Le secret d`une étoile

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Le secret d`une étoile
KIMBERLY LANG
Le secret
d’une étoile
KIMBERLY LANG
Le secret d’une étoile
Collection : Azur
Cet ouvrage a été publié en langue anglaise
sous le titre :
THE MILLION-DOLLAR QUESTION
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© 2014, Kimberly Kerr.
© 2016, Traduction française : Harlequin.
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1.
— Alors, ce rendez-vous, comment ça se présente ?
Olivia Madison eut quelque difficulté à lever les yeux
au ciel sans cesser d’appliquer son mascara, mais elle y
parvint — de justesse. Toute la journée elle avait répété,
elle était en retard et elle n’avait pas une minute à perdre.
— Ce n’est pas un rendez-vous.
Annie, sa colocataire, se laissa tomber sur le lit et
examina la tenue qu’Olivia avait préparée.
— Humm… Haut de soie, jean moulant et boots sexy.
Coiffée, maquillée et — elle s’interrompit un instant
pour humer l’air — parfumée. Tous les signaux sont au
vert. Remarque, il était temps. J’ai cru que nous allions
devoir acheter un couple de chats, mais le bail n’autorise
pas les animaux.
— D’abord, on n’en est pas encore là. Les trentenaires
sont censées se marier et avoir des enfants. Ensuite, ce
n’est qu’un malheureux dîner, et même, disons-le, un
dîner d’affaires.
— Dans cette tenue ? s’enquit Annie, visiblement peu
convaincue. Tu t’es épilé les jambes ?
Olivia l’avait fait, mais cela n’avait rien à voir avec la
personne avec qui elle allait dîner.
— C’est l’ancien colocataire de mon frère, quand il
était étudiant.
— Mignon ?
Olivia acquiesça. Elle avait cherché sa photo en ligne
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pour voir s’il avait beaucoup changé en neuf ans, espérant
qu’il avait de la brioche ou perdait ses cheveux, mais elle
avait été déçue. En mûrissant, les traits d’Evan Lawford
avaient ajouté à son charme, et il ne ressemblait plus du
tout au jeune homme prétentieux dont elle se souvenait.
Ses cheveux naguère décolorés par le soleil avaient foncé
— il ne devait plus passer son temps à la plage —, mettant
en valeur le bleu de ses yeux. Sa mâchoire bien dessinée
n’arborait plus son éternelle barbe de quatre jours. Ce
n’était plus un gamin, mais un homme. Surprenant…
Pour tout avouer, elle l’avait trouvé sexy, dans le style
mannequin viril aux larges épaules, tel qu’on les voit
dans les magazines.
— Peu importe. C’est un salaud.
— Ce qui veut dire que tu le trouves sexy, et c’est bien
ce qui m’embête. Pourquoi les gentils ne sont‑ils jamais
aussi craquants que les autres ? Ce serait vraiment trop
demander ? lança Annie.
— De toute évidence, oui, répondit Olivia en rangeant
son mascara dans sa trousse.
Et encore, concernant Evan, doté d’un ego surdimensionné, « salaud » était une gentillesse. Mais cela lui avait
visiblement réussi et elle devrait faire avec, même si elle
avait du mal à l’accepter.
— Dans ce cas, pourquoi dîner avec lui ?
Parce que je m’y sens obligée, pour faire avancer ma
carrière. Mais ce n’était pas tout à fait vrai : au Miami
Modern Ballet, personne ne s’attendait à ce qu’elle couche
pour de l’argent, même si l’enjeu était de taille.
— J’ai besoin de lui comme parrain.
— Comme parrain ? Tu fais partie d’un groupe de
parole ?
Olivia retint un soupir. Elle comprenait l’inquiétude
d’Annie. Elle avait quitté la maison à quinze ans et passé
la décennie suivante sur scène et dans des studios de
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danse, concentrée sur le but à atteindre : devenir danseuse
étoile dans une compagnie prestigieuse. Alors, tout le
monde pensait que quelque chose clochait chez elle : elle
devait se droguer, souffrir de troubles du comportement
alimentaire ou d’un délire psychotique à la Black Swan.
