Imagerie micro-ondes dans les plasmas de fusion

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Imagerie micro-ondes dans les plasmas de fusion
Journées scientifiques 24/25 mars 2015
URSI-France
SONDER LA MATIÈRE PAR
LES ONDES ÉLECTROMAGNÉTIQUES
Imagerie micro-ondes dans les plasmas de fusion magnétique pour visualiser les
instabilités MagnetoHydroDynamiques
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Roland Sabot*, Chistine Bottereau*, Frédéric Clairet*, Didier Elbèze*, Jean-Claude Giacalone*, Woochang Lee**,
Philippe Lotte*, Diego Molina, Yoonbum Nam***, Timothée Nicolas*, Hyeon Park**, Gunsun Yun***
* CEA, IRFM, F-13108 Saint-Paul-lez-Durance, France. {roland.sabot}@cea.fr}
** Ulsan National Institute of Science and Technology, Ulsan, Korea
*** Pohang University of Science and Technology, Pohang, Korea
Diagnostic pour les plasmas de fusion, radiométrie, réflectométrie, MHD,
Fusion plasma diagnostic, radiometry, reflectometry, MHD
Résumé
Les instruments de visualisation par imagerie micro-ondes se sont révélés extrêmement utiles pour comprendre la
physique des instabilités magnétohydrodynamiques (MHD) et la turbulence dans les plasmas de fusion magnétique. Ils
contribuent aussi à la validation des modèles numériques. La radiométrie ECE mesure le profil de température
électronique à partir de l'Emission du plasma à la fréquence Cyclotronique Electronique (ECE). En effet, à ces
fréquences (50-150 GHz), le plasma, optiquement épais, rayonne comme un corps noir. Un diagnostic d'imagerie ECEI
est actuellement en développement. Il fournira une image de 24x8 pixels des fluctuations de température dans une
tranche verticale de plasma de typiquement 60cm de haut sur 10 cm de profondeur. Il sera équivalent à 24 radiomètres
superposés verticalement, chacun sondant une zone de quelques centimètres de diamètre. Pour le profil de densité, une
technique de tomographie a été développée. Basé sur le principe du radar FM-CW, la réflectométrie mesure avec une
très grande sensibilité et en quelques microsecondes le profil radial de densité. La période de rotation du plasma étant
beaucoup plus lente, une image bidimensionnelle de la densité du plasma peut être reconstituée. Ces deux techniques
fournissent une image directe des instabilités MHD et de permettre de suivre leur évolution temporelle.
Abstract
Microwave imaging diagnostics have proven to be extremely useful for understanding the physics of MHD instabilities
(MHD) and turbulence in magnetic fusion plasmas. They also contribute to the validation of numerical models. Electron
Cyclotron Emission radiometry measure the electron temperature profile from the plasma to the electron cyclotron
Frequencies. Indeed, at these frequencies (50-150 GHz) plasma is optically thick and as so called "black body". A ECE
imaging diagnosis is being developed to image MHD instabilities. It will provide 24x8 pixel images of temperature
fluctuations in a vertical slice of plasma typically 60cm high and 10cm deep. It will be equivalent to 24 stacked
vertically radiometers, each probing a spot of few centimeters. For density imaging, a tomography technique was
developed. Radial density profiles are measured in few microseconds with reflectometry, a technique based on the
principle of the FM-CW radar. Instead of rotating the detector as in medical imaging, we rely on the plasma rotation to
reconstruct a 2D image of density profiles in the plasma core. These imaging techniques are complementary and
provide a direct imaging of MHD instabilities and of their temporal evolution.
Introduction
Dans les recherches sur la fusion par confinement magnétique, la stabilité et le confinement de l'énergie du plasma sont
des points clés. Cela nécessite des codes numériques et des moyens de calcul haute performance (HPC) pour effectuer
des simulations réalistes et détaillées. Ces codes sont aussi utiliser pour prédire les performances des futurs machines
comme ITER, le tokamak actuellement en construction à Cadarache par 7 partenaires: Union Européenne, Chine,
Corée, Inde, Japon, Russie, USA.
Pour valider ces codes, les simulations doivent être comparées à des expériences au moyen de mesures qui deviennent
de plus en plus précises et efficaces. Aujourd'hui, les instruments d'imagerie visualisant en 2-D les phénomènes
physiques sont essentiels. Ils se sont révélés extrêmement utiles pour comprendre la physique des instabilités
magnétohydrodynamiques (MHD). En modifiant la configuration magnétique, ces instabilités peuvent provoquer une
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redistribution de l'énergie, une expulsion rapide de matière ou une cessation brutale de la décharge plasma [1].
L'imagerie bidimensionnelle de ces instabilités donne accès à certains paramètres clés comme leur structure spatiale.
