Le FN réussit à incarner le vote utile contre la gauche

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Le FN réussit à incarner le vote utile contre la gauche
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Même dans ses « terres de mission », où pendant
longtemps il n'excédait pas les 10%, le Front national
«Le FN réussit à incarner le vote utile
peut, « sinon faire la course en tête, au moins
contre la gauche»
talonner de près ses adversaires », souligne JeanPAR MATHIEU MAGNAUDEIX ET MARINE TURCHI
ARTICLE PUBLIÉ LE LUNDI 7 DÉCEMBRE 2015
Yves Camus. C’est le cas par exemple en région
Centre-Val-de-Loire, et surtout en Bretagne et dans
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les Pays-de-la-Loire. « Nous sommes dans un pays
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qui désormais connaît un tripartisme imparfait, selon
vote Front national devient « un vote de plus en plus
le politologue. Car le système électoral français ne
national » et « inter-classiste ». C'est ce qu'estiment
donne pas nécessairement la représentation à laquelle
cinq chercheurs de l'Observatoire des radicalités
un parti qui fait 30% des voix peut prétendre en raison
politiques (ORAP) de la fondation Jean-Jaurès. Dans
de l’absence de proportionnelle. »
une analyse fine des résultats, ils mettent en évidence
Alors que le Front national n’a de cesse, depuis les
« l'hégémonie culturelle » de l'extrême droite, l'échec
élections européennes, de s’autoproclamer « premier
de la « stratégie Buisson » de la droite et l'aveuglement
parti de France », il l'est devenu aujourd’hui « si
de la gauche.
l’on prend les partis individuellement », constate JeanDimanche, le Front national a confirmé, à nouveau,
Yves Camus. Si l’on additionne les composantes en
son enracinement dans le territoire. À un an et demi
revanche, « la gauche est devant ». « Le véritable
de l'élection présidentielle, le parti d'extrême droite a
match est aujourd’hui plus que jamais entre FN et les
recueilli plus de 6 millions de voix (27,93%) et est
Républicains LR », estime-t-il.
arrivé en tête dans six des treize régions. Un score
Certes, le Front national a recueilli moins de voix
plus important qu'aux européennes de 2014 (4 712 461
qu’à la présidentielle de 2012, où il avait totalisé
voix, 24,86 % des suffrages) et qu'aux départementales
6,42 millions de suffrages. Mais comme le rappelle le
de mars 2015 (5 142 241 de voix au premier tour, 25,24
politiste Joël Gombin, la participation était bien plus
%).
faible dimanche soir. PS comme LR perdent ainsi «
Progression du FN, échec de la « stratégie Buisson »
la moitié de leurs voix par rapport à la présidentielle
de la droite, aveuglement de la gauche, question des
». Selon le chercheur, « la mobilisation différentielle
reports de voix pour le second tour: cinq chercheurs
des électeurs du FN ne peut pas suffire à expliquer ce
de l'Observatoire des radicalités politiques (ORAP) de
résultat. Incontestablement, le potentiel électoral du
la fondation Jean-Jaurès (lire notre « Boîte noire »)
FN progresse depuis 2012, et il a encore progressé par
analysent de près les résultats et leurs conséquences.
rapport aux départementales ».
• Le vote FN: « nationalisé » et « inter-classiste »
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[[lire_aussi]]
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Pour le politologue Jean-Yves Camus, directeur de
Les résultats de dimanche sont aussi, pour le FN,
l'ORAP, ces élections ont confirmé que « le plafond »
un véritable tremplin pour l’élection présidentielle de
du Front national était devenu «un plancher ». Le vote
2017. D'abord parce qu'en se présentant – après de
Front national va au-delà du « stade de l’exaspération,
longues hésitations – dans la région Nord-Pas-deil y a aujourd’hui une part d’adhésion ». Il est
Calais-Picardie et en arrivant en tête avec 40,64% des
désormais « un vote nationalisé », ajoute l'historien
voix, «Marine Le Pen a gagné son pari », estime JeanNicolas Lebourg, et « de plus en plus un vote interYves Camus.
classiste », avec une surreprésentation d’électeurs des
Ensuite parce que si le Front national l’emporte dans
« catégories populaires », « mais aussi des cadres
une ou plusieurs régions, il va pouvoir « reconstituer
supérieurs dans le Nord-Est ».
