Deux visionnaires: Henri Lemaître et Michel Thonar

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Deux visionnaires: Henri Lemaître et Michel Thonar
Le Grand Hôtel
de la Citadelle
Documents rassemblés par
Pierre Pagès
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Sommaire
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Deux visionnaires
La ville donne son accord
Des problèmes de toutes sortes
Le grand Hôtel se le citadelle
1903 : un plan mirifique
1906 : le programme Golenvaux
1908 : la faillite
1910 : la reprise
1914 : la restauration et la fin
Photos en annexe
Deux visionnaries : H. Lemaître et M. Thonar
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Henri Lemaître
Suite à la construction d’une ceinture de forts à coupole (neuf
ouvrages dans un rayon de 5 à 10 km du centre de Namur: Marchovelette,
Cognelée, Emines, Suarlée, Maizeret, Andoy, Dave, Saint-Héribert et Malonne),
la citadelle a perdu tout intérêt stratégique. Le 8 juillet 1891, le roi Léopold II
a signé l'arrêté de déclassement de la Citadelle comme place forte, du moins
pour la partie du Champeau située au delà de Terra Nova.
Sur l'instance d'Henri Lemaître, bourgmestre de Namur de 1891 à 1895, et
avec l'appui du roi, l’Etat l'a cédée définitivement à la ville de Namur en 1893.
A plusieurs reprises, Léopold II, accompagné de son architecte
Monsieur de Courtange, avait visité le plateau de l'ancienne forteresse et avait
compris, comme Henri Lemaître, l'intérêt touristique que présentaient les
lieux. Des plans ont même été dressés pour transformer l'immense plateau en
un parc admirable, découpé de belles promenades, parsemé de reposoir, de
bosquets, de kiosques... On a même envisagé de construire une petite ville
dans le style grec afin de faire de la Citadelle une véritable curiosité.
Dans un discours du 1er octobre 1893, Henri Lemaître, savourait la
nouvelle mission des lieux: « ...Acclamons la nouvelle et pacifique conquête de
l'ancien château des Comtes et de la citadelle réputée inexpugnable. Que nos
transports d'allégresse saluent l'ère de prospérité, de sécurité, de bonheur
que ces événements nous promettent. L'accès du donjon, avec ses tours
antiques, ses murailles sur les rocs inaccessibles, illustrés dans le temps
passé par des sièges mémorables et désastreux, nous laissera désormais
jouir en paix du spectacle ravissant de nos beaux fleuves, de nos vallées et de
nos montagnes. Du haut de cette esplanade dominant l'union de Sambre et
Meuse, nous pouvons apprécier l'intérêt si vital, si essentiel des attractions de
ce site enchanteur et merveilleux, attractions sur lesquelles la ville de Namur
fonde tant de légitimes espérances... »
Selon le “Patriote Illustré” du 22 octobre 1893:
« ...Les Namurois ont chaleureusement fêté l’événement. C’est en présence
des autorités civiles et militaires, de toutes les sociétés de la ville, venues en
cortège, et d’une foule nombreuse que le bourgmestre a prononcé le discours
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consacrant la prise de possession de la citadelle. Le libre accès ne va pas
manquer d’attirer les touristes... »
Mais le projet avait aussi ses détracteurs: les commerçants
namurois qui craignaient sans doute la concurrence.
Michel Thonar
Le 1er août 1893, Michel Thonar, un industriel, a déposé un vaste
projet au conseil communal. On peut le résumer en cinq points:
- construction d'un hôtel de prestige avec institut hydrothérapique, salles de
concerts, de conversations,
de lecture, de jeux...
- construction d'un générateur à vapeur pour alimenter les chaufferies et
fournir l'énergie destinée
à l'éclairage, au fonctionnement d'un funiculaire, d'un ballon captif, d'un
tramway électrique,
à l'alimentation des pièces d'eau et d'une la cascade...
- construction d'un funiculaire indispensable pour amener les touristes de La
Plante vers le plateau,
- aménagement des fossés entourant la lunette pour constituer une réserve
d'eau très importante. L'hiver,cela ferait un beau champ de glace...
- installer un ballon captif qui planerait à 600 m. au dessus de la vallée...
