Comment acheter une entreprise

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Comment acheter une entreprise
12
stratégies
21 février 2015
Comment
acheter
une entreprise
«
Valérie Lesage
[email protected]
Journaliste
É
rik Lévesque cherche
à acheter une entreprise manufacturière
depuis près d’un an
dans la grande région
de Montréal. Il ne
trouve pas. Et pourtant, depuis des années, on entend dire
qu’il y aura des milliers d’entreprises à vendre.
Autour de 98 000 dans l’horizon 2010-2020, selon
la Fondation de l’entrepreneurship, et seulement
60 000 repreneurs.
«Il y a un décalage entre les statistiques et la
réalité, constate celui qui a vendu ses parts dans
la firme longueuilloise J2 gestion d’approvisionnement, en mars 2014, dans le but d’acheter autre
chose. Oui, les entrepreneurs vieillissent, mais
ils ne vendent pas leur entreprise. Et j’ai du mal à
concevoir qu’à 70 ans on ait encore le feu sacré…»
Érik Lévesque fréquente le Centre de transfert
d’entreprises de la Montérégie, rencontre des
experts à la BDC, au Fonds de solidarité FTQ ,
à Investissement Québec, dans des banques et
des bureaux d’avocats, de courtiers et de comptables. Diplômé de l’École d’entrepreneurship
de Beauce, il a aussi utilisé ce réseau de relations,
sans succès.
«Ce n’est pas une question d’être pointilleux:
il n’y a rien! Pourtant, il doit y avoir 300 ou
400 personnes qui savent que je cherche. Je
pensais qu’en 9 ou 10 mois, j’aurais pu analyser
une quinzaine de dossiers, mais il n’y en a eu que
trois, dont deux que j’ai jugés trop risqués et un
autre pour lequel il aurait fallu 10 ans pour obtenir un rendement, ce qui est trop long pour mes
capacités financières», dit celui qui cherche une
entreprise d’une valeur de 5 millions de dollars.
Entreprises à acheter
recherchées
Tous les experts constatent la même chose:
il y a sur le marché beaucoup plus d’acquéreurs
que de vendeurs d’entreprises.
« Les gens vivent plus longtemps. Avant,
ils vendaient vers 55-57 ans, mais on ne voit
presque plus ça. Les gens ont tendance à reporter l’échéance. Ils commencent à penser à vendre
à 70 ans ! » remarque Gilles Fortin, directeur
principal, achat, ventes et fusions chez Raymond
Chabot Grant Thornton à Québec.
« Les entrepreneurs qui vieillissent réduisent
leurs heures de travail, nomment un directeur
général et continuent parce qu’ils aiment ça.
Mais ils prennent moins de risques, et cinq
ou six ans plus tard, l’entreprise a perdu des
parts de marché et elle devient un peu moins
rentable», constate pour sa part Patrick-Claude
Dionne, vice-président associé, transfert d’entreprises Canada à la Banque Nationale.
Et alors, ajoute-t-il, ce sont des éléments négatifs, comme la maladie, la fatigue ou un conflit
entre actionnaires qui déclencheront le processus de vente. Un peu comme le testament, on
n’aime pas le prévoir quand tout va bien. «Par
conséquent, la majorité des transactions ne se
font pas de manière structurée», déplore-t-il.
« Rendre la mariée belle »
Il y a pourtant des étapes à suivre si on veut
vendre son entreprise et en tirer le maximum
de la valeur. Par exemple, si on veut bénéficier
d’une exonération du gain en capital sur les
premiers 800 000$ d’actions au moment de la
vente, il faut répondre à des critères. Pour y
arriver, une stratégie fiscale sur deux à trois ans
est à prévoir.
« J’ai un client qui a 79 ans et trop d’encaisse
dans son compte en banque pour obtenir cette
exonération. J’aurais aimé qu’il vienne me voir
plus tôt », dit Gilles Fortin.
Avant de vendre, il faut idéalement «rendre la
mariée belle », dit Patrick-Claude Dionne, et
c’est plus complexe que du home staging, ou
mise en scène d’intérieur. Si on n’a plus investi
depuis des années dans les équipements et dans
la R-D, la rentabilité comptable fondra pour le
repreneur qui aura à rembourser une dette
d’achat en plus de devoir investir massivement
pour rattraper le temps perdu. Si on n’est pas
prêt à baisser le prix de façon importante, il vaut
mieux prendre le temps de rebâtir ou même de
vendre une division moins rentable qui améliorera le bilan du reste.