Ils avaient peut‑être raison. Sauf que jusque-là aucun
diagnostic précis n’avait encore été établi.
Bien qu’elle ne connaisse Annie que depuis quelques
mois — à l’intimité d’un appartement bien à elle, elle
avait préféré la proximité des plages et de la vie nocturne
de Miami, même avec une colocataire inconnue —, elles
s’entendaient bien.
— Mais non, pas ce genre de parrainage. Je cherche
un sponsor qui me soutienne financièrement. L’art manque
de moyens, expliqua-t‑elle en se glissant dans son jean.
Annie détourna les yeux, mais des années de scène
avaient fait perdre à Olivia toute pudeur.
— On nous a retiré notre subvention, les ventes de billets
sont en baisse et le mécénat d’entreprise n’est plus ce qu’il
était. Donc, désormais, les gens riches peuvent soutenir
un danseur à titre personnel. En retour, ils obtiennent
des avantages, billets gratuits, accès aux coulisses, tables
réservées au bal annuel. Les grands mécènes ont même le
privilège d’inviter le danseur qu’ils parrainent aux fêtes
données par leur entreprise ou à leurs réceptions privées.
Ce n’est pas forcément facile, mais…
— Pourquoi un parrain ? coupa Annie. Je te croyais
sous contrat.
Annie, qui travaillait comme interprète anglais-espagnol, n’avait pas une idée très nette de l’indigence des
disciplines artistiques.
— Je le suis, mais ce contrat coûte de l’argent. Et,
même si MMBC a la possibilité de le renouveler la saison
prochaine, rien ne garantit qu’ils le fassent, surtout si je
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reste la seule à ne pas trouver de sponsor. Si j’en trouve
un, rien n’est garanti, mais cela peut aider.
— Je vois. Et tu penses que l’ancien colocataire de
ton frère est riche à ce point ?
— Je sais qu’il l’est. Je n’ai pas vu Evan depuis des
années, mais Jory et lui restent très liés.
Elle ne comprenait d’ailleurs pas très bien pourquoi.
A la fac, Evan avait pratiquement fait de Jory sa copie
conforme et, même si celui-ci s’en était plutôt bien sorti,
elle ne voyait pas ce que les deux hommes pouvaient
avoir en commun.
— Il a de l’argent, reprit‑elle, les yeux fixés sur le
miroir, tout en arrangeant du bout des doigts les boucles
qui encadraient son visage. Reste à trouver la bonne façon
de lui en demander.
— Pourquoi ne pas lui poser franchement la question ?
Après tout, il peut obtenir une déduction fiscale.
— Je sais, mais c’est… c’est plus compliqué.
Elle n’était pas très sûre d’avoir envie de s’expliquer.
En fait, elle n’en avait pas la moindre envie.
— Compliqué ? répéta Annie en levant les sourcils.
Ah ! je vois, ce genre de complication…
— Disons que ce n’est pas assez compliqué pour que
je ne veuille rien lui demander, mais suffisamment pour
que je prenne des gants.
— Si tu te sens gênée, pourquoi ne sollicites-tu pas
ton frère pour qu’il joue les intermédiaires ?
— C’est impossible.
— Dans ce cas, pourquoi ne pas demander à ton frère
ou à tes parents de te sponsoriser ?
Elle connaissait Jory. Si elle lui avouait qu’elle cherchait
un sponsor, il sortirait aussitôt son carnet de chèques et
courrait avertir ses parents qui feraient de même. Pas
question. Jory devait investir son argent dans ses propres
affaires, et ses parents, économiser pour leur retraite.
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Ils avaient beau vivre confortablement, ils avaient fait
de gros sacrifices durant des années pour lui permettre
de réaliser son rêve. Plus question d’accepter le moindre
sou de leur part.
