poètes d’aujourd’hui23 » ne retient donc pas Damas, tandis que Césaire et Senghor y sont. Ce dernier a pourtant dédié le « Poème liminaire » à Hosties noires (1948) à celui qui protesta le plus contre les « tirailleurs sénégalais », poème que nous reprenons ici pour lecture lente entre deux volets du triptyque (cf.infra). Tous deux ont aussi un timbre postal, alors que le poète de « Sur une carte postale » (voir ma lecture, cf. infra) laisse finalement peu d’effigies sur des supports iconographiques. Pourtant, Damas était un sacré preneur d’initiatives ! N’a-t-il pas proposé à Pierre Seghers, dans une lettre datée du 26 octobre 1921, un volume sur Langston Hughes dans la collection « Poètes d’aujourd’hui24 » ? Bien 18 19 20 21 22 23 24 Ce dernier, remercié de ses sincères compliments, en sera remercié par Damas qui dès la première réédition de Pigments (1966) va dédier le premier poème « Ils sont venus ce soir » à son confrère sénégalais dont l’imaginaire consonne avec le sien. Autrement dit, l’édition originale de 1937, celle qui ouvre par ce beau poème liminaire, ne porte pas la dédicace à Senghor, auteur d’Hosties noires, parmi d’autres titres consonants. « Senghoriana », Archipélies 2 (2011) : 162-163. Daniel Maximin y évoque l’importance de Damas. Un seul exemple illustre l’effervescence pour la mémoire vive du couple SenghorCésaire. (Suzanne Pinalie, éd.) Série lancée avec le support du ministère des Affaires étrangères. Kristeva, Char, Glissant, et bien d’autres ont leur numéro. « Damas, foi de marron » (dans L’Invention des désirades, Présence Africaine, 2000), est repris ici avec la permission de l’auteur que nous remercions. <http://fr.wikipedia.org/wiki/Po%C3%A8tes_d%E2%80%99aujourd%E2% 80%99hui#Num.C3.A9ros_1_.C3.A0_50> Voir la correspondance entre Pierre Seghers et Langston Hughes, archives à Yale University, Fonds Langston Hughes. Trois lettres de Hughes à Damas, la même quantité en retour, sont finalement peu pour étayer une réciprocité sur le plan de l’affection et du travail intellectuel. Bref, la moisson reste toutefois maigre pour attester d’un lien fort entre les deux intellectuels. Quels héritiers, quels héritages au seuil du XXIe siècle ? que les circonstances du choix d’éditeur restent peu connues25, il est licite de penser que les bons rapports entre Pierre Seghers et celui qui deviendra le second préfacier de Damas, Robert Goffin, d’une part, et le poète africainaméricain Langston Hughes, d’autre part, sont pour beaucoup dans le nouvel éditeur de Damas. Après G.L.M. pour Pigments, voilà qu’il grimpe en rang : Pierre Seghers édite une quinzaine de poèmes distillés dans l’amertume et la révolte, mais aussi l’antidote au poison de la discrimination : l’amour, la tendresse, l’amitié indéfectible. Il reste incertain de savoir comment Damas, parmi les poètes lancés en France par Pierre Seghers, a été accepté avec une plaquette d’une quinzaine de poèmes : Graffiti (1952), recueil jamais réédité séparément, mais intégré à la première édition de Pigments, augmenté de Névralgies, dans la maison Présence Africaine, en 1966. Soulignons d’ores et déjà la « griffe » des titres, la balafre (nom d’un parfum de l’époque de Damas) avec lequel il signe ses paroles incisives sur un support de velours de Damas, paroles de damas dures et intransigeantes avec l’oppresseur colonial et le fasciste européen, l’assimilé qui regarde avec dédain le plus noir que lui, la Blanche qui méprise l’homme de couleur qui cherche son regard et aimerait sa compagnie, l’espace d’une « Nuit blanche ». Dans la biographie de son mari, Colette Seghers se souvient du spécialiste de jazz belge, Robert Goffin : Si l’on pense à [Robert Goffin], c’est aux dimensions de l’Amazone ! Avocat des causes retentissantes, (…), passager des grands paquebots, client des palaces internationaux et longtemps président du Pen Club belge – comment évoquer sa stature, son énergie, le Mississippi de poésie qui prend sa source en lui et nous emporte ? (Seghers 104). Seghers était aussi l’ami du chef de file de la Harlem Renaissance, comme le signale à plusieurs reprises Colette Seghers dans son touchant portrait de son mari26. En 1947, Des grandes profondeurs (traduction de The BigSea) voit le jour et l’anthologie de Hughes, sous le titre original anglais, AfricanTreasury27, pendant que la même année toujours, Damas publie avec Seuil un florilège de poètes des ex-colonies, d’expression française. Le réseau de résistance autour de Seghers mérite d’être rappelé pour pleinement sonder les multiples écueils dans le « chemin de Damas ». Non seulement les poèmes de Damas étaient jugés trop subversifs et polémiques, mais encore son rapport d’un bilan de la France en Guyane fut saisi : double 25 26 27 L’hypothèse la plus plausible nous semble l’amitié des Seghers avec le Liégeois, poète et ami e.a. d’Armstrong et de Bessie Smith, et Hughes. Les rapports amicaux avec Goffin, Senghor et Césaire sont signalés, tandis que l’auteur de Graffiti (paru chez Seghers en 1952) n’y apparaît pas. Rien qui explique ce qui se passa dans l’émouvant portrait que dresse de son mari Colette Seghers, Pierre Seghers, un homme couvert de noms (1981, Ed Seghers, 2006). Pour la traduction française, Hughes se fera assister par Christine Reygnault. 