« C’est un aspect délicat, la valeur, car les gens
accordent beaucoup de valeur sentimentale à
une entreprise. Et ils s’imaginent que ça vaut
beaucoup, sans passer par un évaluateur professionnel. On évalue l’entreprise selon ses chiffres,
Les frais
d’une transaction
dépendent de
la complexité
du dossier, mais
à coup sûr, c’est
cher. Il y a des coûts
pour la vérification
diligente,
le financement,
l’approche,
la négociation,
la documentation
légale,
la planification
de la vente,
la planification
financière
personnelle. »
— Pascal Moffett,
responsable des services
transactionnels, Mallette
mais aussi ce qui n’est pas dans les chiffres: les
relations avec clients et fournisseurs, la force
de travail, de vente et l’innovation », précise
Gilles Fortin.
La stratégie pour la vente se définit donc en
fonction de la valeur de l’entreprise et des besoins de revenus du futur retraité, selon son
niveau de vie et son âge. On prendra alors plus
ou moins de temps pour se préparer à passer à
l’action, et les experts cibleront les meilleurs
acheteurs potentiels.
La vente d’une entreprise n’a rien à voir avec
la vente d’une maison, pour laquelle il suffit
d’appeler un courtier. On trouvera bien des
cafés, des motels, des commerces de détail et
des restaurants à vendre auprès des agences
immobilières, dans Les PAC ou Aquisition.biz
(propriété de Transcontinental, éditeur de
Les Affaires), largement utilisés par des courtiers
pour la mise en marché. Mais dans la plupart
des cas, les PME de taille un peu plus substantielle se vendent par des réseaux plus discrets.
« Les entrepreneurs ne veulent pas que ça se
sache que l’entreprise est à vendre, à cause de
l’insécurité que ça crée chez les employés »,
précise Gilles Fortin, ajoutant qu’il doit rencontrer ses clients à des heures tardives, quand les
employés ont quitté les lieux. Dans les petits
villages, surtout, on ne doit pas le reconnaître.
« Quand on vise une vente à l’externe, ma
méthode est de choisir l’acquéreur, dit Pascal
Moffet, associé responsable des services transactionnels chez Mallette. Je vais approcher des
entreprises ou des individus avec qui je suis en
relation. Je suis un hub à Québec et en Mauricie,
mais je peux aussi avoir des acheteurs en France
ou aux États-Unis.»
Les professionnels du transfert d’entreprises
ont tous une liste d’acquéreurs potentiels et des
mandats de vente. De plus, il existe des clubs de
réseautage transactionnel, comme le M&A Club,
qui organise régulièrement des rencontres permettant de faire savoir qu’on a à vendre une PME
manufacturière en Beauce ou un hôtel à Québec.
«On fait attention à ce qu’on dit avant d’être sûr
de l’intérêt, car si par exemple on disait qu’un
distributeur de pièces est à vendre dans telle petite
ville, tout le monde saurait facilement qui c’est.
Les clients tiennent à la confidentialité», dit Brahm
Elkin, président fondateur du M&A Club.
stratégies
21 février 2015
J Accumuler du capital
J Déterminer le secteur d’activité
de l’entreprise qu’on souhaite
acheter et la région
J Définir ses motivations
J Prévoir du temps pour chercher
(on peut analyser 10 dossiers
avant de trouver ce qu’on veut)
J Consulter plusieurs professionnels
de transfert d’entreprise pour
accélérer les recherches
J Se servir de son réseau pour faire
connaître son intention d’acheter
J Prévoir un budget pour évaluer
les occasions et les coûts transactionnels
J Se faire conseiller par des professionnels
J Bâtir un plan d’affaires pour l’entreprise
ciblée avant de chercher du financement
CAS 1 :
Rachat par les
gestionnaires
— Gilles Fortin,
directeur, achats, ventes,
fusions chez RCGT Québec
Encaisser et partir au soleil ?
Les cédants souhaitent toujours être payés
comptant lors de la vente, mais ils n’y parviendront que s’ils vendent à un concurrent, laissant
toutefois leurs employés à la merci d’une opération de consolidation.
Si le cédant transfère à la famille, aux gestionnaires ou à un repreneur externe, il faut s’attendre à faire partie du plan de financement,
en balance de prix de vente, et ainsi, une partie
de son argent est immobilisé en garantie. Cela
peut en refroidir certains.
