Rénover le marketing bancaire
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Rénover le marketing bancaire
Prospective bancaire Badoc/ 10/06/04 10:58 Page 2 Marketing bancaire Rénover le marketing bancaire Longtemps confiné à la réflexion sur les besoins des clients et à l’appui des actions liées au développement, le rôle du marketing bancaire est appelé à se rapprocher de la direction générale et à toucher de plein fouet les projets stratégiques des institutions. Une enquête 1 réalisée à partir d’interviews auprès de dirigeants et collaborateurs d’institutions financières au cours des quatre dernières années a permis d’élaborer la pyramide concernant la vision des principales évolutions du marketing (schéma 1) sur la période 2000-2010 comparée à la précédente décennie. Cette enquête a constitué une base de réflexions pour les idées développées au long de cet article. ■ Créer un dispositif de « gestion de la relation distribution » Élément fondamental de la politique de fidélisation des clients et d’optimisation de la valeur, le système actuel de GRC (Gestion de la relation client) en anglais CRM (Customer relationship management) a besoin d’être achevé et bien souvent amélioré. Le marketing doit contribuer à cette évolution et engager des actions permettant de simplifier le dispositif actuel afin qu’il devienne moins onéreux pour l’entreprise et évite de noyer les utilisateurs par des flots d’informations, certes intéressantes, mais peu utiles sur le plan opérationnel. Il lui faut particulièrement : • s’attacher à l’orienter délibérément vers les possibilités de répondre aux attentes des clients plutôt que vers la réso- * Michel Badoc est auteur de nombreux articles et ouvrages dans cette discipline. Son dernier livre, en collaboration avec Élodie Trouillaud, Réinventer le marketing de la banque et de l’assurance, publié par Revue Banque Édition, vient de paraître, tél. 01 48 00 54 09. 2 BANQUEstratégie n° 216 – juin 2004 lution de problèmes internes aux institutions. L’utilisation de la GRC par certains centres d’appel ou call centers est à repenser en profondeur à partir de cette voie ; • créer un dispositif de GRD (Gestion de la relation distribution) dans une optique comparable à celle qui a présidé à la mise en œuvre de la GRC. Harmoniser étroitement les relations entre les deux dispositifs ; • savoir intégrer au cœur du dispositif de la GRC, l’inéluctable évolution des banques vers de nouveaux métiers (l’assurance, l’immobilier…) à partir d’une approche globale du client. La mise en place d’une distribution multicanaux Commencée au début des années 2000, à l’image de l’expérience 4D menée en France par la Société Générale, la mise en place d’une distribution multicanaux constitue, à l’optique 2010, un important projet stratégique pour la plupart des banques européennes. Le marketing est appelé à y apporter sa collaboration dans plusieurs domaines : • reconcevoir le rôle et l’« opérationnalité » des centres d’appels pour en faire de véritables outils destinés à améliorer la relation avec les clients et les réseaux dans le cadre de la politique multicanaux. C’est encore malheureusement loin d’être le cas. Certains clients ne supportent plus d’être satellisés dans le système avec l’impossibilité d’obtenir les informations précises dont ils ont besoin Michel Badoc * Professeur de marketing HEC auprès de leur correspondant dans des délais raisonnables. Les collaborateurs du réseau ne sont pas mieux servis. Dans une importante banque française, les agences reçoivent chaque jour de la part des centres d’appels les e-mails les concernant et sont sollicitées pour y répondre rapidement. Le problème est que ces e-mails leur parviennent par fax ! • songer à la création de marques distinctives de distribution lorsque les réseaux, de plus en plus multiples, intégrés dans la stratégie multicanaux, se retrouvent en concurrence directe auprès des mêmes clients avec des offres de produits et services semblables. La création d’une image de marque distinctive Après des années de quasi-indifférence sur ce sujet, les banques européennes s’aperçoivent qu’au-delà de la notoriété, rares sont celles qui bénéficient actuellement d’une marque. Les directions commencent à ressentir le danger que peut présenter cette absence d’image pour leur institution. Une réponse à l’interrogation simple : « Qu’estce qui fera qu’un client ouvrira demain la porte d’une agence BNP Paribas, Crédit Lyonnais, Caisse d’épargne, La Poste… ou toute autre enseigne en dehors de la proximité ou du tarif le plus bas » ? interpelle désormais les états-majors. Faute