4.handicap evasion

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4.handicap evasion
« Parcours de vie d’une aventurière »
Yolande Caumont,
Handi cap Evasion - Antenne Picardie
Je vous remercie de m'accueillir en ce jour pour partager ensemble un temps d'évasion par
rapport au quotidien, pour cheminer ensemble dans la tête, pour vivre l'aventure... avec une
aventurière puisque telle est le titre sur votre programme!
Cette région qui est la vôtre, que vous avez la chance d'habiter est magnifique. J'ai eu la joie
de la découvrir, un peu, en joëlette, lors d'un séjour d'une semaine avec l'association Handi Cap
Evasion, que je représente aujourd'hui.
C'était fin août 2007, dans les Pyrénées catalanes : le massif du Capcir et celui du Canigou.
Pendant une semaine notre groupe de 19 personnes ainsi qu'un âne a crapahuté dans la montagne,
allant au lac des Camporeils, puis celui des Bouillouses, longeant la rivière de la Têt, découvrant
aussi la vallée de la Rotja, le col de Mantet, le Pla de Segala, les crêtes des Esquerdes de Rotja.
Tout cela loin, bien loin de la vie urbaine et moderne.
Nous avons côtoyer les troupeaux de chevaux, les vaches, les izards, peu d'humains si ce n'est un
berger, quelques randonneurs peut-être.
C'est l'aventure.
Certes une aventure de proximité parce qu'en France. Mais c'est bien tout de même l'aventure, qui
plus est pour des personnes handicapés moteurs qui ne peuvent marcher... et pour l'équipe toute
entière !
Tout à l'heure je parlais de cheminer dans la tête. Les personnes handicapées physiques
cheminent souvent dans la tête, faute de pouvoir cheminer réellement. Alors quand le rêve devient
réalité quand le cheminement mental devient randonnée en plein nature, imaginez : c'est vraiment
l'aventure! Et quelle aventure : une aventure exaltante!
Mais, et parce que dans la vie il y a des conditions pour toutes réalisations, des conditions sont
nécessaires, celles du besoin d'une équipe de randonneurs ayant envie de randonner autrement, celle
d'un outil qui permette la randonnée, celle d'une nature accessible cet outil.
Vous aurez compris que par outil je veux parler de la joëlette, cette joëlette qui permet de
transformer le rêve en réalité l'impossible en possible.
Pour quiconque, la vie est emplie d'obstacles. Pour une personne handicapée, les obstacles sont oh
combien plus nombreux, pour une personne handicapée randonneuse et aventurière, que dire
alors... !
Les possibilités offertes par la joëlette montrent que souvent les obstacles ne sont que ceux
que l'on se crée ou que l'on considère comme tels. Il y a les limitations que l'on se donne soi-même,
il y a les limitations réelles des autres et de la société. Et la personne handicapée vit, plus ou moins
consciemment, dans ces limites et frontières restrictives.
Il est nécessaire de bousculer cela. Les possibilités humaines sont considérables qui veut bien se
donner les moyens, tous les moyens, incluant les efforts indispensables pour vivre et réaliser ses
aspirations, ses ambitions. La joëlette devient alors un extraordinaire outil qui rend les obstacles
franchissables, qui ouvre des voies jusqu'alors oubliées ou inconnues.
Forum Handi’Nature, Prades, 6 et 7 mai 2010
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Les voies sont donc ouvertes. En effet aussi, pourquoi une personne handicapée n'aurait-elle pas le
droit d'essuyer une bonne tempête de vent, d'être trempée sous une averse de pluie, ou de sentir les
brûlures du soleil sur la peau? Au nom de quoi n'aurait-elle pas droit sentir son corps vibrer sous ces
éléments naturels qui constituent la vie?
Que ce soit en France ou l'étranger, j'ai eu maintes fois l'occasion de vivre ces sensations
corporelles, mais aussi d'éprouver d'intenses sentiments de bonheur difficile communiquer.
L'aventure.... qu'est-ce qui pousse la vivre?
L'aventure peut se vivre de diverses manières, même en restant chez soi. Les conditions
d'accessibilité souvent difficiles en ville étant ce qu'elles sont, sortir en milieu citadin est souvent
une aventure !
En ce qui me concerne, j'ai besoin de partir pour vivre l'aventure. Besoin d'être déconnectée du
quotidien, besoin de perdre mes repères, besoin d'être en pleine nature. Ainsi je deviens réceptive à
la nouveauté, à l'émerveillement, la rencontre.
Avec l'association des Paralysés de France (APF Evasion) il y a bien longtemps (partir de 1987), j'ai
eu l'occasion de voyager l'étranger, loin, en Europe, en Asie, en Amérique latine.
