Al-Qaida investit le Maghreb

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Al-Qaida investit le Maghreb
ok
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Al-Qaida investit le Maghreb
ÉTATS-UNIS Trop d’enfants en prison
VIETNAM Les dissidents pourchassés
AUTOMOBILE Les secrets de Toyota
www.courrierinternational.com
N° 859 du 19 au 25 avril 2007 - 3
€
Lepénisation, Europe, économie…
La France vote
La presse étrangère s’inquiète
M 03183 - 859 - F: 3,00 E
3:HIKNLI=XUXUU[:?a@s@f@j@k;
AFRIQUE CFA : 2 200 FCFA - ALLEMAGNE : 3,20 €
AUTRICHE : 3,20 € - BELGIQUE : 3,20 € - CANADA : 5,50 $CAN
DOM : 3,80 € - ESPAGNE : 3,20 € - E-U : 4,75 $US - G-B : 2,50 £
GRÈCE : 3,20 € - IRLANDE : 3,20 € - ITALIE : 3,20 € - JAPON : 700 ¥
LUXEMBOURG : 3,20 € - MAROC : 25 DH - PORTUGAL CONT. : 3,20 €
SUISSE : 5,80 FS - TOM : 700 CFP - TUNISIE : 2,600 DTU
Louafi Larbi/Reuters
859 UNE
Publicite
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PUBLICITÉ
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s o m m a i re
●
COLOMBIE Les familles des otages choisissent de se taire
MEXIQUE Une maison de retraite pour les prostituées
e n c o u ve r t u re
●
La France vote
La presse internationale s’est passionnée pour cette
élection présidentielle. Peut-être parce que la France
reste “la nation la plus turbulente d’Europe” – ou parce
que le suspense dure jusqu’au bout. Les journaux du
monde entier ont multiplié les reportages, jaugé les
candidats et même appelé à voter pour l’un ou pour
l’autre ! Tous, en tout cas, attendent les résultats de
“l’élection la plus excitante depuis 1981”.
pp. 32 à 39
26 ■ asie
V I E T N A M Pas question de laisser les
dissidents s’exprimer T I M O R - O R I E N TA L Un deuxième tour
à haut risque INDE Sonia Gandhi et ses éminences grises
CORÉE DU SUD - CHINE - JAPON La guerre cybernétique fait rage
KIRGHIZISTAN Le pays où la révolution ne change rien
29 ■ moyen-orient I S R A Ë L Azmi Bishara va-t-il
être banni ? CULTE Quand les rabbins font construire des
mosquées T U R Q U I E Une manifestation anti-islamiste
“fascisante” TURQUIE Recherche homme pieux mais surtout
riche et beau
31 ■ afrique
BÉNIN
Le billet de banque comme
argument électoral
E N Q U Ê T E E T R E P O R TA G E S
Dessin de Kal, Etats-Unis.
10 ■ dossier Al-Qaida s’enracine au Maghreb
La série d’actions terroristes qui ont frappé quasi
simultanément Casablanca et Alger la semaine
dernière montre que l’organisation entend bien étendre
son nouveau front à l’ensemble de l’Afrique du Nord.
RUBRIQUES
4 ■ les sources de cette semaine
6 ■ l’éditorial Columbine, Blacksburg,
32 ■ en couverture Aïe ! La France vote La
presse internationale s’est passionnée pour notre
présidentielle. Peut-être, comme l’explique le New
Statesman, parce que la France reste “la nation la plus
turbulente d’Europe” – ou parce que le suspense dure
jusqu’au bout.Tous, en tout cas, attendent avec intérêt
les résultats de “l’élection la plus excitante depuis 1981”.
et après ? par Bernard Kapp
6 ■ l’invité Alexandre Rykline,
Ejednevny Journal, Moscou
6
9
9
52
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le dessin de la semaine
à l’affiche
ils et elles ont dit
voyage En Patagonie,
40 ■ portrait Le Palestinien que tout le
chez Butch Cassidy et le Kid
54 ■ le livre Lost City Radio, par Daniel Alarcón
54 ■ épices et saveurs
Cyberguerre en Extrême-Orient
p. 28
monde aime Ancien du FMI et de la Banque
mondiale, Salam Fayyad, 55 ans, vient d’être nommé
ministre des Finances du nouveau gouvernement
d’union nationale associant le Hamas et le Fatah.
Les Occidentaux et les Israéliens l’adorent.
42 ■ enquête To y o t a , l e m o u v e m e n t
perpétuel Tenace et patient, le groupe automobile
japonais ne renonce jamais à ses objectifs. Tel un
rouleau compresseur, il écrase lentement ses
concurrents. Il sera bientôt le numéro un mondial.
Belgique : complètement siphonnés !
55 ■ insolites Fonctionnaire européenne
cherche fonctionnaire européen
D’UN CONTINENT À L’AUTRE
INTELLIGENCES
14 ■ europe A L L E M A G N E La famille divise l’Eglise
catholique I TA L I E Benoît XVI à la manœuvre contre Prodi
R OYA U M E - U N I Outre-Manche aussi, on débat de l’identité
nationale U N I O N E U R O P É E N N E Les déplacés du continent
s’organisent GRÈCE Athènes réinvente l’espace balkanique
V U D ’ AT H È N E S Un eldorado pour les touristes et les PME
R É P U B L I Q U E T C H È Q U E Vaclav Klaus, Monica Lewinsky et le
changement climatique R U S S I E Le tourisme extrême a
45 ■ économie
M AT I È R E S P R E M I È R E S Quand les
planteurs de cacao sont aussi confiseurs PROTECTIONNISME
Pourquoi les capitaux russes sont-ils diabolisés en
Europe ? RUSSIE Des usines de plus en plus modernes
En Patagonie avec Butch Cassidy p. 52
de beaux jours devant lui
20 ■ amériques
É TAT S - U N I S Fin de règne à la
É TAT S - U N I S Des gays armés jusqu’aux
Banque mondiale
dents É TAT S - U N I S Trop de mineurs dans les prisons pour
adultes É Q UAT E U R Victoire indiscutable de Rafael Correa
Sur RFI Retrouvez CI tous les jeudis dans l’émission Les Visiteurs du
jour, animée par Hervé Guillemot. Cette semaine, “A Mexico, une maison
de retraite pour les prostituées du 3e âge”, avec Anne Proenza. Cette
émission sera diffusée en direct sur 89 FM le jeudi 19 avril à 11 h 15,
puis disponible sur le site <www.rfi.fr>.
COURRIER INTERNATIONAL N° 859
3
49 ■ sciences É T H O L O G I E Des geais qui ont une
mémoire d’éléphant ■ la santé vue d’ailleurs Un dopant
contre la maladie de Parkinson
50 ■ technologie HI - FI Des faisceaux sonores
accrochés à vos oreilles
51 ■ multimédia
nouvelle forme d’art
DU 19 AU 25 AVRIL 2007
TENDANCE
Le clip vidéo, une
17/04/07
20:05
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l e s s o u rc e s
●
PA R M I L E S S O U R C E S C E T T E S E M A I N E
ASIA TIMES ONLINE
<http://www.atimes.com>, Chine.
Lancée fin 1995, l’édition papier de
ce journal anglophone s’est arrêtée
en juillet 1997 et a donné naissance,
en 1999, à un journal en ligne régional. Alors que la presse d’actualité
régionale a perdu ses principaux
représentants, ce webzine étend son
champ d’action au Moyen-Orient.
monde avec l’aide d’un groupe de
chroniqueurs qui figurent parmi les
plus prestigieux du pays.
HA’ARETZ 80 000 ex., Israël, quotidien.
Premier journal publié en hébreu
sous le mandat britannique, en
1919. “Le Pays” est le journal de référence chez les politiques et les intellectuels israéliens.
LOS ANGELES TIMES 851 500 ex., EtatsUnis, quotidien. Cinq cents grammes
de papier par numéro, 2 kilos le dimanche, une vingtaine de prix Pulitzer : c’est le géant de la côte Ouest.
Créé en 1881, il est le plus à gauche
des quotidiens à fort tirage du pays.
THE CHRISTIAN SCIENCE MONITOR 70 000 ex.,
Etats-Unis, quotidien. Publié à Boston mais lu “from coast to coast”, cet
élégant tabloïd est réputé pour sa
couverture des affaires internationales et le sérieux de ses informations nationales.
THE ECONOMIST 1 009 760 ex., RoyaumeUni, hebdomadaire.Véritable institution de la presse britannique, le titre,
fondé en 1843 par un chapelier écossais, est la bible de tous ceux qui s’intéressent à l’actualité internationale.
Ouvertement libéral, il se situe
à l’“extrême centre”. Imprimé dans
six pays, il réalise 83 % de ses ventes
à l’extérieur du Royaume-Uni.
LES ECHOS DU JOUR 1 000 ex., Bénin,
quotidien. Fondé en 1997, Les Echos
du jour est considéré comme l’un des
titres les plus indépendants du Bénin.
Il s’est fait une spécialité du traitement
de l’actualité culturelle et sociale.
EJEDNEVNY JOURNAl <www.ej.ru> Russie.
Ce webzine est le site de l’hebdomadaire Journal, dont la parution a été
suspendue au printemps 2006. Il est
élégant dans la forme, sérieux, clair,
et offensif sur le fond.
ELEFTHEROTYPIA 80 000 ex., Grèce, quotidien. Créé juste après la chute de la
dictature militaire en 1974, avec
pour devise “Le journal des journalistes”, “Liberté de la presse” a toujours été marqué au centre gauche.
Il appartient au groupe Tegopoulos SA.
FERGANA.RU <http://www.fergana.ru>,
Russie. Cette agence d’information
en ligne, créée en 1998, est l’une des
plus riches sources d’information
russophones sur l’Asie centrale postsoviétique.Très populaire dans toute
la CEI, elle possède un réseau de
correspondants dans grandes villes
centrasiatiques.
THE GUARDIAN 375 200 ex., RoyaumeUni, quotidien. Depuis le 12 septembre 2005, il est le seul quotidien
national britannique imprimé au format berlinois (celui du Monde) et
tout en couleur. L’indépendance, la
qualité et l’engagement à gauche caractérisent depuis 1821 ce titre, qui
abrite certains des chroniqueurs les
plus respectés du pays.
HUFVUDSTADSBLADET 52 000 ex., Finlande, quotidien. Fondé en 1864, “Le
Journal de la capitale”, libéralconservateur, est le principal quotidien suédophone de Finlande. Identité oblige, les débats sur le bilinguisme y ont une place de choix.
THE HINDU 700 000 ex., Inde, quotidien. Hebdomadaire fondé en 1878,
puis quotidien à partir de 1889. Publié à Madras et diffusé essentiellement dans le sud du pays, ce journal
indépendant est connu pour sa tendance politique de centre gauche.
HÜRRIYET 600 000 ex.,Turquie, quotidien. Créé en 1948 par la famille de
presse des Simavi, “La Liberté”, ancien journal populaire, est aujourd’hui un titre puissant qui, avec une
présentation simple et beaucoup de
photos en couleur, peut se transformer en un front de combat redoutable contre un gouvernement ou un
ennemi à abattre.
THE INDEPENDENT 252 000 ex., RoyaumeUni, quotidien. Créé en 1986, ce
journal s’est fait une belle place dans
le paysage médiatique. Racheté en
1998 par le patron de presse irlandais Tony O’Reilly, il reste indépendant et se démarque par son engagement proeuropéen, ses positions libérales sur des problèmes de société
et son illustration.
IL FOGLIO 40 000 ex., Italie, quotidien.
Créé en 1996 par Giuliano Ferrara,
ancien porte-parole du gouvernement Berlusconi, et animé par une
équipe de conservateurs et de transfuges de l’extrême gauche, Il Foglio se
veut le quotidien de l’intelligentsia
de la droite italienne.
ITOGUI 85 000 ex., Russie, hebdomadaire. L’un des principaux magazines
illustrés de Russie, fondé en 1995
par Sergueï Parkhomenko sur le modèle des news magazines occidentaux. Itogui entretenait d’ailleurs,
à l’époque, un partenariat avec
Newsweek. Passé sous le contrôle de
Gazprom-Média en 2001, il a gardé
sa belle allure mais s’est dépolitisé.
O GLOBO 450 000 ex., Brésil, quotidien.
Depuis la rue Irineu-Marinho (du
nom du fondateur de l’empire de
presse, d’édition et de télévision Globo), le plus grand quotidien de Rio,
à la fois populaire et défenseur des
milieux d’affaires, dit tout aux Cariocas sur leur mégalopole et sur le
LE JOURNAL HEBDOMADAIRE 35 000 ex.,
Maroc, hebdomadaire. Fondé en novembre 1997, Le Journal a été interdit
le 2 décembre 2000 par le gouvernement Youssoufi. Depuis lors, il reparaît sous le nom de Journal hebdomadaire. Ce titre indépendant défend les
droits de l’homme avec ardeur.
Offre spéciale
d’abonnement
Bulletin à retourner
sans affranchir à :
JUTARNJI LIST 100 000 ex., Croatie,
quotidien. Créé après l’indépendance de la Croatie, le “Journal du matin”, d’orientation libérale, est le
deuxième quotidien du pays. Il fait
partie du principal groupe de presse
croate, EPH.
en faisant ressortir les affaires de
l’époque des dictatures.
O KOSMOS TOU EPENDYTI 40 000 ex., Grèce,
hebdomadaire. “Le monde de l’investissement”, réputé pour la qualité
de ses analyses, est le journal de référence des hommes d’affaires grecs.
EL PAÍS 444 000 ex. (777 000 ex. le dimanche), Espagne, quotidien. Né en
mai 1976, six mois après la mort de
Franco, “Le Pays” est une institution. Il est le plus vendu des quotidiens d’information générale et s’est
imposé comme l’un des vingt
meilleurs journaux du monde. Plutôt
proche des socialistes, il appartient
au groupe de communication PRISA.
LIBERTÉ 80 000 ex., Algérie, quotidien.
Fondé en 1992, ce journal célèbre en
Kabylie a, comme actionnaire majoritaire, Issad Rebrab, un industriel
proche du Rassemblement pour
la culture et la démocratie (RCD).
Avec son hebdomadaire Economie,
le groupe Liberté s’est diversifié
et s’est aussi lancé dans l’édition.
LE QUOTIDIEN D’ORAN 190 000 ex., Algérie,
quotidien. Quotidien régional fondé
en 1994 à Oran, devenu national en
1997, c’est désormais le premier
quotidien francophone du pays. Sérieux, surtout lu par les cadres, il rassemble les meilleures signatures de
journalistes et d’intellectuels d’Algérie dans son édition du jeudi.
LA LIBRE BELGIQUE 60 900 ex., Belgique,
quotidien. Ce titre de qualité des
francophones s’est ouvert à de nouvelles thématiques sans renier ses
origines catholiques. Edité par Informations et productions multimédias
(IPM), qui détiennent également La
Dernière Heure-Les Sports, la “Libre”
a modifié l’organisation de ses rubriques, en 1999, puis son format,
en 2002.
LA REPUBBLICA 650 000 ex., Italie, quotidien. Né en 1976, le titre se veut le
journal de l’élite intellectuelle et financière du pays. Orienté à gauche,
avec une sympathie affichée pour les
Démocrates de gauche (ex-Parti
communiste), il est fortement critique vis-à-vis de l’ancien président
du Conseil, Silvio Berlusconi.
MILLIYET 360 000 ex.,Turquie, quotidien. “Nationalité”, fondé en 1950,
se veut un journal sérieux, mais publie parfois des photos alléchantes,
comme son petit frère Radikal.
Appartenant au puissant groupe de
presse Dogan Medya, il se situe au
centre et revient de loin : en 1979,
son rédacteur en chef a été assassiné par Ali Agca, l’homme qui a tiré
sur le pape.
NÉPSZABADSÁG 180 000 ex., Hongrie,
quotidien. “La Liberté du peuple”
était, de 1956 à 1990, l’organe du
Parti communiste. Repris par le
groupe Bertelsmann, le titre s’est
transformé en un journal de qualité
et de référence, tout en restant
proche du Parti socialiste (ex-communiste). Se définissant comme “libéral de gauche”, il appartient désormais au groupe suisse
Ringier AG.
SEMANA 187 000 ex., Colombie, hebdomadaire. Propriété d’une riche famille libérale, “La Semaine” apparaît
comme un des meilleurs hebdomadaires d’Amérique latine, par son indépendance, sa modernité et son excellente information.
SISA JOURNAL 100 000 ex., Corée du
Sud, hebdomadaire. Le “Journal de
l’actualité”, indépendant et centriste,
a été lancé en 1989. Son lectorat,
surtout citadin et diplômé, apprécie
la rigueur de ses analyses des problèmes sociaux et de la vie politique
du pays. Longtemps seul en tête des
magazines sud-coréens, il a été récemment rejoint par ses concurrents,
Hankyoreh21 et Chugan Chosun.
NRC HANDELSBLAD 254 000 ex., Pays-Bas,
quotidien. Né en 1970, le titre est
sans conteste le quotidien de référence de l’intelligentsia néerlandaise.
Libéral de tradition, rigoureux par
choix, informé sans frontières.
PÁGINA 12 75 000 ex., Argentine, quotidien. Lancé en 1987, Página 12 est
aujourd’hui le quotidien indépendant de gauche le plus important de
Buenos Aires. Percutant et bien informé, il prend position pour les
droits de l’homme, s’attaque à la
corruption et dénonce l’impunité
béral du sud de la Suède. Devenu
tabloïd en 2004, il a abandonné son
nom d’origine, Sydsvenska Dagbladet,
pour adopter le surnom que les
Suédois lui donnaient depuis
toujours : Sydsvenskan.
TECHNOLOGY REVIEW 92 000 ex., EtatsUnis, paraît toutes les six semaines.
Née en 1899, la revue est installée
sur le campus du célèbre Massachusetts Institute of Technology (MIT).
C’est le magazine des ingénieurs,
scientifiques et hommes d’affaires
soucieux de s’informer des nouvelles
tendances technologiques et des
décisions politiques en la matière.
SÜDDEUTSCHE ZEITUNG 430 000 ex., Allemagne, quotidien. Né à Munich, en
1945, le journal intellectuel du libéralisme de gauche allemand est
l’autre grand quotidien de référence
du pays, avec la FAZ.
SVENSKA DAGBLADET 190 000 ex., Suède,
quotidien. Fondé en 1884, “Le Quotidien de Suède”, conservateur, a été
racheté en l’an 2000 par le groupe
norvégien Schibstedt. En grande difficulté financière, il est passé en 2001
en format tabloïd. Il offre de bonnes
pages culturelles.
RÉDACTION
Directeur de la rédaction Philippe Thureau-Dangin
Assistante Dalila Bounekta (16 16)
Rédacteur en chef Bernard Kapp (16 98)
Rédacteurs en chef adjoints Odile Conseil (16 27), Isabelle Lauze (16 54),
Claude Leblanc (16 43)
Chef des informations Anthony Bellanger (16 59)
THE TELEGRAPH 212 000 ex., Inde, quotidien. Lancé en 1982 à Calcutta, ce
journal indépendant est le premier
quotidien anglophone de l’est du
pays. Il est réputé pour la qualité de
ses pages locales et de ses divers suppléments (science, loisirs, enfants).
