Comment acheter une entreprise
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12 stratégies 21 février 2015 Comment acheter une entreprise « Valérie Lesage [email protected] Journaliste É rik Lévesque cherche à acheter une entreprise manufacturière depuis près d’un an dans la grande région de Montréal. Il ne trouve pas. Et pourtant, depuis des années, on entend dire qu’il y aura des milliers d’entreprises à vendre. Autour de 98 000 dans l’horizon 2010-2020, selon la Fondation de l’entrepreneurship, et seulement 60 000 repreneurs. «Il y a un décalage entre les statistiques et la réalité, constate celui qui a vendu ses parts dans la firme longueuilloise J2 gestion d’approvisionnement, en mars 2014, dans le but d’acheter autre chose. Oui, les entrepreneurs vieillissent, mais ils ne vendent pas leur entreprise. Et j’ai du mal à concevoir qu’à 70 ans on ait encore le feu sacré…» Érik Lévesque fréquente le Centre de transfert d’entreprises de la Montérégie, rencontre des experts à la BDC, au Fonds de solidarité FTQ , à Investissement Québec, dans des banques et des bureaux d’avocats, de courtiers et de comptables. Diplômé de l’École d’entrepreneurship de Beauce, il a aussi utilisé ce réseau de relations, sans succès. «Ce n’est pas une question d’être pointilleux: il n’y a rien! Pourtant, il doit y avoir 300 ou 400 personnes qui savent que je cherche. Je pensais qu’en 9 ou 10 mois, j’aurais pu analyser une quinzaine de dossiers, mais il n’y en a eu que trois, dont deux que j’ai jugés trop risqués et un autre pour lequel il aurait fallu 10 ans pour obtenir un rendement, ce qui est trop long pour mes capacités financières», dit celui qui cherche une entreprise d’une valeur de 5 millions de dollars. Entreprises à acheter recherchées Tous les experts constatent la même chose: il y a sur le marché beaucoup plus d’acquéreurs que de vendeurs d’entreprises. « Les gens vivent plus longtemps. Avant, ils vendaient vers 55-57 ans, mais on ne voit presque plus ça. Les gens ont tendance à reporter l’échéance. Ils commencent à penser à vendre à 70 ans ! » remarque Gilles Fortin, directeur principal, achat, ventes et fusions chez Raymond Chabot Grant Thornton à Québec. « Les entrepreneurs qui vieillissent réduisent leurs heures de travail, nomment un directeur général et continuent parce qu’ils aiment ça. Mais ils prennent moins de risques, et cinq ou six ans plus tard, l’entreprise a perdu des parts de marché et elle devient un peu moins rentable», constate pour sa part Patrick-Claude Dionne, vice-président associé, transfert d’entreprises Canada à la Banque Nationale. Et alors, ajoute-t-il, ce sont des éléments négatifs, comme la maladie, la fatigue ou un conflit entre actionnaires qui déclencheront le processus de vente. Un peu comme le testament, on n’aime pas le prévoir quand tout va bien. «Par conséquent, la majorité des transactions ne se font pas de manière structurée», déplore-t-il. « Rendre la mariée belle » Il y a pourtant des étapes à suivre si on veut vendre son entreprise et en tirer le maximum de la valeur. Par exemple, si on veut bénéficier d’une exonération du gain en capital sur les premiers 800 000$ d’actions au moment de la vente, il faut répondre à des critères. Pour y arriver, une stratégie fiscale sur deux à trois ans est à prévoir. « J’ai un client qui a 79 ans et trop d’encaisse dans son compte en banque pour obtenir cette exonération. J’aurais aimé qu’il vienne me voir plus tôt », dit Gilles Fortin. Avant de vendre, il faut idéalement «rendre la mariée belle », dit Patrick-Claude Dionne, et c’est plus complexe que du home staging, ou mise en scène d’intérieur. Si on n’a plus investi depuis des années dans les équipements et dans la R-D, la rentabilité comptable fondra pour le repreneur qui aura à rembourser une dette d’achat en plus de devoir investir massivement pour rattraper le temps perdu. Si on n’est pas prêt à baisser le prix de façon importante, il vaut mieux prendre le temps de rebâtir ou même de vendre une division moins rentable qui améliorera le bilan du reste. « C’est un aspect délicat, la valeur, car les gens