A charge de la Ville de construire une enceinte qui servirait d'hippodrome et de
vélodrome et de créer la Route Merveilleuse.
D'autres projets plus accessoires étaient aussi envisagés par M.
Thonar, comme déplacer le Musée archéologique au Château des Comtes,
construire un village aduatique...
La Ville donne son accord
Après beaucoup de discussions, la Ville, séduite par les arguments
de M. Thonar, dont le développement de l'hydrothérapie, qui apporterait 100 à
200 clients par jour, concède les éléments suivants à
l'industriel:
- le droit d'établir un funiculaire à partir de La Plante
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- le droit d'établir un chemin de fer à partir de Malonne
- le droit d’établir une usine d'électricité
- l'usage, pendant 99 ans, d'un terrain situé sur le plateau supérieur de la
Citadelle pour y installer un hôtel avec établissement hydrothérapique,
dépendances et jardin.
Dès lors, on va s’activer pour faire de la vieille forteresse un lieu
d’attractions avec la création des routes dites “Merveilleuse” et “des
Panoramas”, escaladant chacune un versant de la colline, construction d’un
pont pour relier la Médiane au Donjon, construction d’un hôtel, le ”Grand Hôtel
de la Citadelle” et d’un funiculaire, arrivant au pied de cet hôtel. On va planter
des arbres, tracer
des chemins.
On ne lésinera pas sur les moyens, en creusant des tunnels, car la
ligne ne pouvait épouser les tournants trop aigus de la Route Merveilleuse.
Aujourd’hui, ils sont murés pour la plupart.
Des problèmes de toutes sortes
Difficultés financières : la société d’exploitation de M Thonar s’est vite
trouvée en difficultés financières et a du obtenir des délais
supplémentaires pour respecter ses obligations envers la Ville. Elle a
demandé la suppression du vélodrome et le remplacer par une plaine de
jeux mais cette demande a été rejetée.
• Difficultés techniques : la construction du funiculaire a été rendue
difficile par la nature du terrain. En effet, il fallait franchir les terrains du
charbonnage du Château...
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Le “Guide du Touriste et du Cycliste”, édité à Namur en 1896, nous
présente ainsi le funiculaire: “Le chemin de fer funiculaire qui reliera la ville au
plateau supérieur des terrains de la citadelle part près de la porte de La
Plante, suit le flan du coteau du “Tienne des Biches” pour aboutir dans le
kursaal de l’hôtel. La voie établie en déblai sur la montagne et en partie sur
une série de ponts sur pylônes traverse la riante vallée du Tienne des Biches
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et de la gorge du Bulley. La côte du point de départ étant de 90 mètres et
l’ordonnée
du point d’arrivée au sommet de la citadelle (lunette de gauche) étant de 215
mètres, la rampe de la plate-forme est maximum de 0,28 par mètre sur une
longueur de 558 mètres. Un coquet pavillon servira d’abri au pied du plan
incliné.”
Enfin, le 20 juin 1898, le funiculaire a officiellement relié La Plante
au Grand Hôtel de la Citadelle.
Les autres travaux continuaient également et avril 1899 vit
l’inauguration de l’hippodrome et du vélodrome. L’hôtel était aussi quasi
achevé et il fut officiellement inauguré le 21 mai de la même année, sans être
entièrement terminé.
De son côté, la SNCV construisait une ligne qui, partant de la gare,
montait par Salzinnes, passait près de Grand Hôtel et redescendait en ville par
le côté Meuse. Ce fut d’abord un tram à vapeur auquel succéda un tram
électrique avec des voitures « ouvertes » en été.
Avec un tram à vapeur...
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puis à traction électrique
Le Grand Hôtel de la Citadelle
Quelques témoignages
Namur-la-Belle du 21 mai 1899, jour même de l’inauguration :
“C’est précisément ce dimanche 21 mai qu’a eu lieu l’ouverture officielle du
Grand-Hôtel, bâti sur les fondations de l’ancien fort d’Orange, l’un des
ouvrages avancés de notre citadelle aujourd’hui déclassée.