Pour rassurer les parties et s’assurer de maximiser les chances de succès des repreneurs,
les experts négocient le plus souvent une période de transition. Celle-ci permettra au cédant,
après la transaction, d’encadrer la relève et de
transférer le savoir. S’il s’agit d’une relève familiale, par exemple, il faut ouvrir la voie à des
questions délicates, mais essentielles pour
l’avenir. Si on pense céder au cadet plutôt qu’à
l’aîné, il faudra agir avec doigté.
« Quand on nous consulte, on évalue la relève,
on fait des tests psychométriques et on passe
des entrevues. On voit d’où part la relève et ce
qu’elle a à acquérir pour être prête. On interroge
aussi le cédant sur ses intérêts, ses motivations,
Conseils
aux vendeurs
Le pire à sousestimer pour
un acquéreur
est la période
de transition.
Qui fera quoi
pendant les trois
premiers mois
(TI, ventes, RH,
etc.) ? Il faut être
rigoureux comme
une madame
Bec-Sec pour
ne rien échapper.
De plus, il faut
rallier les gens
derrière notre vision
et c’est beaucoup
d’énergie. Il ne
suffit pas de faire
un chèque. »
JConsulter des
professionnels
en transfert
d’entreprise deux
à trois ans avant
de vendre
JDéfinir son idéal
de transaction
JPréparer une relève
et partager ses
connaissances
JSécuriser les
contrats de travail
des employés clés
JEntamer des
pourparlers
avec deux ou trois
intéressés avant
de vendre
JPrévoir une période
de transition après
la vente
Conseils
aux acheteurs
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«
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et ensuite on fait un plan de match », explique
Pascal Moffett.
Un entrepreneur a tout intérêt à se préparer
d’avance pour la vente de son entreprise,
mais un acheteur aussi. Même si le financement
est abondant et se fait à des conditions très
avantageuses ces années-ci, il faut avoir accumulé du capital. Cela paraît une évidence, mais
les experts rencontrent beaucoup d’acquéreurs
à la pensée magique, qui pensent pouvoir acheter sans comptant – ce qui se fait rarement. Les
banquiers et investisseurs aiment que le risque
soit partagé.
« Je crève souvent des bulles en disant
aux gens qu’ils n’ont pas assez d’argent pour
acheter. Il faut supporter les frais de transaction,
le fonds de roulement et l’endettement. Et dans
la majorité des cas, la performance financière
dans l’année suivant la transaction est moindre »,
précise Pascal Moffett.
Enfin, pour chaque dossier qui lui sera présenté, l’acheteur devra faire ses devoirs ; la vérification diligente ne fait pas foi de tout.
« C’est important d’avoir un bon plan d’affaires
qui exprime la vision du repreneur. C’est souvent
l’élément manquant. Mais nous, ça nous permet
de voir comment il fera face aux risques, comment il retiendra le personnel clé de l’entreprise,
tout ça. Plus le plan est élaboré, plus les investisseurs auront confiance », dit Patrick-Claude
Dionne, de la Banque Nationale.
En 2010, Emmanuel Duchesne est entré
dans le bureau du président de Camoplast, Pierre Marcouiller, pour lui
demander s’il était disposé à lui vendre
la division thermoplastique, dont il dirigeait la destinée. Camoplast venait de
faire une acquisition qui doublait son
chiffre d’affaires à 1 milliard de dollars,
et la division thermoplastique était
moins associée aux chenilles et roues de
caoutchouc qui devenaient la spécialité
de la multinationale de Sherbrooke.
« Vendre à l’équipe de gestion québécoise
permettait une sortie élégante, car c’était
bien mieux que de vendre à l’étranger, avec
le risque que les emplois soient exportés »,
a analysé le gestionnaire, aujourd’hui âgé
de 39 ans.
Instigateur du rachat, qui a coûté
quelques dizaines de millions de dollars,
il s’est entouré des sept autres gestionnaires pour mener son projet à bien et
fonder Exo-S. « La motivation était
de pouvoir faire croître la division. On
aurait difficilement pu le faire au sein de
Camoplast, parce que nous n’étions pas
la priorité », précise l’entrepreneur.
Exo-S est passée de 450 employés en 2012
à 700 aujourd’hui, elle a agrandi une usine
aux États-Unis et en acheté une autre au
Mexique.
Camoplast a facilité la cession en mettant
à disposition ses experts en acquisitions,
qui ont conseillé les acheteurs, et c’est
Capital régional et coopératif Desjardins
(CRCD) qui a financé la transaction.
