La chute de la maison Andersen
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La chute de la maison Andersen
Sens de l’événement prestations LE SENS DE L'ÉVÉNEMENT complémentaires » (2), fonctionnant sur des liens de coopération et d’échange entre ses différents membres et dans laquelle le respect La chute de la maison Andersen des règles communes repose plus sur des règles privées internes contraignantes que sur des liens financiers (3). Andersen était organisé sous forme d’un partnership mondial de partnerships nationaux juridiquement et financièrement indépendants : dans chaque pays, les bureaux étaient dirigés par les Nicole May associés locaux regroupés en partnerships dont le capital leur appartenait à 100 %. Il n’existait donc pas de liens de propriété entre les différents bureaux locaux ni entre ceux-ci et le réseau mondial, Andersen Worldwide, société But yesterday the word of Caesar might Have stood against the world ; now lies he there, And none so poor to do him reverence. coopérative basée en Suisse. Toutefois, cette structure mondiale, à laquelle tous les associés étaient tenus (Shakespeare, Julius Caesar, III, 2) d’adhérer personnellement, fonctionnait comme une vraie tête de réseau : elle était dotée d’un comité et d’un bureau exécutifs élus par les associés, Créé en 1913, présent en 2001 le seul, parmi les Big Five, à avoir affron- en charge de la stratégie du réseau et dans quatre-vingt-quatre pays et fort de té des litiges importants et à avoir dû du développement des implantations ses quatre-vingt-cinq mille collabora- payer de fortes indemnités en dom- internationales, du contrôle de l’utilisa- teurs dans le monde, le cabinet mages et intérêts. Aussi, quand éclate, tion du nom (à travers la définition et le Andersen en en octobre 2001, le scandale Enron, nul contrôle de normes professionnelles) et apparaissait encore décembre 2001 comme l’une de ces ne peut imaginer que l’une de ses des grandes orientations en matière de vieilles dames respectables que rien ne conséquences sera, six mois plus tard, méthodologie, de formation et de ges- saurait ébranler. Même s’il n’était plus le la disparition d’Andersen. tion des carrières et des revenus. leader des Big Five (1) — son chiffre Chaque société était liée par contrat d’affaires, 9,3 milliards de $ facturés en Andersen, comme les autres Big avec Andersen Worldwide, mais la 2001, dont 4,3 dans l’audit, était deux Five, s’était développé et internationali- consistance du réseau reposait avant fois moins élevé que celui du numéro un sé sous une forme particulière d’orga- tout sur la mise en commun des com- du secteur, PricewaterhouseCoopers nisation : le réseau, structure établis- pétences et des expériences profes- (PwC) —, c’était l’une des signatures les sant d’intérêt sionnelles (via l’accès permanent à une plus prestigieuses du métier. Certes, sa durable dans le but de développer une base de données internes), sur la défi- réputation avait été ternie récemment clientèle commune actuelle ou poten- nition et l’application de normes profes- par quelques affaires ; mais il n’était pas tielle et/ou de favoriser la fourniture de sionnelles communes, sur la mise en une « communauté 75 Flux n° 51 Janvier - Mars 2003 place de procédures homogènes de Certes, Berardino, le chief executive que les premières, l’intérêt à garder le formation, de recrutement et de ges- d’Andersen Worldwide, est amené à client créent une situation qui peut tion des carrières, tous éléments exis- s’expliquer devant les diverses com- remettre en cause l’indépendance de tant de longue date et contribuant à missions d’enquête ouvertes à l’occa- l’auditeur et conduire à un manque de l’existence d’une forte culture d’entre- sion du scandale et de la faillite vigilance de sa part. La question de la prise. Or, c’est ce réseau, sans doute le d’Enron : celle de la SEC (4) et celles séparation des activités d’audit