37 38 LÉON-GONTRAN DAMAS : POÈTE, ÉCRIVAIN PATRIMONIAL ET POSTCOLONIAL « censure », double mésaventure éditoriale qui va peser lourd et longuement. Il faut rappeler aussi l’établissement, après-guerre, d’un autre tourment qui marqua Damas, un autre tournant dramatique : la perte de Robert Desnos, mort à la libération du camp de concentration de Terezin. L’on profiterait de relire entre autres The ShamefulPeace: How French Artists and Intellectuals Survived the Nazi Occupation28 ou encore Poètes sous l’Occupation29 pour mesurer à fond les risques que courait Damas « à franchir la Ligne ». Publiant avec le poète résistant Pierre Seghers, Damas cisèle des slogans à l’adresse des racistes et des colonialistes dans Graffiti, deuxième recueil qui paraît donc chez ce nom cardinal pour des poètes engagés, souvent « étrangers30 ». Un champ littéraire de poésie francophone (de ce que Glissant appellerait « Tout-monde ») se met en place, tout doucement, dans des conditions difficiles. Autre méprise, sa mésaventure avec les ondes sonores. Voulant profiter du nouveau médium pour lequel Robert Desnos, Paul Eluard et son gendre, le poète Luc Decaunes, Alejo Carpentier31et d’autres artistes de l’avant-garde moderniste, se délectaient, il acceptait une émission de « Contes guyanais » sur Radio Vichy. Ce dérapage avec Radio Vichy pourrait être l’« Erreur » dont il est question dans plusieurs poèmes de Pigments/Névralgies, puis reprise dans Black-Label. Côté « métropolitain », l’oubli de Damas est un constat imparable. Dans les nombreux articles de presse, numéros spéciaux et sites Internet consultés après la disparition de Césaire32, Damas est tombé dans l’oubli33. Dans les nombreuses galeries de portraits, les essais biogra- 28 29 30 31 32 Scott retient André Gide, Simone de Beauvoir, Picasso et Matisse parmi les résistants français. Dans LeProjet culturel de Vichy : folklore et révolution nationale, 1940, Christian Faure étudie le piège dans lequel tombent certains « collaborateurs ». Lire à ce propos Frederic, The Shameful Peace, New Haven, Yale UP, 2008. Idem. Mais ce qui noue sans doute un rapport irrévocable entre Pierre Seghers et Damas était les poètes de la résistance et la « latitude » de cet éditeur qui prit le risque d’éditer de parfaits inconnus dont certains devinrent très célèbres (Miguel Angel Asturias, Max Elskamp d’Anvers, Pessoa et Mandelstam, parmi beaucoup d’autres). Dans son Introduction au Siècle des lumières, Jean Blanzat rappelle que Carpentier quitta La Havane en 1928 (libéré des geôles du dictateur Balaguer) grâce à Desnos: le jeune Cubain prit part « aux côtés de Desnos et de Paul Deharme aux émissions du ‘Poste Parisien’ ». Avant-guerre, l’engouement pour ce nouveau médium permit « en un tour de main » d’élargir l’audience. Blanzat, Jean, « Introduction », Paris, Gallimard, 1962, p. 9. Césaire lui dédie toutefois un « tombeau », voir Pestre de Almeida, et « Feu sombre toujours (in memoriam) », dans Moi, Laminaire, repris ici avec autorisation de Marco Césaire que je tiens à remercier au nom de tous. Suite page suivante. Quels héritiers, quels héritages au seuil du XXIe siècle ? phiques, les études érudites, que ce soit dans Aimé Césaire, le Nègre inconsolé de Roger Toumson et de Simonne Henry-Valmore34, Léopold Sédar Senghor, par Armand Guibert et Nimrod35, Aimé Césaire (1913-2008) de Romouald Fonkoua, Damas apparaît à peine. Et si cela se comprend vu la relative éclipse à laquelle le poète militant, las de dépit, semble avoir consentie. Il n’empêche que la critique trouvera ici la preuve d’une œuvre réduite dans le temps et dans l’espace, mais toujours d’actualité et qui plus est, bien plus accessible au public mondial francophone. Celui qui protestait contre l’héritage colonial, contre l’inconscient colonial dans les esprits « dirigeants » de pays en voie de décolonisation, contre l’« indolence » des Guyanais et l’immobilisme des populations « assistées » des DOM est ici pertinemment révélé à travers de nouvelles lectures de ses recueils de poésie, ses écrits journalistiques et ses contes. Ainsi couperons-nous d’un coup de damas ce silence obstinéqui s’observe aussi parmi ceux qui sont devenus des acteurs directs dans le champ littéraire antillais, aujourd’hui pleinement autonome. Ainsi, parmi les Guyano-Antillais, le même omerta lui semble réservé : silencié en 2011 à Cayenne, au Prix Carbet ou dans le magnifique Guyane. Traces-mémoires du bagne36 qu’a réalisé avec Rodolphe Hammadi Patrick Chamoiseau. 