Apport des découvertes monétaires faites sur l`oppidum celtique du
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Apport des découvertes monétaires faites sur l`oppidum celtique du
KATHERINE GRUEL1 Apport des découvertes monétaires faites sur l’oppidum celtique du Mont Beuvray L’oppidum du Mont Beuvray en Bourgogne est identifié avec l’oppidum éduen de Bibracte. Depuis 1984, les recherches menées par une vingtaine d’équipes européennes ont permis de faire considérablement avancer nos connaissances sur ce site et par voie de conséquence sur l’histoire des oppida celtiques, en général (Guichard, 2003). L’importance de l’oppidum de Bibracte tient tant au fait qu’il est connu par les textes latins (César, La Guerre des Gaules) qu’au fait qu’il a servi de référence à J. Déchelette pour établir la chronologie de la période (Déchelette, 1927, 1118). Enfin, il n’a pas ou peu été occupé depuis l’Antiquité. Les objectifs des recherches actuelles visent à affiner la chronologie du site et sa stratigraphie, à comprendre la genèse de son urbanisme et son évolution en identifiant les caractères qui le rapprochent ou le distinguent d’un site urbain du monde méditerranéen classique, enfin de nous renseigner sur les aspects culturels et économiques de la vie de l’oppidum à travers différents mobiliers dont les monnaies. L’étude exhaustive des monnaies de Bibracte fournit de premiers éléments sur la chronologie de leur apparition sur le site, leur rythme et leur durée de circulation, leur contexte de découverte. Elle montre une monétarisation profonde de l’économie dès le IIe s. av. J.-C. parallèlement à l’activité artisanale. L’ensemble monétaire trouvé au Mont Beuvray se compose de 475 monnaies romaines dont 84 deniers d’argent et de 2446 monnaies gauloises dont 1493 identifiables (Fig.1). On a là un échantillonnage de la circulation monétaire sur le site durant les deux derniers siècles avant J.-C. On constate une domination incontestable du numéraire de faible valeur unitaire, une part très importante de monnaies d’argent fourrées de fer ou de bronze (estimée à près de 60%), une absence de l’or, en particulier des monnaies d’or éduennes ou séquanes. Les 150 bronzes gaulois identifiables se situent dans les niveaux du deuxième tiers du Ier s. av. J.C., au plus tôt (Gruel, Popovitch, à paraître). Les potins gaulois, bronzes coulés riches en étain, représentent 65% des découvertes monétaires sur le Mont Beuvray. Les 1380 pièces identifiables se répartissent en 38 séries monétaires. Certaines d’entre elles apparaissent dès La Tène D12 et circulent encore à La Tène D2. D’autres sont émises pendant ou après la Guerre des Gaule. Six séries de potins sont représentées à plus de 80 exemplaires: 413 potins au triskèle (LT2935), 394 potins à la grosse tête et au bandeau lisse, GTA (Gruel, Geiser, 1995, 11-19), 174 potins à l’herbivore couché (LT5253), 98 potins à légende SELISV (LT4628), 82 potins à légende ALAV ou ALAVCOS, 39 potins au torque (ABT 113-117), 27 potins à l’aigle de face. Les potins au triskèle zoomorphe peuvent se répartir en six classes typologiques (Fig. 2), cependant on constate à l’intérieur de chacune d’entre elles des variations importantes de poids et surtout de modules qui sont révélatrices de surmoulages: Si on prend l’exemple de la classe I, on trouve des pièces de très petits diamètres (14 mm) et un maximum de 21 mm. Le poids reste peu significatif du fait de la corrosion et probablement d’un soin moins grand apporté dans la reproduction des alliages. En revanche, l’augmentation du module peut provenir de l’usage d’une pièce pour empreindre le moule de la coulée suivante. La qualité de l‘empreinte sur les potins de petit diamètre est souvent plus fine, à corrosion comparable. 1. Directrice de recherche au CNRS, UMR 8546 CNRS-ENS, 45 rue d’Ulm, Paris 75005. 