Une approche du conte de « SAMBA SEYTANE » par l`étude des
Transcription
Une approche du conte de « SAMBA SEYTANE » par l`étude des
Une approche du conte de « SAMBA SEYTANE » par l'étude des personnages et de leurs fonctions par Mor Talla DIALLO Résumé Il s'agit d'un récit qui reprend le thème bien connu de « l'enfant terrible », que notre étude interroge en suivant l'itinéraire du « super initié » (l'enfant terrible) qui peut se permettre de transgresser tous les interdits. A travers l'intrigue, il y a la mort initiatique et la résurrection. Enfin, un dernier méfait, Samba, par ses qualités guerrières, conquiert la chefferie de son propre village, tandis que son frère, le preux, le bon « Amary Djilit » devient aveugle et mendiant. Introduction Le conte Samba Seytané reprend le thème bien connu de l'enfant terrible qui se singularise par l'itinéraire d'un enfant transgressant les interdits. Dans ce conte, en l'occurrence, les interdits familiaux, les règles de la morale et de l'éthique sociales ont été violées par Samba Seytané grâce à ses qualités guerrières et sa témérité. En effet, il arrive triomphant de son périple, après avoir commis d'innombrables crimes et délits à côté de son paisible frère qui, pourtant bon enfant, respectueux des règles de la bonne conduite, revient aveugle et pauvre, même s'il n'a cessé de le raisonner et de l'éloigner des dangers qui se dressèrent au travers de leurs parcours. Les repères spatio-temporels, de même que le choix du bestiaire tantôt «adjuvant» tantôt « opposant », s'inscrivent dans des univers magiques et sociales typiques. Les cadres en sont : la maison, la brousse, les airs. Les repères temporels sont fournis par opposition du jour et de la nuit. Samba Seytane arrive à vaincre le roi, la lionne, l'aigle, le lièvre, tous symboles de la puissance suprême de la société, de la brousse, et des airs. Les noms des personnages auraient suffi pour apercevoir le message religieux et le contexte de production de ce conte ouolof. En effet, Seytané est le nom de Satan dans la religion musulmane. Amary porte le nom Djulit signifiant « musulman » en langue ouolof. Samba symboliserait en effet le Tiédo[1] animiste, rebelle aux règles de la morale et de la religion et dont la seule préoccupation serait la conquête du pouvoir. Ainsi, contrairement à la tradition du conte où le bon serait le plus souvent récompensé, ici c'est Samba qui arrive auréolé de gloire et sauve son frère atteint de cécité. Ce conte est intéressant à plus d'un titre dans la société ouolof où coexistent animisme et religion musulmane. Il existe dans cette société un syncrétisme parfaitement réussi, dans lequel les forces du mal arrivent tout de même, sur terre, à prendre le dessus sur la religion, tout en considérant que les récompenses des bonnes actions se feront dans l'au-delà. Par ailleurs, il nous offre un intérêt pédagogique certain, en présentant très nettement les fonctions des personnages à travers le récit. C'est pourquoi nous allons, après l'avoir analysé, proposer une exploitation pédagogique en étudiant les personnages et leurs fonctions. Méthodologie. Population. Notre recherche s'est effectuée au collège Ste Marie de Hann (banlieue dakaroise) auprès de 60 élèves de cinquième répartis dans deux classes avec un effectif de trente élèves chacune. Samba Seytané En annexe (1), page 15-21, nous reproduisons la version du conte de Samba Seytané. Il est conseillé de lire ce récit avant de poursuivre la lecture de notre texte. Présentation des épreuves Nous avons demandé aux enfants de remplir le tableau ci-dessous en tenant compte des définition des fonctions suivantes : 01- Le Destinateur est le mandateur qui pousse le héros à agir, celui qui l'envoie en mission. 02- Le Sujet est celui qui accomplit l'action, celui qui accomplit la quête. 03- L'Objet est ce que cherche le sujet ou ce qu'il doit accomplir. 04- Le Destinataire est le bénéficiaire de l'action du sujet. 