« On n’avait pas de fortune personnelle,
on a tous emprunté pour racheter. D’autres
partenaires auraient été plus généreux
en argent, mais on a décidé de privilégier
un partenaire financier qui partageait
nos valeurs et notre vision, c’est-à-dire
garder les emplois au Québec et augmenter
le rendement par la croissance », souligne
M. Duchesne. — VALÉRIE LESAGE
CAS 2 :
Reprendre
une entreprise
en difficulté
Quand Veau Charlevoix s’est placée
sous la protection de la Loi sur la
faillite et l’insolvabilité l’automne
dernier, Écolait, le plus grand producteur et transformateur de veau
de lait et de grain de la province,
a saisi une belle occasion pour faire
un achat stratégique.
« Ça nous permet d’aller plus vite
et plus loin dans notre développement »,
explique André Michaud, responsable
du développement des affaires chez
Écolait, qui a lui-même approché Veau
Charlevoix pour l’acquisition.
Écolait, qui vend du veau de manière
générique aux distributeurs, cherchait à
se positionner avec une marque. En fait,
elle avait récemment lancé la marque Vivo
pour son veau de lait et cherchait encore
une solution pour son veau de grain.
La marque Veau Charlevoix était bien
établie et avait bonne réputation. Écolait,
consciente des efforts nécessaires pour
imposer une marque, a donc décidé
de l’acheter, de même que le cahier des
charges qui donne à la viande sa saveur
distinctive – le veau est nourri d’un
mélange de grain et de lait. Une bonne
partie des producteurs liés à Écolait se
convertiront à la méthode charlevoisienne.
Veau Charlevoix abattait 1 000 bêtes
par année, tandis qu’Écolait en abat
2 000 par semaine dans ses installations
de Terrebonne (elle a aussi des usines
en Ontario et aux États-Unis).
Au lieu de tout perdre, le fondateur
de Veau Charlevoix, Jean-Robert Audet,
continuera de développer la marque en
collaboration avec l’équipe d’Écolait,
prévoit la transaction signée le 9 janvier.
— VALÉRIE LESAGE
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21 février 2015
CAS 3 :
Prendre la relève de l’entreprise familiale
en accéléré pour cause de maladie, c’est le
défi auquel ont dû faire face Justin Valois
et sa sœur Carolyne quand leur père, alors
âgé de 67 ans, a appris en mars 2013 qu’il
était atteint d’un cancer et que son espérance de vie se limitait à huit mois.
« Le climat n’était pas facile. Les fondations de
l’entreprise ont été ébranlées. Les gens étaient
habitués à mon père, et ma sœur et moi avons
dû prendre sa place, alors qu’avant son décès,
nous étions les adjoints de ses directeurs », se
Relève d’urgence
souvient Justin Valois, aujourd’hui copropriétaire
de Valois Transport à Trois-Rivières.
Le jeune homme de 33 ans a commencé à
travailler dans l’entreprise début vingtaine,
d’abord au bas de l’échelle. À 25 ans, il est allé
étudier la logistique du transport, puis a décroché un poste d’agent d’expédition dans une
aluminerie avant de revenir auprès de son père.
« Ça m’a donné plus de valeur à ses yeux.
Après, j’ai décroché un bon contrat de transport
auprès de la Régie des matières résiduelles, et
j’ai pensé que tout ça me permettrait de m’élever dans l’entreprise. Mais je devais tout apprendre par moi-même, parce que mon père ne
transférait pas beaucoup ses connaissances. »
Pendant la maladie du père, Justin Valois et
sa sœur ont dû apprendre à travailler côte à côte
pour diriger les opérations. Encore aujourd’hui,
ils tentent de délimiter les tâches. Et les différences de vision entre celle qui, selon son frère,
est gardienne de la continuité et celui qui veut
croître par acquisitions sont marquées.
« L’élément le plus troublant dans tout ça, c’est
de ne pas avoir eu la chance de dire un mot.
Mon père ne nous a jamais demandé comment
nous voyions les choses. Il a établi lui-même la
convention d’actionnaires (50-50) entre ma
sœur et moi. Et puis, ça déstabilise d’arriver
avec toutes ces tâches et ces défis en étant pas
si préparés que ça », relate-t-il. Il ajoute que tout
aurait été bien plus simple si le transfert avait
été pensé d’avance, si les compétences de chacun avaient été évaluées et s’il avait été possible
de suivre une formation pour acquérir les
compétences manquantes. Justin Valois a fait
évaluer ses forces et faiblesses par un psychologue industriel, mais sa sœur et son père n’ont
pas voulu.