32 33 34 35 36 Suite de la note de la page précédente. Dans les nombreux portraits de Césaire parus dans l’immédiat après-décès du « Nègre fondamental », tous d’éminents spécialistes, il n’y a quasiment pas de références au confrère guyanais. Quelques exemples feront foi de cette oblitération : dans Aimé Césaire, 1913-2008 (Romouald Fonkoua, Paris, Velin, 2010), ou La Poésie d’Aimé Césaire. Propositions de lecture. Accompagnées d’un lexique de l’œuvre (Papa Samba Diop, Paris, Champion, 2010), Damas n’est qu’effleuré comme partenaire poétique et militant de Césaire. Par ailleurs, dans le portrait de Césaire, Fonkoua rappelle que Damas aurait eu, selon Césaire, un « mauvais caractère », et lui aurait fait l’impression d’«un homme très bizarre » (p. 38-39). Voir e. a. Rousselet, Laurine, « L.-G. Damas, passage de poème nègre », AgulhaRevista de Cultura, en ligne, consulté le 6 janvier 2012, http://www. revista.agulha.nom.br/ARC01leongontrandamas01fra.htm. Sur le Journal RFO Guyane, le 17 décembre 2011, Chamoiseau est intarissable sur Glissant ; il ne lui vient pas à l’esprit de saluer, à la veille de l’année Damas, ce poète patrimonial. Emission consultée le 1 janvier 2012. En ligne : <http://www.info2424.info /index.php/television/tous-les-jt-de-rfo/jt-tv-rfo-guyane>. Toumson, Roger, Simonne Henry-Valmore, Aimé Césaire, le Nègre inconsolé, Paris, Ed. Syros, 1993. Armand Guibert et Nimrod, Léopold Sédar Senghor, Paris, Seghers, « Poètes d’Aujourd’hui », 1961, 2006. Damas plaida pour la fermeture du Camp des transportés à Saint-Laurent-duMaroni. Dans Retour de Guyane, il a longuement dénoncé cette structure « concentrationnaire » (« Bagne pas mort », p. 48-65) 39 40 LÉON-GONTRAN DAMAS : POÈTE, ÉCRIVAIN PATRIMONIAL ET POSTCOLONIAL Rien non plus, à part la mention de son nom, ici et là, dans les nombreux essais d’Edouard Glissant37, l’Antillo-Guyanais (sa mère était Martiniquaise, son père Guyanais et sa grand-mère du côté paternel amérindienne), brille par son absence. Césaire et Senghor restent le duo « panthéonisé ». Certes, certains se contentent de rappeler son existence et sa contribution marginale à l’ « irruption de la modernité » antillaise (selon la formule de Glissant38 : la poésie de Damas est un saillant moment de modernité avant-gardiste, rompant avec la décalcomanie et le doudouïsme. Damas est celui qui relativise aussi la négritude, ce mouvement contestataire, socio-culturel, poético-politique dont il voit vite les fissures et salue donc, avec Depestre39, « l’adieu ». Lorsqu’apparaît une anthologie antillo-guyanaise qui se veut transfrontalière et résolument « diasporique », comme celle éditée par la romancière martiniquaise Suzanne Dracius-Pinalie, c’est encore pour canoniser Nicolas Guillén, Langston Hughes et Jacques Roumain40. Dans Grandes figures de la négritude41, même Kesteloot qui traça son portrait pour Portulan42, passe en revue Amadou Hampate Ba, L.-S. Senghor, Cheik A. 37 38 39 40 41 42 J’en veux pour preuve par exemple qu’il occupe dans l’œuvre de Glissant (19282011) l’espace de deux petites mentions dans Discours antillais, ses Poétiques et Esthétiques, ce Détour pour un poète qu’il juge facile et qu’il classe au même niveau que Guillén et Roumain retient notre attention. Depuis L’Intention poétique (Glissant 1969),Glissant prête mainte page à des figures de proue des lettres caribéennes, mais néglige l’œuvre de Damas (suivi en cela par Chamoiseau). Pourtant, Black-Label coïncide avec Les Indes et révise le mythe de la conquête des Indes occidentales dans une appropriation proprement martinico-guyanaise, analogique au premier Mouvement de Black-Label (Paris, Gallimard, 1956, l’édition sera référée par le sigle BL). Le silence sous la plume glissantienne suggère l’écart qu’il avait lui-même appréhendé lorsqu’il distingue le « rasta » de l’intellectuel « bien mis (Le discours antillais, Paris, Seuil, 1981, p. 201). Il y aurait une discorde antillo-guyanaise qu’il faut interroger, me semble-t-il. Là encore, avec Fanon, retentissent les réflexes en milieu antillais de se comparer constamment, de se valoriser constamment en se délimitant par rapport aux aînés (tour à tour Césaire, Damas, …) (Peau noire, Masques blancs 172). Glissant, Edouard, Le discours antillais, op. cit., p. 265. Plus qu’à la poésie, le penseur de la Relation et poète en premier lieu pense