et de plus intégré des Big Five au niveau mandatées par différentes commis- conseil qui revient ainsi au premier plan mondial et solidement étayé par des sions du Congrès américain. Par est loin d’être nouvelle : les Big Five et pratiques et des normes partagées, qui ailleurs, Andersen est aussi très vite leur lobby s’y opposent depuis des va éclater en moins de deux mois, suite visé par plusieurs plaintes en justice années et ont même réussi à faire recu- aux mésaventures de sa branche amé- (plainte collective contre vingt-neuf diri- ler la SEC qui avait, en 2000, proposé ricaine. geants d’Enron et contre Andersen des mesures visant à séparer les deux Du 2 décembre 2001 au 14 janvier 2002 : un ciel qui devient lourd de menaces Le scandale Enron éclate le 16 devant la cour Fédérale de Houston, activités. Aussi, dans cette première enquête de la SEC pour rechercher les phase, Andersen a-t-il le soutien de la responsabilités dans la diffusion au profession, de même que celui du nou- public de mauvaises informations). veau président de la SEC, Harvey Pitt, Face à ces premières attaques, la lui-même antérieurement lié au milieu de défense de Berardino joue sur plusieurs l’audit. octobre 2001, quand les dirigeants du tableaux : d’une part, il souligne le groupe annoncent une perte nette de caractère 618 millions de $ pour le troisième tri- modèle actuel de reporting financier mestre, dûe à une charge exceptionnel- face aux nouveaux modes de dévelop- le liée à certains investissements, et pement et aux nouvelles structures révèlent, en même temps, que 1,2 mil- financières des firmes ; d’autre part, il Deux faits vont faire basculer les liard de $ du capital de la firme est parti affirme que Enron a omis et même dis- choses à la mi-janvier 2002 : la révéla- en fumée à cause de transactions dou- simulé des informations cruciales qui tion que certains employés d’Andersen teuses opérées avec des fonds créés auraient permis de corriger les résultats ont détruit des quantités importantes de par son propre directeur financier. Mais, financiers ; enfin, un peu plus tardive- documents et de notes liés à Enron désormais inadapté du Du 14 janvier au 14 mars : peut-on sauver le soldat Andersen ? pour Andersen, la descente aux enfers ment, il admet qu’il a pu y avoir (révélation du magazine Time du 13 jan- s’amorce en décembre, après la décla- quelques erreurs de jugement, mais vier 2002 et qui proviendrait des enquê- ration de faillite d’Enron. Celle-ci est minimes, de la part de l’auditeur. teurs de la SEC) et, corrélativement, l’annonce de l’ouverture d’une enquête déclarée le 2 décembre et, dès le 4, l’idée commence à émerger que Dans cette première phase, la prin- par le DoJ (ministère de la Justice) pour Andersen, l’auditeur d’Enron, pourrait y cipale critique adressée à Andersen ren- savoir si Andersen a sa part de respon- avoir une part de responsabilité : est-il voie à l’importance des missions de sabilité dans la déconfiture d’Enron, possible, alors qu’il semblerait que conseil que réalisait la branche améri- enquête qui ouvre la possibilité d’un Enron ait bafoué les règles les plus élé- caine d’Andersen (Andersen LLP) pour procès au pénal. Cette décision du DoJ mentaires de la comptabilité, que son Enron en plus de ses missions d’audit : intervient alors que le scandale Enron auditeur n’ait rien remarqué ? l’importance d’Enron dans le chiffre prend une tournure politique, du fait de d’affaires d’Andersen LLP, le mélange l’éventuelle implication, évoquée par la Cependant les choses n’apparaissent pas encore dramatiques. 