ses forces », poursuit le politologue. « Avoir un
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groupe [à la région – ndlr], des collaborateurs,
c’est avoir le suivi des dossiers, c’est pouvoir former
la prochaine génération de candidats, et pouvoir
accrocher la majorité régionale sur l’ensemble de ces
dossiers. C’est un pas considérable vers un maillage
encore plus étroit du territoire à un an de l’élection
présidentielle. »
Pour Sylvain Crépon, « c’est un défi fondamental
pour les partis dits de gouvernement, PS et LR,
qui se sont progressivement coupés de relais au
sein des catégories populaires, qui ne savent plus
leur parler et qui font très imparfaitement ce travail
pédagogique. Toutes les enquêtes ont montré que très
peu d’électeurs connaissaient les prérogatives des
régions, et ce n’est pas là-dessus que se sont jouées
les élections. Le Front national, lui, propose à ces
catégories un discours intellectuel audible, qui leur
permet d’avoir une prise sur le réel ».
• L'« hégémonie culturelle » de l'extrême droite
Pour le sociologue Sylvain Crépon, qui travaille
depuis vingt ans sur l’appareil frontiste, cet aspect est
crucial. À la différence de Jean-Marie Le Pen, qui «
n’a jamais pris la peine de se constituer un réseau
d’élus locaux et qui percevait toute baronnie qui se
constituait comme une menace », Marine Le Pen «
s’est constitué un maillage d’adhérents et de militants,
mais aussi et surtout d’élus locaux ».
Si le FN cartonne autant, selon eux, c'est parce qu'il
a su imposer ses enjeux identitaires dans le débat.
« La plupart des listes (PS, LR) depuis des années
utilisent des cache-sexe. Hier, le Front national avait
une identité totalement assumée – le nom FN, le nom
Le Pen –, sauf en PACA, où c’est "la France Plein
Sud", avec deux items identitaires, qui permettent de
récupérer les natifs et les retraités venus du Nord.»
Aux régionales, le parti lepéniste « est allé sur ses
fondamentaux de manière très forte: réfugiés, nation
», relève le chercheur.
Cette stratégie, qui s'est avérée payante aux
municipales et, dans une moindre mesure, aux
départementales, «va permettre de rétribuer ses
adhérents, ses militants, ses candidats, et cela va
participer à sa normalisation et à son attractivité, ce
qui lui faisait défaut dernièrement, souligne Sylvain
Crépon. Aujourd’hui, adhérer au FN suscite encore
un coût dans le territoire où l’on est implanté, donc
cela va peut-être lever certaines barrières et va aussi
permettre au FN de notabiliser ses élus: ils vont être
implantés, visibles, ils vont avoir des relations au
quotidien avec la population. C’est le prélude à des
victoires, par exemple aux législatives ».
Et selon Jean-Yves Camus, on assiste aujourd'hui
à « un mouvement de fond d’une demande de
valeurs d’ordre et d’autorité, de présence de l’État,
du questionnement identitaire ». Cette « demande
autoritaire » aurait « l’hégémonie culturelle », ajoute
son collègue Nicolas Lebourg, qui cite plusieurs
récentes enquêtes de la fondation Jean-Jaurès: 88%
des sondés considèrent que l’autorité n’est pas assez
respectée en France; sur sept pays étudiés, l’opinion
française est première sur toutes les questions de
fermeture et dernière sur les questions d’ouverture
aux réfugiés. « Donc l'imaginaire est particulièrement
cristallisé sur les points forts du FN », conclut
l'historien.
Autre point fort du Front national qui explique en
partie sa dynamique: sa capacité à vulgariser son
discours et diffuser ses idées. Sylvain Crépon l’a
constaté systématiquement au cours de ses vingt
années d’entretiens auprès des frontistes: « Le
discours typique du sympathisant, c’est: “Quand
Jean-Marie Le Pen ou Marine Le Pen parle, je
comprends, il établit des causalités auxquelles j’ai
accès intellectuellement”. » Cet élément n’est pas
anodin, car les travaux de la chercheuse Nonna Mayer
l’ont montré: le Front national a du succès auprès de
catégories populaires qui sont très peu diplômées et
qui sont très peu relayées au sein des autres partis
politiques.
