Apprentissage-apprivoisonnement du vieillissement. Lorsque les

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Apprentissage-apprivoisonnement du vieillissement. Lorsque les
DRULHE M. (1993), Apprentissage-apprivoisement du vieillissement, in Actes du Colloque,
"L'économie du vieillissement. Mythes et réalités" , Centre Jean Moulin - Limoges (22-23 octobre 1992),
Publication de la Mission de la communication et de la formation D.I.S.S.D., Conseil Général de la
Haute-Vienne, mai, pp.230-238.
Apprentissage-apprivoisonnement du vieillissement.
Marcel DRULHE
Centre de recherches sociologiques (Ce.R.S.)
Université de Toulouse-le-Mirail
et Groupe de recherche interdisciplinaire
sur le vieillissement, la santé
et la socialisation (G.R.I.V.S.S.)
Université Paul Sabatier*
Lorsque les organisateurs m'ont communiqué le titre de cet atelier, je ne me suis pas
rendu compte combien cet agencement de mots pouvaient être dangereux s'il était mal
compris ! Il m'est soudain apparu que dans nos sociétés audiovisuelles l'apprivoisement
*
Bien que l'auteur porte l'entière responsabilité de ce
texte, son écriture n'aurait pas été possible sans un
travail collectif de recherche de plusieurs années,
auxquels ont participé des médecins épidémiologistes de la
faculté de médecine (Alain Grand, Jacques Pous) et des
sociologues du Centre Interdisciplinaire d'Etudes Urbaines
(Serge Clément) et Centre Régional d'Education pour la
Santé (Arlette Grand-Filaire) : au-delà des remerciements
d'usage, cette note vise à attirer l'attention du lecteur
sur le fait que l'interdisciplinarité n'est pas le
résultat de quelque décision prise, pendant une période de
bonne humeur, par quelque "grand patron", mais qu'elle est
patiemment construite à travers des relations
interpersonnelles et des collaborations (études,
séminaires communs...) au cours des quelles sont mises à
l'épreuve la capacité des uns et des autres à respecter
authentiquement la discipline voisine, de mobiliser les
ressources de chacun, d'orienter les énergies vers un but
commun et d'établir des règles du jeu négociées et
acceptées par tous. Si la gérontologie doit être
interdisciplinaire par nature, il faut avoir conscience
que l'interdisciplinarité est un travail d'élaboration
collective qui se bâtit dans la durée, faute de quoi elle
se réduira à la peau de chagrin d'une juxtaposition de
disciplines.
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pouvait être associé à ces images du cirque où l'on voit des fauves apprivoisés par un
dompteur ! Pour continuer un peu sur cette pente, imaginez une petite fille demander à
sa maman : "s'il te plaît, apprivoise-moi papy !"C'est d'ailleurs sur cette pente que nous
conduit un film récent :"Tati Danièle". L'idée d'apprentissage peut aussi raviver des
souvenirs cuisants liés à l'école : on peut s'imaginer sur les bancs d'une salle de classe
face à un enseignant qui règne en maître ! Pardonnez-moi cette caricature, mais on ne
pouvait pas commencer cet atelier sans lever l'ambiguïté de cette image et de quelques
autres. Une telle caricature en effet est révélatrice d'un certain nombre de stéréotypes de
la vieillesse qui continuent de hanter nos sociétés et dont la caractéristique centrale est
de présenter la vieillesse sous la figure d'une altérité radicale. Quelques exemples :
l'image du vieux rural ancré dans la stabilité de valeurs "essentielles", sorte de vieux
résistant à l'éphémère de la modernité, comme si la vieillesse était synonyme de
conservatisme et de rigidité ; l'image tragique du vieux marginalisé parce qu'il ne
travaille plus et qu'il n'est plus productif, "socialement" mort ; à l'inverse, surtout depuis
le rapport Larroque, l'image du troisième âge hyper-actif, consommateur et dépensier.