de pouvoir apporter une réponse rapide à cette interrogation, les gagnants du futur auprès de la clientèle des particuliers sont déjà connus. Ce seront soit les institutions les mieux implantées ou offrant Badoc/ 10/06/04 10:58 Page 3 Marketing bancaire 1. Evolution du marketing optique 2010 Principales orientations du marketing Années 2000-2010 Principales orientations du marketing Années 1995-2000 … au marketing management Du marketing… Part de marché Quantitiés vendues - Qualité Notoriété - Image Optique métier Centralisé hiérarchique Marketing de masse Segmentation le plus de contacts avec le public, soit celles qui pratiquent les prix les plus avantageux. La Poste, les chaînes de super et hypermarchés se situent déjà en excellente position. Les futurs discounters de la distribution électronique ne manqueront pas de réapparaître. Ils deviendront de sérieux concurrents fondant leur politique sur la baisse des tarifs au niveau des produits et services de base. Seul l’attrait d’une marque distinctive attractive, comme cela est le cas dans la grande distribution : Darty, Fnac, Leclerc… peut permettre de briser cette dangereuse logique en donnant aux consommateurs des raisons objectives de choisir une enseigne particulière en dehors des deux critères précédemment mentionnés. La marque devient dans les groupes multinationaux de nombreux secteurs d’activités, un important facteur permettant de créer une culture commune à travers l’ensemble des filiales internationales. Ce souci a déjà interpellé des sociétés d’assurance telles qu’Axa, ING, Aviva… Certaines banques multinationales comme HSBC s’interrogent sur cette opportunité. Le rôle du marketing sera fonda- Marketing stratégique Part de client, création de valeur Qualité - Légitimité Identité - Marque Diversification Marketing organisationnel Marketing opérationnel mental pour appuyer la création d’une politique de marque pertinente pour les banques européennes, tant au niveau national que global. L’ouverture vers de nouveaux marchés Au-delà de la nécessité de développer un sens du client à travers toute l’institution, un nombre accru de directions pensent qu’il est temps de créer un sens de l’actionnaire, des collaborateurs, des intermédiaires, plus largement de l’ensemble des partenaires situés sur la chaîne de valeurs des sociétés financières. Les méthodes marketing semblent bien adaptées pour apporter un éclairage à cette préoccupation et aider les enseignes à y répondre. Certaines institutions de la banque et de l’assurance songent déjà, comme le montre le schéma 2, à demander à cette discipline d’élargir le spectre de ses attributions afin d’apporter sa collaboration dans ces différents domaines. La récente aventure d’Eurotunnel avec ses actionnaires minoritaires risque de sensibiliser les états-majors à l’intérêt d’anticiper les préoccupations de ces International Décentralisé Transversal par projets Mobilisateur Marketing Marché-distribution Relationnel Technologique one to one Clientèle des particuliers des entreprises business to business, des professionnels derniers et de mettre en place une meilleure politique relationnelle avec eux. Le rôle joué par les analystes financiers, désormais capables de s’informer, à partir d’internet, sur les politiques de développement menées par un groupe international sur toute la planète et de leur cohérence, mérite d’être bien appréhendé à partir d’études relevant de la démarche marketing. Les conséquences que cette évaluation peut engendrer pour la valorisation des sociétés deviennent une préoccupation prioritaire de nombreux dirigeants. Au-delà de la qualité des offres, les banques, comme les grandes entreprises du monde industriel, sont appelées à justifier leur légitimité dans le contexte national et international où elles évoluent. Elles le sont d’autant plus qu’elles sont loin d’être à l’abri de risques majeurs (escroqueries, prises de risques démesurés, blanchiment, soutien financier d’entreprises polluantes…) qui, même s’ils ne sont pas pris délibérément peuvent, en dégradant leur image, altérer leur développement. L’élaboration de stratégies inspirées par les préceptes du développement durable fait partie du souci des BANQUEstratégie n° 216 – juin 2004 3 10/06/04 10:58 Page 4 Marketing bancaire 2. L’ouverture vers de nouveaux marchés nnement Enviro Clients Concurrence Concurrence Banque Société d'assurance Ressources financières (actionnaires) Ressources en main-d'œuvre nnement Enviro Environnement Marketing amont Marketing aval Concurrence Prescripteurs, distributeurs Concurrence nnement Enviro Badoc/ dirigeants se préoccupant