BASCULE récit vers l`outre tombe

Transcription

BASCULE récit vers l`outre tombe
BASCULE
récit vers l’outre tombe
Pierre Guéry
«Glisse-toi sans bruit, furtivement
Vers ce monde, et reviens...»
(Kostis PALAMAS)
«J’abandonne le fiel et vais vers les doux fruits»
(DANTE, Enfer, XVI, 61)
«Nous sommes toujours deux: un vivant et un mort; et ils sont
constamment aux prises» (Bram VAN VELDE)
«De ces réalités qui m’ont rendu à la vie restera t’il autre chose qu’un
parfum au creux le moins accessible de ma tête quand j’aurai basculé du
côté de nos méridiens?» (Michel LEIRIS)
«Relevez-vous du monde à l’entrée du poème, en passant l’octroi d’une
guérison, ou du poème dans le monde, après une maladie plus ou moins
longue ? Dans le barrage du poème, peut-être apprenez-vous à tomber
encore, ou à vous relever encore. L’épreuve de la chute appartient au
monde, le poème peut-être lui parlerait de se reprendre. De pardon.
Mauvais le poème qui vous laisserait seul au monde, hors du pardon.»
(Thierry MARTIN- SCHERRER, Le monde est demandeur d’asile)
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………………………….(et puis) quel pays étrange alors/ et
quelles vacances étrangles/ non mais tu as vu ces rues où le
bitume est en bouillie/ où tu pourrais faire ton brouet dans les
trous des routes pour une armada au moins/ et cette chaleur
humide qui te dégueulasse ça t’abrutit/ herk/ je ne sais plus
ce qui se passe ni qui t’arrive doucement en travers de la
gorge et qui se casse/ est ce que ça va durer l’éternité ?/ et
puis il pleut/ pluie pluie/ ça cesse un peu ça recommence je
n’en peux plus/ (on va crever tu crois ?)/ quand des
couineries des criailles de gosses pouilleux morveux
croûteux de leurs cheveux jusqu’aux orteils te tirent du
somnambulisme qui m’enlise/ qui te puise et tu t’arrêtes/ aux
escaliers qui deviendront à nouveau torrents bouillonnants
dès que pluie-pluie roucoulera mais pour l’instant c’est
presque sec/ aussi sec que possible c’est-à-dire pas vraiment/
en te relevant tu sens bien la moiteur dans la raie des fesses/
la moiteur du désir/ du désir nu de filer/ de filer loin d’ici/
d’ici l’opaque lieu/ où la moindre pause en balade fait de ton
froc un objet douteux genre chiffon/ chiffe-molle/ et de toi[3]
même un vers de terre semblable à ceux qui font foule à tes
pieds/ qui en bas de l’escalier pissent- pissent encore dans
leur culotte/ là devant toi en bas l’escale y est qui se met elle
aussi à serpiller parce que ça y est il repleutpleut/ déjà tu te
relèves pour abri chercher (qu’est-ce que je peux faire
d’autre de toute façon avec cette pluie sans fond ?)/ sans que
tu saches vraiment pourquoi ça me rend noir très noir sur
l’avenir du monde à venir/ mais ton futur immédiat ce
moment ton instant c’est détaler vers le haut/ là/ sur
l’esplanade tranquille y a personne tant qu’ y a personne/ tu
pourras attendre que ça passe et après c’est sûr que je me
casse d’ici pour de bon/ si si/ car dans la humeda ça poisse
fort le mort vivant/ ça t’imprègne de son règne ça pue
l’impur/ et comme tu te pincebouches le nez je me dis que si
ton corps tout entier pouvait étanchéité trouver jusqu’à ce
que ça cesse/ tu irais efflanqué mettre un cierge en érection
dans une de ces minables chapelles pour louer Dieu/
(colombiens c’est combien pour louer Dieu ?)/ le remercier
lui jurer que plus jamais au grand jamais je ne lui tiendrai
encore tête/ la mauvaise à grimaces blasées/ en refusant ma
foi ritournelle à celui qui pour l’heure s’en fout contrefout et
te pisse aussi dessus/ tant pisse/ et tu parviens à venir te
fléchir à t’infléchir/ lape et lèche/ lèche le sol LÈCHE/ à
genoux nus sur l’esplanade aqueuse et déserte/ miroir tavelé
de ma triste et grise mine mal rasée de la sûre face/ sans rien
ni personne ni merde/ ni autour ni devant ni derrière/ ou à