2. Les monnaies gauloises ne sont pas datées en chronologie absolue sauf quelques séries épigraphes, la plupart aux noms de chefs de la guerre des Gaules: on n’en connaît ni le pouvoir émetteur ni la date précise d’émission. C’est pourquoi, leur date de circulation est défini par les contextes archéologiques. La chronologie relative de certaines séries monétaires devient de plus en plus précise grâce à des fouilles comme celle du Mt Beuvray. Cependant, il paraît plus raisonnable d’adopter pour les monnaies comme pour le reste du mobilier gaulois une chronologie par horizon laténien qui identifie autant une période qu’une association systématique de certains mobiliers qui deviennent alors des traceurs chronologiques. La Tène D1a va de130 à 120 av. J.- C., La Tène D1b, de120 à 80 av. J.- C., La Tène D2a se place entre 80 à 70 av. J.- C., La Tène D2b couvre la guerre des Gaules et la période pré-augustéenne. 447 KATHERINE GRUEL Ces potins au triskèle sont présents dans tous les niveaux d’occupation de l’oppidum et coexistent le plus souvent avec les potins à l’herbivore couché. Ces deux séries de potins sont essentiellement connues par les fouilles de Bibracte, contrairement aux potins à la grosse tête qui circulent très largement sur un grand Centre - Est englobant le monde helvète. On constate que toutes les classes définies pour les potins à la grosse tête et au bandeau lisse ne sont pas représentées au Mont Beuvray (Fig. 3). Les classes dominantes sont les GTA9 qui apparaissent dans les niveaux La Tène D2, puis les GTA10, courant aussi dans les niveaux romains d’Alésia (Fischer, 1995, 37-42) ; ces deux classes circulent donc à la fin de l’indépendance et au début de l’occupation romaine. Cependant, les potins GTA1, GTA4 et GTA8 apparaissent dans les niveaux stratigraphiques de La Tène D1b du site, parfois associés avec les potins au triskèle et à l’herbivore couché. Les niveaux anciens ont encore été peu fouillés au Mont Beuvray et on ne peut donc être certain que ces derniers ne sont pas moins nombreux parce qu’ils ne circulaient plus lors de la conquête. En revanche, les potins à légende SELISV apparaissent vers 40 - 30 av. J.-C. et sont souvent associés aux bronzes gallo-romains à légende GERMANVS INDUTILLI L., émis vers 10 av. J.C. L’aire de circulation des potins est très variable. Ils peuvent être connus presque exclusivement sur un site et ses environs, c’est le cas ici des potins au triskèle, de ceux à l’herbivore couché et plus encore des potins à légende SELISV, qu’on trouve essentiellement à Bibracte. Au contraire, ils peuvent circuler sur un zone très vaste englobant plusieurs cités comme les potins à la grosse tête ou les potins au sanglier. On ne peut donc pas parler de potins éduens, séquanes ou leuques. Leur émission ne relève pas de la cité mais d’une autre autorité émettrice qu’il reste à définir. En revanche, des séries différentes coexistent, parfois ponctuellement, souvent longtemps sur le site. La multiplicité des types de potins circulant concurremment renforce l’hypothèse d’autorités émettrices coexistant, pour ce métal, à côté de celle de la Cité. C’est pourquoi, on peut éventuellement proposer un lien entre leur émission et les grandes familles aristocratiques (Gruel 1995, 140). Bon nombre de ces pièces sont trouvées dans des remblais ou dans des niveaux tardifs qui n’apportent aucune précision sur leur date d’émission, au mieux, permettent-ils d’évaluer leur durée de circulation et d’usage. Cependant, il est possible pour certaines séries de préciser le contexte le plus ancien de leur découverte et à partir de là de proposer une chronologie relative entre les monnaies et de fixer le début de leur circulation sur le site. Cette dernière peut être contemporaine ou plus ou moins postérieure à leur date d’émission. La répartition des monnaies d’argent et de bronze montre une forte domination des monnaies du Centre Est, essentiellement des deniers gaulois (Fig. 4). J.