— Ils vivent à Tampa et les sponsors doivent être des
locaux, répondit‑elle sans être sûre que c’était vrai.
La compagnie préférait sans doute les sponsors locaux
— ce qui facilitait les démarches de déduction fiscale —,
mais comment imaginer qu’elle refuse de l’argent ?
Néanmoins, cette explication parut satisfaire Annie.
— Effectivement, dans ce cas, cela pose problème.
— Je ne vis à Miami que depuis trois mois et je n’y
connais personne d’autre que lui, dit‑elle en lâchant ses
boots pour regarder Annie. A moins que tu n’aies des
milliers de dollars d’économie et que tu brûles de t’en
défaire au profit d’activités artistiques locales ?
— Hélas, j’aimerais pouvoir le faire…
— Donc, je vais sortir dîner avec Evan, conclut Olivia
en jetant à son miroir un dernier regard critique avant
de se tourner vers son amie. Comment me trouves-tu ?
— Superbe, comme toujours. Et, comme toujours,
je te déteste de l’être autant. Si tu ne parviens pas à
convaincre Evan par la force de la raison, tu as d’autres
arguments pour lui faire sortir son carnet de chèques,
répondit Annie en se levant du lit. Et ne compte pas sur
moi pour t’attendre !
Mais Olivia n’avait pas la moindre intention de flirter
avec Evan. Elle était décidée à se montrer polie et amicale,
dans un registre purement professionnel. Elle avait flirté
avec lui une seule fois, et aujourd’hui encore elle se
souvenait de la leçon. Désormais plus âgée et plus sage,
elle était capable de considérer cet épisode comme une
sorte d’expérience éducative. Sans plus ressentir ni honte
ni désespoir. Ou presque…
11
*
* *
Comme le restaurant choisi par Evan se trouvait à
six rues seulement de l’appartement qu’elle partageait
avec Annie, Olivia décida de s’y rendre à pied. Il fallait
absolument qu’elle achète une voiture, même si jusque-là
elle avait réussi à différer cette dépense en utilisant les
transports en commun.
On avait beau être en novembre, inutile de mettre
un pull. Elle prit néanmoins un pashmina, au cas où la
climatisation maintiendrait dans le restaurant un froid
polaire. Après tant d’hivers passés dans les froideurs
septentrionales, elle était ravie de vivre de nouveau en
Floride et d’avoir pu remiser toutes ses tenues d’hiver
dans un garde-meubles de Tampa. Cela faisait une heure
que le soleil était couché, mais il faisait encore 25 °C,
une température agréable pour se promener, même si
elle trouvait déstabilisant de voir par une telle chaleur
les commerçants enlever leurs décorations d’Halloween
pour les remplacer par des images du Père Noël.
Elle réussirait à aimer Miami. MMBC était une compagnie
très respectée dont le répertoire alliait magnifiquement
œuvres classiques et contemporaines. Sans doute pas
aussi prestigieuse qu’une académie new-yorkaise, mais en
compensation la vie était moins chère et la concurrence
moins rude. Et puis, en tant qu’artiste, rien ne l’empêcherait
de se faire inviter ailleurs si elle avait la bougeotte ou si
elle commençait à s’ennuyer.
Et puis, il fallait qu’elle pense à son avenir. Si tout se
passait bien, il lui restait six ans, sept au mieux avant
la retraite. Déjà elle commençait à ressentir les effets
du temps, et chaque année elle risquait davantage de se
blesser. Il lui fallait absolument se construire une base
solide, et Miami était l’endroit idéal pour cela.
Et, en plus, la ville se situait à quatre heures de chez elle.
C’était parfait. A condition qu’elle conserve ce travail
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qu’elle avait eu tant de mal à obtenir. Le fait qu’elle soit
prête à se tourner vers Evan Lawford prouvait à quel
point elle désirait que son contrat soit reconduit la saison
suivante. Cela lui donnerait le temps de se construire
une réputation et un réseau ici, à Miami, et de garder le
maximum de chances pour les saisons suivantes.
