Anorexie, boulimie : les coûts individuels et sociaux, par Dimitri
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Anorexie, boulimie : les coûts individuels et sociaux, par Dimitri
Anorexie, boulimie : les coûts individuels et sociaux, par Dimitri JACQUES. Vendredi 6 février 2015 à Paris, le Ministère de la Santé accueillait un colloque sur le thème des troubles comportement alimentaire, réunissant professionnels du et représentants des usagers. L’occasion d’un état des lieux des coûts humains et financiers qu’entraînent des maladies en pleine expansion et auxquelles le système de santé peine à faire face. Des chiffres qui font peur On estime les gens qui en souffrent à 600 000 en France. 19 % des adolescentes déclarent avoir des stratégies de contrôle du poids. Les tentatives de suicide touchent jusqu’à 20% des anorexiques et 35% des boulimiques. Une enquête de mortalité au Royaume-Uni a montré que l’anorexie mentale est la pathologie dont on meure le plus en psychiatrie. Contrairement aux croyances tenaces, y compris chez les professionnels de santé, on ne parle pas de patients capricieux ni des faux malades, on parle de malades graves. « Les TCA ne sont pas un choix mais une réponse à un profond mal-être » rappelle le Professeur Philippe Jeammet. Pour autant, il est possible d’en guérir et il faut que cela se sache. Par retard de diagnostic et par difficulté d’accès aux soins, c’est au final moins d’un malade sur deux qui sera pris en charge. Un gâchis humain et financier Combien tout cela coûte ? On pense d’abord aux dépenses de santé : le reste à charge des patients, les soins dentaires (se faire vomir détruit les dents), la psychothérapie libérale qui n’est pas remboursée, les médecines douces, les déplacements à tous ces rendez-vous. Des personnes qui ont dû cesser leur travail à cause de la maladie ne peuvent plus assumer ces coûts. D’autres s’endettent pour se soigner. C’est parfois la famille entière qui se retrouve endettée. Les associations d’usagers accueillent régulièrement des personnes dans une situation financière précaire voire préoccupante. Vient ensuite le coût des crises de boulimie, parfois plusieurs par jour, d’impressionnantes quantités de nourriture avalée, souvent aussitôt revomie mais qui doit être achetée. A cela peut s’ajouter le coût d’autres addictions, les achats compulsifs par exemple. Des malades se mettent à voler, on a même vu des cas, pas si isolés que ça, de personnes qui se prostituent pour financer leurs addictions. Quant au coût humain, avec son lot de destins brisés, il reste inestimable. Des jeunes qui ne terminent pas leurs études, le déclassement professionnel, des personnes promises à un bel avenir qui se retrouvent « travailleur handicapé », qui retournent chez leurs parents et fragilisent la famille. Un grand gâchis de créativité, de talents, de sensibilité qui auraient pu servir à construire ces belles choses dont notre société a tant besoin. Des études l’ont montré, l’adaptation socio-professionnelle est très atteinte chez ces patients, davantage que dans la dépression ou l’alcoolisme. Malgré les séquelles, le potentiel intellectuel et psycho-affectif reste présent et laisse ouverte la porte de la guérison, même si les troubles sont anciens. On assiste à de plus en plus de guérisons complètes et durables. Il apparaît nécessaire que les professionnels de l’emploi et des ressources humaines soient eux aussi sensibilisés à ces troubles, pour aider ceux qui en ont souffert à retrouver une vie professionnelle. Un diagnostic qui arrive trop tard Le plus grand gâchis est peut-être le système de santé qui sait faire des choses qui fonctionnent, mais dont la désorganisation et l’inertie entraînent une perte de temps considérable. Dans l’absolu, trop peu de professionnels savent réagir rapidement face aux TCA. Les parents d’une anorexique débutante peuvent s’entendre dire : ce n’est pas grave, c’est une crise d’adolescence, ça va passer… sauf que ça ne passe pas, ils prennent sur eux et finissent par reconsulter. On leur dit alors que ce n’est pas assez grave, on les invite à ne pas engorger inutilement des services spécialisés déjà saturés. Lorsque la maladie se creuse et que la gravité est au rendez-vous, ils rencontrent enfin une équipe spécialisée et on prend la mesure de tout le temps perdu. Le temps qui passe sans réaction appropriée va rarement dans le sens d’une évolution favorable. La sous-nutrition et l’amaigrissement impactent négativement tant la biologie que l’équilibre psychique, avec pour conséquence l’aggravation des troubles somatiques mais aussi le renforcement des comportements addictifs. La maladie s’auto-entretient et la personne peut alors résister à la prise en charge. Ce risque d’enlisement pourrait être fortement diminué grâce à un diagnostic posé le plus rapidement possible et aussitôt suivi d’une prise en charge adaptée. Hélas, cela demande une offre de soins mais aussi une formation des praticiens qui à ce jour ne sont pas au rendez-vous, faute de moyens et de volonté coordonnée. Ce qui pousse des associations de praticiens et de familles de malades à réclamer une véritable réaction des pouvoirs publics. L’AFDAS-TCA et la FNA-TCA montent au créneau et viennent de lancer une pétition, adressée au Président de la République, demandant la mise en place d’un plan d’action nationale pour un diagnostic précoce et le développement des filières de soins, à l’instar de ce qui s’est déjà fait pour d’autres maladies. « Tandis que les patients sont questionnés à propos du tabac, du cannabis ou encore la sexualité, est-il concevable qu’on ne recherche pas un trouble alimentaire ? » s’interroge le Dr Renaud de Tournemire. Une offre de soins très disparate D’un côté il y a la masse des médecins qui manquent de temps, qui sont très peu formés à ces maladies et ne disposent pas des moyens de repérer et soigner rapidement. De l’autre, des équipes spécialisées qui progressent mais doivent absolument être soutenues, leur nombre et les moyens dont ils disposent restent tout à fait insuffisants. Entre les deux, le grand bazar ? Les différents praticiens ont des visions très différentes des TCA, cela entraîne un manque de coordination, les gens ne se parlent pas et on ne sait pas très bien comment articuler tout cela. Toute coordination a un coût et c’est là que le bât blesse. Dans les structures spécialisées, la moitié des patients sont admis avec des troubles sans gravité, tandis qu’inversement, dans les structures non spécialisées et donc souvent inadaptées, la moitié des patients présentent des troubles graves. On voit qu’il y a là aussi un problème d’organisation des soins. Des médecins, des psychothérapeutes, dont l’aptitude relationnelle et l’approche thérapeutique permettent « d’accrocher » avec le patient, obtiennent des résultats très intéressants. Il s’agit le plus souvent des praticiens libéraux non remboursés. Une psychothérapie entière coûte cher et reste hors de portée de nombreuses personnes. Pourtant, lorsque les TCA sont pris en charge précocement, un virage peut être amorcé dans un temps raisonnable. A ce propos, des voix s’élèvent pour demander le remboursement des séances de psychothérapie. Un état des lieux a démontré que l’assurance maladie serait gagnante. En effet, les maladies psychiques non ou mal soignées entraînent sur le long terme de nombreux coûts de santé autrement plus lourds à assumer : médicaments, arrêts de travail, examens médicaux, consultations chez différents spécialistes, hospitalisations. Qu’est-ce qui coûte le plus cher ? Soigner ou ne pas soigner ? Source: TCA Soleil