- B. Colbert de Beaulieu voyait dans cette zone une fédération monétaire alignée sur le quinaire romain, comprenant Eduens, Séquanes, Lingons, Leuques, Sénons (Colbert de Beaulieu, 1973, 271). On note l’importance des monnaies du Centre Ouest, de la Loire Moyenne, Bituriges, Carnutes, Pictones. Les monnaies helvètes et arvernes correspondent aux mouvements de la Guerre des Gaule. Les monnaies de la vallée du Rhône ont été trouvées ensemble et en partie dans des dépôts, peut-être militaires. Les petites imitations d’oboles de Marseille, souvent difficiles à détecter, pourraient avoir été utilisées comme divisions des deniers gaulois. Enfin, les contextes de découvertes laissent penser que la pénétration des numéraires du Nord / Nord - Est, Gaule Belgique essentiellement, serait tardive, généralement après la conquête romaine (Fig. 5). Deux des types de deniers d’argent éduens (Fig. 6), ceux à tête casqué, LT5252 et LT5238, ont été frappés à Bibracte comme le prouve les coins trouvés sur place. Pourtant, sur le site., les monnaies au même type que les coins sont connus seulement à 47 exemplaires pour le premier et 36 exemplaires pour le second. Ces deniers sont pourtant assez fréquents dans les découvertes monétaires, ils ont donc été peu perdus sur leur lieu de fabrication, on peut donc s’interroger sur leur usage. Leur circulation aussi pose problème. En effet ils sont présents dans les niveaux contemporains et même postérieurs à la conquête romaine mais au mont Beuvray, un denier de type LT5238 fourré est associé à des potins au triskèle (LT2935) et à la grosse tête (GTA) dans une fosse (PC5283) très homogène, datée par un important lot d’amphores de La Tène D1 (-130/120 à 90/-80 av. J.-C.), et plutôt du milieu de la fourchette que de la fin (Paunier, Luginbühl 2004). Ces deniers d’argent sont aussi présents dans les états d’occupation précoce de la Pature du couvent, antérieur à l’établissement de l’état 1B de la voie principale. La fosse PCO1660, datée par la céramique et les amphores dressel 1 qui la scellent, contient un denier éduen (LT 4858) et un denier de Kaletedv (LT8178) associé à 13 potins (LT 2935, 5253, 5368, 8124 et 9078) (Gruel, Vitali, 1998, 90-105). Ces deux fosses 448 APPORT DES DÉCOUVERTES MONÉTAIRES FAITES SUR L’OPPIDUM CELTIQUE DU MONT BEUVRAY et quelques autres contextes moins homogènes mais apparemment contemporains conduisent donc à admettre une datation plus haute de ces émissions au plus tard vers 100 av. J.-C. et non pas 60 av. J.-C, comme on le pensait jusqu’à présent. Enfin, malgré le nombre beaucoup plus faible de monnaies d’argent trouvées en fouille, il semble exister une contemporanéité de circulation entre ces deniers du Centre - Est et les séries de potins les plus précoces. L’occupation de l’oppidum de Bibracte, telle qu’elle apparaît dans les secteurs actuellement fouillés, est limitée à un siècle. La plus ancienne phase d’occupation bien attestée se situe à La Tène D1b, donc à la charnière des IIe au Ier s. av. J.-C.. L’activité reste dense jusqu’à la fin du règne d’Auguste et chute rapidement ensuite alors que la ville gallo-romaine d’Autun (Augustodunum) s’installe dans la plaine. La capitale des Eduens, amis du peuple romain dès 140 av. J.-C., se distingue très tôt par de forts contacts avec le monde méditerranéen. Ils se révèlent par l’importation massive d’amphores et l’adoption précoce de techniques et modèles architecturaux. Au IIe s. avant J.