Il ne lui restait plus qu’à profiter au mieux de ce dîner
pour obtenir l’accord d’Evan. Simple comme bonjour.
Curieusement, quand elle l’avait recontacté par email
pour proposer qu’ils se revoient, il ne lui avait guère posé
de questions. Elle lui avait donné son numéro de téléphone,
mais il s’en était tenu à l’email pour fixer une date et un
lieu de rendez-vous avec un minimum de détails. Etait‑ce
bon signe ou non, elle n’aurait su le dire.
Il lui avait fallu du courage — bien plus qu’elle ne
l’aurait cru — pour lui envoyer cet email. Mais il lui avait
répondu si vite qu’elle n’avait eu que quarante-huit heures
pour établir son plan de bataille.
Evan et Jory étaient des amis, presque des frères, elle
savait qu’Evan adorait ses parents et préférait souvent
passer le week-end chez eux que dans sa propre famille.
Et ses parents l’aimaient bien, eux aussi. Mais cela n’avait
rien à voir avec elle, et elle ne pouvait pas compter sur
leur gentillesse ou sur Jory pour obtenir d’Evan ce qu’elle
attendait de lui. Evan et elle n’étaient pas amis, mais ils
n’étaient pas non plus des étrangers l’un pour l’autre.
Comment appeler le lien qu’on pouvait avoir avec le
colocataire de son frère, quand c’était également l’homme
avec qui on avait perdu sa virginité — et avec qui on avait
passé une seule et unique nuit ?
Avec le temps, la blessure s’était refermée, et elle avait
réussi à relativiser en se disant qu’il n’y avait sans doute
là rien de personnel. Cela lui avait évité de commettre la
même erreur un peu plus tard, quand elle s’était retrouvée
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seule, entourée d’étrangers, et par là même plus vulnérable.
Sa naïveté aurait pu se révéler plus dangereuse encore.
Le plus embarrassant était qu’à l’époque elle savait
parfaitement à quoi s’attendre de la part d’Evan, puisque
c’était lui qui avait initié Jory à sa vie de débauche
— filles, alcool et musique. Mais, avec son arrogance
d’adolescente, elle s’était dit qu’avec elle ce serait différent.
Exceptionnel en quelque sorte. Amplifiée par le charme
d’Evan, son physique agréable et sa sensualité déchaînée,
cette arrogance lui avait fait oublier tout ce qu’elle savait
pourtant en théorie.
Telle était la voix de la raison. La même qui lui soufflait
que cette blessure s’était a posteriori révélée utile en lui
permettant de se concentrer sur son entraînement plutôt
que de s’engager dans une liaison qui lui aurait compliqué
la vie sans aucun profit. Donc, tout était parfait.
Après ça, renoncer aux soirées, aux petits amis, ne
lui était pas apparu comme un si grand sacrifice. Pas
insurmontable, en tout cas. Aujourd’hui, elle regrettait
ce sacrifice, mais préférait enfouir ses regrets au plus
profond de son cœur.
Même si Evan éprouvait quelque remords au sujet de
ce regrettable incident, elle n’était pas certaine de vouloir
jouer là-dessus. Elle risquait d’avoir l’air au mieux stupide
et ridicule, désespérément naïve, et au pire mesquine et
manipulatrice.
Pas question. Ce week-end perdu le resterait. Elle était
adulte, il l’était aussi. En dépit de ce lien particulier, il
s’agissait aujourd’hui pour elle d’établir une relation
financière avec lui. Et ce n’était pas un crime d’utiliser
son réseau pour cela.