accordent beaucoup de valeur sentimentale à une entreprise. Et ils s’imaginent que ça vaut beaucoup, sans passer par un évaluateur professionnel. On évalue l’entreprise selon ses chiffres, Les frais d’une transaction dépendent de la complexité du dossier, mais à coup sûr, c’est cher. Il y a des coûts pour la vérification diligente, le financement, l’approche, la négociation, la documentation légale, la planification de la vente, la planification financière personnelle. » — Pascal Moffett, responsable des services transactionnels, Mallette mais aussi ce qui n’est pas dans les chiffres: les relations avec clients et fournisseurs, la force de travail, de vente et l’innovation », précise Gilles Fortin. La stratégie pour la vente se définit donc en fonction de la valeur de l’entreprise et des besoins de revenus du futur retraité, selon son niveau de vie et son âge. On prendra alors plus ou moins de temps pour se préparer à passer à l’action, et les experts cibleront les meilleurs acheteurs potentiels. La vente d’une entreprise n’a rien à voir avec la vente d’une maison, pour laquelle il suffit d’appeler un courtier. On trouvera bien des cafés, des motels, des commerces de détail et des restaurants à vendre auprès des agences immobilières, dans Les PAC ou Aquisition.biz (propriété de Transcontinental, éditeur de Les Affaires), largement utilisés par des courtiers pour la mise en marché. Mais dans la plupart des cas, les PME de taille un peu plus substantielle se vendent par des réseaux plus discrets. « Les entrepreneurs ne veulent pas que ça se sache que l’entreprise est à vendre, à cause de l’insécurité que ça crée chez les employés », précise Gilles Fortin, ajoutant qu’il doit rencontrer ses clients à des heures tardives, quand les employés ont quitté les lieux. Dans les petits villages, surtout, on ne doit pas le reconnaître. « Quand on vise une vente à l’externe, ma méthode est de choisir l’acquéreur, dit Pascal Moffet, associé responsable des services transactionnels chez Mallette. Je vais approcher des entreprises ou des individus avec qui je suis en relation. Je suis un hub à Québec et en Mauricie, mais je peux aussi avoir des acheteurs en France ou aux États-Unis.» Les professionnels du transfert d’entreprises ont tous une liste d’acquéreurs potentiels et des mandats de vente. De plus, il existe des clubs de réseautage transactionnel, comme le M&A Club, qui organise régulièrement des rencontres permettant de faire savoir qu’on a à vendre une PME manufacturière en Beauce ou un hôtel à Québec. «On fait attention à ce qu’on dit avant d’être sûr de l’intérêt, car si par exemple on disait qu’un distributeur de pièces est à vendre dans telle petite ville, tout le monde saurait facilement qui c’est. Les clients tiennent à la confidentialité», dit Brahm Elkin, président fondateur du M&A Club. stratégies 21 février 2015 J Accumuler du capital J Déterminer le secteur d’activité de l’entreprise qu’on souhaite acheter et la région J Définir ses motivations J Prévoir du temps pour chercher (on peut analyser 10 dossiers avant de trouver ce qu’on veut) J Consulter plusieurs professionnels de transfert d’entreprise pour accélérer les recherches J Se servir de son réseau pour faire connaître son intention d’acheter J Prévoir un budget pour évaluer les occasions et les coûts transactionnels J Se faire conseiller par des professionnels J Bâtir un plan d’affaires pour l’entreprise ciblée avant de chercher du financement CAS 1 : Rachat par les gestionnaires — Gilles Fortin, directeur, achats, ventes, fusions chez RCGT Québec Encaisser et partir au soleil ? Les cédants souhaitent toujours être payés comptant lors de la vente, mais ils n’y parviendront que s’ils vendent à un concurrent, laissant toutefois leurs employés à la merci d’une opération de consolidation. Si le cédant transfère à la famille, aux gestionnaires ou à un repreneur externe, il faut s’attendre à faire partie du plan de financement, en balance de prix de vente, et ainsi, une partie de son argent est immobilisé en garantie. Cela peut en refroidir certains. Pour rassurer les parties et