Quelle place pour la Lorraine dans la Grande Région et dans l
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Quelle place pour la Lorraine dans la Grande Région et dans l
Université lumière Lyon 2 Institut d'Études Politiques de Lyon Quelle place pour la Lorraine dans la Grande Région et dans l'Union européene ? Etude des dynamiques économiques d'une région au coeur de différents espaces européens Christophe Dechoux Mémoire de Séminaire La construction européenne et l'euro à la croisée des chemins : évaporation, dislocation, approfondissement, fédéralisme ? Sous la direction de : Guihéry Laurent (Soutenu le : 3 juillet 2013) Membres du jury : Laurent Guihéry, Docteur en Sciences Economiques, Maître de Conférences à l'Université Lumière Lyon 2 et Chercheur au LET-ISH Gérard Chalté, Membre du Comité de Direction et Directeur des Ressources Humaines de REHAU Western Europe Jan Ihrig, Doctorant KIT-IWW au LET-ISH Martha Seidel, Double Master franco-allemand Lyon 2 – Leipzig en Sciences Economiques et Gestion. Cabinet de Commissariat aux Comptes Centr’Audit Table des matières 1.1 L’Histoire de la Lorraine : héritage culturel et ancrage européen . . 5 6 8 9 9 1.2 L’économie de la Lorraine, structure de l’emploi et place des différents secteurs d’activités . . 10 Avant-propos et remerciements . . Introduction . . Partie I : Photographie de la Lorraine d’aujourd’hui . . 1.Portrait économique et culturel du territoire lorrain, hier et aujourd’hui . . 1.3 Quel rôle historique de l’Etat français, des collectivités territoriales et de l’Union européenne dans le soutien à l’économie de la région ? . . 2. La Lorraine : une région au cœur de l’Europe . . 2.1 Quelle place pour la Lorraine dans les dynamiques territoriales à l’échelle de la France et de l’Europe ? Analyse théorique des dynamiques d’intégration régionale .. 15 24 2.2 Acteurs et dynamiques de coopération au sein de la Grande Région . . 24 27 2.3 .Etude comparée du coût du travail dans la Grande région et des espaces européens avec lesquels la Lorraine est en concurrence . . 38 Partie II : compétitivité régionale et perspectives d’avenir de la Lorraine saisies à travers le prisme des acteurs économiques : cas de l’entreprise REHAU . . 54 1. REHAU : implantations, stratégie, impacts sur les dynamiques territoriales et flux engendrés . . 54 58 1.1 L’histoire de REHAU et le choix de la Lorraine 54 58 62 .. 1.2 Comportements, intérêts des différents acteurs économiques . . 1.3 Quel impact pour la stratégie de REHAU à moyen et long-terme ? . . 1.4 Benchmark reprenant les paramètres déterminant la stratégie de REHAU 65 .. 2. Vers un rebond de la Lorraine ? Eléments concernant sa place dans les dynamiques territoriales, jeux d’acteurs et analyse prospective . . 64 Annexe 3 : financement du programme INTERREG IV A Grande Région . . 66 70 70 71 72 73 73 75 75 76 76 Annexe 4 : financements européens de projets de développement concernant la Lorraine . . 77 Annexe 5 : principaux IDE allemands dans l’industrie et les services en Lorraine en 2008 . . 78 Annexe 6 : coût horaire de la main d’œuvre en 2008 dans l’industrie manufacturière et les services marchands . . 80 Annexe 7 : niveau du coût de l’heure de travail dans l’industrie, les services marchands et l’industrie manufacturière . . 81 Bibliographie . . Rapports . . Ouvrages . . Articles de revues spécialisées . . Articles de presse . . Pages Web . . Annexes . . Annexe 1 : les disparités de développement en Lorraine . . Annexe 2 : PIB par habitant en 2007 dans les différentes régions françaises . . Annexe 8 : documents du rapport de la Cour des Comptes comparant les prélèvements fiscaux et sociaux en France et en Allemagne . . Annexe 9 : comparaison des coûts horaires par type de métier et pays dans l’entreprise REHAU . . Résumé . . 83 90 91 Avant-propos et remerciements Avant-propos et remerciements Lorrain d’origine, je suis heureux d’avoir pu passer plusieurs mois à me pencher sur l’étude d’un sujet qui m’a amené à mieux comprendre les défis économiques d’une région qui m’est chère. Au fil de mes recherches, j’ai également eu la chance de pouvoir enrichir ma réflexion grâce à divers entretiens avec des acteurs essentiels de l’économie régionale, aussi bien du côté des pouvoirs publics que du privé, qui se sont montrés très disponibles. Je tiens à remercier dans un premier temps Laurent Guihéry, Docteur en Sciences Economiques, Maître de Conférences à l'Université Lumière Lyon 2 et chercheur au sein du Laboratoire d'Economie des Transports (LET-ISH) qui m’a accompagné et conseillé tout au long de la rédaction de ce mémoire. Un grand merci à Monsieur Gérard Chalté, membre du Comité de Direction de REHAU Western Europe et directeur des ressources humaines d’une entreprise qui emploie 17 000 personnes, dont 800 sur le seul site de Morhange (57). Grâce à nos divers entretiens et aux documents transmis, j’ai pu enrichir mon mémoire d’une étude de cas qui m’a permis d’illustrer et de confronter aux réalités du terrain bon nombre d’hypothèses sur les rapports entre acteurs économiques. Merci à Monsieur Patrick Weiten, Président du Conseil Général de la Moselle pour le temps qu’il m’a consacré. Merci également à Monsieur Claude Bitte, vice-président du Conseil Général de la Moselle, Président de la commission des affaires économiques, de l’aménagement du territoire et des affaires transfrontalières. Je tiens également à remercier Monsieur Roger Cayzelle, Président du Conseil Economique, Social et Environnemental de Lorraine, ainsi qu’Anne Pedon-Flesch, conseillère au CESE de Lorraine, Présidente de “Entreprendre en Lorraine Nord” et Vice-Présidente du Pôle de Compétitivité de l'eau Alsace-Lorraine HYDREOS. Merci à Valérie Lahouel, directrice du service des relations extérieures du Conseil Régional de Lorraine et Etienne Muller, en charge de la coopération transfrontalière pour leur aide, la quantité d’informations et de conseils prodigués. Merci à Jean-Jacques Sans, en charge de la Présidence lorraine du Sommet des Exécutifs de la Grande Région de 2011 à 2013 pour Monsieur Jean-Pierre Masseret, Président du Conseil Régional de Lorraine. Merci à Anne-Laure Maclot, chargée de mission Affaires européennes au sein de la direction des Dynamiques Economiques, de la Compétitivité et de l'Attractivité du Conseil Général de la Moselle. Merci enfin à mes parents, mon frère, mes amis et Cécile Gallizzi qui m’ont soutenu au cours des différentes phases d’élaboration de ce mémoire. DECHOUX Christophe - 2013 5 Quelle place pour la Lorraine dans la Grande Région et dans l'Union européene ? Etude des dynamiques économiques d'une région au coeur de différents espaces européens Introduction Si l’on s’en réfère à sa position géographique et notamment à ses frontières avec 1 l’Allemagne, première puissance économique du continent , mais aussi avec la Belgique ou encore le Luxembourg qui furent parmi les premiers signataires des traités de Rome, la Lorraine est indéniablement au cœur de l’Europe. Cela dit, cette région traverse actuellement une crise d’une rare violence et semble se porter beaucoup moins bien que les autres espaces frontaliers. On aurait tort de tirer des conclusions hâtives de ce constat, puisque pour tenter de saisir toute la complexité de la situation de la Lorraine, il est intéressant de combiner des approches et des disciplines très différentes et commencer par s’intéresser à l’Histoire de cette région singulière. Intuitivement et souvent médiatiquement, la Lorraine est comparée à ses plus proches partenaires, approche riche en enseignements à bien des égards. Il est donc important d’analyser l’impact des relations transfrontalières sur l’économie régionale (pour ce faire, nous combinerons approches théoriques et illustrations par des exemples très concrets). Mais il est nécessaire d’aller bien au-delà des simples données économiques. Nous partons de l’idée que pour comprendre où en est la Lorraine au sein de la Grande Région et en Europe, il est essentiel de saisir la place de cette région dans un environnement européen 2 complexe dont l’analyse dépasse largement les simples relations de « coopétition » transfrontalières (mais concerne également les réseaux de transport, les infrastructures…) : c’est là la difficulté et l’intérêt d’une telle étude. L’enjeu majeur sera donc de déterminer si les phénomènes de concurrence et de coopération à l’échelle européenne (c’est-à-dire 3 aussi bien celle de l’Union européenne, de la Grande Région et des relations bilatérales) qu’il conviendra d’expliciter constituent davantage un faisceau d’opportunités ou un frein à la sortie de crise de la Lorraine. Nous nous pencherons largement sur les dynamiques franco-allemandes, pour ensuite élargir notre analyse à d’autres zones géographiques (Luxembourg et Belgique au cœur de la Grande Région et même d’autres espaces d’Europe de l’Est). Dans cette perspective, nous ferons une étude approfondie des principales caractéristiques économiques de ces espaces (en termes de coût du travail notamment) afin de pouvoir les comparer sur une base commune et ainsi comprendre les dynamiques à l’œuvre et qui expliquent (au moins partiellement) la situation actuelle. Pour ce faire, nous nous appuierons sur l’étude du cas REHAU, multinationale allemande dont le siège pour la région « Western Europe » se situe à Morhange (Moselle). Nous nous intéresserons plus particulièrement aux choix stratégiques de l’entreprise liés à l’économie de la Lorraine et à ses relations avec les autres acteurs économiques régionaux. A travers cette analyse, nous montrerons comment cet espace, au cœur de l’Europe et du réseau Schengen, est à la fois tributaire de cette nouvelle donne et, grâce à une analyse des phénomènes qui expliquent la situation actuelle (notamment en termes d’aides 1 « PIB aux prix courants du marché, 2000, 2009 et 2010 » [en ligne], Eurostat, [consulté le : 11 juin 2013] 2 Empreintes de coopération et de compétition 3 Sarre, Lorraine, Grand-Duché de Luxembourg, Rhénanie-Palatinat, Région Wallonne, Communauté germanophone de Belgique 6 DECHOUX Christophe - 2013 Introduction publiques et de soutiens financiers), nous dégagerons différentes pistes visant à renforcer la position de cette région. L’idée sera d’adopter une approche combinant plusieurs angles d’analyse, appuyée sur différentes illustrations (notamment en deuxième partie), afin de compléter et d’apporter un éclairage nouveau sur des problématiques abordées de manière approfondie par des institutions comme le Conseil Economique, Social et Environnemental 4 de Lorraine (CESEL) , le Conseil Economique, Social et Environnemental de la Grande 5 6 Région (CESGR) ou l’Observatoire Interrégional du marché de l’emploi . Ainsi, après avoir dressé un portrait de la Lorraine économique, nous nous proposons d’élargir progressivement le cadre d’analyse et les espaces européens dans lesquels elle s’inscrit, afin d’identifier quels sont les principaux déterminants des dynamiques économiques de cette région. Au fil de notre étude, nous chercherons notamment à savoir si elle peut sortir seule de la crise structurelle qu’elle traverse actuellement et par quels moyens, en confrontant nos hypothèses aux réalités du terrain dans un second temps. Si intuitivement, on pressent qu’il existe des formes d’interdépendances avec ses partenaires transfrontaliers, on cherchera à identifier précisément lesquelles (importance du commerce transfrontalier, rôle des migrations économiques, dynamiques institutionnelles…), de quelle manière et à quel point, afin de se représenter clairement l’impact économique du processus d’intégration à l’échelle européenne. 4 Voir notamment Situation du marché de l’emploi dans la Grande Région [Rapport], Observatoire Interrégional du marché de l’Emploi, 2012, 261 p. 5 On fait ici référence au document suivant : Rapport sur la situation économique et sociale de la Grande Région 2011/2012 [Rapport], Comité Economique et Social de la Grande Région, 2012, 144 p. 6 Pour plus de précisions, se référer à l’analyse qui suit : Situation du marché de l’emploi dans la Grande Région [Rapport], Observatoire Interrégional du marché de l’Emploi, 2012, 261 p. DECHOUX Christophe - 2013 7 Quelle place pour la Lorraine dans la Grande Région et dans l'Union européene ? Etude des dynamiques économiques d'une région au coeur de différents espaces européens Partie I : Photographie de la Lorraine d’aujourd’hui Morosité ambiante, perspectives démographiques alarmantes, hausse du chômage et plus que jamais : désindustrialisation. On a, à première vue, bien peu de raisons de rester optimiste quand on s’intéresse à l’économie de la Lorraine, et plus encore à son avenir. Le fait que les économistes Patrick Artus et Marie-Paule Virard commencent leur ouvrage 7 intitulé La France sans ses usines par l’exemple du déclin de l’industrie sidérurgique mosellane - avec l’arrêt d’exploitation des hauts fourneaux du site de Florange et les conséquences qui l’accompagnent en matière sociale - n’a rien d’un hasard : bien plus que la perte de milliers d’emplois (qui serait déjà à elle seule un événement dramatique), c’est la mort à petit feu d’un savoir-faire, d’une culture industrielle, d’un élément caractéristique de l’ADN de cette région qui est en marche. A cela s’ajoute la « crise, en mode amplifié », selon le titre du journal des entreprises 8 qui retrace le bilan 2012 des firmes de la région (avec un focus sur la Moselle, premier département en termes de PIB). Là aussi, le constat est sévère : alors que la Lorraine reste la troisième région exportatrice de France (même si elle se positionne en queue de peloton en termes de croissance), sa situation économique est autant liée aux soubresauts de la zone euro que celle du reste de l’hexagone (selon cette même source, « 68% des exportations lorraines sont réalisées dans la seule zone euro, soit 20 points de plus que la moyenne française »). Par les temps qui courent, on n’aura pas besoin d’une longue démonstration pour se convaincre que les faibles perspectives de croissance (voire même de récession dans le cas de l’Espagne ou de l’Italie par exemple) de ses voisins européens ne contribueront pas à la relance de notre économie. Cela dit, s’il est évident que la région Lorraine traverse en ce moment une (très) mauvaise passe (et même une succession de mauvaises passes depuis les restructurations lourdes qui ont commencé dans les années 1970), s’en tenir à ce constat alarmiste serait fort heureusement bien trop réducteur. Les cas d’entreprises qui se portent plus mal en Lorraine qu’ailleurs sont légion. Il y en a aussi qui se portent mieux : c’est le cas de l’industrie automobile, avec notamment l’implantation de SMART à Hambach (57) et les répercussions positives sur les fournisseurs et les entreprises de services environnantes. 9 Mais d’autres projets d’envergure permettent également de rester optimiste : Bouygues immobilier a choisi Metz pour un investissement de 80 millions d’euros qui compte parmi les plus importants pour l’Est de la France. On peut aussi citer le complexe commercial sino-européen « Terra-Lorraine » d’Illange qui représenterait un investissement total de 150 millions d’euros et potentiellement des milliers d’emplois s’il se concrétisait. Mais surtout, la Lorraine jouit d’une situation géographique exceptionnelle : véritable cœur de l’Europe, 7 Artus Patrick et Virard Marie-Paule, La France sans ses usines, Paris, Fayard, 2011. 8 9 « Crise. La grosse déprime des entrepreneurs en région », Le journal des entreprises, 16 novembre 2012. Voir à ce sujet différents articles issus de la presse régionale et notamment : Barriquand Nicolas, « Moselle: les ombres chinoises de TerraLorraine », L’Express, 9 avril 2013 ou encore Marque Philippe, « Chantier Terra Lorraine. La Chine s’éveille enfin », Le Républicain Lorrain, 5 avril 2013. 8 DECHOUX Christophe - 2013 Partie I : Photographie de la Lorraine d’aujourd’hui elle se situe notamment à la frontière de l’Allemagne, dont l’économie se porte actuellement mieux que celle de ses proches voisins européens (on notera que le choix de SMART de s’implanter sur le site de Hambach évoqué quelques lignes plus haut a largement été influencé par le positionnement européen de la Lorraine et sa proximité avec l’Allemagne). Rien n’est facile donc, mais rien n’est joué, et une analyse détaillée des dynamiques économiques régionales, du rôle des principaux acteurs et des tendances lourdes est indispensable pour appréhender la situation de l’économie de la Lorraine en 2013 et plus encore ses perspectives d’avenir. C’est là l’objet de notre étude. 1.Portrait économique et culturel du territoire lorrain, hier et aujourd’hui 1.1 L’Histoire de la Lorraine : héritage culturel et ancrage européen (à consulter sur place à la bibliothèque de SciencesPo Lyon) Source : Distrinews L’idée essentielle qui sous-tend les développements qui vont suivre est que la Lorraine est un espace central, au coeur de l’Europe. De fait, cette région bénéficie d’atouts majeurs qui peuvent et doivent être (ré) exploités pour permettre à ses habitants, entreprises et collectivités de jouer un rôle central au cœur de la Grande Région. La place historiquement occupée en Europe illustre bien cette idée. La Lorraine se développe en effet rapidement dès l’Antiquité et l’occupation romaine (nombreuses routes, aqueducs construits à cette époque). Le poids des héritages des deux derniers millénaires est encore très présent aujourd’hui avec de nombreux vestiges, comme l’illustre particulièrement bien la ville de Metz. Dans la capitale mosellane, chaque quartier porte les stigmates de différentes époques de son histoire, de l’époque gallo-romaine à l’époque contemporaine, en passant par le Moyen-Age et la période d’invasion allemande suite à la guerre de 1870 perdue contre la Prusse. A l’époque de Dioclétien (empereur romain, 285 après Jésus-Christ), les frontières étaient très différentes de celles qu’on connaît aujourd’hui, mais Trèves (à environ une heure de Metz en Allemagne) devint la capitale de toute la partie occidentale de l’empire, preuve de la centralité de cet espace. Quelques siècles plus tard, c’est bien à Verdun (Meuse) en l’an 843, que les trois petits10 fils de Charlemagne se partagent ses territoires . (à consulter sur place à la bibliothèque de SciencesPo Lyon) Source : Distrinews Par ailleurs, on peut souligner la proximité de la Lorraine avec l’Allemagne (entre ce qu’on appelait la Francie et la Germanie à la fin du premier millénaire) ; l’Alsace et la Moselle furent même cédées à l’Allemagne suite au traité de Francfort en 1871. Les héritages de l’Histoire entre une Moselle au passé allemand et d’autres départements qui sont restés 10 Sur la carte présentant les royaumes européens en l’an 843, « Lothringen » est la traduction allemande de « Lorraine » DECHOUX Christophe - 2013 9 Quelle place pour la Lorraine dans la Grande Région et dans l'Union européene ? Etude des dynamiques économiques d'une région au coeur de différents espaces européens français sont encore de nos jours à l’origine de bien des tensions et accentuent les difficultés à coopérer. On notera également la proximité avec le Luxembourg, la Belgique et même les Pays-Bas. L’objectif de cette étude sera donc de comprendre de quelle manière la Lorraine s’inscrit dans ces différents espaces transfrontaliers et quelles sont les relations des acteurs lorrains avec leurs partenaires / rivaux étrangers. 1.2 L’économie de la Lorraine, structure de l’emploi et place des différents secteurs d’activités 1.2.1 Poids économique des différents départements lorrains Afin de centrer notre analyse sur les éléments qui nous semblent les plus pertinents, commençons par souligner que la Lorraine est composée de quatre départements (la Moselle, la Meurthe et Moselle, les Vosges et la Meuse) aux poids économiques et démographiques très variables. En effet, sur les 2 356 585 Lorrains, 1 047 585 étaient Mosellans, 733 971 Meurthe-et-mosellans, 380 639 Vosgiens et seulement 194 390 11 Meusiens. En ce qui concerne le PIB des départements lorrains , c’est la Moselle qui arrive en tête avec un PIB de 23 465 millions d’euros (soit 44,5 % du PIB Lorrain), suivie par la Meurthe et Moselle (17 052 millions d’euros, soit 32,3% du PIB Lorrain), les Vosges (8 304 millions d’euros, soit 15,7% du PIB lorrain) et enfin la Meuse (3 918 millions d’euros, soit 7,4% du PIB Lorrain). On ne s’étonnera donc pas si la Moselle, département qui a une frontière commune avec l’Allemagne et le Luxembourg et pèse pour près de la moitié du PIB régional, occupe une place prépondérante dans notre analyse, aux côtés de la Meurthe et Moselle, alors que le poids économique relativement faible des Vosges et plus encore de la Meuse (moins d’un quart du PIB régional pour les deux départements réunis) leur confèrent un rôle moins important. 1.2.2 Histoire de la structure de l’emploi en Lorraine On reviendra sur la crise que traverse actuellement la Lorraine par la suite. Pour comprendre les événements présents, il convient tout d’abord de passer un peu de temps sur la structure de l’emploi en Lorraine, singulière à bien des égards. En effet, la Lorraine, région industrielle par excellence, a connu une tertiarisation de son économie si rapide qu’on peut même la qualifier de violente : sur la période 1975-1999, on a en effet constaté une baisse massive de l’emploi industriel (-43%) corrélée à une hausse modérée de l’emploi tertiaire (+39%, sachant que la moyenne nationale se situait aux alentours de 53%). Cette région est en conséquence passée de troisième région industrielle et douzième région tertiaire à huitième 12 région pour le secondaire et le tertiaire, perdant ainsi ses singularités sur le plan industriel . Non seulement le poids de l’industrie en Lorraine comparativement aux autres secteurs d’activités a historiquement été déterminant pour la région, mais plus encore, l’Histoire de la Lorraine sidérurgique (principalement la grande couronne du Val de Fer, les mines de fer de la vallée de la Fensch dont les noms de Florange ou Gandrange parleront certainement au lecteur au vu de la couverture médiatique dont ils ont fait récemment l’objet), mais aussi celle des mines de charbon du bassin houiller font partie du patrimoine culturel de la 11 12 Source INSEE, données de 2012 Données et analyse issues de : CREUSAT Joël, La Lorraine face à son avenir (I)�: du diagnostic global aux enjeux régionaux [Rapport], Insee Lorraine, 2003, 8 p. 10 DECHOUX Christophe - 2013 Partie I : Photographie de la Lorraine d’aujourd’hui région. Le démantèlement de l’industrie lourde a d’ailleurs été si marquant pour les Lorrains (il suffit de s’intéresser aux cérémonies qui ont accompagné la fermeture de la dernière mine de charbon sur le site de la Houve le 23 avril 2004 pour s’en convaincre) qu’il a fait 13 l’objet d’études d’ethnologues comme Jean-Louis Tornatore . Ce dernier s’intéresse tout particulièrement à la lutte des représentations au sujet de la construction de la « Lorraine industrielle » en objet-frontière patrimonial. Afin de mieux comprendre les évolutions dont il est question ici, faisons désormais une étude plus précise de l’emploi en Lorraine depuis les années 1960. Alors que le PIB de la Lorraine était quasi exclusivement le fait du primaire et du secondaire, c’est sur la période 1962-1975 que l’emploi tertiaire régional commence à gagner en importance (+10% de 1962 à 1968), avec en parallèle les premières restructurations d’industries lourdes et le déclin du primaire. En fin de période, alors que l’emploi tertiaire continue de croître, on assiste au développement des premières industries de reconversion : c’est une période de forte augmentation de l’emploi total, mais aussi de la population active (respectivement +3,3% et +6%). La période qui suit (1975-1990) est symptomatique de la crise industrielle que connaît la région Lorraine : de 1975 à 1982, la population active continue de croître (arrivée massive de jeunes, développement du travail des femmes), alors que l’économie ne crée plus d’emplois, tendance qui s’accélère jusqu’à la fin des années 1980. En conséquence, un nombre croissant de travailleurs quittent la région, la population décroît et de plus en plus de Lorrains font le choix de travailler dans les pays frontaliers (principalement Allemagne et Luxembourg). A la fin de ces quinze années de crise, l’économie régionale n’offre plus que 81 emplois pour 100 actifs, alors qu’au début des années 1970, elle en offrait 97. Suite à cette période de crise industrielle, la Lorraine perd une bonne partie de ses spécificités et devient une région « standard » où le tertiaire domine largement au début des années 1990. Il n’est donc pas surprenant que les potentialités de croissance de la valeur ajoutée atteignent des chiffres comparables aux moyennes nationales (quoique légèrement inférieures, car les industries de la région connaissent encore de grandes difficultés pour nombre d’entre elles). Pour résumer, les restructurations dans les activités de métallurgie, exploitation du charbon, transports, services opérationnels, équipements mécaniques ou encore industries agricoles et alimentaires vont de pair avec une augmentation des activités de services, mais aussi d’autres activités importantes de spécialisation régionale, notamment : l’automobile, la chimie, le caoutchouc-matières plastiques, la construction, le commerce de détail, l’industrie du bois et du papier. Si le portrait économique de la Lorraine a changé, on soulignera malgré tout que bon nombre de services (transport et logistique, services aux entreprises…) se sont développés dans le prolongement des activités de production. On assiste ainsi à un regain de croissance dans les années 1990 et le début des années 2000. Malheureusement, les activités développées durant les décennies qui ont suivi la crise industrielle étant souvent fortement internationalisées (on pensera par exemple au rachat 14 d’Arcelor par Mittal ) et inscrites dans des logiques de croissance extensive, elles sont très sensibles aux évolutions de la conjoncture. La crise de 2008 a donc frappé la Lorraine de plein fouet, tout particulièrement les nouvelles activités industrielles (le domaine de la métallurgie notamment). 13 14 TORNATORE Jean-Louis, « L’« invention de la Lorraine industrielle » », Ethnologie française, 2005, vol. 104, no 4, p. 679. OPA datant de 2006 : Mittal Steel Company NV (Euronext : MTP) est une multinationale de droit néerlandais, fondée par l’Indien Lakshmi Mittal, basée à Rotterdam, aux Pays-Bas DECHOUX Christophe - 2013 11 Quelle place pour la Lorraine dans la Grande Région et dans l'Union européene ? Etude des dynamiques économiques d'une région au coeur de différents espaces européens Suite à la crise économique, alors que la récession débutait avec un recul du PIB de 0,4% au deuxième trimestre 2008 (France), l’emploi salarié lorrain a reculé de 2,8% en 2009 (soit 14 000 emplois supprimés, dont 7900 dans l’industrie), avec une chute de 20% de l’emploi intérimaire, bien plus importante que la moyenne nationale et un recours au chômage partiel plus de deux fois supérieur à la moyenne nationale au cours de l’année 2009, et un taux de chômage qui se situe parmi les plus élevés du pays (voir graphiques pour plus de détails). Secteurs les plus touchés par la récession Industrie Construction Commerce Services marchands Variation sur l’année 2009 5,4% 4,5% 2,4% 0,9% Tableau élaboré à partir de l’article de Joël Creusat : La Lorraine face à son avenir (I), Insee Lorraine, 2003 En plus des difficultés sur le plan économique, le nouveau régime démographique associe récession et déficit migratoire. A l’horizon 2020, c’est donc sur une baisse de la population active de l’ordre de 100 000 personnes que l’on peut tabler. Les zones d’emploi du Nord de la Lorraine (quasi exclusivement situées en Moselle : on pensera notamment aux régions de Longwy et Thionville, historiquement dépendantes des activités sidérurgiques, ou encore de Briey, du bassin houiller et de Sarreguemines) sont les plus touchées, les difficultés locales étant partiellement compensées par les opportunités d’emploi frontalier. 