Sois amicale et professionnelle. Evan avait réussi
dans les affaires. A en croire Jory, son agence de pub
était en pleine expansion. Il apprécierait son approche
toute professionnelle. Inutile de lui présenter d’emblée sa
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requête, un petit préambule amical ne pouvait qu’arrondir
les angles. Puis elle aborderait assez vite la question du
mécénat, afin de lui donner la possibilité de poser des
questions et se ménager suffisamment de temps pour le
convaincre. Si tout se passait bien, elle obtiendrait son
accord dès ce soir et pourrait annoncer le lendemain la
bonne nouvelle au directeur de la troupe.
Si tout se passait bien. Mais il n’y avait aucune raison
que ce ne soit pas le cas.
— Bonsoir, monsieur Lawford.
Tout en ouvrant la porte du Tourmaine, le maître d’hôtel
accueillit Evan avec un sourire. Celui-ci y recevait souvent
des clients — l’établissement était assez moderne pour
être au goût du jour sans être trop à la mode, la musique
assez discrète pour qu’on puisse converser agréablement,
la cuisine impeccable, et le personnel le connaissait bien
et appréciait ses pourboires.
— Bonsoir, Brian.
— Bonne dégustation.
— Merci.
Un échange banal, mais qui prouvait que le monde
continuait à tourner rond.
Sauf qu’il n’avait aucune idée de la raison pour laquelle
Olivia Madison tenait tant à dîner avec lui.
Bien sûr, il n’ignorait pas qu’elle avait emménagé à
Miami. Jory était ridiculement fier de la réussite de sa
sœur et ils avaient dîné tous les deux le soir où ce dernier
avait assisté au premier spectacle d’Olivia avec sa nouvelle
compagnie, mais la jeune femme ne s’était pas jointe à eux.
Evan s’était arrangé pour ne pas la revoir depuis ses
dix-huit ans. En fait, elle avait été la cause du seul incident
qui ait altéré sa complicité avec Jory ; ils avaient failli en
venir aux mains à cause d’elle, et avaient mis du temps
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à réparer l’accroc causé à leur amitié. Il ignorait si pour
Jory le sujet restait toujours aussi sensible, et ne tenait
d’ailleurs pas à le savoir — du moins pas tant qu’Olivia
ne lui aurait pas révélé pourquoi elle l’avait recontacté.
Miami était bien assez grand pour qu’ils ne risquent
pas de s’y rencontrer par hasard et l’email qu’elle lui avait
envoyé, tout comme cette invitation à dîner, lui avait paru
suspect, sans qu’il sache vraiment pourquoi. Tels étaient
les faits et il préférait s’y tenir.
Bien qu’il ait quelques minutes d’avance, Olivia était
déjà là. Dans la foule qui se pressait autour du bar, il n’eut
aucun mal à repérer la blondeur éclatante que les deux
enfants Madison avaient héritée de leur mère. Les yeux
baissés sur son téléphone, elle lui offrait son profil et il
prit le temps de l’examiner tout à loisir.
A dix-huit ans, elle avait un visage aux traits encore
enfantins, mais paraissait bien plus mûre, d’une certaine
façon, que la majorité des filles de son âge. Aujourd’hui,
à un âge où beaucoup s’interrogeaient encore sur leur
avenir, elle exerçait une profession, et avait déjà voyagé
et vécu de façon indépendante.
Son visage avait perdu les rondeurs de l’enfance,
remplacées par des pommettes saillantes et des sourcils
bien dessinés. Quant à sa silhouette, classique et élégante,
elle était mise en valeur par une attitude et des mouvements
d’une grâce naturelle, même lorsqu’elle commandait un
verre ou marchait simplement vers lui… comme elle le
faisait en ce moment, un sourire hésitant aux lèvres.
— Evan. Comme je suis contente de te voir !
Même si le ton était sincère, il douta que ce fût absolument vrai. Elle eut un instant d’hésitation avant de mimer
un baiser à quelques centimètres de sa joue. Mais, quand
elle l’effleura sans le vouloir, elle sursauta comme si elle
s’était brûlée. Inutile de chercher à le nier, il tressaillit lui
aussi, et dut s’éclaircir la gorge.