05- L' Opposant nuit au sujet et l'empêche d'agir. 06- L' Adjuvant est la personne (ou l'objet) qui vient en aide au sujet, lui permettant de surmonter les épreuves auxquelles il se trouve confronté. Destinateur sujet Objet Opposant(s) Adjuvant(s) Destinataire Il s'agissait ensuite de répondre aux questions suivantes : 1- Qui est le personnage central de cette histoire ? En quoi sa quête consiste-telle ? 2- Par qui ce héros est-il envoyé en mission ? Qui en sera le bénéficiaire ? 3- Dites qui s'oppose à lui et qui lui vient en aide. Analyse des fonctions des personnages et commentaire des résultats Grille d'analyse Personnages Père Caractères Vieil Actions Prépare le baptême Lieu Domicile Temps Indétreminé- Cause femme à homme, Donne des ordres pour préparer familial un jour terme. prévoyant le baptême (la mère et la Voyage jument) urgent ; Part en voyage Absence -Revient de voyage Devant la - Attends concession Conséquence Absent de la Maison -Amary Djouli arrive et trouve Amary Djulit Docile la maison vide. Accompagne son père Domicile Sur la Absent de la Pacifique -Revient de voyage et interroge familial demande Maison. du père Disloque la S.S -Convainc son père qu’il doit famille rester devant la concession. -S’enfuit de la maison avec son Village de frère Aïssa -Apprend que S.S. a coupé les Diagar La nuit bourses du cheval royal S’enfuit du village. -Promet de s’exécuter -Devient -Egorgea le bouc pour la marabout, roi jument mais aveugle à -Puisa le grenier et prépara du l’arrivée et couscous ; mendiait -Tua la jument et enfourcha le poulain et le tue ; -Sert des boyaux et les entrailles du bouc à la mère qui vient d’accoucher. - S’enfuit de la maison avec son frère -Poursuit le chemin avec son frère - Meurt pendant trois jours - Ressuscité par le lièvre -Demande au lièvre de ne pas ressusciter S.S. -Demande au lièvre de s’échapper Retourne à la maison par la Samba Têtu. voie pacifique. -Tua la mère et le bébé Domicile -Devient le Seytané Téméraire -Raconte ses bêtises à S. S. familial responsable de Méchant -Coupa les bourses du cheval Village de autoritaire royal Aïssa -S’enfuit du village. Diagar -Dit à la lionne qu’il a tué sa mère, le cheval de son père et La nuit Pour se la réchauffer famille. - Désobéit à son père brousse celui du roi -Il tua les lionceaux poursuit son chemin -Enfourcha un bâton dans le cul de l’aigle. -Meurt jeté dans les airs par -S. S. eut des l’aigle maux de ventre. Tue le lièvre et le mangea- -Guérit après Tue le vieux qui lui indique le avoir mangé le remède et le mangea. vieux. -Retourne à la maison par la voie du carnage. -Il devenait roi ; -Iil reconnut la voix de A.D. qui mendiait Il le bastonna avec des fibres de tamarinier jusqu’à ce qu’il Jument retrouva la vue -Mets bas un poulain Ne peut Domicile Est tuée avec supporter S. Seytané- familial son poulain qui -Meurt pendant trois jours La mère - Accoucha vient de naître Domicile par S.S.. Est tuée avec -Protesta contre le repas qu’on familial son avec son bébé qui vient de naître par S.S.. vient de lui servir. -Meurt Envoie ses guerriers à leur Le roi poursuite - Ils renoncent à la poursuite en apercevant les lions Demande les raisons de la fuite Une lionne - poursuit S. S. et A. D. L’aigle - les rattrape. S’envola avec les enfants et les Le lièvre Le vieil déposa au faîte d’un rônier Court pour échapper à S.S. - Prescrit un remède pour homme guérir les maux de ventre de brousse Pour les S.S. tue ses protéger enfants lionceaux meurt Samba. Etude des personnages L'analyse du tableau nous permet d'obtenir une vision synoptique des fonctions des personnages dans le récit. Samba Seytané Il est présenté comme personnage central dans le récit, « le sujet » effectuant la quête du pouvoir qui seul, permet à l'homme de s'accomplir pleinement. Téméraire et très soucieux des normes sociales, il a détruit la cohésion sociale de sa famille en sa mère et le bébé qui venait de naître, a désobéi à son père, entraînant son frère vers une périlleuse aventure qui les mènera en brousse avant de revenir conquérir le trône