ici au roman, et non à l’expression du sujet lyrique. Ce qu’il applaudit dans l’écriture damassienne est qu’elle soit « innervée d’oralité », ce qui la fait classer entre Guillèn et Roumain. René Depestre, Bonjour et adieu à la négritude (Paris, Laffont, 1980). A signaler, dans l’Anthologie personnelle (Méjean, Actes Sud, 1993), une « Lettre au poète Léon Damas ». Suzanne Dracius-Pinalie, éd., Fort-de-France, ed. Desnel, 2007, préface Alain Mabanckou. Guillén y figure avec son «Elégie pour Jacques Roumain », pendant que Hughes se voit présenté à lui seul avec cinq poèmes. Quant à Roumain, « Prélude » et « Sales nègres » sont repris. Lilyan Kesteloot et Ari Gounongbe, éds., Paris, L’Harmattan, 2007. Lilyan Kesteloot, «Léon Damas, au fil de la mémoire», Portulan (octobre 2000), p. 231-234. Quels héritiers, quels héritages au seuil du XXIe siècle ? Diop, Frantz Fanon et Aimé Césaire. Il n’y a plus l’ombre du Guyanais. Dans la belle série de l’adpf, Senghor, Césaire, Glissant, AssiaDjebar et Julia Kristeva ont leur numéro. Dans L.-S. Senghor. Poésie complète43 Damas n’est signalé que trois fois. Certes quelques docufilms existent : mais par contre les vidéo-conférences et montages réalisés (sur You Tube ) lors du Festival des Arts à Dakar, dans « Lumières noires », ou « Noirs de France », l’ombre de Damas se répand. Il faut attendre le film de Sarah Maldoror (1995), de Jean-Michel Martial pour enfin se souvenir mais encore la question de l’audience se pose avec acuité. Le renom de Damas paraît dès lors tout relatif, bien que de thèses sortent (Miller 2013) ou sont en cours de route. Celui qui prit l’initiative de lancer une nouvelle série chez Fasquelle, qui, avec Senghor, lutta pour un Musée de l’esclavage à Dakar44, qui sortit deux anthologies de poésie de la diaspora noire toutes langues européennes confondues45, est resté à l’écart des commémorations de la (post-)négritude. A l’instant même où tous les regards étaient rivés sur le Martiniquais Césaire de qui l’on fête le Centenaire de sa naissance (1913-2008) ou sur son confrère sénégalais Senghor (1906-2001), leur troisième confrère guyanais semblait « scandaleusement oublié ». Outre-Atlantique Damas est-il mieux connu peut-être dans son autre pays, les EtatsUnis ? Séjour bref, collègue de Mercer Cook, à qui le poète dédie, à lui et sa femme, « Hoquet46 », ces années américaines faisaient de Damas 43 44 45 46 Eds Pierre Brunel, J. R. Bourrele et F. Giguet, CNRS / ITEM, 2007, voir p. 37, p. 42 et p. 274. Voir Véronique Coulon, Les Musées du Sénégal : sont-ils porteurs de ‘sénégalité ?, Master en ligne. <http://socio.univ-lyon2.fr/IMG/pdf/doc-449.pdf>. Consulté le 21 février 2012. Léon-Gontran Damas, éd., Latitudes françaises. Poètes d’expression française (1900-1945), Seuil, 1947. Le numéro 57 de Présence Africaine présente 106 poètes du monde entier, dépassant de loin l’ « anthologie » de Glissant, mêlant poésie, essai, et prose (La terre, le feu, l’eau et les vents, Paris, Ed Galaade, 2010). Qui plus est, le portugais comme le néerlandais, l’espagnol comme langues coloniales de l’Afrique et des West Indies, à côté de l’anglais et le français. Ses choix de poètes sud-africains ou surinamiens sont judicieux et il intègre et Wilson Harris (pour Guyana), et Glissant. Damas préparait par ailleurs une biographie en français de Langston Hughes, lui-même ayant lancé plusieurs anthologies, de surcroît une publiée chez Seghers. Il est possible que les contacts que Hughes avait avec les (Sud)Africains pour ses Poemsfrom Black Africa (Indiana UniversityPress, 1963) ait aidé ensuite Damas à constituer ses anthologies. Il est clair que tous deux voulaient remédier à la faiblesse éditoriale de l’époque. Récité par Stany Coppet, consultable en ligne sur You Tube : http://www.youtube.com/watch?v=xtaUC5SUE5Q&feature=related, consulté le 10 décembre 2011. 41 42 LÉON-GONTRAN DAMAS : POÈTE, ÉCRIVAIN PATRIMONIAL ET POSTCOLONIAL l’ambassadeur des lettres diasporiques francophones et des idéaux de la négritude. De ses années à l’Université noire de la ville de Washington, peu de traces finalement, à en juger un collectif, The TalentedTenth Dans In Search of the Talented Tenth: Howard University Public Intellectuals and the Dilemmas of Race, 1926-197047, les figures marquantes qui ont fait carrière à Howard University (Washington D. C.) sont présentées. Parmi eux, il y a par exemple Mercer Cook, traducteur de Roumain et grand ami de Langston Hughes48, le chef de file de la Harlem Renaissance que Damas rencontra en 1938 et avec qui Hughes entreprit une interview, jamais publiée. Etant donné que Mercer Cook traduisait avec Langston Hughes Gouverneurs de la rosée49 (Jacques Roumain), l’on peut se