1.2.3 Qu’en est-il de la polarisation de l’espace lorrain ? 15 Dans un supplément à « Economie lorraine » (INSEE) , Joël Creusat commençait son analyse du diagnostic spatial et des enjeux territoriaux de l’espace lorrain par le constat suivant : L’économie lorraine a changé, le « fonctionnement » de son territoire aussi. Les disparités de peuplement et de population se sont accentuées tandis que la « colonne vertébrale » de développement se resserrait sur le barreau Nancy-Metz. Les restructurations industrielles ont modifié les équilibres entre l’emploi et la population à l’échelle locale. L’histoire économique de la Lorraine que nous avons étudiée un peu plus haut et notamment la crise de l’industrie a de profondes répercussions sur les territoires structurant l’espace 16 lorrain : on assiste ainsi à un clivage de plus en plus important entre des espaces péri-urbains dynamiques (logique de croissance métropolitaine autour des grandes villes de l’espace, à commencer par Metz et Nancy) et des espaces ruraux nombreux qui tendent de plus en plus à être éloignés des centres. Par ailleurs, comme le suggère la carte figurant en annexe 1, les disparités croissantes entre certains espaces en déclin, notamment dans les Vosges et en Meuse, et le dynamisme de certaines régions voisines (Luxembourg notamment) dans un environnement européen où les hommes comme les marchandises transitent désormais librement, tendent à renforcer ce que Joël Creusat appelle les « tendances centrifuges » et les risques de fracture interne : les régions du Nord 15 16 12 CREUSAT Joël, La Lorraine face à son avenir (II)�: du diagnostic spatial aux enjeux territoriaux [Rapport], Insee Lorraine, 2003, 8 p. Voir notamment carte en annexe 1 DECHOUX Christophe - 2013 Partie I : Photographie de la Lorraine d’aujourd’hui de la Lorraine sont en effet attirées par les dynamiques transfrontalières, alors que d’autres espaces ruraux sont de plus en plus exclus. Concrètement, entre 1962 et 1999, les espaces ruraux qui représentaient 19,8% de la population et 20,3% de l’emploi ne recensent plus que 17% des Lorrains et 16,4% de l’emploi (source : INSEE). C’est en particulier sur le début de la période que l’emploi s’est concentré dans les unités urbaines de 15 000 habitants ou plus avec un développement des services, là où la crise du secondaire a eu des conséquences désastreuses sur les régions de tradition industrielle : Région concernée Longwy - Moselle (sidérurgie) Briey - Meurthe (sidérurgie) Thionville – Moselle (sidérurgie) Commercy – Meuse (agriculture, agroalimentaire, mécanique et fonderie) Meuse du Nord (agriculture, agroalimentaire, mécanique et fonderie) Lunéville – Meurthe (faïencerie, textile, chaussure) Saint-Dié – Vosges (textile) Epinal – Vosges (textile) Bassin Houiller – Moselle (charbon) Remiremont-Gérardmer – Vosges Sarrebourg – Moselle Bar-le-Duc et Vosges de l’Ouest Toul – Meurthe (pneumatiques) Sarreguemines – Moselle (automobile, mécanique et services opérationnels) Nancy – Meurthe Metz – Moselle Impact sur l’emploi (variation 1962-1999) 48% 45% 26% 23% 20% 20% 17% 11% 5% 1,3% 0,5% 2,9% 8% 28% 23% 70% Tableau élaboré à partir de l’article de Joël Creusat : La Lorraine face à son avenir (I), Insee Lorraine, 2003 Ainsi, les zones de Briey, Longwy, Commercy et Meuse du Nord ont connu à la fois des baisses de population et d’emploi très marquées, malgré de petites améliorations ponctuelles en fin de période. Les zones de Thionville, Lunéville, Saint-Dié, Epinal et du Bassin-Houiller ont connu une baisse de l’emploi couplée à une relative stabilisation de la population active, conduisant à une hausse importante du chômage dans les zones qui n’ont pas pu bénéficier du dynamisme des territoires voisins (Epinal et Saint-Dié principalement). Un troisième groupe réunit les zones de Remiremont-Gérardmer, Vosges de l’Ouest, Barle-Duc et Sarrebourg où l’emploi et la population ont été relativement stables (légère hausse). Enfin, les territoires qui combinent une forte hausse à la fois de l’emploi et de la population sont les zones urbaines de Toul, Sarreguemines (qui s’en sort très bien malgré une conjoncture morose sur le plan national pour l’industrie automobile), mais surtout l’aire métropolitaine Nancy-Metz, avec une affirmation de l’espace du Val de Lorraine entre ces deux espaces. Si l’Est vosgien, structuré autour d’Epinal, Saint-Dié et Remiremont s’en tire grâce à une situation démographique relativement favorable, il y a en revanche un vrai risque de rupture Nord-Ouest / Sud-Est, dans la mesure où les espaces au Sud de la diagonale Verdun-Toul-Remiremont-Gérardmer sont de plus en plus à la marge, la baisse DECHOUX Christophe - 2013 13 Quelle place pour la Lorraine dans la Grande Région et dans l'Union européene ? Etude des dynamiques économiques d'une région au coeur de différents espaces européens de population allant de pair avec des espaces ruraux peu dynamiques. D’une manière générale, les petites villes qui faisaient figure de « bourg-centre » (Commercy, Mirecourt, Dieuze, Bitche…) dans les espaces ruraux ont tendance à perdre cette fonction qui leur permettait d’offrir des services compétitifs, comparable à ceux disponibles dans les zones urbaines de plus grande envergure. Ainsi, les premières victimes des stratégies métropolitaines liées à l’effacement de toutes les barrières au libre-échange (dans un espace communautaire largement transfrontalier) sont les espaces ruraux et leurs « bourgs centres ». En effet, la mise en concurrence des territoires implique nécessairement le renforcement des centres, afin de les inscrire dans les grands réseaux de production et de circulation de la valeur ajoutée. Or ces réseaux dépassent largement le cadre des frontières nationales. L’arrivée du TGV Est est de ce point de vue une opportunité exceptionnelle : elle permettra de réduire les distances aux grands centres européens. Le corollaire de cette plus grande proximité en termes de temps et de distance sera une concurrence territoriale accrue qui nécessitera de consolider les avantages comparatifs des pôles métropolitains régionaux, afin de renforcer l’attractivité de la Lorraine (ou plutôt de certains de ses espaces) aux yeux des investisseurs transnationaux. A cet égard, la lutte pour le statut de capitale économique entre Metz et Nancy peut représenter un handicap, dans la mesure où aucune des deux n’a un statut de leader régional incontesté (les deux métropoles disposant de fonctions supérieures complémentaires), mais également un atout si l’on parvient à construire un archipel métropolitain structurant l’espace entre ces deux villes et qui confèrerait à tout l’espace un avantage comparatif d’agglomération. Pour conclure ce développement centré sur l’histoire économique de la Lorraine, force est de constater que cette région doit actuellement faire face à de multiples dépendances que nous analyserons avec davantage de détails par la suite : dépendance de certains territoires à l’égard d’espaces urbains dont ils sont plus ou moins éloignés, dépendance à l’égard de voisins européens dont les emplois sont indispensables à l’activité économique régionale, dépendance à l’égard de la conjoncture, dans la mesure où l’internationalisation croissante de bon nombre d’activités la rend plus sensible aux évolutions globales sur lesquelles elle n’a que peu d’influence, et enfin dépendance structurelle liée aux choix des nouvelles spécificités de la Lorraine : performante dans les services opérationnels (location de main d’œuvre, sécurité, nettoyage) et la logistique (conséquence du déversement des 17 emplois analysé par Alfred Sauvy ), elle est en revanche trop peu présente dans les services dits « supérieurs » (conseil, audit, services informatique) et dépend largement de centres de décision externes à la région (firmes multinationales, souvent étrangères). On peut donc penser qu’une des clefs pour sortir de la crise qu’elle traverse serait de redonner à la Lorraine les moyens de « reprendre son destin en main », non pas en se repliant sur elle-même, mais en pariant sur le développement de filières économiques pérennes et non délocalisables. Ceci doit être fait en exploitant au maximum les opportunités offertes par son positionnement géographique privilégié. Malgré tout, la concurrence accrue entre métropoles et régions européennes semble favoriser les grandes villes. Relever le challenge qui consiste à mettre en place une stratégie d’aire métropolitaine permettant de diffuser la croissance dans l’ensemble des espaces lorrains (et tout particulièrement les périphéries rurales en difficulté) semble donc particulièrement difficile. 1.2.4 Analyse en termes de dotations infrastructurelles 17 14 SAUVY Alfred, La machine et le chômage - le progrès technique et l’emploi, Bordas, 1980, 336 p. DECHOUX Christophe - 2013 Partie I : Photographie de la Lorraine d’aujourd’hui Pour exploiter ces atouts et aller au-delà des discours d’intention, il est utile de faire un portrait de la Lorraine en matière de dotations infrastructurelles, car comme le souligne Roger Cayzelle, Président du CESE Lorraine, « ce qui fait la force d’un territoire, c’est à la fois sa capacité à affirmer une identité, et, dans le même temps, à accepter, voire à 18 générer des flux » . Si l’arrivée du TGV Est constitue une réelle aubaine pour l’économie régionale en lui permettant d’être mieux reliée à d’autres espaces du territoire français, les liaisons vers l’Allemagne et notamment Francfort sont en revanche devenues plus rares depuis que celles vers Paris se sont améliorées. Cet exemple illustre parfaitement le problème lorrain sur cette question : alors que la région dispose d’atouts de poids, à commencer par son positionnement géographique, les luttes entre collectivités pour capter un maximum de retombées de chaque entreprise et les difficultés à s’entendre sur des projets d’envergure communs ont largement pénalisé le développement d’infrastructures de qualité, indispensables pour faire de la Lorraine un carrefour de l’Europe. L’illustration la plus emblématique de cette incapacité à s’entendre sur un projet dont la nécessité qu’il soit mené à terme fait pourtant consensus est celle de l’autoroute A31 (qui prend sa source à la frontière luxembourgeoise pour aller vers le Sud jusqu’à Mâcon). Proche de la saturation, cela fait des années que les débats concernant la construction d’une A32 ont cours, sans accord jusqu’ici. Roger Cayzelle rappelle également que « la voie ferrée possède, elle aussi, un pouvoir de structuration d’un territoire particulièrement élevé ». Suite au désengagement de la SNCF dans les années soixante, le territoire lorrain est insuffisamment quadrillé par des lignes de train : des tracés Epinal-Gérardmer, Bouzonville-Dillingen, Thionville-Belval-Longwy permettraient certainement de favoriser la mise en réseau de ces villes. L’effet serait décuplé en étant accompagné d’une action puissante sur l’intermodalité. Enfin, pour citer un autre exemple significatif des progrès qu’il reste à faire en matière d’aménagements infrastructurels, il faut évoquer la question du canal Moselle-Saône. En effet, il est déjà possible pour les péniches à grand gabarit de rejoindre la Moselle depuis Rotterdam. Mais l’impasse à hauteur de Frouard (près de Nancy) empêche la création d’un axe fluvial intégral Nord-Sud de Marseille aux Pays-Bas. Jusqu’ici, les discussions au sujet du financement du projet n’ont pas abouti. Pourtant, comme le montrent les différents exemples cités jusqu’ici, il est essentiel de compléter les aménagements infrastructurels qui ne permettent à l’heure actuelle de capter qu’une partie des flux si l’objectif est de faire de la Lorraine un carrefour de l’Europe. 1.3 Quel rôle historique de l’Etat français, des collectivités territoriales et de l’Union européenne dans le soutien à l’économie de la région ? L’analyse de l’économie de la Lorraine semble donc dessiner une région en proie à des difficultés récurrentes d’ordre structurel dont la manifestation la plus emblématique serait une désindustrialisation que rien ne semble pouvoir enrayer. Dans ce contexte, il est utile de se demander quelle est la réaction et le rôle des acteurs publics, afin d’évaluer leur capacité d’action et l’impact des politiques de soutien menées. On s’intéressera donc aussi bien au rôle des collectivités territoriales que des programmes européens et plus particulièrement INTERREG IV / Grande Région. 18 CAYZELLE Roger, La Lorraine en Face, Condé-sur-Noireau, Mettis Editions, 2009, 152 p. Voir notamment le chapitre consacré aux infrastructures. DECHOUX Christophe - 2013 15 Quelle place pour la Lorraine dans la Grande Région et dans l'Union européene ? Etude des dynamiques économiques d'une région au coeur de différents espaces européens 1.3.1 Etude des dotations publiques comparativement aux autres régions françaises Afin d’avoir une première idée de l’impact des mesures menées par la région Lorraine et les départements qu’elle englobe, il semble intéressant de comparer le montant des dotations accordés par l’Etat à ces espaces comparativement au reste du territoire français. On peut en effet penser qu’il y a une corrélation entre le montant des sommes en jeu et la capacité d’action des collectivités territoriales. Partant de ces données brutes, on peut établir un classement des régions qui donne un 19 aperçu global de la somme des dotations divisée par le nombre d’habitants de la région . Région Population Dotation régionale forfaitaire (INSEE 2011) Classement 99466296 222007157 143838401 116935053 Dotation de Dotation Ratio péréquation régionale dotation d'équipement totale / scolaire pop 18834936 6756710 167 0 51680878 143 3894362 11100040 118 2927347 16193783 116 Limousin Picardie Auvergne FrancheComté ChampagneArd. Alsace Bourgogne Corse Centre Lorraine Nord-Pas-deC. Rhône-Alpes Midi-Pyrénées Languedoc-R. HauteNormandie BasseNormandie Aquitaine PACA PoitouCharentes Bretagne Pays de la Loire Île-de-France 747000 1919000 1348000 1177000 1335000 131297447 3781728 17835249 115 5 1860000 1648000 313000 2551000 2355000 4038000 189287546 171941219 11527143 243087123 217785637 359718840 0 0 22271962 0 3692528 4300361 23512225 15216911 0 22785661 22748045 41885008 114 114 108 104 104 101 6 7 8 9 10 11 6272000 2916000 2661000 1843000 581503379 227904388 207344249 150864510 0 27191857 24515366 0 45444491 20704681 19154520 19726446 100 95 94 93 12 13 14 15 1477000 118730589 3257844 12779832 91 16 3258000 4944000 1780000 246008852 408960728 126555075 22493713 0 16169846 24602227 31505375 15727417 90 89 89 17 18 19 3221000 3595000 237808217 263137542 19364847 4513405 20958087 23123412 86 81 20 21 11867000 734695347 0 86089190 69 22 Source : travail personnel 19 16 Tableaux construits à partir de données issues du site du Ministère de l’Intérieur DECHOUX Christophe - 2013 1 2 3 4 Partie I : Photographie de la Lorraine d’aujourd’hui Afin d’isoler les informations les plus pertinentes pour notre étude, on rappellera que même s’il existe une clause générale de compétence qui traduit la capacité d’initiative d’une collectivité territoriale au-delà des compétences qui lui sont normalement dévolues (et favorise également un dialogue entre les collectivités sur bon nombre de thématiques), certaines d’entre-elles (celles qui nous intéressent principalement) sont principalement à la charge de la région. Le principal domaine d’action de cette dernière est en effet le développement économique, mais on peut aussi évoquer le domaine sanitaire, la construction et l’entretien des lycées, le financement des établissements universitaires, la culture ou encore l’aménagement du territoire. Les compétences du département concernent principalement l’action sociale, l’aménagement et les dépenses d’équipement, mais il entreprend également des actions en matière économique (il gère notamment les aides directes en soutien et appui aux régions). Le tableau récapitulatif ci-dessus nous indique que l’étude des dotations de l’Etat à la région Lorraine la situe dans la moyenne des dotations généralement attribuées aux régions. Il en va de même pour les départements lorrains : Département PopulationDotation Dotation Dotation de Dotation Dotation Ratio forfaitaire de fonctionnement de d'équipement dotation compensation minimale péréquationdes totale / urbaine collèges population Moselle 1044898 11668196349651601 0 16865399 5079641 180 Meurthe 731019 95759325 27384439 0 11696937 3579697 189 Vosges 380192 55052431 18680538 9543465 0 2401170 225 Meuse 194003 27611900 16528227 10920095 0 1544060 292 Source : travail personnel Afin de voir s’il semble y avoir une corrélation entre la richesse régionale et la dotation en termes d’aides publiques, il paraît utile de comparer le classement régional en termes de PIB par habitant à celui précédemment établi en termes de dotations de l’Etat aux régions, ce qui nous amène au résultat suivant : DECHOUX Christophe - 2013 17 Quelle place pour la Lorraine dans la Grande Région et dans l'Union européene ? Etude des dynamiques économiques d'une région au coeur de différents espaces européens Région PIB / habitant Ratio dotation totale / pop Classement 2 : Ratio dotation totale / pop 24296000 23872000 25260000 24908000 27917000 Classement 1 : PIB / habitant (INSEE, année 2008) 19 20 13 15 5 Limousin Picardie Auvergne Franche-Comté ChampagneArdenne Alsace Bourgogne Corse Centre Lorraine Nord-Pas-deCalais Rhône-Alpes Midi-Pyrénées LanguedocRoussillon Haute-Normandie Basse-Normandie Aquitaine PACA Poitou-Charentes Bretagne Pays de la Loire Île-de-France 94,33 89,02 117,83 103,71 107,98 1 2 3 4 5 28285000 26459000 23803000 26449000 24497000 24683000 4 11 21 12 18 16 167,41 114,54 104,22 113,57 92,56 89,96 6 7 8 9 10 11 30513000 27254000 23741000 2 9 22 69,17 91,24 94,58 12 13 14 27584000 24536000 27322000 28500000 25010000 26530000 27357000 47696000 6 17 8 3 14 10 7 1 100,52 115,60 142,62 80,88 86,35 114,41 89,09 99,96 15 16 17 18 19 20 21 22 Source : travail personnel Ainsi, cette première analyse nous permet de conclure que si la région Lorraine se 20 classe parmi les régions en difficulté sur le plan du PIB par habitant , ce ne sont pas les dotations publiques de l’Etat aux collectivités territoriales qui vont permettre de les résorber. En effet, la région Lorraine se classe dans le milieu de peloton en ce qui concerne le classement 1 (ratio dotation totale / nombre d’habitants), mais plutôt en queue de peloton pour le classement 2 (PIB / habitant). Si l’on considère que les dotations régionales d’équipement scolaire sont réparties indépendamment du dynamisme de l’économie de la région considérée, et que l’essentiel du reste est centré sur le développement économique, force est de constater que ce ne sont pas les dotations versées par l’administration centrale qui permettront à la région Lorraine de relever la tête. On est donc loin d’avoir réglé les problèmes liés au soutien au développement à l’initiative des collectivités territoriales. Cela dit, d’autres vecteurs existent et notamment le soutien de l’Union européenne. 21 On peut également souligner que le statut de « région en transition » vient d’être acté dans les négociations sur le budget européen et l’enveloppe accordée aux régions. Même si l’on reste actuellement dans l’incertitude au sujet du montant total, puisqu’aucun accord 20 21 18 Voir notamment annexe 2 pour une représentation visuelle du PIB par région en France Informations issues d’un document daté du 13 mars 2012 et publié par Eurostat DECHOUX Christophe - 2013 Partie I : Photographie de la Lorraine d’aujourd’hui n’a été trouvé en ce qui concerne le budget européen, l’Union semble décidée à fournir une aide supplémentaire aux régions qu’elle regroupe désormais sous cette dénomination. Sont concernées celles pour lesquelles le PIB représente entre 75 et 90% de la moyenne communautaire, soit 10 régions françaises, dont la Lorraine (aux côtés de la Franche-Comté et du Roussillon par exemple). 1.3.2 Les aides européennes et le programme INTERREG IV A-Grande Région Il apparaît d’emblée utile de rappeler les principaux objectifs et priorités du programme de coopération territoriale européenne INTERREG IV A Grande Région (financé par le fonds européen de développement régional, FEDER), même si l’idée n'est pas de faire une analyse exhaustive de tout le programme opérationnel (cette dernière pourrait, à elle seule, faire l'objet d'un mémoire). Rappelons que les programmes INTERREG sont composés de trois volets (coopération transfrontalière, transnationale et interrégionale). Le volet A – coopération transfrontalière – étant à la fois le plus significatif en termes de financements 22 (74,5% du total) et le plus pertinent pour notre analyse fera l’objet des développements qui suivront. Le programme en question a été conclu pour la période 2007-2013 par les représentants des différents territoires que compte la Grande Région, à savoir : le GrandDuché de Luxembourg, la Wallonie belge, la région Lorraine (à l'exception des Vosges qui n'ont aucune frontière avec un voisin européen) et enfin les Länder allemands de RhénaniePalatinat et de Sarre. Source : Cadre stratégique de la Grande Région [Rapport], Grande Région, 2012, 122 p. En parallèle de ses objectifs de développement, d'amélioration du cadre de vie, de diffusion des connaissances au sein de ces différents espaces transfrontaliers, ce programme vise à promouvoir la compétitivité interrégionale. 22 « Volets INTERREG » [en ligne], Programme INTERREG, site du CNRS (URL dans la bibliographie) DECHOUX Christophe - 2013 19 Quelle place pour la Lorraine dans la Grande Région et dans l'Union européene ? Etude des dynamiques économiques d'une région au coeur de différents espaces européens Cet axe vise à soutenir l'innovation, la R&D, les actions collectives de développement du tissu économique, l’esprit d’entreprise, le développement des infrastructures économiques, le tourisme et le marché de l'emploi transfrontalier afin de contribuer au développement économique et à l'emploi en Grande 23 Région . En matière d'innovation, les actions entreprises vont du soutien à la coopération entre pôles de compétitivité ainsi qu'à des projets entrepreneuriaux innovants à la mise en réseau des différents acteurs transfrontaliers de l'économie. Le programme vise également au soutien des actions collectives permettant le développement du tissu économique, au développement des infrastructures économiques transfrontalières, au développement de l'emploi et enfin à la promotion des activités touristiques. Ce programme s'inscrit dans la continuité de la stratégie de Lisbonne, dans la mesure où il tend à la promotion du marché commun et de la coopération entre les différentes entités régionales. Au-delà d'une simple déclaration d'intentions, il est assorti d'instruments de mesure des résultats sur la période 2007-2013 (nombre d'initiatives entreprises et qui ont abouti dans les secteurs ciblés, indicateurs d'impact...) et de financements. On constate ainsi que les financements communautaires correspondent à la moitié du financement total. Que représentent ces chiffres ? Le montant total du programme opérationnel INTERREG IV A Grande Région (211 993 034 euros) est sensiblement identique à la somme des dotations publiques versées par l'Etat français à la région Lorraine (sachant que ce dernier verse également des sommes conséquentes aux départements comme récapitulé dans les tableaux des paragraphes précédents). Ainsi, si l'on met en perspective les budgets voisins de la seule région Lorraine (et ses 2 350 000 habitants) avec la Grande Région (et ses 11 302 000 habitants, dont un peu plus de 5 millions d'Allemands, 455 000 Luxembourgeois et près de 3 400 000 Wallons), on réalise que même s'ils sont loin d'être négligeables, ces budgets ne représentent pas, 24 dans l'absolu, des sommes exorbitantes . Par ailleurs, le rapport final de l’évaluation de ce programme INTERREG souligne que « si les projets programmés sont globalement de bonne qualité, et répondent aux objectifs – très larges – du programme opérationnel, leur cohérence d’ensemble laisse plus de doutes. La programmation semble dans certains cas éparpillée et inégale, alors que l’espace 25 Grande Région n’en est pas à ses débuts en matière de coopération transfrontalière. » Malgré tout, la volonté de soutien aux régions européennes est de plus en plus marquée au fil des années et du montant des financements des programmes INTERREG (le programme INTERREG III A ne concernant que la Lorraine, la Wallonie et le Luxembourg pour une enveloppe totale proche de 50 millions d'euros). Par ailleurs, si l'on peut considérer que les montants en question sont un bon indicateur de l'impact potentiel des réalisations, ils ne permettent pas à eux seuls de rendre compte des synergies créées, des symboles en jeu et de bien d'autres dimensions. 