Aujourd’hui, il est incertain face à son avenir
dans l’entreprise. « Est-ce mon désir de rester
ou était-ce le désir de mon père ? » se demandet-il. — VALÉRIE LESAGE
CAS 4 :
Les repreneurs externes
Christian Châteauvert, 39 ans, a toujours caressé
le rêve d’avoir sa propre entreprise ; rêve qu’il
a réalisé avec son frère cadet Jean-Simon, en
2012, en rachetant Bolduc et frères, devenue
Bolduc Solution. L’entreprise de Sainte-Clotilde-deBeauce, qui fabrique des produits en acier inoxydable
pour l’industrie de la vente au détail, appartenait à
trois frères qui voulaient prendre leur retraite, mais
qui n’avaient pas de relève à l’interne.
L’entrepreneur cherchait sur Acquisition.biz et chez des
courtiers, mais c’est finalement grâce à Raymond Chabot
Grant Thornton, son ancien employeur, que l’occasion a
été trouvée.
« On a fait une offre qui prévoyait une transition d’une
année. C’était aussi la volonté des vendeurs, qui ont eu
quelques offres et nous ont choisis. On a aussi intéressé
huit employés pour les rendre actionnaires et s’assurer
de les garder », raconte Christian Châteauvert, content
d’avoir su bien s’entourer de professionnels pour réaliser
la transaction avec succès.
Gagner la confiance des employés n’a pas pour autant été
facile. Bolduc, avec sa trentaine d’employés, était une entreprise rentable, mais en stagnation depuis trois ans. Les frères
Châteauvert voulaient la faire croître, mais se sont heurtés à
de la résistance à l’interne.
« On a gagné la confiance quand les employés
ont vu qu’on ajoutait du personnel pour suivre la progression. Par exemple, on a embauché un dessinateur et un
chargé de projet. Alors, quand ils ont vu qu’on voulait
grandir sans leur en demander toujours plus, les choses
se sont placées », remarque Christian Châteauvert, ajoutant
que son leadership a pu mieux s’installer après le départ
des anciens propriétaires.
« C’était un avantage qu’ils restent pour transférer leurs
connaissances et préparer la clientèle, mais les employés
ont eu plus de mal à nous suivre. Ils sont restés longtemps
loyaux envers les anciens patrons, comme pris entre l’arbre
et l’écorce », dit-il.
En janvier 2013, les jeunes entrepreneurs à la tête
de Bolduc ont fait une acquisition quand une occasion s’est
présentée tout près : une usine de fabrication
qui allait permettre d’augmenter la capacité de production.
Début 2015, ils négociaient un autre rachat pour diversifier
leurs activités. — VALÉRIE LESAGE
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21 février 2015
CAS 6 :
CAS 5 :
Les employés
prennent
les commandes
Quand Denis Lebrun a décidé de vendre ses parts
dans la Librairie Pantoute à Québec (deux
succursales), il a communiqué ses intentions
à ses employés et à des gens dans le domaine
du livre, histoire de maximiser ses chances
d’obtenir une offre satisfaisante.
« Mais dans mon cœur, je savais que j’allais d’abord
considérer les employés car j’étais conscient d’avoir
une sacrée bonne équipe. Et l’idée de vendre l’entreprise à quelqu’un qui voudrait peut-être les remplacer, ça aurait été un départ déchirant pour moi »,
raconte l’homme de 66 ans, parti à la retraite au
printemps 2014.
C’est ainsi que les employés de Pantoute ont racheté les 53 % d’actions détenues par M. Lebrun et sa
conjointe. Pour y arriver, une coopérative de travailleurs actionnaires et une société à but lucratif,
propriété de deux employées, ont été formées, avec
l’aide d’un avocat spécialisé.
« On n’y serait pas arrivés avec seulement la coopérative. Comme on rembourse l’emprunt à même nos
salaires, la coupe aurait été trop grande. Les gens n’ont
pas des salaires mirobolants dans ce milieu », explique
Victoria Lévesque, 35 ans, directrice des ventes et du
développement et coactionnaire de la société.