La constante qui parcourt ces figures, c'est qu'il s'agit d'un étiquetage issu d'un rapport
d'extériorité.Le plus typique à cet égard est la nouvelle gestion des âges qui se met en
place au début des années 80 avec les contrats de solidarité et les préretraites : on est
décrété "vieux" à un âge de plus en plus précoce, au nom d'une politique quantitative de
l'emploi, quel que soit l'état des capacités physiques et intellectuelles de chacun ! Mais
la plupart des individus concernés ne l'entendent pas ainsi : ils se considèrent comme
"jeunes".
Voici donc des hommes et des femmes qui sont encore en très bonne santé, qui ont
été éduqués à tout faire au service de la production économique et à qui on donne toute
liberté en matière de maîtrise de leur vie et de leur temps ! Que vont-ils en faire ? C'est
ici qu'intervient l'autre sens de l'apprivoisement : lorsque les cadres de la vie collective
imposent à quelqu'un d'interrompre définitivement sa vie active ou bien quand un cycle
de la vie domestique s'achève avec le départ des enfants (pour les femmes au foyer),
s'ouvre un univers très large de choix possibles à la suite de ce qui constitue une rupture
par rapport au modèle de vie quotidienne jusqu'alors vécu. Quand il y a ainsi rupture
dans les manières habituelles de vivre, on est confronté à la béance du temps vide, à
l'inconnu d'une vie déstructurée, plus encore à la violence sauvage d'une absence, à
commencer par l'absence d'emploi du temps journalier (même si on garde le rythme des
repas, que faire entre eux ?), hebdomadaire (quand on ne travaille pas de la semaine,
que peut bien vouloir dire le week-end ?), annuel (quand toute sa vie est temps libre,
que signifie "les vacances" ?). Apprivoiser a ici un sens interne à la situation de ceux
qui la vivent : cela consiste à mobiliser sa culture i.e. l'ensemble des significations,
convictions, savoirs et savoir-faire, dont chacun est porteur, pour arracher cette rupture
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à l'inconnu, pour faire l'état des lieux et imaginer un plan de reconstruction, pour tirer le
meilleur parti possible de ce changement imposé, pour affronter les ravages de cette
violence en élaborant des projets de sorte que sa propre vie ne soit pas abandonnée à
quelque fatalité effrayante mais qu'elle soit réappropriée et qu'elle redevienne familière.
Vous avez sans doute noté que je viens de parler de la rupture de la retraite ou du cycle
de vie domestique et de son apprivoisement : c'est que la période qui suit la vie active
ou le maximun d'intensité de la vie domestique ne commence pas par la vieillesse (on
est d'abord âgé ou relativement âgé sans être vieux) ; c'est un autre épisode que
l'apprivoisement de la vieillesse ! Et il y aura encore éventuellement l'apprivoisement
de la dépendance, et dans tous les cas l'apprivoisement de la mort (si tant est que l'on
puisse jamais l'apprivoiser !).
Revenons d'abord sur cet épisode sur lequel ouvre la retraite ou la fin d'un cycle de
vie : être âgé sans être vieux ou "la vie à inventer". En gros entre 45 et 65 ans, il s'agit
d'opérer une reconversion pour transformer la discontinuité qui surgit dans sa
trajectoire en transition vers un nouveau mode de vie. C'est une chance et un risque. Le
risque, c'est la retraite-malheur ou la retraite-repli : l'enkystement dans l'isolement et la
solitude, l'abandon au fatalisme ("arrive ce qui arrivera"), la méfiance et la
thésaurisation avec la télévision qui déroule ses programmes du matin au soir. La
chance, c'est de trouver les moyens de contourner la difficulté, par un travail à la fois de
bilan et de deuil sur son passé pour inventer une autre manière de vivre.