royal. La situation initiale semble sceller le destin du héros. En effet son père, absent de la maison, le responsabilise, mais il exercera son autorité contre les volontés de celuici, si bien qu'au retour de voyage, il retrouvera une demeure où nulle âme ne vit. C'est alors qu'Amary Djulit lui propose de s'enfuir. Toutefois il a pu franchir toutes les épreuves, dont nous retiendrons la qualifiante. En effet après avoir franchi les innombrables obstacles qui se sont dressés sur leur chemin, Samba continue de choisir le chemin de retour le plus périlleux. Il semble, par les faits guerriers qu'on lui a attribués dans son itinéraire, qu'il ait bénéficié d'une extraordinaire initiation qui lui aurait procuré des capacités humaines supérieures à celui du commun des mortels. Si dans la société Ouolof[2], après la pénétration de l'Islam, les comportements du Tiédo[3] semblaient être bannis, ne se retrouvait-on pas pour convenir qu'ils étaient de vaillants héros qui ont résisté à la pénétration coloniale, sous toutes ses formes. Cet intérêt serait également perçu dans les actions guerrières du héros par les enfants à l'écoute du conte. Le déroulement des faits est rythmé par les exploits sans cesse renouvelés de Samba Seytané, malgré les conseils que lui laissent entendre son frère Amary Djoulit. Amary Djulit Docile et pacifique, il se présente comme l'opposé de son frère, Il joue principalement une fonction « mandateur » dans le récit car, après chaque péripétie, c'est lui qui ordonne à son frère de poursuivre le chemin, et aux adjuvants de prendre certaines précautions à l'endroit du téméraire, jusqu'à leur retour. Cependant, la manière dont il poursuit sa quête est différente de celle de Samba Seytané. Pour lui, le pouvoir doit arriver par la grâce de Dieu et dans la paix ; alors que Samba conquiert en s'imposant même au prix de la violence et de l'ingratitude. Le roi Tantôt adjuvant lorsqu'il offre l'asile aux deux frères il devient un opposant par l'intermédiaire des guerriers à la poursuite de Samba Seytane qui vient de couper les bourses de son cheval sous prétexte qu'il doit se protéger contre le froid. La Lionne Le comportement de la lionne est comparable à celui du roi. En effet après avoir offert sa protection, Samba s'est permis de tuer les lionceaux qu'elle avait laissés avec les deux frères. Ainsi elle les poursuivit au point de les rattraper. L'Aigle C'est l'aigle qui sauva les frères des griffes de la lionne, en les emportant dans les airs pour les déposer sur le faîte d'un rônier avant de subir à son tour les offenses de Samba qui enfourche un bâton dans son cul rouge ! L'aigle les emporta dans les airs et les tua en les laissant tomber du ciel. Le Lièvre La baguette magique du lièvre ressuscita les deux frères, Amary d'abord qui avertit le lièvre de ne pas réveiller Samba qui une fois sur pied égorge le sauveur pour le rôtir et le manger contre la volonté d'Amary. Le vieil homme Il prescrit à Samba un remède contre le mal de ventre qu'il aurait en mangeant le lièvre. Il lui faut manger lui dit-il quelque chose de noir. C'est ainsi que Samba le tua parce que pour lui, rien n'est plus noir que le vieil homme ! Il va s'en dire que les personnages dans le conte de Samba Seytané ont une importance capitale dans la transmission des valeurs en conformité avec la mentalité enfantine. Ces valeurs risquent d'être des perspectives vides si elles ne sont pas vécues, proposées par des êtres qui ont les faveurs des enfants et leur sympathie, par des êtres réduits la plupart du temps à des schémas de conduite simplifiés : « A jouer ainsi avec des personnages simplifiés, note Jean Château, l'enfant gagne en quelque sorte à sortir de lui, puis à entrer chez les autres. Et la connaissance de conduites différentes des conduites ordinaires lui permet de commencer à construire les perspectives d'autrui, à partir d'éléments simples ».