s’assurer de maximiser les chances de succès des repreneurs, les experts négocient le plus souvent une période de transition. Celle-ci permettra au cédant, après la transaction, d’encadrer la relève et de transférer le savoir. S’il s’agit d’une relève familiale, par exemple, il faut ouvrir la voie à des questions délicates, mais essentielles pour l’avenir. Si on pense céder au cadet plutôt qu’à l’aîné, il faudra agir avec doigté. « Quand on nous consulte, on évalue la relève, on fait des tests psychométriques et on passe des entrevues. On voit d’où part la relève et ce qu’elle a à acquérir pour être prête. On interroge aussi le cédant sur ses intérêts, ses motivations, Conseils aux vendeurs Le pire à sousestimer pour un acquéreur est la période de transition. Qui fera quoi pendant les trois premiers mois (TI, ventes, RH, etc.) ? Il faut être rigoureux comme une madame Bec-Sec pour ne rien échapper. De plus, il faut rallier les gens derrière notre vision et c’est beaucoup d’énergie. Il ne suffit pas de faire un chèque. » JConsulter des professionnels en transfert d’entreprise deux à trois ans avant de vendre JDéfinir son idéal de transaction JPréparer une relève et partager ses connaissances JSécuriser les contrats de travail des employés clés JEntamer des pourparlers avec deux ou trois intéressés avant de vendre JPrévoir une période de transition après la vente Conseils aux acheteurs 6 « 9 13 et ensuite on fait un plan de match », explique Pascal Moffett. Un entrepreneur a tout intérêt à se préparer d’avance pour la vente de son entreprise, mais un acheteur aussi. Même si le financement est abondant et se fait à des conditions très avantageuses ces années-ci, il faut avoir accumulé du capital. Cela paraît une évidence, mais les experts rencontrent beaucoup d’acquéreurs à la pensée magique, qui pensent pouvoir acheter sans comptant – ce qui se fait rarement. Les banquiers et investisseurs aiment que le risque soit partagé. « Je crève souvent des bulles en disant aux gens qu’ils n’ont pas assez d’argent pour acheter. Il faut supporter les frais de transaction, le fonds de roulement et l’endettement. Et dans la majorité des cas, la performance financière dans l’année suivant la transaction est moindre », précise Pascal Moffett. Enfin, pour chaque dossier qui lui sera présenté, l’acheteur devra faire ses devoirs ; la vérification diligente ne fait pas foi de tout. « C’est important d’avoir un bon plan d’affaires qui exprime la vision du repreneur. C’est souvent l’élément manquant. Mais nous, ça nous permet de voir comment il fera face aux risques, comment il retiendra le personnel clé de l’entreprise, tout ça. Plus le plan est élaboré, plus les investisseurs auront confiance », dit Patrick-Claude Dionne, de la Banque Nationale. En 2010, Emmanuel Duchesne est entré dans le bureau du président de Camoplast, Pierre Marcouiller, pour lui demander s’il était disposé à lui vendre la division thermoplastique, dont il dirigeait la destinée. Camoplast venait de faire une acquisition qui doublait son chiffre d’affaires à 1 milliard de dollars, et la division thermoplastique était moins associée aux chenilles et roues de caoutchouc qui devenaient la spécialité de la multinationale de Sherbrooke. « Vendre à l’équipe de gestion québécoise permettait une sortie élégante, car c’était bien mieux que de vendre à l’étranger, avec le risque que les emplois soient exportés », a analysé le gestionnaire, aujourd’hui âgé de 39 ans. Instigateur du rachat, qui a coûté quelques dizaines de millions de dollars, il s’est entouré des sept autres gestionnaires pour mener son projet à bien et fonder Exo-S. « La motivation était de pouvoir faire croître la division. On aurait difficilement pu le faire au sein de Camoplast, parce que nous n’étions pas la priorité », précise l’entrepreneur. Exo-S est passée de 450 employés en 2012 à 700 aujourd’hui, elle a agrandi une usine aux États-Unis et en acheté une autre au Mexique. Camoplast a facilité la cession en mettant à disposition ses experts en acquisitions, qui ont conseillé les acheteurs, et c’est Capital régional et