Le secret d`une étoile
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Le secret d`une étoile
KIMBERLY LANG Le secret d’une étoile KIMBERLY LANG Le secret d’une étoile Collection : Azur Cet ouvrage a été publié en langue anglaise sous le titre : THE MILLION-DOLLAR QUESTION HARLEQUIN® est une marque déposée par le Groupe Harlequin Azur® est une marque déposée par Harlequin Si vous achetez ce livre privé de tout ou partie de sa couverture, nous vous signalons qu’il est en vente irrégulière. Il est considéré comme « invendu » et l’éditeur comme l’auteur n’ont reçu aucun paiement pour ce livre « détérioré ». Toute représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait une contrefaçon sanctionnée par les articles 425 et suivants du Code pénal. © 2014, Kimberly Kerr. © 2016, Traduction française : Harlequin. Tous droits réservés, y compris le droit de reproduction de tout ou partie de l’ouvrage, sous quelque forme que ce soit. Ce livre est publié avec l’autorisation de HARLEQUIN BOOKS S.A. Cette œuvre est une œuvre de fiction. Les noms propres, les personnages, les lieux, les intrigues, sont soit le fruit de l’imagination de l’auteur, soit utilisés dans le cadre d’une œuvre de fiction. Toute ressemblance avec des personnes réelles, vivantes ou décédées, des entreprises, des événements ou des lieux, serait une pure coïncidence. HARLEQUIN, ainsi que H et le logo en forme de losange, appartiennent à Harlequin Enterprises Limited ou à ses filiales, et sont utilisés par d’autres sous licence. Le visuel de couverture est reproduit avec l’autorisation de : HARLEQUIN BOOKS S.A. Tous droits réservés. HARLEQUIN 83-85, boulevard Vincent-Auriol, 75646 PARIS CEDEX 13 Service Lectrices — Tél. : 01 45 82 47 47 www.harlequin.fr ISBN 978-2-2802-8387-8 — ISSN 0993-4448 1. — Alors, ce rendez-vous, comment ça se présente ? Olivia Madison eut quelque difficulté à lever les yeux au ciel sans cesser d’appliquer son mascara, mais elle y parvint — de justesse. Toute la journée elle avait répété, elle était en retard et elle n’avait pas une minute à perdre. — Ce n’est pas un rendez-vous. Annie, sa colocataire, se laissa tomber sur le lit et examina la tenue qu’Olivia avait préparée. — Humm… Haut de soie, jean moulant et boots sexy. Coiffée, maquillée et — elle s’interrompit un instant pour humer l’air — parfumée. Tous les signaux sont au vert. Remarque, il était temps. J’ai cru que nous allions devoir acheter un couple de chats, mais le bail n’autorise pas les animaux. — D’abord, on n’en est pas encore là. Les trentenaires sont censées se marier et avoir des enfants. Ensuite, ce n’est qu’un malheureux dîner, et même, disons-le, un dîner d’affaires. — Dans cette tenue ? s’enquit Annie, visiblement peu convaincue. Tu t’es épilé les jambes ? Olivia l’avait fait, mais cela n’avait rien à voir avec la personne avec qui elle allait dîner. — C’est l’ancien colocataire de mon frère, quand il était étudiant. — Mignon ? Olivia acquiesça. Elle avait cherché sa photo en ligne 7 pour voir s’il avait beaucoup changé en neuf ans, espérant qu’il avait de la brioche ou perdait ses cheveux, mais elle avait été déçue. En mûrissant, les traits d’Evan Lawford avaient ajouté à son charme, et il ne ressemblait plus du tout au jeune homme prétentieux dont elle se souvenait. Ses cheveux naguère décolorés par le soleil avaient foncé — il ne devait plus passer son temps à la plage —, mettant en valeur le bleu de ses yeux. Sa mâchoire bien dessinée n’arborait plus son éternelle barbe de quatre jours. Ce n’était plus un gamin, mais un homme. Surprenant… Pour tout avouer, elle l’avait trouvé sexy, dans le style mannequin viril aux