Un problème central à résoudre est celui du centre organisateur des journées : que
va-t-on substituer à l'activité professionnelle ou à l'intensité antérieure du travail
domestique ? quelle activité structurante va constituer le cadre d'organisation de sa
quotidienneté ? Il n'existe pas de réponse-type. La fréquentation des gens qui ont
affrontés ce problème montre la diversité des orientations possibles. D'abord la plus
évidente : la poursuite, mais sous forme d'utilisation libre, de ses compétences
professionnelles (pour l'agriculteur, c'est la continuité d'une activité professionnelle en
réduction, "en levant le pied" ; pour certains ouvriers, c'est l'accomplissement de l'idéal
de l'ouvrier-artisan i.e. la fabrication "fignolée" de la totalité d'un objet avec les outils
de base de la profession et sans avoir à chronométrer son temps ; pour des professions
intermédiaires comme infirmières, travailleurs sociaux, enseignants, c'est se rendre utile
en mettant au service d'un entourage plus ou moins proche leurs compétences ; une
partie des classes supérieures se livre à un "néo-bénévolat productif" au sein
d'associations d'aide au développement dans toutes sortes de domaines). On note également des stratégies d'amplification qui consistent à reprendre des potentialités nonutilisées ou sous-utilisées en les portant au rang d'occupations pleines et entières (le
violon d'Ingres que l'on pas pu développer faute de temps : dessin, peinture, bricolage,
jardinage, lecture, réactualisation de réseaux familiaux et amicaux distendus et
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négligés, engagement très fort dans telle ou telle association...).Plus rarement on
découvre ce que l'on pourrait appeller des "vocations tardives" : il s'agit de gens qui
découvrent à l'occasion de cette reconversion une "passion" pour une activité qu'ils
avaient ignorée jusqu'alors (la pêche, l'apiculture, la photo, l'histoire de l'art...).
L'activité centrale peut laisser la place à un modèle de diversification des activités qui
constituent alors très souvent l'événement et le point de repère d'un jour de la semaine
(le lundi petite randonnée en groupe ; le mardi, après-midi de chant à la chorale ; le
mercredi, on va garder les petits-enfants du fils aîné et de la belle-fille parce qu'il n'y a
ni cantine ni école l'après-midi ce jour-là ; le jeudi...). Attention : il ne faudrait pas
croire que toute activité est de l'ordre du "faire" (cette croyance qui nous vient de
l'idéologie économique et industrielle aboutit à des exhortations répétées de bouger, de
"faire quelque chose").Toute l'existence ne se réduit pas à s'affairer ; il y a au moins
deux autres dimensions : "l'observation où le regard est tourné vers l'extérieur ; la
contemplation où le regard est tourné vers l'intérieur." L'observation, ça se traduit par le
banc des vieux au village ou dans le square : observer ce qui se passe, raconter sa façon
de voir les êtres et les choses, faire des commentaires sur la vie autour de soi, bref être
commère ou compère constituent aussi une activité qui entretient le vivre-ensemble. La
contemplation : ce peut-être de longs moments de paresseuse rêverie poétique, ce peut
être la quête de son origine patronymique, ce peut être le culte des souvenirs d'êtres
chers disparus, que sais-je encore... Quelles que soient leur forme, toutes ces activités
constituent un univers de référence où sont engagées les valeurs qui ont pétri
l'expérience de toute la vie antérieure : cela permet de mettre de l'ordre dans le temps,
d'anticiper ce qu'on va vivre, de donner une direction et un sens à son avenir. Est-ce à
dire que toutes ces activités sont équivalentes ? Il n'appartient pas au sociologue de
faire oeuvre de normalisation. Mais le sociologue remarque tout l'intérêt de la flexibilité
de certaines activités : quand surviennent des troubles incapacitants, le sportif doit
arrêter la pratique de son sport préféré alors que le jardinier pourra transformer ses
cultures en soin minitieux de quelques plantes vertes. Plus que d'autres certaines
activités permettent ce que l'on pourrait appeller des "glissements métonymiques".
La reconversion ne se réduit pas à la structuration de sa quotidienneté. Pour les
couples la vie conjugale doit être en partie renégociée : il s'agit de trouver un nouvel
équilibre entre le rapprochement imposé par la cessation de l'activité familiale ou
professionnelle et la nécessaire défense contre l'invasion de l'autre : quelles activités vat-on mener en commun ? quelles sont celles que l'on effectuera chacun dans son coin ?
Quant au célibataire ou au veuf, il aura lui aussi à affronter la question d'un nouveau
rapport à son "espace intérieur", même s'il n'a pas à le partager avec autrui : "faire
comme avant", c'est "tourner en rond"...
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Ce "premier" apprivoisement est un processus de tâtonnements, d'essais et erreurs
par lequel s'élabore à terme l'organisation d'un mode de vie marqué par la disponibilité
et l'ouverture.
