A propos de l`exposition FIGURATION NARRATIVE… « OU ES
Transcription
A propos de l`exposition FIGURATION NARRATIVE… « OU ES
Le Billet de Lichten – Juillet 2008 url : www.peinture-et-langage.fr/billet/ A propos de l’exposition FIGURATION NARRATIVE… « OU ES-TU ? QUE FAIS-TU ? » OU VAS-TU ? Les peintres du courant « Figuration narrative » rétablissent la fonction picturale de représentation sociale, représentation de la vie et des puissances sociales, fonction disparue de la peinture avec l’art abstrait C’est une chose étrange que l’invention de la peinture abstraite, qui dépouillait la peinture de la fonction par laquelle elle donnait à voir aux catégories sociales une image d’elles-mêmes. On sait l’importance de cette fonction sous l’Ancien Régime, où elle s’appliquait aux grands de ce monde, rois, reines, notables. Une chose étrange en vérité, à laquelle a répliqué aux Etats-Unis l’invention du Pop Art, qui présentait un miroir de la société contemporaine, mais qui était un art de simple constat. Contre le premier courant, les peintres de cette exposition rétablissent la fonction de représentation sociale, contre le second, ils l’infléchissent dans un sens critique, polémique, provocateur. Ils se veulent en synergie avec la culture de masse (plutôt que culture populaire) qui caractérise notre époque. Ils reprennent ses thèmes et ses techniques de narration. Ils choisissent d’introduire un sang neuf dans la figuration, et révèlent dans la vivacité des bandes dessinées la possibilité d’une poétique, ignorée des élites cultivées. Ainsi en est-il de cette toile de Rancillac, faite de deux rectangles accolés de tailles différentes : Où es-tu ? Que fais-tu ? « Ils se lancent dans un jeu de massacre visant la grande peinture » (Le Petit journal) La question cependant est complexe, car ce jeu de massacre s’allie souvent avec une profonde connaissance et imprégnation de cette grande peinture. Je n’en veux pour exemple qu’Arroyo, qui, avec un grand talent, introduit des placages de motifs en aplats et des répétitions formelles dans des figures qui reprennent ou évoquent la tradition picturale espagnole et sa truculence baroque. La question dans son cas est d’autant plus complexe que l’Espagnol Arroyo, loin de se limiter au monde contemporain, règle ses comptes avec Napoléon, dans des tableaux de belle facture ; tantôt il le présente comme dépouillé de sa tête ( Le pas du Grand Saint Bernard ), tantôt il ébauche son visage dans la dernière laitue d’une rangée de laitues identiques ( Six laitues, un couteau, trois épluchures ) Il y a là une drôlerie grinçante, très espagnole, et beaucoup de liberté prise avec la figuration traditionnelle, en même temps qu’une profonde science de celle-ci. Mais mon propos ici n’est pas de faire une analyse exhaustive de cette exposition multiforme. IL serait sans doute intéressant d’étudier la manière dont ces peintres assurent la fonction représentative par la pratique de l’objet-signe et du message. La dimension sémiotique de la peinture contemporaine pourrait faire l’objet d’un autre billet. Néanmoins il convient de s’interroger sur l’association des termes figuration et narrative, en tant qu’elle implique le projet de figurer la durée dans la peinture. La visée effective de ces peintres et les moyens mis en œuvre ne correspondent pas exactement à un projet de cette nature. Ce courant pictural s’est d’abord appelé Nouvelle figuration, mais cela pouvait laisser entendre une peinture figurative faite avec négligence et à la va-vite, voire un peu salement, histoire de réagir Le Billet de Lichten – Juillet 2008 url : www.peinture-et-langage.fr/billet/ contre l’abstraction. IL s’est appelé ensuite Figuration critique et pour finir Figuration narrative .Ce qui semble justifier cette dernière appellation ce sont les emprunts faits « à la presse, à la publicité, à la bande dessinée et au cinéma, mettant en scène objets, personnages et situations » ( Le Petit journal ). Mais mentionner ces emprunts ne permet pas de cerner ce qu’il en est d’une figuration narrative. Il faut donc faire appel à la définition donnée par Gérard Gassiot-Talabot à l’occasion de l’exposition Bande dessinée et Figuration narrative ( 7 avril-12 juin 1967) : « Est narrative toute œuvre plastique qui se réfère à une représentation figurée dans la durée, sans qu’il y ait toujours à proprement parler de récit… » Or les figurations de la durée par les peintres de ce courant se ramènent à des techniques de pure et simple juxtaposition de vues instantanées, où sont négligés les problèmes de lumière. Ainsi en est-il dans la toile de Recalcati Deux pièces, cuisine, salle de bains. Dans de nombreux cas, il n’y a aucun souci de construction spatiale, mais juxtaposition d’objets-signes sur une surface plane ( Télémaque : Toussaint