On sait que les progrès de l’artillerie ont réduit à néant la valeur, jadis
formidable, de notre ancien Château, et que S.M. Léopold II, s’intéressant à
l’avenir de notre cité, a non seulement poussé à ce que le Gouvernement
cédât à la ville la citadelle et les terrains d’alentour, mais encore a fait
dresser, par son architecte M. Lainé et aux frais de sa cassette, les plans
du parc aussi vaste qu’accidenté qui remplace aujourd’hui les parapets et
les glacis.
La société nouvelle Namur-Citadelle, concessionnaire de l’entreprise, a
installé là, à proximité de l’endroit où fut jadis la chapelle Saint-Georges, un
établissement dont le description se trouve dans la revue bi-mensuelle
illustrée ”Namur”, n° 5, mai 1899. Nous attirons l’attention du lecteur sur
le splendide monument qui surplombe d’environ deux cents mètres le fond
des vallées de la Sambre et de la Meuse, et d’où l’on découvre le plus
•
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splendide panorama qu’on puisse imaginer. Mais ce n’est pas la seule
amélioration qui ait été apportée au vieux Château de Namur: des routes
carrossables ont été construites, non seulement dans la citadelle même,
où l’on peut entrer en équipage, soit par les chemins du coteau de Buley
vers la Meuse, soit par le pré Leanne et la Porte de Secours, mais encore
sur le flanc de la montagne vers Salzinnes, par où, contournant les
lunettes, on peut débarquer à l’entrée du Grand-Hôtel sans avoir recours au
funiculaire qui monte l’escarpement proche du Tienne des Biches, à
proximité de l’ancien Château des Fleurs à La Plante. Des transformations
qui s’exécutent au chemin du funiculaire permettront de faire circuler ses
voitures chaque jour jusqu’à minuit...”
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Namur Revue:
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« C’est ce 21 mai qu’a eu lieu l’ouverture officielle du Grand Hôtel bâti sur
les fondations du fort d’Orange, l’un des ouvrages avancés de notre
citadelle aujourd’hui déclassée. La société Namur Citadelle à installé là, à
proximité de l’endroit où fut jadis la chapelle Saint-Georges un
établissement de grand standing. Las fêtes des 9 et 10 juillet seront la
véritable inauguration de la saison d’été au Grand Hôtel de Namur Citadelle
où séjournent déjà plus de 50 personnes qui n’ont pas attendu le beau
temps pour jouir de toutes les installations de cet établissement aussi bien
tenu qu’admirablement dirigé et dans lequel chacun peut trouver , quels
que soient ses désirs, tout ce que l’on peut souhaiter : une cuisine exquise,
une cave remarquable.... »
• Un autre éditorial de Namur Revue :
« Namur-Citadelle est sans conteste une merveille. Nous nous bornons
aujourd’hui à la signaler en prédisant un succès sans précédent à ses
créateurs, au premier rand desquels il faut placer le Roi qui en a eu l’idée
initiale et qui aux frais de sa cassette fit élaborer les premiers plans et à la
société qui eut le courage, malgré les difficultés sans nombre, de les
réaliser. Cette ville de Namur sera bientôt une des stations les plus
justement recherchées non seulement en Belgique mais dans toute
l’Europe.
• Le guide du Touriste et du cycliste :
« C’est dans les hauteurs de la citadelle qu’on trouvera une habitation
confortable exempte d’un luxe qui coûte cher sans rien donner, avec des
eaux froides et des eaux chaudes à chaque étage et constamment des
ascenseurs à chaque étage... »
• Le guide du touriste et du cycliste :
Par contre, dans un autre numéro du guide, on pouvait lire ceci :
« Malheureusement, la ville a laissé construire sur les substructions d’une
des lunettes supérieurs de l’ex-citadelle une abominable construction à
étages multiples, coiffée d’un dôme d’écailles en zinc ; cela écrase la
montagne et produit aux alentours, d’aussi loin qu’on puisse l’apercevoir,
un désastreux effet... »
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L’hôtel était donc lancé et les premières années ont été
relativement fructueuses avec de nombreux étrangers séjournant dans
l’hôtel mais bien que beaucoup de choses aient été faites, il restait
beaucoup à faire, et comme écrit dans un mémorandum de 1903, le Grand
Hôtel Namur Citadelle devait être considéré comme une oeuvre
inachevée...