du futur. Le marketing se voit déjà sollicité pour contribuer à la mise en place d’une politique efficace destinée à répondre à cette préoccupation. Évolution des pratiques traditionnelles du marketing opérationnel Au cours des prochaines années, les pratiques du marketing opérationnel semblent devoir être conditionnées par quatre importantes préoccupations : contribuer à créer de la valeur conjointement pour le client et la banque, se soucier de la concurrence autant que du marché, s’adapter rapidement aux NTIC (Nouvelles technologies de l’information et de la communication) sans sacrifier aux sens de l’humain, améliorer les performances commerciales auprès des segments du marché où le marketing a été peu sollicité jusqu’à présent. Les besoins du client. Au-delà de la recherche d’informations sur les goûts, be4 BANQUEstratégie n° 216 – juin 2004 soins et attentes du client les études marketing se verront contraintes de traduire ces informations en actions rentables pour les institutions. Il leur sera réclamé de trouver des segmentations revêtant la triple caractéristique d’être pertinentes au niveau de la discrimination des clientèles, originales par rapport à ce qui se pratique chez la concurrence, mais aussi constituer des cibles de prospection à la fois intéressées par les offres proposées et rentables pour les banques. Le département qui les réalise aura pour responsabilité de s’attacher, au-delà de la sensibilisation, à ce que les opérationnels mettent en œuvre les résultats pertinents décelés dans les études. Même s’ils dérangent profondément le fonctionnement des services internes. Le marketing aura plus largement pour tâche de contribuer à réduire d’une manière significative le délai qui demeure beaucoup trop long dans les banques entre l’innovation et la commercialisation des offres de produits et services. Les nouveaux concurrents. Alors que les banques élargissent leurs activités vers de nouveaux domaines: l’assurance, l’immobilier, etc., elles sont de plus en plus confrontées aux forces compétitives de nouveaux concurrents à partir de canaux de distribution diversifiés. Parmi eux on voit déjà apparaître dans certains pays européens ceux émanant de la grande distribution, des agences immobilières, des réseaux franchisés, des réseaux d’assurance, des concessionnaires automobiles, des portails divers… Bill Gates ne manque pas de rappeler aux banquiers que « Les entreprises auront toujours besoin de services financiers mais pas forcément de banquiers… ». De nouveaux réseaux apparaissent en Europe tels que la franchise. Bien organisés et convenablement gérés, ils peuvent devenir de redoutables concurrents permettant à une enseigne prestigieuse peu implantée dans un pays d’étendre rapidement ses activités. Malgré un déclin quasi général, profitant de l’importante croissance des internautes seniors, les banques directes peuvent faire une seconde apparition sur le marché. Badoc/ 10/06/04 10:58 Page 5 Marketing bancaire Un important danger émane du fait que ces « outsiders », à partir de structures de coûts et de pratiques commerciales différentes, peuvent se révéler parfaitement imprévisibles et difficiles à contrer par les institutions financières traditionnelles sur certains produits ou services. Le marketing doit anticiper les risques afin de permettre aux directions des banques de se donner le temps de réfléchir à des actions de défense efficaces face à ces nouveaux entrants. Le « benchmarking » ou analyse raisonnée systématique de la concurrence, l’utilisation d’outils tels que Conversion Model diffusé par TNS-Sofrès permettant d’analyser l’attrait des marques auprès des différents segments de la clientèle et en particulier des segments rentables, deviendra le quotidien des analyses marketing de demain. Les recherches sur la concurrence constituent un incontournable complément des analyses sur les clients. Il leur faudra rapidement intégrer les systèmes de la GRC au même titre que les informations sur la clientèle. Intégrer les nouvelles technologies et rester humain. L’avènement des nouvelles technologies, en particulier d’internet, bouleverse les approches du marketing traditionnel. Le classique « marketing-mix » reposant sur les quatre P (product, place, price, promotion) cher au « Pape » international de cette discipline, Philip Kotler 2 se voit parfois bouleversé. Un « e-marketing-mix » centré autour de nouvelles variables que sont l’information, la technologie, les hommes, la logistique, est en voie d’émerger 3. À ce titre, trois défis doivent être relevés : • le premier consiste à équiper et former