coopératif Desjardins (CRCD) qui a financé la transaction. « On n’avait pas de fortune personnelle, on a tous emprunté pour racheter. D’autres partenaires auraient été plus généreux en argent, mais on a décidé de privilégier un partenaire financier qui partageait nos valeurs et notre vision, c’est-à-dire garder les emplois au Québec et augmenter le rendement par la croissance », souligne M. Duchesne. — VALÉRIE LESAGE CAS 2 : Reprendre une entreprise en difficulté Quand Veau Charlevoix s’est placée sous la protection de la Loi sur la faillite et l’insolvabilité l’automne dernier, Écolait, le plus grand producteur et transformateur de veau de lait et de grain de la province, a saisi une belle occasion pour faire un achat stratégique. « Ça nous permet d’aller plus vite et plus loin dans notre développement », explique André Michaud, responsable du développement des affaires chez Écolait, qui a lui-même approché Veau Charlevoix pour l’acquisition. Écolait, qui vend du veau de manière générique aux distributeurs, cherchait à se positionner avec une marque. En fait, elle avait récemment lancé la marque Vivo pour son veau de lait et cherchait encore une solution pour son veau de grain. La marque Veau Charlevoix était bien établie et avait bonne réputation. Écolait, consciente des efforts nécessaires pour imposer une marque, a donc décidé de l’acheter, de même que le cahier des charges qui donne à la viande sa saveur distinctive – le veau est nourri d’un mélange de grain et de lait. Une bonne partie des producteurs liés à Écolait se convertiront à la méthode charlevoisienne. Veau Charlevoix abattait 1 000 bêtes par année, tandis qu’Écolait en abat 2 000 par semaine dans ses installations de Terrebonne (elle a aussi des usines en Ontario et aux États-Unis). Au lieu de tout perdre, le fondateur de Veau Charlevoix, Jean-Robert Audet, continuera de développer la marque en collaboration avec l’équipe d’Écolait, prévoit la transaction signée le 9 janvier. — VALÉRIE LESAGE 14 stratégies 21 février 2015 CAS 3 : Prendre la relève de l’entreprise familiale en accéléré pour cause de maladie, c’est le défi auquel ont dû faire face Justin Valois et sa sœur Carolyne quand leur père, alors âgé de 67 ans, a appris en mars 2013 qu’il était atteint d’un cancer et que son espérance de vie se limitait à huit mois. « Le climat n’était pas facile. Les fondations de l’entreprise ont été ébranlées. Les gens étaient habitués à mon père, et ma sœur et moi avons dû prendre sa place, alors qu’avant son décès, nous étions les adjoints de ses directeurs », se Relève d’urgence souvient Justin Valois, aujourd’hui copropriétaire de Valois Transport à Trois-Rivières. Le jeune homme de 33 ans a commencé à travailler dans l’entreprise début vingtaine, d’abord au bas de l’échelle. À 25 ans, il est allé étudier la logistique du transport, puis a décroché un poste d’agent d’expédition dans une aluminerie avant de revenir auprès de son père. « Ça m’a donné plus de valeur à ses yeux. Après, j’ai décroché un bon contrat de transport auprès de la Régie des matières résiduelles, et j’ai pensé que tout ça me permettrait de m’élever dans l’entreprise. Mais je devais tout apprendre par moi-même, parce que mon père ne transférait pas beaucoup ses connaissances. » Pendant la maladie du père, Justin Valois et sa sœur ont dû apprendre à travailler côte à côte pour diriger les opérations. Encore aujourd’hui, ils tentent de délimiter les tâches. Et les différences de vision entre celle qui, selon son frère, est gardienne de la continuité et celui qui veut croître par acquisitions sont marquées. « L’élément le plus troublant dans tout ça, c’est de ne pas avoir eu la chance de dire un mot. Mon père ne nous a jamais demandé comment nous voyions les choses. Il a établi lui-même la convention d’actionnaires (50-50) entre ma sœur et moi. Et puis, ça déstabilise d’arriver avec toutes ces tâches et ces défis en étant pas si préparés que ça », relate-t-il. Il ajoute que tout aurait été bien plus simple si le transfert avait été pensé d’avance, si les compétences de chacun avaient été évaluées et s’il avait