l’envers
dans
l’eau
de
là
par-devers
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moi…………………………………………………………
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…………………………oh !/
/ oh !/
/ oho !/
/y
a eu comme un blanc dans ce vertige d’odeurs tours millions
de malheurs/ tu as cru dévaler dans les vapes de fatigue
alleluïa/ tu n’es plus très sûr mais ça va mieux/ ouuh I feel
better now/ yes tu es en haut maintenant/ l’eau peut bien
gouliner dègue tu t’en fous je suis presque arrivé là d’où elle
part et tu souffles un moment/ hhhun/ ça siffle je mufle trop
en cherchant l’air dans la flotte/ gobe vas-y gobe/ GOBE les
bulles
d’air
dans
la
flotte…………………………………………………………
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……………………………………………à en perdre l’aine
tu as traqué l’air comme une drogue/ l’air plus précieux que
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l’or ou que la neige aujourd’hui dans ce pays qui ne connaît
que ruées et dépossessions depuis les siècles et les siècles/
mais tu as gratté fouillé trouvé de quoi rester encore debout
sous cette pluie cinglée qui me retasse de café noir et qui
noie tout/ tout désir toute force même celle de partir pour
courir d’où tu viens d’ailleurs d’où viens-tu par quels vents?/
est-ce que tu te souviens seulement de ce qui t’a fourré là ?/
une mission mystérieuse un commando de sacerdoces/ à
l’heure qu’il est repoussée dans l’obscurité de la mémoire
sans repaires de la vie d’avant/ cette vie teufârde yeah yeah
et finalement bien peinarde de ta jeune liesse/ quand tu
croyais exister résister exciter parce que tu t’enchaînais aux
branches mortes des analyses bidons de la grande presse
oppresse/ aux vermoulus rameaux foutus de toutes ses
réflexions/ conditions inhumaines sur condition humaine/
rétamé intello-récamier avec tes potes au tréfonds
coussineux de fauteuils en rotin du Zimbabwe/ consommant
condiments tarama guacamole sur canapés exotiques et
altruistes/ dans brouhaha bla-bla aussi circulaire que joints
qui tournent/ spirales de cannabis tiers-monde pour essayer
de faire vibrer un peu le corps en volutes dans la défonce de
ta planète/ pour faire couiner le corps oui un chouïa/ avant
qu’il ne s’extingouiche tout à fait sous la mer massemarasme des mots fumés roulant mollement sur la moquette
pour s’étirer en agonie/ poussières de sons tchivouvoum dans
sac aspirateur le lendemain matin du jour d’après alors que
tu remets lendemain surlendemain un peu d’ordre dans ta
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grotte tête/ à coups d’espoirine et de téléfaune rassurants
coude à coude (allô maman ?)// ici ordre est un mot qui
n’existe pas/ n’a aucun sens/ n’arrime à rien/ est aussi tare
que l’air pur dans les grandes villes de chez nous et de
partout où il faut bien admettre qu’on n’a pas/ mais alors pas
une once succès à faire germinal la plus petite pépite de
révulsion politique/ ni même à friche un peu de bordel et
fausses notes dans chants du signe et création bien au
contraire/ on t’a gaiement labouré fourragé la terre ma mère/
par devant par derrière Pacha Mama !/ bien profond dans ta
culture/ sans voir qu’ils fignolaient/ à l’orée de tes fesses
suintant de famines/ engrais puants du gras progrès les putois
qui nous la mettent et nous laminent/ avant même que ploufplouf
on
dise
fuck
ou
qu’on
dise
ouf…………………………………………………………
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ouf ça y est tu raspires à nouveau-nez morvalement/ ici c’est
le CORPS qui te le dit qui te dit tout te prédit/ c’était peutêtre ça ta mission/ faire chut chut chuter la tête te bâillonner
la gueule ta grande gueule/ offrir au corps sa bouche
d’ombre et sa caverne/ là où sur le roc ça raisonne un chaos/
