Livret histoire et cultures des panoramas
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Livret histoire et cultures des panoramas
Livret histoire et cultures des panoramas (les panoramas de A à Z) Une démarche artistique séculaire Notre relation à l’image est ordinairement soumise à un carcan limité : l’écran pour les images vidéos et cinématographiques, le cadre pour les œuvres picturales et photographiques, la page si l’image est une illustration dans un livre ou un magazine. Pourtant notre vision, qui recouvre un champ d’environ 200°, a aussi inspiré aux artistes de toutes époques d’autres modes de représentation iconographique. Les fresques pariétales, égyptiennes, assyriennes et minoennes murales étaient conçues comme une totalité, partie intégrante de la pièce ou l’édifice, s’offrant au regard déambulateur de l’observateur. Cette démarche de globalité se retrouvait aussi sur les fresques des artistes grecques et romains. Ces derniers utilisèrent pour la première fois une technique originale d’agrandissement du cadre : le trompe-l’œil. Vues de jardins, perspective architecturale, la fresque murale donne l’illusion d’un espace au-delà du lieu même de représentation. Les fresques en trompe-l’œil de la Renaissance, réalisées grâce aux acquis théoriques de la perspective, tendent à restituer le réel, à vaincre les limites des murs par le simulacre. Une technique qui aboutit à la peinture ornementale baroque (XVIème et XVIIème) qui « illumine » les voûtes célestes de certaines églises de l’époque. Ainsi en 1770, le duc d’Orléans, qui semble apprécier particulièrement ce genre d’ornementation, fait peindre en trompe-l’œil, dans l’un de ses hôtels particuliers, une pièce circulaire sans fenêtre afin de créer l’illusion d’un sous-bois. Cependant ces techniques de fresques en trompel’œil restent confinées aux édifices prestigieux ou aux résidences privées des plus aisées. Voûte de la nef de l’église Saint-Ignacede-Loyola, fresque d'Andrea Pozzo, 1685, Rome. L’invention du panorama Dès la fin du XVIIIème siècle l’innovation, s’inspirant des modalités de la fresque, fait de la représentation monumentale un spectacle grand public à part entière : le panorama. Gigantesque tableau circulaire, peint sur la paroi intérieure d’une rotonde (bâtiment en forme de cylindre), le panorama n’est pas un simple décor ou un tableau grand format en vue agrandie, mais il s’impose comme une attraction picturale. A la grandeur de la peinture s’ajoute alors le souci d’une restitution complète de l’espace. Le spectateur n’est plus face à une représentation bornée mais il est englobé par un ailleurs se refermant sur lui-même. Robert Barker (1739-1806), portraitiste et miniaturiste autodidacte britannique, est à l’origine de cette invention. Il eut l’idée, lors d’une promenade sur les hauteurs d’Edimbourg, d’une représentation circulaire à même de rendre compte dans sa totalité du magnifique paysage qu’il pouvait contempler. Le 19 juin 1787 Barker dépose un brevet pour cette innovation qu’il nomme « la nature à coup d’œil » (en français dans le texte). Le terme « panorama » apparait pour la première fois dans une annonce du Times en 1792 (du grec « pan » signifiant tout et « horama » signifiant vision). Le brevet de Barker pose les bases essentielles du panorama. Il définit cette nouvelle manière de peindre comme une perspective pleine et entière et dicte aussi les modalités d’exposition (forme circulaire et éclairage par le sommet). Il précise également que les spectateurs doivent être à une bonne distance du tableau et ne pas voir au-dessus et endessous de la toile. Il s’agit donc de créer un environnement qui trouble la perception, afin de procurer aux observateurs les sensations qu’ils éprouveraient s’ils étaient sur les lieux même. Le cadre n’existe plus, la toile est conçue comme une totalité englobante, sans raccord. Un an après le dépôt de son brevet, Barker présente à Londres son premier panorama « vues d’Edimbourg » dans son propre domicile. Peu après, il expose une « vue de Londres » dans une rotonde provisoire qui retient particulièrement l’attention du public. En 1794, Barker fait construire une rotonde sur deux étages à Leicester square qu’il inaugure avec une vue de la « flotte navale à Spithead ». De nombreux panoramas suivront dont « la bataille navale d’Aboukir » en 1799. Section du panorama de Leicester square Dès le début de l’histoire des panoramas, le thème de la nature s’élargit à ceux du paysage urbain et de la gloire militaire qui s’imposent pour demeurer les principales sources d’inspiration de ce type de format. Le 26 avril 1799, Robert Fulton (1765-1815), ingénieur américain, obtient pour dix ans un brevet d’importation et de perfectionnement