76 de missions d’audit et de conseil, les presse, de Bush et de son entourage secondes rapportant beaucoup plus dans l’affaire Enron. Sens de l’événement La période qui va de ces annonces quittent Andersen affirment avoir tou- marché des capitaux puisque, sans à l’inculpation d’Andersen LLP par le jours été, pour leur part, satisfaits de comptes certifiés, une entreprise ne DoJ pour entrave à la justice, le 14 leur auditeur. peut accéder à ce marché. Par ailleurs, mars, est marquée à la fois par la dégra- la disparition d’Andersen réduirait enco- dation de la situation d’Andersen aux Pour sa défense, Andersen LLP va re la concurrence dans le domaine de États-Unis et par diverses tentatives de d’abord tenter, mais en vain, de circons- l’audit, les Big Five devenant les Big sauvetage dans lesquelles s’implique crire le problème en limitant la faute à Four. Mais toutes les négociations avec fortement l’ex-patron de la Fed, Paul quelques individus (un associé, limogé le DoJ échoueront : le contexte — mul- deux jours après l’annonce des destruc- tiplication des scandales financiers, tions, et trois collaborateurs suspendus) dimensions politiques de ces scandales Volker. Les révélations sur la destruction de puis au seul bureau de Houston où ont du fait des liens des sociétés en faillite documents se précisent et s’aggravent eu lieu les destructions ; c’est ensuite avec des dirigeants républicains au plus au fil des jours : elle aurait commencé le l’appel à Paul Volker qui accepte de haut niveau — a sans doute pesé dans 12 octobre, soit trois jours avant l’an- prendre la présidence d’un « comité de la décision du DoJ de demander, le 14 nonce d’Enron, et il n’est pas sûr qu’el- surveillance indépendant » chargé de mars, au tribunal de Houston d’inculper le ait été stoppée à partir du 8 travailler à « un changement fondamen- Andersen LLP (c’est-à-dire tout novembre, date à laquelle la SEC, dans tal des pratiques d’audit » (cité par les Andersen USA et non un ou deux le cadre de son enquête sur Enron, a Échos du 4/02/02) d’Andersen LLP et bureaux) pour entrave à la justice : demandé à Andersen de tenir à sa dis- d’en restaurer la crédibilité ; c’est, enfin, certes, il s’agissait de dénoncer « une position tous les documents relatifs aux pour éviter les procès, l’engagement de conduite criminelle à grande échelle » et comptes d’Enron… Et l’annonce, fin négociations avec les différents plai- de faire un exemple en « dissuadant janvier, de la faillite de Global Crossing, gnants (procédures collectives, SEC, d’autres firmes de commettre les dont Andersen LLP était l’auditeur mais DoJ) pour solder l’affaire moyennant de mêmes fautes » mais il s’agissait sans pour lequel il réalisait aussi des missions fortes compensations financières. Le doute aussi de montrer que l’adminis- de conseil, n’arrange rien. Par ailleurs, soutien de Paul Volker pour « sauver » tration républicaine était capable de faire outre la menace que fait planer l’enquê- Andersen LLP ne se démentira pas et preuve de fermeté dans ce type d’af- te du DoJ, la multiplication des plaintes se poursuivra au-delà même de l’incul- faires. (le 29 janvier, ce sont les salariés pation : jusqu’à la veille de l’ouverture du d’Enron qui portent plainte aussi contre procès pénal, il négociera avec la SEC Andersen LLP) fait peser sur Andersen et surtout le DoJ pour tenter d’éviter l’in- De l’inculpation (14 mars) à l’ouverture du procès (6 mai) : le sauve qui peut LLP des risques d’avoir à payer de très culpation d’Andersen LLP pour entrave importantes indemnités — et ceci alors à la justice. Dans cette tâche, il aura le Si, dans la première période, tout que, pour éviter d’aller au procès dans soutien tant de la SEC que de la Fed qui Andersen avait fait corps avec Andersen une ancienne affaire, le cabinet doit sont favorables à un accord, l’ancien LLP, désormais, le sort d’Andersen LLP s’engager à payer 217 millions de $ à la président de la SEC, Arthur Levitt, allant et celui du reste du réseau vont être Fondation Baptiste de l’Arizona. Et, tan- même jusqu’à affirmer, à la veille de l’in- définitivement disjoints ; tandis que dis que, début mars, les menaces d’in- culpation, que « la survie d’Andersen est Andersen LLP va poursuivre sa descen- culpation