[4] Ce sont là les premières humanités de l'enfant, en ce sens qu'il prend contact avec d'autres êtres que ceux de son entourage, plus accordés avec sa sensibilité, qui meubleront sa conscience encore trop solitaire. Quels types de personnages évoluent dans le conte de Samba Seytané ? Quel intérêt y portent les enfants ? Comment expliquer cet intérêt ? Les personnages du conte se répartissent dans un groupe qui correspond, nous semble-t-il, aux éléments indispensables à la stylisation d'une histoire : ceux qui accomplissent des exploits ou en sont les bénéficiaires. Ces personnages ne connaissent pas de barrières biologiques, géographiques, sociales, temporelles ou mystiques. Ils sont réduits à une simplification telle qu'ils vivent sans s'émouvoir dans un monde ou règne une sorte de causalité magique. Ils n'ont ni souffrance, ni vie intérieure. Ils agissent mécaniquement, comme pour inviter ceux qui les écoutent ou les suivent, à leur communiquer leurs propres sentiments. Ils sont le support de l'être qui imagine où qui recrée son propre monde. Et c'est en ce sens, croyons nous qu'ils sont adaptés à la mentalité des enfants. Etude des fonctions Après avoir analysé les rôles des personnages il est possible d'identifier plus aisément les fonctions de chaque personnage conformément aux définitions des fonctions indiquées plus haut : Ces définitions apprises aux élèves ont permis de tester les niveaux de compréhension du conte. L'analyse des résultats trouvés par les élèves révèle que tous les élèves ont pu identifier le sujet : Samba Amary Djoulit est considéré comme opposant (58 élèves/60) or, en aucun moment, Amary n'a nuit à son frère et n'a pu l'empêcher de commettre ses crimes. L'objet est perçu par la grande majorité des élèves qui ont compris qu'il s'agit de la conquête du pouvoir par la cruauté. Les adjuvants pour certains élèves sont bien identifiés, tandis que d'autres, se sont simplement contenté d'en identifier un seul particulièrement le lièvre et Amary. L'identification du destinateur semble poser plus de difficultés. L'écrasante majorité des élèves attribue à Satan le rôle de destinateur, même si quelques uns l'attribuent au père. Le rôle du destinataire est donné le plus souvent à Samba Seytané ou simplement à Satan. Il semble que dans l'inconscient des élèves, Satan habite tellement le héros qu'on peut les assimiler. Il convient à l'issue de ce texte de préciser les fonctions d'opposant et de destinateur tout en leur indiquant que ces fonctions peuvent être représentées par plusieurs personnages. Un simple survol du conte, suffit pour comprendre qu'il contient une certaine dose « d'immoralisme » dans le jeu opposant l'un ou l'autre des personnages. La morale proposée n'est jamais hors d'une situation de vie qui comporte un jeu d'ombre et de lumière, de lutte et d'inquiétude. Il faut surmonter les obstacles pour triompher, surmonter sa propre peur pour s'accomplir. Le bonheur n'est pas gratuit. Du reste, il n'est pas dit que l'enfant opte d'emblée pour le personnage dont l'action morale paraît la plus évidente. Il fera peut être un détour de sympathie en se fixant momentanément au personnage qui lui paraîtra plus violent, plus audacieux, plus avide, plus anticonformiste, avant d'adopter une conduite morale vraie. Dans son livre Le Devoir, René Le Seine écrit : « qu'il n'y a pas de pensée morale véritable et vivante, en dehors de l'effort de l'esprit pour composer les tendances antagonistes présentées par lui ».[5] Qui sait ? C'est peut-être à travers les tendances immorales de certains acteurs des contes, que l'enfant trouvera la solution de ses propres conflits, et accédera à une morale véritable, dégagée de tout verbalisme. Et cela répond à l'objection qu'on pourrait faire au conte de Samba Seytanéqui dégage une morale trop systématique ou les catégories du bien et du mal apparaissent trop tranchées ; Rien en effet n'est aussi clair et aussi net dans la vie. La morale à inculquer à l'enfant n'est pas si simple que celle des contes. Il s'agit moins d'exiger de l'enfant la bonne action, que de le rendre apte à se construire, dans le