Elle permet aussi de visualiser l'évolution temporelle de ces instabilités.
Ces instabilités MHD peuvent être détectées par les fluctuations qu'elles engendrent. L'imagerie par radiométrie microonde (ECEI) détecte les variations locales de la température électronique du plasma et fournie une image directe des
instabilités MHD. La réflectométrie mesure elle avec une très grande sensibilité le profil de densité. En utilisant la
rotation du plasma comme dans un appareil de tomographie, une image bidimensionnelle va pouvoir être reconstituée.
1. Diagnostic d'Imagerie ECE
1.1. Principe de la radiométrie ECE
Dans une machine de fusion à confinement magnétique, les particules chargées (électrons, ions) s'enroulent autour des
lignes de champ magnétique, c'est le mouvement cyclotronique. Pour les électrons, cette fréquence de gyration, fce,
proportionnelle au champ magnétique local, est dans le domaine millimétrique (typiquement 40 à 120 GHz)
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~28GHz/T
2
Dans un tokamak, qui est la configuration magnétique la plus prometteuse, le cœur du plasma est un milieu optiquement
épais pour le rayonnement cyclotronique électronique [2]. Il s'établit alors un équilibre radiatif de corps noir.
La température au centre d'un tokamak pouvant atteindre 108 K, alors qu'astronomie, le domaine 50-150 GHz est celui
du fond diffus cosmologique, soit une température radiative 3 K, on est dans la limite des basses fréquences (loi de
Rayleigh-Jeans). Le rayonnement émis est alors proportionnelle à la température locale du plasma.
La mesure de la puissance rayonnée dans la gamme cyclotronique électronique permet donc, après calibration d'estimer
la température du plasma. De plus, comme dans un tokamak, le champ magnétique n'est pas uniforme mais décroit avec
le grand rayon du tore, un radiomètre mesurant la puissance rayonnée à différentes fréquences fournira le profil radial
de la température électronique du plasma. C'est le principe du radiomètre ECE (Electron Cyclotron Emission) [3].
1.2. Imagerie ECE
Pour mesurer les fluctuations de température engendrées par les instabilités MHD, nous développons en collaboration
avec les universités d'Ulsan (UNIST) et de Pohang (POSTECH) en Corée un diagnostic d'imagerie (ECEI). Ce
diagnostic sera l'équivalent d'un ensemble de 24 radiomètres ECE alignés verticalement. Chaque radiomètre mesurera la
puissance émise dans 8 bandes fréquentielles pour reconstruire une image de 24x8 pixels [4,5] des fluctuations de
température. Comme la distance au plasma est de plusieurs mètres, il faut un système optique de très grande taille avec
plusieurs miroirs de focalisation, cf figure 1 et 2.
Figure 1 : faisceau optique. Le centre du plasma est à 2,5 m, le bord à 3,0 m. Les 2 premiers miroirs sont installés sous
vide, dans le sas d'accès à l'enceinte. Le faisceau est refocalisé sur le hublot (~80x20 cm) étanche situé à l'arrière du sas.
Figure 2 : Schéma d'implantation du diagnostic sur WEST avec les principaux éléments optiques. La table optique est
verticale pour être installée au plus près de l'enceinte à vide.
Le système de détection est hétérodyne, avec devant chaque mixer une microlentille. Ce system est composé de 2
rangées de 12 lentilles placé perpendiculairement avec une lame semi-réfléchissante à 45°, cf figure 3. Cette lame sert
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aussi à rediriger le faisceau de l'oscillateur local vers chaque mixer (single ended). En augmentant la fréquence de
l'oscillateur local on déplace la zone sondée vers l'intérieur du plasma. Un jeu de filtre quasi-optique est utilisé pour
éliminer la fréquence image avant détection. Une lentille mobile permet de déplacer la zone de focalisation au milieu de
la zone sondée. Un zoom peut aussi être installé pour modifier l'extension verticale de la zone sondée.
A la sortie de chaque mixer, le signal est divisé en 8 correspondant aux 8 rayons de mesure. Une seconde transposition
en fréquence est réalisée avant détection de l'amplitude du signal (figure 4). Deux ensemble d'oscillateurs écartés de
∆F=600 MHz ou ∆F=900 MHz sont disponibles pour choisir l'écartement entre canaux (1.5 cm ou. 2.3 cm) et donc
l'extension radiale de la zone sondée (1à ou 15 cm).
Figure 3: micro-lentilles et antennes
Figure 4: système de détection pour chaque voie verticale
Le diagnostic devrait être opérationnel en 2017. L'étude d'implantation est en cours, elle devrait être terminée fin 2016.