23 Conclusions tirées à partir de l’analyse du document suivant : Coopération territoriale européenne 2007-2013 - Programme opérationnel de coopération transfrontalière « Grande Région » [Rapport], 2011, 128 p. 24 25 Voir annexe 3 pour le tableau récapitulatif des montants dont il est question Programme INTERREG IVA Grande Région – Evaluation à mi-parcours Rapport final [Rapport], Cabinet IGT.ITG, 2011, 167 p. 20 DECHOUX Christophe - 2013 Partie I : Photographie de la Lorraine d’aujourd’hui L'imbrication croissante des niveaux régionaux et européen se manifeste notamment par le nombre croissant de « chargés de mission affaires européennes », notamment au sein des conseils généraux. Au sein du Conseil Général de Moselle, c’est Anne-Laure Maclot 26 qui occupe ce poste . Il est utile de souligner que si les objectifs de la coopération territoriale européenne (pour lesquels les financements viennent d’INTERREG) ont permis des réalisations concrètes grâce notamment au soutien de projets d’envergure comme l'institut Jean Lamour de Nancy (investissement stratégique dans le domaine des nanotechnologies), ils ne 27 constituent pas les seuls financements d’origine européenne. En effet, FEDER et FSE soutiennent également les objectifs de compétitivité régionale - emploi et les objectifs de convergence. Or les financements liés à ce dernier programme, qui sont de loin les plus importants en termes de montants engagés, sont exclusivement destinés aux nouveaux pays membres qui accusent un réel « retard » sur le plan économique. Cela dit, Anne-Laure Maclot rappelle que de nombreuses évolutions permettent de rester optimiste : La Grande Région se construit dans de nombreux domaines, et pas seulement via les fonds européens, parce qu'évidemment, sur INTERREG, les régions travaillent quotidiennement ensemble, les gens se connaissent, alors que 28 sur d'autres dispositifs comme la CLI , on n'aurait pas forcément pensé que ça puisse arriver. Donc je ne suis pas forcément pessimiste, la Lorraine fait beaucoup de choses : quand on voit la ville de Metz et la ville de Nancy, elles s'améliorent, notamment en termes d'enseignement supérieur. Il y a des créations de cursus transfrontaliers qui se mettent en place. Beaucoup de choses sont faites, j'ai l'impression. Et puis il y a aussi les projets culturels comme le centre Pompidou, c'est quelque chose qui attire énormément de monde en Lorraine. Ainsi, même si des montants bien supérieurs sont octroyés à des pays récemment entrés dans l'Union européenne (Roumanie, Bulgarie...) dans le cadre des objectifs de convergence, l'impact local des aides européennes et la manière dont l’Union s'inscrit dans le fonctionnement des collectivités territoriales semble contribuer au dynamisme de l'économie régionale. Puisque la concurrence entre les territoires fait désormais partie de leur quotidien (c'est en grande partie dans cette optique qu'a été pensée la création de l'université de Lorraine qui rassemble celles de Metz et Nancy pour un rayonnement plus important ; notons également que la Lorraine a une représentation permanente à Bruxelles pour y défendre ses intérêts), l'adaptation à ces nouvelles formes de coopération semble se faire de mieux en mieux. Par ailleurs, nous nous sommes jusqu’ici penchés exclusivement sur les programmes de développement consacrés à la Grande Région avec l’exemple emblématique d’INTERREG. Cela dit, les montants dont il est question ici sont à mettre en perspective avec les autres priorités européennes à destination des différents espaces européens dans lesquels s’inscrit la Lorraine (au sens large donc). On aboutit ainsi à une dotation totale de 26 27 28 Entretien avec Anne-Laure Maclot daté du 4 mars 2013 Fonds européen de développement économique régional et fonds social européen Commission Locale d’Information auprès de la centrale nucléaire de Cattenom (Moselle) DECHOUX Christophe - 2013 21 Quelle place pour la Lorraine dans la Grande Région et dans l'Union européene ? Etude des dynamiques économiques d'une région au coeur de différents espaces européens 29 865 millions d’euros , un budget bien plus conséquent, quoiqu’utilisé à des fins très variées qui sont loin d’être toutes centrées sur le développement de l’espace lorrain. Cela dit, la somme des fonds alloués dans le cadre du FSE et du FEDER en matière de « compétitivité régionale et emploi » représentent respectivement des montants de 329 et 136 millions d’euros, soit un total de 465 millions d’euros pour la région Lorraine. Il faut 30 également considérer les fonds du FEADER dont le volet régional correspond à 65 millions d’euros. En somme, en additionnant l’enveloppe totale allouée aux politiques de cohésion (objectifs de convergence, de compétitivité régionale et de coopération territoriale) qui s’élève à 308 millions d’euros, les fonds alloués dans le cadre de la politique agricole commune (293 millions d’euros), les politiques internes de l’Union européenne (7ème programme cadre de R&D, Léonardo, Erasmus, jumelage, jeunesse… pour un total de 150 millions d’euros), les actions extérieures de l’UE (internationalisation des entreprises, aides au développement et aide humanitaire pour 56 millions d’euros) et les dotations liées à l’administration de l’UE, les sommes sont plus importantes. La difficulté majeure reste cependant d’arriver à un programme de développement territorial cohérent dans un espace mondialisé qui se complexifie. 1.3.3 Analyse critique du rôle des collectivités territoriales dans le développement économique L’analyse que nous avons faite jusqu’ici des différents modes de soutien à l’économie des territoires s’appuyait sur des données quantifiables qui donnent certes un aperçu intéressant de l’impact des actions menées par les différents acteurs (collectivités territoriales avec principalement les communautés de communes ou d’agglomération, départements et la région Lorraine, ainsi que les acteurs transnationaux), mais elle ne met peut être pas assez l’accent sur les dimensions stratégiques et les aspects relevant davantage de l’intelligence économique. C’est donc le point que nous allons aborder dès à présent en nous appuyant sur un article de Christophe Demazière et Patrick Faugouin intitulé « Anticiper les mutations économiques des territoires : quelles implications pour l’action publique locale ? » publié 31 dans l’ouvrage Benchmark Européen de Pratiques en Intelligence économique . En effet, on aurait tort de considérer que ces différents échelons territoriaux sont finalement représentés par des acteurs qui ne font que redistribuer mécaniquement des subventions obtenues, sans la moindre marge de manœuvre ou une quelconque forme de stratégie. Selon ces auteurs « depuis le milieu des années 1970, la recherche d’une croissance économique nouvelle a donné lieu, en France et dans de nombreux autres pays, à des actions publiques initiées à différentes échelles spatiales, du supranational au local » : la logique et le rôle des collectivités territoriales s’en sont trouvés largement modifiés. Ainsi, les préoccupations croissantes liées notamment au phénomène de mondialisation et la lutte croissante entre les territoires nécessitent un changement d’approche et une plus grande territorialisation de l’action publique. La stratégie de cette dernière doit également être affinée, dans la mesure où les lois de décentralisation confèrent davantage de pouvoir décisionnel et de moyens aux collectivités territoriales en matière de développement 29 30 31 Données issues de rapports du Conseil Régional de Lorraine, voir notamment Annexe 4 Fonds européen agricole de développement rural LARRAT Pierre et IGALENS Jacques, Benchmark européen de pratiques en intelligence économique, Paris, l’Harmattan, coll. « Intelligence économique », 2008. 22 DECHOUX Christophe - 2013 Partie I : Photographie de la Lorraine d’aujourd’hui économique. Par ailleurs, l’opposition croissante entre la logique des acteurs politiques locaux et celle des grandes entreprises qui font de plus en plus jouer la concurrence entre les territoires (voir II pour une analyse plus détaillée appuyée sur un cas précis) pour produire à moindre coût nécessite une remise à plat de la manière de penser l’intelligence économique territoriale. Dans cette perspective, les rivalités entre communes (dont la part dans les aides directes au développement économique représente près de 40% du total), conseils généraux (25%) et régionaux (35%) permettent difficilement à la région de s’imposer comme « chef de file » en matière de développement économique. Ce constat fait dire à Demazière et Faugouin que le problème d’une inadéquation croissante entre interventions publiques traditionnelles et mondialisation se pose. Les dernières évolutions laissent penser que la meilleure réponse réside dans une maîtrise accrue des outils de l’intelligence territoriale, avec des méthodes proches de celles des entreprises. Mais au-delà d’une simple démarche, l’intelligence territoriale doit être pensée comme une culture de veille et de stratégie qui, semble-t-il, n’est pas utilisée de manière optimale au sein de la région Lorraine aujourd’hui. En effet, le modèle classique du technopole pour favoriser l’implantation d’entreprises innovantes à l’aide d’avantages spécifiquement mis en place sur un territoire (avantages fiscaux par exemple) ne permet pas de répondre aux enjeux du développement de longterme du territoire : la médiatisation qui entoure leur mise en place est souvent bien plus importante que les effets réels qu’ils engendrent pour l’économie locale. Il ne s’agit pas ici de remettre en question l’existence et le développement des deux principaux technopôles lorrains (celui de Nancy-Brabois-Innovation est spécialisé dans les sciences du vivant, l’économie numérique et les finances ; celui de Metz Technopole dans l’information et les télécommunications), mais de se poser les bonnes questions pour permettre le développement d’innovations en Lorraine, élément central de la compétitivité territoriale. Quelle solution face à une situation qui se complexifie et dans laquelle la collectivité ne semble être qu’un acteur au sein d’un vaste réseau, dans un environnement dont elle n’est a priori pas en mesure de maîtriser tous les paramètres (par exemple, elle peut soutenir financièrement l’action locale d’une entreprise qui va ensuite choisir de délocaliser ses activités comme c’était le cas de Philips au Mans) ? Il n’y a pas de réponse évidente à cette question, mais il semble que la compréhension et l’analyse de toutes les données liées au contexte spécifique de l’environnement économique régional soient extrêmement importantes pour identifier les facteurs clés spécifiques à la région Lorraine. On peut en effet considérer que les facteurs fondamentaux du succès sont la structure industrielle, les politiques sectorielles de l’Etat, la situation géographique et la maturité générale de l’environnement économique. Or, la politique locale semble ne pouvoir influencer que les deux dernières catégories. Mais cela peut déjà peser lourd dans la balance. Selon les auteurs dont nous suivons l’analyse ici, « il s’agit de soutenir le passage à la dimension métropolitaine en raisonnant de manière globale et non plus en termes de filières économiques partielles […]. L’interventionnisme économique local se réinvente sous nos yeux ». L’objectif est désormais d’avoir un temps d’avance sur le cours du processus pour pouvoir placer la Lorraine en position de force. Par ailleurs, l’enjeu n’est pas de tout construire en partant de zéro, mais le développement territorial, qui doit se nourrir de la coopération transfrontalière dans le cas de la région Lorraine, relève plus d’une dynamique de transformation d’éléments déjà existants que d’une création pure : en identifiant les éléments-clés qui distinguent le territoire lorrain de ses voisins, il est possible de combler les handicaps structurels chacun de son côté, mais aussi en coopérant, notamment au sein de la Grande Région. DECHOUX Christophe - 2013 23 Quelle place pour la Lorraine dans la Grande Région et dans l'Union européene ? Etude des dynamiques économiques d'une région au coeur de différents espaces européens Et c’est l’un des principaux endroits où le bât blesse : c’est peut-être la concurrence entre les différents échelons territoriaux qui constitue le principal frein à l’émergence de politiques de développement régional, malgré des progrès indéniables dans certains domaines (rapprochement des rivales Metz-Nancy à l’initiative de leurs deux maires, création de l’université de Lorraine). C’est en tout cas le point de vue que Roger Cayzelle, Président du Conseil Economique, Social et Environnemental de Lorraine expose dans son 32 ouvrage intitulé La Lorraine en Face . Il y évoque notamment les rivalités entre Moselle et Meurthe, héritages de l’Histoire (la première ayant été alternativement française et allemande, la seconde ayant échappé à l’influence de la Prusse dont les stigmates sont très présents à Metz, ne serait-ce que dans l’architecture des bâtiments les plus imposants de la cité messine et tout particulièrement la gare) : la lutte pour le leadership régional et l’obsession d’indépendance de la Moselle vis-à-vis du conseil régional ayant souvent conduit à l’échec des projets de coopération, à tel point que certains échecs peuvent sembler incompréhensibles de l’extérieur. On pensera notamment aux débats concernant le site sur lequel a été érigée la gare Lorraine TGV (à peine construite « au milieu de nulle part », on envisageait déjà des projets alternatifs. Le projet de la gare de Vandières a fait couler beaucoup d’encre dans la presse locale). Plus grave encore, s’agissant du cœur de notre sujet, la Lorraine est incapable de parler d’une seule voix au sein de la Grande Région, puisqu’aux côtés de sa représentation « logique » par le Conseil Régional, les Présidents des Conseils Généraux tiennent également à défendre leurs intérêts propres, conduisant bien souvent à l’impasse des négociations. Mais si les processus de coopération au sein de la Grande Région sont loin de prendre une forme optimale, il apparaît évident que l’échelon européen compte de plus en plus, c’est pourquoi nous nous proposons maintenant d’étudier de manière plus approfondie la place de la Lorraine en Europe. 2. La Lorraine : une région au cœur de l’Europe 2.1 Quelle place pour la Lorraine dans les dynamiques territoriales à l’échelle de la France et de l’Europe ? Analyse théorique des dynamiques d’intégration régionale Après avoir mis en évidence les traits caractéristiques du territoire lorrain, on se propose à présent de rendre compte du dynamisme de la région Lorraine par rapport aux différents espaces (principalement européens) dans lesquels elle s’inscrit. 32 24 CAYZELLE Roger, La Lorraine en Face, Condé-sur-Noireau, Mettis Editions, 2009, 152 p. DECHOUX Christophe - 2013 Partie I : Photographie de la Lorraine d’aujourd’hui Force est de constater que les résultats « lorrains » de ce graphique sont extrêmement médiocres : avec une évolution moyenne du PIB en valeur de 2,8% sur la période 1990-2007 et une évolution annuelle de l’emploi de 0,2% sur la même échelle de temps, la Lorraine se classe dernière région française en termes d’évolution annuelle moyenne du PIB (aux côtés de la Picardie) et seule la Champagne-Ardenne fait pire en termes d’évolutions annuelles de l’emploi. L’analyse faite dans les paragraphes précédents montre que la région Lorraine n’a pas d’handicap rédhibitoire qui l’empêcherait de s’inscrire dans la course à la croissance au même titre que les régions voisines, mais elle semble avoir davantage de difficultés à créer des emplois pérennes et non délocalisables. En revanche, son déclin démographique et les statistiques désastreuses en termes de contenu en emploi de la croissance sur les deux dernières décennies sont beaucoup plus inquiétants : ils pointent du doigt le manque de dynamisme d’une région en phase de désindustrialisation dont les choix stratégiques (notamment de reconversion) en matière de secteurs d’activités ne se sont pas avérés payants. On a le sentiment que la Lorraine fait figure de victime au milieu d’évolutions qui la dépassent et auxquelles elle n’a pas su s’adapter. Que faire pour inverser la tendance ? On a déjà rappelé que la Lorraine se situe au cœur de l’Europe, mais ne constitue malheureusement pas encore un carrefour de l’Europe, et la nuance est de taille. Il convient désormais de faire une analyse approfondie des dynamiques qui lient la Lorraine à ses partenaires frontaliers, en commençant par une analyse théorique. Dans un article intitulé « Les investissements multinationaux et l'analyse des pôles 33 de développement et des pôles d'intégration » , François Perroux décrit les programmes d'investissement comme de puissants ressorts d'intégration via le marché, l'investissement et les institutions. L'auteur souhaite remettre en cause l'idée selon laquelle les impulsions, idées ou innovations se propageraient spontanément, pour ensuite faire une analyse des processus à l'œuvre dans la construction de pôles de développement et d'intégration de premier plan. Une telle approche implique un changement de nos modes de pensée 33 PERROUX François, « Les investissements multinationaux et l’analyse des pôles de développement et des pôles d’intégration », Tiers-Monde, 1968, vol. 9, no 34, pp. 239 265. DECHOUX Christophe - 2013 25 Quelle place pour la Lorraine dans la Grande Région et dans l'Union européene ? Etude des dynamiques économiques d'une région au coeur de différents espaces européens traditionnels dominés par des méthodes de calcul individualistes pour leur préférer des calculs économiques collectifs, afin d'identifier et de comprendre les facteurs clés de succès des pôles de croissance et des pôles d'intégration que l'organisation européenne a, selon lui, déjà commencé à s'approprier (il écrit à la fin des années 1960). Dans son modèle général, quatre points sont centraux : les unités et industries motrices ; les pôles, espaces et axes de développement ; les pôles, espaces et axes d'intégration et enfin le financement des pôles d'intégration. Les unités ou entreprises motrices sont celles qui exercent un effet d'entraînement sur les autres éléments constitutifs de leur environnement, effet qui se distingue en deux composantes : un effet de dimension (augmentation de l'offre ou de la demande des entreprises voisines) et un effet d'innovation qui décuple la productivité. Il faut évidemment accroître la force et le nombre de ces éléments moteurs. Les industries motrices sont quant à elles les industries dont les taux de croissance sont les plus élevés et qui disposent des niveaux de productivité les plus importants. François Perroux pense aux industries nouvelles (type nucléaire) et modernes (sidérurgie, automobile...), par rapport aux industries anciennes. Si les secteurs figurant dans ces différentes catégories sont certainement à adapter à la situation actuelle, on notera néanmoins qu'il n'est presque jamais fait mention des services dans l'analyse de Perroux, tout simplement parce qu'ils ne constituent pas le socle d'une croissance durable selon l'auteur. Cette dernière remarque doit nous interroger sur la pertinence des choix de développement actuels en Lorraine (désindustrialisation, priorité aux services). Quoi qu'il en soit, les industries nouvelles favorisent le renouvellement de l'économie. Du fait des différences dans les structures industrielles des pays frontaliers, Perroux souligne que chacun a intérêt à coopérer dans l'optique de construire des ensembles industriels transnationaux disposant d'avantages concurrentiels majeurs. Mais pour en arriver à ce résultat, il est nécessaire de placer les unités et industries motrices dans un modèle d'industrialisation qui soit intelligible pour les prêteurs et les emprunteurs. Un second niveau d'analyse porte sur les pôles, espaces et axes de développement. Perroux en donne une définition simple : « Un pôle de croissance ou développement, c'est une unité motrice couplée avec le milieu environnant ». Le point fondamental est ici le fait que les activités économiques des pays considérés comportent des couplages étudiés et organisés avec des entreprises complémentaires avec le soutien des gouvernements et des opinions publiques. La différence entre croissance et développement vient ensuite précisément du fait que le second terme inclue les changements sociaux et mentaux qui découlent des stratégies mises en œuvre. Les espaces de développement rassemblent plusieurs pôles qui exercent les uns sur les autres (et sur le milieu) des effets d'entraînement réciproques. Perroux souligne ici l'importance des espaces et réseaux urbains comme base des programmes et plans de développement soutenus par les investissements internationaux. L'auteur définit ensuite les axes de développement comme des ensembles de pôles dont l'apparition et la multiplication sont favorisées par un axe de communications matérielles ou non (on pourra de ce point de vue être optimiste au sujet des effets de longterme de l'arrivée du TGV Est). Les pôles et espaces de développement ont quatre effets majeurs par rapport à l'investissement initial : des effets d'investissement (nouveaux investissements induits), des effets de produit (somme des produits obtenus à partir du produit initial), des effets de revenus (salaires et profits additionnels) et enfin des effets de balance (effets sur la balance commerciale des importations et exportations supplémentaires). 26 DECHOUX Christophe - 2013 Partie I : Photographie de la Lorraine d’aujourd’hui On en vient désormais au concept clé de l'analyse de François Perroux, à savoir celui de pôles, espaces et axes d'intégration. Selon lui, l'espace est intégrant quand il crée entre plusieurs nations un réseau de flux, de prix et d'information, engendre des intérêts communs et perspectives communes et enfin possède une valeur d'exemple. L'espace intégrant agit sur les espaces intégrés de la même manière que les éléments moteurs agissent sur les éléments passifs et tend à procurer des avantages réciproques aux différentes unités. Perroux distingue trois types d'intégration : elle est radiale quand un pays fait rayonner ses effets sur les voisins (les investissements plurinationaux permettent la création de structures d'accueil et de transmission) ; elle est axiale quand la liaison se fait entre un centre urbain et un port, entre deux centres urbains ou entre zones frontières (et permet l'élargissement de l'horizon économique des acteurs concernés) ; elle est multiangulaire quand différents types de pôles (primaires et secondaires) sont inclus. A l'origine de tels pôles, il y a souvent des projets spécifiques : l'enjeu est d'identifier les priorités et de s’accommoder du supranationalisme. La dernière partie de l'analyse de François Perroux est centrée sur le financement des pôles d'intégration qui doivent selon lui reposer sur trois caractères : l'économie mixte (initiatives privées et interventions publiques doivent être combinées), les investissements doivent être l'aboutissement de concertations et ces derniers doivent relever de l'économie collective. A cet égard, l'auteur souligne la compatibilité entre mondialisation et régionalisation des échanges, ce qui se vérifie largement aujourd'hui, avec une multiplication des zones de libre-échange dans une économie très largement mondialisée. On conclura en soulignant qu'avant bon nombre de théoriciens, François Perroux avait compris à quel point il était nécessaire de favoriser l'économie interfonctionnelle en dépassant les frontières nationales. L'intégration est un des moteurs de l'extension des marchés, évitant les doubles emplois en fait d'implantations de capital, favorisant la propagation des techniques et des innovations les plus modernes. Il faut considérer le milieu vital des nations, leurs rapports et non les nations elles-mêmes Cette dernière affirmation doit être discutée en ce qui concerne la place de la Lorraine dans l'Union européenne. Ceci nous amène à étudier la structure de ses échanges avec ses proches voisins pour déterminer à quel point elle est intégrée dans les dynamiques économiques transfrontalières. A la lumière de l'analyse de Perroux, nous chercherons également à identifier les unités et industries motrices dans la Grande Région dans l'optique de comprendre comment la Lorraine s'inscrit (ou pourrait davantage d'inscrire) dans les pôles, espaces et axes d'intégration. Bon nombre d’éléments analysés par François Perroux voici 40 ans constituent toujours le socle de la réflexion actuelle en matière d’intégration transnationale. Mais s’il a identifié précisément les processus à l’œuvre, il convient désormais de s’intéresser plus précisément aux acteurs et dynamiques de coopération spécifiques à la Grande Région et l’Union européenne. 2.2 Acteurs et dynamiques de coopération au sein de la Grande Région 2.2.1 Analyse de la compétitivité de l’économie lorraine DECHOUX Christophe - 2013 27 Quelle place pour la Lorraine dans la Grande Région et dans l'Union européene ? Etude des dynamiques économiques d'une région au coeur de différents espaces européens Il ne peut y avoir d’économie forte sans industrie forte […] L’industrie doit, plus que jamais, jouer un rôle majeur d’entraînement de l’économie pour la 34 croissance, l’emploi et l’innovation Plus que jamais et peut-être encore plus qu’ailleurs, ce constat se vérifie pour la compétitivité de la Lorraine au vu de la structure de son économie. On peut même soutenir - considérant les développements de la première sous-partie - que la Lorraine constitue un exemple type, presque caricatural, du processus de désindustrialisation qui ont rendu nécessaire la rédaction du rapport Gallois, ce qui renforce la pertinence des propositions qui y figurent dans le cadre de notre étude. Au niveau national, Louis Gallois rappelle que l’emploi industriel est passé de 26% de l’emploi total en 1980 à 12,6% en 2011, ce qui correspond à la tendance observée en Lorraine (où elle est même encore plus marquée), avec des difficultés croissantes à exporter en zone euro, notamment vers notre partenaire allemand globalement situé sur un segment de gamme supérieur, alors que les pays émergents ou d’Europe de l’Est produisent à moindre coût. Le constat est sévère : la France a été amenée à préserver sa compétitivité prix au détriment de sa compétitivité hors prix, en rognant sur les marges des entreprises. De fait, il devient moins intéressant pour elles de s’implanter sur le territoire français et particulièrement lorrain (la proximité avec la frontière favorisant les choix d’implantation de l’autre côté de celle-ci). Structurellement, le poids de la fiscalité lié au niveau élevé de dépenses publiques et la surreprésentation des professions réglementées dans le marché des services représentent des handicaps sérieux pour la compétitivité française. Par ailleurs, les entreprises françaises investissent peu en R&D (alors que la recherche publique se positionne bien, mais est trop peu orientée vers le développement économique). Notons que l’image de l’industrie et la formation initiale pour y trouver des débouchés ne sont pas adaptés aux besoins du marché. Louis Gallois évoque également les trop faibles flux de financement orientés vers le tissu industriel et le manque de structuration de la solidarité industrielle (qui est d’autant plus édifiant quand on compare la situation française au cas allemand), couplés à un dialogue social improductif qui décourage certains investisseurs potentiels. Cela dit, en France et particulièrement en Lorraine, si l’on parvient à combiner présence de grands groupes, potentiel important en matière de recherche via des PME innovantes, infrastructures de qualité et productivité importante (Gallois évoque également le prix de l’énergie modéré), le socle d’un véritable rebond pourra se dessiner. Dans cette optique, il est essentiel de jouer sur la mise en réseau des acteurs industriels, monter en gamme, favoriser l’innovation et la productivité, avec un soutien de l’Etat. Mais dans le cas de la Lorraine notamment, les spécificités régionales requièrent manifestement à la fois une impulsion de l’Etat central, mais également des moyens supplémentaires pour mieux adapter les mesures au contexte local. L’objectif est d’envoyer un signal fort en créant un choc de compétitivité et de confiance. De ce point de vue, le transfert d’une part des charges patronales pour alléger le coût du travail (notamment en comparaison avec nos voisins européens) représente un enjeu majeur sur lequel nous reviendrons. Gallois insiste en outre sur le rôle majeur de l’innovation pour permettre une montée en gamme des produits français et augmenter significativement les exportations. Il est convaincu qu’en concentrant l’effort sur un certain nombre d’unités motrices, un effet 34 GALLOIS Louis, LUBIN Clément et THIARD Pierre-Emmanuel, Pacte pour la compétitivité de l’industrie française [Rapport], 2012, 74 p. 28 DECHOUX Christophe - 2013 Partie I : Photographie de la Lorraine d’aujourd’hui d’entraînement sera bénéfique à l’ensemble de l’environnement (on retrouve ici une idée qui figure dans l’analyse des pôles de développement de François Perroux). Dans cette perspective, il est essentiel de sanctuariser le budget de la recherche et de l’orienter davantage vers des applications concrètes. Les propositions en matière de structuration de la solidarité du tissu industriel ont un écho particulier dans le cas lorrain où le développement d’un potentiel clairement existant doit être exploité sans attendre, via des initiatives publiques visant à se rapprocher du Mittelstand allemand, des fonds d’investissement sectoriels qui ne se borneraient pas à la sidérurgie et la métallurgie dans le cas lorrain. En somme, une coordination des stratégies des firmes industrielles avec pour objectif une montée en gamme est essentielle pour la compétitivité de l’industrie lorraine. L’idée d’obliger les grands groupes bénéficiaires d’aides 35 de l’Etat (avec le soutien de la BPI ) à associer leurs fournisseurs et sous-traitants à leurs actions est également centrale dans l’optique de création d’un tissu industriel mieux coordonné. « Enfin, les régions auront à prendre l’initiative d’organiser le nécessaire dialogue social sur les stratégies de développement industriel régional, au-delà de ce que font déjà les CESER ». Gallois propose clairement de donner aux régions plus de responsabilités dans l’organisation de la promotion de l’innovation et du développement de l’industrie et la promotion du dialogue social. A long-terme, une stratégie doit être mise en place pour rapprocher le système éducatif des entreprises, faciliter l’accès des PME et ETI aux marchés financiers. Il se déclare par ailleurs favorable à une politique industrielle européenne bien plus poussée, notamment en ce qui concerne sa mise au service de l’industrie européenne et de sa compétitivité et l’application du principe de réciprocité. Ainsi, il semblerait que les enjeux identifiés par Louis Gallois et les collectivités territoriales lorraines soient sensiblement les mêmes. Reste à leur permettre d’aller jusqu’au bout de la réflexion pour mettre concrètement en œuvre ces idées et permettre un rebond réel de l’industrie lorraine. 