jeu perpétuel des forces opposées ou désordonnées qui sont en lui. Il existe en effet chez tout enfant une sorte d'alternance entre le besoin de s'accrocher à ses parents d'être sûr de leur affection, et cet instinct qui le porte à maîtriser son entourage. Dépendance et agressivité sont intimement liées. Plus un enfant est dépendant plus il accroît son agressivité, il faut s'opposer à l'image qu'on se fait de soi à l'extérieur, pour grandir pour se créer sa propre image. Si le conte de Samba Seytané est peuplé d'obstacles à surmonter et des difficultés à vaincre, n'est-ce-pas justement parce que « Samba » et « Amary » sont dépendants. Ils ont besoin de s'affronter. Les obstacles et les difficultés leur en donnent l'occasion. Le danger n'est pas dans l'agressivité de l'enfant mais plutôt dans le refoulement de cette tendance. Et ce refoulement peut se produire aussi sous un régime éducatif trop abrité que sous un régime trop libéral. Car dans l'un comme dans l'autre cas, l'agressivité de l'enfant manque d'occasion et de prise. Le conte de Samba Seytané en proposant aux héros, (Samba et Amary) des séries d'épreuves invraisemblables à vaincre, en les établissant dans un univers de risque offre ce « défoulement » dans l'imaginaire, avant qu'il puisse se produire dans les jeux ou dans les faits… Conclusion Ce bref survol sur l'étude des personnages et de leurs fonctions nous a révélé une certaine conformité avec ce que l'on sait sur la psychologie de l'enfant. Elle nous a montré surtout que la conscience morale de l'enfant n'a pas à être identifiée avec le surmoi (cet ensemble de préceptes et de tabous hérités du milieu, des conditions ou des contraintes familiales). La conscience morale de l'enfant doit s'élaborer, non en refoulant indifféremment les tendances agressives ou créatrices, mais en les sollicitant en les faisant collaborer à l'avènement du moi. La morale à inculquer à l'enfant n'est pas une somme de recettes, mais une création. Et tout acte créateur fait nécessairement violence à un état de choses. Le conte Samba Seytané peut y contribuer pour leur départ. Sur le plan pédagogique les fonctions des personnages peuvent améliorer le résumé de texte qui consistait à découvrir le plan du texte pour déterminer les idées forces du texte. En effet, selon Vladimir Propp : « La notion de fonction se définit comme l'action d'un personnage du point de vue de sa signification dans le déroulement de l'intrigue. Elles représentent dès lors les parties fondamentales du récit et permettent de savoir ce que font les personnages et non plus, comme le fait l'explication classique des textes « qui fait quoi et comment il le fait ». Dans un esprit d'interdisciplinarité, le professeur peut, avec l'aide de ses collègues d'histoire, de sociologie, de psychologie, ou d'autres personnes compétentes inviter les élèves à l'analyse symbolique des rôles joués par les différents personnages des récits. Les élèves découvriront que chaque personnage symbolise un aspect de la société traditionnelle africaine (par exemple dans le conte « Samba Seytané » on peut y lire l'opposition de deux religions : l'animisme et l'islam incarnés par Samba et Amary, etc…) Sur le plan historique, ce récit reprend le thème bien connu de « l'enfant terrible » sur lequel certains sociologues ont fait des études remarquables. Itinéraire du super initié, le demi dieu, qui peut se permettre de transgresser tous les interdits familiaux (père et mère) et sociaux (roi) ; ceux de la brousse (lionne) et ceux des airs (vautour). Mais la société sénégalaise (Ouolof) ne ressent plus le message religieux initiatique de ce conte, et dans le cadre musulman, le demi dieu de l'animisme devient le diable, Seytané (Satan) de la nouvelle religion. Samba l'incarnation de Satan, qui triomphe sans être puni est dès lors incompréhensible. Le contenu initiatique échappe au conteur… Les seules explications que les vieux en donnent sont soit de type eschatologique où, « même si le mal triomphe sur la