demander pourquoi les poèmes de Damas n’ont pas été retenus pour traduction anglaise ? Contrairement à Césaire qui peut compter sur des traducteurs comme 47 48 49 La « chair of the historydepartment » Lorraine A. Williams (1923-1996) est plusieurs fois mentionnée. Non seulement elle publia Afro-Americans and Africans: Historical and Political Linkages, 1974 (traduit en français comme Histoire de la diaspora noire. Témoignages, 1980), mais aussi Africa and the AfroAmericanExperience. EightEssays (1977). Mentor d’historiens comme William Leo Hansberry et John Hope Franklin, parmi d’autres, panafricaniste qui conversa avec DuBois et Nkrumah, Lorraine Williams lutta pour l’égalité dans le monde académique entre femmes et hommes. Dans cet essai qui survole toutes les sommités de Howard University, Damas ne figure nulle part ! Une cérémonie à Howard vient cependant d’avoir lieu, le 5 avril avec e.a. Maryse Condé, Ethelbert Miller et Keith Warner. Ami et anthologiste (en anglais et en français), dont Damas apprit le rythme blues et pour qui il prépara une biographie en français, laissé inachevée et dont on attend (vainement ?) l’édition posthume. L’amitié de Hughes (ou la fidélité à son ami?) est relative, m’apprend Shane Graham qui me fait le relevé de leurs échanges épistolaires (email du 8 juillet 2012) : au total trois lettres de Hughes à Damas, deux de Damas à celui dont la correspondance à Yale University a été rassemblé. Cette première traduction laisse à désirer, et a été repris depuis par EdwidgeDanticat. Professeur de littérature francophone de la diaspora africaine, Mercer Cook était aussi celui qui joua un rôle central dans la communauté intellectuelle de Howard University et l’ambassadeur des Etats-Unis au Niger. Il avait des rapports amicaux avec deux Guyanais, René Maran (1887-1960), prix Goncourt 1921 avec Batouala, véritable roman nègre, et l’oncle de Damas à Paris. Damas ne figure ni dans l’index, ni dans d’autres nombreux ouvrages sur les Africains Américains de la Harlem Renaissance que pourtant Damas fréquenta dans ses années américaines et bien avant, à Paris, « Nombril du monde ». Quels héritiers, quels héritages au seuil du XXIe siècle ? Clayton Eshleman50 (traducteur de Rilke, e.a.) et James A. Arnold51, Damas dont la poésie est bien plus facile à traduire, n’a pas été lancé outreAtlantique. Bien malgré ses contacts avec Mercer Cook, à qui Damas dédiera son poème le plus célèbre « Hoquet ». Outre-Atlantique, Conroy-Kennedy prit soin de constituer, dès 1972, un portfolio impressionnant52 dans la revue américaine noire Black World. Seules quelques lignes renvoient à l’amitié entre le Martiniquais et le Guyanais. La relative négligence de Damas se comprend eu égard que, quantitativement et qualitativement, l’œuvre damassienne est moins importante, mais c’est là une attitude que la critique semble avoir prise pour argent content. Reposons et resituons l’œuvre réduite dans son contexte. Regardons l’homme dont la stature était plus discrète, donc une posture effacée, parce que moins ambitieuse, plus diffractée dans le temps et que surtout la gestion des Inédits53ou la note dissuasive à la rééditions de Pigments Névralgies (2005)54, n’arrange rien. 50 51 52 53 54 Eshleman, Clayton, « ‘At the Locks of the Void’: Co-Translating Aimé Césaire », sur www.pores.bbk.ac.uk, consulté le 6 juin 2007. Annette Smith et Eshleman ont travaillé en tandem et ont pu compter sur l’aide de Césaire. Une nouvelle traduction avec James A. Arnold vient d’être publiée chez Wesleyan University Press (Slash SolarThroat). A part des fragments traduits par Conroy-Kennedy et OjoAde, la poésie damassienne attend une traduction intégrale en anglais (pour ne rien dire des autres langues). En espagnol, Pigments a eu un écho latino-américain ; en italien, Pigments a paru dans des revues à petit tirage grâce à entre autres Franco Fortini et xx. Voir Gyssels & Pagnoulle 2013. Ensemble avec Sonia Sanchez, Larry Neal, Nikki Giovanni et Amiri Baraka, Jayne Cortez forme la « seconde Renaissance », celle d’après la Harlem Renaissance, appelée the Black ArtistMovement », in Defining Ourselves, Black Writers in the 19s, Nunez, Elizabeth, Barbara Greene, eds., Peter Lang, 1999: 133. Dans The Black World (January 1972), Ellen Conroy-Kennedy présente « Leon Damas and the Colonized Personality » avec des photos avec sa femme Marietta au Brésil, ou encore de Damas devant la Tour Eiffel (1945). Une autre photo le représente posant une gerbe sur un « Monument aux Morts ». C’est pourquoi Damas ne figure pas dans une anthologie telle que Prosopopées urbaines, m’explique dans un mail la maison Desnel. Par contre, Jean Metellus lui cède la première entrée dans son