2.2.2 Les relations Lorraine-Allemagne Après avoir explicité les dynamiques de coopération politiques au sein de la Grande Région en insistant sur les moyens dont disposent les acteurs (collectivités territoriales, programmes européens), nous nous proposons désormais d’approfondir l’étude de ces dynamiques transfrontalières en nous focalisant sur l’étude des flux entre les différents partenaires. Bien que les recherches menées soient toujours effectuées dans l’optique d’une meilleure compréhension de la situation de la Lorraine, nous approfondirons également l’étude des spécificités de chacun des pays voisins pour une meilleure appréhension des points communs, mais aussi des différences. Dans cette perspective, l’approche franco-allemande nous paraît incontournable : c’est 36 donc par elle que nous commencerons . 35 36 Banque Publique d’Investissement Analyse qui reprend certains éléments de l’étude suivante : L’Allemagne, partenaire incontournable de la Lorraine [Rapport], Conseil Economique Social et Environnemental de Lorraine, 2011, 132 p. DECHOUX Christophe - 2013 29 Quelle place pour la Lorraine dans la Grande Région et dans l'Union européene ? Etude des dynamiques économiques d'une région au coeur de différents espaces européens Le fait que l’Allemagne représente un tiers des investissements étrangers sur le 37 territoire lorrain (voir illustrations pour davantage de détails sur leur localisation), 30% des exportations lorraines (et 8% du PIB régional) et près de 20 000 emplois donne d’emblée une idée de l’importance du partenariat économique. Cela dit, les divergences dans les choix stratégiques et les modèles économiques 38 conduisent certains auteurs (notamment Laurent Guihéry ) à parler d’opposition croissante entre le décrochage français et l’accélération allemande. En effet, l’Allemagne a su faire des choix lui permettant de bénéficier d’un écosystème favorable à une industrie innovante et exportatrice qui constitue le centre de gravité de sa compétitivité. Là où la France exporte pour 391,23 milliards d’euros en 2010 (soit 13,5% des exports de la zone euro), l’Allemagne exporte pour 950,56 milliards d’euros (soit 33% des exports de la zone euro). Il est également frappant de constater qu’alors que les exportations représentaient 25% du PIB allemand en 1999 et 22% du PIB français, elles représentaient 38% du PIB allemand en 2010, contre 20% du PIB français, soit près du double ! Le constat est sévère pour la France dont les parts de marché sont systématiquement en recul dans la zone euro (avec un accroissement alarmant des écarts dans l’automobile et l’industrie électronique) quand l’Allemagne n’en perd que dans la chimie et la sidérurgie. Alors que notre voisin est parvenu à renforcer ses avantages comparatifs dans les domaines de l’électronique, l’automobile et les machines, nous nous sommes développés dans les domaines de l’aéronautique et l’espace. Or la Lorraine n’a nullement profité de ces progrès. L’idée n’est pas ici de faire une ode au modèle allemand pour montrer à quel point il serait utile de le copier en France (les situations des deux pays étant si différentes qu’une telle approche serait absurde), mais bien de comprendre comment fonctionne l’économie d’un voisin avec lequel la Lorraine entretient des relations étroites, et qui semble 37 38 Voir annexe 5 pour davantage de détails GUIHERY Laurent, « Décrochage français, accélération allemande�: l’Europe comme système complexe », in Développements récents en économie et finance internationales, Armand Colin, coll. « Recherches », 2012, pp. 195 211. 30 DECHOUX Christophe - 2013 Partie I : Photographie de la Lorraine d’aujourd’hui se porter mieux qu’elle sur bien des plans. En effet, alors que le nombre d’entreprises exportatrices augmente en Allemagne (passant de 219 244 en 2005 à 241 446 en 2009), il passe de 100 000 à 91 900 en France sur la même période. Par ailleurs, l’Allemagne a globalement fait le choix d’un positionnement de gamme supérieur à celui de la France, avec des biens exportés dont la part d’innovation est systématiquement plus importante et un écosystème tourné vers l’export (les PME allemandes exportent massivement, alors que c’est rarement le cas des PME françaises). Outre-Rhin, le nombre moyen de salariés 39 dans les entreprises de l’industrie manufacturière est de 35, contre 14 en France : avec des petites entreprises qui parviennent à grandir plus vite et un tissu moins segmenté, les firmes allemandes s’inscrivent beaucoup plus facilement dans la compétition mondiale. La puissance du Mittelstand est souvent évoquée comme un élément décisif de la compétitivité allemande. Celle-ci résulte de nombreux facteurs, notamment du caractère familial des PME allemandes, des facilités de succession, d’une meilleure capitalisation de ces entreprises, des relations de long-terme qu’elles ont avec leurs fournisseurs (permettant de faire le pari de dépenses de R&D plus importantes), des relations particulières avec les banques (le droit commercial allemand est plus favorable aux ETI que le droit français) et d’une valorisation des formations techniques. Ce qui transparaît d’ores et déjà dans ces développements, c’est le rôle déterminant de l’industrie dans la valeur ajoutée et l’emploi allemands (bien que les économies des deux pays restent dominées par le tertiaire) : avec 20,2% de l’emploi total et un peu plus de 25% de la valeur ajoutée, l’Allemagne a un net avantage par rapport à la France où l’industrie ne représente que 13,4% de l’emploi total et seulement 13,6% de la valeur ajoutée. C’est donc davantage le « savoir-faire allemand » que le volume d’emploi concerné qui fait la différence et assure la pérennité du secteur industriel. Source : Valoris Lorraine On voit ainsi que la dépense en R&D privée est plus importante en Allemagne, mais surtout, le financement se fait principalement par projets (il représente 44% du financement provenant de l’Etat fédéral en 2009) avec une stratégie portant sur 17 thématiques prioritaires. En ce qui concerne la propriété industrielle, l’Allemagne dépose trois fois plus de brevets que la France. Ainsi, il ressort de ces premiers éléments d’analyse qu’une véritable politique industrielle qui s’appuie sur un tissu de PME historiquement puissant et des choix de relocalisation offensifs a été mise en place par notre voisin. En effet, l’Allemagne affiche une aptitude à optimiser sa valeur ajoutée en tenant compte de son environnement international bien supérieure à celle de la France. Les entreprises n’hésitent pas à délocaliser les 39 Statistiques issues d’Eurostat Regional Yearbook 2012 [Rapport], Commission européenne, 2012, 220 p. DECHOUX Christophe - 2013 31 Quelle place pour la Lorraine dans la Grande Région et dans l'Union européene ? Etude des dynamiques économiques d'une région au coeur de différents espaces européens productions de composants à faible valeur ajoutée en Europe de l’Est, produits qui seront ensuite importés et assemblés en Allemagne. Concernant l’analyse du coût du travail, celle-ci est complexe et requiert une étude plus poussée à laquelle nous nous consacrerons par la suite. Il est cependant clair que 40 l’agenda 2010 allemand qu’analyse notamment Bert Rürup a permis une modération des coûts allemands. Cette dernière n’explique cependant pas à elle seule l’excellence des dynamiques commerciales allemandes : la compétitivité à l’export de ce pays est en effet essentiellement due à sa composante hors coût comme nous avons pu le montrer jusqu’ici. En conséquence de cette ouverture sur l’extérieur, l’économie allemande est très sensible à la conjoncture (à la hausse comme à la baisse), la flexibilité accrue du marché du travail allemand (notamment via le recours au Kurzarbeit) permettant des réactions rapides. Cela dit, les faiblesses structurelles françaises et notamment lorraines concernant les stratégies exportatrices et la capacité à irriguer l’ensemble du marché européen ne doivent pas être surestimées. L’Allemagne doit elle aussi faire face à un certain nombre de difficultés, à commencer par un déclin démographique qui se profile à moyen-terme, de faibles créations d’emplois sur la dernière décennie et un marché intérieur relativement peu porteur : alors que la consommation intérieure a augmenté de 25% en France entre 1999 et 2007, elle n’a augmenté que de 7,5% en Allemagne (les lois Hartz ayant conduit à une baisse des salaires réels de 2,5% sur la dernière décennie et une augmentation des inégalités). Malgré un certain nombre de divergences, la coopération transfrontalière reste un enjeu majeur pour la Lorraine, et ce pour plusieurs raisons. La proximité de la Lorraine et de la Sarre ont favorisé l’émergence d’enjeux communs de développement. Ces deux régions historiquement industrielles ont en effet connu des mutations structurelles profondes depuis les années 1960 (la part de l’emploi industriel a chuté de 56 à 20% en Sarre) : suite aux difficultés des industries du charbon et de l’acier, de nouveaux emplois ont été créés dans les industries manufacturières, notamment la construction automobile, la sidérurgie et la construction mécanique. L’industrie représente ainsi 30% de la valeur ajoutée sarroise aujourd’hui, contre 22,5% en Lorraine. Sur les deux régions, on totalise plus de 80 000 emplois dans l’industrie automobile : ce secteur représente plus d’un ouvrier sarrois sur quatre travaillant dans l’industrie. La Lorraine est de son côté première région française pour les équipementiers de l’automobile. Ceci étant, l’indépendance de l’industrie sidérurgique sarroise par rapport aux grands groupes internationaux lui permet de s’en tirer beaucoup mieux que sa voisine lorraine. Par ailleurs, la Sarre conserve encore une mine de charbon. Côté commerce extérieur, la Sarre s’inscrit bien dans la stratégie allemande avec des exports qui représentent 43% du PIB (contre 28% pour la Lorraine). Cela dit, la Lorraine dépend davantage de la Sarre que cette dernière ne dépend de la Lorraine. En effet, seuls 17,4% des exportations sarroises sont dirigées vers la France, contre 30% du commerce extérieur lorrain. Mais les perspectives démographiques sont bien plus alarmantes en Sarre qu’en Lorraine (dont les chiffres sont déjà mauvais par rapport à la moyenne nationale) et pourraient conduire à terme à une pénurie de personnel qualifié (source de travail pour les frontaliers ?). Face à des problématiques communes, regrouper les compétences des deux régions dans la création de clusters pourrait être une stratégie payante. Cela permettrait à la Lorraine de profiter des savoirs sarrois dans les secteurs de haute technologie. D’autre part, la coopération en matière universitaire (université franco-allemande) est un autre axe 40 32 RÜRUP Bert, « L’Agenda 2010, un modèle pour la France�? », Bulletin économique du CIRAC, 2012, no 107, p. 10. DECHOUX Christophe - 2013 Partie I : Photographie de la Lorraine d’aujourd’hui de coopération important (on notera également que les universités allemandes sont plus orientées vers le développement économique, avec notamment des projets de reconversion de friches industrielles). Sur cet axe, la création de l’université de Lorraine (fusion des universités de Metz et Nancy) et de l’université de la Grande Région (association entre les universités de Lorraine, de Sarre, de Kaiserslautern, de Trèves, de Luxembourg et de Liège) témoignent d’une mise en réseau des acteurs qui laisse présager de nouveaux projets de coopération transfrontalière. Sur le plan économique, les grandes phases de développement de la Lorraine se sont toujours accompagnées d’une recrudescence des investissements étrangers avec un rôle de premier plan pour l’Allemagne, premier investisseur étranger. La Lorraine a ainsi bénéficié d’investissements massifs de 1960 à 1975, puis a connu une période de ralentissement jusqu’en 1982. Fait singulier, l’emploi généré par les IDE croît plus vite que l’emploi total jusqu’en 2000, mais les IDE allemands sont ensuite de plus en plus dirigés vers les pays de l’Est. On remarque également que les mouvements d’IDE reflètent les transformations de l’économie lorraine, avec de moins en moins d’investissements dans l’industrie. D’une manière générale, les flux restent cependant importants (6ème région française pour les emplois créés par les IDE) : 36% des salariés de l’industrie en Lorraine dépendent des IDE, avec principalement la métallurgie, l’automobile et les machines. Ainsi, il est essentiel pour la Lorraine de rester attractive pour les investisseurs étrangers. Ces derniers peuvent être motivés par la présence d’un avantage comparatif dans la région où les capitaux sont investis (coût du travail, qualification de la main d’œuvre…), ou par l’opportunité d’appréhender l’ensemble du marché français. Cela dit, le contexte a massivement changé depuis 2004 et l’entrée de dix nouveaux pays dans l’Union européenne, évolution couplée à la baisse de certains facteurs d’attractivité lorrains comme la maîtrise de la langue allemande (en déclin) ou le manque de dynamisme régional. D’autre part, le manque d’autonomie de bon nombre de structures présentes sur le territoire lorrain (filiales de grands groupes notamment) a pour conséquence une moindre participation aux dispositifs de structuration économiques et technologiques proposés en Lorraine (pôles de compétitivité…). Malgré tout, les exemples de Thyssenkrupp à Florange, Viessmann à Faulquemont prouvent que de tels développements restent possibles. Un autre ressort du développement de la Lorraine réside dans ses exportations (notamment vers l’Allemagne), structurellement excédentaires, ce qui la rapproche du modèle allemand. En 2010, le taux de couverture de la Lorraine était de 119% (contre 88% pour la France) : avec un solde commercial de 2,55 milliards d’euros, elle est troisième au classement des régions françaises (avec 62,5% des exportations réalisées par la Moselle) et compte 2968 entreprises exportatrices qui ciblent en priorité le marché européen. L’Allemagne est à la fois le premier client et le premier fournisseur de la Lorraine, avec cependant un repli de 71% du solde commercial vis-à-vis de ce pays depuis 2003 (baisse de 12% des importations, augmentation de 5% des exportations du fait de la relocalisation des approvisionnements allemands et de la baisse de la consommation intérieure de ce pays). Sont principalement exportés des produits industriels lorrains dans lesquels cette région est spécialisée : produits sidérurgiques, biens intermédiaires et d’équipement liés à l’industrie automobile notamment. Durant la crise, ce sont surtout les PME françaises qui ont souffert, alors que le nombre de grands groupes exportateurs vers l’Allemagne a légèrement augmenté. Au vu de sa dépendance au marché allemand, la Lorraine a bien plus subi que le reste de la France le contrecoup de la récession allemande de 2009, ce qui n’enlève rien au fait que l’Allemagne reste le moteur du commerce extérieur lorrain. Il est cependant DECHOUX Christophe - 2013 33 Quelle place pour la Lorraine dans la Grande Région et dans l'Union européene ? Etude des dynamiques économiques d'une région au coeur de différents espaces européens dangereux de trop compter sur le seul marché allemand, dans la mesure où la stratégie de relocalisation de la valeur ajoutée allemande déjà évoquée plus tôt a pour conséquence la baisse des approvisionnements chez ses partenaires traditionnels, pour leur privilégier des pays de l’Est offrant une main d’œuvre à moindre coût (République Tchèque, Slovaquie, Pologne et Hongrie…). C’est particulièrement visible dans le cas des équipements pour l’industrie automobile pour laquelle les importations en provenance de Slovaquie et de Hongrie ont augmenté de 18%, alors qu’elles baissaient de 5% en provenance de France et de 23% en provenance d’Italie. Mais la situation des exports lorrains vers l’Allemagne est contrastée, et en ce qui concerne les équipements pour l’automobile, ils ont augmenté de 13%, ce qui s’explique par la forte présence historique de filiales allemandes. D’une manière générale, les exportations lorraines de produits peu transformés se portent bien (+9,4% pour le bétail vivant dans le domaine de l’agroalimentaire), alors que les produits finis s’exportent de moins en moins bien (-8,5% pour les exportations de viande en provenance de Lorraine). Il apparaît donc nécessaire de développer les filiales allemandes présentes sur le territoire régional pour maintenir les parts de marché lorraines à l’export en Allemagne. Favoriser les opportunités de montée en gamme des exports lorrains sur des marchés de niche est une autre option (complémentaire). On le voit, les points sur lesquels les économies des acteurs frontaliers allemands et français ont tout à gagner à coopérer sont au moins aussi nombreux que les points de divergence quant à la stratégie adoptée et aux intérêts des uns et des autres. A titre d’exemple, le marché du travail allemand représente toujours un enjeu important pour la Lorraine, mais son faible dynamisme explique le recul du nombre de travailleurs lorrains Outre-Rhin. Par ailleurs, la baisse de la maîtrise de la langue du voisin constitue un enjeu majeur auquel il convient d’apporter une réponse rapidement pour affirmer une spécificité régionale forte : à ce jour, l’Allemand est enseigné dans 41% des écoles primaires en Lorraine et dans le secondaire, les filières européennes, ABIBAC (préparation aux baccalauréats français et allemand) et BACPLUS/ABIPLUS (équivalent pour les filières technologiques). Dans le cadre d’INTERREG, le programme TRILINGUA développé par le conseil général de la Moselle en partenariat avec le Land de Sarre prévoit la création d’emplois supplémentaires pour l’enseignement linguistique. Ces dispositifs, couplés à d’autres actions ponctuelles au niveau local, tendent à favoriser les échanges interculturels (on notera également que l’Alsace a fait le choix d’une généralisation de l’allemand dans le primaire). Par ailleurs, l’observatoire régional de l’emploi, de la formation et des qualifications de Lorraine a montré que l’Allemand reste à ce jour encore un peu plus utilisé que l’Anglais en entreprise, les firmes à capitaux majoritairement allemands représentant le tiers des entreprises étrangères implantées en Lorraine. En plus de l’émergence de la Grande Région, des projets de coopération à une 41 échelle réduite ont également vu le jour : c’est notamment le cas d’un GETC dont le siège se trouve à Sarreguemines (France), qui rassemble différentes communautés de communes françaises et la communauté urbaine de Sarrebruck. Son objectif est de favoriser la coopération transfrontalière pour créer en 2025 l’Eurodistrict Saar Moselle avec à terme une stratégie commune de développement économique (tourisme, transports…). Ces différents développements prouvent que, si la réalité du partenariat reste complexe et que les acteurs allemands poursuivent bien souvent des stratégies concurrentes à celles des acteurs lorrains, l’Allemagne reste un partenaire incontournable de la Lorraine, ce qui 41 34 Groupement européen de coopération territoriale DECHOUX Christophe - 2013 Partie I : Photographie de la Lorraine d’aujourd’hui est la conclusion du rapport du conseil économique, social et environnemental de Lorraine 42 paru en 2011. 2.2.3 Le cas luxembourgeois Il y a encore deux ou trois décennies, évoquer le rôle du Luxembourg (micro-Etat qui ne compte même pas un demi-million d’habitants) aurait à peine été utile. Mais au vu des évolutions récentes et de la prospérité de cet espace dont le PIB et le nombre d’habitants ne cessent de croître à une vitesse démesurément importante par rapport à son voisin lorrain (il suffit de jeter un coup d’œil au nombre de travailleurs frontaliers pour s’en rendre compte : jusqu’à 60% des habitants dans la région de Longwy), il est indispensable d’approfondir ce point. Il n’est d’ailleurs pas anodin que le CESE de Lorraine ait consacré un rapport en 2007 dont le titre « L’enjeu transfrontalier au cœur du développement de la Lorraine - une urgence�: le Luxembourg » ne laissait planer aucun doute quant au niveau de priorité du 43 dossier . Ce ne sont pas tant les statistiques brutes qui sont impressionnantes quand on considère le Luxembourg, du fait de sa taille modeste et ses 455 000 habitants, mais bien les évolutions au cours des deux dernières décennies. Par ailleurs, les indicateurs économiques luxembourgeois sont très supérieurs à son poids territorial et démographique : près de 55% du PIB lorrain pour moins de 20% du total de ses habitants, sachant que l’on est passé du quart à plus de la moitié en seulement quinze ans (1990-2005) avec des taux de croissance avoisinant les 6% sur toute la période (au final, alors que la croissance du PIB lorrain a été de 53%, celle du Luxembourg a été de 220%). Qu’est ce qui fait le succès de cette économie ? Le poids de l’industrie nationale luxembourgeoise a été divisé par deux au cours des vingt dernières années, alors que la part des services dans le PIB passait dans le même temps de 70 à 84%, sachant que le secteur bancaire représente à lui seul 38% de la valeur ajoutée, faisant du secteur financier le véritable moteur de l’économie luxembourgeoise (activités financières et immobilières représentent respectivement 24 et 20% de la valeur ajoutée). On notera cependant que le secteur de l’industrie-énergie emploie massivement une main d’œuvre étrangère, notamment française. L’économie luxembourgeoise est donc très performante dans le secteur tertiaire, en particulier en ce qui concerne les services aux entreprises, avec un stock d’entreprises de services qui représente 80% du total lorrain. Par ailleurs, il faut remarquer que 25% des créateurs d’entreprises au Luxembourg sont lorrains, ce qui témoigne d’une attractivité certaine pour les entrepreneurs étrangers (la situation fiscale avantageuse y est pour beaucoup ; les paragraphes suivants donneront plus de détails), couplée à des efforts de recherche et développement dont les crédits publics ont été augmentés de 193% entre 2000 et 2005. L’élément essentiel ici réside dans la phénoménale attractivité de ce micro-Etat qui pèse pour seulement 4% du total des habitants de la Grande Région. A titre d’exemple, sur les 100 000 travailleurs frontaliers lorrains, trois quarts ont un emploi au Luxembourg, soit trois fois plus de transfrontaliers lorrains qu’en Allemagne (quand dans le même temps 42 Voir notamment l’annexe 5 pour une représentation spatiale des IDE allemands dans l’industrie et les services sur le territoire lorrain 43 L’enjeu transfrontalier au coeur du développement de la Lorraine - une urgence�: le Luxembourg [Rapport], Conseil Economique Social et Environnemental de Lorraine, 2007, 50 p. DECHOUX Christophe - 2013 35 Quelle place pour la Lorraine dans la Grande Région et dans l'Union européene ? Etude des dynamiques économiques d'une région au coeur de différents espaces européens à peine plus de 1000 citoyens des pays voisins choisissent de travailler en Lorraine) ! C’est un véritable bassin de vie transfrontalier qui se crée, alors que les régions françaises frontalières sont pour certaines en train de mourir à petit feu (il suffit de reprendre les statistiques citées dans le portrait économique de la Lorraine – région de Longwy notamment – pour s’en persuader). Dans le tertiaire supérieur, la part globale des étrangers dépasse les 80% ; sur les 43 000 emplois créés entre 2000 et 2006, 7% ont bénéficié aux nationaux… Contre 30% pour les seuls frontaliers français ! Il est également édifiant de constater qu’alors que 120 000 emplois étaient créés sur la période 1990-2005, la population luxembourgeoise n’augmentait « que » de 75 000 habitants. Pour conclure cette illustration de la prospérité luxembourgeoise appuyée sur quelques statistiques, on notera que sur la seule période 2005-2006, 2800 nouveaux emplois frontaliers ont été pourvus par des français (dont 1900 dans la seule zone d’emploi de Thionville), soit plus des deux tiers de l’emploi frontalier supplémentaire et presque l’équivalent de la création de la seule usine SMART à Hambach (qui fait figure de succès régional en matière de création d’emploi sur les dernières années). Par ailleurs, si la crise a touché le Luxembourg comme tous les autres pays de la zone euro, les tendances décrites ci-dessus n’ont globalement pas été infléchies. Certes, le Luxembourg constitue un cas très particulier, et il serait absurde de vouloir appliquer les logiques propres à un Etat comptant quelques centaines de milliers d’habitants (donc dont le besoin en ressources humaines étrangères est indispensable à la croissance), mais la logique de spécialisation et de valorisation d’atouts sur des secteurs spécifiques doit inspirer la réflexion (et surtout l’action) des collectivités territoriales lorraines où un savoirfaire industriel reste présent et vraisemblablement à exploiter. Dans des conditions très différentes de celles de l’Allemagne, le Luxembourg a lui aussi réussi à enclencher une dynamique de croissance ciblée sur des secteurs à forte valeur ajoutée, notamment dans les services aux entreprises. Il est donc essentiel pour la Lorraine de ne pas rester spectatrice de ces évolutions, mais bien d’y prendre part au sein d’un espace transfrontalier intégré dans lequel elle jouerait un rôle plus actif, ce qui passe par une meilleure connexion du Sillon lorrain à la capitale luxembourgeoise. Des projets à la mesure de l’enjeu commencent à se mettre en place, à commencer par l’émergence de l’éco-agglomération Alzette-Belval sous la forme d’un GETC (groupement européen de coopération territoriale) entre la communauté de communes du Pays Haut Val d’Alzette côté français et les communes luxembourgeoises 44 voisines . Si le micro-Etat que constitue le Luxembourg a opté pour une stratégie payante, mais ultra-localisée dans le tertiaire supérieur, n’est-il pas possible de faire des choix stratégiques clairs en Lorraine pour se spécialiser dans des secteurs complémentaires, afin de profiter de la croissance luxembourgeoise non pas en spectateur, mais de manière proactive au sein d’un espace transfrontalier intégré ? Le choix de maintenir l’essentiel des fonds alloués à la recherche privée lorraine dans les secteurs de la sidérurgie et de la métallurgie estil pertinent ? 