terre, Allah triomphera dans l'autre monde », soit de type historique : Samba est alors l'un des exemples de mauvais roi que notre pays a connu, comme le sinistre Salomon[6]. Il arrive que des rois de ce genre monte sur le trône et c'est alors une calamité pour le peuple. Réinterprétation astucieuse, ce conte d'origine malienne aurait donc pris un autre sens en passant dans la culture sénégalaise (Ouolof). Cependant, d'autres versions de ce conte proposent un compromis : Amary Djulit retrouve la vue, les deux frères se réconcilient et vivront désormais ensemble. On ne peut s'empêcher de songer à l'interprétation que Bruno Bettelheim[7] donne du conte européen analogue, où les deux frères opposés symbolisent les tendances antagonistes de la même personnalité que l'enfant doit intégrer en grandissant… Mais nous nous sommes interdits d'extrapoler de l'inconscient européen sur l'africain Annexe 1 : Bibliographie Bruno BETTELHEIM - Psychanalyse des contes de fée - Edition Robert Laffont, Paris, 1976. Jean CHATEAU - L'enfant et ses conquêtes - Edition Vrin, 1960. Jean Marc GILLIG - Le conte en pédagogie - Edition Dunod, Paris, 1997. Lilianne KESTELOOT/Chérif MBODJ - Contes et mythes Ouolof - Editions NEA, 1983. René LE SEINE - Le Devoir - éditions PUF, p. 565. O. SUNG - La psychopédagogie du conte - Editions Nathan, 1965. Annexe 2 : Le conte Samba Seytané et Amary Djulit - II était une fois... - II était ainsi d'habitude. - Lorsqu'il en fut ainsi, c'est toi qui étais présent. - C'est de toi que je l'ai appris. - Les nouvelles d'aujourd'hui ne méritent pas trop de considération. Un vieil homme avait deux fils nommés Amry Djulit et Samba Seytané. Amary Djulit ne discutait jamais les ordres de son père. L'autre, comme d'ailleurs l'indique son nom, était plutôt un serviteur de Satan, un jeune homme violent et intraitable. Un jour, le père décida de partir en voyage avec Amary Djulit. Avant il appela Samba Seytané et lui dit: « Samba, viens, ta mère va bientôt accoucher et moi je dois partir en voyage. L'homme ne peut contrôler à la fois son avant et son arrière. Moi je serai avec Amary Djulit. Quant ta maman aura accouché, tu tueras le bélier, tu puiseras dans le grenier et ensuite tu inviteras les gens du village pour piler le mil ; ainsi tu organiseras des fêtes en leur honneur. Quand la jument à son tour aura un petit, tu prendras le reste de foin, tu le râperas et le lui offriras. En toutes choses, écoute la paix.» Samba dit: « Père, ce que tu as dit, je le ferai ». La jument eut un petit au moment où on la conduisait à l'écurie. Samba Seytané égorgea le bouc, puisa dans le grenier et fit préparer du couscous. Pendant le repas, il s'exclama : «On n'a jamais vu un cheval se nourrir de viande ! » II prit une lance et tua la jument. Puis il se saisit du poulain, il posa la selle sur son dos. Le poulain se cabra, Samba dit : « Comment ! un cheval grand comme ça, à peine né, qu'il tombe quand je le scelle ! » Et de le frapper d'un coup de lance. Le poulain mourut. - Sa mère accoucha entre-temps. Il lui apporta les boyaux et les entrailles du bouc. Elle dit : « Mais, enfant, ton père ne t'a jamais dit cela ! » - Ouais ! Il n'y a rien à dire ! Mange ! Elle dit : « Tu n'as qu'à laisser ». Il brandit à nouveau sa lance, il frappa et elle mourut. Le bébé commença à pleurer dans le lit, Samba Seytané s'écria : « Tu viens juste de naître et tu te permets de jouer au petit malin, espèce de malappris ! » Et de le frapper d'un coup de lance. Il mourut. Au retour du père et de Amary Djulit, celui-ci dit, connaissant son frère : « Père, attends devant la concession. Ma mère pourra ainsi puiser de l'eau, te l'offrir, tu boiras, puis nous rentrerons ». Lui-même entra dans la demeure et dit: « Samba Seytané ? » - Oui. - Où est la mère ? - Pourquoi me le demandes-tu ? La mère je l'ai frappée d'un coup de lance elle est morte. - Et la jument ? - Je l'ai tuée. - Alors lève-toi vite, j'en étais sûr ! Amary Djulit aimait excessivement son frère. Ils se levèrent. Et de