anthologie, Voix nègres, voix rebelles, voix fraternelles, Paris, Le Temps des Cerises, 2007 (où il lui juxtapose Martin Luther King et Malcolm X). Sur la quatrième de couverture, l’auteur précise que « ces poèmes, d’une grande simplicité renouent avec la tradition un peu perdue de la poésie historique et pédagogique ». Damas, Léon-Gontran, Pigments, Névralgies, Paris, Présence Africaine, 2003, 2005. A la toute première page d’ISBN, cette note dissuasive : « droits de reproductions, de traductions, d’adaptation réservées pour tous pays. […] toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droits ou ayants cause est illicite », ajoutent Poujols et Bibas. Voilà ce qui aurait « Pour sûr » produit des « ricanements » de notre poète ! 43 44 LÉON-GONTRAN DAMAS : POÈTE, ÉCRIVAIN PATRIMONIAL ET POSTCOLONIAL A en croire que l’œuvre du poète qui se lamentait de son « chemin de Damas » serait comme maudite : saisie par le pouvoir colonial, des autorités françaises, puis par d’aucuns qui pensent devoir garder jalousement chaque page manuscrite (alors que des inédits sortent encore régulièrement et sont « postés » sur la toile55 chaque critique, desservant ainsi le grand homme généreux qu’il fut, lui. L’œuvre est moins notoire, mais c’est aussi parce qu’il ne géra aucunement sa posture d’écrivain. Si Damas ne cadre pas dans le groupuscule avant-gardiste ou cadre mal dans le respectable « centre » du mouvement de la négritude, c’est qu’il ne veut pas être à la solde du Blanc, au merci du Français, sournois et soumis. A plus d’un point, il est depuis la saisie de Pigments, depuis l’interdiction de Retour de Guyane, meurtri par ce double affront, son cœur d’artiste blessé à vif. Altéré dans son for intérieur, il perd la foi dans la littérature. Conséquence de cette condamnation, l’autocensure et le report des poèmes pourtant prêts, de projets annoncés dans la note liminaire à la réédition chez Leméac de Veillées noires. Damas tergiverse : la défense de faire circuler les vers de Pigments et les poètes résistants du marron amérindien maté de sang afroeuropéen a ravagé à jamais son optimisme. D’où un lyrisme empreint de mélancolie, celle-ci intensifiée encore par le fait que l’ethnologue modeste fait l’inventaire des « contacts et civilisations », pour parler avec Leiris56, son contemporain qu’il fréquenta (Leiris 6). Il y a d’emblée un désintérêt pour ce que pensent et veulent les Blancs de lui, depuis qu’il sait le prix que peut coûter l’expression libre ; sous le poète sourd l’ethnologue qui veut en finir avec l’eurocentrisme et avec l’ethnocentrisme, qui se trouve dans la position de l’homme qui se dépayse et qui, en poésie, se donne à voir tout en se voilant. Tristes tropiques, cela pourrait encore être un sous-titre pour cette analyse de Black-Label, car il y a la nostalgie de ce pays tant incompris qu’est la Guyane française aux yeux de son lectorat (blanc/francophone) ; tant l’inauthenticité à laquelle conduit « la loi de l’assimilation » l’écoeure. Ecorchant dès lors le « franco-français », sabotant la langue du maître, moquant la soumission à la grammaire française : Malgré la défense formelle Que m’en a toujours faite La grammaire des grammaires des grand-mères De Grand-Mère JOAL (BL 24) (italique ajouté) Repiquant sa diatribe contre le « franco-français » de son poème « Hoquet », le poète commet-il à dessein une double erreur (accord du participe passé « faire », pluriel de « grand-mères » ? Il est clair que Damas met « les pieds dans le plat » du système (littéraire), ne voyant d’autre issue : 55 56 « Rumination de caldeiras », « Nobody », par les spécialistes René Hénane, Dominique Ruelle, « Deux inédits manuscrits d’Aimé Césaire, présentés et commentés par René Hénane et Dominique Ruelle », mis en ligne sur www.mondesfrancophones.com, consulté le 2 août 2012. Leiris consacre à Lévi-Strauss des pages très incisives dans Cinq études d’ethnologie (Leiris 113-127). Quels héritiers, quels héritages au seuil du XXIe siècle ? Que de continuer à être Contre Le dressage Le défilé Le concours Le mérite agricole Le quitus Le viatique (BL 30). S’il reste « en bordure » des théories à son sujet, s’il arrive à faire « choir les théories », c’est qu’il ne digère surtout pas qu’on l’appelle, lui, le plus indépendantiste57 et farouchement opposé à l’assimilation58, ferme opposant à la départementalisation que fait voter Césaire, « Blanchi » (dédié à Césaire). Le Guyano-Antillais qui veut alarmer à tout moment contre le mensonge et la « conspiration du silence », contre ces moments sur le « chemin de Damas » où il est obligé de tricher, de passer dans l’autre camp, de jouer le jeu de leurs « mignardises » (BL 83), de leurs « politesses », adoptant « le ton des entrechats / le chic des ronds-de-jambe ». Sa carrière politique59, de brève durée, député « dépité » et « dévoyé », est mouvementée : pendant trois ans seulement, membre du corps politicodiplomatique (1948-1951) et membre du corps académique à Howard University (1975-1978). Que Howard University lui ait ouvert ses portes à cette première génération d’intellectuels noirs (à laquelle appartient son beau-père, Louis T. Achille) à publier et à enseigner est tout à son honneur, bien que je n’y trouve pas grand-chose dans leur bibliothèque. Le seul à transmettre le savoir, d’occuper une chaire de « Black Studies » avant la lettre, de surcroît à une petite université noire où débuta Morrison, mérite d’être rappelé. 57 58 59 Lorsque Patrick Chamoiseau se proclame, au micro de TV5 (consulté le 2 août 2012), à l’occasion du Salon du livre et de la parution de son dernier roman, « indépendantiste », l’on peut se demander ce que cela veut dire concrètement ? (repris sur Cultures Sud). Dans Retour de Guyane, « Pour ou contre l’assimilation » se base sur l’exemple de l’Africain Américain pour persuader ses lecteurs. Je reprends le passage tel quel de la réédition, dite critique : «Ainsi un noir américain assimilé, retrouvait spontanément une veine poétique originelle, et parvenait même à plier l’instrument rigide et précis de l’Anglais (sic) à une complainte d’une subtilité dans la raillerie essentiellement africaine. Par ailleurs, Paul Morand, dans un ouvrage qui a profondément blessé l’intelligentzia (sic) guyano-antillaise, a mis en relief le fond africain qui sommeille chez le plus européanisé des gens de couleur. (…). » Opposé à la départementalisation, contrairement à Gaston Monnerville, Damas trouva soupçonneux qu’on appelle le décret de la « départementalisation » aussi la « loi de l’assimilation ». Jusque tard dans sa vie, Damas gardera des arrière-pensées d’hommes noirs présidentiables et semble avoir pris quelques distances par rapport au président sénégalais, Senghor. Voir à ce propos Rodolphe Alexandre, Gaston Monnerville et la Guyane, 1897-1948, Matoury, Ibis Rouge Éditions, 1999. 45 46 LÉON-GONTRAN DAMAS : POÈTE, ÉCRIVAIN PATRIMONIAL ET POSTCOLONIAL Comparé à ses confrères de lutte, Damas reste le plus « marron » par sa coutume de parler « franchement » ; se désintéressant du corps diplomatique et académique, il reste le seul des trois à enseigner la « négritude », dans une université américaine, au moment où les Africains Américains se comptent sur une main dans la chaire académique. Avant Maryse Condé et Edouard Glissant, Damas est nommé à un poste américain et il forme la première génération de critiques caribéens : originaire de Trinidad, Carole Boyce-Davies, « Chair of African and Diaspora Studies » à la Florida International University, se souvient de sa chaleur humaine et de sa générosité. Il y aura aussi la future romancière grenadienne, Merle Hodge, qui échangea avec son « sujet de mémoire » une longue correspondance, posant de nombreuses questions60 et se souciant de la santé fragile de son auteur, son « objet » de thèse ; cette recherche la guidera vers une carrière de romancière61 (Cric, Crac, Monkey !). D’autres chercheurs encore qui eurent l’avantage de communiquer avec lui, tels Femi Ojo-Ade et Keith Walker, se rappellent de la jovialité et de son approche originale, parce que résolument comparatiste. Damas porte encore une autre casquette, celle de stimuler de jeunes poètes africains américains, comme me l’avoua la poète Jayne Cortez à Anvers (décembre 2008) et son ami, le sculpteur Mel[vin] Edwards, d’après Rosemont et Kelley (Rosemont & Kelley 17). D’autres plasticiens africains américains62 comme Ted Joans, et des membres des Black Panthers (Amiri Baraka) ont apprécié la profondeur de son engagement, l’inconditionnelle loyauté à l’égard de la « cause noire ». Mel Edwards m’a témoigné combien « the third man after Césaire and Senghor, althoughlessrenowedthanhisfriends » (Lubabu 2010) ce poète Autrement dit, plutôt que de se forger un renom, il était une force qui inspira et encouragea de nombreux autres artistes. Même loyauté du poète à l’égard de ses traductrices, Ellen ConroyKennedy63 et des premiers chercheurs à réellement s’intéresser à son travail, 60 61 62 63 Dans la « Damas collection » à Schomburg, j’ai pu lire ses questionnaires écrits à la main. Merle Hodge, Crick Crack Monkey, 1970, traduction Alice Asselos-Cherdieu, Paris, Karthala, 1983. La Grenadienne qui dédie sa thèse sur la poésie de Damas et étudia plus spécifiquement les rapports de genderet «race » : « The Shadow of the Whip : a Comment on Male / Female Relations in the Caribbean »in Is Massa Day Dead? Black Moods