larges épaules, tel qu’on les voit dans les magazines. — Peu importe. C’est un salaud. — Ce qui veut dire que tu le trouves sexy, et c’est bien ce qui m’embête. Pourquoi les gentils ne sont‑ils jamais aussi craquants que les autres ? Ce serait vraiment trop demander ? lança Annie. — De toute évidence, oui, répondit Olivia en rangeant son mascara dans sa trousse. Et encore, concernant Evan, doté d’un ego surdimensionné, « salaud » était une gentillesse. Mais cela lui avait visiblement réussi et elle devrait faire avec, même si elle avait du mal à l’accepter. — Dans ce cas, pourquoi dîner avec lui ? Parce que je m’y sens obligée, pour faire avancer ma carrière. Mais ce n’était pas tout à fait vrai : au Miami Modern Ballet, personne ne s’attendait à ce qu’elle couche pour de l’argent, même si l’enjeu était de taille. — J’ai besoin de lui comme parrain. — Comme parrain ? Tu fais partie d’un groupe de parole ? Olivia retint un soupir. Elle comprenait l’inquiétude d’Annie. Elle avait quitté la maison à quinze ans et passé la décennie suivante sur scène et dans des studios de 8 danse, concentrée sur le but à atteindre : devenir danseuse étoile dans une compagnie prestigieuse. Alors, tout le monde pensait que quelque chose clochait chez elle : elle devait se droguer, souffrir de troubles du comportement alimentaire ou d’un délire psychotique à la Black Swan. Ils avaient peut‑être raison. Sauf que jusque-là aucun diagnostic précis n’avait encore été établi. Bien qu’elle ne connaisse Annie que depuis quelques mois — à l’intimité d’un appartement bien à elle, elle avait préféré la proximité des plages et de la vie nocturne de Miami, même avec une colocataire inconnue —, elles s’entendaient bien. — Mais non, pas ce genre de parrainage. Je cherche un sponsor qui me soutienne financièrement. L’art manque de moyens, expliqua-t‑elle en se glissant dans son jean. Annie détourna les yeux, mais des années de scène avaient fait perdre à Olivia toute pudeur. — On nous a retiré notre subvention, les ventes de billets sont en baisse et le mécénat d’entreprise n’est plus ce qu’il était. Donc, désormais, les gens riches peuvent soutenir un danseur à titre personnel. En retour, ils obtiennent des avantages, billets gratuits, accès aux coulisses, tables réservées au bal annuel. Les grands mécènes ont même le privilège d’inviter le danseur qu’ils parrainent aux fêtes données par leur entreprise ou à leurs réceptions privées. Ce n’est pas forcément facile, mais… — Pourquoi un parrain ? coupa Annie. Je te croyais sous contrat. Annie, qui travaillait comme interprète anglais-espagnol, n’avait pas une idée très nette de l’indigence des disciplines artistiques. — Je le suis, mais ce contrat coûte de l’argent. Et, même si MMBC a la possibilité de le renouveler la saison prochaine, rien ne garantit qu’ils le fassent, surtout si je 9 reste la seule à ne pas trouver de sponsor. Si j’en trouve un, rien n’est garanti, mais cela peut aider. — Je vois. Et tu penses que l’ancien colocataire de ton frère est riche à ce point ? — Je sais qu’il l’est. Je n’ai pas vu Evan depuis des années, mais Jory et lui restent très liés. Elle ne comprenait d’ailleurs pas très bien pourquoi. A la fac, Evan avait pratiquement fait de Jory sa copie conforme et, même si celui-ci s’en était plutôt bien sorti, elle ne voyait pas ce que les deux hommes pouvaient avoir en commun. — Il a de l’argent, reprit‑elle, les yeux fixés sur le miroir, tout en arrangeant du bout des doigts les boucles qui encadraient son visage. Reste à trouver la bonne façon de lui en demander. — Pourquoi ne pas lui poser franchement la question ? Après tout, il peut obtenir