2.2.4 Les autres partenaires économiques de la Lorraine On pourrait s’étonner du fait que la Belgique n’occupe pas une place plus importante dans notre étude. Cela s’explique par plusieurs raisons. La première vient du fait que les frontières entre Lorraine et Belgique sont réduites à une petite partie au Nord de la Meurthe et Moselle : 44 Voir notamment Alzette-Belval�: l’émergence d’une éco-agglomération au cœur de la Grande Région[Rapport], Conseil économique et social de Lorraine, 2012, 48 p. 36 DECHOUX Christophe - 2013 Partie I : Photographie de la Lorraine d’aujourd’hui les relations transfrontalières « directes » sont donc relativement limitées. Cela ne signifie pas pour autant que la France et la Belgique entretiennent peu de contacts économiques, mais peu d’entre eux concernent directement la Lorraine (seuls 4% des capitaux des entreprises à capitaux étrangers implantées en Lorraine sont belges, soit autant que la Suède et moins que le Royaume-Uni). En effet, seule la Wallonie - qui connaît actuellement de grandes difficultés sur le plan économique et constitue de ce point de vue le maillon faible de la Belgique – est intégrée dans le programme INTERREG IV A Grande Région. L’essentiel des programmes européens dans lesquels s’inscrivent ensemble la France et la Belgique concerne le programme Le Programme INTERREG IV France – Wallonie – Vlaanderen. Ce dernier concerne les régions Nord-Pas de Calais, Champagne-Ardenne, Picardie en France et Wallonie, Flandre en Belgique. On pourrait certes soutenir qu’il s’agit d’un découpage plus politique qu’économique, mais le fait est qu’il a été conçu ainsi, parce que les premières régions françaises partenaires de la Belgique, notamment sur le plan économique, sont celles du Nord de la France, et non la Lorraine. On peut enfin souligner (et nous apporterons des preuves plus précises de cet état de fait dans l’analyse comparative du coût du travail dans les différents pays européens qui suivra) que le coût salarial unitaire élevé de la Belgique (légèrement supérieur à celui de la France en moyenne) n’en fait pas le principal concurrent sur le plan de la concurrence territoriale pour l’implantation des entreprises. Par ailleurs, si la Lorraine a, semble-t-il, peu de liens avec un pays comme la Suisse, il reste intéressant de remarquer que certaines grandes entreprises régionales utilisent son « savoir-faire » bancaire dans une optique d’optimisation fiscale. Enfin, nous nous intéresserons également à la problématique des pays de l’Est, partenaires sur le plan européen, mais également concurrents dans la mesure où leur niveau de coûts particulièrement bas intéresse bon nombre d’entreprises qui n’hésitent pas à faire jouer la concurrence entre les territoires pour augmenter leur productivité. Nous étudierons notamment un cas concret en deuxième partie. Reprenons simplement le fil directeur de la pensée de François Perroux, afin d’identifier les moteurs de l’intégration régionale à la lumière de l’étude des relations de la Lorraine avec ses principaux partenaires économiques. Il semble que les filières industrielles historiques que l’on peut qualifier de motrices soient celles des matériaux et l’énergie, notamment autour de sites chimiques et métallurgiques, l’automobile, l’agroalimentaire ou encore le bois. Le problème de ces DECHOUX Christophe - 2013 37 Quelle place pour la Lorraine dans la Grande Région et dans l'Union européene ? Etude des dynamiques économiques d'une région au coeur de différents espaces européens industries vient du fait qu’elles déclinent en raison de la concurrence accrue dans et hors Europe. Par ailleurs, il est difficile d’isoler un seul espace d’intégration, tant les différentes 45 échelles de coopération se croisent. A l’échelon régional, le Sillon Lorrain constitue un 46 espace de développement potentiel, mais l’Eurodistrict Saar Moselle en constitue un 47 autre . Par ailleurs, les axes de coopération politiques sont loin d’être systématiquement les mêmes que les espaces les plus pertinents de l’analyse économique : c’est bien le cas pour le Luxembourg notamment, mais nous verrons par la suite que les dynamiques liant Lorraine et pays de l’Est (non transfrontalières donc, mais en raisonnant à l’échelle européenne dans sa globalité) sont essentielles pour comprendre la réalité de cette région aujourd’hui. Si l’on revient à la définition des pôles, espaces et axes d’intégration de François, l’espace intégrant crée entre plusieurs nations « un réseau de flux, de prix et d'information, engendre des intérêts communs et perspectives communes et enfin possède une valeur d'exemple ». On peut ici considérer que la Grande Région, dans la mesure où elle rassemble des espaces qui entretiennent du fait de leur frontière commune des relations économiques particulières et font face à des problématiques communes, constitue l’espace le plus pertinent dans le cadre de notre analyse. S’il est indéniable que les acteurs de la Grande Région doivent faire face à des problématiques et enjeux de développement communs, voire complémentaires (le Luxembourg a besoin des travailleurs lorrains pour se développer autant que les Lorrains ont besoin de travailler au Luxembourg), il est tout aussi vrai de dire que l’existence d’un marché commun et les différences en matière de coût du travail constituent des éléments majeurs de la concurrence entre les territoires sur lesquels il est utile de se pencher. 2.3 .Etude comparée du coût du travail dans la Grande région et des espaces européens avec lesquels la Lorraine est en concurrence 2.3.1 Objet de l’étude 48 A partir de rapports de l’INSEE et d’autres études statistiques, on isolera les données concernant les pays qui nous intéressent pour en faire une étude comparative approfondie. On comparera entre autres coût du travail, charges salariales, patronales, impôt sur le revenu, fiscalité des entreprises, coûts d’implantation et on déterminera l’impact de ces différents indicateurs sur la compétitivité des différentes entités, les infrastructures, les partenariats… 2.3.2 Analyse des coûts du travail selon les pays européens 45 Pôle métropolitain qui part des massifs des Vosges (au Sud) jusqu’aux frontières luxembourgeoise, belge et allemande (au Nord), traversant Épinal, Nancy, Metz et Thionville (1 200 000 habitants) 46 47 GETC franco-allemand créé au sein de l'agglomération transfrontalière Sarrebruck-Forbach CALZADA Christian et OGNIER Alain, Les espaces urbains lorrains�: entre agglomération et dispersion [Rapport], Insee Lorraine, 2008. 48 MARC Bertrand et RIOUX Laurence, Le coût de la main-d’œuvre�: une comparaison européenne 1996-2008 [Rapport], INSEE, 2012, 18 p. 38 DECHOUX Christophe - 2013 Partie I : Photographie de la Lorraine d’aujourd’hui 49 Ce qui ressort quand on s’intéresse au coût du travail dans différents pays européens est principalement l’hétérogénéité du coût de la main d’œuvre (déjà très marquée dans l’Union à 15, encore davantage à 27 ou 28). Cela dit, celle-ci est réduite quand on prend en compte la productivité. Sans surprise, la France fait partie des pays où le coût de la main d’œuvre est élevé. Encore très proche, ce coût est souvent légèrement inférieur en Allemagne. C’est par ailleurs en Allemagne qu’il a crû le moins vite sur la période (la France occupant une position médiane en termes d’évolution, elle se situe même dans la moyenne basse). Une des tendances générales que l’on peut observer est la convergence du coût salarial unitaire (qui rapporte le coût horaire de la main d’œuvre à la productivité horaire du travail). Elle est particulièrement frappante dans l’industrie manufacturière, mais elle est également de plus en plus observable dans les services marchands. 49 Notons que la définition de ce terme (somme des dépenses qui incombent à l’employeur en contrepartie d’un emploi salarié) est plus complexe qu’il n’y paraît, nous porterons donc une attention particulière à expliciter le choix des indicateurs étudiés (coût salarial unitaire, secteurs étudiés…). DECHOUX Christophe - 2013 39 Quelle place pour la Lorraine dans la Grande Région et dans l'Union européene ? Etude des dynamiques économiques d'une région au coeur de différents espaces européens Ci-dessous, l’essentiel des données concernant la Grande Région, en 2008 : Coût (euros) / Pays Coût horaire : main d’œuvre. Industrie Manufacturière Coût horaire : main d’œuvre. Services Marchands Coût horaire : main d’œuvre. E10-49 Industrie Manufacturière Coût horaire : main d’œuvre. E50-249 Industrie Manufacturière Coût horaire : main d’œuvre. E250-499 Indus. Manuf. Coût horaire : main d’œuvre. E500-1000 Indus. Manuf. Coût horaire : main d’œuvre. E > 1000 Indus. Manuf. Coût horaire : main d’œuvre. E 10-49 Serv. March. Coût horaire : main d’œuvre. E 50-249 Serv. March. Coût horaire : main d’œuvre. E250-499 Serv. March. Coût horaire : main d’œuvre. E500-1000 Serv. March. Coût horaire : main d’œuvre. E>1000 Serv. March. France 33,16 Allemagne 33,37 Belgique 36,70 Luxembourg 28,29 32,08 26,81 35,74 33,70 27 22 28 21 30 28 33 27 32 31 38 29 36 34 44 27 41 44 49 28 22 30 28 32 24 36 33 33 27 34 28 35 30,5 Tableau élaboré à partir de données Eurostat issues de l’analyse de B. Marc et L. Rioux, INSEE, 2012 On peut ainsi constater que dans tous les domaines, pour toutes les tailles d’entreprises, c’est en Belgique que le coût horaire du travail est le plus élevé (dans 50 notre groupe de quatre pays étudiés et plus généralement dans l’UE à 27 ). On note également une grande différence entre le coût horaire dans l’industrie manufacturière et 50 « Europe / Industrie�: Coût du travail dans l’industrie européenne par pays en 2010 » [en ligne], Gecodia, [consulté le : 6 mars 2013]. 40 DECHOUX Christophe - 2013 Partie I : Photographie de la Lorraine d’aujourd’hui dans les services au Luxembourg : les coûts de main d’œuvre y sont en effet peu élevés comparativement aux autres pays dans l’industrie, mais plus importants qu’en Allemagne (et même légèrement qu’en France) dans les services. On remarquera aussi qu’en ce qui concerne l’industrie manufacturière luxembourgeoise, le coût horaire est inférieur dans les entreprises de 500 à 1000 salariés à celui dans les entreprises de 250 à 499 salariés, alors que c’est toujours l’inverse dans les autres pays étudiés. L’approfondissement de la comparaison franco-allemande amène à relever trois éléments singuliers. Premièrement, si le coût horaire « global » est sensiblement le même dans l’industrie (33 euros), il est en revanche bien inférieur en l’Allemagne dans les services (26,8 contre 32,1), avec des différences importantes selon la taille de l’entreprise. Deuxièmement, dans les entreprises de moins de 1000 salariés, c’est en France que le coût du travail est plus élevé dans l’industrie manufacturière, mais dans les très grandes entreprises, c’est en Allemagne que le salarié coûte plus cher (44 euros contre 41). Enfin, pour ce qui est des services, le coût horaire du travail est systématiquement nettement inférieur en Allemagne. Comparaison salaire horaire brut et coût horaire de la main d’œuvre : Coût (euros) / Pays Salaire horaire brut Coût horaire Différence France Allemagne Belgique Luxembourg 21,5 23 24,5 27 32 10,5 29,5 6,5 36 11,5 31 4 Tableau élaboré à partir de données Eurostat issues de l’analyse de B. Marc et L. Rioux, INSEE, 2012 Cette comparaison montre qu’il n’y a pas forcément de lien direct entre le salaire horaire brut et le coût horaire. En effet, dans les quatre pays comparés, le salaire brut est le plus élevé au Luxembourg, mais le coût horaire y est à peine plus élevé qu’en Allemagne (plus bas des 4 étudiés). En France et en Belgique, la différence entre salaire horaire brut et coût horaire est supérieure à 10 euros, alors qu’elle est bien moins importante en Allemagne et au 51 Luxembourg . 2.3.3 Analyse du coût horaire selon la taille de l’entreprise et le secteur d’activité Ces statistiques mettent en exergue une forte hétérogénéité du coût horaire de main d’œuvre : le coût moyen de l’Union européenne de 25,84 euros est plus de dix fois celui de la Bulgarie ! Cela dit, on assiste aussi à une progression très rapide des nouveaux entrants. Pour les pays membres de l’ex-UE à 15, les écarts relatifs en matière de coût horaire de la main d’œuvre sont restés relativement stables de 1996 à 2008, mis à part pour l’Allemagne, l’Autriche et l’Irlande : la croissance a été très faible en RFA, alors qu’elle présentait le coût horaire le plus élevé dans l’industrie en général en 1996. En 2008, elle a été dépassée par la Belgique, car suite à la réunification qui a tiré salaires et coûts à la hausse jusqu’en 1996, les politiques menées (agenda 2010 notamment) on conduit à 51 Voir annexe 7 DECHOUX Christophe - 2013 41 Quelle place pour la Lorraine dans la Grande Région et dans l'Union européene ? Etude des dynamiques économiques d'une région au coeur de différents espaces européens plusieurs phases de modération salariale (96-97 et 03-07). Par la suite, une réduction du taux de cotisations sociales à la charge des employeurs d’un point de TVA a été décidée le premier janvier 2007. La comparaison sur la période 1996-2008 montre ainsi un net décrochage francoallemand. Les deux pays partant de coûts relativement élevés par rapport à la moyenne européenne, le taux de croissance à euros courants a été de 1,9% pour l’Allemagne (dans le secondaire), contre 3,4% pour la France (avec même +5,1% sur la période 2000-2004, vraisemblablement du fait des 35 heures). Concernant les services marchands, la croissance a été particulièrement faible pour l’Allemagne (+1,3%). Elle a été légèrement inférieure à la moyenne pour la France (+3,2%, soit tout de même près de deux points de plus par rapport à notre voisin allemand). Au niveau européen, un lent mouvement de convergence s’est mis en place. Autre constat : le coût du travail est d’autant plus élevé que l’entreprise est grande, surtout en Allemagne (l’amplitude étant variable selon les pays, mais particulièrement élevée en Allemagne). Dans ce pays, c’est dans les entreprises de petite taille de l’industrie manufacturière que le coût horaire a le moins cru : +0,9% par an pour les entreprises totalisant entre 10 et 49 salariés (E10-49), +1,4% pour celles totalisant entre 50 et 249 salariés (E50-249) et +1,9% (toutes entreprises confondues). Donc la statistique des E10-49 se situe juste au-dessus de la moyenne européenne, alors que celle des entreprises de plus de 1000 salariés (E>1000) les place au premier rang européen. En France, l’effet taille est nettement moins important (il est comparable à la moyenne européenne). Dans les E>1000, le coût horaire est cependant plus de 50% supérieur à celui dans les E10-49. Dans le domaine des services marchands, on n’observe pas de croissance linéaire des coûts à mesure que la taille de l’entreprise augmente. Par rapport aux E10-49, le coût horaire est seulement 30% plus élevé en France et 20% en Allemagne dans les E>1000. Ceci montre donc que globalement, il y a relativement peu de différences entre les tailles des structures en France, alors qu’elles sont malgré tout plus marquées en Allemagne. La comparaison entre les différents pays européens montre que pour les services marchands, le classement des coûts horaires moyens par type d’activité est le même : c’est dans l’hébergement et la restauration que les coûts sont les plus bas ; on retrouve ensuite à un niveau de coûts intermédiaire les services administratifs et de soutien, le commerce, le transport, les activités immobilières, l’information et la communication. Enfin, c’est dans les activités financières et les assurances que le coût horaire est globalement le plus élevé (trois fois supérieur à celui de l’hébergement en moyenne). La France fait partie du groupe de pays à coûts élevés, tout particulièrement dans l’hébergement-restauration et l’information-communication (où elle se situe au deuxième rang européen), alors que son coût horaire est comparativement moins élevé dans les activités financières. L’Allemagne est, dans tous les secteurs, proche de la moyenne de l’Union européenne. Le Luxembourg a pour sa part la particularité d’avoir un coût horaire très élevé dans les activités financières, mais proche de la moyenne européenne dans tous les autres services. Il est important de noter que pour l’industrie manufacturière, les conclusions au niveau agrégé ne sont pas toujours vérifiées à un niveau sectoriel plus détaillé : dans l’industrie automobile notamment, les coûts horaires allemands sont les plus élevés d’Europe (>29% à la France). 42 DECHOUX Christophe - 2013 Partie I : Photographie de la Lorraine d’aujourd’hui 2.3.4 Analyse de la structure du coût horaire Commençons par remarquer que le nombre d’heures effectivement travaillées a diminué pour la moitié des pays de l’ex-Union européenne à 15. La Belgique (avec 1543 heures par an), la France (1596h / an) et l’Allemagne (1651h / an) ont en commun d’avoir un temps de travail effectif en équivalent temps complet le plus faible de l’Union dans l’industrie comme dans les services (médiane de l’Union à 1750h / an). A l’inverse, on travaille environ 1800h / an au Luxembourg (parmi les statistiques les plus élevées, toujours d’après l’analyse de Marc et Rioux). D’une manière générale, le volume horaire travaillé est plus important dans les services que dans l’industrie (1754h en moyenne contre 1606h en France). A noter que le Luxembourg a connu une évolution forte entre 1996 et 2008 avec une augmentation du volume horaire travaillé de 123 heures, alors que le temps de travail baisse en France : (-71 heures dans l’industrie et -83 dans les services). Elle passe ainsi d’une position médiane à un bas de tableau dans ce domaine. Mais la baisse du temps de travail explique seulement 10% de la hausse du coût horaire sur la période. 2.3.5 Coût horaire et protection sociale La structure du coût horaire varie selon le système de financement de la protection sociale. De ce fait, si partout les salaires représentent la part la plus importante du coût du travail, ils varient de 67% en France à 91% au Danemark. A contrario, les cotisations sociales varient de 7% au Danemark à 28% en France et 31% en Belgique. Les autres dépensent sont globalement marginales (sauf en Suède et surtout en France où elles atteignent 4,4%, particulièrement pour les dépenses de formation). En Allemagne, l’apprentissage est très développé et les dépenses pour les apprentis sont incluses dans les salaires (et non dans les dépenses de formation des entreprises). En ce qui concerne les salaires bruts : avec 21,5 euros, la France se situe dans la moyenne européenne. On peut remarquer qu’en général, si le niveau de cotisations sociales est élevé, les salaires bruts ont tendance à être plus faibles. On peut ainsi observer des différences frappantes entre des pays comme le Danemark et la Suède selon que la protection sociale soit financée par l’impôt (Danemark) ou les cotisations sociales (Suède). Cela dit, l’étude menée en utilisant un modèle « toutes choses égales par ailleurs » prouve qu’il n’y a pas de lien significatif entre le niveau du coût horaire et le taux de charges. En général, dans tous les pays, la part des cotisations sociales employeurs est supérieure dans l’industrie par rapport aux services, à l’exception du Danemark, du Luxembourg et de la Grèce. On notera également que dans certains pays (en Belgique et en France notamment), les barèmes de cotisations dans le bas de la distribution des salaires sont progressifs. Par ailleurs, il est important de remarquer que la structure des coûts ne connaît pas de grandes évolutions en Europe. Structure du coût dans les services marchands 2008 : DECHOUX Christophe - 2013 43 Quelle place pour la Lorraine dans la Grande Région et dans l'Union européene ? Etude des dynamiques économiques d'une région au coeur de différents espaces européens % / Pays Salaires et traitements bruts Cotisations sociales employeurs Reste du coût de la main d’œuvre France 67 Allemagne 80 Belgique 67 Luxembourg 78 27 19 32 18 6 <1 <1 4 Structure du coût dans l’industrie 2008 : % / Pays Salaires et traitements bruts Cotisations sociales employeurs Reste du coût de la main d’œuvre France 64 Allemagne 78 Belgique 62 Luxembourg 85 31 21 37 13 5 1 1 2 Tableaux élaborés à partir de données Eurostat issues de l’analyse de B. Marc et L. Rioux, INSEE, 2012 Il ressort clairement que la part des cotisations employeurs est beaucoup plus importante (de plus dix points par rapport au total du coût du travail) en France et en Belgique qu’en Allemagne et au Luxembourg dans le secteur des services marchands. La situation est relativement similaire dans le secteur de l’industrie, où les différences sont encore plus marquées (alors que les salaires représentent 62% du coût total assumé par l’employeur en Belgique, ce chiffre est de 85% au Luxembourg). L’étude de ces données prouve donc que le poids des cotisations sociales sera beaucoup moins lourd pour l’employeur en Allemagne et au Luxembourg qu’en Belgique et en France. Cet argument peut s’avérer décisif pour des entreprises dont les activités de production sont facilement délocalisables. Nous en étudierons un exemple concret en deuxième partie. Le problème a d’ailleurs été clairement identifié en France. C’est la raison pour laquelle des mesures ont été prises, visant notamment à alléger les cotisations sociales bas salaires suite à la réduction du temps de travail (loi Aubry), l’objectif étant de réduire l’impact sur le coût du travail. La loi Fillon avait ensuite pour but d’organiser la convergence. Des évolutions sont donc a priori à l’œuvre, mais force est de constater que la part des cotisations dans le coût du travail reste inchangée en France. En Belgique, on assiste même à une légère hausse de la part des cotisations sociales employeurs (1996-2008), alors qu’en Allemagne, suite au transfert d’une partie des cotisations employeurs sur la TVA en 2007, celles-ci sont passées de 23,4% à 21% du total. Mais on l’a dit, le coût horaire de la main d’œuvre n’est qu’un facteur de la compétitivité, les écarts de coûts horaire étant partiellement compensés par la productivité. On a pu constater que les coûts horaires évoluaient de manière comparable dans l’industrie et les services, mais la productivité évolue plus vite dans les services. Au final, les évolutions du coût salarial unitaire (qui est bien l’indicateur essentiel ici, puisqu’il tient compte du nombre d’heures travaillées en plus de tenir compte de leur coût) sont très variables selon le secteur d’activité : on constate globalement une légère baisse dans l’industrie manufacturière et une hausse dans les services. 44 DECHOUX Christophe - 2013 Partie I : Photographie de la Lorraine d’aujourd’hui Pour conclure sur les évolutions en cours, il faut noter que dans bon nombre de pays (notamment en Allemagne et en France), une baisse du coût salarial unitaire est à l’œuvre sur la période 1996-2008, ce qui signifie que la productivité a augmenté plus vite que le coût horaire dans ces pays (même si des éléments conjoncturels sont également à prendre en compte, puisque la crise a globalement entraîné une baisse de productivité, dans la mesure où la contraction de l’activité a été plus forte que celle du volume de travail). Dans le domaine de l’industrie, l’évolution du coût salarial unitaire a été comparable en France et en Allemagne (taux de croissance annuel entre -0,5 et -0,7%) : l’essentiel de la baisse s’est faite entre 1996 et 2000 en France (avant la généralisation des 35 heures, mais avec une possibilité d’adoption volontaire de la législation), avec un coût salarial relativement stable depuis, alors qu’il avait augmenté légèrement en Allemagne jusqu’en 2002 et baisse depuis. En Belgique, la hausse est quasi nulle et elle est légèrement supérieure à 1% au Luxembourg. Dans les services, le coût salarial unitaire est resté quasi stable en Allemagne (+0,2%) ; la hausse a été limitée en France (+1,6%) ; elle a été voisine de 2% en Belgique et au Luxembourg. Ainsi, la tendance est à la convergence du coût salarial unitaire dans l’Union européenne à 15, avec un rythme plus rapide et une tendance plus marquée dans l’industrie. Il est cependant inquiétant pour la France et donc pour la Lorraine de constater que les gains de productivité datent principalement du début de la période pour la France, alors qu’un décrochage semble de plus en plus à l’œuvre depuis, notamment par rapport à notre voisin allemand. 2.3.6 Qu’en est-il pour les pays de l’Est ? S’il est intéressant et utile de détailler les différences dans la structure du coût du travail entre les pays de la Grande Région (d’une part, parce qu’ils sont frontaliers de la Lorraine et d’autre part, parce qu’ils se situent dans des situations « comparables »), un développement plus court suffira à se rendre compte du fossé qui existe avec les pays de l’Est nouvellement membres de l’Union européenne. Souligner cet écart est cependant extrêmement important, puisque les entreprises multinationales n’hésitent pas dans un nombre croissant de cas (et particulièrement dans les périodes de crise qui exigent des coupes budgétaires) à envisager de s’implanter dans ces pays (stratégies que les firmes allemandes déploient très 52 largement) . Il est très net que malgré l’augmentation en flèche des coûts du travail dans le groupe de pays ayant adhéré à l’Union européenne en 2007 (ils ont plus de doublé dans l’industrie manufacturière comme dans les services marchands en Hongrie entre 2000 et 2012), le niveau de coût par heure de travail et le niveau de charges (et donc de protection sociale) dans ces pays n’est tout simplement pas comparable à celui de la France, de la Belgique ou encore du Luxembourg et de l’Allemagne. En effet, en 2012, dans le secteur de l’industrie et des services marchands, alors qu’une heure de travail coûtait 32,36 euros en Allemagne et 35,67 euros en France, elle revenait à 10,80 euros en République Tchèque, 8,17 euros en Hongrie ou encore 7,43 euros en Pologne, soit trois à quatre fois moins cher ! Et c’est sans compter les statistiques roumaines 53 (4,58 euros par heure) et bulgares (3,80 euros) . Par ailleurs, ces écarts vont souvent de pair avec des niveaux d’imposition sur les sociétés très faibles dans ces pays (10% en Bulgarie). 