Après fabrication, tous les éléments optiques seront envoyés pour assembler avec les éléments fournit par les universités
coréennes UNIST et Postech (système de détection et d'acquisition). Le diagnostic complet sera aligné et testé en Corée
avant son renvoi pour montage sur WEST, le tokamak du CEA. WEST est une transformation du tokamak du CEA
Tore Supra pour tester certaines technologies clés pour ITER, comme les éléments en tungstène [6].
2. Image bidimensionnelle de la densité
2.1. Principe de la réflectométrie
Inspirée des radars ionosphériques, la réflectométrie est utilisée pour mesurer la densité électronique du plasma. Elle
utilise les propriétés de propagation des ondes électromagnétiques dans les plasmas. Ces ondes ne peuvent se propager
que si leur fréquence est supérieure à la fréquence de coupure. En augmentant la fréquence de l'onde, on déplace la
couche de réflexion vers l'intérieur du plasma où la densité est plus élevée. Avec des densités au cœur du plasma
proches de 1020 m-3, la fréquence de coupure est dans le domaine millimétrique.
En balayant une source micro-ondes entre 50 et 150 GHz, on sonde le plasma depuis le bord où la densité est faible
jusqu'au centre. Comme pour un radar, la mesure du déphasage ou du temps de vol permet de retrouver la position de la
couche de coupure. La fréquence donnant la densité locale, on reconstruit ainsi le profil de densité. Les réflectomètres
développés pour Tore Supra utilisent des VCO (Voltage Controled oscillator), des multiplicateurs de fréquences et des
modulateurs à bande latérale unique (MBLU) pour décaler la fréquence d'émission afin d'avoir une détection
hétorodyne (figure 5).
multiplicateur
F(t)
F
MBLU
F+fm
fm
VCO
F
x k’
k’.F
retard
fm
Xk
K(F+fm)
xk
émission
mélangeur
réception
RF
LO
K(F+fm)+φ(t)
k.fm
k.fm+φ(t)
LO
RF
démodulateur
I
Q
Quartz
100 MHz
A(t).cos(φ(t))
A(t).sin(φ(t))
Figure 5: schéma de principe des réflectomètres de Tore Supra (WEST)
Grâce à ce MBLU, le signal de référence et le signal sondant le plasma sont toujours en phase. Comme la vitesse de
balayage de la source n'est ainsi pas limitée par un système de verrouillage en phase, le système d'acquisition devient le
facteur limitant étant. En effet, plus la durée de balayage est courte, plus les fréquences de battement fb sont élevées : fb
≤ 500 MHz pour un balayage 50-75 GHz en 2 µs. Grâce à l'amélioration du système d'acquisition (2 Gs/s), on peut ainsi
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mesurer un profil complet de densité en quelques microsecondes ce qui donne accès à l'évolution dynamique de la
densité et des fluctuations [7].
2.2. Reconstruction tomographique des profils de densité
Comme le temps de mesure d'un profil est très inférieur aux temps caractéristiques de rotation du plasma, on peut
utiliser cette rotation pour reconstruire une image bidimensionnelle du profil de densité. Grâce à la rotation du plasma,
on va reconstruire le profil de densité de part et d'autre du centre du plasma à différentes positions angulaires comme
dans les techniques d’imagerie médicale [8]. On peut ainsi suivre l’évolution et la rotation des instabilités MHD qui se
développent au cœur de la décharge au cours d’une oscillation de relaxation [9]. Cette relaxation appelée dent de scie
provoque à une réorganisation périodique de la configuration magnétique dans la partie centrale du plasma. La
reconstruction fait apparaître après la relaxation de la dent de scie à t=47.72 ou t= 47.785 des structures en forme de
croissant que l'on retrouve dans les simulations réalisées avec le code de MHD XTOR [10], cf figure 6.
Figure 5: Reconstruction tomographique du profil de densité pendant une dent de scie.
Figure 6: simulation d'une dent de scie avec le code XTOR. A la fin de la phase de reconnexion (F',G' et H'), le code
reproduit une perturbation de densité en forme de croissant, similaires aux observations expérimentales.
3. Conclusion
Les diagnostics micro-ondes permettaient déjà de mesurer avec précision et une bonne résolution temporelle les profils
de température ou de densité au cœur des plasmas de tokamak. Depuis quelques d'années, des diagnostics d'imagerie
basés sur les mêmes principes fournissent une image bidimensionnelle des fluctuations induites par les instabilités
MHD ainsi que leur dynamique temporelle. Ces images donnent des informations précieuses sur la structure spatiales et
la dynamique temporelle de ces instabilités. La comparaison avec les simulations obtenues par des codes de
modélisation permet une validation de ces codes. Les détails nouveaux qui émergent aussi de ces images conduisent
aussi à raffiner la modélisation et à proposer de nouvelles expériences pour en comprendre l'origine.
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Références bibliographiques
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[10] H. Lütjens and J.-F. Luciani, J. Comput. Phys. 229, 8130 (2010).
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