Rédactrice en chef technique Nathalie Pingaud (16 25)
Directrice artistique Sophie-Anne Delhomme (16 31)
Europe de l’Ouest Eric Maurice (chef de service, Royaume-Uni, 16 03), GianPaolo Accardo (Italie, 16 08), Anthony Bellanger (Espagne, France, 16 59),
Danièle Renon (chef de rubrique Allemagne, Autriche, Suisse alémanique,
16 22), Philippe Randrianarimanana (Royaume-Uni, 16 68), Daniel Matias
(Portugal), Wineke de Boer (Pays-Bas), Léa de Chalvron (Finlande), Rasmus
Egelund (Danemark, Norvège), Philippe Jacqué (Irlande), Alexia Kefalas (Grèce,
Chypre), Mehmet Koksal (Belgique), Kristina Rönnqvist (Suède), Laurent Sierro
(Suisse) Europe de l’Est Alexandre Lévy (chef de service, 16 57), Laurence Habay
(chef de rubrique, Russie, Caucase, 16 36), Iwona Ostapkowicz (Pologne,
16 74), Philippe Randrianarimanana (Russie, 16 68), Iulia Badea-Guéritée
(Roumanie, Moldavie), Alda Engoian (Caucase), Agnès Jarfas (Hongrie), Kamélia
Konaktchiéva (Bulgarie), Larissa Kotelevets (Ukraine), Marko Kravos (Slovénie),
Ilda Mara (Albanie, Kosovo), Miro Miceski (Macédoine), Gabriela Kukurugyova
(Rép.tchèque, Slovaquie), Kika Curovic (Serbie, Monténégro, Croatie, BosnieHerzégovine) Amériques Jacques Froment (chef de service, Amérique du Nord,
16 32), Bérangère Cagnat (Etats-Unis, 16 14), Marianne Niosi (Canada), Christine
Lévêque (chef de rubrique, Amérique latine, 16 76), Catherine André (Amérique
latine, 16 78), Anne Proenza (Amérique latine, 16 76), Paul Jurgens (Brésil)
Asie Hidenobu Suzuki (chef de service, Japon, 16 38), Agnès Gaudu (chef
de rubrique, Chine, Singapour, Taïwan, 16 39), Ingrid Therwath (Asie du Sud,
16 51), Christine Chaumeau (Asie du Sud-Est, 16 24), Alda Engoian (Asie
centrale), Marion Girault-Rime (Australie, Pacifique), Elisabeth D. Inandiak
(Indonésie), Jeong Eun-jin (Corées), Kazuhiko Yatabe (Japon) Moyen-Orient Marc
Saghié (chef de service, 16 69), Hamdam Mostafavi (Iran, 17 33), Hoda Saliby
(Egypte, 16 35), Nur Dolay (Turquie), Pascal Fenaux (Israël), Guissou Jahangiri
(Iran), Philippe Mischkowsky (pays du Golfe), Pierre Vanrie (Moyen-Orient)
Afrique Pierre Cherruau (chef de service, 16 29), Anne Collet (Mali, Niger,
16 58), Philippe Randrianarimanana (Madagascar, 16 68), Hoda Saliby (Maroc,
Soudan, 16 35), Chawki Amari (Algérie), Gina Milonga Valot (Angola, Mozambique),
Fabienne Pompey (Afrique du Sud) Débat, livre Isabelle Lauze (16 54) Economie
Pascale Boyen (chef de service, 16 47) Multimédia Claude Leblanc (16 43)
Ecologie, sciences, technologie Eric Glover (chef de service, 16 40) Insolites
Claire Maupas (chef de rubrique, 16 60) Epices & saveurs, Ils et elles ont dit
Iwona Ostapkowicz (chef de rubrique, 16 74)
LE TEMPS 49 000 ex., Suisse, quotidien.
Né en mars 1998 de la fusion du
Nouveau Quotidien et du Journal de
Genève et Gazette de Lausanne, ce
titre de centre droit, prisé des cadres,
se présente comme le quotidien de
référence de la Suisse romande et
francophone.
TERRORISM FOCUS Etats-Unis, hebdomadaire. Edité par la fondation Jamestown, réputée proche des néoconservateurs et de la CIA, ce bulletin fournit
depuis 2004 des analyses sur l’actualité
du terrorisme – notamment sur Al Qaida – rédigées par un réseau d’experts.
LA TRIBUNE 10 000 ex., Algérie, quotidien. Monté en flèche dès sa création
en 1994, ce journal sérieux à la maquette austère s’est rapidement trouvé un lectorat de cadres et a gagné
une réputation d’analyste présent sur
tous les thèmes d’actualité. La Tribune a néanmoins subi de lourdes
pertes, particulièrement depuis le
suicide de son fondateur, Kheireddine Ameyar, un journaliste respecté
par tous les courants de la société.
SYDSVENSKAN 136 000 ex., Suède, quotidien. Fondé en 1848, “Le Quotidien du Sud” est le grand journal li-
Site Internet Marco Schütz (directeur délégué, 16 30), Olivier Bras (16 15), Anne
Collet (documentaliste, 16 58), Jean-Christophe Pascal (webmestre, 16 61), Pierrick
Van-Thé (webmestre, 16 82)
Agence Courrier Sabine Grandadam (chef de service,16 97),Caroline Marcelin (16 62)
Traduction Raymond Clarinard (chef de service, anglais, allemand, roumain,
16 77), Nathalie Amargier (russe), Catherine Baron (anglais, espagnol), Isabelle
Boudon (anglais, allemand), Françoise Escande-Boggino (japonais, anglais),
Caroline Lee (anglais, allemand, coréen), Françoise Lemoine-Minaudier (chinois),
Julie Marcot (anglais, espagnol), Marie-Françoise Monthiers (japonais), Mikage
Nagahama (japonais), Ngoc-Dung Phan (anglais, vietnamien), Olivier Ragasol
(anglais, espagnol), Danièle Renon (allemand), Mélanie Sinou (anglais, espagnol)
THE WALL STREET JOURNAL 2 000 000 ex.,
Etats-Unis, quotidien. C’est la bible
des milieux d’affaires. Mais à manier
avec précaution : d’un côté, des enquêtes et reportages de grande qualité ; de l’autre, des pages éditoriales
tellement partisanes qu’elles tombent trop souvent dans la mauvaise
foi la plus flagrante.
Révision Elisabeth Berthou (chef de service, 16 42), Pierre Bancel, Philippe
Czerepak, Fabienne Gérard, Philippe Planche
Photographies, illustrations Pascal Philippe (chef de service, 16 41),
Anne Doublet (16 83), Lidwine Kervella (16 10), Cathy Rémy (16 21), assistés
d’Agnès Mangin (16 91)
Maquette Marie Varéon (chef de ser vice, 16 67), Catherine Doutey,
Nathalie Le Dréau, Gilles de Obaldia, Josiane Pétricca, Denis Scudeller,
Jonnathan Renaud-Badet Cartographie Thierry Gauthé (16 70) Infographie
Catherine Doutey (16 66), Emmanuelle Anquetil (colorisation) Calligraphie
Yukari Fujiwara Informatique Denis Scudeller (16 84)
DIE ZEIT 464 400 ex., Allemagne, hebdomadaire. Le magazine de l’intelligentsia allemande.Tolérant et libéral,
c’est un grand journal d’information
et d’analyse politique.
WWW
n° 859
6-8, rue Jean-Antoine-de-Baïf, 75212 Paris Cedex 13
Accueil 33 (0)1 46 46 16 00 Fax général 33 (0)1 46 46 16 01
Fax rédaction 33 (0)1 46 46 16 02
Site web www.courrierinternational.com
Courriel [email protected]
LA VANGUARDIA 185 000 ex., Espagne,
quotidien. “L’Avant-Garde” a été
fondée en 1881 à Barcelone par la
famille Godó, qui en est toujours
propriétaire. Ce quotidien de haute
tenue est le quatrième du pays en
terme de diffusion, mais il est numéro un en Catalogne, juste devant
El Periódico de Catalunya.
NEW STATESMAN 26 000 ex., RoyaumeUni, hebdomadaire. Depuis sa création, en 1913, cette revue politique,
aussi réputée pour le sérieux de ses
analyses que pour la férocité de ses
commentaires, est le forum de la
gauche indépendante.
THE NEW YORK TIMES 1 160 000 ex.
(1 700 000 le dimanche), EtatsUnis, quotidien. Avec 1 000 journalistes, 29 bureaux à l’étranger et plus
de 80 prix Pulitzer, c’est de loin le
premier quotidien du pays, dans lequel on peut lire “all the news that’s
fit to print” (toute l’information digne
d’être publiée).
Courrier international
Edité par Courrier international SA, société anonyme avec directoire
et conseil de surveillance au capital de 106 400 €
Actionnaire : Le Monde Publications internationales SA.
Directoire : Philippe Thureau-Dangin, président
et directeur de la publication ; Chantal Fangier
Conseil de surveillance : Jean-Marie Colombani, président, Fabrice Nora, vice-président
Dépôt légal : avril 2007 - Commission paritaire n° 0707C82101
ISSN n° 1 154-516 X – Imprimé en France / Printed in France
Documentation Iwona Ostapkowicz 33 (0)1 46 46 16 74, du lundi au vendredi
de 15 heures à 18 heures
Fabrication Patrice Rochas (directeur) et Nathalie Communeau (directrice
adjointe, 01 48 88 65 35). Impression, brochage : Maury, 45191 Malesherbes.
Routage : France-Routage, 77183 Croissy-Beaubourg
Ont participé à ce numéro Chloé Baker, Marie Bélœil, Edwige Benoit,Alessia Bertoli,
Gilles Berton, Marc-Olivier Bherer, Aurélie Boissière, Marianne Bonneau, JeanBaptiste Bor, Valérie Brunissen, Hélène Chatrousse, Isabelle Cluzel, Lucy Conticello,
Fabienne Costa, Laurence Grivet, Lola Gruber, Delphine Halgand, Caroline Lelong,
Françoise Liffran, Marina Niggli, Carlotta Ranieri, Marcus Rothe, Isabelle Taudière,
Emmanuel Tronquart, Anh Hoa Truong, Dominique Valentin, Janine de Waard
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[rubrique planète presse]
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publications : Brigitte Billiard. Direction des ventes au numéro : Hervé Bonnaud.Chef de
produit: Jérôme Pons (01 57 28 3378, fax : 01 57 28 21 40).Promotion : Christiane Montillet
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COURRIER INTERNATIONAL N° 859
4
DU 19 AU 25 AV RIL 2007
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l’invité
ÉDITORIAL
Columbine,
Blacksburg, et après ?
L E
D E S S I N
D E
L A
●
Alexandre Rykline,
Ejednevny Journal, Moscou
S
i la clique du KGB a sorti ses griffes, c’est parce
dit Gold, à sentir l’agréable poids d’une Rolex à leur poiqu’elle s’est sentie menacée. Dans les années
gnet droit [à la manière de Vladimir Poutine], à rouler en
1990, ses généraux s’étaient résignés à n’être
Bentley et à contempler depuis leur balcon les méandres
plus que des employés de second ordre dans
de la Moskova du côté du quartier chic du mont Nikolina.
les secrétariats des dirigeants, condamnés à
Et ils devraient aujourd’hui dire adieu à tout cela à cause
répondre au téléphone et à user là leur fond de
de quelques crétins qui prétendent ne pas être contents et
pantalon jusqu’à la fin de leurs jours. Avec Pouqui s’en vont de ce pas protester dans les rues ? S’ils sont
tine, ils ont redressé leurs épaules galonnées et
mécontents et qu’ils protestent, c’est juste parce que
sont vite passés des secrétariats aux bureaux. Ils se sont
d’autres imbéciles, des Pavlovski et des Soloviov, ont été
emparés des biens de leurs anciens employeurs et, depuis,
incapables d’expliquer tous les avantages de la verticale du
se pavanent sans retenue. Ils ne savent rien, sont incapables
pouvoir instaurée par Poutine. Pour les généraux, cette
de faire quoi que ce soit à part “couvrir” [c’est-à-dire
verticale est basée sur une répartition honnête et juste de
protéger un business pour un salaire en or], confisquer
l’argent que rapporte la vente des hydrocarbures. Et
ou opprimer. Sirotant leur
on donne beaucoup plus au
cognac français, qu’ils ont
peuple qu’aux généraux ! Mais
encore l’habitude de consercette évidence-là, les propaver dans un coffre-fort, ils
gandistes ont été incapables
savourent leur revanche et se
de la faire rentrer dans la tête
partagent la rente pétrolière.
des Russes, et les généraux
C’est justement leur viscéral
n’ont pas d’autres professioninstinct de survie qui leur a
nels de la persuasion sous la
soudain signalé le danger
main. Alors, à qui peuvent-ils
d’un possible bouleversement
faire appel ? Aux OMON
■ Alexandre Rykline est rédacteur en chef
de cet ordre des choses, pour
[forces antiémeutes], bingo !
du journal en ligne www.ej.ru, qu’il anime
une cause tout à fait risible :
Vous souvenez-vous, chers
avec d’autres journalistes russes réputés.
le peuple russe en a assez de
lecteurs, de l’inscription “Pour
Commentateur politique chevronné, il milite
leur pouvoir despotique et de
la Patrie” qui figurait sur les
également dans plusieurs forums civiques
leur arbitraire total. Bien
chars soviétiques durant la
et ne cache pas son soutien au mouvement
évidemment, les généraux se
Seconde Guerre mondiale ?
L’Autre Russie de son ami Gary Kasparov.
sont indignés : pourquoi avoir
De la même manière, nos
passé tant d’années à entretenir une bande de propagancourageux gardiens de l’ordre qui, le week-end dernier,
distes – les Sourkov, Pavlovski, Leontiev et autres Soloont cogné avec ardeur sur les manifestants, auraient très
viov – si ce n’est pour se protéger de nuisances telles que
bien pu inscrire sur leurs boucliers “Pour la Bentley du
la grogne des citoyens de la Fédération de Russie ? Mais
ministre !”, et sur leurs matraques “Pour Chelsea !”
force est de constater que leur investissement dans ce
Aujourd’hui, beaucoup d’experts et d’hommes politiques
domaine a été vain et que leur équipe de propagande a
se réfèrent aux événements de Moscou et de Saintéchoué. Rien n’y a fait, ni le contrôle total des médias,
Pétersbourg pour nous assurer qu’un nouveau coup d’Etat
ni la stérilisation du champ politique, ni les quelques
militaire se prépare. Pour eux, l’escalade de la violence
aumônes accordées à certains segments de la population.
montrerait l’existence d’un complot visant à renverser le
Les responsables de la propagande seront bien sûr virés,
pouvoir en place. A mon avis, c’est exactement le contraire,
même s’ils font aujourd’hui tout leur possible pour prouil s’agirait plutôt d’un complot du pouvoir visant à renver leur enthousiasme : l’espace médiatique dans son
verser le peuple.
ensemble, des écrans de télé à Internet, est colonisé par
Mais tout cela n’est pas nouveau. Cela fait déjà sept ans
leurs glapissements contre les “Marches du désaccord”
que cette politique se poursuit [depuis l’arrivée au pou[manifestations qui ont eu lieu les 14 et 15 avril à Moscou
voir de Poutine]. Elle est simplement entrée dans une
et à Saint-Pétersbourg].
autre phase, probablement la dernière. Reste à savoir
Mais cela ne résoudra pas le problème des généraux. Ils
combien de temps celle-ci durera. Et cette donnée dépend
ont pris goût à diriger le pays, à utiliser des cartes de créde chacun de nous.
■
Les tchékistes
saisis par la peur
DR
Huit ans, presque jour pour jour,
après le massacre de Columbine,
une nouvelle fusillade vient d’ensanglanter un campus américain,
celui de l’université polytechnique
de Virginie, près de Blacksburg.
L’affaire était encore mal éclaircie
au moment où nous mettions sous presse. Tout au
plus savait-on que le bilan provisoire s’établissait à
32 morts et que le tireur fou était un étudiant sudcoréen de 23 ans. Pourquoi a-il commis cette terrifiante série de meurtres avant de se suicider ? L’enquête va sans doute apporter quelques indices sur
l’état mental du tueur et sur les frustrations qui ont
pu déclencher cette frénésie de violence gratuite.
Des psychologues et des psychiatres vont être invités à nous expliquer les mécanismes qui sont à
l’œuvre dans de telles circonstances. Et des sociologues vont pouvoir gloser sur ces “tragédies
absurdes”, pour reprendre l’expression du pape
Benoît XVI, qui traduiraient le mal-être de la jeunesse des pays les plus riches. Mais il ne faudrait pas
que ces explications occultent le problème récurrent
que pose une législation américaine incroyablement
laxiste sur le commerce et le port d’armes. On s’interroge évidemment beaucoup sur les tueries qui
interviennent en milieu universitaire ou scolaire,
mais il ne faut pas oublier que l’on compte chaque
année une vingtaine de massacres perpétrés sur le
territoire des Etats-Unis. De nombreuses campagnes
ont été menées pour que les ventes d’armes à feu
soient limitées et contrôlées par les pouvoirs publics,
mais la très puissante American Rifle Association
– qui regroupe les sectateurs de l’esprit pionnier américain – a toujours réussi à s’opposer à toute initiative allant dans ce sens au niveau fédéral. On se souvient du très éloquent documentaire (Bowling for
Columbine) que Michael Moore avait réalisé sur ce
thème après Columbine. La presse américaine en
avait largement profité pour relancer le débat. Sans
résultats. L’Amérique républicaine n’a pas voulu toucher à ses antiques traditions. Le spectaculaire carnage de Blacksburg va-t-il donner à la nouvelle majorité démocrate le courage de légiférer ? Au moment
où commencent les grandes manœuvres électorales
en vue de la présidentielle 2008, rien n’est moins
sûr. Affaire à suivre.
Bernard Kapp
DR
859 p.6
S E M A I N E
■ Lundi 16 avril,
un étudiant
sud-coréen
de 23 ans abattait
32 personnes
avant de se suicider
à l’université
polytechnique
de l’Etat de Virginie.
C’est la plus
meurtrière
de la série
de fusillades
récentes dans
des établissements
scolaires
et universitaires
aux Etats-Unis.
Dessin de Bertrams,
Pays-Bas.
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et près de 2 000 dessins en consultation libre.
Rectificatif : L’article publié dans le numéro 858 intitulé : “ETA privé de son bulletin interne”,
n’a pas été publié par le quotidien El País mais par son confrère ABC.
COURRIER INTERNATIONAL N° 859
6
DU 19 AU 25 AVRIL 2007
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Page 9
à l ’ a ff i c h e
Serbie
●
Le premier milliardaire
DR
D
E BELGRADE. A en croire le
quotidien belgradois Blic, Miroslav Miskovic est l’homme le plus
puissant de Serbie. Plus puissant
que le Premier ministre Kostunica,
que le président Tadic ou que le
patriarche Pavle. Sa carrière a tout
du rêve américain qui se réalise.
Depuis 1991, l’année où il a monté son
entreprise d’import-export et de services
financiers dans une chambre louée à l’hôtel
Slavija de Belgrade, il a réussi à construire
un empire économique dont le chiffre d’affaires équivaut à 10 % du PIB de la Serbie.
Aujourd’hui sa holding est composée de plusieurs sociétés, la plus importante étant Delta
M, la chaîne des supermarchés qui devrait
fusionner d’ici la fin de l’année avec son équivalent croate, Konzum. Ainsi sera créée la
première chaîne balkanique de grande distribution qui soit à la fois capable de tenir
tête à la concurrence étrangère (y compris
celle du Mercator slovène qui a refusé de faire
alliance avec lui) et susceptible de se développer sur les marchés bulgare, albanais, roumain ou moldave.
