La Roue d`Infortune

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La Roue d`Infortune
La Roue d'Infortune
Ou "Le mauvais départ du maillot jaune"
Cassation, Com. 31 octobre 2006; Bell Sports
L’inscription des droits au registre nationaux et européens des brevets n’est pas qu’une formalité : la
Cour de cassation, appliquant les (trop ?) strictes dispositions de l’article L. 614-14 du Code de la
Propriété intellectuelle, a récemment rappelé que l’inscription est une condition d’effectivité du droit. Et
qu’en matière de contrefaçon, les rustines sont rares…
En l’espèce la société OVER FORING obtient un brevet français, délivré le 23 août 2003, portant sur
un système de fixation occipitale d’un casque de cycliste. Franchissant les étapes des extensions
internationales, elle dépose une demande de brevet européen portant sur la même invention, sous
priorité de la demande française, et régulièrement publiée.
Le 14 février 1997, le brevet change d’équipe : la société OVER FORING cède ses droits sur ses titres
de propriété à la société TIME SPORT INTERNATIONAL.
La cession du brevet français est officiellement homologuée par son inscription au Registre National
des Brevets. Celle du brevet européen, reléguée en queue de peloton, n’interviendra que sur
demande présentée le 29 octobre 1999.
Entretemps, une méchante suspicion de dopage plane sur certains concurrents de la société TIME
SPORT INTERNATIONAL. Le système de fixation des casques a-t-il été copié ?
Le 15 juin 1998, la société TIME SPORT INTERNATIONAL présente donc une requête en saisiecontrefaçon du seul brevet français, à l’encontre de la société EURO BELL. La défense est ensuite
poursuivie par la société BELL SPORTS. La requête est accordée le 17 juin 1998 ; les casques sont
saisis le 23 juin 1998 ; une assignation délivrée le 2 juillet 1998 donne le départ.
Malheureusement, le Code de la propriété intellectuelle contient une disposition dérogatoire qui
provoquera la chute du challenger. En effet, l’article L. 614-14 al. 2 du Code de la propriété
intellectuelle subordonne l’opposabilité aux tiers des droits attachés à un brevet français,
régulièrement inscrit au RNB, à l’accomplissement de formalités identiques portant sur la demande
européenne de brevet.
En d’autres termes, les demandes françaises et européennes d'une même invention doivent circuler
en tandem.
La Cour d’Appel, aux vues des efforts de la société TIME SPORT, se fonde sur les droits territoriaux
acquis : considérant que la société TIME SPORT INTERNATIONAL est propriétaire d’un brevet
français, dont l’acquisition est régulièrement inscrite en février 1997, elle reconnaît à celle-ci la qualité
à agir. En outre, de manière audacieuse mais pragmatique, la Cour d’Appel relève que le défaut de
qualité de TIME SPORT INTERNATIONAL a disparu en cours d’instance, par la publication de la
cession au Registre Européen des Brevets, laquelle a été notifiée en cours d’instance. Elle affirme
alors l’indivisibilité des opérations de saisie-contrefaçon et de l’action en contrefaçon.
Devant les juges du fond, le challenger évite donc deux chicanes.
Las, la Cour de Cassation arbitrera en sens contraire : rappelant que les droits de saisie et d'action
sont subordonnés à l'inscription de la cession française et de la cession européenne, elle dénie tant le
droit à saisir que le droit à agir de la société TIME SPORT INTERNATIONAL. Confirmant une
précédente jurisprudence (CA de Paris 29 novembre 1995, PIBD 1996-III-109), elle frappe de nullité
l’action en contrefaçon intentée par la société TIME SPORT INTERNATIONAL.
En cela, la Cour de cassation fait une exacte et stricte application de l’article L. 614-14 du Code de la
propriété intellectuelle.
Ce texte repose sur un principe d'unité territoriale: le législateur ne peut accepter que deux brevets
(un brevet français et la partie française d'un brevet européen), portant sur la même innovation,
coexistent sur un même territoire (la France). Dès lors, les droits conférés par le premier titre doivent
rester cohérents avec les droits conférés par le second titre. Le législateur ne peut concevoir qu'un
coureur ne change d'équipe en cours d'étape, en conservant son maillot et son matériel.
Toutefois, en subordonnant la validité des opérations de saisie-contrefaçon aux différentes
inscriptions aux deux Registres, la Cour de Cassation renforce la condition de cohérence. L'exercice
effectif des droits par la saisie-contrefaçon est subordonnée à l'inscription du changement de titulaire
aux deux Registres.
Cette jurisprudence peut être approuvée dans le cas de cession de brevets français et européens
identiques. En effet, le transfert intégral des droits portant sur une innovation peut être simultanément
inscrit sur les deux registres. Et comme le texte exige la seule inscription (et non la publication), le
titulaire des droits n'en subit pas de conséquence dommageable.
La question mérite cependant d'être posée en matière de licence de droits. Un déposant peut décider
d'attribuer des droits d'exploitation à différents partenaires situés dans différents Etats, en fonction de
leur capacité de production, de leur connaissance du marché, des concurrents… Selon l'article L. 61414 du Code, les distributeurs ne pourront obtenir réparation de leur préjudice si une mention manque
sur l'un des deux registres.
En outre, la pratique consistant à attendre la fin des périodes d'opposition et la validation définitive du
brevet européen pour procéder aux inscriptions nécessaires est judiciairement dangereuse, puisque
aucune régularisation ne peut intervenir en cours d'instance.
Enfin, cette décision de la Cour de cassation du 31 octobre 2006 nous paraît critiquable à plusieurs
titres:
d'une part, elle empêche le titulaire d'un brevet français de défendre son titre national au motif qu'une
procédure relative à un titre plus étendu n'est pas accomplie;
d'autre part, l'extension de la nullité à la procédure de saisie-contrefaçon la prive de toute efficacité;
enfin, elle aboutit au paradoxe qu'une extension du titre au niveau européen affaiblit le brevet national.
En conclusion, par l'arrêt de la Cour de cassation du 31 octobre 2006, l'extension européenne d'un
brevet français est devenue course d'endurance, qui débute par une course contre la montre: les
inscriptions aux registres.
Matthieu DESRUMAUX, Juriste Conseil
Jean SCHAFFNER, Ingénieur Brevet
© Jurispatent février 2007
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