1903 : un nouveau plan mirifique
En 1903, une commission communale est créée avec pour
mission d’arrêter un programme d’ensemble pour parachever les
aménagements de la citadelle et de ses abords.
D’importants travaux sont envisagés :
- améliorer les communications
- remplacer le funiculaire, reconnu défectueux
- construire une salle des fêtes au Grand Hôtel et ajouter des balcons à
tous les étages
- création d’une plaine de jeux avec club house, café, vestiaires
- achever les routes, dont la route merveilleuse
- remise en état de la lunette du centre qui serait affectée à une fermelaiterie avec écuries spacieuses
- développement du Musée Forestier et de l’arboretum qui l’entoure...
Un seul problème : qui va payer ? En ce qui concerne le réseau
circulaire tramway-funiculaire, ce serait à charge de la SNCV, quant aux
autres travaux, on espère une collaboration entre la ville de Namur et l’Etat
pour ces travaux d’utilité publique. Ces idées sont restées dans les cartons
pendant 3 ans.
1906 : le programme « Golenvaux »
En 1906, le 2 mai, l’échevin Golenvaux publie ses Projets de
transformations de la ville de Namur et les plans, exposés à l’hôtel de ville,
ont été dressés par l’architecte Georges Hobé, de Bruxelles.
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La société Namur-Citadelle se voit octroyer un nouveau bail de
99 ans et elle s’engage à embellir l’hôtel et à aménager ses abords. La
Ville consent également un prêt important à cette société.
1908 : la faillite
Mais les choses vont très mal et l’exploitant, M. Brilot, croule
sous les dettes, se déclare en faillite et propose une reprise par la ville,
dans une lettre du 6 novembre 1908 :
« ... L’hôtel dans les mains de la Ville aurait une toute autre valeur, car la
Ville peut attendre, pour faire converger les efforts utiles vers la citadelle et
trouver pour le public des compensations d’autre nature aux charges
qu’elle aurait... »
1910 : la reprise
Suite à toutes ces difficultés, l’échevin Golenvaux propose au
collège le reprise de la concession par la Ville (terrains, constructions,
mobilier de l’hôtel, installations fixes du funiculaire, plans de M. Hobé pour
l’agrandissement de l’hôtel) le tout pour la somme dérisoire de 260000 F .
Ses arguments, essentiellement touristiques, sont contestés par certains,
dont le conseiller Bribosia, qui reprend l’idée de la concurrence faite aux
hôtels de la Ville, et l’échevin Wasseige qui juge la somme de reprise trop
élevée, mais d’autres comme les conseillers Grafé, et le bourgmestre
E.Mélot sont favorables à le reprise et le 6 mai 1910, le conseil accepte.
L’acte de vente est signé le 8 juillet 1911 mais l’hôtel reste inoccupé
jusqu’en 1913.
1914 : la restauration et la fin
Le ville a trouvé un locataire en la personne d’un anglais, M.
Kennedy Ellis. Après de gros travaux de restauration à charge de la ville de
Namur, M. Ellis peut enfin ouvrir son hôtel le 8 avril 1914. Il espère attirer
une clientèle anglaise et propose aux Namurois des prix très
démocratiques, mais il ne parvient pas à relancer les affaires et le 9 juillet,
sans grands moyens financiers, il demande un concordat judiciaire.
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Quelques semaines plus tard, la guerre éclate et on connaît la suite : l’hôtel
est bombardé et incendié.
Le colonel allemand Von Trappen, dans son livre Namur for und
im Weltkrieg, parle de la destruction du Grand Hôtel le 23 août 1914: “ Le
Grand Hôtel de la Citadelle a été bombardé dimanche soir à partir de La
Plante. Il a été démoli en partie par l’artillerie allemande et a continué à
brûler les deux jour suivants.” Un doute subsiste quant à l’origine de
l’incendie : allemands ou troupes belges qui auraient mis le feu durant la
débandade qui a suivi le bombardement ?
L’hôtel après l’incendie
Le 17 mars 1930, les travaux de construction d’un immeuble
plus modeste, le Château de Namur, ont débuté pour se terminer deux ans
plus tard mais ceci est une autre histoire...
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Photos en annexe
Le Grand Hôtel au temps de sa splendeur
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L’arrivée du funiculaire
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