- C., la Gaule connaît une révolution technologique, économique, et structurelle. Elle se caractérise par une plus grande exploitation des ressources naturelles, une structuration du territoire autour d’un réseau d’oppida, de sanctuaires, de places de marchés et par un découpage politique en cité qui perdura à l’époque romaine. L’usage monétaire, introduit au IIIe s. av. J.-C., s’intensifie à partir du milieu du IIe s. av. J.-C. Les deniers d’argent éduens sont présents aux côtés des potins au triskèle (LT2935) dans les niveaux les plus anciens de Bibracte, dès 100 av. J.-C. (Paunier, Luginbühl 2004). Les derniers calages chronologiques induits des fouilles du Mt Beuvray conduisent donc à placer l’apparition des «deniers» d’argent du Centre-Est dans la deuxième moitié du IIe s. av. J.-C. à une date qu’il reste à préciser et parallèlement à l’émission des potins les plus anciens du site. Cette circulation, avec les potins les plus précoces, des monnaies d’argent, moins souvent trouvées en fouilles en raison de leur valeur unitaire, démontre un usage monétaire équilibré en Gaule dès cette période. D’autres fouilles, actuellement en cours et donc encore non publiées, confortent les premiers résultats observés à Bibracte. Ils modifient profondément l’image du monde celtique du deuxième Age du Fer. Jusqu’à présent, on manquait d’éléments pour lier le développement de l’usage monétaire en Gaule à l’expansion économique et probablement démographique de la fin du du IIe s. av. J.-C. Ainsi, La Gaule entre dans les pays «économiquement émergents» de l’Antiquité, dès le IIe s. av. J.-C. et non pas seulement lors de la guerre des Gaules et de la conquête romaine. 449 Bibliographie Colbert de Beaulieu, J.-B. (1993): Traité de numismatique celtique, Paris, p. 271 et suiv. Gruel, K., Geiser, A. (1995): Les potins à la grosse tête, Gallia, 52, p. 11-19. Déchelette, J. (1927): Manuel d’archéologie préhistorique et celtique 4, Paris. Gruel, K. Vitali,D. (dir) (1998): L’occupation de Bibracte, un bilan de onze années de recherches (1954-1995), Gallia, 55, p. 90-105. Fischer, B. (1995): Les potins d’Alésia, Gallia, 52, p. 37-42. Gruel, K., Popovitch, L. (à paraître): Les monnaies gauloises et romaines du site de Bibracte. Glux-en-Glenne (Nièvre): Bibracte, centre archéologique européen. Guichard, V. (2003): Un aperçu des acquis récents des recherches sur l’oppidum de Bibracte (1997-2002). Revue Archéologique de l’Est et du Centre-Est, 52, p. 45-90. Paunier, D., Luginbühl, T. (dir.) (2004): La grande domus PC 1 du Parc aux Chevaux à Bibracte. Glux-enGlenne (Nièvre): Bibracte, centre archéologique européen, 7.2.3 Les monnaies, p. 283-291 (Bibracte; 8). Gruel, K. (1995): Les potins gaulois: que cachent-ils, Gallia, 52, p. 135-147. Faciès métallique de Bibracte 2446 monnaies gauloises 1600 Faciès métallique de Bibracte 2446 monnaies gauloises Or allié 0% 1592 1400 Argent 22% 1200 1000 800 Bronze 13% 600 534 Potin 65% 400 318 200 0 2 Potin Bronze Argent Or allié Fig.1: Faciès métallique de Bibracte en nombre et en % 450 APPORT DES DÉCOUVERTES MONÉTAIRES FAITES SUR L’OPPIDUM CELTIQUE DU MONT BEUVRAY Classe 1 Classe 2 Classe 3 Classe 4 Classe 5 X2 Fig. 2: Les potins au triskèle 451 KATHERINE GRUEL Potins à la grosse tête 180 171 160 140 120 100 80 60 42 40 40 20 12 10 0 16 2 7 15 6 6 3 3 5 10 3 Fig. 3: Distribution des potins à la grosse tête à Bibracte 100 90 Répartition de monnaies d’argent et de bronze - Bibracte Centre-Est: 412 Centre-Ouest: 69 80 70 60 50 40 30 20 10 0 Fig. 4: Répartition des provenances des monnaies d’argent et de bronze, trouvées à Bibracte 452 APPORT DES DÉCOUVERTES MONÉTAIRES FAITES SUR L’OPPIDUM CELTIQUE DU MONT BEUVRAY Répartition monétaire par régions Narbonnaise 10% Gaule Belgique 9% Centre-Ouest 11% Centre 3% Helvetie 1% Centre-Est 66% 5138 Fig. 5: Répartition monétaire des monnaies de Bibracte par provenance par région 5252 5099 4858 Fig. 6: Les deniers éduens en argent 453