par le DoJ se précisent, la une question d’intérêt national » (les te aux enfers en dépit des ultimes tenta- nouvelle de l’abandon d’Andersen par Échos que tives de Volker, le reste du réseau va certains de ses plus gros et anciens Andersen LLP certifie 17 % des sociétés s’engager dans une course à la survie clients ne fait qu’aggraver la situation, cotées aux USA et que sa suspension qui, très vite, va se solder par l’éclate- même si, bien entendu, ces clients qui menacerait le bon fonctionnement du ment du réseau. du 15/03/02) : c’est 77 Flux n° 51 Janvier - Mars 2003 Côté USA, les choses vont en se E & Y s’affirme intéressé et que DTT, cès, le 6 mai, même si tout n’est pas dégradant : les créanciers refusent les pour sa part, s’inquiète des effets encore définitivement arrêté à cette propositions d’indemnisation, l’assureur qu’aurait en termes de concurrence la date. L’issue du procès — le 15 juin, d’Andersen affirme ne pas pouvoir fusion globale d’Andersen avec l’une Andersen LLP est reconnu coupable payer les indemnités que Andersen a des Big Five restantes, les premières d’entrave à la justice — aura certes des négociées avec la Fondation Baptise de fractures apparaissent : dès le 18 mars, incidences sur ce qui reste d’Andersen l’Arizona, Andersen se trouve impliqué la presse économique fait état de pro- LLP (cependant, Andersen ayant fait dans la faillite de Global Crossing, les jets de la part des bureaux d’Espagne appel, le jugement n’est pas immédiate- clients fuient en masse, les collabora- et du Chili de faire cavalier seul et de ne ment exécutoire et des arrangements teurs aussi et la diminution massive de pas se rallier à l’accord avec KPMG et sont trouvés pour mener à bonne fin les l’activité se traduit pas un gigantesque c’est le 22 mars qu’ont lieu les pre- certifications de comptes en cours), plan de licenciements. Le dépeçage mières annonces d’accords séparés : la mais elle n’en aura guère sur l’avenir d’un réseau qui n’existe déjà plus. commence : Andersen LLP cède ses Chine avec PwC et la Russie avec activités de conseil juridique et fiscal à E & Y. Cardoso poursuit ses négocia- DTT et négocie avec KPMG pour lui tions avec KPMG en vue d’un accord À l’issue de ces événements, le céder ses activités du nord-est des « le plus large possible », mais le réseau paysage du secteur se trouve profondé- États-Unis. Début mai, avant même craque de toute part : la Nouvelle ment bouleversé : les Big Five sont l’ouverture Zélande annonce le 25 mars un accord devenues les « Fat Four », même s’il est du procès, KPMG Consulting négocie le rachat de tout le avec E & Y, l’Australie annonce le 26 encore un peu tôt pour savoir qui l’a pôle Conseil (Business Consulting) de mars la fin de ses contacts avec KPMG vraiment emporté : certes, DTT et E & Y Andersen LLP. et le 29 un accord avec E & Y ; le rap- apparaissent comme les deux grands prochement du Japon avec KPMG, gagnants du dépeçage du réseau, face La situation du reste du réseau va annoncé le 29 mars, est remis en cause à PwC et KPMG, mais cela ne veut pas évoluer rapidement. Le discrédit de la le 2 avril tandis que, de son côté, dire que PwC ait perdu sa position de branche américaine atteint désormais le Singapour annonce qu’il discute avec major acquise avec la fusion de 1999. nom même d’Andersen, et ce dans un E & Y ; le 3 avril, alors que l’Espagne Et si la partie audit de KPMG n’a pu métier qui repose sur la confiance atta- annonce un accord avec DTT, Cardoso s’approprier qu’une maigre part du chée à un nom et à une signature ; la jette l’éponge et annonce l’abandon des butin, par contre KPMG Consulting, survie du réseau implique alors que l’on tentatives de rapprochement global avec l’acquisition d’une bonne partie se sépare radicalement de la branche avec KPMG. Dès lors, tout va aller très d’Andersen BC, sort de l’affaire consi- pourrie. Dès le début du mois de mars, vite : en