Nicolas Lebourg parle même de « vote de lobbying,
comme le PCF »: « Les électeurs savent bien que même
si le FN ne gagne pas les élections, il y aura des lois
sécuritaires. Cela tire l’offre politique sur les items
du FN. On a vu Marine Le Pen mener une campagne
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exclusive contre les migrants, les réfugiés, l'islam, et
prononcer un discours très inclusif dimanche soir,
c'est bien joué. »
aspiration au changement en écartant les options les
plus extrêmes qui conduiraient notre pays à l’aventure
et au désordre. »
Le FN a aussi capitalisé, dans plusieurs régions, « sur
des problématiques réelles, qui n'ont pas été traitées
», selon Lebourg: l’abandon des territoires ruraux, la
peur des métropoles, la déconstruction des services
publics. Le chercheur Emmanuel Négrier a montré en
2012 dans son étude sur le Languedoc-Roussillon
(et notamment Béziers) combien le vote était structuré
par l’encadrement social: moins vous avez de services
publics, moins vous avez d’associations loi 1901,
moins vous avez de liens entre les citoyens et plus le
vote FN est fort. Le Front national l'a très bien compris,
selon Nicolas Lebourg, et « il a fait campagne dans
plusieurs régions sur cette métropolitisation qui s'est
faite sans consultation du peuple français ».
En réalité, Nicolas Sarkozy subit une déconvenue
majeure. Le chercheur Joël Gombin insiste sur la
« très grande faiblesse au plan national des LR»,
qui atterrit au « même niveau que les régionales de
2010 », élection alors perdue par l’UMP, et « perd la
moitié de ses voix par rapport à la présidentielle de
2012 ». « Ce recul confirme les tendances observées
aux européennes et aux départementales. Mais il
était passé inaperçu parce que les médias s’étaient
concentrés sur le résultat final et le nombre de conseils
départementaux remportés par LR. Au second tour,
LR avait bénéficié des reports de la gauche comme
de l’extrême droite. Ces résultats finaux étaient sans
rapport avec son score de premier tour. »
Jean-Yves Camus rappelle tout de même qu’en dépit
de ses 30% des voix, le Front national reste aussi «
le plus rejeté des partis politiques français ». Dans
la course à l’Élysée, « il lui faut continuer à élargir
son socle, et donc éviter à tout prix toute preuve de
sectarisme ». C’est le « piège » que doit éviter le parti
lepéniste s’il remporte une ou plusieurs régions. Il doit
gérer cette ou ces région(s) d’ici 2017 « sans crise
majeure » et éviter « les erreurs commises dans les
villes dans les années 1990 ». « Cela laisse un an
pour faire des audits, différer les grandes décisions
clivantes. Mais une année de gestion sectaire serait
une mauvaise chose pour la candidate Marine Le Pen
».
Cette fois, la déprise de la droite est manifeste. Joël
Gombin cite à titre d’exemple la région PACA, « fief
de la droite parlementaire depuis trente ans ». Dans le
Vaucluse, Marion Maréchal-Le Pen remporte 93000
voix, deux fois et demi plus que Julien Aubert, la
tête de liste de la droite départementale. Or au sein
de LR, Aubert, député de Carpentras – la ville dont
Marion Maréchal-Le Pen est elle aussi députée – est
un de ceux qui prônent une ligne « très à droite ».
Il a même créé un « rassemblement bleu lavande »
pour «concurrencer le FN ». Pire, la liste LR est
devancée de 800 voix par le PS. « Il y a quelques
mois, cela aurait paru invraisemblable», commente
Gombin. Dans le Var, la liste FN devance LR de 63000
voix.
«Le réalignement idéologique concerne
l’Europe tout entière»
• LR: l’échec de la « stratégie Buisson »
Dans les Bouches-du-Rhône, « Le FN rassemble
presque deux fois plus de voix que LR alors
que le parti de Nicolas Sarkozy vient de prendre
le contrôle du conseil départemental, et dirige la
majorité des villes du département ». Mais l’exemple
le plus frappant est sans doute les Alpes-Maritimes,
le fief du Niçois Christian Estrosi. « En 2012, ce
département avait donné son meilleur score national
à Nicolas Sarkozy. Dans ce fief absolu de la droite
Ni fusion, ni retrait, ni alliance. Dès lundi matin, le
bureau politique de LR (ex-UMP) a réaffirmé la ligne
de Nicolas Sarkozy. Dans la foulée, le parti de l’ancien
président de la République a envoyé un communiqué
aux accents triomphalistes. « À l’issue de ce premier
tour, Les Républicains et le Centre constituent la
seule force politique en mesure de répondre à cette
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« Le FN réussit désormais de plus en plus à incarner
le vote utile contre la gauche, souligne Nicolas
Lebourg. Il occupe cet espace-là. Quand la droite
singe l’extrême droite, le transfert de voix de l’une
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vers l’autre est extraordinaire. LR a un problème
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de logiciel et de stratégie politique qui fait la joie
L’échec est également patent en Nord-Pas-de-Calaisdu FN. » Mais il n’est pas évident non plus que
Picardie, où la tête de liste, Xavier Bertrand, est
la droite “classique” se sortirait du piège si elle se
comme Christian Estrosi un ancien ministre de Nicolas
recentrait: si Virginie Calmels, adjointe de Juppé
Sarkozy, avec une stature nationale. « Le score de
à Bordeaux, réalise un bon score en AquitaineXavier Bertrand y est extrêmement décevant », analyse
Limousin-Poitou-Charentes, en Midi-Pyrénées, le très
Jean-Yves Camus. En voix, Bertrand est largement
centriste Dominique Reynié s’est effondré.