Peu de gens connaissaient la société de
Miskovic avant 2000 et l’arrivée au pouvoir
de l’Opposition démocratique serbe (DOS)
qui a renversé Milosevic. Avec l’argent gagné
sur le marché russe (le principal débouché de
Miskovic était à cette époque, comme pour
les autres holdings yougoslaves – Genex ou
Astra –, le marché russe), l’entrepreneur s’installe dans l’ancien appartement de Slobodan
Milosevic. Commence alors sa deuxième vie :
Miskovic devient le représentant exclusif de
nombreuses marques occidentales en Serbie
(dont Nike et Zara), mais aussi en Russie, où
il acquiert par ailleurs deux usines de cellulose. Il poursuit le développement de ses
L’homme d’affaires MIROSLAV MISKOVIC
vient d’entrer, à 61 ans, dans le classement des
plus grosses fortunes mondiales qu’établit
chaque année le magazine américain Forbes.
Avec 1,5 milliard de dollars d’actifs, il y occupe
la 891e place.
affaires avec la création de la Banque Delta,
qu’il revendra en 2005 à la banque italienne
Intesa pour la coquette somme de 300 millions d’euros.
Le processus de privatisation, lancé après
la chute de Milosevic, lui offre de nouvelles
chances. C’est ainsi qu’il met la main – en
quatre ans seulement – sur les deux principales chaînes de supermarchés serbes, sur de
nombreuses usines du secteur agroalimentaire,
mais également sur des garages et des coopératives agricoles.Avec 25 000 hectares de terre
en Voïvodine, Miskovic est désormais l’un des
plus grands propriétaires terriens du pays.
Ses sociétés emploient aujourd’hui
17 000 personnes. Pour cette année, il a
annoncé un plan d’investissement d’une valeur
de 264 millions d’euros. D’ici à 2010, Mis-
kovic envisage de construire plus de 1 million
de mètres carrés de centres commerciaux, de
bureaux et de logements, ainsi qu’un grand
centre d’affaires et un hôtel empilés dans un
gratte-ciel de 39 étages, au centre de Belgrade.
On parle de son désir d’acheter le club de foot
Crvena Zvezda, ainsi que plusieurs médias
de la capitale serbe.
Miskovic a fait un bref passage par la politique. En 1990, à la demande de Milosevic,
il accepte le poste du vice-Premier ministre,
un poste qu’il quitte au bout de six mois pour
se consacrer aux affaires. D’après les analystes,
Miskovic doit son succès à sa relation intelligente et rusée avec le pouvoir, que celui-ci ait
le visage de Milosevic, de Zoran Djinjic ou
de l’actuel Premier ministre Kostunica. “Sa
première qualité est la discrétion”, note Dimitrije Boarov, journaliste de l’hebdomadaire
belgradois Vreme. “C’est ce qui lui a permis
d’être tour à tour ministre de Milosevic, financier
de la JUL [le parti de la Gauche yougoslave de
Mirjana Markovic, l’épouse de Milosevic] puis
du gouvernement de Djindjic.” En seize ans, il
est apparu une seule fois dans un débat à la
télé, a donné une interview et pris la parole
en public à deux ou trois reprises seulement.
Absent de la presse people locale, Miskovic
s’est retrouvé cependant à la une des
tabloïds britanniques lorsqu’il a acheté une
villa estimée à 36 millions d’euros dans un
quartier résidentiel de Londres pour son fils
étudiant. D’après le Sunday Times, ce fut la
plus grosse transaction immobilière de l’année dans la capitale britannique. En 2004,
à l’occasion de l’anniversaire de sa société,
Miskovic a déclaré : “Ce serait une aubaine
s’il y avait un Bill Gates en Serbie. Mais ce
n’est pas le cas. Il faudra donc vous contenter
de ce que vous avez, c’est-à-dire de moi.”
PERSONNALITÉS DE DEMAIN
KEELEY HAZELL,
Ecologiste mais sexy
ui a dit que les
écolos n’avaient
aucun style ? Keeley
Hazell, pin-up britannique récemment élue
deuxième femme la
plus sexy du monde
par le magazine masculin FHM, est bien
décidée à utiliser ses charmes pour sauver la
planète. Elle a notamment posé seins nus pour
la fameuse page 3 du Sun, le corps peint en
vert pour sensibiliser les lecteurs au changement climatique. Cela lui a valu d’être placée
par le leader du parti conservateur, David Cameron, sur sa liste des “héros de l’écologie” entre
Arnold Schwarzenegger et la coalition Stop Climate Chaos. Keeley votera donc pour les Tories,
car “ils ont fait beaucoup plus d’efforts pour
l’environnement que n’importe quel autre parti”.
Au nombre de ses conseils pratiques pour sauver la planète, on trouve : “Faites l’amour dans
le noir pour économiser de l’énergie” – ellemême n’éclaire sa chambre qu’à la bougie. Elle
a également troqué sa voiture pour un scooter,
moins polluant, recycle systématiquement
ses déchets et n’utilise que des ampoules à
basse consommation. Des gestes simples qui
“devraient être une obligation. Ceux qui ne respectent pas [la nature] méritent d’être sanctionnés”, confie-t-elle à The Independent.
Son corps lui-même est écologique, assuret-elle. La preuve, pour devenir une “Page 3
Girl”, les candidates doivent être “naturelles”,
c’est-à-dire certifiées 100 % sans silicone,
cette substance qui menace l’environnement.
Q
DR
17/04/07
ANNE DELVAUX
Médiatique et politique
ILS ET ELLES ONT DIT
MOUAMMAR
KADHAFI,
dictateur
libyen
Illusionniste
“L’Etat fatimide
[968-974] va
renaître dans
Dessin de Glez,
toute l’Afrique du
Ouagadougou.
Nord. Ce sera
l’Etat de la jeunesse, du bonheur,
de la musique, des jardins et des
palais”, a-t-il promis dans un discours sur la Place verte de Tripoli.
(Asharq Al-Awsat, Londres)
contemporain, il n’y a que de la
merde.” (Der Spiegel, Hambourg)
DON IMUS, ex-animateur
radio américain
Classe
“Des putes aux cheveux crépus.”
C’est ainsi qu’il a décrit les joueuses
de basket-ball d’une université, pendant un match qu’il commentait.
Cette remarque lui a coûté son
emploi : il a été licencié du réseau
CBS le 12 avril dernier.
(The New York Times, New York)
HUGH GRANT, Acteur britannique
Connaisseur
GERMAN STERLIGOV,
ex-millionnaire russe
Rapide
“C’est vrai, j’aime l’art contemporain. Jeune homme, je prétendais
déjà être un expert. Et depuis, je me
suis constitué une petite collection.
Mais cela n’a rien changé à mon opinion sur le sujet : à la base de l’art
Symbole de la réussite au temps
de la perestroïka, il a fait faillite il y
a quelques années. Depuis, il vit
avec sa famille dans une cabane,
dans un village reculé. Etait-il vraiment riche ? “Si je n’ai jamais
avancé de chiffres, ce n’est pas
parce que je voulais cacher quelque
chose. A l’époque, on ne disposait
pas d’‘instruments de mesures’
pour estimer les fortunes. Et quand
il y en a eu, j’étais déjà pauvre.”
(Dengui, Moscou)
prince pour les soirées arrosées
dans les boîtes de nuit londoniennes en compagnie de ses
camarades militaires aura eu raison de sa relation, déjà soumise à
la pression médiatique.
(Sunday Mirror, Londres)
WILLIAM,
prince héritier
du trône
d’Angleterre
Immature
SERGE SARKISSIAN, Premier
ministre d’Arménie
Fidèle
“Je n’ai pas
36 ans et je ne
suis pas marié.
J’ai 24 ans et
j’ai juste envie
Dessin de Jones.
de m’amuser”,
aurait-il expliqué après avoir quitté
Kate Middleton, sa petite amie
depuis cinq ans, rencontrée à l’université de Saint Andrews en Ecosse,
que beaucoup voyaient déjà future
reine d’Angleterre. La passion du
COURRIER INTERNATIONAL N° 859
9
“La diminution de la présence russe
dans le Caucase du Sud ne signifie
pas une augmentation automatique
de la présence d’un autre pays ou
d’une autre organisation dans cette
zone.” Il faisait ainsi allusion, lors
de la visite officielle du vice-Premier
ministre russe Sergueï Ivanov à Erevan, au futur déploiement des
troupes de l’OTAN dans la région.
L’Arménie reste l’unique alliée de
la Russie dans le Caucase du Sud.
(Novoïé Vremia, Erevan)
DU 19 AU 25 AVRIL 2007
es plateaux télé
aux estrades électorales : Anne Delvaux,
la présentatrice vedette
du journal télévisé de
la RTBF (Radio Télévision belges francophones), sera candidate le 10 juin prochain
à un siège de sénatrice, en deuxième position
sur la liste du Centre démocrate humaniste
(CDH, parti centriste). “J’ai l’impression de pouvoir davantage changer les choses en entrant
en politique”, explique à La Libre Belgique celle
qui a reçu le Moustique d’Or du meilleur présentateur de journal télévisé ces trois dernières
années. Elevée sans père “dans des conditions
pas toujours faciles”, diplômée en sciences économiques et sociales et en communication, cette
Liégeoise mariée de 36 ans possède quatre
chats et un chien. Sa candidature surprise, qui
met encore une fois en lumière les connivences
entre journalistes et politiques, a fait grand bruit
dans le royaume. “Opération de ‘com’”, estime
le quotidien Le Soir, qui craint que l’utilisation
de “son audience, son crédit, son aura, son sourire” ne tourne “au déplorable gadget” pour
attirer les électeurs. “Elle est capable de prendre
des postes de leadership et a tout son avenir
devant elle”, rétorque la présidente du CDH,
Joëlle Milquet, dans La Libre Belgique.
D
Miroslav Kuskunovic, Jutarnji List, Zagreb
DR
*859 p9
859p10à13 ter
17/04/07
19:15
Page 10
dossier
●
MAGHREB AL-QAIDA S’ENRACINE
■ Les islamistes algériens du GSPC avaient annoncé fin 2006 leur intégration dans la nébuleuse
Al-Qaida. ■ La série d’actions terroristes qui ont frappé quasi simultanément Casablanca et Alger la semaine
dernière montre que l’organisation entend bien étendre son nouveau front sur l’ensemble de l’Afrique du Nord.
LA VANGUARDIA
Barcelone
es bombes d’Alger ne marquent pas la fin
mais sans doute le début d’une nouvelle
campagne terroriste à deux pas de l’Europe. On disposait depuis décembre 2006
d’informations indiquant que le Groupe
salafiste pour la prédication et le combat
(GSPC) algérien était devenu le représentant
officiel d’Al-Qaida et qu’il s’apprêtait à lancer
une nouvelle vague d’attentats au Maghreb et
en Europe de l’Ouest, avec le soutien de groupes
marocains et tunisiens apparentés. En janvier
et février 2007, des actions de moindre ampleur
avaient déjà eu lieu dans les trois pays du
Maghreb et les autorités avaient effectué plusieurs arrestations de djihadistes. On sait également qu’il existe sur le territoire tunisien des
camps d’entraînement de terroristes installés
à l’écart des centres urbains. Et il est notoire que
d’autres attentats, en préparation au Maroc, ont
été déjoués par les forces de sécurité.
Dans des vidéos, Ayman Al-Zawahiri, le
lieutenant d’Oussama Ben Laden, a proféré des
menaces contre ces trois pays du Maghreb et
contre l’Egypte, considérés comme des traîtres
à la guerre sainte, mais aussi contre la France
et l’Espagne. Il a explicitement mentionné
l’occupation [par l’Espagne] de Ceuta et Melilla
[deux enclaves en territoire marocain], ainsi que
la nécessité de reconquérir Al-Andalus [nom
donné à la péninsule Ibérique du temps de
la présence musulmane, 711-1492].
On aurait pu croire qu’Al-Qaida avait
d’autres chats à fouetter. De fait, si l’Irak est un
fiasco pour les Etats-Unis, c’en est un plus grand
encore pour l’islam sunnite. Dès lors, pourquoi
appeler à la guerre sainte contre les gouvernements musulmans du Maghreb, ce qui est
bien moins populaire dans le monde arabe
qu’attaquer le Grand Satan ou d’autres Satan
mineurs ? L’Algérie a connu pendant près de
dix ans une guerre civile extrêmement sanglante
et cruelle, qui a fait près de 200 000 victimes
et s’est achevée sur la défaite des salafistes.
Il y a eu deux amnisties, mais une poignée de
militants a décidé de poursuivre une lutte pourtant impopulaire. Le djihad n’est pas non plus
très populaire au Maroc. Et les Tunisiens, même
s’ils ne portent pas leur gouvernement dans
leur cœur, n’ont aucune envie d’être gouvernés
par des islamistes fanatiques, ni de voir leur pays
devenir un champ de bataille comme l’a été
l’Algérie dans les années 1990.
Pourquoi impulser à nouveau des attentats
en Europe de l’Ouest ? Pourquoi revendiquer
aujourd’hui une reconquête musulmane ? L
Dessin de Hassan
Bleibel, Beyrouth.
S T R AT É G I E
Mission numéro un : recruter pour l’Irak
■ La question qui interpelle les spécialistes est de savoir si
Al-Qaida au Maghreb, qui a revendiqué les deux attentats
du 11 avril à Alger, est un simple prolongement du Groupe
salafiste pour la prédication et le combat (GSPC) ou s’il s’agit
d’une conjonction des divers groupes algériens, marocains et
tunisiens. La thèse la plus crédible penche pour l’existence
d’une fusion active des organisations clandestines de la région,
dont la mission est d’élargir le champ de la confrontation
à tout le Maghreb et au Sahel. Débordant le cadre étroit des
frontières nationales, l’action terroriste de ces groupes est
diligentée par un centre de commandement unifié qui gère
le GSPC, la Salafia Jihadia marocaine et les groupes islamistes
combattants tunisiens et libyens.
En élargissant de plus en plus son terrain de frappe, Al-Qaida
au Maghreb s’efforce de gagner une bataille de la légitimité,
tout en ayant le souci de crédibiliser sa capacité de nuisance à partir d’une certaine régularité des attentats. Ainsi
COURRIER INTERNATIONAL N° 859
10
s’expliquent les affrontements de 2006 en Tunisie, où les
forces de sécurité ont neutralisé un “groupe armé salafiste”,
qui “projetait de perpétrer des attentats contre des ambassades et des diplomates étrangers”. Au Maroc, les autorités mènent une traque sans répit contre une quarantaine de
terroristes, responsables de plusieurs attentats depuis 2003,
pour la plupar t circonscrits à la ville de Casablanca, et de
la tentative d’attentat déjouée le 10 avril.
La mission fondamentale de la nébuleuse reste de recruter
et de former des combattants pour l’Irak. Cette approche lui
rend d’ailleurs plus facile l’endoctrinement de Maghrébins dont
le désir de se battre aux côtés du peuple irakien est for t.
Ils deviennent très vite des soldats du djihad salafiste, aptes
à intervenir sur tous les champs de bataille, non seulement
au Maghreb mais également contre des intérêts stratégiques
de pays accusés de soutenir les régimes en place dans la région.
DU 19 AU 25 AV RIL 2007
Azzedine Chabane, La Tribune (extraits), Alger
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CINQ ANS DE DJIHAD
AU MAGHREB
0
Boumerdès
Tunis
Alger
Tanger
Mer
Rabat
Tizi Ouzou
Aïn Delfa
OCÉAN
Méditer ranée
Biskra
Djerba
Casablanca
TUNISIE
MAROC
AT L A N T I QU E
500 km
ESPAGNE
11 avril L’explosion d’un camion-
3 janvier Quatorze hommes armés
citerne près de la synagogue de la
Ghriba, sur l’île de Djerba, en Tunisie,
fait 21 morts.
sont tués dans des accrochages avec
les forces de sécurité à Tunis et dans
ses environs le 23 décembre 2006
et le 3 janvier.
16 mai Cinq attentats suicides
frappent un restaurant espagnol,
un hôtel et un centre social juif,
à Casablanca, au Maroc, tuant
45 personnes dont 12 kamikazes.
LIBYE
A
H
SAHARAOCCIDENTAL
2007
2003
A L G É R I E
Tindouf
2002
R
A
A
Djanet
S
2006
Tamanrasset
13 septembre Le Groupe salafiste
M A U R I TANI E
M A L I
N I G E R
Nouakchott
SÉNÉGAL
S
A
Tombouctou
Gao
Bases arrière et zones d’infiltration
du Groupe salafiste pour la
prédication et le combat (GSPC)
L’Espagne a retiré ses troupes d’Irak en signe
de bonne volonté. La France, elle, est toujours
restée à l’écart. Les terroristes entendent-ils saboter les élections en France et en Algérie [où des
législatives ont lieu le 17 mai] ? Cela n’a pas
beaucoup de sens non plus. Leur but est-il de
paralyser le tourisme, si essentiel aux économies
du Maghreb ? Ce n’est pas très populaire non
plus et cela risque d’être aussi contre-productif
qu’en Egypte. Voient-ils le sud du Maghreb,
avec ses massifs montagneux et ses étendues
désertiques, comme le théâtre idéal d’une guerre
de guérilla, qui leur permettrait de se cacher facilement et de créer des bases d’où lancer des
attentats contre les grandes villes ? Ce serait une
belle erreur, car ce n’est pas l’Afghanistan.
La réponse à toutes ces questions tient en
quelques mots : les terroristes ne peuvent pas
rester inactifs très longtemps sous peine de perdre
leur élan. Il leur faut se prouver à eux-mêmes
– et prouver à l’ensemble de la population – qu’ils
restent opérationnels et que l’avenir leur appartient. Le terrorisme est pour une bonne part une
affaire de génération. Il est peu probable que
la plupart des hommes ayant participé à la guerre
civile algérienne, il y a quinze ans, se lancent dans
le combat d’aujourd’hui. Ils se souviennent que
leur action s’est soldée par une défaite.
Mais une nouvelle génération est apparue,
formée de jeunes de 20 à 25 ans dont la mémoire ne va guère au-delà de 1990. Ils ont été
endoctrinés par des prédicateurs fanatiques,
d’anciens combattants d’Afghanistan, qui leur
ont enseigné le combat comme un devoir. Ces
jeunes sont très nombreux au Maghreb. Le taux
de natalité y est très élevé, le chômage l’est aussi,
et une partie des jeunes acquis à la cause du djihad sont issus des classes moyennes.Tous brûlent d’envie de montrer au monde qu’ils sont
des héros. Le monde, lui, doit veiller à ce qu’ils
n’atteignent pas leur but.
Walter Laqueur*
* Historien américain, président honoraire du Washington
Quarterly, la revue du Centre d’études stratégiques et
internationales de Washington.
H
TCHAD
Agadez
E
L
pour la prédication et le combat
(GSPC) algérien annonce son
ralliement à Al-Qaida. Fin janvier
2007, il se rebaptise Al-Qaida au
Maghreb islamique (AQMI).
10 décembre Un attentat à la
Attentats
Affrontements entre salafistes
et forces de sécurité
bombe contre un bus transportant
des techniciens étrangers fait
2 morts, à Bouchaoui, à l’est d’Alger.