été possible de suivre une formation pour acquérir les compétences manquantes. Justin Valois a fait évaluer ses forces et faiblesses par un psychologue industriel, mais sa sœur et son père n’ont pas voulu. Aujourd’hui, il est incertain face à son avenir dans l’entreprise. « Est-ce mon désir de rester ou était-ce le désir de mon père ? » se demandet-il. — VALÉRIE LESAGE CAS 4 : Les repreneurs externes Christian Châteauvert, 39 ans, a toujours caressé le rêve d’avoir sa propre entreprise ; rêve qu’il a réalisé avec son frère cadet Jean-Simon, en 2012, en rachetant Bolduc et frères, devenue Bolduc Solution. L’entreprise de Sainte-Clotilde-deBeauce, qui fabrique des produits en acier inoxydable pour l’industrie de la vente au détail, appartenait à trois frères qui voulaient prendre leur retraite, mais qui n’avaient pas de relève à l’interne. L’entrepreneur cherchait sur Acquisition.biz et chez des courtiers, mais c’est finalement grâce à Raymond Chabot Grant Thornton, son ancien employeur, que l’occasion a été trouvée. « On a fait une offre qui prévoyait une transition d’une année. C’était aussi la volonté des vendeurs, qui ont eu quelques offres et nous ont choisis. On a aussi intéressé huit employés pour les rendre actionnaires et s’assurer de les garder », raconte Christian Châteauvert, content d’avoir su bien s’entourer de professionnels pour réaliser la transaction avec succès. Gagner la confiance des employés n’a pas pour autant été facile. Bolduc, avec sa trentaine d’employés, était une entreprise rentable, mais en stagnation depuis trois ans. Les frères Châteauvert voulaient la faire croître, mais se sont heurtés à de la résistance à l’interne. « On a gagné la confiance quand les employés ont vu qu’on ajoutait du personnel pour suivre la progression. Par exemple, on a embauché un dessinateur et un chargé de projet. Alors, quand ils ont vu qu’on voulait grandir sans leur en demander toujours plus, les choses se sont placées », remarque Christian Châteauvert, ajoutant que son leadership a pu mieux s’installer après le départ des anciens propriétaires. « C’était un avantage qu’ils restent pour transférer leurs connaissances et préparer la clientèle, mais les employés ont eu plus de mal à nous suivre. Ils sont restés longtemps loyaux envers les anciens patrons, comme pris entre l’arbre et l’écorce », dit-il. En janvier 2013, les jeunes entrepreneurs à la tête de Bolduc ont fait une acquisition quand une occasion s’est présentée tout près : une usine de fabrication qui allait permettre d’augmenter la capacité de production. Début 2015, ils négociaient un autre rachat pour diversifier leurs activités. — VALÉRIE LESAGE stratégies 21 février 2015 CAS 6 : CAS 5 : Les employés prennent les commandes Quand Denis Lebrun a décidé de vendre ses parts dans la Librairie Pantoute à Québec (deux succursales), il a communiqué ses intentions à ses employés et à des gens dans le domaine du livre, histoire de maximiser ses chances d’obtenir une offre satisfaisante. « Mais dans mon cœur, je savais que j’allais d’abord considérer les employés car j’étais conscient d’avoir une sacrée bonne équipe. Et l’idée de vendre l’entreprise à quelqu’un qui voudrait peut-être les remplacer, ça aurait été un départ déchirant pour moi », raconte l’homme de 66 ans, parti à la retraite au printemps 2014. C’est ainsi que les employés de Pantoute ont racheté les 53 % d’actions détenues par M. Lebrun et sa conjointe. Pour y arriver, une coopérative de travailleurs actionnaires et une société à but lucratif, propriété de deux employées, ont été formées, avec l’aide d’un avocat spécialisé. « On n’y serait pas arrivés avec seulement la coopérative. Comme on rembourse l’emprunt à même nos salaires, la coupe aurait été trop grande. Les gens n’ont pas des salaires mirobolants dans ce milieu », explique Victoria Lévesque, 35 ans, directrice des ventes et du développement et coactionnaire de la société. Elle et la nouvelle directrice générale, Marie-Ève Pichette, 36 ans, ont acheté au final la moitié des actions de M. Lebrun et de son épouse (moins de 500 000 $). Et elles ont