devancé par le FN dans tous les départements de la
• PS: le risque de l’aveuglement
grande région. Y compris dans l’Aisne, où Bertrand
Dimanche soir, le PS comme le gouvernement ont
est élu: la liste de Marine Le Pen le surpasse de 30000
avancé plusieurs éléments de langage. « La gauche est
voix.
le premier parti de France », a lancé le porte-parole
« Le vote de dimanche soir invalide la stratégie
du gouvernement, Stéphane Le Foll. « La gauche
Sarkozy d’une droite décomplexée, dont il aurait
est le dernier rempart de la France républicaine
repris le leadership, seule à même de faire barrage au
contre l'extrême droite xénophobe », a renchéri le
FN », note Jean-Yves Camus. « On assiste en réalité,
secrétaire national du PS, Jean-Christophe Cambadélis
dans certains territoires, à un véritable réarrangement
(lire notre article).
électoral au sein du bloc des droites, entre la droite
Autrement dit, la casse serait limitée. L’argument
et le FN. Pour un grand nombre d’électeurs, le FN
n’est pas entièrement faux, souligne Joël Gombin. «
va devenir LE parti de la droite, le plus crédible, le
La faiblesse de la gauche est réelle, mais compte
plus proche de leurs positions. C’est un phénomène
tenu du cycle électoral, du fait qu’il s’agit d’élections
structurel, qui va s’inscrire dans la durée. Pour LR,
intermédiaires et de la très forte impopularité de
cela annonce des lendemains fort difficiles pour la
l’exécutif, il n’est pas surprenant que son niveau soit
présidentielle de 2017. »
faible. »
Selon les chercheurs, le phénomène n’est pas que
En revanche, là où le raisonnement pèche, c’est dans
français. « Le réalignement idéologique concerne
la mise en avant d’un hypothétique « bloc de gauche
l’Europe tout entière: on assiste à un déplacement du
» comme première force électorale du pays. « C’est
centre de gravité idéologique de la très grande famille
chimérique, assure Joël Gombin. Dans aucune région
des droites vers autre chose, qui n’est plus l’extrême
les différences forces de gauche n’étaient alliées, et les
droite telle que le FN l’incarnait à sa création, qui
orientations politiques du PS divergent de celles de ses
est peut-être un phénomène à la Orban », le premier
partenaires habituels, EELV ou le Front de gauche. »
ministre hongrois connu pour sa ligne droitière, ultra
« La gauche peut sortir avec six régions sur treize
conservatrice, nationaliste et autoritaire. Dans ce
au soir du second tour, commente l'essayiste Gaël
contexte, le plus insensé est que la droite française ne
Brustier. Il n’est donc pas du tout exclu que le cliché
l’ait pas saisi. « Reprendre les idées du FN constitue
soit favorable à la gauche. Mais c’est l’ensemble du
une erreur stratégique fondamentale », assure Sylvain
film qu’il faut regarder, et son issue pourrait être
Crépon, citant notamment les recherches de Nonna
moins joyeuse. »
Mayer (voir notre entretien ci-dessous).
traditionnelle, Christian Estrosi ne devance la liste
FN que de 33 voix. » Une liste FN d’ailleurs dirigée
par son ancien adjoint à Nice, Olivier Bettati…
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Or le scénario du film, c’est celui d’une «
dénationalisation » du vote pour les différents partis
de gauche et le PS lui-même. Déjà à l’œuvre aux
municipales et aux départementales – avec des
départements où le PS a quasiment disparu –, le
phénomène « se précise avec le retrait des listes
en PACA et dans le Nord-Pas-de-Calais-Picardie »,
poursuit Brustier.
qui demande une certaine grandeur d’âme », ironise
Camus. « Lors des départementales, dans les cantons
où il y avait des duels droite-FN en PACA, la qualité
des reports de la gauche sur la droite a été plutôt
bonne – c’est moins le cas dans le cas inverse. Mais
pour que le FN soit battu en PACA, comme dans le
Nord-Pas-de-Calais- Picardie, il faudra d’excellents
reports de voix. D’autant que le FN a lui aussi des
réserves de voix, avec la liste Bompard et Debout la
France. »
François Hollande peut donc avoir l'impression de
limiter la casse – c’est d’ailleurs le sentiment qui
prévalait dimanche soir à l’Élysée (lire notre article).