13 février Sept attentats à la bombe
et à la voiture piégée quasi
simultanés, revendiqués par le GSPC,
font 6 morts à l’est d’Alger.
11 mars Un Marocain se fait exploser
dans un cybercafé de Casablanca.
10 avril Trois kamikazes se font
sauter à Casablanca et un quatrième
est abattu par la police.
11 avril Deux attentats à la bombe
revendiqués par Al-Qaida au Maghreb
islamique font 30 morts à Alger.
14 avril Deux frères se font sauter
à Casablanca : l’un près du consulat
des Etats-Unis, l’autre près d’une
école de langues américaine.
Source : “El País”, AFP, “Le Point”
RÉPRESSION
L’Algérie fait tout pour préserver ses intérêts gaziers
A la veille des attentats d’Alger,
l’armée menait une vaste offensive
contre les islamistes du GSPC.
Et la justice condamnait à mort
leur chef par contumace.
epuis son ralliement of ficiel à
Al-Qaida, en 2006, l’organisation
Al-Qaida au Maghreb islamique, auparavant connue sous le nom de Groupe salafiste pour la prédication et le combat
(GSPC), a mené de multiples opérations
en Algérie, parmi lesquels des attentats
simultanés contre des commissariats et
des gendarmeries, ainsi que des
attaques contre des étrangers travaillant
dans le secteur en plein essor des hydrocarbures. A moins qu’il ne s’agisse d’un
baroud d’honneur, la violence des dernières actions est le signe de la résurgence d’un groupe que beaucoup considéraient comme étant sur le déclin, car
incapable dans les faits de par venir à
instaurer un Etat islamique en Algérie.
La menace aurait été maximale à la mimars, quand l’ambassade des Etats-Unis
à Alger a aler té sur l’éventualité d’un
attentat contre un avion de ligne transportant des travailleurs occidentaux en
Algérie. Si les cibles et la tactique du
mouvement ont changé, ce qui leur a
valu une plus grande couverture médiatique et un surcroît d’analyses, peu d’informations ont filtré sur la réponse de
l’Etat algérien à la menace. A la fin du
mois de mars, l’armée algérienne a
lancé dans la plus grande discrétion ce
qui semble être une offensive de longue
D
COURRIER INTERNATIONAL N° 859
durée contre l’organisation. D’après la
presse algérienne, les opérations se
déroulent en Kabylie, près de la ville
d’Amizour, à l’est d’Alger.
Au début du mois d’avril, l’armée algérienne poursuivait son opération combinée et déployait de l’artillerie, des hélicoptères de combat et des unités des
forces spéciales. L’ampleur de l’offensive a vraisemblablement pour but de
réaffirmer l’autorité de l’Etat, sur tout
après les attentats perpétrés par le
groupe dans des localités proches de
la capitale jusque-là réputées sûres.
Peu de détails ont filtré sur la nature précise et le résultat de l’opération. Quoi
qu’il en soit, l’organisation Al-Qaida au
Maghreb islamique aurait annoncé la
mor t de Soheib Abou Abderrahmane,
proche du dirigeant du GSPC Abdelmalek
Droukdal. Par ailleurs, des informations
non confirmées font état d’au moins vingt
islamistes et trois militaires tués. Des unités de police ont fermé toutes les routes
qui mènent à la zone, dont l’accès est
désormais interdit à tous les civils, y compris les journalistes.
Parallèlement à cette offensive militaire,
le tribunal pénal de Tizi-Ouzou a condamné
à mort Abdelmalek Droukdal par contumace le 21 mars pour “constitution d’un
groupe terroriste armé, destruction de
biens publics à l’aide d’explosifs et tentative de vol”. Quelques jours plus tôt, la
cour de justice de Batna l’avait condamné
à vingt ans de prison ferme, une fois
encore par contumace, et à une amende
de 500 000 dinars [5 000 euros] pour
11
DU 19 AU 25 AVRIL 2007
“atteinte à la sûreté de l’Etat” et “constitution d’un groupe armé”.
En tant que deuxième exportateur mondial de gaz naturel liquéfié, l’Algérie a
de bonnes raisons de craindre d’être
la cible de tactiques de type Al-Qaida.
Avec la flambée des prix du pétrole et
l’instabilité persistante dans le golfe
Arabo-Persique, le gouvernement algérien a tout intérêt à donner l’image d’un
pays sûr, afin de ne pas décourager les
investissements étrangers directs dans
le secteur des hydrocarbures. Au moment
où la diversification des sources d’approvisionnement est peut-être plus que
jamais une nécessité, l’Algérie se doit
de se différencier des autres pays producteurs d’hydrocarbures en proie à une
instabilité chronique.
La récente opération menée par l’armée
pourrait permettre d’empêcher la résurgence du GSPC avant que l’équilibre du
pouvoir ne penche un peu plus en faveur
d’Al-Qaida et de la menace terroriste, qui
est de nouveau une réalité au Maghreb.
Comme dans le cadre de la guerre plus
globale contre le terrorisme, le recours à
la force militaire n’est qu’une partie de
la solution. Contrairement aux guerres
conventionnelles, où l’on connaît d’avance
le rapport de forces, les terroristes n’ont
jamais été en nombre fini.
Matthew Chebatoris*,
Terrorism Focus, Washington
* Ancien spécialiste du chiffre de l’US Navy.
Il travaille actuellement comme expert de la
lutte antiterroriste pour le groupe d’électronique de défense L-3 Communications.
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dossier
Et si le cauchemar était de retour ?
Pour tourner définitivement la page d’une décennie
de guerre civile, le pouvoir algérien a privilégié
les mesures d’amnistie sur la lutte antiterroriste.
Etait-ce un bon choix ?
LIBERTÉ
Alger
n avait perdu l’habitude de cette saisissante sensation qui vous serre l’estomac durant le trajet entre le siège de
la rédaction et le lieu de l’explosion. On
avait oublié ce pressant sentiment de
colère et de peine à la vue des blessés
qu’on embarque encore. Les scènes de carnage
qui ont jalonné les années noires défilent à nouveau dans nos têtes.
Pourtant, le terrorisme n’est plus ce qu’il
était. Quand l’Algérie inaugurait l’ère du terrorisme islamiste, son épreuve était regardée
de partout comme le résultat d’une aspiration
théocratique populaire contrariée par un pouvoir soutenu par des forces acculturées. Il fallait,
au mieux, la laisser se sortir seule de l’impasse
où elle s’était fourvoyée ou, au pire, accabler
de “Qui tue qui ?” tous ceux qui refusaient la
fatalité obscurantiste. Ce terrorisme-là a été
vaincu. Parce que le pouvoir, même dépourvu
de légitimité, n’avait d’autre choix que de
défendre l’Etat et parce que des citoyens se sont
levés en nombre pour défendre leur intégrité
physique et morale contre la doctrine du crime.
O
Entre-temps, l’islamisme, livré à lui-même
après que les Etats-Unis s’en sont délestés en
Afghanistan, s’est redéployé en terrorisme tous
azimuts. Le terrorisme algérien, trop affaibli par
la lutte antiterroriste et l’autodéfense, s’est amarré
à Al-Qaida, probablement pour bénéficier de
son soutien logistique et idéologique. Réduit à
battre en retraite dans les maquis reculés, il en
est à exprimer son existence par de sporadiques
interventions, se consacrant surtout au racket.
Mais la lutte antiterroriste s’est essoufflée au
moment où les groupes terroristes, minés par les
■ A la une
Au lendemain
du double attentat
d’Alger, le quotidien
Liberté annonçait
24 morts
et 57 blessés.
Aujourd’hui, le bilan
officiel s’élève
à 30 morts et plus
de 220 blessés.
Dessin
d’Astromujoff paru
dans La Vanguardia,
Barcelone.
guerres entre factions et traqués par les forces de
l’ordre et la résistance citoyenne, étaient en désespérance. Les redditions salutaires de l’AIS
[Armée islamique du salut, aile militaire du Front
islamique du salut] et des derniers éléments survivants des GIA [Groupes islamiques armés]
étaient officiellement présentées comme une
espèce de mouvement collectif d’examen de
conscience chez les terroristes. La procédure de
réconciliation nationale, qui a surtout profité à
des terroristes déjà neutralisés, condamnés ou
en instance d’être jugés, a ragaillardi les rangs
des adeptes de la violence djihadiste. Le regain
d’activisme est perceptible : les prises d’otages
avec rançon se multiplient ; des véhicules charriant des armes ont été interceptés, des réseaux
de soutien démantelés et les attentats se font
de plus en plus fréquents. Mais le pouvoir ne
semble pas avoir trouvé la stratégie qui réconcilie la nécessaire lutte antiterroriste et l’hypothétique attrait des mesures de réconciliation
sur les groupes armés.
Le 10 avril encore, [l’ex-Premier ministre]
Ahmed Ouyahia disait que “chaque terroriste qui
se rend, c’est une vie humaine préservée”. Il ajoutait que “c’était le devoir de la nation de tendre la
main à ceux qui se sont égarés”. Mais piéger un
véhicule d’explosifs, former un kamikaze et organiser un attentat contre le palais du gouvernement nécessite plus de stratégie que d’égarement.
Si, comme victimes potentielles, nous nous
retrouvons, dix ans après, au même point, c’est
que, quelque part, c’est nous qui nous sommes
politiquement égarés. Mustapha Hammouche
Un danger pour toute la Méditerranée
Pour désactiver le terrorisme islamiste,
les Européens doivent plus que jamais encourager
les réformes en cours en Algérie et au Maroc.
EL PAÍS
Madrid
es élections législatives auront lieu en
Algérie le 17 mai prochain, et au Maroc
en septembre. Quelle influence aura la
recrudescence du terrorisme islamiste
sur les réformes qui commençaient à
être entreprises dans les deux pays ? La
pire des nouvelles serait le retour au pouvoir
de la ligne la plus dure. Que les partisans de l’immobilisme jouent sur la peur pour mettre un
coup d’arrêt à la timide démocratisation amorcée dans les deux pays.
Le danger, pour toute la Méditerranée, ne
tient pas uniquement au fait que le mouvement
salafiste d’Afrique du Nord se soit rallié à AlQaida. Cette très mauvaise nouvelle aura peutêtre des conséquences terribles à court terme,
à moins qu’il ne soit possible de les prévenir par
un bon travail de renseignement et de coopération policière. En revanche, ce que nul ne
pourra éviter, ni à court ni à moyen terme, ce
sont les effets dévastateurs d’une défaite de ceux
D
■ Echec
des services
Alors que la presse
algérienne hésite
généralement à
critiquer les services
de sécurité, El Watan
intitule un article :
“Le renseignement :
la faillite ?”
Selon ce quotidien,
“il faut que
cet attentat
débouche sur
une réorganisation
plus efficace des
services”, car les
forces de sécurité
ont été averties
de l’imminence
du danger
et sont restées
sans réaction.
qui veulent introduire des réformes démocratiques, endiguer la corruption et améliorer la vie
quotidienne de leurs concitoyens. Si l’on ne fait
pas pression sur ceux qui refusent les réformes,
si l’on ne soutient pas ceux qui tentent, à l’intérieur du Maroc, de l’Algérie ou de la Tunisie,
de donner aux jeunes de l’espoir et des perspectives, il ne sera guère possible de désactiver
le terrorisme islamiste en Afrique du Nord.
L’Union européenne et l’Espagne ont déjà
commis beaucoup d’erreurs au Maghreb. La
guerre civile algérienne, encore récente, est un
exemple de cet aveuglement. Comment expliquer que ces terribles “années de plomb”, à
l’heure de la télévision et des satellites, aient eu
moins de couverture médiatique que n’en a eu
la guerre civile espagnole, alors que, soixante ans
plus tôt, il n’y avait que le télégraphe ? Les sources
les plus prudentes parlent de 150 000 morts, sur
lesquels nous sommes restés assez discrets tant
nous avions peur des islamistes.
Aujourd’hui, une fois de plus, les groupes
salafistes resurgissent. Ils sont désormais prêts
non seulement à lutter avec les armes plus ou
moins conventionnelles de l’armée algérienne,
mais aussi à appliquer les techniques conçues
par Al-Qaida. Forts de la notoriété internationale de la “marque” Al-Qaida et de ses campagnes d’attentats suicides contre la population
COURRIER INTERNATIONAL N° 859
12
DU 19 AU 25 AV RIL 2007
civile, ils veulent reprendre leur place parmi les
jeunes chômeurs qui fuient l’intérieur de leurs
pays pour s’entasser dans des banlieues privées
de tout. Si l’Algérie, la Tunisie et le Maroc réagissent une nouvelle fois par la répression aveugle
et le contre-terrorisme, si l’on accepte que ce
soient des monstres qui traitent avec des
monstres, si les réformistes du Maghreb n’arrivent pas à imposer leurs vues, le chemin pour
en finir avec le terrorisme islamiste sera encore
plus long et plus difficile.
Nous autres Espagnols devrions être
conscients que ce sont des choix qui nous
concernent directement, car nous sommes en
première ligne. L’Algérie et le Maroc sont à
deux pas et, même si nous avons du mal à le
croire, la menace intégriste est aussi dangereuse
pour nous que pour eux. Rien n’influera davantage sur notre avenir que l’évolution politique
de ces deux pays dans les années qui viennent.
Ne perdons pas de vue qu’il y a 200 terroristes
islamistes présumés dans les prisons espagnoles.
Qu’en 2006, selon les données d’Europol, on
a procédé à 51 nouvelles arrestations en
Espagne (sur 257 dans l’ensemble de l’UE,
Royaume-Uni excepté). Que ces détenus sont
tous nés au Maroc, en Algérie ou en Tunisie, et
qu’ils ont tous moins de 40 ans.
Soledad Gallego-Díaz
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MAGHREB AL-QAIDA S’ENRACINE
●
Sidi Moumen, la fabrique de kamikazes
Les islamistes qui sont morts
le 10 avril à Casablanca venaient
de ce quartier de bidonvilles.
Ceux qui ont fait sauter un
cybercafé le 11 mars et les auteurs
des attentats de 2003 aussi.
LE JOURNAL HEBDOMADAIRE (extraits)
Casablanca
u sortir du périphérique nord de Casablanca, c’est le même ruban d’asphalte
qui mène au quartier maudit. Depuis
les attentats du 16 mai 2003, la banlieue
de Sidi Moumen n’a presque pas
changé. De grandes enseignes publicitaires rongées par la rouille, vantant les promesses
d’un habitat social paradisiaque, font la promo
d’un changement toujours attendu. Au coin
d’une ruelle, des badauds contemplent les dégâts
de la déflagration qui a coûté la vie, le 11 mars
dernier, à l’un des deux jeunes terroristes venus
consulter Internet dans l’un des innombrables
cybercafés de fortune, qui ont poussé comme
des champignons dans le quartier. Ce serait après
une altercation avec le patron de ce cybercafé
qu’Abdelfattah Raydi, 24 ans, a été tué par le
déclenchement, probablement accidentel, des
explosifs qu’il portait en bandoulière sous ses
vêtements. Selon son témoignage, le gérant aurait
appelé la police lorsqu’il s’est rendu compte que
Raydi, très fébrile, tentait de se connecter à un
site djihadiste. Les deux hommes ont cherché
à fuir.Youssef Khoudri, 17 ans, blessé, est parvenu à s’échapper, mais a été aussitôt arrêté,
en possession d’explosifs lui aussi.
Qu’est-ce qui a pu persuader un adolescent
comme Youssef Khoudri de vouloir en finir si tôt
avec la vie et de détruire celle des autres ? “C’était
A
un garçon jovial, obéissant et qui n’hésitait pas à
aider son père, vendeur de menthe, pour subvenir aux
charges de la famille”, s’exclame sa mère, Aïcha,
accroupie dans la pièce unique de sa masure faite
de parpaings et de tôle ondulée. “Oui, il lui arrivait de sniffer de la colle, mais il n’a jamais été associé à des malfaiteurs et encore moins à des terroristes”, assure son oncle.
C’est ce même Youssef, “l’insoupçonnable”,
qui s’est présenté en compagnie d’Abdelfattah
Raydi, le fils aîné d’un de leurs voisins, dans ce
petit cybercafé de Sidi Moumen, à quelques
encablures du bidonville de Sekouila, où ils habitent.Youssef a avoué qu’il avait été enrôlé par
Abdelfattah, qui devait recevoir des instructions
via Internet pour faire sauter leurs bombes
contre plusieurs cibles à Casablanca, de la préfecture de police, symbole de l’Etat répressif,
aux McDonald’s, enseignes expiatoires de l’Amérique haïe. Youssef a également affirmé que
d’autres kamikazes, tapis dans les dédales du
même bidonville Sekouila, seraient toujours prêts
à agir. Les quelque 300 kilos d’explosifs découverts dans une cache du quartier Moulay
Rachid, lieu de ralliement probable de la cellule
de Raydi, l’attesteraient.
LA SEULE RÉPLIQUE A ÉTÉ DE RAFLER EN
MASSE ET DE TORTURER SANS VERGOGNE
Youssef a dit, sans aucun doute, tout ce qu’il savait
et avait appris de son recruteur, Abdelfattah
Raydi : ses liens avec Saâd Houssaini, le cerveau
présumé des attentats du 16 mai 2003, arrêté
le 6 mars dans un autre cybercafé de la ville, avec
le Groupe salafiste pour la prédication et le combat (GSPC) algérien et le Groupe islamique combattant marocain (GICM), ou encore avec AlQaida et tous les djihadistes de la planète… Alors
que le monde, pourYoussef, commençait et finissait, il y a juste quelques semaines, à Sekouila,
son bidonville natal.
“Depuis le 16 mai 2003,nous avons reçu la visite
d’un seul et unique officiel marocain”, assurait, un
COURRIER INTERNATIONAL N° 859
13
■ A la une
Au lendemain
de l’explosion
d’un cybercafé
le 11 mars
à Casablanca,
les deux principaux
hebdomadaires
marocains
francophones,
Tel quel et Le journal
hebdomadaire,
s’intéressaient
au bidonville
où les deux
apprentis terroristes
ont grandi.
Clairvoyant, Tel quel
entendait donner
les clés pour
comprendre “ce qui
peut, demain
encore, se produire”.
Héroïsme de bas
étage. Dessin
de Hadid Haddad
paru dans Al-Hayat,
Beyrouth.
DU 19 AU 25 AVRIL 2007
an après les attentats qui avaient coûté la vie à
45 personnes, un habitant du bidonville Thomas.
Aujourd’hui, les jeunes des bidonvilles Sekouila
et Thomas disent toujours la même chose. “Nous
sommes maudits par les autorités”, explique Zoubir,
un jeune chômeur titulaire d’un BTS de soudure.
“Même le programme de réhabilitation lancé par le
roi lui-même n’a pas encore vu le jour !”… Comment expliquer ce désengagement et cette indifférence ? L’apathie d’un Etat qui a pourtant une
lourde responsabilité dans le “laxisme” qui a
conduit aux événements du 16 mai, du 11 mars
[puis du 10 avril] ? Est-il impossible de résorber
cet habitat insalubre générateur de clandestinité
et de terrorisme ? Pour les habitants de ces quartiers paupérisés à l’extrême, l’Etat rechigne à éliminer les bidonvilles. “Il n’y a pas de volonté politique concrète pour nous sortir de cette misère”,assène
un autre jeune qui a dû quitter la fac par manque
de moyens. Comme nombre de ses copains, il a
fait le tour des usines de la zone industrielle qui
borde Sidi Moumen à la recherche d’un emploi,
sans résultat. “Toutes les entreprises du coin refusent d’employer les chômeurs de Thomas et Sekouila”,
explique l’ex-étudiant. Pour le caïd [agent de l’autorité], des programmes de relogement sont bel
et bien en cours. Mais les “bidonvillois” refusent
la maigre compensation de 30 000 dirhams [environ 2 700 euros] par famille.