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— Moi aussi, je suis ravi de te revoir.
Après cet échange obligé, il y eut un silence gênant
auquel il s’empressa de mettre fin.
— Tu as l’air en pleine forme.
Elle esquissa un sourire.
— Toi aussi.
Autre silence que brisa l’arrivée de l’hôtesse.
— Monsieur Lawford, votre table est prête.
Evan suivit Olivia tout en étudiant sa silhouette. Elle
était d’une extrême minceur, comme naguère, une nécessité
de la danse. Au point qu’il était heureux d’être dans un
restaurant, tant il avait envie de la nourrir. Elle lui parut
aussi plus grande que dans son souvenir, à peine moins
de son propre mètre quatre-vingt‑cinq, même si les talons
de ses boots étaient très raisonnables.
Ses cheveux lui tombaient en longues boucles souples
au milieu du dos et une chaîne dorée soulignait la finesse
de sa taille. Des jambes interminables et des pieds
légèrement en dehors donnaient à sa démarche une grâce
et une légèreté exceptionnelles. Avec son menton levé et
ses épaules effacées, elle avait une réelle présence. Il avait
tant de mal à détacher d’elle son regard qu’il dut secouer
la tête pour s’en arracher. Evidemment, cette femme était
mince et gracieuse. Comment aurait‑elle pu ne pas l’être ?
Dans son métier, c’était une nécessité.
Une fois assis dans le box discret qu’il affectionnait, ils
passèrent commande, ce qui évita tout silence gênant, et il
eut la surprise de constater que le repas qu’elle commandait
était presque aussi copieux que le sien.
— Quelle quantité de nourriture ! ne put‑il s’empêcher
de remarquer.
— Si cela pose problème, je peux la payer de ma poche.
— Ce n’était pas un reproche !
— Vraiment ? Dans ce cas, que voulais-tu dire ?
demanda-t‑elle sur un ton innocent.
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D’habitude, il préférait éviter d’aborder le sujet du poids
et du régime avec les femmes, mais il en avait déjà trop dit.
— Je… Tu… En fait, je m’attendais à ce que tu
commandes une salade avec la sauce à part.
— En entrée, pourquoi pas ? Mais j’ai fait six heures
d’entraînement aujourd’hui et j’ai faim.
— Disons une grande salade, alors.
Olivia croisa les mains sur la table. Au ton qu’elle
employa, il comprit que ce n’était pas la première fois,
loin de là, qu’elle faisait une telle mise au point.
— Je mange. J’ai besoin de manger. Je travaille dur et,
pour accomplir ce travail, mon corps a besoin d’énergie.
Je surveille mon poids, mais pour moi cela n’a rien d’une
obsession, et j’apprécierais qu’il en soit de même pour
toi. D’accord ?
— D’accord.
— Ici, ils servent le steak avec une sauce au bleu.
Comment pourrais-je y résister ?
— Tu as complètement raison.
Cela se présentait bien, mais il préférait différer son
jugement jusqu’à ce qu’il l’ait vue manger. Travaillant
dans la pub, il connaissait l’acharnement des mannequins
à perdre du poids, mais Olivia n’était ni décharnée ni
squelettique. Très mince, certes, mais d’une minceur qui
n’avait rien de maladif.
— Je suis surpris, voilà tout, reprit‑il. Tout comme je
l’ai été d’avoir de tes nouvelles.
Elle tendit la main vers son verre d’eau, mais suspendit
son geste.
— Cela a pu te surprendre, mais honnêtement j’aurais
dû te faire signe plus tôt. Ma seule excuse, c’est que j’ai
été débordée ces dernières semaines : répétitions du spectacle d’automne, puis j’ai enchaîné avec Casse-noisette et
une autre pièce en janvier. Je n’ai plus une minute à moi.