Elle et la nouvelle directrice générale, Marie-Ève
Pichette, 36 ans, ont acheté au final la moitié des
actions de M. Lebrun et de son épouse (moins de
500 000 $). Et elles ont convaincu les actionnaires
minoritaires de Pantoute (ils sont huit et détiennent
47 % des parts) de rester à bord quelque temps encore
pour soutenir le transfert. Cela a rassuré les prêteurs,
dans une situation où les acheteurs n’avaient pas de
comptant à offrir.
« Si on avait voulu racheter seules, on n’y serait pas
arrivées. C’est Filaction qui nous financent et ils
espèrent développer cette formule ailleurs », soutient
Marie-Ève Pichette.
Il a fallu un an de négociations entre les avocats
du vendeur et des acheteurs pour trouver
un terrain d’entente. Après, le principal enjeu a été
de remplacer M. Lebrun dans les fonctions
de direction. « Les employés nous connaissent, mais
on doit gagner leur confiance dans un autre rôle »,
précise Victoria Lévesque, qui travaille chez Pantoute depuis sept ans.
« C’est difficile de passer de collègue à patronne,
avec des gens avec qui tu es devenue amie ou
qui ont plus d’expérience », renchérit Marie-Ève
Pichette, soulignant la fidélité des employés, dont
certains sont en poste depuis 20 ans ; une rareté dans
ce domaine.
Tous les employés sont restés depuis la transaction. Les deux nouvelles patronnes se félicitent
d’avoir eu recours à un consultant externe qui
a établi un diagnostic d’entreprise après l’achat. Ce
dernier les a aidées à cerner les points à améliorer
dans la gestion de l’entreprise et a facilité
la distribution des postes selon les aptitudes.
— VALÉRIE LESAGE
15
Relève interne planifiée
Yvon Lavigne, 61 ans, avait parfaitement conscience qu’il
faudrait du temps pour céder Construction Lavigne et Baril
et préparer sa relève. Il y a deux ans, l’entrepreneur de Bécancour a ciblé ses dauphins : ses deux plus jeunes employés,
François Saint-Pierre et Pascal Daneault, 36 et 32 ans.
Un de ses jeunes repreneurs lui a parlé de l’École d’entrepreneurship de Beauce (EEB), et c’est ainsi que toute l’équipe a jugé
bon de s’y inscrire ; le cédant au programme Triomphe et les repreneurs au programme Émergence. « Je me suis rendu compte que
j’avais des devoirs à faire, dit M. Lavigne. Déléguer des tâches est
une chose, laisser les autres prendre des décisions en est une autre ! »
« Le plus grand défi est de faire la transition en équipe, de
trouver la manière de travailler ensemble, de reconnaître les
forces de chacun. M. Lavigne a un bagage à transmettre, et il faut
qu’il sente qu’on a de l’intérêt pour apprendre », affirme François
Saint-Pierre, estimateur et chargé de projets, qui s’est joint à la
PME il y a neuf ans.
M. Lavigne a le souci d’éviter aux jeunes loups des erreurs
coûteuses. Il a vu des entreprises de son secteur acculées à la
faillite, et il veut transmettre le sens de la rentabilité. Il faut, dit-
MONTRÉAL
*Bureau associé
OTTAWA
TORONTO
CALGARY
VANCOUVER
il, choisir les contrats en fonction de la rentabilité et non faire
du volume à tout prix. « Même s’ils avaient eu de l’argent pour
tout acheter d’un coup, j’aurais refusé. Je ne vais pas leur donner
une corde pour se pendre. C’est un apprentissage à long terme,
et tant que je ne les sens pas prêts, je reste avec eux », préciset-il, ajoutant que la période de transition ne doit pas s’étirer non
plus, au risque de démotiver les repreneurs.
Le transfert de l’actionnariat se fait graduellement. En juin,
les jeunes auront acquis 40 % des parts (montant confidentiel).
La prochaine étape, dont le moment reste à déterminer, sera
l’acquisition des 60 % restants.
« On s’est dit qu’on ne changerait pas notre manière d’interagir
avec l’équipe, même si on doit aujourd’hui voir devant comme
futurs chefs d’entreprise. Ça ne fait pas de vagues en ce moment,
et les choses se passent tranquillement. Mais prendre notre place
fait quand même partie des défis », considère François Saint-Pierre.
« On sait qu’il faut maintenir ce qui est en place et aller plus
loin. Et on sait qu’on a moins le droit à l’erreur face à ce qui est
bâti. L’EEB nous apprend à la vitesse grand V ce que nous devons
savoir, et ça limite les risques. » — VALÉRIE LESAGE
NEW YORK
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