Des petits fonctionnaires qui vivaient dans
le bidonville ont pris la poudre d’escampette.
Résultat : il y a de moins en moins de modèles
d’ascension sociale dans le quartier. Les politiques, quant à eux, souffrent d’un gros déficit de crédibilité. Même le Parti de la justice et
du développement (PJD) et Al-Adl Wal-Ihsane
[deux formations islamistes], qui recueillaient
une certaine sympathie de la part des jeunes,
sont aujourd’hui vilipendés.
Pour endiguer la menace terroriste, le tour
de vis sécuritaire remplace la doctrine jugée passéiste de la surveillance pyramidale. Depuis des
années, des banlieues entières faites d’un magma
de constructions archaïques ont poussé comme
des bolets immondes, ceinturant les grandes
agglomérations. Le renseignement traditionnel,
submergé par la mobilité incessante de l’exode
rural, n’a pas suivi. Aussi, des kamikazes en herbe,
à l’image de ceux de Sidi Moumen, ont pu être
embrigadés et entraînés sans qu’on y prête attention. La seule réplique, tardive et désordonnée,
a été de rafler en masse, de torturer sans vergogne
en secret et de juger de manière expéditive tous
ceux qui, de près ou de loin, sont considérés
comme potentiellement activistes.
Raydi avait bénéficié en 2005 d’une grâce
royale après avoir été condamné à cinq ans de
prison dans le cadre de la loi antiterroriste votée
dans la foulée des attentats de Casablanca.
Comme beaucoup d’autres prisonniers de l’après16 mai, “Raydi a dû se radicaliser davantage dans
les geôles bondées d’islamistes”, analyse cet avocat
spécialisé dans les procès de fondamentalistes.
Les mères des bidonvilles Thomas et Sekouila,
peu loquaces, s’attendent déjà à une nouvelle
vague de rafles après l’attentat manqué de Raydi.
“Ils vont revenir chercher nos enfants pour en faire
des terroristes en prison”,lâche, dépitée, l’une d’entre
elles tout en remplissant un jerrycan d’eau à la
fontaine publique.
Ali Amar et Taïeb Chadi
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Page 14
e u ro p e
●
ALLEMAGNE
La famille divise l’Eglise catholique
Les attaques d’un évêque traditionaliste contre la politique familiale du gouvernement sèment la discorde au sein
de l’épiscopat. Pour certains, le choix entre le foyer et la vie active doit être l’objet d’un combat culturel
SÜDDEUTSCHE ZEITUNG
Munich
alter Mixa, évêque
d’Augsburg, défend une
opinion minoritaire
lorsqu’il qualifie d’“antisociale” l’ouverture de crèches supplémentaires. Il a également reproché à la
politique familiale de la ministre de la
Famille, Ursula von der Leyen, de
réduire le rôle des femmes à celui de
“machines à procréer”. Ses collègues
évêques ne sont pas du même avis. La
majorité sait bien que les gens qui
confient leurs enfants à des crèches ne
sont pas des parents indignes. Elle est
consciente que les femmes veulent travailler et que les familles, surtout les
familles monoparentales, ont besoin
d’argent. L’Eglise catholique elle-même
accueille des enfants dans de nombreuses crèches qui n’ont rien à voir
avec les vieilles institutions ou les monolithiques garderies de la RDA.
Pourtant, la critique de l’ambitieux
évêque fait mouche, surtout au sein de
l’Eglise. Seule une minorité d’Allemands, et notamment une minorité
des jeunes familles, partage ses positions. Même la CSU [la branche bavaroise et conservatrice des chrétiensdémocrates] a complètement revu sa
position sur la famille. Mais, au sein de
l’Eglise catholique, un noyau dur persiste à défendre l’idée qu’une femme
qui a des enfants devrait rester au foyer.
Cette minorité se sent montrée du
doigt et blessée dans ses choix de vie.
Elle prend confiance dans une Eglise
W
Dessin
de Carmen Segovia
paru dans
El País, Madrid.
qui découvre son côté conservateur, et
a trouvé un porte-parole en la personne
de l’évêque Mixa, dont la devise
semble être : “C’est en faisant du bruit
que l’on se fait entendre.”
Le principal allié de ce dernier est
Benoît XVI. En effet, l’appel du pape
demandant à l’Eglise de rester à l’écart
de la politique ne vaut pas pour les
questions liées à la famille. Par-dessus
tout lorsqu’il s’agit de la sauvegarde
du modèle familial traditionnel, pour
laquelle Rome a clairement pris position, encourageant les évêques à la
suivre en Italie, en Espagne ou au Brésil. Un évêque allemand ose interpeller ses confrères et les mettre sous pression : pourquoi ne montrent-ils pas
le même zèle à combattre la “dictature
du relativisme” décriée par le pape ? En
faisant cavalier seul, il irrite plus d’un
de ses collègues.
Le président de la Conférence
épiscopale, l’évêque de Mayence Karl
Lehmann, ne peut pas non plus être
certain du soutien de tous les évêques
quand il tente de calmer les esprits.
Une bonne partie de l’assemblée voit
ce genre de débat d’un bon œil et les
choses devraient encore se compliquer
lorsque se posera la question du financement des crèches. Certains membres
de la coalition gouvernementale voudront réduire les allocations familiales,
ce que contesteront tous les évêques
pour qui cette mesure reviendrait à
limiter le choix des femmes entre le
foyer et la vie professionnelle.
C’est l’occasion rêvée pour beaucoup d’hommes d’Eglise d’expliquer
que, dans son ensemble, la politique
familiale du gouvernement est erronée. Et d’engager un combat culturel.
L’évêque Mixa l’a déjà entamé : c’est
de la politique familiale que ses
collègues ont discuté lors de leur
assemblée générale, samedi dernier.
Et l’évêque d’Augsburg a participé à
une émission télévisée. Moins pour
changer le monde que pour changer
son Eglise.
Matthias Drobinsky
CONTEXTE
Plus de places
de crèche
■ La ministre de la Famille du gouvernement Merkel, la chrétienne-démocrate
Ursula von der Leyen, entend réformer
la politique familiale pour permettre aux
femmes d’être mères tout en travaillant.
Elle tente ainsi de lutter contre un taux
de natalité très bas chez les Allemandes.
Après avoir introduit en début d’année
une allocation parentale équivalant à
67 % du salaire pour les parents voulant
cesser de travailler un an afin de s’occuper de leur nouveau-né, elle se donne
pour objectif de faire passer le nombre
de places en crèche de 250 000 actuellement à 750 000 à l’horizon 2013.
Les propos de Mgr Mixa, qualifiant cette
politique familiale d’“hostile pour l’enfant et idéologiquement aveugle”, ont
suscité de vives réactions de la part des
sociaux-démocrates et des Verts, qui
demandent sa démission en tant qu’aumônier catholique des troupes allemandes. Le 14 avril, la Conférence épiscopale a appor té son soutien à la
ministre de la Famille. Mais, pour calmer
les clivages internes, son président,
Mgr Karl Lehmann, a mis en garde le gouvernement contre un soutien des mères
actives qui se ferait au détriment des
femmes au foyer. Car, selon lui, on
devrait laisser aux familles le choix du
mode de garde de leurs enfants.
I TA L I E
Benoît XVI à la manœuvre contre Prodi
Encouragés par le Vatican,
les évêques italiens contestent
le projet de PACS italien.
’entrée en scène du nouveau
président de la Conférence épiscopale italienne (CEI), Mgr Angelo
Bagnasco [archevêque de Gênes,
nommé le 16 mars par Benoît XVI],
appor te un style nouveau, plus
serein et moins autoritaire. Avec
son prédécesseur disparaît, du
moins formellement, l’aversion
implicite, le préjugé coriace envers
l’Olivier [la coalition de centre
gauche] sur lesquels le cardinal
Ruini, son prédécesseur, avait
fondé sa ligne politique.
Le fait est que M gr Bagnasco a
tenu à épurer le Family Day [une
manifestation prévue le 12 mai]
de toute coloration antigouvernementale, en lui donnant la tonalité
d’une fête de la famille. Mais l’in-
L
transigeance de fond sur la question des couples de fait demeure,
fermement maintenue par le pape
Benoît XVI, qui veut s’assurer de
l’allégeance des parlementaires
catholiques. Une intransigeance
que résume la déclaration papale :
“Aucune loi faite par les hommes
ne peut se substituer à la norme
écrite par le Créateur.” Où il est tenu
pour évident qu’il revient à la hiérarchie ecclésiastique de décider
de la qualité d’une loi. Le président
de la Conférence épiscopale s’est
d’ailleurs empressé de qualifier
d’“inacceptable et [de] dangereux”
le projet de loi sur les DICO [Droits
et devoirs des couples de fait].
Inutile de se voiler la face. Après
le référendum de 2005 sur la loi
sur la procréation assistée [où
l’Eglise avait invité avec succès les
électeurs à s’abstenir], le Family
Day est la seconde étape de la
montée au créneau de l’Eglise pour
s’imposer dans la politique intérieure italienne.
En 1980, Jean-Paul II avait convoqué le synode international des
évêques pour discuter de la famille.
En un quart de siècle, l’Eglise italienne n’avait jamais éprouvé le
besoin d’organiser une telle manifestation de masse au nom de la
défense de la famille. Elle se mobilise aujourd’hui alors qu’il s’agit
d’empêcher la mise en place d’une
législation déjà tranquillement
adoptée dans la plupart des pays
européens, souvent à l’initiative ou
avec le concours des partis démocrates-chrétiens.
L’idée est tout d’abord venue de
quelques organisations catholiques, prenant exemple sur l’offensive frontale de l’Eglise espagnole contre Zapatero. Mais c’est
la Conférence épiscopale qui, avec
COURRIER INTERNATIONAL N° 859
14
une détermination inflexible, a fait
asseoir les mouvements catholiques
autour d’une table avec l’objectif,
fixé par avance, de publier un
document unitaire et d’organiser
une manifestation de masse. Difficile de résister à l’injonction murmurée : c’est la volonté du pape. Le
schéma léniniste de la campagne
antiréférendum de 2005 est ici
reproduit à l’identique et met en
évidence une par ticularité exclusive de l’Italie que Benoît XVI s’est
choisie pour bastion dans l’Occident sécularisé. Il y a dans le pays
un immense éventail d’initiatives
et d’engagements d’inspiration religieuse, mais aucune association
n’a été consultée. C’est une exigence proférée du haut de la chaire
de Saint-Pierre, qui pénètre directement dans les hémicycles pour
énoncer ce qui peut et ce qui ne
doit pas se faire.
DU 19 AU 25 AVRIL 2007
La situation est bien différente en
Amérique, si souvent citée pour sa
religiosité par les évêques, les teocons [catholiques conservateurs]
ou les athées de choc. Aux EtatsUnis, chaque groupe religieux se
bat avec ses propres arguments
pour convaincre. Il y a des baptistes
fondamentalistes et des libéraux,
des épiscopaliens qui pensent
autrement que les adventistes, etc.
Aucun chef ne les oblige à manifester avec les autres ou se permet de leur donner des impératifs
de vote. Mais on notera ce détail
dans le paysage italien : les citoyens
répètent depuis des années dans
les sondages qu’ils respectent
l’Eglise, mais qu’ils ne veulent pas
que ce soit elle qui fasse les lois.
C’est maintenant à la classe politique de revendiquer fermement son
autonomie.
Marco Politi, La Repubblica, Rome
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R O YAU M E - U N I
Outre-Manche aussi, on débat de l’identité nationale
Depuis plusieurs mois, le probable futur Premier ministre Gordon Brown fait la promotion de la “britannicité”.
Mais, à quelques semaines d’élections cruciales en Ecosse, le concept manque de clarté, regrette un éditorialiste.
teur ? Son manifeste sur la britannicité
apaisera-t-il les tensions et saura-t-il
susciter un consensus national ?
Dans un article récent du Political Quarterly, Simon Lee, chercheur
à l’université Hull, ne se trompait pas
en prédisant que Brown tenterait de
définir sa vision comme la “voie britannique”, pour se démarquer de la
“troisième voie” de Blair. Se prévalant de son bilan positif à la barre
d’une économie britannique fondamentalement libérale, Brown ferait
du concept de britannicité la base de
sa politique intérieure et étrangère.
NEW STATESMAN
Londres
n ces dernières semaines
de l’ère blairiste, la GrandeBretagne semble traverser
une crise identitaire. La capture par l’Iran des quinze marins britanniques a constitué une cinglante
humiliation militaire qui, assure Téhéran, a réaffirmé la force de ses valeurs
“musulmanes”. Si fallacieuse que puisse
être cette affirmation, elle a surtout souligné à quel point nous sommes incertains des nôtres.
Les répercussions de ce fiasco ne
manqueront pas de se faire sentir à
l’heure où le pays se prépare à une journée qui mettra à l’épreuve notre sens de
la solidarité et soulèvera des questions
bien réelles sur ce que signifie être britannique au XXIe siècle.
Il peut paraître étrange d’évoquer
de simples élections locales en des
termes aussi pompeux. Mais l’imminente démission de Tony Blair [le Premier ministre pourrait quitter son poste
fin juin] confère à ce scrutin une dimension inédite. Les élections pour l’Assemblée du pays de Galles et le Parlement écossais, qui auront lieu le 3 mai
prochain, en même temps que les municipales, arrivent à un moment où la définition même de la “britannicité” [Britishness] est en train de changer.
En Ecosse, une victoire du Parti
national écossais (SNP) pourrait mener
à un référendum sur l’indépendance
d’ici à la fin de la décennie. Parallèlement, les élections locales devraient être
marquées par une avancée significative
du Parti national britannique (BNP,
E
UNE CONCEPTION NOSTALGIQUE
ET COLONIALE
extrême droite) en Angleterre, au détriment surtout des travaillistes. La formation Respect, qui associe la politique
de la gauche dure et de la droite
islamique, pourrait également gagner
du terrain, tandis que le Parti pour
l’indépendance du Royaume-Uni
(UKIP) reste une menace pour les
conservateurs.
Blair parti, il reviendra à son successeur de gérer cette crise identitaire
qui s’exprime si nettement dans la
montée en puissance des partis marginaux. Gordon Brown sera-t-il à la hau-
Dessin de Krauze
paru dans
The Guardian,
Londres.
Lee souligne toutefois un paradoxe :
une grande part de la révolution du
New Labour dans les services publics,
à laquelle Brown a adhéré et qu’il a
dans bien des cas provoquée depuis
son ministère des Finances, concerne
essentiellement l’Angleterre. Avant
même la création du Parlement écossais, le système d’éducation écossais,
par exemple, était depuis longtemps à
l’abri des ingérences du gouvernement
central. Au nord de la frontière, il n’y
a pas d’examen pour les élèves de primaire, pas de rectorats municipaux
et pas de frais de scolarité. Pour le
meilleur ou pour le pire, le système de
santé écossais a également été préservé
des réformes libérales mises en place
au cours de la dernière décennie par
le New Labour.
Dans Stronger Together [Plus forts
ensemble], un opuscule écrit pour la
Fabian Society [cercle de réflexion historiquement lié au Labour], publié ce
mois-ci et cosigné avec son jeune
protégé, le ministre des Transports
Douglas Alexander, Gordon Brown
étrille sans ménagement le SNP. Ce
texte est toutefois bien autre chose
qu’un simple tract contre l’indépendance de l’Ecosse. Fondamentalement, il place les valeurs écossaises au
cœur de la psyché nationale. “La voie
écossaise est toujours au centre de l’histoire britannique, défendant les idées de
‘citoyenneté active’, de ‘bon voisin’[sic],
d’orgueil civique et de domaine public”,
affirment Brown et Alexander.
Il arrive pourtant parfois que la
définition “brownienne” de la britannicité soit aussi nostalgique que
l’Angleterre de John Major. “C’est la
Grande-Bretagne que nous admirons, la
Grande-Bretagne riche de milliers d’associations bénévoles, de mutuelles, de syndicats professionnels, de compagnies d’assurances, de solidarité et de coopératives,
d’églises et de groupes confessionnels,
d’œuvres municipales – des bibliothèques
aux espaces verts –, et c’est la GrandeBretagne du service public.” C’est aussi
hélas une Grande-Bretagne qui ne
trouve pratiquement aucun écho chez
la plupart des moins de 40 ans.
Il existe un autre problème : la
Grande-Bretagne est une conception
coloniale par ses origines et reste associée à l’Empire dans bon nombre de
ses manifestations culturelles. Il est
donc difficile d’en faire le centre d’un
univers moral au lendemain d’une
guerre désastreuse que beaucoup, au
Moyen-Orient, considèrent comme
une aventure coloniale. Dans ce
contexte, la britannicité de Brown ne
paraît pas si admirable. Martin Bright
UNION EUROPÉENNE
Les déplacés du continent s’organisent
Des Caréliens aux Istriens, en passant
par les Allemands des Sudètes,
les associations se sont réunies
pour harmoniser leurs revendications.
es populations déplacées et dépossédées de leurs biens à la fin de la
Seconde Guerre mondiale ont décidé de
faire cause commune. Allemands de Prusse
orientale, des Sudètes ou de Silésie, Italiens d’Istrie et Caréliens de Finlande revendiquent ensemble leurs droits dans la nouvelle Europe.
Un ensemble hétéroclite de groupes ethniques a tenu son premier congrès commun à Trieste du 29 mars au 1er avril.
Depuis plus de soixante ans, chacun se
battait séparément pour ses droits, sans
succès. Aujourd’hui, tous ont décidé de
regrouper leurs ef for ts et fondent leurs
espoirs sur l’Union européenne et la Cour
européenne des droits de l’homme. “La
Déclaration universelle des droits de
l’homme et la Convention européenne des
L
droits de l’homme garantissent à tous le
droit à la propriété. En créant une grande
alliance de tous les peuples dépor tés et
expulsés, nous deviendrons une force qu’il
ne sera plus possible de négliger”, affirme
Veikko Saksi, de l’association Pro Karelia,
l’une des cinq associations caréliennes présentes à Trieste – la principale d’entre elles,
l’Alliance carélienne, manquait à l’appel.
Les initiateurs du projet représentent les
300 000 Italiens qui, après la guerre, ont
été contraints de quitter la péninsule
istrienne, aujourd’hui partagée entre la Slovénie et la Croatie. Avec les représentants
de 15 millions d’Allemands chassés de
leurs régions d’origine, actuellement situées
en Pologne, en République tchèque et en
Russie, ils ont élaboré le communiqué final
du congrès, qui souligne qu’une modification des frontières ne change rien au droit
de propriété. Les délégués finlandais, eux,
veulent y voir une possibilité de pouvoir
modifier les tracés. “Quand les régions
concernées appartiennent à l’Union euro-
péenne, peu importe finalement que ce soit
à tel ou tel pays d’Europe centrale. Mais la
situation est tout autre pour les Caréliens.
Les différences entre la Finlande et la Russie sont si grandes que les Caréliens ne
pourront jamais obtenir gain de cause en
Russie. C’est pourquoi nous sommes venus
demander que la proposition du congrès
n’exclue pas les ajustements de tracés frontaliers”, explique Veikko Saksi.