52 Voir les tableaux synthétisant le coût de l’heure de travail par secteurs d’activités dans les pays de l’UE à 27 (annexe 7) 53 « Indicateurs du coût de l’heure de travail en Europe » [en ligne], Coe-Rexecode, [consulté le : 6 mars 2013]. DECHOUX Christophe - 2013 45 Quelle place pour la Lorraine dans la Grande Région et dans l'Union européene ? Etude des dynamiques économiques d'une région au coeur de différents espaces européens Il en va de même dans le domaine de l’industrie manufacturée : avec des coûts horaires respectifs de 36,71 euros en Allemagne et 37,27 euros en France contre 10,16 en République Tchèque, 8,02 en Hongrie, 6,84 en Pologne, 3,83 en Roumanie et 2,98 en Bulgarie, les écarts ont même tendance à être encore plus importants. Certes, le coût du travail est loin d’être le seul critère à prendre en compte, la qualification de la main d’œuvre, les dotations infrastructurelles, les aspects relevant davantage de la culture… étant également essentiels. Mais l’observation de ces chiffres permet de comprendre que pour la production de bon nombre de produits à faible valeur ajoutée, la concurrence des pays de l’Est est plus que redoutable. 2.3.7 Approfondissement de la comparaison franco-allemande Au vu des développements précédents, on a pu constater que du fait de similarités entre le coût du travail en France et en Belgique et de la moindre importance (relative) de ce voisin dans les dynamiques transfrontalières, il est plus pertinent d’approfondir la comparaison franco-allemande (le cas luxembourgeois ayant déjà été abordé ; il s’agit certes d’un microEtat frontalier dont les dynamiques impactent largement la Lorraine, mais a priori moins que les évolutions allemandes sur le long-terme). Il est à cet égard significatif de constater que la Cour des Comptes a publié en 2011 une étude comparée extrêmement complète des prélèvements fiscaux en France et en 54 Allemagne sur demande expresse du Président de la République , sur laquelle il est utile de revenir. Les auteurs se penchent dans un premier temps sur les caractéristiques des deux pays et de leurs systèmes de prélèvements obligatoires pour se focaliser ensuite sur une comparaison par blocs de prélèvements et finalement faire une analyse prospective et envisager des pistes de politiques européennes mieux coordonnées sur le plan fiscal. Il est intéressant de constater que le message introductif du rapport de la Cour rappelle que les trois objectifs de l’impôt sont l’efficacité, l’équité et le rendement et d’autre part que la concurrence fiscale est une réalité au sein de l’Union européenne. On a déjà vu précédemment que si le PIB par habitant est proche entre nos deux pays (26500 euros en Allemagne, 24 800 en France en 2009), la part de l’industrie dans le PIB est deux fois plus importante en Allemagne, et elle compte davantage d’entreprises de taille moyenne, davantage financées par le secteur bancaire qu’en France. Une des principales différences dans l’évolution des deux pays ces dernières années réside dans le partage de la valeur ajoutée : alors que la part des salaires est restée à peu près stable en France (augmentant au même rythme que la productivité, comme dans la plupart des pays de l’OCDE), elle a baissé de 5 points en Allemagne. Le fait que la France (et tout particulièrement la Lorraine) soit à la fois le premier partenaire commercial et concurrent à l’exportation de l’Allemagne la rend sensible aux évolutions de la demande intérieure et de la compétitivité allemandes. De ce point de vue, les évolutions de la dernière décennie ont été très favorables à l’Allemagne, et ce à nos dépends. L’Allemagne dispose d’une excellente compétitivité hors-prix du fait de l’image de ses produits à l’export, mais elle a également amélioré sa compétitivité prix du fait d’une stratégie d’approvisionnement centrée sur les pays à bas coûts et d’une politique de modération salariale. Afin de maintenir la compétitivité prix des produits français, nos entreprises ont donc dû réduire leurs marges (ROE presque deux fois plus importants pour les entreprises exportatrices allemandes), d’où un excédent commercial côté allemand et une dégradation de la balance commerciale côté français. Mais cette situation n’est pas tenable à terme et 54 46 Prélèvements fiscaux et sociaux en France et en Allemagne [Rapport], Cour des Comptes, 2011, 312 p. DECHOUX Christophe - 2013 Partie I : Photographie de la Lorraine d’aujourd’hui pourrait conduire à une baisse des capacités de production et à un retrait des entreprises françaises de certains marchés. Part dans les exportations européennes (en % du total) Extra-UE (2000) Extra-UE (2008) Intra-UE (2000) Intra-UE (2008) France Allemagne 12,7 9,8 14,7 12,0 24,8 27,3 21,4 23,2 Prélèvements fiscaux et sociaux en France et en Allemagne [Rapport], Cour des Comptes, 2011, 312 p. 2.3.7.1 L’évolution du coût du travail Sachant que la compétitivité-coût dépend largement du coût par unité de production, luimême dépendant du coût salarial horaire et de la productivité, il est utile de rappeler les enseignements de l’analyse des paragraphes précédents en matière de coût du travail. Dans l’industrie manufacturière, secteur le plus exposé à la concurrence internationale, il est proche dans les deux pays (comme l’a montré l’étude de l’INSEE analysée dans les paragraphes précédents). Les coûts sont un peu plus élevés en France dans les services marchands. En termes d’évolutions du coût salarial horaire entre 2000 et 2008, on observe une hausse de 3,5% / an en France, contre +2,2% en Allemagne dans l’industrie manufacturière, ce qui a été très défavorable à la compétitivité française (+10% de coûts dans l’industrie manufacturière par rapport aux chiffres allemands entre 2000 et 2008). Cet état de fait ne s’explique pas tant par la variation du salaire brut et des cotisations sociales patronales (qui ont été faibles), mais surtout (à 80%) par la modération salariale allemande qui a conduit à cette différence de croissance du coût salarial horaire. Cela dit, elle fait suite à une décennie de forte hausse suite à la réunification et on observe une tendance au rééquilibrage en 2009. L’étude de la productivité permet d’enrichir la comparaison des coûts salariaux horaires pour obtenir le coût salarial unitaire. Les gains de productivité (+2,8%) ont été proches dans l’industrie manufacturière (2001-2008). Ainsi, comme les hausses de salaire ont été plus fortes que les gains de productivité en France (+3,4% contre 2,8%) et plus faibles en Allemagne (+2,1% contre +2,8%), le coût salarial unitaire a augmenté en France et baissé en Allemagne : « Sur les années 2000 à 2008, sa croissance a été supérieure d’environ 10 points en France à sa croissance (négative) en Allemagne. La compétitivité de l’industrie manufacturière française, en termes de coût du travail, s’est trouvée dégradée d’autant » (essentiel des dégradations entre 2003 et 2007). Même si les gains de productivité les plus notables dans la zone euro ont été réalisés par la France et l’Allemagne, le fait que les entreprises françaises soient plus souvent en concurrence avec des entreprises allemandes accroit leur dépendance à l’évolution de leur compétitivité par rapport à l’Allemagne. 2.3.7.2 Un système français plus redistributif Le système de protection sociale est bon dans les deux pays avec des niveaux d’inégalités moindres que dans le reste de l’Union européenne, mais la situation s’est dégradée plus vite en Allemagne qu’en France sur la dernière décennie. DECHOUX Christophe - 2013 47 Quelle place pour la Lorraine dans la Grande Région et dans l'Union européene ? Etude des dynamiques économiques d'une région au coeur de différents espaces européens Les risques sont plus largement couverts par la protection sociale en France qu’en Allemagne : les aides aux familles sont plus importantes (3,8% du PIB contre 3%) et le système est français plus protecteur en matière de chômage (indemnisation sur 24 mois maximum contre 12 et plafond à 6000 euros contre 2910). En matière de maladie, le périmètre obligatoire est plus restreint en Allemagne (avec une possibilité d’opter pour une solution privée) : le caractère redistributif est ainsi plus marqué en France. Au sujet des retraites, le taux de remplacement offert par les régimes obligatoires est de 65% en France, contre 50% en Allemagne, pays où 15 millions de personnes sont couvertes par un régime de retraite d’entreprise privée. En France, les prestations sociales (familiales, aides au logement, minimas sociaux, aides publiques au logement, RSA) ont un effet redistributif plus fort que les prélèvements obligatoires. Si les inégalités de revenus après redistribution sont comparables en France et en Allemagne, elles étaient cependant moins importantes en Allemagne qu’en France avant 2000, mais la situation s’inverse après 2006, avec une augmentation de 20% du coefficient de Gini en Allemagne comme dans la majorité des pays de l’Union (alors qu’il reste stable en France). Ces tendances sont davantage imputables à l’évolution du marché du travail allemand qu’à la structure des prélèvements obligatoires. 2.3.7.3 Les finances publiques : une priorité plus allemande que française Historiquement, une priorité plus forte est donnée au respect de l’équilibre budgétaire en Allemagne, qui a par ailleurs bénéficié d’une dernière période de croissance plus forte pour réduire son déficit public. Le déficit structurel français est supérieur de 3 points à ce qu’il est en Allemagne (sur 7,7%, 6 sont structurels en France, contre 2,8 / 3,7% en Allemagne). Ce qui apparaît également, c’est que la dépense publique est moins maîtrisée en France, passant de 45,1% à 43,8% en Allemagne et de 51,6% à 52,8% en France, comparable à la moyenne de l’UE en France, avec une hausse en 2009 (suite aux plans de relance de l’économie), sans hausse corrélative des prélèvements obligatoires. L’endettement est également mieux contenu en Allemagne, qui, après avoir connu une forte hausse de sa dette suite à la réunification, prend des mesures drastiques pour inverser la tendance. En 2000, les dettes des deux pays sont inférieures à la moyenne de l’Union Européenne (61,9% pour l’UE, et respectivement 57,3% et 59,7% pour la France et l’Allemagne). La situation s’inverse après 2003, et avec la crise, la dette augmente de 10 points en Allemagne (75,9% en 2010) et de 20 points en France (83% en 2010). La commission prévoit par ailleurs un redressement plus lent en France : du fait de la situation financière dégradée, la dette continue d’augmenter (jusqu’à 140% en 2020 sans réforme drastique), alors que celle de l’Allemagne se stabilise. Cela a un impact sur le coût du financement des deux pays. 2.3.7.4 L’impact de la concurrence fiscale Il s’agit d’un enjeu majeur d’attractivité des entreprises, des détenteurs de capitaux ou actifs aux revenus élevés, d’autant plus dans une Europe à 27 fortement hétérogène. La concurrence fiscale tend à pénaliser des pays à niveau de services publics élevés et protection sociale obligatoire étendue comme la France. 2.3.7.5 Le poids des prélèvements obligatoires 48 DECHOUX Christophe - 2013 Partie I : Photographie de la Lorraine d’aujourd’hui Ils représentent 21,8% du PIB en France, contre 19,8% en Allemagne. Il est important de noter que certains prélèvements existent en France et non en Allemagne, l’inverse étant très rare. C’est le cas de taxes acquittées par les entreprises et qui pèsent sur leur cycle de production (à hauteur de 58 milliards d’euros en France en 2008, soit 3 points de PIB) : des taxes assises sur la masse salariale (24,6 milliards d’euros) et notamment la taxe sur la masse salariale (pas d’équivalent en Allemagne) et des taxes portant sur le capital fixe utilisé par les entreprises. Les firmes allemandes ne paient que la taxe sur le foncier, alors qu’en France, s’ajoute entre autres la contribution économique territoriale (au total 28 milliards en France en plus du foncier). Enfin, des taxes portant sur le chiffre d’affaires existent seulement en France, principalement la contribution sociale de solidarité des sociétés (5,2 milliards). Concernant l’imposition du revenu des ménages, le poids de la CSG n’a eu de cesse d’augmenter en France, mais l’impôt sur le revenu est plus étendu en Allemagne. En France s’ajoutent cependant la taxe d’habitation et l’ISF qui n’existent pas en Allemagne. Cela dit, dans ce pays, il y a un supplément de solidarité au bénéfice des régions de l’Est qui n’existe pas en France. Divers produits ou services font également l’objet d’une taxation en France, pour un total de 3 millions d’euros de recettes. Concernant les impôts sur la consommation et le tabac, les montants globaux sont sensiblement identiques en France et en Allemagne. Mais, là où les Allemands ne sont taxés que sur les produits énergétiques, boissons, tabac et ampoules, le système de prélèvements obligatoires français est bien plus complexe. En termes d’évolutions, commençons par rappeler que les taux de prélèvements des deux pays sont plus élevés que la moyenne européenne (37% pour l’UE, 39,3% pour l’Allemagne et 42,8% pour la France), mais sur 2000-2008, on observe une baisse de 2,6 points en Allemagne, et de 1,3 points en France. L’essentiel de la réduction allemande est imputable à la grande réforme fiscale de 1999, mise en place jusqu’en 2005, abaissant le taux marginal supérieur d’imposition tout comme le taux appliqué à la tranche inférieure. Le taux d’imposition sur les sociétés est quant à lui passé de 45% en 1998 à 25% en 2001, avec des exonérations de plus-value pour les grandes entreprises. A l’inverse, les réformes de la seconde moitié des années 2000 se sont traduites par une légère hausse des prélèvements obligatoires : on doit évoquer notamment les réformes de la santé, des retraites et du marché du travail visant à une baisse des prélèvements et la hausse de 3 points du taux normal de TVA de 16 à 19% en 2007, 2 points sur 3 étant affectés à la réduction du déficit, ainsi que la création d’une nouvelle tranche supérieure d’imposition sur le revenu. En France, les prélèvements obligatoires sont restés stables entre 2000 et 2006, la baisse d’1,1 point du PIB provenant de nouvelles réductions fiscales (dont une large part 55 attribuée à la TEPA ). Ainsi, sur la période 2009-2011, la crise affecte beaucoup plus les recettes fiscales françaises qu’allemandes. 2.3.7.6 Niveaux et structure des prélèvements obligatoires dans les deux pays Si l’on compare les prélèvements obligatoires par catégorie juridique, ce qui ressort, c’est le poids élevé des cotisations sociales dans les deux pays. On constate aussi que le montant des impôts indirects est très important en France (taxe sur les salaires, versement transport, contribution sociale de solidarité des sociétés…). Globalement, les évolutions contraires ont 55 Loi du 21/08/07 en faveur du travail, de l'emploi et du pouvoir d'achat, surnommée « paquet fiscal » DECHOUX Christophe - 2013 49 Quelle place pour la Lorraine dans la Grande Région et dans l'Union européene ? Etude des dynamiques économiques d'une région au coeur de différents espaces européens rapproché les deux pays (baisse des prélèvements indirects en France, augmentation en 56 Allemagne et inversement). Si l’on se focalise sur les institutions destinataires, c’est-à-dire sur la part des dépenses affectées à l’Etat, aux autorités locales, à la sécurité sociale et à l’Union européenne, on note une stabilité des dépenses par institution sur la période 2000-2008. Enfin, si l’angle d’analyse de la structure des prélèvements vise à étudier la répartition entre ménages et entreprises, il faut souligner d’emblée que cette question est complexe, car elle dépasse le seul cadre fiscal et social. Cela dit, il est clair que le système fiscal français est moins favorable aux entreprises. En Allemagne, la part incombant aux ménages est de 71,6% et celle aux entreprises est de 28,4%, alors que ces parts sont respectivement de 54,3% et 45,7% en France. Si l’on souhaite faire une analyse économique pertinente de la taxation, il est essentiel de se focaliser sur deux instruments : le poids en points du PIB des prélèvements obligatoires reposant sur chaque agrégat et le taux implicite d’imposition de chacun d’entre eux. 2.3.7.7 Analyse de la taxation dans les deux pays La taxation de la consommation est beaucoup plus importante en Allemagne : alors que la France a réduit les prélèvements obligatoires assis sur la consommation, l’Allemagne (comme la majorité des pays de l’UE) a fait l’inverse. Concernant la taxation du travail, les évolutions et la structure sont sensiblement différentes entre les deux pays, même si tous deux restent au-dessus de la moyenne de 34,2% de l’UE (41,4% en France, 39,2% en Allemagne). Le taux reste stable en France depuis 1995, mais baisse significativement en Allemagne avec une volonté d’améliorer la compétitivité des entreprises : baisse des cotisations sociales sur les bas salaires dans le cadre des lois Hartz, baisse de 1,6 points des cotisations en 2007, baisse de 11 points du barème de l’impôt sur le revenu depuis 2000. Les prélèvements obligatoires assis sur le travail comptent pour 22,6 % du PIB en France et 21,8% en Allemagne (2008), soit un taux légèrement plus important en France, alors que la situation était inversée en 2000. Par ailleurs, les entreprises paient des impôts assis sur la masse salariale en France (1 point du PIB), pas en Allemagne, où le versement transport n’existe pas non plus. D’autre part, alors que 60% des prélèvements obligatoires sur le travail sont à la charge des employeurs en France (et donc 40% pour les travailleurs), la proportion est inversée en Allemagne. Enfin, les entreprises paient 2/3 des cotisations sociales et 1/3 revient aux salariés en France, alors que les proportions sont inversées en Allemagne. La taxation du capital représente 9,8% du PIB en France, contre 6,9% en Allemagne. On observe une forte diminution en Allemagne depuis 2000, niveau désormais inférieur à la moyenne européenne : la France impose l’ensemble du capital à 38,8% en 2008, contre 23,1% en Allemagne et 26,5% en moyenne dans l’UE à 25 (comprend l’imposition des revenus du capital pour les ménages et l’imposition du capital des entreprises). La France impose beaucoup plus le stock de capital (4,5% contre 1%), même si le produit de l’imposition des revenus du capital est comparable, différence largement due à la taxe professionnelle, mais aussi à l’ISF, les taxes foncières rapportant plus en France. Par ailleurs, on retrouve de nombreuses taxes qui, prises à part, rapportent peu en France, sans équivalent en Allemagne. 56 50 Voir annexe 8 pour les schémas et tableaux de ce rapport de la Cour des Comptes DECHOUX Christophe - 2013 Partie I : Photographie de la Lorraine d’aujourd’hui Les prélèvements sont analogues sur les revenus du capital, incluant ceux payés par les ménages (dividendes, intérêts et revenus fonciers), ceux payés par les entreprises (impôts sur les bénéfices) et ceux payés par les entrepreneurs individuels. A noter que la distinction entreprises / entrepreneurs individuels est moins nette en Allemagne, il est en conséquence difficile de tirer des conclusions. Il est cependant clair que l’Allemagne diminue significativement l’imposition des revenus du capital entre 2000 et 2002, son impôt sur les sociétés (IS) passant de 45% à 25%. L’analyse de la taxation à finalité environnementale relève d’un reclassement des prélèvements issus des analyses des catégories précédentes. On remarque une hausse des taxes sur les énergies en Allemagne en 1999, puis une baisse en 2004 ; l’évolution des recettes est analogue en France, mais la structure de cette fiscalité différente. La fiscalité pesant sur les produits énergétiques est très importante dans ces deux pays par rapport à la moyenne de l’UE, et encore plus importante en Allemagne qu’en France (TIPP essentiellement) : la consommation supporte l’essentiel de la fiscalité environnementale. En France, le versement transport représente des montants conséquents (6 milliards). En revanche, les taxes sur la pollution et l’utilisation des ressources naturelles sont minimes dans les 2 pays. Les systèmes français et allemand sont donc proches quand on considère les taux de prélèvements globaux, mais ils sont en revanche très différents quant aux choix économiques et de société pour organiser la protection sociale, ce qui pèse sur les finances publiques françaises. Concernant les différences notables, la France a fait le choix d’augmenter les cotisations sociales et de moins imposer les revenus nets, tout en mettant davantage à contribution les entreprises pour financer les prélèvements assis sur la masse salariale. Par ailleurs, les évolutions du coût du travail (voir paragraphes précédents) et des soldes commerciaux tendent à confirmer la pertinence des choix allemands (qui doivent également prendre en compte des perspectives démographiques préoccupantes). Mais du fait de l’importance de la coopération franco-allemande (encore plus marquée dans le cas lorrain), davantage de convergence fiscale serait bienvenue selon la Cour des Comptes. 2.3.7.8 Examen par blocs de prélèvements Commençons par les prélèvements obligatoires sur le revenu des ménages. Les structures et caractéristiques de prélèvements sont différentes, malgré des niveaux comparables : 23,3% du PIB pour la France, 24,9% pour l’Allemagne et un impact global proche. L’analyse comparée d’une fiche de paie en France et en Allemagne montre que les coins socio57 fiscaux français et allemand sont très proches, mais le taux de cotisations patronales dépasse largement celui des cotisations salariales en France, alors que c’est le taux des cotisations salariales qui dépasse légèrement celui des cotisations patronales en Allemagne. Le taux de cotisations sociales est dégressif en Allemagne (40,6 % pour des salaires bruts de 20 000€ et 40 000€ à 32,5 % à 70 000€), mais d’abord nettement progressif en France (53,7 % à 20 000€ et 68,1 % à 40 000€), puis légèrement dégressif (62,9 % à 70 000€). L’impôt sur le revenu est progressif dans les deux pays, mais pèse beaucoup plus lourd en Allemagne. Il existe donc une réelle différence dans la structuration de la fiscalité de revenus : en Allemagne, l’accent est mis sur l’impôt sur le revenu et les cotisations sociales, alors qu’en 57 Indicateur évaluant le coût total d'un travailleur pour l'entreprise, par rapport au salaire net. Il est composé du coin fiscal (coût de la TVA et de l’IR par rapport au salaire net) et du coin social (coût des cotisations sociales salariales et patronales) DECHOUX Christophe - 2013 51 Quelle place pour la Lorraine dans la Grande Région et dans l'Union européene ? Etude des dynamiques économiques d'une région au coeur de différents espaces européens France, il faut ajouter d’autres impositions liées au financement de la protection sociale (CSG et CRDS notamment). L’impôt sur le revenu allemand est plus redistributif, alors que les cotisations sociales le sont plus en France. Concernant les prélèvements obligatoires sur le patrimoine, les différences substantielles en matière de structure et de niveau de fiscalité se sont même accentuées. On doit souligner la faible imposition sur la détention de capital en Allemagne, alors c’est tout le contraire en France. Les divergences en matière de transmission sont majeures. En matière de fiscalité du patrimoine, le système est quasi systématiquement plus avantageux pour les particuliers en Allemagne. En matière de fiscalité des sociétés, les situations sont encore proches mais les évolutions divergentes. Les niveaux de prélèvement sont élevés dans les deux cas : l’attractivité ne dépend donc pas que de la fiscalité, mais aussi des infrastructures, du niveau de formation de la population, de l’insertion dans le commerce international. Mais les évolutions en matière de compétitivité sont importantes (baisse de l’impôt sur les sociétés notamment et assiette plus large en Allemagne où l’objectif de neutralité est plus valorisé) et avantagent l’Allemagne : les dispositifs en vigueur sont très favorables à la compétitivité des entreprises. Sur ce point, on peut donc conclure qu’une différence majeure réside dans les structures d’imposition des entreprises du fait de la proportion élevée de sociétés de personnes en Allemagne soumises à l’impôt sur le revenu, avec un souci de compétitivité et une baisse de l’impôt sur les sociétés (de 45% à 25%). Mais on constate malgré tout une proximité du fait de prélèvements effectifs proches, donc il n’y a pas de réelle concurrence fiscale vis-à-vis de l’imposition des sociétés, mais bien plus en amont au niveau des charges pesant sur les coûts de production en France. Une concurrence existe malgré tout avec d’autres pays de l’UE (différence que nous approfondirons dans le benchmark de la partie II). La TVA est un élément de convergence franco-allemande en apparence, mais avec malgré tout d’importantes différences : les dispositifs sont proches, mais avec une efficacité plus importante en Allemagne. S’il est plus étendu en France, il existe également une multiplicité de dérogations. Soulignons également un taux réduit très faible dans notre pays. Du côté de la fiscalité environnementale, les évolutions sont divergentes : échec de la fiscalité sur le carbone en France, alors que l’Allemagne parvient à augmenter les taxes sur les produits énergétiques, sans aller jusqu’au bout de cette logique. On retrouve peu de taxes environnementales sur le secteur industriel allemand. Concernant la taxation du secteur routier, on observe une réelle convergence. 2.3.7.9 Principaux enseignements Le niveau et la structure des prélèvements des deux pays sont à la fois semblables et différents : la France pâtit d’un déficit structurel plus important en matière de finances publiques (de trois points). La politique fiscale allemande est plus explicite et vise davantage la neutralité. Ainsi, là où l’Allemagne a su faire des choix nets depuis le début des années 2000 qui assurent à ses finances publiques une situation relativement saine, la situation de la France s’est dégradée. Il en va de même au niveau de la compétitivité coût, de l’emploi et de la balance commerciale. Ces résultats sont en grande partie explicables par les politiques de modération salariale et les stratégies d’externalisation vers l’Est de l’Europe. 