in the Caribbean, ed., Orde Coombs, NY, Anchor Books, 1974 : 111-118; et « Young women and the Development of Stable Family Live in the Caribbean » (Hodge 228). J’écris sans trait d’union ce terme qui depuis la fin des années 90, commence lentement à entrer dans le lexique francophone, peine à entrer dans les mœurs françaises… pour déjouer la « hyphenated identity », l’on supprime le trait d’union et l’on remplace le préfixe « afro- » par la moitié tout aussi importante et donc valorisée « africaine » dans l’identité noire américaine (Christian xx ). Elizabeth Conroy-Kennedy, The Negritude Poets : An Anthology of Translations from the French, NY, Thunder’s Mouth Press, 1989, p. 39-61. Quels héritiers, quels héritages au seuil du XXIe siècle ? surtout en milieu anglo-caribéen, Keith Warner64 (à qui il reconnaît en 1973 que B-Lest son meilleur recueil), et Femi Ojo-Ade65, parmi de nombreux autres. Autre caractéristique, l’allégeance surréaliste. Damas sort de l’oubli le « premier surréaliste noir », Etienne Léro (un autre oublié) : ce que Léro représentait pour Damas, René Ménil l’était pour Aimé Césaire. A en croire son introduction à Latitudes françaises, plus de la moitié de celle-ci concerne Léro dont on a mémoire de sa fulmination contre la morale blanche : L’Antillais, bourré à craquer contre la morale blanche, de culture blanche, d’éducation blanche étale dans ses plaquette l’image boursouflée de lui-même. (Léro 9). C’est avec la même véhémence que Damas tonnera contre les préjugés multiples et choquera ses lecteurs ; mais cette offense directe n’exclut pas l’autre bord, influencé par le surréalisme, plusieurs poèmes « restent enclos sur un secret ou essayaient de capter une impression fugitive », remarque Kesteloot (139). Cette même spécialiste brosse son portrait en funambule: «maigre comme un clou », flottant « dans un costume trop grand » dans la revue martiniquaise Portulan (Kesteloot 2000), Damas ne pèse pas de beaucoup de poids à côté de l’imposante figure du premier membre noir de l’Académie française qui aime à se faire photographier dans le costume d’apparat. Aussi ne connaît-il qu’une postérité limitée. C’est donc dans ce constat de l’oubli et d’un détournement de l’héritage damassien qui fondait un colloque international, tenu dans sa ville natale, Cayenne. C’est le moment d’offrir une [re-]lecture de ses recueils et de sa carrière en tant qu’ethnologue (Veillées noires) et politique, d’aborder aussi le recueil du milieu, le moins étudié, Black-Label. Ses quatre Mouvements, brassant rimes riches et vers libres, héritent du symbolisme et du surréalisme et Black-Label est, de l’aveu du poète, son recueil préféré, entamé après Pigments. En effet, certains fragments sont intégrés dans sa propre anthologie, Latitudes françaises, publiée en 1947, chez Seuil. Ce collectif jettera une lumière sur l’homme et l’œuvre, pour reprendre encore le beau titre de Daniel Racine, ouvrage publié en 1983. Après ce long silence de 30 ans, la « torche de résine » se rallumera avec ces Actes de deux jours de travaux et de témoignages intenses. 64 65 Keith Warner, Critical Perspectives on Léon-Gontran Damas, Washington, Three Continents Press, 1987. Auteur de la seule monographie en anglais Léon Damas, Spirit of Resistance, London, Karnak House, 1993. Voir aussi de longs extraits traduits et commentés dans Being Black, BeingHuman (Africa World Press, 2004, chapter 8 : « L.-G. Damas : Black-Label »). 47 48 LÉON-GONTRAN DAMAS : POÈTE, ÉCRIVAIN PATRIMONIAL ET POSTCOLONIAL Lors du Centenaire, j’ai donc tenu avec les membres de l’Université des Antilles et de la Guyane et de nombreux autres collègues et amis à rétablir l’équilibre, sortir de l’oubli. Dans ce collectif, il y aura d’abord des témoignages, des études regroupées sous Rythmes (aspects musicaux et sonorités de sa poésie), Rangs (ses confrères, le contexte et la réception de sa production poétique), Rayures : transgresseur de Lignes, Damas offre une poésie qui dépasse les polarités noir/blanc, homme/femme, hexagone/ Guyane. Le dernier volet regroupe des analyses de poèmes et pièces choisis. Avec Fanon, cette roulure du – R – rappelle l’incessant effort à apprivoiser sa « langue saburrale » (BL xx) : Le Noir entrant en France va réagir contre le mythe du Martiniquais qui-mange-les-R. Il va s’en saisir, et véritablement entrera en conflit ouvert avec lui. Il s’appliquera non seulement à rouler les R, mais à les ourler. Epiant les moindres réactions des autres, s’écoutant parler, se méfiant de la langue, organe malheureusement paresseux, il s’enfermera dans sa chambre et lira pendant des heures – s’acharnant à se faire diction.
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