Louverture à New York ), ou encore juxtaposition de signes ou d’objets identiques dans des orientations différentes (Rancillac :Les tribulations d’un téléphone ). Le modèle de la bande dessinée apporte à ce titre une grande facilité, avec sa suite de scènes juxtaposées, et avec l’utilisation d’aplats colorés, souvent de couleur vive. Ce procédé de juxtaposition atteint son apogée avec la suite de tableaux de Vivre et laisser mourir, qui représente les différentes phases de ce qui se veut l’assassinat, par trois de ces peintres, de Marcel Duchamp, accusé d’incarner de manière indue l’esprit d’aventure dont l’époque contemporaine a besoin. Cet ensemble vaut comme une sorte de manifeste, il ne prétend à aucun intérêt plastique et il est construit comme un roman-photo. Il est donc clair que les mérites des peintres de ce courant sont ailleurs que dans l’expression de la durée, qui s avère chez eux particulièrement pauvre. Au demeurant il serait abusif de croire que la figuration dite narrative innove en introduisant la durée en peinture : « Or la figuration en peinture est loin d’exclure la temporalité. Devant un portait peint par Vélasquez nous sommes introduits dans l’instant du geste et du regard, qui est tout autre chose qu’un instantané. C’est ainsi que dans son Démocrite, cet instant comporte, dans son adresse à quelqu’un ( le spectateur lui-même ), l’anticipation d’une réponse. On pourrait multiplier les exemples… » Albert Lichten Le signe et le tableau , p.251 (Editions Honoré Champion – Paris 2004) Je crois pouvoir me considérer comme un peintre de la durée au sens précis du mot. Je l’exprime principalement dans mes toiles de promenades, dans mes portraits de lieux urbains, etc. J’appartiens pour ma part à un grand courant méditatif, peut-être marginal par rapport au champ social, mais qui n’a cessé de traverser l’histoire de la peinture et qu’incarnait naguère quelqu’un comme Matisse – il demandait à ses élèves de se mettre en communion avec le morceau de nature qu’ils avaient devant les yeux. Naguère aussi, Jan Renoir, le fils d’Auguste Renoir, qualifiait le peintre de « philosophe de notre temps », mettant ainsi l’accent sur le caractère irremplaçable de cette dimension méditative dont peut se dispenser le cinéaste, qui dispose de toutes les ressources de la technique. « L’œil écoute » écrivait Paul Claudel ; je pourrais dire aussi « l’œil médite », et en particulier lorsqu’il retient une scène passée dans l’intériorité du souvenir et qu’il se la remémore ensuite. J’ai souvent déconcerté les visiteurs de mes expositions en leur disant que j’introduisais, dans mes toiles, l’espace-temps. Les plus savants m’objectaient qu’il s’agissait là d’un concept de la physique relativiste qui avait passionné les cubistes à leurs débuts et que son intérêt pour la peinture actuelle était donc obsolète. Les autres, plus nombreux, ne comprennent pas que l’on puisse figurer autre chose que l’instantané, qui leur paraît un constat optique exact et véridique de la réalité. Une grande partie de mes tableaux s’inscrit dans une poétique de la promenade. Or nul besoin ici d’entrer dans les subtilités de la physique relativiste. L’espace-temps, sans doute pas celui des Le Billet de Lichten – Juillet 2008 url : www.peinture-et-langage.fr/billet/ physiciens relativistes, est le réel du promeneur, qui, pour peu qu’il soit sensible aux joies de la vision, découvre sans cesse de nouveaux points de vue, et se remémore, souvent inconsciemment, les lieux qu’il a parcourus. Il s’agit donc de réaliser sur une toile un continuum espace-temps, tâche qui paraît impossible ou du moins paradoxale, surtout si l’on s’en tient aux affirmations du dramaturge et esthéticien allemand du XVIIIème siècle, Lessing, qui distinguait nettement arts de l’espace et arts du temps, et rangeait la peinture parmi les arts de l’espace. Mais citons Paul Klee, qui lui oppose des arguments, eux aussi, un peu théoriques : « Dans son Laocoon, (…) Lessing insiste beaucoup sur la distinction entre art spatial et art temporel. Mais en y regardant de plus près, ce n’est qu’illusion et vaine érudition. Car l’espace est aussi une notion temporelle. (…) Le processus qui permet au point de devenir mouvement et ligne a besoin de la notion de temps.(…) » Paul Klee La pensée créatrice Quoi qu’il en soit, cette tâche impossible et paradoxale, c’est pourtant celle que j’ai entreprise et que je continue de mener. J’invite le lecteur à se reporter entre autres aux pages de mon site consacrées à La durée-promenades, à Portraits de jardins, à Portraits de lieux urbains, etc. Albert Lichten- Il faut toujours l’attendre- 80 x 80cm- 2000 On remarquera le petit personnage, au centre, en arrêt devant un beau chêne ; c’est lui qu’il faut attendre et c’est le peintre lui-même.