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un primitif combat pour la survie d’un coeurobot qui
takatchak se met à battre à fond tandis que tu vois je les
VOIS maintenant tous ces gosses/ déjà vieillis depuis l’aube/
quitter leurs jeux quitter leurs cris au bas de l’escalier qui
n’est plus qu’un ruisseau/ monter vers toi sur l’esplanade
encore desserte comme un lac du grand nord/ où tu rames
pour rester droit avec le feu d’une foutue dignité à laquelle
tu tiens absurdement/ et je les vois en file indienne ramper
vers toi lentement/ comme d’antiques acteurs de butô ils se
confondent par les pieds avec le sale ciment du sol qu’ils
foulent/ par mille mains-misères avec les murs qu’ils frôlent
comme silhouettes de béton briques animées/ corps quasi nu
et cendreux ça te rappelle ces dingues mystiques et hirsutes
qui se jetaient barbes en folie et bras tendus dans les fleuves
sacrés/ India song/ c’était lors d’un autre voyage/ d’une autre
mission/ missing/ disparue/ presque aussi pire que celle-là/
pas tout à fait parce que là là là je commence à vraiment
baliser/ leurs yeux de vieux effrayants tu n’en as jamais vu
de pareils et c’est l’angoisse qui te sèche/ SUR place/ tu ne
peux plus faire un geste ils t’ont hypNOtisé/ tu ne peux que
les attendre/ attendre qu’ils atteignent une esplanade peuplée
de toi seul/ l’esplanade est un autel autour duquel un rite un
scarifice va avoir lieu/ pour supplier les dieux que oui
CESSE pluie de merde !// tu ne sais pas si tu vas pouvoir t’y
soustraire ni si tu le veux vraiment/ et ils montent et ils
montent tu ne peux pas compter je conte pour toi/ un
bataillon de tout petits pèlerins affamés dont l’arme de
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restriction passive la plus redoutable est ce regard de hyène
rousse sûre d’avoir charogne aux babines/ ils vont te lyncher
t’écorcher te scalper pour étendre ton corps en offrandes car
c’est vrai qu’ils n’ont rien d’autre/ non/ rien de rien d’autre
à offrir pour mater la colère verte du ciel et ça y est/ ils sont
là/ les premiers de la file sont là ils font un cercle autour de
toi/ je me retourne et tu vois qu’il n’y a auCUNE issue/
NAda après l’esplanade/ aucune échappée possible/ DEAD
END/ le cul-de-sac parfait je ne pouvais pas savoir et si tu
avais su ça aurait quoi changé/ ils t’auraient coincé de toute
façon de cette lanière ou d’une autre/ hier ou demain/ ici et
là t’auraient pétrifié de leurs yeux purulents tel que je suis
maintenant/ avec mon froc-chiffon et ma chemise en carton
collés à mon ventre et mes cuisses éventrées par la trouille/
avec ton sac en dentellière pendant sur ta hanche droite et
dans lequel mon carnet de rivages s’est transmuté en grosse
éponge du Pacifique// ce n’est plus que çà ton voyage/
vagues tièdes de rancœurs/ ragoût de vieux ragots au fond du
sac d’un jeune troufion/ avec une frousse de recours pleine
de maudits ciments ne peuvant niet pour toi/ alors que la
fausse chieuse approche sous un chapeau que je n’avais pas
osé rêver/ pas même écrire et pourtant et
pourtant……………………………………………………
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pour lire la partition
……….… : blanc plus ou moins long pouvant contenir des
sons (bruits, voix sans mots distincts, souffles &c.) ou de la
musique
/
: simple pause, indiquant seulement respiration
(mais ne devant pas être assimilée à la virgule, c-a-d laissant
parfaitement libre la tonalité de la voix et la mélodie du
segment de l’unique phrase en cours)
//
: double pause, indiquant respiration plus
longue (mais ne devant pas être assimilée au point, c-a-d par
exemple n’impliquant pas une baisse de la voix)
/
/
: bref blanc entre deux simples pauses
(suspension silencieuse du corps parlant)
(
)
: ce qui figure entre les parenthèses doit être
dit avec une «autre» voix
!