Mais avec l'avancée en âge le vieillissement fait son oeuvre. La vieillesse n'est
qu'une suite d'états provisoires et chacun est confronté au vieillissement. On entre alors
dans l'épisode d'une autre expérience : être âgé et vieux à la fois. Vient le temps
d'apprivoiser le vieillissement.
D'abord la première difficulté à vaincre c'est la perception de soi : on a beaucoup de
difficulté à se reconnaître vieillissant. A moins de douleurs particulières manifestement
liées à l'usure corporelle, on ne se sent pas vieillir. Bien sûr on peut s'apercevoir que des
veilles excessives, la participation à des festivités nocturnes prolongées, familiales ou
pas, des efforts importants et soutenues, l'apparition de quelques pathologies légères
comme un rhume provoquent de la difficulté à récupérer : il faut plus de temps. Tout
cela est perçu dans un premier temps comme signe avant-coureur de la vieillesse,
comme une alerte plutôt stimulante que l'on prend avec le sourire : "Oh ! je prends de
l'âge," dit-on et on continue de refuser d'adhérer au club du troisième âge parce qu'on
ne veut pas se retrouver avec "des vieux" ! Cela peut aboutir à des situations cocasses :
Vercors (ce grand résistant récemment disparu) raconte qu'il considérait tout visiteur un
peu grisard comme plus âgé que lui et que, du coup, il s'adressait à lui avec toute la
déférence due aux aînés !
Le plus souvent c'est par les autres que nous finissons par reconnaître notre propre
vieillissement. En observant, quelquefois d'un oeil narquois, les maladresses dans la
démarche ou les gestes des personnes de sa propre génération, on finit par s'apercevoir
que l'on ne vaut pas mieux et que l'on se moque de soi-même ! C'est aussi le regard ou
les expressions de personnes plus jeunes qui constitue le miroir de son propre
vieillissement: on abandonne la conduite automobile parce que plusieurs automobilistes
ont manifesté ces derniers temps que l'on était "un danger public". De telles expressions
peuvent avoir des effets d'imposition : des enfants vont interdire à la grand-mère de
faire telle ou telle chose sous prétexte qu'elle vieillit et sans en discuter avec elle. Or il
est important d'aboutir dans son for intérieur aux mêmes appréciations sur son corps
vieillissant, et pas seulement pour reconnaître cet état de fait mais aussi pour en prévoir
au moins certains effets : il s'agit de faire l'épreuve dans son corps et par son corps de
ses nouvelles limites. Il ne s'agit pas de vérifier si l'on est capable de prouesses :
simplement éprouver une difficulté inattendue dans l'accomplissement de la banalité.
Désormais il s'agit d'"une vie à ménager".
Apprivoiser le vieillissement va consister à reconnaître que l'on ne peut plus "avoir
la haute main" sur tout et que diverses dimensions de la vie sont à réviser à la baisse : il
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faut sélectionner dans ses activités pour ne conserver que les plus vitales, les plus
"vivifiantes", pour préserver des moments de repos au moment où on en éprouve le
besoin. Vieillir c'est faire l'expérience du rétrécissement et de la déprise : celui qui
faisait son jardin diminue la surface de ses cultures avant de les abandonner totalement
; la couturière et la tricoteuse qui produisait quantité de vêtements pour les enfants et
les petits-enfants ramène son activité à quelques travaux de "retouche" avant de se
déssaisir des ciseaux et aiguilles ; le joueur de boules se contente de parties de cartes
avant de devoir y renoncer...