une déduction fiscale. — Je sais, mais c’est… c’est plus compliqué. Elle n’était pas très sûre d’avoir envie de s’expliquer. En fait, elle n’en avait pas la moindre envie. — Compliqué ? répéta Annie en levant les sourcils. Ah ! je vois, ce genre de complication… — Disons que ce n’est pas assez compliqué pour que je ne veuille rien lui demander, mais suffisamment pour que je prenne des gants. — Si tu te sens gênée, pourquoi ne sollicites-tu pas ton frère pour qu’il joue les intermédiaires ? — C’est impossible. — Dans ce cas, pourquoi ne pas demander à ton frère ou à tes parents de te sponsoriser ? Elle connaissait Jory. Si elle lui avouait qu’elle cherchait un sponsor, il sortirait aussitôt son carnet de chèques et courrait avertir ses parents qui feraient de même. Pas question. Jory devait investir son argent dans ses propres affaires, et ses parents, économiser pour leur retraite. 10 Ils avaient beau vivre confortablement, ils avaient fait de gros sacrifices durant des années pour lui permettre de réaliser son rêve. Plus question d’accepter le moindre sou de leur part. — Ils vivent à Tampa et les sponsors doivent être des locaux, répondit‑elle sans être sûre que c’était vrai. La compagnie préférait sans doute les sponsors locaux — ce qui facilitait les démarches de déduction fiscale —, mais comment imaginer qu’elle refuse de l’argent ? Néanmoins, cette explication parut satisfaire Annie. — Effectivement, dans ce cas, cela pose problème. — Je ne vis à Miami que depuis trois mois et je n’y connais personne d’autre que lui, dit‑elle en lâchant ses boots pour regarder Annie. A moins que tu n’aies des milliers de dollars d’économie et que tu brûles de t’en défaire au profit d’activités artistiques locales ? — Hélas, j’aimerais pouvoir le faire… — Donc, je vais sortir dîner avec Evan, conclut Olivia en jetant à son miroir un dernier regard critique avant de se tourner vers son amie. Comment me trouves-tu ? — Superbe, comme toujours. Et, comme toujours, je te déteste de l’être autant. Si tu ne parviens pas à convaincre Evan par la force de la raison, tu as d’autres arguments pour lui faire sortir son carnet de chèques, répondit Annie en se levant du lit. Et ne compte pas sur moi pour t’attendre ! Mais Olivia n’avait pas la moindre intention de flirter avec Evan. Elle était décidée à se montrer polie et amicale, dans un registre purement professionnel. Elle avait flirté avec lui une seule fois, et aujourd’hui encore elle se souvenait de la leçon. Désormais plus âgée et plus sage, elle était capable de considérer cet épisode comme une sorte d’expérience éducative. Sans plus ressentir ni honte ni désespoir. Ou presque… 11 * * * Comme le restaurant choisi par Evan se trouvait à six rues seulement de l’appartement qu’elle partageait avec Annie, Olivia décida de s’y rendre à pied. Il fallait absolument qu’elle achète une voiture, même si jusque-là elle avait réussi à différer cette dépense en utilisant les transports en commun. On avait beau être en novembre, inutile de mettre un pull. Elle prit néanmoins un pashmina, au cas où la climatisation maintiendrait dans le restaurant un froid polaire. Après tant d’hivers passés dans les froideurs septentrionales, elle était ravie de vivre de nouveau en Floride et d’avoir pu remiser toutes ses tenues d’hiver dans un garde-meubles de Tampa. Cela faisait une heure que le soleil était couché, mais il faisait encore 25 °C, une température agréable pour se promener, même si elle trouvait déstabilisant de voir par une telle chaleur les commerçants enlever leurs décorations d’Halloween pour les remplacer par des images du Père Noël. Elle réussirait à aimer Miami. MMBC