C'était le début des grands voyages pour les personnes handicapées motrices : le premier groupe sur
la place Rouge Moscou, le premier groupe sur la place Tian An Men à Pékin, le premier groupe sur
le Machu Picchu au Pérou.
Voyage en groupe, le tourisme classique, dans le confort, avec peu de contact avec la population
locale certes, mais voyage au goût d'aventure par le fait que c'était très novateur l'époque, c'était une
première avec l'inconnu à vivre.
Néanmoins l'aventure n'était pas complètement au rendez-vous, même si ces premiers voyages
m'ont donné envie de plus et autrement.
Le goût de l'aventure était né.
Puis ce fut l'occasion de la vivre en rencontrant Handi Cap Evasion, en participant un
premier séjour (les hauts plateaux du Vercors) en 1996.
Car l'envie ne suffit pas. Encore faut-il s'en donner les moyens, et trouver les moyens.
C'est ainsi que j'ai rappris vivre la montagne, la nature.
Lors du départ pour une semaine en autonomie complète dans les Hauts Plateaux du Vercors (mon
premier séjour et première expérience en joëlette), ce souvenir reste graver en moi : celui du
sentiment de bonheur et de liberté
En effet, je partais sans mon fauteuil roulant. Pour la première fois depuis 28 ans, je laissais ce
fauteuil qui fait corps avec moi. Etrange sensation.... l'inconnu était devant moi, en cette nature
d馗ouvrir, cette nature que j'avais exclue de mes champs du possible vivre, l'inconnu au sein d'un
groupe dans lequel je ne connaissais personne.
L'aventure était devant moi.
Sans fauteuil roulant, je me sentais libre et légère. Sentiment qui peut paraître étrange alors qu'en
fait, j'allais être beaucoup plus dépendante et vivre l'inconfort.
Mais là n'étais pas l'essentiel, vous l'aurez compris.
Voilà ce que m'a permis de vivre cette première expérience en joëlette.
Forum Handi’Nature, Prades, 6 et 7 mai 2010
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Mais aussi, l'aventure, pour moi en fauteuil roulant, ne peut se vivre seule. Avec quiconque envie de
vivre autrement, dans la complémentarité et le partage, le partage des muscles aussi, elle devient
possible.
Je l'ai vécu, intensément avec Handi Cap Evasion. Je le vis encore, participant chaque année à un
séjour montagne, en France, parfois l'étranger.
J'ai ainsi crapahuté dans différents massifs des Alpes (des Ecrins la Haute Ubaye, au Mercantour,
montant au sommet des châteaux cathares, non loin d'ici - Aguilar, Peyrepertuse, Quéribus),
participun tronçon de la Grande Traversée des Alpes (GTA en 2005 et 2006), de la traversée des
Volcans d'Auvergne (GTV 2008-2009)
Aussi découvert la Turquie (la Cappadoce et les monts du Taurus), l'île de la Goméra (une des îles
des Canaries), fait l'expérience du désert dans le sud marocain, etc...
A chaque fois, c'est un moment privilégié à vivre, un temps exceptionnel, hors du temps, pour
lequel j'ai pleinement conscience du caractère insolite, parce qu'inimaginable pour le simple
quidam.
Comment faire partager avec des mots l'intensité de ce qui est vécu, partagé
Le ressenti profond n'a pas de mot pour dire.
Je parlais tout l'heure de chemins accessibles. Certes oui, mais pas n'importe quelle accessibilité
En effet, la nature ne serait plus dans toute son authenticité si les chemins pour la découvrir étaient
trop roulants, voir goudronnés.
Comment vivre l'aventure sur des voies trop aménagées?
Comment vivre l'aventure quand la main de l'homme est trop intervenue?
En effet, l'aventure c'est vivre un moment exceptionnel, c'est vivre l'extraordinaire, l'inespéré devenu
possible. Donc c'est ne pas se retrouver sur des chemins trop balisés, trop aménagés, trop roulants.
Dans l'aventure, il y a la notion d'effort, d'effort pour vaincre un obstacle. Si l'obstacle n'est plus, où
est l'aventure?
Dans l'Himalaya, qui a accueilli et accueille encore mes aventures, la main de l'homme intervient
peu.
Il y a l'Himalaya montagne, c'est dire trek, tel celui vers le camp de base de l'Everest (record
d'altitude franchi pour un équipage joëlette avec Handi Cap Evasion en octobre 1999 : 5200m),
tel celui dans le Jhangtang vers le lac Tsomoriri (record d'altitude pour un équipage joëlette, en
priven août 2003 : 5600m).