rapidement l’ensemble des personnels des réseaux à l’utilisation généralisée des technologies. Les conseillers commerciaux de certaines importantes institutions financières françaises n’ont pas encore la possibilité de communiquer directement par e-mail avec leur clientèle de professionnels ou patrimoniale. Cette importante lacune semble devoir être comblée d’urgence ; • un second défi vise à s’assurer que les contacts technologiques avec les clients ne se traduisent pas par une importante déshumanisation des relations. Les internautes ne doivent pas être confondus avec des « cyberfanas ». Ils souhaitent dans leur grande majorité l’utilisation de ce média en complément plutôt qu’une substitution de la relation avec les collaborateurs du réseau. Une importante refonte du fonctionnement actuel de nombreux centres d’appels, en ce qui concerne la relation client, apparaît indispensable ; • un troisième défi s’intéresse à une meilleure harmonisation des canaux technologiques avec l’ensemble de la distribution physique dans le cadre de la stratégie multicanaux. Elle doit se substituer aux stratégies d’empilage de canaux et de concurrence sauvage à l’intérieur d’une même enseigne, qui ont parfois été la pratique dans certaines institutions. Améliorer la pertinence des actions marketing Un nombre non négligeable de dirigeants et collaborateurs fait remarquer qu’au cours de la dernière décennie, le marketing s’est essentiellement intéressé au marché des particuliers. Pour l’avenir, une meilleure orientation vers celui des entreprises et des professionnels apparaît souhaitable. Elle se traduit par un volume accru d’études et de recherches mérite une réflexion. Le développement spectaculaire d’internet auprès de la clientèle des professionnels et des entreprises obligera les banques à reconcevoir la globalité de leur approche de la communication et à réfléchir sur de nouvelles donnes. Conclusion La création, dans les banques, d’une culture interne orientée délibérément vers le sens du client, des collaborateurs, des partenaires… ne se fera pas facilement. Le développement du souci d’intégrer les technologies et de créer davantage de réactivité à tous les échelons est loin d’être aisé. La finalisation des projets stratégiques réclamera volonté et persévérance. Le marketing ne peut efficacement contribuer à ces tâches que si son pouvoir de persuasion et de coordination est augmenté. Sa place auprès du comité de direction, comme cela se pratique déjà dans de nombreux secteurs industriels, devient une nécessité. Dans cette position, il pourra apporter un éclairage accepté par les décideurs. À ce niveau, il « Pour l’avenir, une meilleure orientation du marketing vers le marché des entreprises et des professionnels apparaît souhaitable. » destinées à mieux connaître et segmenter ces marchés au-delà des critères classiques habituellement utilisés par l’ensemble des institutions. Des analyses comportementales de cette clientèle commencent à s’élaborer. Les recherches s’intéressent aussi, comme cela se pratique dans le monde industriel, à l’analyse des processus de décision complexes qui conduisent, dans l’entreprise, à la sélection d’une enseigne bancaire. La recherche marketing contribuera également à améliorer le risque par la découverte en amont de segments spécifiques répondant à cet impératif. Au-delà des études, une importante réflexion sur la communication à mener avec ces publics et sur les budgets à y consacrer fera l’objet d’une réelle attention. La pratique qui a jusqu’ici orienté la quasi-totalité des budgets de communication vers la clientèle des particuliers acquerra la crédibilité nécessaire pour coordonner efficacement les groupes pluridisciplinaires chargés de proposer des solutions pertinentes aux projets stratégiques orientés vers le développement. Il sera enfin à même de contribuer à réduire les délais entre l’innovation et la commercialisation en organisant une meilleure harmonisation des départements en charge de l’informatique, des réseaux et, bien entendu, de sa propre fonction. ● 1 Enquête réalisée par l’auteur et Elodie Trouillaud entre janvier 2000 et janvier 2004 dans le cadre de l’élaboration de l’ouvrage sur le marketing cité p. 2. L’enquête a porté sur l’interview en face à face ou téléphonique de 250 dirigeants, collaborateurs marketing et des réseaux de banques européennes. 2 Ph. Kotler, B. Dubois, D. Manceau, Marketing management, 11e édition Pearson Education. 3 M. Badoc, B. Lavayssière, E. Copin, e-marketing de la banque et de l’assurance, Éditions d’Organisation, 2e édition. BANQUEstratégie n° 216 – juin 2004 5