Cela faisait douze ans maintenant qu’il connaissait
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Jory et retrouvait chez sa sœur certaines des réactions de
son ami, ce qui la lui rendait plus facile à déchiffrer. En
ce moment, il la sentait un peu gênée, et cela n’avait rien
d’étonnant. En fait, même si elle avait été très occupée,
elle avait bien d’autres raisons de ne pas le contacter, des
raisons qu’il n’y avait pas lieu d’évoquer. Cela piquait
encore davantage sa curiosité, et néanmoins il avait envie
de la mettre à l’aise. Le passé allait forcément resurgir,
mais mieux valait redémarrer sur une base amicale.
— Mais, maintenant, tu te sens plus tranquille ?
— Oui. Je ne me perds plus et je commence à sortir
un peu de chez moi, ce qui est une bonne chose. C’est
merveilleux de vivre en Floride et de pouvoir aller à la
plage quand on en a envie, même en novembre.
Par Jory, il avait appris qu’Olivia avait séjourné à
Chicago et à Boston où il tombait assez de neige l’hiver
pour rendre fou n’importe quel natif de Floride.
— Quelle est ta plage préférée ?
— Jusqu’ici, je n’ai pas encore pu aller à la plage
tellement j’ai été occupée.
— Tu es une droguée du travail ?
— Quand on aime son travail, cela n’a rien d’une
corvée d’y consacrer son temps.
— Ce n’est pas une réponse.
— Je travaille beaucoup et ça me plaît. Ça te va ?
— C’est une bonne réponse que je me promets d’utiliser
moi-même à l’avenir, dit‑il tandis que le serveur déposait
leurs verres sur la table.
Il prit le sien et le leva.
— Mes félicitations pour ta réussite professionnelle.
— Merci, répondit‑elle avec un sourire moins hésitant. C’est très excitant. A MMBC, ma compagnie, les
étoiles sont issues du corps de ballet, mais cette fois ils
ont décidé d’ouvrir leur recherche. Je connaissais l’un des
danseurs de la troupe depuis des années ; c’est lui qui a
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parlé de moi au directeur artistique. Toutes les étoiles
ont approuvé ma venue. Et toi ? Jory dit que ton agence
marche superbement.
— Je n’ai pas à me plaindre. Nous n’avons que trois ans,
et nous devrons encore grandir, mais tout se passe bien.
— J’en suis ravie. Et très heureuse pour toi.
Elle fixa son verre de pinot gris et le silence s’installa
de nouveau. Puis elle leva vers lui son visage en souriant
d’un air contraint.
— Dans deux semaines, Jory va venir assister au
spectacle avec mes parents.
— Je le sais. Nous devons en profiter pour nous voir.
— Ah ! très bien.
— Il m’a dit que tes parents étaient très impatients.
— Comme j’étais loin, ils n’ont pas souvent eu l’occasion
de me voir sur scène. Je leur ai bien envoyé des vidéos,
mais ce n’est pas pareil. Et pour tout dire, moi aussi, j’ai
hâte. Tu sais, ajouta-t‑elle, si tu as envie d’assister avec
eux au spectacle, je peux t’obtenir une place.
— Non, non — les mots étaient sortis de sa bouche
sans qu’il s’en aperçoive. Je veux dire, non merci. Je ne
suis pas vraiment amateur.
Quelle horreur ! Dénigrer le métier d’une femme !
Excellente manière d’entamer un dîner.
— De Casse-noisette ou de danse en général ?
— Les deux. Sans vouloir te vexer, ce n’est vraiment
pas ma tasse de thé.
— Chacun ses goûts. Tu t’intéresses à d’autres domaines
artistiques ?
Bien qu’elle garde le sourire, il sentait qu’il l’avait blessée.
— J’ai une carte du musée d’Art. J’aime bien toutes ces
vieilleries égyptiennes. Et je m’intéresse aussi à quelques
groupes locaux.
Un vrai désert culturel. Il tenta de se justifier.