du concept de panorama pour la France. Il va déterminer précisément tous les paramètres techniques et dimensions des panoramas. Il insiste sur le double aspect artistique et scientifique de telles œuvres et donc leurs potentiels éducatifs. « La peinture traditionnelle entourée d’un cadre se retrouve toujours bornée, rétrécie et ne produit jamais à l’esprit une entière sensation de l’objet que l’artiste a voulu représenter. Les panoramas offriront aux étudiants un stimulant qui excitera leur émulation et servira à perfectionner leur goût dans l’art et la peinture, […] ce procédé a une importance nationale en ce que tous les citoyens et particulièrement les hommes scientifiques n’ont jamais eu les moyens faciles d’acquérir une juste connaissance des plus importantes villes et vues intéressantes sans voyager. » Mémoire de Robert Fulton, cité dans Robichon F., thèse de doctorat Paris X, Nanterre, 1982. Ainsi Fulton souhaite dépasser le statut de simple curiosité des panoramas en les inscrivant comme un véritable progrès au sein de l’histoire des arts et de la connaissance. Dès l’été 1799, il engage la création d’une rotonde provisoire en bordure du boulevard des Capucines où il expose une « vue de Paris depuis les tuileries » réalisé par Pierre Prévost (aidé de Constant Bourgeois, Denis Fontaine et Jean Mouchet) Le 15 septembre 1800 l’Institut National des Sciences et des Arts reconnaît officiellement le procédé panoramique. Section d’un panorama d’après les prescriptions de Robert Fulton Robert Fulton et Rouen : clin d’œil de l’Histoire Robert Fulton propose également à l’Etat français une de ses inventions : un engin sous-marin pour briser le blocus naval de l’Angleterre appelé Le Nautilus. Les premiers essais eurent lieu à Rouen comme l’atteste la plaque commémorative placée sur un des marégraphes des quais rive droite de Rouen à 100 m de l’actuel Panorama XXL qui réintroduit les panoramas moderne en France : heureuse coïncidence ! L’essor des panoramas au XIXème siècle En 1800, Robert Fulton revend son brevet à son compatriote James Thayer qui fait construire un autre panorama à Montmartre où sera exposée « l’évacuation de Toulon par les anglais en 1793 » peint par Pierre Prévost et Constant Bourgeois. La rotonde mesurait 17 m de diamètre et 7 m de haut. Gravure représentant la construction d’une rotonde En 1807, une nouvelle rotonde de 32 m de diamètre et 16 m de haut est construite par James Thayer et Pierre Prévost sur le Boulevard des capucines (près de la rue de la Paix). Pierre Prévost qui sera considéré comme LE peintre des panoramas à Paris inspirera le colonel Langlois, un peintre spécialisé dans la représentation de batailles. Songeant à exploiter ce nouveau format pictural pour une thématique qui lui était chère, le colonel fit élever rue du Marais Saint Martin un édifice de 38 m de diamètre, dans lequel il présenta différentes œuvres (en 1830, la Bataille navale de Navarin, en 1833, la Prise d’Alger et en 1835, la Bataille de la Moskova). De l’autre côté de la Manche, le panorama de Leicester Square est repris par le fils de Robert Barker à sa mort en 1806. Environ 126 panoramas y seront présentés jusqu'à sa fermeture en 1861. Le premier panorama allemand fut réalisé par Adam Breysig et il représentait… une vue de Rome depuis les ruines du Palatin. En 1824, l’artiste autrichien Johann Michael Sattler, peint un panorama de Salzbourg et met au point une rotonde transportable. Il tournera avec ce panorama itinérant à travers l’Europe pendant 10 ans (notamment en Allemagne, en Suisse et en Autriche) Panorama de Salzburg (4.86 × 25.81 m) Johann Michael Sattler Ce concept de rotonde itinérante connaîtra également un certain succès aux Etats-Unis, dont le seul centre de production de panoramas se trouvait à New-York. En 1883, six panoramas sont en activité à Paris, soit un potentiel moyen de 1 million de visiteurs par an. Conçu comme de gigantesques moyens d’éducation populaire, les panoramas de l’Exposition Universelle de 1889 trouvent les faveurs du public. Les thèmes de la science et de l’industrie, jusqu’alors non représentés, font leur apparition grâce au financement de certaines firmes industrielles (« panorama de la Compagnie Transatlantique », « panorama du pétrole »). Les tarifs baissent et les panoramas deviennent ainsi largement accessibles au grand public. La standardisation des formats -115 m de long- permet de les faire circuler aisément. De 1870 à 1900, 100 millions de personnes ont visité des panoramas en Europe. Le panorama est devenu un divertissement populaire à grande échelle. Les progrès techniques de la fin du XIXème siècle vont induire d’autres évolutions du concept de panorama. Le panorama photographique