était une compagnie très respectée dont le répertoire alliait magnifiquement œuvres classiques et contemporaines. Sans doute pas aussi prestigieuse qu’une académie new-yorkaise, mais en compensation la vie était moins chère et la concurrence moins rude. Et puis, en tant qu’artiste, rien ne l’empêcherait de se faire inviter ailleurs si elle avait la bougeotte ou si elle commençait à s’ennuyer. Et puis, il fallait qu’elle pense à son avenir. Si tout se passait bien, il lui restait six ans, sept au mieux avant la retraite. Déjà elle commençait à ressentir les effets du temps, et chaque année elle risquait davantage de se blesser. Il lui fallait absolument se construire une base solide, et Miami était l’endroit idéal pour cela. Et, en plus, la ville se situait à quatre heures de chez elle. C’était parfait. A condition qu’elle conserve ce travail 12 qu’elle avait eu tant de mal à obtenir. Le fait qu’elle soit prête à se tourner vers Evan Lawford prouvait à quel point elle désirait que son contrat soit reconduit la saison suivante. Cela lui donnerait le temps de se construire une réputation et un réseau ici, à Miami, et de garder le maximum de chances pour les saisons suivantes. Il ne lui restait plus qu’à profiter au mieux de ce dîner pour obtenir l’accord d’Evan. Simple comme bonjour. Curieusement, quand elle l’avait recontacté par email pour proposer qu’ils se revoient, il ne lui avait guère posé de questions. Elle lui avait donné son numéro de téléphone, mais il s’en était tenu à l’email pour fixer une date et un lieu de rendez-vous avec un minimum de détails. Etait‑ce bon signe ou non, elle n’aurait su le dire. Il lui avait fallu du courage — bien plus qu’elle ne l’aurait cru — pour lui envoyer cet email. Mais il lui avait répondu si vite qu’elle n’avait eu que quarante-huit heures pour établir son plan de bataille. Evan et Jory étaient des amis, presque des frères, elle savait qu’Evan adorait ses parents et préférait souvent passer le week-end chez eux que dans sa propre famille. Et ses parents l’aimaient bien, eux aussi. Mais cela n’avait rien à voir avec elle, et elle ne pouvait pas compter sur leur gentillesse ou sur Jory pour obtenir d’Evan ce qu’elle attendait de lui. Evan et elle n’étaient pas amis, mais ils n’étaient pas non plus des étrangers l’un pour l’autre. Comment appeler le lien qu’on pouvait avoir avec le colocataire de son frère, quand c’était également l’homme avec qui on avait perdu sa virginité — et avec qui on avait passé une seule et unique nuit ? Avec le temps, la blessure s’était refermée, et elle avait réussi à relativiser en se disant qu’il n’y avait sans doute là rien de personnel. Cela lui avait évité de commettre la même erreur un peu plus tard, quand elle s’était retrouvée 13 seule, entourée d’étrangers, et par là même plus vulnérable. Sa naïveté aurait pu se révéler plus dangereuse encore. Le plus embarrassant était qu’à l’époque elle savait parfaitement à quoi s’attendre de la part d’Evan, puisque c’était lui qui avait initié Jory à sa vie de débauche — filles, alcool et musique. Mais, avec son arrogance d’adolescente, elle s’était dit qu’avec elle ce serait différent. Exceptionnel en quelque sorte. Amplifiée par le charme d’Evan, son physique agréable et sa sensualité déchaînée, cette arrogance lui avait fait oublier tout ce qu’elle savait pourtant en théorie. Telle était la voix de la raison. La même qui lui soufflait que cette blessure s’était a posteriori révélée utile en lui permettant de se concentrer sur son entraînement plutôt que de s’engager dans une liaison qui lui aurait compliqué la vie sans aucun profit. Donc, tout était parfait. Après