quinze jours, entre le 3 et le 26 dérablement renforcé — même si, là des rumeurs de négociations entre avril, le réseau va complètement éclater encore, les cartes ne sont pas encore Andersen et d’autres Big Five (notam- entre les quatre Big Five restantes, à complètement rebattues, comme en ment Deloitte Touche et Tohmatstu) l’exception, cependant, dans de nom- témoigne le passage récent de KPMG avaient circulé, mais les choses s’accé- breux pays, des activités de Business Consulting Grande-Bretagne et Pays- lèrent après le 14 mars : dans les jours Consulting (Andersen BC) qui avaient Bas chez la SSII Atos Origin. Seconde qui suivent, Cardoso, le nouveau chief souvent une structure juridique séparée modification importante du paysage : la executive de Andersen Worldwide, fait (ce qui est d’ailleurs obligatoire dans séparation des activités de conseil et état de négociations avancées en vue certains pays, dont la France). d’audit dans laquelle tous les réseaux d’une fusion globale d’Andersen hors sont désormais engagés. Cela avait été États-Unis avec KPMG. Mais, tandis Ainsi, la mort du réseau est-elle fait en 2000 par E & Y (vente de E & Y que Cardoso négocie avec KPMG, que signée avant même l’ouverture du pro- Consulting à Cap Gemini) et par KPMG 78 Sens de l’événement L’éclatement du réseau d’Andersen (repris par Idé) se rapportant à l’article « Démantelé, Andersen cherche encore à négocier avec la justice américaine » paru dans les Échos daté du 26-27 avril 2002. 79 Flux n° 51 Janvier - Mars 2003 (création de KPMG Consulting, société dans l’affaire Enron, seul Andersen a été valeur d’un nom et d’une signature, indépendante introduite au Nasdaq inculpé puis condamné). Par ailleurs, c’est, à travers le nom d’Andersen, la pour les activités de conseil hors l’adoption d’une attitude de fermeté vis- crédibilité de tout le réseau vis-à-vis de Europe) et engagé par PwC (tentative à-vis d’Andersen — largement facilitée, ses clients qui était atteinte ; sans de vendre ses activités de conseil à il est vrai, par la destruction massive de doute, dans une telle situation, peut-on Hewlett Packard) ; mais là, les choses documents — a constitué un moyen de s’appuyer sur la dimension personnelle s’accélèrent : PwC Consulting, qui pression sur les autres Big Five pour des relations aux clients, et c’est devait être mis sur le marché, va être régler aux USA la lancinante question d’ailleurs l’importance de cet aspect repris par IBM et DTT, qui résistait de la séparation des activités d’audit et qu’avait mis en avant, dans un entretien farouchement à la séparation, a annon- de conseil (6), mais elle a été avalisée aux Échos, le patron d’Andersen cé en juin qu’il va transformer Deloitte aussi par les milieux de l’audit pour ten- France pour expliquer que la branche Consulting en société indépendante, ter d’éviter des réformes plus profondes française n’avait pas perdu de clients. laquelle devrait sortir du réseau en jan- de la profession (7). vier 2003. Quant à Andersen, lui aussi Mais dimension personnelle et valeur du nom s’épaulent mutuellement et la opposé à la séparation entre les deux En fait, ce qui interroge, c’est ce qui première ne peut fonctionner long- activités, il l’a subie à travers le déman- est advenu du reste du réseau : pour- temps sans la seconde : il fallait donc tèlement de son réseau. Mais l’élément quoi l’éclatement et pourquoi si vite ? non seulement se couper d’Andersen le plus important à relever c’est que, et Certes, la structure du réseau Andersen mais aussi retrouver un nom — et cela ce n’est pas le moindre des paradoxes permettait cet éclatement, mais elle ne signifiait s’adosser à un autre réseau, de l’éclatement le rendait pas inéluctable et, à bien des car la valeur d’un nom, si elle peut se d’Andersen se solde en définitive par un égards, dès lors que tout le réseau ris- détériorer très vite, comme le montre renforcement de la