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— Développer cette agence m’a pris presque tout
mon temps.
— Je ne te juge pas.
Sa moue démentait ses paroles apaisantes.
— Bien sûr que si.
— Peut‑être un peu, reconnut‑elle avec un haussement d’épaules. Ce sont les arts qui nous confèrent notre
humanité. Ils sont la pierre angulaire de la civilisation,
le cœur même de notre culture commune.
Il faillit se mettre à rire, mais réussit à se contenir.
Visiblement, elle y croyait.
— Tu devrais travailler dans la pub. J’ai l’impression
de lire une brochure destinée à récolter des fonds.
— Cela n’en reste pas moins vrai, répondit‑elle en
baissant la tête.
— Cela n’en reste pas moins barbant.
— Tu ne cherches toujours pas à me vexer ?
— Bien sûr que non.
— Cela ne t’empêcherait donc pas de participer
financièrement ?
— Ne me regarde pas comme ça !
— Comment ? s’enquit‑elle d’un air innocent.
— Comme si j’étais un vieux radin. Je donne à des
œuvres caritatives, tu sais, mais dans un domaine plus
concret : nourriture, hébergement, soins médicaux…
— Ce sont des causes éminemment respectables.
— Tu te moques de moi ?
— Non. C’est dur de se cultiver quand on a le ventre
vide. Je suis certaine qu’on apprécie à sa juste valeur ta
philanthropie.
Il eut soudain l’impression qu’elle ne lui avait pas tout
dit, mais la conversation s’interrompit avec l’arrivée des
plats qu’Olivia accueillit avec un enthousiasme sincère.
— Ça a l’air délicieux, dit‑elle en humant son assiette
avant de déguster une bouchée.
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Ce steak en sauce était l’une des spécialités de la
maison, à juste titre d’ailleurs.
— Excellent, reprit‑elle avec un sourire d’extase.
Evan avala sa salive. Il lui avait déjà vu cette mimique
et, en la reconnaissant, il lui sembla que c’était la veille.
Mais cette fois-là Olivia n’était pas en train de manger un
steak à la crème. Ce fameux jour, c’était lui, la raison de
son ravissement, comme vint le lui rappeler une réaction
toute physique qui le laissa légèrement étourdi. Après tant
d’années, il suffisait donc d’une simple mimique pour
raviver un flot de souvenirs qu’il croyait définitivement
scellés. Mais cette expression…
Il crut sentir de nouveau ses longues jambes se nouer
autour de ses hanches.
En rouvrant les yeux, elle vit qu’il la regardait et parut
décontenancée.
— Je t’ai dit que je mangeais, mais je ne mange pas
comme ça tout le temps. Alors, quand ça m’arrive, j’essaie
d’en profiter.
Si elle avait l’intention de profiter de tout le repas de
cette façon, où en serait‑il au dessert ? Heureusement
qu’elle ne pouvait pas lire dans ses pensées !
22
KIMBERLY LANG
Le secret d’une étoile
Une nuit inoubliable, puis le silence… pendant neuf ans.
Pour Olivia, Evan Lawford, c’est l’homme qui lui a brisé
le coeur et qu’elle a juré de ne jamais revoir. Hélas,
aujourd’hui, elle n’a pas le choix : c’est tout ce pour quoi
elle a travaillé, sa carrière de danseuse étoile, qu’elle
risque de perdre si elle ne trouve pas très vite un sponsor.
Alors, la mort dans l’âme, elle va demander son aide au
milliardaire. Mais hors de question de se laisser déstabiliser
par son charme et ses stratagèmes de séducteur, leur
rendez‐vous sera purement professionnel. Et pourtant, au
moment de pousser la porte du luxueux restaurant où ils
doivent se retrouver, Olivia ne peut empêcher son coeur
de battre plus vite…
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1er janvier 2016
www.harlequin.fr
2016.01.42.5366.3
ROMAN INÉDIT - 4,30 €