?
: exclamation courante
: interrogation courante
italiques
: onomatopées, ou mots en langue étrangère
« citation »
: citation poétique ou proverbiale, elle doit
s’entendre comme telle
MAJUSCULES : mots ou syllabes devant provoquer une
inflexion de voix
[27]
Pierre GUÉRY Point, vire et gule ses premiers mots et cris, initial pidgin, à
l'exact milieu des sixties sur la no-swinging planète Mars(eille). Mais
résidence sur la Terre, refuse le pays exclusif dans la patrie des langues
diverses qui le flûtent. Charlot tombé minus dans la potion musique et le
souffle des vents d'est, il chanteparle, dansenoire, emmène nage sous l'auclair où il se mire en lignes, et dessine des villes-dérives aux cathédrales
grunges. Study un poco mezzo voce, teach un peu aux pays chauds où il
s'attarde en tchatches à rosée, traduit sa peau et scie le reste. Ce que son
être peut il ne le hait sang-doute pas, une délinquance de troisième cycle,
une pensée sub-kèkchose, à quoi tique ou versive. Transmet ses parasites
par la langue qu'il move sous la lame des (es)crocs, agite et pairs forme en
gorge les rythmes qui lui shake le corps de chasse dans des espaces
improvisés, et publie sa parlure dans quelques pavillons de fous qui la
dorent à l'oreille, l'arrêt percutant leurs espèces. Comprendes ?
Bookleg réalisé à l’occasion des lecturesperformances de l’auteur et de Anne-Claude
Goustiaux les 14 & 15 mars 2006
à La Générale de Belleville - Paris
et le 22 mars à La Compagnie - Marseille
Collection dirigée par - Collana diretta da Dante Bertoni
Déja parus en Bookleg - Già pubblicati in Bookleg...
Cuore distillato / Coeur distillé Antonio Bertoli & Marco Parente .
Solo de Amor Alejandro Jodorowsky . Démocratie Totalitaire Lawrence
Ferlinghetti . 100 bonnes raisons de “faire” de la poésie
Jean-Sébastien Gallaire & Philippe Krebs (Collectif Hermaphrodite) .
Vers les cieux qui n’existent pas Marianne Costa . Que tu sois
Evrahim Baran . Philtre Martin Bakero . Poudre d’ange Adanowsky .
Encyclique des nuages caraïbes Anatole Atlas . Passer le temps ou lui
casser la gueule Serge Noël . Mémoires d’un cendrier sale Kenan
Görgün . Cantique des hauteurs Rodolphe Massé . Brooklyn : Sketches
Thierry Clermont . Amen Damien Spleeters . Incantations barbares ODM
Le poète fait sa Pub Nicolas Ancion. Le Plongeoir Patrick Lowie .
La toute fine ombre des fleurs Otto Ganz . Alien-Nation Pierre Guéry
Les Pierres du Chemin Alejandro Jodorowsky . Lancer Thibaut Binard
que les livres circulent... la photocopie ne tue que ce qui est déjà mort...
che circolino i libri... la fotocopia uccide solo ciò che è già morto...
© Pierre Guéry, 2006
© Maelström éditions, Bruxelles, 2006
www.maelstromeditions.com
ISBN 2-930355-52-2 - Dépôt légal - 2006 - D/2006/9407/52
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