concentration tant quait d’être contaminé par le discrédit l’exemple d’Andersen, se construit dans le secteur de l’audit que dans celui de la branche américaine, la double dans la durée comme en témoigne la du conseil. stratégie développée par Andersen longue histoire des Big Five. De plus, Worldwide — se séparer radicalement l’adossement à un autre réseau s’impo- L’éclatement était-il inéluctable ? du membre malade et adosser le reste sait aussi pour des raisons de taille et cette affaire, du réseau à l’un des quatre autres de marché : amputé de sa branche grands réseaux — apparaissait comme américaine, qui représentait le tiers des Le sort d’Andersen LLP — inculpa- la plus rationnelle. D’abord, bien qu’une effectifs du groupe, Andersen faisait tion au pénal, puis condamnation — éventuelle condamnation d’Andersen figure de nain et, surtout, n’était plus s’explique assez largement par des élé- LLP ne puisse, en principe, s’étendre présent sur le marché américain. Or, ments du contexte américain. Ainsi, la aux autres sociétés, puisqu’elles étaient celui-ci est non seulement, et de loin, le dimension politique des scandales toutes financièrement et juridiquement plus important en volume, mais c’est financiers (d’abord Enron, mais ensuite indépendantes, nul n’est jamais à aussi celui par lequel on accède aux Global Crossing), du fait de leurs liens l’abri : un avocat astucieux ne pourrait- grandes multinationales ; ne pas être éventuels avec la Maison Blanche et la il pas trouver une faille permettant d’im- sur ce marché, c’est cesser de jouer vice-présidence, a indéniablement pesé pliquer financièrement les associés, dans la cour des grands. Enfin, en tant sur l’attitude de fermeté adoptée par le surtout compte tenu des gigantesques que réseau, Andersen disposait d’actifs DoJ : il fallait faire la preuve qu’on ne montants d’indemnités que Andersen immatériels importants (normes com- craignait pas de faire toute la lumière et LLP risquait de devoir payer ? Ensuite, munes, méthodologies objectivées, de prendre des sanctions sévères (on et comme on l’a déjà noté, dans un outils permettant d’intégrer les best peut toutefois noter que, à ce jour (5), métier qui repose sur la confiance et la practices, culture d’entreprise favori- 80 Sens de l’événement sant le travail en commun…) dont la avantages. D’abord en termes de s’engager soi-même localement dans valeur était liée à la persistance du temps : étant donné la structure du des négociations permettait aux asso- réseau. réseau (partnership mondial de partner- ciés-propriétaires tout à la fois d’aller ships nationaux), un accord global, pour plus vite (et donc de limiter les risques Mais les tentatives de solutions glo- être valide, doit être entériné individuel- associés à la période d’incertitude), de bales sont venues se briser sur les lement par chacun des bureaux à tra- choisir leurs interlocuteurs, c’est-à-dire forces jouant en faveur de l’éclatement, vers la signature des associés concer- de négocier avec des gens avec les- l’échec des solutions globales étant, nés ; une telle procédure prend du quels on se sent plus « en phase » et on comme en témoigne la succession des temps, ce qui crée une période d’incer- pourra gérer au mieux les conflits d’in- événements, la conséquence et non la titude dont la durée, elle-même indéter- térêt, et surtout de maîtriser les négo- cause de cet éclatement. minée, ne peut être que néfaste à l’acti- ciations, d’abord dans leurs dimensions vité du bureau et risque d’entamer la financières et donc de préservation de On peut penser que le rôle des confiance des clients ; or, il est beau- leurs intérêts financiers, mais aussi autres Big Five n’a pas été négligeable coup plus rapide de perdre des clients quant aux modalités concrètes du rap- dans cette affaire : chacune d’elles pou- que d’en gagner. Par ailleurs, la conclu- prochement, notamment celles relatives vait avoir