52 DECHOUX Christophe - 2013 Partie I : Photographie de la Lorraine d’aujourd’hui Il apparaît donc urgent pour la France de prendre des mesures : la Cour des Comptes préconise à cet égard une augmentation du taux de TVA. Face à l’absence de convergence fiscale à l’heure actuelle, elle identifie également trois leviers d’action pour plus de convergence franco-allemande : la définition de positions communes susceptibles de faciliter l’émergence au niveau de l’UE d’un processus de convergence (qui passe par un réexamen systématique du bien-fondé de chaque impôt en portant une attention particulière aux prélèvements assis sur les salaires), l’identification de bonnes pratiques et la mise en œuvre d’un programme de simplification visant à assurer tant aux entreprises qu’aux ménages concernés la convergence au quotidien (l’idée essentielle étant de fournir à l’ensemble des acteurs un cadre prévisible et stable, ce qui n’est pas acquis à l’heure actuelle). On terminera en relevant une préconisation de la Cour des Comptes qui consiste à substituer progressivement un financement à caractère universel par un financement professionnel (assis sur les salaires) en mobilisant notamment les marges de manœuvre tirées de la réduction des niches fiscales, sociales, et utiliser les opportunités en matière de taxation de la consommation et de fiscalité environnementale. Cela nécessiterait vraisemblablement des aménagements de prestations sociales ou de nouveaux impôts progressifs. L’étude comparée du coût du travail met ainsi en évidence un défi majeur dont les réponses ne sont pas entre les mains des dirigeants lorrains. Mais l’analyse de l’économie régionale faite jusqu’ici permet d’identifier d’autres problèmes structurels hérités d’un passé monoindustriel qu’il est indispensable de dépasser pour exister dans un espace européen très concurrentiel. Si la Lorraine est aujourd’hui spectatrice d’évolutions qu’elle semble subir, l’Europe peut également constituer un formidable faisceau d’opportunités. Observons à présent ce qu’il en est sur le terrain à travers l’exemple de REHAU. DECHOUX Christophe - 2013 53 Quelle place pour la Lorraine dans la Grande Région et dans l'Union européene ? Etude des dynamiques économiques d'une région au coeur de différents espaces européens Partie II : compétitivité régionale et perspectives d’avenir de la Lorraine saisies à travers le prisme des acteurs économiques : cas de l’entreprise REHAU 1. REHAU : implantations, stratégie, impacts sur les dynamiques territoriales et flux engendrés 58 1.1 L’histoire de REHAU et le choix de la Lorraine 1.1.1 Principaux épisodes de la construction du groupe REHAU est une entreprise qui figure parmi les plus importants transformateurs mondiaux de polymères (environ 17 000 collaborateurs en 2013). Son activité est centrée sur la production de différentes formes de solutions polymères haut de gamme dans le domaine de l’industrie (profilés, raccords, climatisation et ventilation…), de l’automobile (tuyaux, pièces de façonnage et systèmes de joints…), du bâtiment (fenêtres et fermetures, travaux publics, équipement électrique…) et du design pour le meuble (bandes de chants, rideaux d’armoire, systèmes de joints muraux, plinthes pour meubles…). L’entreprise a été créée en 1948 par Helmut Wagner dans la ville de Rehau en Bavière. Sont produits initialement des tuyaux d’arrosage et des semelles de chaussure. Très vite, la production se développe et les dirigeants laissent de côté les produits de masse à bas prix pour se consacrer exclusivement au développement et à la fabrication de pièces et de systèmes à forte exigence technique. La spécificité des produits en question explique que la grande majorité de la clientèle est constituée de professionnels (le fait que les produits soient souvent voués à être retransformés par des industriels explique d’ailleurs que REHAU soit parfois peu connue du grand public). Prenons quelques exemples de réalisations : dès 1951 est créée l’usine de Feuchtwangen (Allemagne) qui est actuellement le plus grand site de fabrication de la firme. Il était à l’origine dédié à la fabrication de poignées de maintien et marchepieds pour la 58 « Histoire de REHAU » [en ligne], REHAU, [consulté le : 3 avril 2013]. <http://www.rehau.com/FR_fr/entreprise/ Parlons_de_nous/Histoire/> 54 DECHOUX Christophe - 2013 Partie II : compétitivité régionale et perspectives d’avenir de la Lorraine saisies à travers le prisme des acteurs économiques : cas de l’entreprise REHAU Coccinelle de Volkswagen. En 1962, REHAU ouvre sa première usine en Amérique du Nord à Montréal au Canada. A mesure que l’entreprise se développe, la gamme de ses produits se diversifie, avec malgré tout un cœur de métier qui reste centré sur la fabrication de solutions polymères de haute qualité. C’est ainsi que le premier plancher chauffant REHAU sera posé en 1986 et dans un tout autre registre, REHAU fabriquera à partir de 1995 des matériaux composites renforcés en fibres pour Airbus. A partir des années 1990, on assiste à la création de nouveaux sites REHAU en Europe du Sud Est. Dès 1994, la Hongrie est choisie pour accueillir la première des douze implantations dans cette région européenne. A mesure que la concurrence s’intensifie dans un environnement de plus en plus mondialisé, la firme opte pour un focus plus important sur ses processus d’innovation afin de rester à la pointe de la technologie. En 2005 est donc créé le centre de l’innovation du bâtiment à Erlangen (Bavière), alors qu’est ouvert en parallèle le centre de formation et d’innovation pour l’industrie à Rehau. La société est dirigée depuis 2000 par les fils du fondateur Helmut Wagner : Jobst Wagner devient ainsi président du Supervisory Board et Dr Veit Wagner vice-président. Mais ce qui nous intéresse principalement dans cette approche historique, c’est de comprendre comment et pourquoi l’entreprise a choisi Morhange, au cœur de la Moselle, 59 pour en faire le siège de la région englobant l’ensemble des pays d’Europe de l’Ouest (suite à la restructuration du groupe et la création de huit grandes régions en 2007). Dans l’analyse 60 qui suivra, on évoquera largement les éléments issus d’un entretien avec Gérard Chalté , membre du comité de direction de la région Western Europe et directeur des ressources humaines de cette région. Selon lui, près de soixante ans en arrière (la première implantation française, à Morhange, date de 1959), les problématiques auxquelles était confronté le groupe étaient très différentes de celles auxquelles il doit faire face aujourd’hui. REHAU était en effet une entreprise essentiellement germanique et le marché allemand représentait en conséquence la quasi-totalité de son chiffre d’affaires. Mais dans le cadre de la croissance de la firme, une prospection d’autres marchés européens avait été lancée. L’étude du marché français a rapidement montré qu’implanter une agence commerciale à Paris ne suffirait pas pour y être présent durablement. Dans un contexte où la politique économique était encore davantage tributaire des frontières nationales (pour ce type d’entreprises en particulier, les barrières douanières nécessitaient d’occuper le marché en y implantant des sites), la création d’une nouvelle base logistique, d’une nouvelle unité de production en France semblait indispensable. Après que cette décision a été prise, différents facteurs ont déterminé le choix de la Lorraine : le premier a été la proximité avec les frontières allemandes pour faire en sorte que le barrage de la langue soit moins important. Le deuxième était en lien avec la phase de restructuration industrielle dans le bassin lorrain (qui a bel et bien commencé dès cette époque : les éléments évoqués tout au long du mémoire au sujet de la désindustrialisation et des dangers de la mono-industrie en Lorraine ne datent donc pas d’hier !) : la présence d’une main d’œuvre héritière d’un fort passé industriel, donc détentrice d’un savoir-faire a joué un rôle majeur. Certes, ce savoir-faire n’était pas propre aux productions de REHAU, mais l’existence d’une vraie culture industrielle (selon les mots de M. Chalté) était essentielle. Le troisième élément est plus spécifique à la stratégie de REHAU : ayant localisé un espace proche des gros bassins industriels (la sidérurgie fonctionne très bien à l’époque, le charbon, malgré les premières restructurations a encore de belles années devant lui et la chimie est 59 La région « Western Europe » regroupe en effet la France, la Belgique, les Pays-Bas, le Luxembourg, la Suisse et les pays du Maghreb 60 Entretien daté du 28 février 2013 DECHOUX Christophe - 2013 55 Quelle place pour la Lorraine dans la Grande Région et dans l'Union européene ? Etude des dynamiques économiques d'une région au coeur de différents espaces européens en pleine expansion), REHAU a pour principe de s’installer en périphérie de ces zones et non au cœur de ces dernières (pour des questions de stabilité de la main-d’œuvre dont la formation pour acquérir un savoir-faire spécifique est longue ; des expériences passées avaient en effet prouvé que les « flux migratoires du personnel » étaient nettement plus importants au cœur des bassins industriels (Morhange étant à l’inverse au cœur de la région Lorraine et de l’Europe, mais pas nécessairement un carrefour, dans la mesure où les périmètres environnants sont loin d’être très dynamiques). Si l’on résume, l’obstacle de la langue, la culture industrielle locale et la volonté de s’implanter en périphérie des principaux bassins industriels ont déterminé le choix de Morhange et de la Lorraine dans le cas de REHAU. L’entreprise compte actuellement environ 800 employés en Moselle, dont 200 travaillent dans des bureaux pour la partie administrative liée à la fonction de siège de la région Western Europe. 1.1.2 Les implantations de REHAU dans le monde Source : site internet de REHAU En Europe, REHAU compte 86 agences commerciales et 25 usines, avec une tendance au développement en Europe de l’Est au cours des dix dernières années. Le centre administratif du groupe d’entreprises, le Controlling et la centrale d’achat ont leur siège à Muri (Suisse). 56 DECHOUX Christophe - 2013 Partie II : compétitivité régionale et perspectives d’avenir de la Lorraine saisies à travers le prisme des acteurs économiques : cas de l’entreprise REHAU Source : site internet de REHAU Les activités de production étant très spécifiques chez REHAU (comme pour la majorité des grandes firmes industrielles), l’exemple des implantations de l’entreprise en France nous donnera un éclairage sur les différentes composantes de celle-ci. En plus des quatre agences commerciales de Paris, Lyon, Agen et Metz et du siège administratif de Morhange, REHAU compte en effet trois sites majeurs qui correspondent à un large spectre de l’activité productive. A Morhange, le savoir-faire qui est principalement exploité est celui de l’extrusion. Sont notamment produits dans le secteur du bâtiment des profilés de fenêtre ainsi que des goulottes électriques. Dans le secteur de l’automobile, ce sont des baguettes de portes et des joints qui constituent l’essentiel de la production. Enfin, pour le secteur de l’industrie, on produit entre autres des mains courantes, des couvertures de piscine pour l’Europe et au-delà. DECHOUX Christophe - 2013 57 Quelle place pour la Lorraine dans la Grande Région et dans l'Union européene ? Etude des dynamiques économiques d'une région au coeur de différents espaces européens Le site de Bourges est également spécialisé dans l’extrusion. On y produit principalement des tubes et autres matériaux utiles dans le domaine des travaux publics, notamment en PE-Xa (savoir-faire spécifique). Enfin, à Poix-de-Picardie où le savoir-faire exploité est celui de l’injection-soufflage, on produit principalement des composantes pour l’industrie automobile. On remarque ainsi que la France et plus spécifiquement le Nord-Est du pays polarise l’essentiel des activités de REHAU Western Europe, avec les trois usines de cette « grande région », les quatre sites de stockage (Morhange, Bourges, Paris et Lyon) ainsi que quatre des onze agences commerciales (les autres se situant à Nijkerk (Pays-Bas), Bruxelles (Belgique), Berne, Zurich et Vevey (Suisse) et Casablanca (Maroc). Source : site internet de REHAU 1.2 Comportements, intérêts des différents acteurs économiques 58 DECHOUX Christophe - 2013 Partie II : compétitivité régionale et perspectives d’avenir de la Lorraine saisies à travers le prisme des acteurs économiques : cas de l’entreprise REHAU REHAU est un acteur majeur sur le territoire lorrain. Situé au cœur d’un espace rural (la région de Morhange) dans lequel il emploie quelque 800 personnes, il intéresse à ce titre les collectivités territoriales : en premier lieu la communauté de communes du centre Mosellan (dans laquelle se trouve la ville de Morhange sur laquelle l’entreprise a localisé ses sites de production et bureaux), mais également le Conseil Général de la Moselle et le Conseil Régional de Lorraine. Dans le cadre de notre étude, la rencontre de Claude Bitte, qui est à la fois vice-président du Conseil Général de la Moselle, Président de la commission des affaires économiques, de l’aménagement du territoire et des affaires transfrontalières et président de ladite communauté de communes, a été particulièrement 61 enrichissante . En comparant sa position sur ces questions à celle de Monsieur Chalté, membre du REB (Regional Executive Board) de REHAU Western Europe et directeur des ressources humaines, on réalise à quel point la coopération entre entreprises et collectivités est essentielle dans ce contexte, bien que ces deux acteurs aient des intérêts souvent contradictoires : alors que la firme vise avant tout la rentabilité et n’hésite pas à faire jouer la concurrence entre les espaces européens pour gagner en compétitivité, les collectivités font tout pour conserver l’emploi sur leur territoire. Cela dit, selon les mots de M. Chalté : Il y a deux approches à examiner. D’abord nos rapports avec nos collectivités locales et territoriales. On peut dire globalement qu’elles sont bonnes, il y a un soutien, il y a une volonté du côté des politiques à aider les entreprises, notamment en Lorraine, à aider les entreprises à s’implanter, à leur faciliter la vie, à leur mettre à disposition des infrastructures : c’est notre cas, donc de ce côté-là, je crois qu’il n’y a rien à dire. La problématique est plus dans les moyens qu’ils ont eux, à soutenir les entreprises. Et là c’est un problème de politique gouvernementale, et très clairement entre le discours et la réalité, il y a un monde. Il n’y a aucune volonté, très clairement, je m’exprime régulièrement et je verrai le préfet bientôt, je lui redirai exactement la même chose, il y a un pas que de toute évidence nos fonctionnaires, par méconnaissance souvent du terrain, par les barrières qui sont mises au niveau européen sur la manière d’aborder le soutien aux entreprises ne savent pas franchir : aujourd’hui nous avons un problème. 61 62 Il semblerait donc que compte tenu des moyens dont disposent les collectivités citées plus haut, leur engagement en faveur de l’emploi sur le territoire lorrain soit proportionné, ce qui confirme l’analyse des dotations aux collectivités faite en première partie : la manne financière dont elles disposent ne leur permet cependant pas de faire des miracles. C’est bien la politique gouvernementale que M. Chalté met clairement en cause : il semble indiquer qu’un changement radical d’approche devrait être envisagé. Mais comment définir une ligne générale depuis Paris qui serait adaptée aux besoins extrêmement variables des différentes régions (même si le constat d’une désindustrialisation préoccupante n’est pas seulement un problème lorrain) ? Des outils innovants comme le contrat Etat-Région, qui a pour principe de « mettre un grand coup d’accélérateur afin de cibler des mesures concrètes ayant un 62 impact fort sur le territoire » grâce à une organisation « en étroite collaboration avec les services de la région. En fonction des thèmes abordés, des chefs d’entreprise, responsables de collectivités, personnes qualifiées et experts seront ponctuellement sollicités ». Selon le préfet Nasser Meddah, « il faut aboutir à une mise en cohérence des projets ». Mais le Entretien daté du 16 avril 2013 LAUER Jean-M., « Un plan Etat-Lorraine en mode commando », Le Républicain Lorrain, 26/04/13. DECHOUX Christophe - 2013 59 Quelle place pour la Lorraine dans la Grande Région et dans l'Union européene ? Etude des dynamiques économiques d'une région au coeur de différents espaces européens « Pacte Etat-Lorraine 2016 » reste vague et semble davantage s’appuyer sur les secteurs « traditionnels » que sur de réelles innovations porteuses d’espoir. La nécessité de mettre en place un plan d’action centré sur les enjeux spécifiques de la Lorraine semblent avoir été comprise, mais les outils pour parvenir à ces fins ne sont à ce jour pas encore à la hauteur des enjeux. Ainsi, le soutien des collectivités est actuellement réel, mais limité. Par ailleurs, on retrouve également dans le discours de M. Chalté bon nombre de constats qui sont également ceux du rapport de la Cour des Comptes analysé précédemment, notamment en termes d’environnement dans lequel évoluent les entreprises. La comparaison ne se fait pas ici avec les pays de l’Est, mais bien avec nos proches voisins de la Grande Région et tout particulièrement l’Allemagne. Selon lui, « l’adaptabilité, au niveau de la réglementation en Allemagne est beaucoup plus souple, est beaucoup plus en faveur des industriels qu’en France ». Et de citer plusieurs cas notamment liés à des normes environnementales où les pouvoirs publics allemands sont plus conciliants que leurs homologues français et vont jusqu’à contribuer au financement de certains projets pour aider les entreprises implantées sur leur territoire (cela dit, on peut légitimement se demander si ce type d’aides doivent être tolérées quand elles vont à l’encontre de la protection de l’environnement). Mais ce qui est le plus critiqué, c’est une nouvelle fois l’organisation et les modalités de prise de décision au niveau national, au niveau gouvernemental ou par des administrations / entreprises qui lui sont liées et sont en décalage avec les besoins locaux. Le manque de dialogue, l’inertie, l’incompréhension et plus généralement l’organisation des prises de décisions nationales qui ont des répercussions locales sont un problème important qui touche visiblement plus la Lorraine que ses proches voisins (la Belgique et le Luxembourg sont des pays de plus petite taille, la structure fédérale de l’Etat allemand permet d’éviter ce type d’écueil) : Autre problème qui dépasse les décisions locales, décisions au niveau national de certaines grandes administrations ou entreprises nationales en tant que tel. Les départements auraient intérêt à ce que soient promus tous les approvisionnements des entreprises, des entreprises industrielles par voie ferrée, pour éviter tous ces transports par milliers de camions tous les jours qui dégradent, qui polluent… L’usine de Morhange était approvisionnée par rail pour toutes les matières premières et donc nous avions des trains entiers qui arrivaient et qui dépotaient chez nous. Décision purement économique, mais vue uniquement sous la loupe SNCF, très simplement : le transport matière n’est pas rentable, donc on coupe l’approvisionnement à toutes les entreprises dans les secteurs qui ne nous intéressent plus. Et du jour au lendemain en plus ! Il a fallu qu’on arrive jusqu’à mobiliser les pouvoirs publics, les élus locaux, monter jusqu’au ministère pour avoir un délai ne serait-ce que de 6 mois pour se retourner. Aujourd’hui, résultat des courses, on a des lignes TGV qui passent devant l’usine, on a des trains qui passent sur la ligne Paris-Francfort plusieurs fois par jour devant l’usine, il n’y a plus un seul train de fret qui s’arrête devant pour nous approvisionner en matière première. Remplacement par des camions qui détruisent les routes actuellement, qui nous créent des problèmes de fonctionnement. Maintenant on a un cas où je commence tout doucement à être très inquiet : va arriver le moment des barrières de dégel. Nous n’avons pas en capacité de stockage, de réserve au-delà de 3 jours, pour certaines matières stratégiques. Si pendant une semaine il y a des barrières de dégel et que les 38 60 DECHOUX Christophe - 2013 Partie II : compétitivité régionale et perspectives d’avenir de la Lorraine saisies à travers le prisme des acteurs économiques : cas de l’entreprise REHAU tonnes ne peuvent plus passer, j’arrête l’usine, je mets les gens au chômage technique : réalité d’une réflexion à court-terme d’une entreprise nationale. Par ailleurs, Monsieur Chalté adopte une posture plus que sceptique quand il analyse le rôle de l’Union européenne et son impact sur les dynamiques territoriales lorraines pour les entreprises. Quand on lui demande d’expliciter ce qu’il entend par l’existence de « barrières au niveau européen », il dit la chose suivante : C’est tout simplement que l’Europe est une Europe qui se veut particulièrement libérale et ne laisse donc que très peu de place au soutien des entreprises, sous différentes formes : aides à l’investissement, aides aux créations d’emplois etcetera. Il ne nie pas l’existence d’outils mis en place par les institutions européennes notamment, mais souligne qu’elles ne permettent pas le soutien à l’activité régionale : Il y a un panel qui existe, mais qui est tellement restrictif que de toute évidence, des entreprises comme les nôtres, eh bien nous n’y souscrivons plus maintenant, c’est terminé. Et ce qui est dommage, c’est qu’au niveau européen, il y a une véritable manne financière qui existe, et là c’est un point de vue de l’équipe gouvernementale, puisque ces mannes aujourd’hui vont vers les pays qui font partie de l’Europe, mais qui ont un retard certain sur nous. Une nouvelle fois, la politique gouvernementale est critiquée, mais c’est surtout la manière dont est conçue l’aide aux nouveaux membres dans l’UE à 27 qui renforce la concurrence entre les territoires et pénalise de fait les vieilles régions industrielles d’Europe Occidentale comme la Lorraine. Cette vision est certes très synthétique, mais elle est représentative de la réalité (plus de détails dans le benchmark des pages qui suivent). M. Chalté évoque en particulier le cas des pays de l’Est : Eux touchent par contre les subsides de l’Europe et nous mettent en plus dans des situations particulièrement difficiles. Aujourd’hui notre problématique est la suivante : quand on est actionnaire, par exemple chez REHAU, le choix que l’on a est simple : c’est de dire, allez donc en Roumanie, on vous installe une usine toute neuve avec les subsides de l’Europe, et par ailleurs, on nous dit, maintenez donc l’emploi en France. Voilà, eux touchent l’argent, ont des coûts et donc une compétitivité plus grande, sont mis en concurrence au sein de l’Europe et donc avec une libre-circulation des biens, et bien évidemment en tant qu’actionnaire on doit se poser la question : est-ce que ça vaut la peine que je continue d’investir en Lorraine ? Ou est-ce que ça vaut la peine qu’on me construise à peu de frais une usine, que j’aie du personnel que je qualifie, que je vais former. Que je paie moins cher… Les différences vont de 1 à 7… Au sein de l’Europe. Si on a un actionnaire avec, j’allais dire une stratégie court-terme sur le plan financier, le choix est vite fait. Comme l’indique M. Chalté à la fin de son analyse, la logique financière court-termiste n’est pas le propre d’entreprises comme REHAU, pour plusieurs raisons (philosophie de l’entreprise, coûts d’implantation, aspects stratégiques…). Malgré tout, la situation est fortement préoccupante et nécessite de prendre des mesures adaptées aux enjeux : Je dirais, d’une manière strictement économique, je dis bien strictement économique, nous aurions intérêt à faire des centres de production plus importants dans les pays européens à bas coûts, très clairement. Mais DECHOUX Christophe - 2013 61 Quelle place pour la Lorraine dans la Grande Région et dans l'Union européene ? Etude des dynamiques économiques d'une région au coeur de différents espaces européens derrière cela, il y a une deuxième réflexion qui nous amène nous, à malgré tout temporiser, voire même remettre en cause ce principe là, ce sont les aspects stratégiques. La stratégie de REHAU était et reste toujours d’occuper le marché. Ce qu’il faut savoir, c’est que quand on est dans le haut de gamme, comme nous le sommes, il y a l’image. Et l’image de la fabrication « made in France » est encore quelque chose de très important. Entrent donc dans la réflexion les aspects liés au coût du travail, mais également les aspects stratégiques (occupation du marché, image…), et également les aspects culturels largement évoqués dans la première sous-partie. 1.3 Quel impact pour la stratégie de REHAU à moyen et long-terme ? On a déjà entrevu certains aspects stratégiques dans les paragraphes précédents. La situation peut se résumer ainsi : REHAU est une entreprise dont la présence en Lorraine est historique et a été décidée initialement en fonction de critères précis qui restent pertinents aujourd’hui (proximité culturelle, obstacle de la langue, culture industrielle locale, volonté de s’implanter en périphérie des principaux bassins industriels). Cependant, la volonté d’occuper le marché français ne requiert pas nécessairement de produire à Morhange et des arbitrages pourraient être faits à terme en défaveur de la Lorraine : L’année 2012 a déjà été une année assez difficile, qui nous a permis à peine d’équilibrer les résultats ; 2013 démarre d’une manière particulièrement préoccupante. Très clairement, je pense que la crise que nous connaissons va accentuer les comparaisons entre pays et va vraisemblablement avoir des conséquences sur la stratégie à moyen-terme. On retrouve ici les conséquences logiques de l’analyse explicitée au cours des dernières pages : Les arbitrages, c’est simple. Aujourd’hui, l’économie allemande se porte quand même mieux et à partir de ce moment-là, on peut se poser la question, avec les économies d’échelle, pourquoi produire dans deux unités dont une fonctionne correctement en Allemagne et dégage des marges, parce que le marché le permet, et une deuxième usine qui est en Lorraine, qui est touchée par la crise et qui en définitive, à terme, va dégager un déficit. A Morhange, nous sommes actuellement dans le rouge, et les usines équivalentes en Allemagne dégagent des bénéfices. Pour illustrer la comparaison franco-allemande analysée à la lumière du rapport de la Cour des Comptes sur les prélèvements fiscaux et sociaux, on peut parfaitement prendre le cas de REHAU pour illustrer ses conclusions et expliquer les difficultés actuelles liées aux sites français de l’entreprise : Il y a plusieurs éléments. D’abord, il y a le marché qui fait que, il y a une tension, donc les marges sont tirées vers le bas, c’est clair. Donc le client français n’est pas prêt à payer ce que le client allemand ou le client suisse est prêt à payer. Donc ça c’est un des aspects. Deuxième aspect qui lui est plus problématique à long-terme, c’est le coût du personnel. Le coût du personnel représente à peu près 22% du chiffre d’affaires. Et on a constaté dans les dernières années une hausse du coût salarial en France, avec une accumulation de charges 62 DECHOUX Christophe - 2013 Partie II : compétitivité régionale et perspectives d’avenir de la Lorraine saisies à travers le prisme des acteurs économiques : cas de l’entreprise REHAU nouvelles là-dessus. Résultat, entre l’Allemand moyen et l’ouvrier moyen qui était payé en France, il y avait toujours un delta qui était à peu près de 10% en notre faveur. Celui-ci a disparu en moins de 5 ans. En moins de 5 ans, nos charges ont augmenté de plus de 10% et ont donc rattrapé le niveau des Allemands. Le résultat est facile à comprendre. Le constat et ses enseignements sont donc sévères. Mais si l’on peut attribuer un certain nombre de difficultés que traverse actuellement REHAU à la conjoncture économique, d’autres sont également structurelles et largement dues aux évolutions européennes des dernières années, à mesure que le contexte a changé et que la situation en Lorraine est restée relativement statique (au moins en partie du fait d’éléments qu’elle ne maîtrise pas, principalement en ce qui concerne le coût du travail). Ce sont ces causes profondes qui sont particulièrement préoccupantes et conduisent cette entreprise à envisager des options peu réjouissantes pour le site mosellan : On n’a pas le choix, parce que si le groupe veut continuer à se développer, il faut qu’on dégage suffisamment de résultats pour pouvoir le faire. Or l’accent dans le groupe en ce moment, et ça ce n’est pas un secret, est mis sur deux zones au niveau mondial, qui sont l’Amérique, et notamment l’Amérique du Sud, et la Chine. A partir de ce moment-là, il faut investir, et il faut faire des choix au niveau 63 de l’affectation des investissements. Alors, nous , on a su anticiper, ça j’en suis bien content ; il y a maintenant deux ans, on a obtenu les investissements qui sont de nature à pérenniser le site de Morhange, avec des investissements de l’ordre de 10 millions par an sur 3 ans. Mais aujourd’hui, l’actionnaire a besoin d’investir très lourdement dans d’autres zones de développement : il y aura des choix à faire qui ne se feront certainement pas au bénéfice de Morhange. Heureusement, la stratégie de REHAU en matière d’occupation du marché français grâce à cette implantation historique, au cœur de l’Europe, semble indiquer que tout sera fait pour pérenniser ses emplois, aussi longtemps que les mesures prises lui permettent de rester rentable : Le futur proche, j’aurais tendance à dire que ça sera plus sur des données stratégiques que sur des données économiques à court-terme. L’économie à court-terme devrait nous pousser à faire d’autres choix, très clairement. Il y a par contre un aspect stratégique, pour occuper le marché national, et ça continuera à être, je dirais dans les quelques années à venir, j’allais dire l’approche que va faire REHAU en termes d’industrialisation. Ainsi, l’analyse de la stratégie de REHAU Western Europe (région qui correspond sensiblement à l’espace de la Grande Région qui constitue notre objet d’étude, auquel il faut ici rajouter les Pays-Bas, le Maghreb n’étant pas un débouché essentiel pour REHAU), acteur territorial majeur sur le sol lorrain dépasse largement les limites des régions frontalières de la Lorraine : c’est bien à l’échelle de l’Union européenne et des implications des processus d’élargissement et d’approfondissement de celle-ci qu’il faut raisonner. Pour résumer, il nous a donc paru pertinent de synthétiser l’essentiel des éléments dans un benchmark dont les enseignements sont récapitulés dans le tableau de la page qui suit, en fonction des critères qui influent le plus sur les stratégies des firmes de l’envergure 63 REHAU Western Europe DECHOUX Christophe - 2013 63 Quelle place pour la Lorraine dans la Grande Région et dans l'Union européene ? Etude des dynamiques économiques d'une région au coeur de différents espaces européens 64 de REHAU (des données spécifiques fournies par le REB ont d’ailleurs servi à son élaboration). Y figurent donc la France (avec le site de Morhange), l’Allemagne et diverses implantations d’Europe de l’Est. Le Luxembourg, du fait de la taille réduite de son marché et de l’absence d’implantation de REHAU, au même titre que la Belgique (représentée par une seule agence commerciale, alors que c’est la comparaison des sites de production qui est la plus intéressante pour nous) ne figurent donc pas dans cette comparaison : Pour nous, la Belgique est une zone où nous faisons du business, mais il n’y a pas d’aspects de production à ce niveau-là. C’est une zone qui, par contre, est en forte perturbation, quand même, il faut le savoir, en tout cas dans nos métiers. Je pense que, que ce soit la Belgique et encore plus maintenant les Pays-Bas, ils rentrent maintenant dans une crise qui à mon avis, sera au moins aussi importante que celle qu’on connaît en France. La Hollande a plongé là par exemple, dans les derniers mois, d’une manière effrayante, effrayante. 