substitue à la toile peinte une photographie à 360° ou encore le cyclorama qui est un diaporama à 360° où dix projecteurs projettent des diapositives sur un écran circulaire. L’intérêt d’un tel dispositif est de faire défiler devant le public un grand nombre de vues en un temps restreint. Au début du XXème siècle une innovation majeure issue des progrès de la photographie va peu à peu prendre le pas sur les panoramas. Le cinéma va, en effet, drainer de plus en plus les foules vers ses salles obscures. Les panoramas tombent ainsi en désuétude. L’image en mouvement scénarisé fascine désormais davantage que l’immersion dans une image fixe. Aujourd’hui, à Paris, la quasi-totalité des rotondes construites au XIXème siècle a malheureusement disparu. L’une des rares à avoir survécu est celle des Champs Elysées. Après avoir vécue diverses transformations au cours du temps, elle accueille maintenant le théâtre du Rond-Point. Une autre rotonde, édifiée en 1883, par Charles Garnier, est devenue le Théâtre Marigny. En dehors de la France, quelques rares panoramas originaux restent encore visibles. C’est le cas du Panorama Mesdag à la Hague, aux Pays Bas datant de 1881. Les deux seuls panoramas français conservés dans leur état d’origine sont actuellement dans les réserves du Louvre. Ces deux œuvres de Jean-Pierre Alaux représentent une vue intérieure de l’Abbaye de Westminster et de Saint-Pierre de Rome. Renaissance des Panoramas En ce début de XXIème siècle, l’image animée est sur tous les écrans (TV, PC, tablette, smartphone, cinéma, affiche publicitaire) et englobe notre quotidien. Les applications récentes pour smartphone comme Vine et Snapchat sont des symboles pertinents de cette tendance : images et vidéos s’inscrivent dans l’immédiateté, la spontanéité et l’éphémère. Une vidéo en chasse une autre et la vitesse à laquelle elles se succèdent conditionnent nos ressentis, nos réflexions et notre manière d’appréhender la réalité. L’image fixe panoramique est une alternative artistique intéressante à cette frénésie d’images animées en proposant une contemplation immersive. C’est dans cet esprit que quelques artistes contemporains se sont spécialisés dans la réalisation de panoramas, réalisant des toiles grand format en mêlant techniques traditionnelles et nouvelles technologies. C’est le cas de Yadegar ASISI, qui après différents travaux architecturaux (notamment pour le Maglev, train à lévitation magnétique) et artistiques (conception de décors de théâtre pour l’Opéra de Leipzig) s’est finalement pris de passion pour les trompe-l’œil et les panoramas. Il crée des œuvres magistrales et très réalistes, attachant une grande importance à la justesse scientifique et historique des lieux représentés, mêlant dessin, photographie numérique, infographie et image de synthèse qu’il imprime sur une toile et qu’il expose en Allemagne (Leipzig, Dresde, Berlin). En 1993 à Bonn, il conçoit une exposition relative à l’histoire et la culture des panoramas anciens. Il décide de s’investir dans la conception moderne de panoramas grand format. En 2002 à Leipzig, il présente au grand public un panorama « grand format »: le sommet de l’Everest dans la tradition des panoramas du XIXème siècle. Il réhabilite pour cela un ancien gazomètre de Leipzig qu’il rebaptise « Panomètre ». En 2005 à Leipzig, il présente le panorama « Rome 312 » : la toile fait 31m de haut sur 101m de long C’est cette œuvre qui est présentée au PANORAMA XXL. En 2006, Il présente, à Dresde, le panorama « Dresde 1756 » symbole de la période baroque L’ancien gazomètre de Dresde également réhabilité par Asisi en « panomètre » En 2009, il présente le panorama « Amazonia » à Leipzig en hommage à l’explorateur naturaliste Alexander Von Humbolt. Cette œuvre sera présentée en 2015 au PANORAMA XXL. En 2011, il construit une rotonde au centre de la cour d’entrée du musée Pergamon de Berlin afin d’y présenter le panorama « Pergame 129 ». Ce panorama a accueilli 1 million de visiteurs en 9 mois. C’est la consécration pour Yadegar Asisi dont le travail est désormais reconnu mondialement. Foto: Eingangssituation ins Pergamonmuseum mit Rotunde im Ehrenhof, Visualisierung 2011 © asisi En 2012 il présente, non loin de Checkpoint Charlie à Berlin, le panorama « der mauer » (le mur) représentant Berlin avant la chute du mur. En 2013 il présente le panorama « Leipzig 1813 » représentant la ville de Leipzig juste après la bataille des nations pour commémorer le centenaire de cet événement. Yadegar Asisi prépare actuellement un panorama dont le sujet est « Rouen gothique » qui sera présenté en exclusivité à Rouen en 2016. Il travaille également sur l’élaboration d’autres panoramas sur le Titanic et la grande barrière de corail.