convaincu les actionnaires minoritaires de Pantoute (ils sont huit et détiennent 47 % des parts) de rester à bord quelque temps encore pour soutenir le transfert. Cela a rassuré les prêteurs, dans une situation où les acheteurs n’avaient pas de comptant à offrir. « Si on avait voulu racheter seules, on n’y serait pas arrivées. C’est Filaction qui nous financent et ils espèrent développer cette formule ailleurs », soutient Marie-Ève Pichette. Il a fallu un an de négociations entre les avocats du vendeur et des acheteurs pour trouver un terrain d’entente. Après, le principal enjeu a été de remplacer M. Lebrun dans les fonctions de direction. « Les employés nous connaissent, mais on doit gagner leur confiance dans un autre rôle », précise Victoria Lévesque, qui travaille chez Pantoute depuis sept ans. « C’est difficile de passer de collègue à patronne, avec des gens avec qui tu es devenue amie ou qui ont plus d’expérience », renchérit Marie-Ève Pichette, soulignant la fidélité des employés, dont certains sont en poste depuis 20 ans ; une rareté dans ce domaine. Tous les employés sont restés depuis la transaction. Les deux nouvelles patronnes se félicitent d’avoir eu recours à un consultant externe qui a établi un diagnostic d’entreprise après l’achat. Ce dernier les a aidées à cerner les points à améliorer dans la gestion de l’entreprise et a facilité la distribution des postes selon les aptitudes. — VALÉRIE LESAGE 15 Relève interne planifiée Yvon Lavigne, 61 ans, avait parfaitement conscience qu’il faudrait du temps pour céder Construction Lavigne et Baril et préparer sa relève. Il y a deux ans, l’entrepreneur de Bécancour a ciblé ses dauphins : ses deux plus jeunes employés, François Saint-Pierre et Pascal Daneault, 36 et 32 ans. Un de ses jeunes repreneurs lui a parlé de l’École d’entrepreneurship de Beauce (EEB), et c’est ainsi que toute l’équipe a jugé bon de s’y inscrire ; le cédant au programme Triomphe et les repreneurs au programme Émergence. « Je me suis rendu compte que j’avais des devoirs à faire, dit M. Lavigne. Déléguer des tâches est une chose, laisser les autres prendre des décisions en est une autre ! » « Le plus grand défi est de faire la transition en équipe, de trouver la manière de travailler ensemble, de reconnaître les forces de chacun. M. Lavigne a un bagage à transmettre, et il faut qu’il sente qu’on a de l’intérêt pour apprendre », affirme François Saint-Pierre, estimateur et chargé de projets, qui s’est joint à la PME il y a neuf ans. M. Lavigne a le souci d’éviter aux jeunes loups des erreurs coûteuses. Il a vu des entreprises de son secteur acculées à la faillite, et il veut transmettre le sens de la rentabilité. Il faut, dit- MONTRÉAL *Bureau associé OTTAWA TORONTO CALGARY VANCOUVER il, choisir les contrats en fonction de la rentabilité et non faire du volume à tout prix. « Même s’ils avaient eu de l’argent pour tout acheter d’un coup, j’aurais refusé. Je ne vais pas leur donner une corde pour se pendre. C’est un apprentissage à long terme, et tant que je ne les sens pas prêts, je reste avec eux », préciset-il, ajoutant que la période de transition ne doit pas s’étirer non plus, au risque de démotiver les repreneurs. Le transfert de l’actionnariat se fait graduellement. En juin, les jeunes auront acquis 40 % des parts (montant confidentiel). La prochaine étape, dont le moment reste à déterminer, sera l’acquisition des 60 % restants. « On s’est dit qu’on ne changerait pas notre manière d’interagir avec l’équipe, même si on doit aujourd’hui voir devant comme futurs chefs d’entreprise. Ça ne fait pas de vagues en ce moment, et les choses se passent tranquillement. Mais prendre notre place fait quand même partie des défis », considère François Saint-Pierre. « On sait qu’il faut maintenir ce qui est en place et aller plus loin. Et on sait qu’on a moins le droit à l’erreur face à ce qui est bâti. L’EEB nous apprend à la vitesse grand V ce que nous devons savoir, et ça limite les risques. » — VALÉRIE LESAGE NEW YORK LONDRES BAHREÏN AL-KHOBAR* BEIJING SHANGHAI* Blakes, Cassels & Graydon S.E.N.C.R.L./s.r.l. | blakes.com