Il y a l'Himalaya avec la population locale, c'est dire le partage, la rencontre en des lieux parfois bien
reculés, difficiles d'accès, mais toujours avec une population vivant bien loin de nos conceptions de
confort moderne, que ce soit pour l'habitat, l'accès à l'eau, les routes (quand il y en a) les chemins,
etc...
C'est dans l'himalaya indien, au Ladakh, dans les camps de réfugiés tibétains.
C'est dans l'himalaya indien aussi, mais en Himachal Pradesh, ainsi que dans l'état de l'Uttarakhand
et toujours avec les réfugiés tibétains pour lesquels l'Inde prête des terres pour les accueillir.
C'est aussi en Inde Delhi, avec les réfugiés
Ici, il n'est pas question ni de montagne, ni de pleine nature, ni d'isolement. Pourtant c'est bien aussi
une forme d'aventure Delhi !
Car l'aventure, c'est aussi perdre ses repères, certes géographiques, mais aussi culturels pour en
découvrir d'autres.
Un dicton en Inde dit : on sait quand on part, on ne sait pas quand on arrive. C'est plus qu'un
dicton, c'est une vérité qui laisse place à l'aventure. Tout peut arriver en Inde....
Forum Handi’Nature, Prades, 6 et 7 mai 2010
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En ce qui concerne la joëlette et pour synthétiser, je dirais qu'elle est un merveilleux outil qui
permet de vivre :
- sentiment de liberté (malgré la dépendance sur la joëlette)
- la confiance envers l'équipage
- le partage de la solidarité.
Pour qui s'en donne les moyens, la joëlette, outil merveilleux, permet :
- de vivre l'impensable, l'inimaginable compte-tenu du handicap moteur
- d'accéder des lieux inaccessibles au fauteuil roulant (montagne voir haute montagne, campagne,
forêt, bord de mer, etc...)
C'est la magie qui donne corps et vie au rêve
C'est la magie et le rêve partagé avec les accompagnateurs
Le plaisir est donc double :
- celui d’être en des lieux accessibles par la seule joëlette
- celui d'être proche de la nature, loin de la vie moderne (plénitude, ressourcement), de sentiment de
liberté
- celui du partage, sur un pied d'égalité chacun est avant tout randonneur, que ce soit le passager
joëlette ou l'accompagnateur.
D'où :
- être en pleine nature permet ressourcement, sentiment de plénitude.
- sentiment de liberté (le fauteuil roulant est le quotidien avec ses limites).
La joëlette est l'exceptionnel qui permet et ouvre des horizons.
Elle permet la richesse des rencontres
C'est vivre la solidarité et le partage au sein de l'équipage joëlette. Car la joëlette, c'est un équipage
2+1=3, basé sur la confiance.
Sans joëlette, l'aventure serait autre, mais pas aussi intense.
Mais qu'est-ce qu'une joëlette? Comment l'utilise-t-on?
La joëlette a été inventée par Joël Claudel pour son neveu myopathe. Après un usage personnel, elle
bénéficiera à tous dès 1988 avec la création de l'association Handi Cap Evasion.
La joëlette est un fauteuil mono-roue, muni de poignées de brancards l'avant, l'arrière et d'un frein.
Utiliser la joëlette constitue un équipage 3 : les 2 accompagnateurs et le passager joëlette au milieu.
Un équipage qui doit communiquer, un équipage basé sur la confiance.
La pratique de la joëlette nécessite un apprentissage afin de l'utiliser à bon escient avec le minimum
d'effort. Car le plaisir reste premier : celui de randonner, de randonner ensemble.
L'aventure, c'est aussi s'épanouir ensemble. Au delà de cette grande dame nature écouter et
respecter, s'épanouir ensemble permet chacun d'exprimer ses talents. Alors les limitations motrices
du handicap ne sont plus en ce sens qu'elles ne sont plus que secondaires par rapport l'essentiel qui
est vécu et partagé en priorité: la vie, tout simplement, dans toute sa grandeur, dans toute sa
simplicité dans toute sa beauté Ce n'est pas un rêve. C'est possible. Je l'ai vécu. Pourquoi ne pourraije pas le vivre au quotidien? Alors continuons de rêver, d'espérer, et de tout mettre en œuvre pour
que le rêve devienne réalité é. Après tout, le rêve de l'aventure est devenu réalité!
Je vous remercie de votre attention.
Yolande Caumont
Handi Cap Evasion
Antenne Picardie
Forum Handi’Nature, Prades, 6 et 7 mai 2010
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