L’association italienne Unione Degli Istriani
a défini les objectifs de la future alliance. Le
premier est d’obtenir des réparations.
“L’Union européenne, les pays européens
et les Nations unies doivent reconnaître
qu’une grande injustice a été commise après
la guerre, que les populations déplacées se
sont vu menacer de génocide et que plusieurs millions de personnes ont perdu la
vie au cours de ces épreuves. L’UE doit instituer une journée nationale pour honorer la
mémoire des 18 millions de personnes
déplacées en Europe au cours du XXe siècle.
Le droit des personnes déplacées et de leurs
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DU 19 AU 25 AVRIL 2007
descendants de retrouver leur pays natal
doit être reconnu. Des mesures doivent être
prises afin de leur permettre de s’installer
et de s’intégrer dans un pays qui a été le
leur pendant plusieurs centaines d’années.”
La redistribution des propriétés de 1945 ne
risque-t-elle pas d’entraîner le chaos en
Europe ? “Peu me chaut. Tout ce qui m’intéresse, c’est que les Caréliens obtiennent
justice”, réplique l’avocat Kari Silvenoinen,
qui a réclamé la restitution à ses clients caréliens de propriétés situées en Russie. Mais
son expérience de la Cour européenne des
droits de l’homme de Strasbourg lui a laissé
un goût amer. “Lorsque j’ai assigné l’Etat
russe en justice, on ne m’a répondu que
trois mois plus tard, et en russe. Le tribunal
déclarait ne pas pouvoir instruire mon affaire,
au motif que je ne l’avais pas portée devant
les tribunaux russes au préalable. Aujourd’hui, je collabore avec des avocats de SaintPétersbourg, et une première assignation
Staffan Bruun,
en justice a été déposée.”
Hufvudstadsbladet, Helsinki
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GRÈCE
Athènes réinvente l’espace balkanique
En mal de partenaires stratégiques européens, la Grèce se tourne vers ses voisins avec l’ambition de devenir
le pôle de stabilité de la région. Une occasion à saisir pour la Croatie, estime un quotidien de Zagreb.
JUTARNJI LIST (extraits)
Zagreb
J
usqu’à l’entrée de la Bulgarie
dans l’Union européenne, cette
année, la Grèce n’avait pas de
frontière terrestre avec les autres
pays de l’UE. Pendant plusieurs décennies, le plus riche et le plus “rodé” des
pays du sud-est de l’Europe a été en
marge des événements politiques en
raison de son isolement géographique.
Dès la création de l’UE, des partenariats régionaux se sont constitués, de
l’axe moteur Berlin-Paris jusqu’à la
coopération étroite entre les pays scandinaves, en passant par le Benelux et
les pays méditerranéens, au sein desquels la Grèce a toujours été marginalisée face à l’Italie ou l’Espagne.
Entre-temps, une nouvelle génération d’hommes politiques grecs a vu
le jour, une génération soucieuse d’affirmer la puissance de son pays en
dehors de ces frontières. Mais où ? A
l’Ouest, l’espace était occupé par l’Italie ; à l’Est par la Turquie, avec laquelle
les relations sont toujours délicates.
Il ne restait donc que les Balkans, la
région qui devait donner plusieurs nouveaux membres à l’UE. Dans leur cheminement vers l’Europe, ces derniers
auraient sans doute besoin de l’aide
grecque et de son expérience européenne, s’est-on dit à Athènes.
La Grèce a une frontière terrestre
commune avec l’Albanie, au nord,
dans l’Epire, ainsi qu’une frontière
maritime, au large d’Igoumenitsa et
de Corfou, dont le potentiel touristique commence à intéresser les investisseurs grecs. De plus, selon des
sources officielles, les immigrés albanais travaillant en Grèce envoient
annuellement près d’un demi-milliard
d’euros dans leur pays d’origine, ce
qui contribue à la stabilisation économique de l’Albanie. Les sommes
qui circulent sur le marché noir sont
au moins égales, sinon supérieures,
aux chiffres avancés par les autorités
officielles. En Macédoine, qui n’a toujours pas réglé son différend politique
avec Athènes au sujet de son nom,
la Grèce est le principal investisseur,
notamment dans la reconstruction du
réseau routier. Depuis que la Bulgarie est entrée dans l’UE, Athènes a
développé des relations stratégiques
Dessin de Zierlein
paru dans The New
York Times Book
Review, Etats-Unis.
■
Financement
La Grèce a investi
entre 40 et
50 milliards d’euros
dans les Balkans
depuis 2002,
ce qui a permis,
selon des sources
officielles, de créer
quelque 200 000
nouveaux postes
de travail.
Le gouvernement
actuel a récemment
rendu public
son “Plan hellénique
pour la reconstruction
des Balkans”,
qui prévoit d’investir
un demi-milliard
d’euros
supplémentaire
dans la région d’ici
à 2011 ainsi
que de créer des
fonds de garantie
pour y attirer les
investisseurs privés.
avec Sofia. Traditionnellement, la
Grèce a de bonnes relations avec Belgrade et elle suit aujourd’hui la formation du nouveau gouvernement
serbe avec une grande attention, en
espérant que la Serbie reprendra rapidement le chemin européen.
CHEF D’ORCHESTRE D’UNE
“SYMPHONIE BALKANIQUE”
Elle s’inquiète de l’absence de compromis au sujet du statut du Kosovo
et considère qu’il faudrait donner
davantage de temps aux deux parties.
Elle regarde également avec un grand
intérêt ce qui se passe en Bosnie-Herzégovine, où elle est présente, avec ses
soldats et ses fonctionnaires interna-
tionaux, depuis le début de l’application des accords de Dayton [de
1995]. Pour composer ce que le président Carolos Papoulias a appelé un
jour une “symphonie balkanique” (ou
plus prosaïquement pour devenir le
centre de gravité de la région), la
Grèce a besoin de partenaires. Elle les
a déjà trouvés avec la Bulgarie et la
Roumanie, mais elle aspire à élargir sa
zone d’intérêts vers l’Europe centrale.
Là, elle s’est heurtée à la Slovénie, qui
prétendait, avec de bons arguments,
être “le pont” entre l’UE et les Balkans.
Ancienne République yougoslave,
cette dernière est économiquement
présente dans toute la région, et reste
liée par la langue et les réseaux aux
anciens membres de la Fédération.
Mais elle a un gros problème : plus les
initiatives régionales se multiplient,
plus les Slovènes affichent leur volonté
de se désengager de la région, jugée
trop instable. Reste la Croatie. Depuis
2000, les rencontres bilatérales se multiplient entre les deux pays, notamment
dans le cadre du Processus de coopération de l’Europe du Sud-Est
(SEECP). C’est le canal par lequel
Athènes veut construire “les nouveaux
Balkans”, et elle voit la Croatie comme
l’un de ses alliés dans ce projet.
Athènes et Zagreb, comme les
deux pôles d’un espace qui attend toujours une stabilisation durable, pourront exercer une influence bénéfique
sur les processus en cours. Notamment celui du nouvel Accord de libreéchange d’Europe centrale (CEFTA),
qui va au-delà des Balkans.
C e s activités communes, entre
Zagreb et Athènes, ne devraient en
aucun cas mettre en question les liens
tissés par la Croatie avec ses pays voisins d’Europe centrale et l’Italie. Le
projet de modernisation du corridor
européen X, que cela soit le réseau
routier ou ferroviaire, ainsi que le renforcement de la coopération dans le
cadre de la construction du futur corridor entre la mer Adriatique et la mer
Egée sont dans l’intérêt commun de
Zagreb et d’Athènes. Les deux pays
partagent aussi le même intérêt stratégique pour installer une fois pour
toutes la paix et la stabilité dans la
région dont ils sont les deux pôles
extrêmes. Une occasion qui doit être
saisie malgré les avertissements de
ceux qui, à Zagreb, clament qu’“on
n’a pas besoin des Balkans”. Car même
les Balkans sont en train de changer.
Zeljko Trkanjec
V U D ’ AT H È N E S
Un eldorado pour les touristes et les PME
■ Les Grecs n’ont pas attendu l’entrée des
pays des Balkans dans l’Union européenne
pour y investir, s’y enrichir et les revisiter.
Ils semblent en ef fet redécouvrir la région
après vingt ans d’ignorance. Selon les derniers chiffres, près de 25 000 Grecs s’y rendent pour Pâques, Noël et même pendant
l’été. La religion crée une proximité, la distance est réduite et, surtout, les prix défient
toute concurrence. Il est ainsi plus économique
d’aller en Roumanie ou en Bulgarie pour un
séjour tout compris que de prendre un vol
simple pour une île des Cyclades.
Ce sont les entreprises grecques qui ont
ouver t la voie aux touristes. Les délocalisations des sociétés grecques vers les pays balkaniques sont un phénomène inévitable, car
les charges et les taxes y sont bien moins élevées qu’en Grèce. Depuis la fin des années
1990, les entrepreneurs grecs qui peinent à
surmonter leurs difficultés quotidiennes n’hésitent pas à traverser la frontière. Sur place,
ils trouvent une main-d’œuvre bon marché,
mais surtout très enthousiaste et férue de la
langue et des coutumes grecques.
Au-delà de cet eldorado économique, les Balkans attirent également les Grecs en quête
de rêve. Beaucoup aspirent à devenir entrepreneurs, mais peu d’entre eux y par viennent. L’ouverture des pays de la région a permis à beaucoup de Grecs de gravir des
échelons en passant de l’autre côté de la
frontière. C’est ce qui est arrivé à Dimitri Tzikas. Simple employé dans une entreprise privée, il a fondé Elvial, une petite entreprise
familiale qui déclare aujourd’hui un chiffre
d’af faires annuel de 39 millions d’euros.
Dimitri a connu tous les échelons dans son
métier. Après avoir débuté comme stagiaire
dans une société de fabrication de volets en
aluminium, il est devenu, au fil des ans, directeur de production. Il a ensuite changé d’entreprise mais pas de secteur, et a pu se spécialiser dans l’aluminium.
COURRIER INTERNATIONAL N° 859
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DU 19 AU 25 AVRIL 2007
Un matin de 1997, Dimitri a décidé de franchir le pas. Il a vendu son appartement pour
quelques millions de drachmes [quelques milliers d’euros] et a emprunté des fonds à la
banque pour créer sa propre société. Il a fait
ce que faisaient alors tous les entrepreneurs :
il a tenté d’investir en Grèce, mais sans grand
succès à cause de la chute brutale des cours
de la Bourse qui a endetté beaucoup de
jeunes entrepreneurs. Les Balkans sont alors
apparus à Dimitri comme la solution la plus
fiable pour rebondir. “Il était devenu difficile
de s’imposer dans le secteur en Grèce et les
Balkans nous tendaient les bras”, expliquet-il. Il a alors installé sa société familiale de
l’autre côté de la frontière, en Bulgarie, et il
ne lui a fallu que quelques mois pour qu’elle
devienne rentable. Depuis, Elvial s’est développée et plusieurs filiales ont été créées :
Elvial Bulgaria, puis Elvial Romania et maintenant West Balkans Doo.
Christos Ioannou, Eleftherotypia, Athènes
Publicite
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R É P U B L I QU E T C H È QU E
Vaclav Klaus, Monica Lewinsky et le changement climatique
En l’espace de quelques heures, le président tchèque est devenu grâce à Internet l’idole de ceux qui,
aux Etats-Unis, contestent la réalité du réchauffement de la planète.
REFLEX
Prague
uel est le point commun
entre le président tchèque
Vaclav Klaus et l’ancienne
stagiaire de la MaisonBlanche Monica Lewinsky ? Les deux
ont acquis une vraie célébrité médiatique aux Etats-Unis grâce au journaliste très controversé du web qu’est
Matt Drudge.
Klaus est devenu en une nuit l’un
des porte-parole phares de ceux que
l’on appelle aujourd’hui, gravement
ou ironiquement, “les négationnistes”
du réchauffement climatique. Des parlementaires américains sont alors
venus demander au président de les
rejoindre dans leur combat contre l’ancien vice-président Al Gore. Ce dernier, il faut le rappeler, a en effet pris
la tête d’un mouvement qui considère,
au contraire, les changements climatiques comme une menace grave et
dangereuse. Deux questions s’imposent à nous : la première est intéressante, l’autre essentielle.Tout d’abord :
comment est-ce arrivé ? Ensuite :
quelle signification cela a-t-il pour la
République tchèque ?
Le fait que Klaus doive sa soudaine
célébrité “climatique” à Internet, un
média pour lequel il affichait dans les
années 1990 un certain scepticisme,
pour ne pas dire un vrai mépris, est
paradoxal ; le même scepticisme qu’il
a aujourd’hui pour les conséquences
du réchauffement de la planète. Il est,
en effet, quasiment certain que c’est
sur Internet que la droite américaine
a trouvé les prises de position de Klaus
sur le sujet, plus particulièrement en
lisant les pages du célèbre site Drudge
Report, qui a publié, début février, la
traduction en anglais d’une interview
Q
Dessin paru dans
The Economist,
Londres.
qu’avait accordée Klaus au journal économique tchèque Hospodarske Noviny.
Matt Drudge, ancien employé
d’un magasin de souvenirs, est devenu
à la fin des années 1990 le journaliste
le plus célèbre de la Toile américaine :
Il fut le premier à informer le monde
de la relation de Bill Clinton avec sa
stagiaire Monica Lewinsky. Drudge
est lui-même un contestataire acharné
de la thèse du réchauffement climatique. Il n’est donc pas surprenant
qu’il ait trouvé à son goût les déclarations de Klaus sur l’“environnementalisme alarmiste”, sur les “mythes climatiques” ou sur la forfaiture d’Al
Gore. Les blogueurs se sont aussitôt
chargés de diffuser abondamment le
texte. Le journal Hospodarske Noviny
est devenu tout à coup le média
centre-européen le plus cité et Vaclav
Klaus s’est transformé dans la foulée
en idole des blogueurs de la droite
conservatrice américaine.
Cet aspect ne saurait être sousestimé. La blogosphère proche des
conservateurs américains ne peut être
considérée comme un petit recoin isolé
et bizarre du web, mais comme une
force très influente, parfaitement
intégrée aux institutions académiques
en vue, alimentant les groupes de
réflexion des “vrais” hommes politiques. Lorsque le papier de Klaus
et les liens vers sa traduction anglaise sont apparus, en février,
dans une centaine de sites,
comme lorsque Klaus s’est luimême rendu aux Etats-Unis, la
controverse n’a fait que se développer. La tentation a même été
forte de transformer Klaus en
contradicteur direct d’Al Gore.
Les blogueurs de droite adorent Klaus.
Rien d’étonnant. Ses opinions sont
provocatrices, solidement argumentées
et formulées avec brio. On ne peut pas
lui nier un certain charisme intellectuel, qui transparaît également dans
ses textes. Et surtout, Klaus est un
homme d’Etat. Cela fascine nombre
de blogueurs qui, sur leurs sites, se perdent en conjectures sur la probabilité
qu’existe, au sein de ce minuscule
espace européen postcommuniste sans
importance, un pays assez remarquable
pour avoir un tel président !
Là se trouve la réponse à la seconde question. Si Vaclav Klaus était
un homme politique du passé (comme
Al Gore), un écrivain à succès (comme
Michael Crichton) ou un journaliste
avide de notoriété (comme Matt
Drudge), on n’aurait su imaginer un
meilleur coup pour le hisser au rang
de guide spirituel des anti-environnementalistes. Chapeau !
Mais Vaclav Klaus est un chef
d’Etat en fonction. Sa renommée et le
respect qu’il est censé inspirer ne sauraient reposer sur une sorte de provocation intellectuelle, si brillante soitelle. C’est une bonne chose que le
président tchèque ne soit pas allé à
Washington pour affronter personnellement Al Gore. Il a répondu par courrier au Congrès. Bien. Mais maintenant il se doit de faire marche arrière
dans cette affaire. Ou bien d’attendre
le moment où il ne sera plus président
de la République pour continuer à
débattre du réchauffement de la
planète.
Milos Cermak
V E R B AT I M
“Pire que Marx”
■ Le texte de Vaclav Klaus a été lu le
21 mars au Congrès américain lors
d’une audition publique consacrée au
changement climatique. “Le communisme a été remplacé par la menace d’un
environnementalisme ambitieux”, écrit
le président tchèque dans son texte. “Le
raisonnement des écologistes s’appuie
sur des observations incomplètes et sur
des données qui ne peuvent nullement
justifier des conclusions catastrophiques.” Selon lui, les défenseurs de
l’environnement “ignorent intentionnellement le fait prouvé depuis longtemps
que, plus la société est riche, plus la qualité de l’environnement est grande. […]
Leur idéologie prône le respect de la
Terre et de la nature, et en prétextant
leur protection – tout comme le faisaient,
à l’époque, les marxistes –, elle veut
remplacer l’évolution spontanée de l’humanité par une sorte de planification centralisée, et maintenant mondialisée”.
RUSSIE
Le tourisme extrême a de beaux jours devant lui
epuis 2001, une poignée de fortunés
ont pu gagner la Station spatiale internationale (ISS) à bord d’un vaisseau russe
Soyouz. Quatre Américains et un Sud-Africain,
mais pas un Russe. Ce n’est pas l’envie qui
manque. Plusieurs gouverneurs russes souhaiteraient faire le voyage, d’après Anatoli
Perminov, le patron de l’agence spatiale russe
Roskosmos, cité par Vedomosti. Par ailleurs,
les sondages montrent que leurs concitoyens
voient d’un bon œil le développement du tourisme spatial en Russie ; 31 % d’entre eux
sont même désireux d’y participer.
“Il est clair que la demande en matière de
tourisme extrême est énorme en Russie,
note Vedomosti dans un éditorial. Cependant, l’amateur le plus exigeant de vacances
hyperactives peut réaliser ses rêves les plus
fous sans aller dans l’espace. Il existe en
Russie de hautes montagnes et des volcans
D
pour les alpinistes, des fleuves jalonnés de
rapides pour le rafting, et de nombreuses
par ties de la route de la Kolyma [la plus
longue de Russie, elle s’étend de Magadan
à Iakoutsk sur près de 1 500 km, en Sibérie] ou de celle reliant Tchita à Khabarovsk
[en Extrême-Orient russe] satisferont les fans
de rallye automobile sauvage.”
Mais ce n’est pas tout. Selon Vedomosti,
“bien que peu répandu jusqu’à présent, le
tourisme militaire offre un grand potentiel
en Russie : vous pourrez par exemple vous
initier au pilotage d’un avion de combat ou
à la balistique en tirant des obus de char”.
En collaboration avec l’armée russe, plusieurs agences de tourisme proposent des
services bien particuliers où les clients peuvent tirer à la kalachnikov ou faire une promenade dans un char T-34, selon les Novyé
Izvestia. “Nous avons passé des contrats
officiels avec des structures militaires, nous
leur louons les armes et la technique”,
confient des employés de deux agences spécialisées qui veulent rester anonymes. Mais
le tourisme militaire coûte cher. “Sur cent
clients potentiels, pas plus de cinq personnes mettront les pieds sur une base terrestre ou aérienne. Le prix dissuadera les
autres”, explique-t-on. Comptez pas moins
de 5 000 roubles [150 euros] pour vider
le chargeur d’une arme automatique et des
dizaines de fois plus pour une virée en blindé
avec tir d’obus.