intérêt à fusionner avec sion d’un accord global peut créer loca- à leur place dans le fonctionnement du Andersen, mais aucune n’avait intérêt à lement des situations de conflits d’inté- nouvel ensemble. ce que ce soit une autre qui le fasse. rêts (8) comme c’est très vite apparu en Ainsi, la fusion Andersen/KPMG aurait- Australie entre KMPG et Andersen ; Ainsi, l’éclatement du réseau — et elle hissé le nouveau cabinet à la hau- dans cette situation, qui oblige à choisir sa rapidité qui signait le fait qu’il n’y teur de PwC, menaçant la position de entre deux clients et donc à en perdre avait pas de retour en arrière possible leader de celui-ci et reléguant les deux un, qui va faire le choix et sur quelles vers un accord global — témoigne-t-il autres loin derrière. Dès lors que les bases ? N’y a-t-il pas un risque que ce de la prévalence, dans la gestion de la négociations en cours avec KPMG soit le bureau d’Andersen qui, en posi- crise, des « intérêts locaux » : la logique devenaient crédibles, les autres Big Five tion de faiblesse, doive abandonner les des bureaux l’a emporté sur celle du avaient intérêt à tenter de négocier siens ? De plus, un accord global, réseau, et ce alors même que celui-ci localement des accords séparés avec même s’il doit être entériné localement, était l’un des plus solides et des plus divers bureaux locaux et à jouer le peut laisser ouvertes, et inquiétantes, intégrés du secteur. Ceci conduit à s’in- dépeçage. bien des questions relatives à ce que terroger sur la fragilité de la structure seront le statut et le devenir des organisationnelle de ce type de firme- Du côté d’Andersen, il faut d’abord bureaux et des équipes locales dans le réseau, construite sur l’indépendance relever que le poids de l’individualisme nouvel ensemble. Enfin, et surtout, un juridique et financière des partenaires et et des valeurs d’indépendance, très fort accord négocié globalement signifie dont la consistance repose essentielle- dans les métiers d’audit et de conseil et que les associés propriétaires de ment sur des aspects immatériels et sur qui se traduisait dans la structure même chaque bureau ne participent pas direc- l’intérêt de chacun à être membre : ce du réseau, ne pouvait que nourrir des tement à la négociation financière, que montre l’histoire d’Andersen c’est réticences à l’égard d’un accord global. c’est-à-dire à l’évaluation de la valeur que, dès lors que les circonstances Mais surtout, du point de vue des de leur propriété, et ce alors qu’il n’est viennent remettre en cause ou affaiblir bureaux locaux, c’est-à-dire des asso- pas dit qu’ils ne seraient pas en mesu- cet intérêt à coopérer, pour une raison ciés détenteurs du capital de ces re, en choisissant eux-mêmes leur inter- ou une autre mais notamment quand il bureaux, la conclusion d’un accord glo- locuteur, de négocier financièrement n’y a plus concordance entre intérêt à bal était loin de ne présenter que des parlant un meilleur accord. Au contraire, coopérer et intérêts financiers, un tel 81 Flux n° 51 Janvier - Mars 2003 réseau s’effondre. Et ceci nous conduit priété en bonne et due forme dans les de crise, des intérêts financiers des pro- à penser que la fragilité de ces configu- entreprises, tient sans doute d’abord à priétaires. rations organisationnelles, qui n’entrent ce qu’elles ne remettent pas en cause pas dans le moule classique de la pro- la prévalence, qui se révèle en situation Nicole May [email protected] Août 2002 Notes (1) On appelle les « Big Five », les cinq plus importantes sociétés mondiales d’audit. À l’exception d’Andersen, tous ces cabinets résultent de fusions successives dont les plus récentes datent du milieu des années 1980 et, pour la dernière en date, de 1999 : KPMG, formé en 1986 par la fusion de Peat Marwick Mitchell et de Klynveld Main Goerdler ; Ernst & Young, formé en 1989 par la fusion d’Arthur Young et de Ernst & Withney ; Deloitte Touche