ça, renoncer aux soirées, aux petits amis, ne lui était pas apparu comme un si grand sacrifice. Pas insurmontable, en tout cas. Aujourd’hui, elle regrettait ce sacrifice, mais préférait enfouir ses regrets au plus profond de son cœur. Même si Evan éprouvait quelque remords au sujet de ce regrettable incident, elle n’était pas certaine de vouloir jouer là-dessus. Elle risquait d’avoir l’air au mieux stupide et ridicule, désespérément naïve, et au pire mesquine et manipulatrice. Pas question. Ce week-end perdu le resterait. Elle était adulte, il l’était aussi. En dépit de ce lien particulier, il s’agissait aujourd’hui pour elle d’établir une relation financière avec lui. Et ce n’était pas un crime d’utiliser son réseau pour cela. Sois amicale et professionnelle. Evan avait réussi dans les affaires. A en croire Jory, son agence de pub était en pleine expansion. Il apprécierait son approche toute professionnelle. Inutile de lui présenter d’emblée sa 14 requête, un petit préambule amical ne pouvait qu’arrondir les angles. Puis elle aborderait assez vite la question du mécénat, afin de lui donner la possibilité de poser des questions et se ménager suffisamment de temps pour le convaincre. Si tout se passait bien, elle obtiendrait son accord dès ce soir et pourrait annoncer le lendemain la bonne nouvelle au directeur de la troupe. Si tout se passait bien. Mais il n’y avait aucune raison que ce ne soit pas le cas. — Bonsoir, monsieur Lawford. Tout en ouvrant la porte du Tourmaine, le maître d’hôtel accueillit Evan avec un sourire. Celui-ci y recevait souvent des clients — l’établissement était assez moderne pour être au goût du jour sans être trop à la mode, la musique assez discrète pour qu’on puisse converser agréablement, la cuisine impeccable, et le personnel le connaissait bien et appréciait ses pourboires. — Bonsoir, Brian. — Bonne dégustation. — Merci. Un échange banal, mais qui prouvait que le monde continuait à tourner rond. Sauf qu’il n’avait aucune idée de la raison pour laquelle Olivia Madison tenait tant à dîner avec lui. Bien sûr, il n’ignorait pas qu’elle avait emménagé à Miami. Jory était ridiculement fier de la réussite de sa sœur et ils avaient dîné tous les deux le soir où ce dernier avait assisté au premier spectacle d’Olivia avec sa nouvelle compagnie, mais la jeune femme ne s’était pas jointe à eux. Evan s’était arrangé pour ne pas la revoir depuis ses dix-huit ans. En fait, elle avait été la cause du seul incident qui ait altéré sa complicité avec Jory ; ils avaient failli en venir aux mains à cause d’elle, et avaient mis du temps 15 à réparer l’accroc causé à leur amitié. Il ignorait si pour Jory le sujet restait toujours aussi sensible, et ne tenait d’ailleurs pas à le savoir — du moins pas tant qu’Olivia ne lui aurait pas révélé pourquoi elle l’avait recontacté. Miami était bien assez grand pour qu’ils ne risquent pas de s’y rencontrer par hasard et l’email qu’elle lui avait envoyé, tout comme cette invitation à dîner, lui avait paru suspect, sans qu’il sache vraiment pourquoi. Tels étaient les faits et il préférait s’y tenir. Bien qu’il ait quelques minutes d’avance, Olivia était déjà là. Dans la foule qui se pressait autour du bar, il n’eut aucun mal à repérer la blondeur éclatante que les deux enfants Madison avaient héritée de leur mère. Les yeux baissés sur son téléphone, elle lui offrait son profil et il prit le temps de l’examiner tout à loisir. A dix-huit ans, elle avait un visage aux traits encore enfantins, mais paraissait bien plus mûre, d’une certaine façon, que la majorité des filles de son âge. Aujourd’hui, à un âge où beaucoup s’interrogeaient encore