Aux confins du vieillissement peut-être faudra-t-il apprivoiser la dépendance, au
terme d'une cascade de déprises et de délégations successives de ses capacités. Cet
épisode ne débouche pas toujours sur un abandon du domicile : la solidarité familiale,
surtout si son renforcement a été préparé au cours des épisodes précédents, peut se
conjuguer avec des solutions institutionnelles ambulatoires (aides-ménagères, soins
infirmiers à domicile, etc.) ainsi qu'avec des solidarités de voisinage. Sur la dépendance
il y aurait beaucoup à dire... Peut-être est-il bon de rappeler un point essentiel : la
dépendance ne s'oppose pas à l'autonomie. La dépendance désigne ce qui résulte
pratiquement de l'affaiblissement ou de la perte des capacités fonctionnelles ;
l'autonomie implique l'aptitude à déterminer soi-même ses règles de conduite et ses
projets, l'orientation de sa vie et son sens. L'enjeu du vieillissement, en particulier
lorsque incapacités et handicaps se manifestent, est de préserver l'autonomie de sorte
que ce que l'on appelle dépendance soit véritablement une interdépendance négociée :
répondre sur le seul plan technique aux défaillances fonctionnelles, c'est dénier la
capacité d'un sujet à garder la maîtrise de l'orientation de ses actes et des risques qu'il
est prêt à courir.
Il ne serait pas normal de clore ces propos sans parler de la mort : la mort-tabou dans
nos sociétés, pourtant habituées à la mort-spectacle sur les écrans, ne doit pas nous
amener à escamoter cette réalité incontournable. A écouter les vieilles personnes, une
expression revient comme un leitmotiv : "ne pas se laisser aller". Ne pas se laisser
aller où ? Il manque un complément. Cette formule intransitive sous-entend notre
tragique finitude : ne pas se laisser aller à la mort ! Et quantité d'autres signes, au cours
de la fréquentation des vieilles gens, témoignent de façon indirecte que la mort affleure
dans toute la vie quotidienne : l'assiduité dans la lecture des avis mortuaires dans les
journaux, l'impossibilité à évoquer les siens et les amis sans penser aux disparus, etc.
Comment réagit leur environnement ? Actuellement dans l'ambiance sociale de cette
mort-tabou, au lieu de laisser s'exprimer les craintes de la mort, on rappelle de toutes
sortes de manières aux vieilles personnes qu'il ne faut pas en parler. Apprivoiser la mort
c'est peut-être déjà revendiquer le droit à dire ce que l'on en ressent, ce que l'on en
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pense. Et il arrive aussi que cet apprivoisement se traduise par une sorte de détachement
et de tranquille abandon : "j'ai fait mon temps", "j'ai vu tout ce qu'il y avait à voir", bref
à partir d'un certain moment "on se laisse vivre" ; quand on a été capable de préparer
cette matérialité des choses de la mort que sont le testament, le lieu où l'on souhaite
mourir, le caveau où l'on veut être enterré ou bien l'inscription explicite dans le groupe
de ceux qui revendiquent l'incinération, la nature des funérailles que l'on souhaite,
quand on a le sentiment que l'âge de mourir est arrivé et qu'on est prêt pour cela, il y a
un recentrage sur le moi, sorte d'ultime préparation à l'instant du mourir qui sera
fondamentalement solitaire. Tout cela est bien insupportable pour les survivants, qui
soit développent une espèce d'acharnement psychologique sous le prétexte de stimuler
et de secouer, soit grignotent et réduisent les ultimes initiatives en s'imaginant aider. Il
est si difficile d'écouter et de respecter...
Un mot de conclusion pour relever ce qui constitue une clé de l'apprivoisement de
ces divers aspects du vieillissement : il s'agit de l'anticipation. L'anticipation consiste à
imaginer que telle ou telle situation puisse survenir. C' est une aide importante pour
s'adapter aux situations réelles parce qu'elle a pour effet d'atténuer les perturbations de
la crise qu'elles suscitent : on avait prévu, donc on avait pensé à des solutions possibles,
même s'il faut les remanier. Inversement le manque d'anticipation laisse toute sa force
d'impact à la perturbation qui advient et surprend. Ainsi, parce que les hommes ont le
sentiment (statistiquement fondé) qu'ils mourront avant leur compagne, si celle-ci vient
à décéder la première, c'est une véritable catastrophe qui s'abat sur eux, dont une
proportion non négligeable "ne se relève pas". Au-delà de ces diverses pistes de
réflexion il me reste à souligner qu'il n'existe pas un modèle et un seul de vieillissement
: apprivoiser, c'est aussi inventer dans la négociation avec son environnement
l'itinéraire d'une possible vieillesse.
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