Tohmatsu (DTT) formé par la fusion en 1989 de Deloitte, Haskins & Sells, de Touch Ross et de Tohmatsu ; PwC formé en 1999 par la fusion de Price Waterhouse et de Coopers & Lybrand. Ces sociétés sont aussi nommées grands réseaux pluridisciplinaires car, outre leurs activités classiques d’audit, mais aussi de comptabilité et de conseil juridique et fiscal, elles ont toutes développé en plus des activités importantes de conseil en management et en technologie. Andersen qui s’était séparé de sa branche conseil (Andersen Consulting, devenu Accenture en 2000) avait depuis recréé une activité de conseil : Andersen Business Consulting (BC). (2) Définition des réseaux pluridisciplinaires donnée en France, le 14 mars 1998, par le Conseil National des Barreaux. (3) Rappelons que les activités d’audit (commissariat aux comptes en France) et d’expertise comptable, à la base de l’activité des Big Five, comme d’ailleurs celles de conseil juridique et fiscal, très vite incluses dans leur développement, constituent dans tous les pays des professions réglementées ; ainsi, même si elles ont le droit de s’organiser en sociétés de capitaux, elles sont toujours soumises à des règles contraignantes sur la propriété du capital (celui-ci devant être majoritairement détenu par des professionnels) et elles n’ont pas le droit de s’introduire en Bourse. (4) L’équivalent américain de la COB. (5) Août 2002. (6) Il faut toutefois noter que cette séparation ne concerne que les activités dites de Consulting (conseil en management, organisation et technologies) ; les Big Five exercent toujours des activités de conseil, notamment juridique et fiscal ou d’ingénierie financière, ce qui pose la question du respect des règles d’incompatibilité entre l’exercice, pour une même entreprise, de l’activité d’auditeur et de celle de ces différentes activités de conseil. (7) Le 17 juin, soit au lendemain de la condamnation d’Andersen, l’éditorialiste du Wall Street Journal qualifiait celle-ci de « sacrifice public pratique pour la profession et pour l’administration Bush ». Reste que la multiplication des scandales a conduit, fin juillet, à l’adoption du Sarbanes-Oxley Act, première grande loi américaine depuis le début des années 1930 concernant le fonctionnement des entreprises cotées en Bourse et qui comporte aussi des mesures relatives à la profession d’audit-comptabilité (avec notamment la prévision de la création d’un organe de contrôle de la profession, le « Public Accounting Oversight Board », placé sous le contrôle de la SEC). (8) Un même cabinet d’audit n’a pas le doit d’auditer deux sociétés qui sont en situation de conflit d’intérêt (litige, concurrence…). Sens de l'événement « Bi-Bop, Tam-Tam… la confiance au péril de la destruction créatrice », Flux n° 36/37, avril-septembre 1999, pp.56-57. « Quand les réseaux oubient les territoires : la gare "Stade de France" du RER D et la couverture de l'autoroute A 1 dans la Plaine Saint-Denis », Flux n° 38, octobre-décembre 1999, pp.69-71. « La réforme ferroviaire britannique a-t-elle sauvé des vies ? », Flux n° 39/40, janvier-juin 2000, pp. 85-86 « La concurrence, le téléphone et les pauvres », Flux n° 41, juillet-septembre 2000, pp. 64-68 « La fiscalité automobile entre confusion et contradiction », Flux n° 42, octobre-décembre 2000, pp. 75-79 « La crise énergétique en Californie. We want the power now ! », Flux n° 43, janvier-mars 2001, pp. 70-72 « Zoé dans le métro », Flux n° 44/45, avril-septembre 2001, pp. 96-98 « Les enjeux de la Directive cadre sur l’eau de l’Union Européenne », Flux n° 46, octobre-décembre 2001, pp. 70-75 « Développement durable, réseaux techniques et terrorisme », Flux n° 47, janvier-mars 2002, pp. 80-83 « Les négociations sur le climat : un bref retour sur l’histoire », Flux n° 48/49, avril-septembre 2002, pp. 100-106 « L’ouverture de capital du groupe ASF-ESCOTA », Flux n° 50, octobre-décembre 2002, pp. 76-79 82