sur leur avenir, elle exerçait une profession, et avait déjà voyagé et vécu de façon indépendante. Son visage avait perdu les rondeurs de l’enfance, remplacées par des pommettes saillantes et des sourcils bien dessinés. Quant à sa silhouette, classique et élégante, elle était mise en valeur par une attitude et des mouvements d’une grâce naturelle, même lorsqu’elle commandait un verre ou marchait simplement vers lui… comme elle le faisait en ce moment, un sourire hésitant aux lèvres. — Evan. Comme je suis contente de te voir ! Même si le ton était sincère, il douta que ce fût absolument vrai. Elle eut un instant d’hésitation avant de mimer un baiser à quelques centimètres de sa joue. Mais, quand elle l’effleura sans le vouloir, elle sursauta comme si elle s’était brûlée. Inutile de chercher à le nier, il tressaillit lui aussi, et dut s’éclaircir la gorge. 16 — Moi aussi, je suis ravi de te revoir. Après cet échange obligé, il y eut un silence gênant auquel il s’empressa de mettre fin. — Tu as l’air en pleine forme. Elle esquissa un sourire. — Toi aussi. Autre silence que brisa l’arrivée de l’hôtesse. — Monsieur Lawford, votre table est prête. Evan suivit Olivia tout en étudiant sa silhouette. Elle était d’une extrême minceur, comme naguère, une nécessité de la danse. Au point qu’il était heureux d’être dans un restaurant, tant il avait envie de la nourrir. Elle lui parut aussi plus grande que dans son souvenir, à peine moins de son propre mètre quatre-vingt‑cinq, même si les talons de ses boots étaient très raisonnables. Ses cheveux lui tombaient en longues boucles souples au milieu du dos et une chaîne dorée soulignait la finesse de sa taille. Des jambes interminables et des pieds légèrement en dehors donnaient à sa démarche une grâce et une légèreté exceptionnelles. Avec son menton levé et ses épaules effacées, elle avait une réelle présence. Il avait tant de mal à détacher d’elle son regard qu’il dut secouer la tête pour s’en arracher. Evidemment, cette femme était mince et gracieuse. Comment aurait‑elle pu ne pas l’être ? Dans son métier, c’était une nécessité. Une fois assis dans le box discret qu’il affectionnait, ils passèrent commande, ce qui évita tout silence gênant, et il eut la surprise de constater que le repas qu’elle commandait était presque aussi copieux que le sien. — Quelle quantité de nourriture ! ne put‑il s’empêcher de remarquer. — Si cela pose problème, je peux la payer de ma poche. — Ce n’était pas un reproche ! — Vraiment ? Dans ce cas, que voulais-tu dire ? demanda-t‑elle sur un ton innocent. 17 D’habitude, il préférait éviter d’aborder le sujet du poids et du régime avec les femmes, mais il en avait déjà trop dit. — Je… Tu… En fait, je m’attendais à ce que tu commandes une salade avec la sauce à part. — En entrée, pourquoi pas ? Mais j’ai fait six heures d’entraînement aujourd’hui et j’ai faim. — Disons une grande salade, alors. Olivia croisa les mains sur la table. Au ton qu’elle employa, il comprit que ce n’était pas la première fois, loin de là, qu’elle faisait une telle mise au point. — Je mange. J’ai besoin de manger. Je travaille dur et, pour accomplir ce travail, mon corps a besoin d’énergie. Je surveille mon poids, mais pour moi cela n’a rien d’une obsession, et j’apprécierais qu’il en soit de même pour toi. D’accord ? — D’accord. — Ici, ils servent le steak avec une sauce au bleu. Comment pourrais-je y résister ? — Tu as complètement raison. Cela se présentait bien, mais il préférait différer son jugement jusqu’à ce qu’il l’ait vue manger. Travaillant dans la pub, il connaissait l’acharnement des mannequins à perdre du poids, mais Olivia n’était ni