courir, de courir, de courir… Le vieil homme arriva, regarda dans sa maison et ne vit rien. Les deux garçons arrivèrent chez le roi, dans un village nommé Aissa Diagar. Le village s'ouvrit à eux. II pleuvait. Les gens leur dirent de s'arrêter là. La pluie était abondante. Samba demanda (à son frère) « N'as-tu pas froid ? Viens par là, moi par ici, pour chercher du bois ». Puis il prit son couteau, coupa les bourses du cheval (royal); le cheval s'écroula mort: Keundeung ! Amary Djulit (assoupi) se réveilla et demanda : Samba où est le cheval du Bour ? Samba Seytané dit : «Ah ! le cheval de roi ? Ses bourses réchauffent mieux que le bois ! » Ils se levèrent et se mirent à courir jusqu'à épuisement. Les guerriers du roi scellèrent leurs chevaux et les poursuivirent jusqu'à l'orée de la forêt. Ils dirent : « ces deux-là sont téméraires ! » Les deux frères rencontrèrent une lionne. Elle leur dit : « Pourquoi courez-vous ? - Moi, dit Samba Seytané, ce qui me fait courir, on ne l'a jamais vu : j'ai tué ma mère, j'ai tué le cheval de mon père, j'ai tué le cheval du roi.» Elle leur dit : « Cette brousse m'appartient… Qui y est et qui y vient est téméraire. » Ceux qui les poursuivaient, à la vue de la lionne, rebroussèrent chemin, sachant qu'ici, c'était son territoire. Chaque fois que la lionne allait chasser, elle partait avec Amary Djulit, Samba Seytané restait. Cette lionne avait mis au monde trois petits. Quand la mère partait en chasse, les lionceaux s'approchaient de Samba, le chatouillaient et le griffaient. Samba prépara trois couteaux et égorgea les trois petits : - Fiiib ! pour moi - Fiiib ! pour Amary Djulit - Fiiib ! pour la mère qui a enfanté ces trois enfants ! Tous moururent. Amary Djulit, connaissant son frère, dit : « Mère lionne ». - Oui ? - Je vais à la maison puiser de l'eau et je reviens te l'offrir à boire. Il arriva et dit à Samba : « Lève-toi et pars ! Nous n'avons pas eu l'occasion de mourir, sauf aujourd'hui, à cause des fils du lion que tu as tués ! Samba dit : « Mais toi ! Ces lions-là de plus en plus méchants, j'ai eu leur mère aujourd'hui ! » Amary Djulit dit : « lève-toi et partons ». Ils se levèrent et coururent, coururent, coururent, tandis que la lionne les prenait en chasse. Au moment où elle allait leur arracher la main, un aigle les trouva là et fourrrr ! les enleva jusqu'au faîte d'un rônier d'une hauteur telle qu'en se penchant on ne voyait même pas la lionne couchée en bas, et qui fatiguée, s'en alla au bout de trois jours. L'aigle lui aussi, lorsqu'il partait chasser, laissait sur le rônier Amary Djulit et Samba Seytané. A son retour il leur donnait leur part. Samba dit: «Amary Djulit, accueillir des gens ne signifie pas qu'on puisse leur manquer de respect. Ton aigle-là, quand il fait sa prière, il exhibe son cul rouge. S'il le fait demain, je l'enfile ! Amary dit: « L'enfiler ! Jamais nous ne sommes morts, si ce n'est aujourd'hui ! » - « En tout cas je l'enfilerai, tu peux le lui dire. » Ils passèrent la journée, le soir arriva, ils dormirent jusqu'au matin. L'aigle se réveilla et battit des ailes. Samba se réveilla, prit un bâton caché dans sa culotte et le planta dans le cul de l'aigle. L'aigle se saisit des deux frères, s'envola, les laissa choir, et s'enfuit. Tous les deux moururent. Ils restèrent ainsi trois jours. Un lièvre qui se promenait arriva sur les lieux. Or ce lièvre possédait une baguette magique. Celle-ci réveille celui qu'elle touche. Le lièvre commença par Amary Djulit, le frappa de la baguette. Amary éternua : « Tissooo ! Al hamdulilay rabil alaamina ». Le lièvre se dirigea vers Samba Seytané, Amary Djulit lui dit : « Non attends, si tu le ressuscites il te tuera ! » Le lièvre dit : « Pourquoi le noir est-il méchant envers son prochain ? J'arrive, je vous trouve mort, je te ressuscite je veux ressusciter ton compagnon, et tu me dis qu'il me tuera ! » Amary lui dit : «Alors vas-y ! » Alors le lièvre frappa Samba de sa baguette. Samba éternua : Tissooo ! Il bondit sur la baguette, les