1.4 Benchmark reprenant les paramètres déterminant la stratégie de 65 REHAU 64 65 Regional Executive Board : Comité de Direction Ce tableau synthétique, dans lequel la majorité des critères sont classés de „+++“ à „- - -“ en considérant le point de vue d’une entreprise comme REHAU s’inspire notamment du document Vergleich der Stundenlöhne in Landeswährung und in Euro (Kurs 28.03.2013) [Rapport], REHAU, 2013, 28 mars 2013 p. en annexe 9 64 DECHOUX Christophe - 2013 Partie II : compétitivité régionale et perspectives d’avenir de la Lorraine saisies à travers le prisme des acteurs économiques : cas de l’entreprise REHAU Critères Salaire horaire brut moyen d’un aide de production en euros (1) Salaire horaire brut moyen d’un opérateur qualifié en euros (1) Salaire horaire brut moyen d’un outilleur en euros (1) Niveau des cotisations employeur (2) Poids de la fiscalité des sociétés sur le coût du travail (2) Flexibilité du travail Image du pays (4) Qualité de la main d’œuvre (5) Attractivité / managers de haut niveau Connaissances linguistiques Convergence culturelle / Allemagne (6) Positionnement géographique (7) Qualité des infrastructures Disponibilité - terrains / Coût du foncier Particularités du tissu productif France / Allemagne Moyenne Hongrie Györ Pologne Srem Russie Gshel Rép. Lorraine Morhange Tch. Moravska Trebova 10,6 13,3 3,0 4,5 3,9 4,5 12,2 14,7 3,6 6,4 5,7 7,6 13,2 15,6 4,4 6,9 7,7 7,9 --- - +++ ++ ++ ++ --- -- + ++ + + --++ +++ + +++ +++ +++ -+ ++ -+ ++ + ++ -+ +++ +++ - - + - ++ +++ + + ++ + ++ +++ ++ + ++ + ++ +++ + + ++ + ++ +++ + + ++ + ++ (8) ++ (8) ++ ++ ++ ++ Présence historique Centre historique, réseau Nouveau pays de l’UE Nouveau pays de l’UE Marges de Nouveau l’Europe pays de l’UE (1) Moyenne des données figurant dans le tableau en annexe 9 pour trois métiers représentant une majorité des effectifs de REHAU (2) Ces évaluations s’inspirent de l’étude comparée du coût du travail faite en I.2.3. et de Taxation trends in the European Union [Rapport], Commission européenne, 2013, 316 p. (3) On entend par là le rôle des contraintes, notamment en matière de droit du travail, qui compliquent les prises de décision et rendent les adaptations au marché plus difficiles (4) On reprend ici l’analyse de M. Chalté quand il souligne l’importance du « Made in France » / « Made in Germany » (5) Les sites historiques dans les bassins industriels de la vieille Europe ont pour avantage de bénéficier d’une main d’œuvre héritière d’un savoir-faire particulier. On notera DECHOUX Christophe - 2013 65 Quelle place pour la Lorraine dans la Grande Région et dans l'Union européene ? Etude des dynamiques économiques d'une région au coeur de différents espaces européens également de nettes améliorations en peu de temps dans les pays de l’Est (le recours aux formations en interne devant toutefois conduire à nuancer l’importance de ce critère) (6) S’agissant d’une entreprise familiale empreinte de culture allemande, ce critère est ici à relever et a joué un rôle important dans le choix de la Lorraine (7) Il s’agit surtout d’évaluer la complémentarité des installations avec l’ensemble des sites et projets du groupe. Par exemple, afin d’occuper le marché russe, c’est précisément la distance du site de Gshel avec les autres implantations en Europe qui rend son positionnement intéressant (8) Soutien déterminant des collectivités dans les vieux pays d’Europe de l’Ouest (selon M. Chalté). Critère qui n’est cependant pas le plus important dans la stratégie de REHAU Contrairement à ce qu’on pourrait penser, la main d’œuvre dans les pays de l’Est est qualifiée, et dans la mesure où la formation REHAU est spécifique, former un Tchèque ou un Français aboutit sensiblement au même résultat (certains travailleurs sont mêmes surqualifiés dans les pays de l’Est, selon l’analyse de G. Chalté) : la spécificité de cette entreprise par rapport à d’autres types d’industries, du fait de standards de production quasi invariables selon les localisations (et d’une stratégie d’implantation dans un pays pour atteindre et inonder son marché) est que dans ces créneaux, la qualité d’une main d’œuvre bien formée est sensiblement la même partout (donc avec des coûts 3 à 4 fois moins élevés à l’Est pour un résultat équivalent). Le processus de rattrapage des pays récemment entrés dans l’UE à 27 (et très prochainement 28) a donc pour conséquence de décupler la concurrence dans ce secteur, aux dépends des vieux pays de l’Europe occidentale. 2. Vers un rebond de la Lorraine ? Eléments concernant sa place dans les dynamiques territoriales, jeux d’acteurs et analyse prospective L’idée des développements qui vont suivre consiste à faire une synthèse de la place de la Lorraine à la lumière des différentes analyses que nous avons pu faire jusqu’ici, aussi bien en matière de coopération politique que d’éléments relevant davantage du registre économique. Nous tenterons enfin de faire quelques propositions pour renforcer la place de la Lorraine au cœur de la grande Région. On l’a vu à travers ces différentes analyses et à la lumière d’entretiens avec des acteurs de l’économie territoriale (aussi bien publics que privés) : la Lorraine est une région qui traverse actuellement une période extrêmement difficile, mais le choc lié au déclin de ses industries traditionnelles semblait difficile à éviter quand on s’intéresse de près à l’Histoire économique régionale, selon Roger Cayzelle, Président du Conseil Economique, Social et 66 Environnemental de Lorraine . Doit-on pour autant se résigner et faire le constat que cette situation qui tend à perdurer depuis plusieurs décennies et que la crise actuelle n’a fait qu’aggraver est le signe d’une paupérisation irrémédiable de l’espace lorrain ? En aucun cas. 66 66 Entretien avec Monsieur Cayzelle daté du 14 mai 2013 DECHOUX Christophe - 2013 Partie II : compétitivité régionale et perspectives d’avenir de la Lorraine saisies à travers le prisme des acteurs économiques : cas de l’entreprise REHAU 67 Comme le rappelle Patrick Weiten , Président du Conseil Général de la Moselle, cette région est dans une situation unique en France, dans la mesure où elle se situe aux frontières du Luxembourg, de l’Allemagne et de la Belgique, en plein cœur de l’Europe, et que cet atout est à ce jour insuffisamment exploité. Jusqu’à la première décennie 2000, elle avait certes des relations économiques importantes avec ses proches partenaires (exportations, flux de travailleurs…), mais la majeure partie des acteurs était loin de mesurer à quel point l’approfondissement de la coopération sur tous les plans était essentielle. Monsieur Weiten rappelle que quelques jours après son élection à la présidence du Conseil Général de la Moselle en 2011, il a été le premier représentant mosellan à rendre visite à Jean-Claude Juncker, alors premier ministre du Luxembourg et président de l’Eurogroupe ! Si une forme de méfiance et de jalousie a longtemps prédominé dans nos rapports avec nos proches voisins qui se portent mieux que nous (malgré notre ouverture sur ces espaces, les critiques à l’égard de l’Allemagne et du Luxembourg dans les secteurs où ils prospèrent sont légion), il est grand temps de réaliser à quel point nous sommes dépendants de leur réussite autant qu’ils ont intérêt à nous voir réussir ! Sans les travailleurs transfrontaliers lorrains, le Luxembourg serait actuellement en grande difficulté, mais nous aussi. Ce n’est pas a priori l’impulsion européenne de Jean-Pierre Masseret, Président du Conseil Régional de Lorraine (et de son représentant à la présidence de la Grande Région 68 sur la période 2011-2013, Jean-Jacques Sans ) qui, malgré des initiatives ambitieuses 69 pour faire de la Grande Région un « laboratoire de l’Europe » (Déclaration de Berlin , 70 voir également le Cadre Stratégique ), suffira à favoriser une coopération institutionnelle qui part de très loin. Mais cela prouve au moins qu’une forme de volontarisme politique se manifeste de plus en plus. Cela dit, MM. Cayzelle et Weiten s’entendent pour dire qu’actuellement « La Grande Région ne produit rien » (et la majorité des citoyens de cette région, pour qui les frontières de cet espace sont inconnues, ne les contredirait pas). Le bilatéral serait selon eux un mode de coopération plus adapté. Ce n’est pas la réunion trimestrielle de quelques acteurs politiques majeurs qui, à elle seule, peut conduire à une coopération durable à la mesure des enjeux auxquels nous devons faire face actuellement. Cela signifie-t-il pour autant que nous allons droit dans le mur ? Absolument pas, même si beaucoup de chemin reste à parcourir. Cela tendrait plutôt à prouver que les réalisations concrètes, le pragmatisme au quotidien comptent plus dans la construction de la Grande Région que les dynamiques institutionnelles. M. Weiten aime rappeler que le socle du traité de l’Elysée, la célèbre déclaration de Robert Schuman, père de l’Europe, est le fait d’un Mosellan convaincu (originaire de ScyChazelles). C’est bien une communauté européenne fondée sur des produits massivement issus dans la Grande Région, le charbon et l’acier, qui a permis la reconstruction de nos pays après la deuxième guerre mondiale. Certes, l’époque où la prospérité de ces espaces dépendait de ces ressources est révolue, mais de nouveaux défis doivent être relevés, et il est insensé de penser qu’ils se feront sans coopération avec nos voisins dans une région comme la Lorraine ! Il est temps pour nous de contribuer au changement de l’image de cette belle région et de remplacer l’image que véhiculent ses ambassadeurs actuels comme Edouard Martin 67 68 69 Entretien avec Monsieur Weiten daté du 14 mai 2013 Entretien avec Monsieur Sans daté du 17 avril Déclaration commune 13ème sommet de la Grande Région [Rapport], Abbaye des Prémontrés, Pont-à-Mousson, Sommet des exécutifs de la Grande Région, 2013, 18 p. 70 Cadre stratégique de la Grande Région [Rapport], Grande Région, 2012, 122 p. DECHOUX Christophe - 2013 67 Quelle place pour la Lorraine dans la Grande Région et dans l'Union européene ? Etude des dynamiques économiques d'une région au coeur de différents espaces européens (symbole du combat perdu de l’industrie sidérurgique et d’une Lorraine qui décline) dans l’imaginaire collectif. Certes, la mise en concurrence des territoires a été renforcée depuis une vingtaine d’années et plus encore avec l’entrée dans l’Union européenne des pays de l’Est : la comparaison des coûts du travail faite précédemment achève donc de prouver que ce n’est plus sur la production de produits industriels de basse ou moyenne gamme que pourra s’appuyer l’économie de notre région. Des projets visant actuellement à développer l’apprentissage de la langue de nos voisins, à mieux relier la Lorraine aux espaces européens voisins (et notamment à Trèves, ville d’origine de Karl Marx, qui de ce fait figure parmi les premières destinations européennes des Chinois), à développer l’économie locale (le projet de plateforme sino-européenne Terra Lorraine est loin de faire l’unanimité, mais il témoigne malgré tout de dynamiques qui s’enclenchent) voient le jour. Les difficultés sont donc réelles (nous avons essayé d’analyser un maximum d’entre elles, on peut également citer le manque de recherche privée - la moitié des fonds qui y sont consacrés sont encore le fait d’Arcelor-Mittal, alors même qu’il tend à quitter la région – ou encore le solde naturel qui est loin d’être encourageant), mais les perspectives d’avenir également et passent à tous les niveaux par la coopération et le changement progressif de l’image que nous donnons de cette région (M. Cayzelle parle de la nécessité de « casser la bulle de Florange »). C’est par la mise en réseau de nos villes et territoires, en Lorraine et au sein de la Grande Région et en jouant à fond la carte de nos complémentarités que nous en sortirons par le haut : j’en suis convaincu. Conclusion La réponse à la question posée initialement est sans appel : certes, l’approfondissement de l’intégration européenne et la concurrence accrue liée à l’existence d’un marché commun sont des réalités auxquelles il est indispensable de s’adapter, mais l’Union européenne représente avant tout un faisceau d’opportunités, qui, bien exploitées, aideront à coup sûr la Lorraine à aller au-delà des difficultés qu’elle traverse actuellement. S’il est vrai que les enjeux spécifiques liés à l’économie régionale sont souvent mal perçus au niveau national (où aucune réponse durable à la dérive des coûts du travail n’a à ce jour été apportée), ce qui constitue un handicap réel, car les moyens d’y répondre en dépendent largement, les projets en cours et le dynamisme des acteurs locaux sont malgré tout de nature à redonner un peu d’espoir. L’Etat français et la Région Lorraine doivent se donner, conjointement, les moyens d’un projet innovant, stimulant et structurant l’émergence d’un nouveau territoire économique transfrontalier. L’outil d’un Contrat particulier que nous avons évoqué plus haut donnerait pleine dimension et lisibilité à cette ambition. Il doit être le « chapeau » ou le document cadre d’une stratégie nationale et 71 régionale En bâtissant une stratégie de long-terme pour la Lorraine, qui impliquerait aussi bien les acteurs publics (c’est-à-dire fondée sur une réelle coopération entre collectivités territoriales et au-delà grâce à nos partenaires transfrontaliers) que privés dans des secteurs d’avenir à haut potentiel comme celui de l’énergie ; en exploitant au maximum les atouts liés à la position géographique privilégiée de la Lorraine (par exemple en créant des clusters transfrontaliers), elle pourra devenir un véritable carrefour de l’Europe, j’en suis convaincu. 71 L’enjeu transfrontalier au coeur du développement de la Lorraine - une urgence�: le Luxembourg[Rapport], CESEL, 2007, 50 p : proposition reprise dans le pacte Etat-Lorraine 2016 68 DECHOUX Christophe - 2013 Partie II : compétitivité régionale et perspectives d’avenir de la Lorraine saisies à travers le prisme des acteurs économiques : cas de l’entreprise REHAU Ce constat a été fait depuis des années, et pour que ces belles paroles ne restent pas un vœu pieu, il convient de faire ces choix stratégiques pour enfin se doter des moyens opérationnels des ambitions lorraines, en allant jusqu’au bout de la logique. S’il est très difficile, voire absurde, de proposer une série de mesures sans considérer le panel de défis évoqués dans leur ensemble, il me semble malgré tout que deux pistes, aussi indispensables l’une que l’autre, doivent à tout prix être explorées dans un futur proche. La première concerne la coopération politique en matière de développement économique : au niveau de la région Lorraine, elle passe par une concertation plus importante des conseils généraux et régional qui pourrait même aller jusqu’à la fusion de ces collectivités. Au niveau de la Grande Région, il me paraît essentiel, si l’objectif est de 72 faire de cet espace un « laboratoire de l’Europe » , que la Lorraine puisse s’exprimer d’une seule voix. La seconde concerne la philosophie avec laquelle doivent être entreprises les actions visant à donner un nouveau cap à l’économie régionale. Tant que le Luxembourg sera présenté comme un adversaire qui capte nos ressources humaines et flux économiques avant d’être présenté comme un modèle de reconversion et la source de dizaines de milliers d’emplois transfrontaliers ; tant que le voisin allemand sera jalousé pour les réformes structurelles qu’il a eu le courage de faire et que l’ « Europe » sera considérée comme la source de tous les maux, il sera difficile d’aller de l’avant. Par ailleurs, au cours d’un débat datant du 6 avril 2013 dans le cadre du Forum Libération à Strasbourg, l’eurodéputée Sandrine Bélier nous rappelle que pour qu’une réelle adhésion au projet européen se fasse, la coopération transfrontalière ne doit pas être qu’économique : Le but de la coopération transfrontalière est d'améliorer des relations de voisinage, or on s'est contenté de cet objectif sans véritablement passer le cap du projet commun et sans aller au-delà des relations interétatiques, on n'est pas allé jusqu'à développer une gouvernance interétatique, un nouveau pouvoir politique (légitimité par le vote des citoyens franco-allemands), on n'a pas dépassé le transnational. Les collectivités tentent d'améliorer les relations sans avoir un nouveau projet. La coopération transfrontalière participera à la création d'une entité, d'une instance territoriale qui aura vocation à participer à la construction de l'Union européenne. On ne passe pas le cap du collectif, de l'imaginaire du projet européen. Il faut absolument intégrer la question de la société civile. Il faut redéfinir la citoyenneté en réintroduisant les citoyens à participer à la décision par le biais transfrontalier. Il est donc fondamental de favoriser l’approfondissement de l’intégration dans cette région au cœur de l’Europe, en utilisant l’outil de la coopération politique comme un moyen pragmatique de donner l’impulsion nécessaire à une coopération économique vitale pour l’avenir de la Lorraine et de la Grande Région. Ceci doit être fait en portant une attention toute particulière à ce que les citoyens de cet espace se sentent davantage impliqués dans les processus en cours. Pour ce faire, un réel effort de pédagogie de la part des gouvernants de la Grande Région est nécessaire, afin de parvenir à un projet fédérateur basé sur les principaux atouts de cet espace. 72 Déclaration commune 13ème sommet de la Grande Région [Rapport], Abbaye des Prémontrés, Pont-à-Mousson, Sommet des exécutifs de la Grande Région, 2013, 18 p. DECHOUX Christophe - 2013 69 Quelle place pour la Lorraine dans la Grande Région et dans l'Union européene ? Etude des dynamiques économiques d'une région au coeur de différents espaces européens Bibliographie Rapports Calzada Christian et Ognier Alain, Les espaces urbains lorrains#: entre agglomération et dispersion [Rapport], Insee Lorraine, 2008. Capet Stéphane, La réforme du marché du travail en Allemagne#: les enseignements d’une maquette [Rapport], Centre d’Etudes Prospectives et d’Informations Internationales, 2004, 56 p. 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Etude des dynamiques économiques d'une région au coeur de différents espaces européens Annexe 2 : PIB par habitant en 2007 dans les différentes régions françaises Annexe 3 : financement du programme INTERREG IV A Grande Région 76 DECHOUX Christophe - 2013 Annexes Annexe 4 : financements européens de projets de développement concernant la Lorraine DECHOUX Christophe - 2013 77 Quelle place pour la Lorraine dans la Grande Région et dans l'Union européene ? Etude des dynamiques économiques d'une région au coeur de différents espaces européens Annexe 5 : principaux IDE allemands dans l’industrie et les services en Lorraine en 2008 78 DECHOUX Christophe - 2013 Annexes DECHOUX Christophe - 2013 79 Quelle place pour la Lorraine dans la Grande Région et dans l'Union européene ? Etude des dynamiques économiques d'une région au coeur de différents espaces européens Annexe 6 : coût horaire de la main d’œuvre en 2008 dans l’industrie manufacturière et les services marchands 80 DECHOUX Christophe - 2013 Annexes Annexe 7 : niveau du coût de l’heure de travail dans l’industrie, les services marchands et l’industrie manufacturière DECHOUX Christophe - 2013 81 Quelle place pour la Lorraine dans la Grande Région et dans l'Union européene ? Etude des dynamiques économiques d'une région au coeur de différents espaces européens 82 DECHOUX Christophe - 2013 Annexes Annexe 8 : documents du rapport de la Cour des Comptes comparant les prélèvements fiscaux et sociaux en France et en Allemagne DECHOUX Christophe - 2013 83 Quelle place pour la Lorraine dans la Grande Région et dans l'Union européene ? Etude des dynamiques économiques d'une région au coeur de différents espaces européens 84 DECHOUX Christophe - 2013 Annexes DECHOUX Christophe - 2013 85 Quelle place pour la Lorraine dans la Grande Région et dans l'Union européene ? Etude des dynamiques économiques d'une région au coeur de différents espaces européens 86 DECHOUX Christophe - 2013 Annexes DECHOUX Christophe - 2013 87 Quelle place pour la Lorraine dans la Grande Région et dans l'Union européene ? Etude des dynamiques économiques d'une région au coeur de différents espaces européens 88 DECHOUX Christophe - 2013 Annexes DECHOUX Christophe - 2013 89 Quelle place pour la Lorraine dans la Grande Région et dans l'Union européene ? Etude des dynamiques économiques d'une région au coeur de différents espaces européens Annexe 9 : comparaison des coûts horaires par type de métier et pays dans l’entreprise REHAU 90 DECHOUX Christophe - 2013 Annexes Vergleich der Stundenlöhne in Landeswährung und in EURO (Kurs 28.03.2013) Lohngruppe 26 - Betriebswerker / Hilfstätigkeit (aide de production) Land Standort Frankreich Ungarn Russland Morhange Euro Györ Forint (HUF) Gshel Russischer Rubel (RUB) Srem Zloty (PLN) 16,81 Moravska Tschechische 99,90 Trebova Kronen (CZK) Polen Tschechien Deutschland Währung Brandbreite von bis Währung Brandbreite von Euro 9,76 810,00 1045,00 Euro 2,66 135,26 177,00 Euro 3,41 20,67 Euro 130,00 Euro 4,02 3,88 bis 11,46 3,43 4,46 4,94 5,04 Durchschnitt 13,33 Lohngruppe 02 - Maschinenführer (opérateur qualifié) Land Standort Frankreich Ungarn Russland Morhange Euro Györ Forint (HUF) Gshel Russischer Rubel (RUB) Srem Zloty (PLN) 21,89 31,28 Euro Moravska Tschechische 151,00 238,30 Euro Trebova Kronen (CZK) Polen Tschechien Deutschland Währung Brandbreite von bis Währung Brandbreite von Euro 9,93 950,00 1220,00 Euro 3,12 176,07 272,20 Euro 4,44 5,23 5,86 bis 14,41 4,01 6,86 7,48 9,24 Durchschnitt 14,69 Lohngruppe 51 - REHAU Fachhandwerker (outilleur) Land Standort Frankreich Ungarn Russland Morhange Euro Györ Forint (HUF) Gshel Russischer Rubel (RUB) Srem Zloty (PLN) 24,22 33,79 Euro Moravska Tschechische 168,20 236,80 Euro Trebova Kronen (CZK) Polen Tschechien Deutschland Währung Brandbreite von bis Währung Brandbreite von Euro 10 1190,00 1475,00 Euro 3,91 241,36 372,77 Euro 6,08 5,79 6,52 bis 16,4 4,85 9,39 8,08 9,19 Durchschnitt 15,64 Résumé DECHOUX Christophe - 2013 91 Quelle place pour la Lorraine dans la Grande Région et dans l'Union européene ? Etude des dynamiques économiques d'une région au coeur de différents espaces européens Héritière d’un passé monoindustriel qui lui impose aujourd’hui des changements profonds et douloureux, les difficultés actuelles de la Lorraine sont amplifiées par la crise économique qu’elle traverse. Mais elle dispose d’atouts majeurs pour exister dans un environnement européen ultra concurrentiel où les grandes entreprises n’hésitent pas à délocaliser bon nombre d’activités de production (dans les pays de l’Est à coût salarial unitaire nettement inférieur, notamment). Par ailleurs - et l’exemple de l’entreprise REHAU le prouve - le positionnement géographique de la Lorraine, aux frontières de l’Allemagne, du Luxembourg et de la Belgique, au cœur de la Grande Région et de l’Union européenne, s’il est combiné avec une stratégie ambitieuse de mise en valeur du territoire assortie des moyens opérationnels et d’une réelle volonté de coopération (public-privé, entre collectivités territoriales…) permettra à coup sûr à cette région de repartir de l’avant. Wegen seiner monoindustriellen Vergangenheit muss Lothringen tiefe und schmerzhafte Veränderungen verkraften. Diese Schwierigkeiten werden durch die heutige Wirtschaftskrise verstärkt. Die Region verfügt aber über verschiedene Trümpfe, die ihr ermöglichen können, in einer von Wettbewerb geprägten europäischen Umgebung (wo große Firmen immer öfter Produktionsaktivitäten in Ostländer mit niedrigeren Kosten outsourcen) sich weiter zu entwickeln. Das Beispiel REHAUs zeigt uns, dass die geographische Lage Lothringens - neben Deutschland, Luxemburg und Belgien, im Herzen der Großregion und der europäischen Union - viel Hoffnung für die Zukunft mit sich bringt. Der Standortvorteil in Kombination mit einer ehrgeizigen Strategie, untermauert durch konkrete Mittel und einem echten Kooperationswillen zwischen öffentlichen und privaten Akteuren sowie Gebietskörperschaften, kann die Region wieder nach vorne bringen. 92 DECHOUX Christophe - 2013