décharnée ni squelettique. Très mince, certes, mais d’une minceur qui n’avait rien de maladif. — Je suis surpris, voilà tout, reprit‑il. Tout comme je l’ai été d’avoir de tes nouvelles. Elle tendit la main vers son verre d’eau, mais suspendit son geste. — Cela a pu te surprendre, mais honnêtement j’aurais dû te faire signe plus tôt. Ma seule excuse, c’est que j’ai été débordée ces dernières semaines : répétitions du spectacle d’automne, puis j’ai enchaîné avec Casse-noisette et une autre pièce en janvier. Je n’ai plus une minute à moi. Cela faisait douze ans maintenant qu’il connaissait 18 Jory et retrouvait chez sa sœur certaines des réactions de son ami, ce qui la lui rendait plus facile à déchiffrer. En ce moment, il la sentait un peu gênée, et cela n’avait rien d’étonnant. En fait, même si elle avait été très occupée, elle avait bien d’autres raisons de ne pas le contacter, des raisons qu’il n’y avait pas lieu d’évoquer. Cela piquait encore davantage sa curiosité, et néanmoins il avait envie de la mettre à l’aise. Le passé allait forcément resurgir, mais mieux valait redémarrer sur une base amicale. — Mais, maintenant, tu te sens plus tranquille ? — Oui. Je ne me perds plus et je commence à sortir un peu de chez moi, ce qui est une bonne chose. C’est merveilleux de vivre en Floride et de pouvoir aller à la plage quand on en a envie, même en novembre. Par Jory, il avait appris qu’Olivia avait séjourné à Chicago et à Boston où il tombait assez de neige l’hiver pour rendre fou n’importe quel natif de Floride. — Quelle est ta plage préférée ? — Jusqu’ici, je n’ai pas encore pu aller à la plage tellement j’ai été occupée. — Tu es une droguée du travail ? — Quand on aime son travail, cela n’a rien d’une corvée d’y consacrer son temps. — Ce n’est pas une réponse. — Je travaille beaucoup et ça me plaît. Ça te va ? — C’est une bonne réponse que je me promets d’utiliser moi-même à l’avenir, dit‑il tandis que le serveur déposait leurs verres sur la table. Il prit le sien et le leva. — Mes félicitations pour ta réussite professionnelle. — Merci, répondit‑elle avec un sourire moins hésitant. C’est très excitant. A MMBC, ma compagnie, les étoiles sont issues du corps de ballet, mais cette fois ils ont décidé d’ouvrir leur recherche. Je connaissais l’un des danseurs de la troupe depuis des années ; c’est lui qui a 19 parlé de moi au directeur artistique. Toutes les étoiles ont approuvé ma venue. Et toi ? Jory dit que ton agence marche superbement. — Je n’ai pas à me plaindre. Nous n’avons que trois ans, et nous devrons encore grandir, mais tout se passe bien. — J’en suis ravie. Et très heureuse pour toi. Elle fixa son verre de pinot gris et le silence s’installa de nouveau. Puis elle leva vers lui son visage en souriant d’un air contraint. — Dans deux semaines, Jory va venir assister au spectacle avec mes parents. — Je le sais. Nous devons en profiter pour nous voir. — Ah ! très bien. — Il m’a dit que tes parents étaient très impatients. — Comme j’étais loin, ils n’ont pas souvent eu l’occasion de me voir sur scène. Je leur ai bien envoyé des vidéos, mais ce n’est pas pareil. Et pour tout dire, moi aussi, j’ai hâte. Tu sais, ajouta-t‑elle, si tu as envie d’assister avec eux au spectacle, je peux t’obtenir une place. — Non, non — les mots étaient sortis de sa bouche sans qu’il s’en aperçoive. Je veux dire, non merci. Je ne suis pas vraiment amateur. Quelle horreur ! Dénigrer le métier d’une femme ! Excellente manière d’entamer un dîner. — De Casse-noisette ou de danse en général ? — Les deux. Sans vouloir te vexer, ce n’est vraiment pas ma tasse de thé. — Chacun ses goûts. Tu t’intéresses à d’autres domaines artistiques ? Bien qu’elle garde le sourire, il sentait qu’il l’avait blessée. — J’ai une carte du musée d’Art. J’aime bien toutes ces vieilleries égyptiennes. Et je m’intéresse aussi à quelques groupes locaux. Un vrai désert culturel. Il tenta de se justifier. 