deux autres ne bougèrent pas. Samba Seytané dit : « Moi j'ai faim, et celui-là je vais le manger ! » Amary Djulit répondit : « Hey ! ne le fais pas ! - Samba dit : « Ne fais pas quoi ? Lui, si je ne le mange pas, c'est toi qui le remplaceras ! » Ils partirent avec le lièvre, pénétrèrent dans la brousse et cassèrent du bois mort : Tel ! Tel ! Tel ! Amary dit au lièvre : « Je te l'avais dit, passe par là et cours, si Samba vient, nous nous tuerons s'il le faut. » Or, Le chemin qu'il prit était celui où marchait Samba Seytané. Que lui fit-il, Samba ? Il saisit compère lièvre, l'égorgea, le fit cuire, en offrit à Amary qui refusa. Il commença alors à manger, il attrapa des maux de ventre et se mit à crier : «Je vais mourir rek ! » Un vieux qui passait par là dit : « Mais ! Pourquoi est-tu couché là ! » Il répondit : «Sérigne, j'ai mangé de la viande de lièvre ». Le vieux dit : « Il faut absorber quelque chose de noir et tu guériras. ». Il avait à peine parlé que Samba le saisit et dit: « Personne n'est plus noir que toi ! » Il le prit, le tua, le mangea et guérit. Les deux frères décidèrent de rentrer chez eux. Leur village était éloigné. Un des chemins qui y menait, si tu l'empruntes, tu y trouves bon repas et belles femmes. A l'arrivée tu deviens roi mais aveugle. L'autre chemin si tu y passes, tu devras te battre en maints combats et lutter jusqu'à l'arrivée où tu deviens roi. Amary Djulit dit : En tout cas j'irai par la voie la plus pacifique, s'il le faut je deviendrai aveugle. » Samba Seytané dit: « Tchim ! en tout cas moi, je prends la voie du carnage, je passerai par là pour frapper. Je ne sais si je mourrai aujourd'hui ou demain. » Il prit donc la route, se battit et se battit jusqu'à son arrivée : il devint roi de la région. Amary Djulit prit le chemin des plaisirs, devint roi, marabout, eut ce qu'il souhaitait, à l'arrivée il devint aveugle. Samba Seytané était dans son royaume et gouvernait beaucoup de gens. Amary était aveugle et mendiait. Il arriva au village de Samba et il mendia au nom de Dieu. Samba reconnut la voix de son frère et envoya quelqu'un comme Meysa Diagne vers notre aveugle, pour s'informer. Il revint et dit au roi: « Cet aveugle-là te ressemble beaucoup ! Mais les yeux que j'ai vus ne sont pas aveugles. » Samba dit à ces gens : « Allez me le chercher ». Ils l'appelèrent ; il lui offrit à dîner et ensuite de quoi dormir. Le lendemain le roi fit rassembler et lier (en chicotte) des fibres de tamarinier. Il prit une aiguille et la planta dans la chambre où se trouvait l'aveugle. Il prit une autre aiguille et la planta dans l'arbre au centre du Pintch. Il appela sept esclaves et leur donna à chacun une chicotte en leur disant: « Si elle se casse, vous en prendrez une autre. » Ils s'acharnèrent sur l'aveugle. - Aveugle m'as-tu vu ? - Aveugle qu'as-tu vu ? Amary dit : « En tout cas j'ai vu une aiguille plantée dans la chambre. » - Ils lui demandèrent encore : Amary dit : « J'ai vu une aiguille plantée à la porte du village. » - Ils demandèrent encore : - Aveugle qu'as-tu vu ? Il répondit: « J'ai vu des chameaux de Mauritanie... » C'est là que le conte tombe dans la mer, le nez de celui qui l'aura respiré, ira au paradis. Mor Talla Diallo est maître de conférence en Sciences de l'_Education à l'_ESP, université Cheikh Anta Diop de Dakar. Contact : <[email protected]> [1] Sur les mots Ouolof et Tiédo voir notes (2) et (3). [2] Le « Ouolof » est une ethnie qui représente 50 % de la population sénégalaise. Leur langue est parlée par plus de 90 % de la population. [3] « Tièdo » : guerrier (combattant du Sénégal du XIXe siècle qui lutta farouchement contre l'occupation Française (la colonisation au Sénégal. [4] Jean Château : L'enfant et ses conquêtes, Editions Vrin, 1960, P. 167. [5] René Le Seine : Le devoir, éditions PUF : p. 565. [6] Salomon Faye était le roi très sanguinaire du Sine (région du centre du Sénégal) au XIXe siècle. [7] Bruno BETTELHEIM Psychanalyse des contes fée - Editions Robert Laffont- Paris 1976.