Mais la « social-démocratie » incarnée par le PS, elle,
est en état de délabrement avancé. « L’imaginaire
politique est très clairement centré sur l’autorité,
l’unité, explique l’historien Nicolas Lebourg. Cela
donne un sursaut dans l’opinion pour un président qui
a tenu l’habit de président dans la crise et a demandé
aux Français de mettre des drapeaux sur Facebook et
à leurs fenêtres. Mais tout cela est déconnecté du PS:
c’est un plébiscite pour la nation et pour l’autorité, ça
n’a rien à voir avec la social-démocratie. »
Selon Nicolas Lebourg, la stratégie de « front
républicain » ne fait que valider chez les électeurs du
FN l’idée d’un système « UMPS » à dynamiter. « Aux
municipales, Perpignan est la seule ville où le PS s’est
désisté en faveur de LR pour éviter la victoire du FN.
Deux ans après, lors de ce premier tour, le FN a fait
plus que le score du PS et de LR additionnés. Une
tactique ne fait pas une stratégie... »
Pour ces chercheurs, LR comme le PS ne peuvent
plus échapper à une redéfinition de leurs logiciels
politiques. « Il ne suffit pas d’entendre, il faut trouver
le logiciel pour que ces électeurs reviennent dans
le giron des partis républicains », insiste Jean-Yves
Camus.« Cela fait vingt ans qu’on exclut les hommes
du FN, mais la gauche comme la droite récupèrent
les idées du FN depuis vingt ans », ajoute Nicolas
Lebourg. Comme les médias d’ailleurs, qui ne cessent
de placer le FN au centre des débats: « On ne parle
plus des scrutins, les gros titres sont directement sur
le FN: la marée FN, la folie à Brignoles [cantonales
partielles en 2014 – ndlr].» Dimanche soir, alors
que les résultats tombaient, plusieurs médias ont, à
nouveau, parlé de « vague bleu marine », reprenant
ainsi à leur compte l’un des slogans de campagne du
Front national.
Pour Jean-Yves Camus, le PS n’évitera « la
marginalisation » qu’en s’adressant à ceux et celles
auxquels ils ne parle plus depuis bien longtemps, « les
classes populaires touchées par la mondialisation » et
« ceux qui ne votent plus ». « Cela ne peut que passer
par une modification structurelle de ses militants et
de ses élites. » À défaut, le FN continuera d’être le
représentant des « inaudibles », pour reprendre le titre
d’un livre dirigé par la chercheuse Nonna Mayer sur
les électeurs de Marine Le Pen.
• La stratégie face au FN, front républicain, riposte
Combien le FN dirigera-t-il de régions dimanche soir?
À quoi ressembleront les reports de voix dans les
régions où le PS s’est désisté? À ce stade, difficile
à dire car la configuration politique est largement
inédite.
Boite noire
Mediapart a suivi lundi matin cette conférence
organisée par la fondation Jean-Jaurès, animée par
cinq chercheurs membres de l'Observatoire des
radicalités politiques (ORAP):
En PACA et dans le Nord-Pas-de-Calais-Picardie, « il
existe un danger que les reports à gauche ne soient
pas massifs », explique Jean-Yves Camus. Surtout en
PACA, où Christian Estrosi défend une ligne d’ultra
droite. « Demander aujourd’hui aux électeurs de voter
pour celui qui les a stigmatisés, c’est un sacrifice
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- Jean-Yves Camus est président de l'ORAP et
spécialiste des extrêmes droites européennes. Il vient
de publier, avec Nicolas Lebourg, Les Droites
extrêmes en Europe (Seuil).
- Nicolas Lebourg est historien, chercheur associé
au Centre d'études politiques de l'Europe latine
(CEPEL) à l'université de Montpellier. Il a notamment
publié une histoire des numéros 2 du FN (voir son
entretien vidéo sur Mediapart en février 2014 –
ici et là).
- Joël Gombin est politiste, chercheur spécialiste
des électorats FN à l'université de Picardie (lire son
entretien en octobre sur Mediapart).
- Gaël Brustier est essayiste, coauteur notamment
de Voyage au bout de la droite (Mille et Une
Nuits, 2011). Il est par ailleurs conseiller du candidat
socialiste Julien Dray.
- Sylvain Crépon est sociologue, maître de
conférences en science politique à l’université de
Tours et membre du Laboratoire d’étude et de
recherche sur l’action publique (LERAP).
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