Le coût n’est pas le seul obstacle. A l’instar
du tourisme spatial, la sélection est particulièrement sévère. Le tourisme militaire est
également accessible aux étrangers, qui ont
besoin d’une autorisation spéciale et payent
un tarif plus élevé. “Avant tout, la société
vérifie les informations figurant sur le pas-
COURRIER INTERNATIONAL N° 859
18
DU 19 AU 25 AVRIL 2007
seport, puis ce sont les organes de l’armée
qui s’en chargent à leur tour.”
Mais, pour profiter de ce genre de services, mieux vaut passer par l’intermédiaire d’une agence. “Les services d’Etat
eux-mêmes n’ont pas le droit de faire du
tourisme militaire”, affirme le patron d’une
de ces agences.
Reste que la tentation était trop forte pour
deux officiers de la région d’Ekaterinbourg
qui ont été arrêtés début avril 2007 pour
“vol et extorsion d’armes, de munitions et
de matières explosives” et “usurpation de
prérogatives”. Les deux officiers proposaient
illégalement de tirer à l’arme automatique
et au lance-roquettes. Ils ont été piégés par
des agents de l’armée et du FSB [ex-KGB]
qui se sont fait passer pour des clients. Pour
les agences de tourisme militaire, cela fait
de la concurrence en moins.
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amériques
●
É TAT S - U N I S
Fin de règne à la Banque mondiale
Accusé de népotisme, mais aussi critiqué pour les incohérences de sa politique et de ses choix, Paul Wolfowitz
semble condamné à démissionner – même si George W. Bush continue à le soutenir publiquement.
THE INDEPENDENT
Londres
aul Wolfowitz est remarquablement doué pour susciter la polémique. Il y a
les controverses mineures,
comme le jour où, dans son actuelle
incarnation de président de la Banque
mondiale, il a montré ses chaussettes
trouées en se déchaussant lors d’une
visite dans une mosquée turque, au
début de l’année. Ce haut fonctionnaire international généreusement
payé est-il à ce point avare qu’il ne
puisse débourser quelques dollars
pour s’en acheter de neuves ? Et puis
il y a les controverses un peu plus
sérieuses, parmi lesquelles la guerre
en Irak, dont il fut l’un des partisans
les plus enthousiastes et l’un des principaux artisans en tant que secrétaire
adjoint à la Défense. M. Wolfowitz,
on s’en souvient, était convaincu que
les envahisseurs américains seraient
accueillis en libérateurs et que l’occupation ne demanderait pas plus de
100 000 soldats. A n’en pas douter,
ce sont là deux des erreurs de jugement les plus désastreuses de ces derniers temps.
Wolfowitz se trouve aujourd’hui
en grande difficulté, cette fois du fait
de la promotion et des généreuses augmentations de salaire octroyées à sa
compagne, qui occupait auparavant
un poste à responsabilités au sein de
la Banque mondiale. Shaha Riza est
une Britannique d’origine libyenne qui
a grandi en Arabie Saoudite. Elle vit
avec M. Wolfowitz depuis la rupture
du mariage de celui-ci, en 2001. Leur
liaison est devenue publique lorsque
M. Wolfowitz a succédé à James
Wolfensohn à la tête de la Banque
mondiale, en juin 2005. Il a commencé par tenter de maintenir sa
compagne à son poste de responsable
de la communication du département
Moyen-Orient, alors que les règles
éthiques de l’organisation l’interdisent formellement. Puis l’intéressée a
fini par être détachée au département
d’Etat, tout en continuant à être payée
par la Banque mondiale. Elle a alors
bénéficié d’une promotion et de deux
augmentations de salaire bien au-dessus des normes institutionnelles, ce
qui a porté ses émoluments à
193 000 dollars [142 000 euros], un
traitement supérieur à celui de la
secrétaire d’Etat, Condoleezza Rice.
Au sein du personnel de la
Banque mondiale, l’indignation a été
générale et compréhensible. La réputation de néoconservateur qui colle à
M.Wolfowitz – et son identification à
la guerre de George Bush en Irak –
en avait fait dès le départ un président
impopulaire. Depuis sa nomination,
son cheval de bataille était la lutte
contre la corruption, à la fois dans les
CWS-CAI
P
Le président de
la Banque mondiale
Paul Wolfowitz
donne une grosse
augmentation
à sa chérie
et collaboratrice.
Sur le panneau :
Ma Banque mondiale.
- Eh, j’essaie de lutter
contre la pauvreté
dans le monde…
- Charité bien
ordonnée commence
par soi-même.
Dessin de Danziger,
Etats-Unis.
Congédié ?
Les représentants
des principaux pays
membres du Conseil
d’administration
de la Banque
mondiale, à qui
revient la décision
de destituer ou non
Wolfowitz, sont
divisés. Les pays
européens y sont
favorables, mais
le président
de la Banque
bénéficie encore
du soutien du Japon
et de pays africains.
pays bénéficiaires de l’aide de la
Banque et parmi les salariés de l’organisation. Or l’affaire de Shaha Riza
n’était-elle pas un exemple, si ce n’est
de corruption, du moins de favoritisme et de népotisme, ces défauts du
tiers-monde contre lesquels Wolfowitz
faisait précisément campagne ?
Le syndicat du personnel de la
Banque mondiale ayant officiellement
protesté, M.Wolfowitz s’était engagé,
dans un courriel adressé le 2 avril aux
salariés, à laisser le syndicat avoir libre
accès au dossier, tout en assumant
l’“entière responsabilité” des faits. Entretemps, Mme Riza a quitté le département d’Etat pour rejoindre la Fondation pour l’avenir, une organisation
internationale financée par les EtatsUnis dont la principale mission
consiste (on s’en serait douté) à promouvoir la paix et la démocratie au
Moyen-Orient et en Afrique du Nord.
À UNE EXCEPTION PRÈS, IL N’Y A
PAS DE “DOCTRINE WOLFOWITZ”
Paul Wolfowitz – dont la démission est
maintenant réclamée de toutes parts,
mais qui garde le soutien de la Maison-Blanche – est un homme au lourd
passé. Lorsqu’il a été désigné par le
président Bush, en 2005, pour diriger
la Banque mondiale, une enquête
interne a révélé que 90 % du personnel était hostile à ce choix. Le véritable
problème dans sa nomination à des
postes de haute responsabilité, que ce
soit à la Banque mondiale ou au Pentagone, réside dans ses piètres qualités
de gestionnaire. Comme l’a écrit le
journaliste – et spécialiste de la “cour
de Bush” – Bob Woodward dans son
dernier ouvrage, State of Denial (Etat
de déni), c’est l’une des raisons pour
lesquelles on lui a préféré Paul Bremer
COURRIER INTERNATIONAL N° 859
20
pour occuper le poste de proconsul en
Irak après l’invasion de 2003. “Le secrétaire adjoint à la Défense était un penseur, écrit Woodward, mais il parvenait
tout juste à tenir son propre bureau.”
A une seule exception près, il n’y
a pas de “doctrine Wolfowitz”. Les responsables de la Banque mondiale sont
en train de revoir leur stratégie pour
privilégier non plus les programmes
sociaux, comme l’éducation et la
santé, mais des projets visant à promouvoir la croissance économique.
Et les buts que l’organisation s’était
fixés pour aider les populations les
plus pauvres sont loin d’être atteints.
Le premier sommet du G8 auquel
M. Wolfowitz a assisté était celui de
Gleneagles, en juillet 2005, où les leaders mondiaux se sont engagés à doubler l’aide à l’Afrique d’ici à 2010 et à
annuler des milliards de dollars de
dette des pays les plus pauvres. Or le
montant que la Banque mondiale a
prêté l’an dernier à l’Afrique représente 1 milliard de dollars de moins
que celui de l’année précédente.
James Wolfensohn a été le premier
président de l’organisation à s’en
prendre officiellement au “cancer de
la corruption” qui sévit dans beaucoup de pays emprunteurs, rompant
ainsi avec la règle implicite qui veut
que la politique de la Banque mondiale ne soit pas orientée vers le développement. A bien des égards, la
nouvelle orientation se justifiait parfaitement : quelque 20 % de l’aide
étrangère serait absorbée par la corruption, et il est incontestable que
l’aide est plus efficace quand elle est
accordée à des pays ayant des dirigeants compétents et des fonctionnaires honnêtes. M.Wolfowitz n’a pas
seulement fait de la croisade antiDU 19 AU 25 AVRIL 2007
corruption son cheval de bataille ;
il semble également l’avoir menée de
façon arbitraire et imprévisible. On
peut élever deux grandes objections
contre cette volonté de faire de la lutte
contre la corruption le Saint-Graal
d’une politique de développement :
d’une part, la corruption et la réussite
économique ne s’excluent pas forcément l’une l’autre (il suffit de voir la
Chine) et, d’autre part, quand la
Banque mondiale n’accorde pas
d’aide, elle lèse les citoyens les plus
faibles et les plus pauvres du pays
qu’elle est censée aider.
Mais la manière aléatoire dont
M.Wolfowitz a sanctionné la corruption a fait naître un troisième soupçon :
l’idée que sa liste noire avait été établie
non pas par la Banque mondiale, mais
par le gouvernement Bush. Sous la
pression, M.Wolfowitz a fini par accepter un compromis en vertu duquel les
prêts ne seraient suspendus que dans
des “circonstances exceptionnelles”.
DE NOUVELLES CHAUSSETTES
N’Y FERONT RIEN
Mais il est peu probable que cette
avancée sauve l’ère Wolfowitz à la
Banque mondiale. L’usage veut que
le président de l’organisation soit
nommé par le gouvernement américain, son plus gros actionnaire, pour
une durée de cinq ans, si bien que,
dans l’hypothèse où un démocrate
serait élu à la Maison-Blanche en
2008, le mandat de M. Wolfowitz a
peu de chances d’être renouvelé lorsqu’il arrivera à expiration, en 2010 (en
admettant, bien sûr, que l’affaire Riza
n’y ait pas mis un terme plus tôt).
Quoi qu’il advienne, l’homme
auquel Paul Wolfowitz sera comparé
est Robert McNamara. Les deux
hommes ont beaucoup de choses en
commun. Tous deux sont passés du
Pentagone à la Banque mondiale et
ont été associés à des guerres impopulaires. Mais les ressemblances
s’arrêtent là. McNamara a manifestement utilisé la Banque mondiale
pour se racheter du Vietnam et a été
le président le plus puissant de l’histoire de l’organisation. En revanche,
M. Wolfowitz, comme son ancien
maître à la Maison-Blanche, n’a jamais admis – du moins en public –
une responsabilité dans la débâcle en
Irak. A vrai dire, certains pensent qu’il
utilise la Banque mondiale comme
un autre moyen d’apporter la démocratie au monde en développement
– objectif que la guerre en Irak était
précisément censée remplir au
Moyen-Orient.
Ce grand projet a avorté, et il se
pourrait bien que la conduite de la
Banque mondiale par M. Wolfowitz
ne soit bientôt guère plus fructueuse,
même avec une nouvelle paire de
chaussettes.
Rupert Cornwell
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Des gays armés
jusqu’aux dents
ondés en 2000 à Boston par le
militant libertarien Douglas
Krick, les Pink Pistols [Pistolets roses] sont une organisation qui
encourage les gays, les lesbiennes et
les transsexuels à s’armer pour prévenir les crimes homophobes. Moitié
club de tir, moitié plate-forme politique, le groupe a pour slogan “Les
homos armés ne se font pas tabasser”
et “Attaque-toi à quelqu’un de ton calibre.” Depuis sa création, l’organisation a constitué plus de quarante sections sur tout le territoire et suscite
une belle controverse. Nicki Stallard,
une transsexuelle qui anime la section
de San Jose, estime cependant que les
Pink Pistols n’aspirent que ce à quoi
tous les Américains devraient avoir
droit : pouvoir se promener dans la rue
sans craindre pour leur vie. Pour elle,
le droit de porter une arme n’est pas
seulement un principe fondamental,
mais une assurance-vie.
Les Pink Pistols sont néanmoins
devenus un sujet brûlant que les organisations homosexuelles, tout comme
le lobby des armes à feu, n’abordent
qu’avec prudence – quand ils osent
l’aborder. Nicki Stallard confirme :
“En privé, la National Rifle Association
[NRA, puissant lobby des armes à feu]
nous soutient, mais elle connaît des dissensions internes à ce sujet.”
“Notre organisation n’a qu’une seule
préoccupation, précise Ashley Varner,
la porte-parole de la NRA, interrogée pour cet article. Nous soutenons le
droit de tout Américain respectueux des
lois à porter une arme, mais nous ne prenons pas position sur les droits de groupes
spécifiques.”
Douglas Krick souligne cependant
que les plus grandes critiques – voire
l’hostilité ouverte – ne viennent pas
des conservateurs mais de la communauté homosexuelle. “On a reçu
pas mal de soutien de la part des partisans des armes à feu. Mais quand on s’est
tournés vers la communauté gay, on s’est
heurtés à un mur”, confie-t-il.
La Human Rights Coalition
[Coalition des droits de l’homme] et
Parents and Friends of Lesbians and
Gays [Association des parents et amis
des gays], deux des plus grandes organisations homosexuelles et transsexuelles du pays, ont refusé de s’exprimer pour cet article.
“Beaucoup de ces associations sont
fortement ancrées à gauche et leurs
membres considèrent les armes à feu
comme mauvaises et dangereuses, explique Krick. Résultat, quand on est
arrivés, elles avaient déjà pris leur décision à notre égard.”
Scott Tucker compatit. Porteparole de Log Cabin Republican, le
mouvement des gays et lesbiennes du
Parti républicain, il a l’habitude des
préjugés et des railleries. “Les Pink
Pistols sont tout simplement la preuve
que les gays et les lesbiennes n’entrent pas
toujours dans des cases politiques prédéfinies. Pour chaque question, y compris
les armes à feu, on trouve des homosexuels dans les deux camps.”.
Sarah Klein, AlterNet,
San Francisco
F
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É TAT S - U N I S
Trop de mineurs dans les prisons pour adultes
Depuis le début des années 1990, une majorité d’Etats jugent et condamnent les mineurs délinquants comme
des personnes majeures. Les effets pervers de cette politique répressive commencent à se faire sentir.
THE CHRISTIAN SCIENCE MONITOR
Boston
eith Pearl était avec trois
amis quand l’un d’eux a
dérobé deux paires de
chaussures de sport, deux
tee-shirts et six paires de chaussettes
à un camarade de classe. Keith a juré
qu’il n’avait rien à voir avec le vol et
qu’il se trouvait juste au mauvais
endroit au mauvais moment. Néanmoins, deux chefs d’accusation de vol
à main armée ont été retenus contre
lui et il a été placé en détention dans
la prison pour adultes du comté de
Cook. Au regard de la loi de l’Illinois,
ce lycéen de 17 ans est en effet considéré comme un adulte. Après plusieurs semaines passées en prison, il
a finalement bénéficié d’une probation et a été remis en liberté.
K e i t h Pe a r l f a i t p a r t i e d e s
200 000 jeunes Américains de moins
de 18 ans qui ont été jugés comme des
adultes en 2006. Ce chiffre a connu
une progression de plus de 200 % par
rapport au début des années 1990,
époque à laquelle de nombreux Etats
ont voté des lois permettant de traiter
certains délinquants mineurs comme
des personnes majeures.
K
DES ENFANTS DE 14 ANS AU
MILIEU DE CRIMINELS ENDURCIS
L’objectif de ces lois était de garantir
que les jeunes criminels les plus violents – les meurtriers ou les violeurs –
ne soient pas automatiquement remis
en liberté à leur majorité. Pourtant,
un récent rapport du groupe Campaign for Youth Justice, une organisation à but non lucratif favorable à
une réforme du système judiciaire
pour les mineurs, a révélé que la majorité des jeunes jugés en tant que
Dessin de Michael
Morgenstern
paru dans
The Washington
Post, Etats-Unis.
■
Chiffres
Les Etats-Unis
ont la plus
importante
population carcérale
des pays disposant
de statistiques.
En 2006,
2,2 millions
de personnes
étaient incarcérées
aux Etats-Unis,
1,5 million
en Chine,
870 00O en Russie.
De 1980 à 2005,
indique le Bureau
of Justice Statistics,
le taux
d’incarcération
est passé de 139
à 491 pour
100 000 personnes.
majeurs et actuellement emprisonnés
dans des pr isons pour adultes
n’étaient pas des criminels violents.
“Aujourd’hui, il y a des enfants
de 14 ou 15 ans qui vivent une étape cruciale de leur vie au beau milieu de criminels endurcis”, déplore Ned Loughran, directeur exécutif du conseil des
chefs d’établissements pénitentiaires
pour mineurs de Braintree, dans le
Massachusetts. “A moins d’être condamnés à une peine de prison à perpétuité, ils
seront remis en liberté tôt ou tard et seront
alors plus dangereux que s’ils avaient été
placés dans des centres pour mineurs où
ils auraient pu être aidés.”
Actuellement, quarante Etats ont
des lois qui leur permettent de juger
et de condamner des jeunes délinquants sous le même régime que les
adultes. Dans certains Etats, notamment le Connecticut, tout mineur âgé
de plus de 15 ans est automatiquement traité comme un adulte, quel
que soit le délit qu’il ait commis. Dans
d’autres Etats, comme l’Illinois, c’est
aux juges qu’il revient de décider si
les mineurs doivent être traités
comme des adultes, même si certains
crimes violents entraînent de toute
façon les mêmes sanctions, que leur
auteur soit ou non mineur.
UNE NOUVELLE RACE DE JEUNES
“SUPERPRÉDATEURS”
Bon nombre de ces lois ont été adoptées au début des années 1990, alors
que la criminalité atteignait des
records et que les criminologues
conservateurs parlaient d’une nou-
velle race de jeunes “superprédateurs”.
Mais, outre le fait que la majorité des
mineurs incarcérés dans les prisons
pour adultes ne sont pas des criminels violents, de nouvelles études
montrent également que les mineurs
placés dans des centres de détention
pour adultes sont bien plus exposés
aux risques d’agression. Ils présentent
aussi des taux de récidive nettement
supérieurs aux jeunes incarcérés dans
des centres pour mineurs.
“Il faut toutefois rappeler, à la
décharge des législateurs de ces Etats,
que lorsqu’ils ont voté ces lois, parfois en
toute hâte, ils ne disposaient pas des
informations que nous avons aujourd’hui”, souligne Liz Ryan, directeur
exécutif de l’organisation Campaign
for Youth Justice.
A la suite de la publication de ces
récentes études, quelques Etats ont
commencé à réviser leur législation.
D’autres ont mis en place des commissions afin d’étudier la question.
Certains criminologues conservateurs, toutefois, avancent que ce
sont justement ces législations qui
ont permis de réduire la criminalité
dans les années 1990. Selon eux, ces
lois font leur office. “Normalement,
quand un mineur est transféré dans le
système classique, c’est parce qu’il a un
long passé criminel”, explique David
Muhlhausen, analyste politique au
Heritage Foundation, un think tank
conservateur.
De son côté, Keith Pearl a suivi
les cours du soir pendant son incarcération. Aujourd’hui diplômé, il
espère entrer à l’université. Mais la
condamnation qui entache son casier
judiciaire réduit ses chances d’obtenir un prêt pour pouvoir s’inscrire
à l’université.