20 — Développer cette agence m’a pris presque tout mon temps. — Je ne te juge pas. Sa moue démentait ses paroles apaisantes. — Bien sûr que si. — Peut‑être un peu, reconnut‑elle avec un haussement d’épaules. Ce sont les arts qui nous confèrent notre humanité. Ils sont la pierre angulaire de la civilisation, le cœur même de notre culture commune. Il faillit se mettre à rire, mais réussit à se contenir. Visiblement, elle y croyait. — Tu devrais travailler dans la pub. J’ai l’impression de lire une brochure destinée à récolter des fonds. — Cela n’en reste pas moins vrai, répondit‑elle en baissant la tête. — Cela n’en reste pas moins barbant. — Tu ne cherches toujours pas à me vexer ? — Bien sûr que non. — Cela ne t’empêcherait donc pas de participer financièrement ? — Ne me regarde pas comme ça ! — Comment ? s’enquit‑elle d’un air innocent. — Comme si j’étais un vieux radin. Je donne à des œuvres caritatives, tu sais, mais dans un domaine plus concret : nourriture, hébergement, soins médicaux… — Ce sont des causes éminemment respectables. — Tu te moques de moi ? — Non. C’est dur de se cultiver quand on a le ventre vide. Je suis certaine qu’on apprécie à sa juste valeur ta philanthropie. Il eut soudain l’impression qu’elle ne lui avait pas tout dit, mais la conversation s’interrompit avec l’arrivée des plats qu’Olivia accueillit avec un enthousiasme sincère. — Ça a l’air délicieux, dit‑elle en humant son assiette avant de déguster une bouchée. 21 Ce steak en sauce était l’une des spécialités de la maison, à juste titre d’ailleurs. — Excellent, reprit‑elle avec un sourire d’extase. Evan avala sa salive. Il lui avait déjà vu cette mimique et, en la reconnaissant, il lui sembla que c’était la veille. Mais cette fois-là Olivia n’était pas en train de manger un steak à la crème. Ce fameux jour, c’était lui, la raison de son ravissement, comme vint le lui rappeler une réaction toute physique qui le laissa légèrement étourdi. Après tant d’années, il suffisait donc d’une simple mimique pour raviver un flot de souvenirs qu’il croyait définitivement scellés. Mais cette expression… Il crut sentir de nouveau ses longues jambes se nouer autour de ses hanches. En rouvrant les yeux, elle vit qu’il la regardait et parut décontenancée. — Je t’ai dit que je mangeais, mais je ne mange pas comme ça tout le temps. Alors, quand ça m’arrive, j’essaie d’en profiter. Si elle avait l’intention de profiter de tout le repas de cette façon, où en serait‑il au dessert ? Heureusement qu’elle ne pouvait pas lire dans ses pensées ! 22 KIMBERLY LANG Le secret d’une étoile Une nuit inoubliable, puis le silence… pendant neuf ans. Pour Olivia, Evan Lawford, c’est l’homme qui lui a brisé le coeur et qu’elle a juré de ne jamais revoir. Hélas, aujourd’hui, elle n’a pas le choix : c’est tout ce pour quoi elle a travaillé, sa carrière de danseuse étoile, qu’elle risque de perdre si elle ne trouve pas très vite un sponsor. Alors, la mort dans l’âme, elle va demander son aide au milliardaire. Mais hors de question de se laisser déstabiliser par son charme et ses stratagèmes de séducteur, leur rendez‐vous sera purement professionnel. Et pourtant, au moment de pousser la porte du luxueux restaurant où ils doivent se retrouver, Olivia ne peut empêcher son coeur de battre plus vite… -:HSMCSA=W]X]\]: 1er janvier 2016 www.harlequin.fr 2016.01.42.5366.3 ROMAN INÉDIT - 4,30