Alexandra Marks
É Q U AT E U R
Victoire indiscutable pour Rafael Correa
a large victoire du “oui” au référendum
du dimanche 15 avril, avec plus de 80 %
des suffrages selon les premiers résultats
partiels, renforce le pouvoir du président
(socialiste) Rafael Correa. Pour le quotidien
Hoy, ce résultat “ne laisse aucun doute
quant au choix des Equatoriens : ils veulent
qu’une Assemblée constituante puisse porter la volonté de changement du pays”. Tandis qu’El Comercio surenchérit dans son
éditorial : “Cela ne donne lieu à aucun
doute, à aucun soupçon.” El Universo, quotidien de Guayaquil, affirme pour sa par t
que “le débat est clos. Le peuple s’est prononcé et nous devons tous accepter sa résolution. Aucune manœuvre ou subterfuge ne
doit escamoter cette volonté.”
Rafael Correa, qui ne dispose d’aucun
député au Congrès, avait fait de la convocation d’une Assemblée constituante son
L
cheval de bataille depuis son élection, en
novembre dernier. Le nouveau président
souhaite en effet limiter le rôle des partis
traditionnels, qui ont contribué à l’instabilité politique chronique dont souffre l’Equateur depuis plusieurs décennies. Correa,
qui avait annoncé qu’il démissionnerait s’il
perdait ce référendum, a donc pu déclarer,
cité par El Comercio : “C’est une victoire
héroïque, c’est la victoire la plus grande du
peuple équatorien, pas celle d’un gouvernement et encore moins d’un homme.”
Il n’est cependant pas au bout de ses
peines. “A par tir de maintenant s’ouvre
une période plus ou moins prolongée d’un
an au moins, pendant laquelle il faudra préciser avec la meilleure exactitude possible
les caractéristiques du changement”,
relève El Universo, qui constate qu’“il y
a un grand éventail d’alternatives dans les
domaines économique, politique, social et
culturel qui nécessiteront un échange actif
d’idées. Pour décider entre ces différentes
options, le peuple devra retourner aux
urnes à de nombreuses reprises.” Ce qui
commencera en août prochain par l’élection des 130 représentants de l’Assemblée constituante, qui seront chargés de
rédiger la nouvelle Constitution.
L’opposition, qui a bataillé dur pour empêcher la tenue du référendum, accuse le chef
de l’Etat de vouloir imposer un style autoritaire. “Aujourd’hui, toute la question est
de savoir si le président de la République
sera à même d’arbitrer entre toutes les composantes politiques de la société ou s’il se
contentera de considérer le résultat de
dimanche comme une victoire personnelle”,
s’inquiète ainsi Hoy. “Mais personne, ici,
ne suit la ligne Chávez ; ici, nous suivons la
COURRIER INTERNATIONAL N° 859
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DU 19 AU 25 AVRIL 2007
ligne équatorienne”, prévient Rafael Correa
dans El Universo. Le président équatorien,
qui prône entre autres un “véritable changement économique”, a pris ses distances,
dès l’annonce des résultats du référendum,
avec les institutions monétaires internationales. Il a ainsi annoncé qu’il allait expulser le représentant de la Banque mondiale
en Equateur au motif que celui-ci avait retenu
sans raison un crédit de 100 millions de
dollars accordé en 2005. Puis qu’il solderait la dette de 6,6 millions dollars que
l’Equateur a envers le FMI. Il devrait toutefois maintenir la dollarisation (introduite
en 2000) pendant au moins quatre ans.
“Correa a adopté des positions pragmatiques qui prennent de la distance avec les
idéologues du socialisme du XXIe siècle”,
conclut l’éditorialiste et économiste Walter
Spurrier dans El Comercio.
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amériques
COLOMBIE
Les familles des otages choisissent de se taire
Depuis cinq ans, douze députés de l’Assemblée du Valle del Cauca sont retenus en otages par les FARC.
Désespérées et sans aide de l’Etat, leurs familles ont décidé de commémorer ce triste anniversaire par… le silence.
organiser le passage de relais à
d’autres personnalités. Tous ont un
point commun : ils sont allés de
l’avant, ont continué à avancer en prenant des décisions, même à l’aveugle,
sans savoir si les absents allaient les
approuver à leur libération.
Il faut également rappeler l’intense
combat mené devant les tribunaux
pour obtenir que l’Etat accorde enfin
un soutien à l’entourage des députés
du Valle del Cauca et de tous les otages
politiques de Colombie. Dans le cas
de ces parlementaires, les familles
n’ont continué à percevoir leur salaire
que jusqu’au 31 décembre 2003, date
à laquelle prenait fin le mandat pour
lequel ils avaient été élus.
SEMANA
Bogotá
’il est un groupe de pression
dont les actions attirent toujours l’attention des médias
et de l’opinion publique, c’est
bien celui que forment les proches des
otages politiques de Colombie.
Ces familles organisent toutes
sortes d’événements, messes, rencontres, forums, débats et marches
dans l’espoir que leurs êtres chers
recouvrent la liberté le plus vite
possible. Il y a un mois, plusieurs
d’entre elles sont même allés jusqu’à
Washington pour rencontrer cinq
commissaires aux droits de l’homme
de l’Organisation des Etats américains
(OEA) et plaider leur cause, à savoir
la demande d’un accord d’échange
sur des bases humanitaires par opposition à l’option gouvernementale
– jugée trop risquée – d’une opération
militaire de sauvetage.
Dans ce groupe qui maintient la
pression et lutte pour que sa cause ne
tombe pas dans l’oubli, il y a aussi les
proches des douze députés de l’Assemblée du Valle del Cauca [région
du sud de la Colombie], enlevés par
les Forces armées révolutionnaires de
Colombie (FARC) il y a exactement
cinq ans, le 11 avril 2002.
Cette date anniversaire était l’occasion rêvée de remettre leur drame à
la une des médias, mais les familles
ont préféré garder le silence. Ce ne fut
pas une décision facile. Elles avaient
le choix entre participer à l’hommage
rendu aux otages par l’Assemblée de
la région, organiser une messe privée
ou garder un silence symbolique. “Si
nous avons choisi cette dernière option, ce
n’est pas que nous pensions avoir déjà
suffisamment bataillé, ni que nous soyons
las. Mais cinq années ont passé, et nous
estimons qu’il est grand temps pour toutes
les parties, gouvernement et guérilla, de
se prononcer sur l’accord humanitaire
d’échange”, explique Fabiola Perdomo,
épouse du député Juan Carlos Narváez
et porte-parole officielle des familles
depuis le jour de l’enlèvement.
S
TANT DE CHOSES SE SONT
PASSÉES PENDANT CINQ ANS
Alors que les députés du Valle del
Cauca sont retenus par les FARC
depuis cinq ans, la situation de leurs
familles ne cesse de se dégrader.
Entre-temps, beaucoup de choses ont
changé : il y a eu l’apparition de l’iPod,
qui a révolutionné le rapport du
monde à la musique, et l’approbation
de la réélection du président colombien, qui a bouleversé pour toujours
la pratique politique dans notre pays.
Les enfants qui étaient au collège
entrent à l’université, d’autres se sont
mariés, certains députés ont désormais
des cousins, des neveux et même des
petits-enfants qu’ils ne connaissent
pas. Sans oublier tous ceux, morts
pendant leur captivité, qu’ils ne rever-
LES FAMILLES N’ONT BÉNÉFICIÉ
D’AUCUNE AIDE DE L’ETAT
Dessin de Sean
Mackaoui paru
dans El Mundo,
Madrid.
ront jamais. Tant de choses se sont
passées pendant cinq ans.
Mères, pères, épouses, enfants et
proches luttent contre l’absence de
leurs êtres chers, une absence qui,
dans certains cas, a radicalement
transformé leur vie. En termes financiers, parce qu’il leur a bien fallu
faire bouillir la marmite, ou au niveau
politique, pour ceux et celles qui ont
dû prendre la tête d’une organisation
à la place de leur proche capturé ou
Depuis ce jour, les familles dont seul
le député travaillait se sont retrouvées
dans la détresse. La Cour constitutionnelle avait déclaré que les salaires
devaient être versés jusqu’à ce que les
otages soient déclarés morts (déclaration automatique au bout de deux
ans sans nouvelles) ou recouvrent la
liberté. Mais, malgré cette décision
judiciaire, les familles ont dû attendre
jusqu’au 21 juillet 2006, soit près de
trois ans après le dernier versement,
pour percevoir de nouveau le salaire
des absents.
Puis, lorsque les familles ont
demandé à bénéficier des aides de
l’Etat prévues pour l’entourage des
otages politiques en Colombie, elles
ont rapidement compris que leur
tâche n’allait pas être facile. Parmi les
avantages proposés par l’Etat figurent
la suspension du paiement des impôts,
la continuité du cursus scolaire des
enfants et le maintien des services
publics à domicile [eau, gaz, électricité, télécommunications] et de diverses aides sanitaires à la famille.
L’ensemble de cette assistance est géré
par Fondelibertad, un organisme affilié au ministère de la Défense. Mais,
pour en bénéficier, il faut pouvoir présenter un certificat du bureau du procureur stipulant qu’un de ses proches
est otage politique. Or, non conscient
des difficultés qu’il allait soulever
pour les familles des députés, Juan
Carlos Oliveros, le procureur spécialisé dans les questions relatives aux
droits de l’homme à Cali, a qualifié
l’enlèvement des FARC de prise
d’otages sans spécifier leur qualité
d’otages politiques. Et Fondelibertad
est restée inflexible. Résultat : depuis
cinq ans que leurs proches sont retenus, les familles des parlementaires
n’ont bénéficié d’aucune aide de l’Etat,
alors même que la Constitution de
1991 a établi que le réalisme devait primer sur le formalisme juridique.
“Le malheur ne fait pas de peine
quand c’est celui des autres”, disent les
proches des députés du Valle del
Cauca. Ils gardent l’espoir de voir
bientôt leurs êtres chers sortir de la
jungle. C’est pour cela qu’aujourd’hui, après avoir passé cinq ans à
batailler pour qu’enfin le gouvernement et les FARC compatissent à leur
sort, les familles ont gardé le silence,
se demandant ce qu’elles pourraient
bien faire de plus.
■
MEXIQUE
Une maison de retraite pour les prostituées
a seule condition qui soit plus dure que
celle de prostituée, à Mexico, est celle de
prostituée du troisième âge. Bien que juridiquement illégale, la prostitution est très répandue au Mexique et demeure un sujet tabou
pour ce peuple à 80 % catholique. Mais, si
autrefois les prostituées âgées ne pouvaient
guère attendre autre chose qu’une vie miséreuse de SDF, les choses sont en train de
changer. Depuis le mois de novembre 2006,
les prostituées âgées et retraitées de Mexico
peuvent en effet trouver refuge à la Casa Xochiquetzal, sans doute la première résidence communautaire de ce genre en Amérique latine.
La Casa est située dans un édifice historique
récemment restauré, qui abritait autrefois un
musée de la Boxe et qui a été mis à la disposition de ces femmes par la municipalité de
Mexico, laquelle prend également en charge
leur alimentation, leurs médicaments et leurs
factures d’eau et d’électricité. Pour être admis
dans cette résidence gratuite, il faut avoir plus
de 65 ans, ne plus travailler dans l’industrie
du sexe et ne bénéficier d’aucune autre aide.
Pour les vingt femmes qui y ont élu domicile,
L
dont deux de 85 ans, la Casa représente une
aubaine. “Auparavant, je disais toujours : on
finira toutes en prison, confie Carmen Muñoz,
la directrice. Aujourd’hui, je préfère dire : on
finira toutes en paix, car, pour nous, cette résidence est un lieu de paix, elle est à nous.”
Les chambres, bien que spar tiates, sont
confortables. Les femmes gagnent un peu d’argent en confectionnant des bijoux de pacotille
et projettent de vendre également des gâteaux
faits maison. Elles sont souvent à court de
fournitures mais elles sont habituées à se
débrouiller avec peu de chose. La Casa Xochiquetzal, baptisée ainsi d’après le nom indien
d’une variété de fleur, est le fruit d’une collaboration peu commune entre des prostituées,
des féministes, une directrice de théâtre en
vue et la municipalité. Carmen Muñoz raconte
qu’elle a eu l’idée de créer cette résidence en
voyant le nombre important de prostituées
pauvres et âgées qui traînaient dans le centre
historique de la ville. “Je me suis dit qu’aujourd’hui c’étaient elles, mais que demain
ce serait peut-être moi qui me retrouverais à
la rue”, se souvient-elle. Puis, un jour, un ami
COURRIER INTERNATIONAL N° 859
24
DU 19 AU 25 AVRIL 2007
lui a présenté Jesusa Rodriguez, actrice et
directrice du café-théâtre El Habito, connu pour
ses spectacles féministes.
Au cours de l’été 2003, Jesusa a rencontré
un groupe de 70 prostituées. Les plus jeunes
souhaitaient créer un vaste mouvement national pour défendre les droits des prostituées,
mais leurs aînées étaient plus modérées
dans leurs revendications. “Elles voulaient
surtout un endroit où elles pourraient vivre
dans la dignité”, explique Jesusa.
Deux personnes influentes se sont jointes au
mouvement : Marta Lamas, l’une des féministes les plus célèbres de Mexico, et Elena
Poniatowska, journaliste et romancière de premier plan. Les deux femmes ont réussi à obtenir un entretien avec le maire de l’époque,
Andres Manuel López Obrador. Celui-ci, choqué d’apprendre que des grands-mères se
prostituaient à quelques jets de pierre de son
bureau, a offert son aide à ces prostituées
âgées et à leurs jeunes camarades plus radicales, qui ont fini par faire scission pour poursuivre leurs propres objectifs.
Reed Johnson, Los Angeles Times, Los Angeles
Publicite
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asie
●
VIETNAM
Pas question de laisser les dissidents s’exprimer
Depuis un an, les autorités de Hanoi se sont montrées plutôt clémentes envers les mouvements démocratiques.
Mais, une fois acquise l’adhésion à l’Organisation mondiale du commerce, la chasse aux opposants a vite repris.
ASIA TIMES ONLINE
Bangkok, Hong Kong
’est la plus importante
répression engagée contre
la dissidence politique au
Vietnam depuis plus de
vingt ans, disent les organisations internationales de défense des droits de
l’homme. Le harcèlement et le nombre
croissant de détentions sont en train
de vider de sa substance le mouvement
pour les réformes démocratiques, balbutiant mais audacieux, qui bénéficie
du soutien tacite de Washington. En
février, la police a arrêté le prêtre catholique dissident Nguyen Van Ly. Il est
accusé d’avoir tenté de nuire au gouvernement en mettant sur pied une
organisation politique indépendante.
Ly est l’un des membres fondateurs
du Bloc 8406, un mouvement lancé en
avril 2006, qui réclame plus de démocratie et de droits civiques. Lui et deux
autres membres du Bloc 8406 n’ont
eu droit qu’à l’assistance d’un avocat
commis d’office lors de leur procès, fin
mars. [Nguyen Van Ly a été condamné
à huit ans de prison ferme, plus cinq
en résidence surveillée ; Nguyen Phong
à six ans, plus trois ans de résidence
surveillée ; et Nguyen Binh Thanh à
cinq ans de prison et deux de résidence
surveillée.]
C
LA POLICE INTERPELLE LES
OPPOSANTS À TOUR DE BRAS
Le 6 mars, la police a jeté en prison
deux avocats spécialisés dans les droits
de l’homme, Nguyen Van Dai et Le Thi
Cong Nhan, accusés de propagande
antigouvernementale. Début mars,
les autorités ont également interpellé
Dang Thang Tien, porte-parole du
Parti pour le progrès du Vietnam, l’une
des formations d’opposition qui ont
vu le jour depuis un an. Le 3 février,
l’ingénieur et militant prodémocratie
Bach Ngoc Duong a été arrêté, battu
et même étranglé durant les interrogatoires, selon les milieux dissidents.
Tous encourent des peines d’emprisonnement pouvant aller jusqu’à vingt
ans s’ils sont reconnus coupables de
conspiration contre l’Etat.
Ces actions musclées surviennent
au lendemain de l’adhésion du Vietnam
à l’Organisation mondiale du commerce (OMC), dont le pays est devenu
officiellement membre le 11 janvier.
De toute évidence, les nouveaux dirigeants communistes qui ont pris la
relève l’année dernière [le président
Nguyen Minh Triet et le Premier
ministre Nguyen Tan Dung, nommés
en juin 2006] n’ont aucunement l’intention d’associer des changements
politiques à leur impressionnant programme de réformes économiques. En
outre, la répression de plus en plus brutale représente un camouflet diplomatique pour les Etats-Unis, qui ont joué
un rôle déterminant dans l’admission
à l’OMC tant convoitée
par Hanoi. Le soutien apporté
par Washington à la candidature
vietnamienne était conditionné à l’amélioration de la situation des droits
de l’homme.
Durant les négociations de l’année dernière, il a été convenu que le
gouvernement vietnamien libérerait
une poignée de prisonniers politiques
célèbres, désignés par Washington.
Mais il a emprisonné au même moment des dizaines d’autres militants
démocrates, de journalistes, de cyberdissidents et d’activistes chrétiens. Cela
n’a pas empêché le gouvernement de
George W. Bush, soucieux avant tout
des relations commerciales, de retirer
le Vietnam de sa liste des “pays particulièrement préoccupants” en matière de
liberté religieuse.
Une fois acquise son adhésion à
l’OMC, Hanoi a ouvertement rompu
le contrat diplomatique. Les organisations en faveur de la démocratie
Dessin
de Miroslaw
Owczarek paru dans
Rzeczpospolita,
Varsovie.
+
Plus d’infos
WEB
sur le site
Retrouvez
l’intégralité
du compte rendu
du procès du père
Nguyen Van Ly
représentent en effet une menace
certaine pour le pouvoir exclusif
qu’exerce le Parti communiste
[depuis 1954 sur le nord du pays et
depuis 1975 sur l’ensemble du Vietnam réunifié après la guerre]. Le viceministre de la Sécurité, le général
Nguyen Van Huong, a ainsi expliqué
à un diplomate américain en poste
à Hanoi qu’il était “illégal” pour des
citoyens vietnamiens de for mer
des partis politiques et que certaines
organisations politiques récentes
visaient à “renverser” le gouvernement. Justifiant
la répression, il
a avancé l’argument juridique
selon lequel,
en vertu de
l’actuelle
Constitution,
le Vietnam est
doté d’un régime à
parti unique. A l’évidence,
le PC craint qu’une nouvelle
prise de conscience politique ne
vienne compliquer son programme de
réformes économiques fondé sur l’investissement étranger. [L’année dernière, quelque 7 milliards d’euros y
ont été investis, et le pays a connu une
croissance de 8 %.] Début 2006, une
série de grèves pour de meilleures
conditions de travail et des hausses de
salaires a secoué les usines à capitaux
étrangers, en particulier dans le Sud.
Face à cette agitation, le gouverne-
ment a cédé aux revendications en
augmentant le salaire minimum de
40 %, une première depuis 1999.
Hanoi n’apprécie guère l’appui
tacite et sélectif de Washington apporté
à diverses associations d’exilés vietnamiens aux Etats-Unis, notamment des
groupes clandestins connus pour leur
soutien logistique au Bloc 8406 et à
d’autres organisations locales accusées
par les autorités vietnamiennes de comploter contre l’Etat. Ces mouvements
sont souvent généreusement financés
et dirigés par des enfants très instruits
de familles vietnamiennes qui avaient
fui le pays après la prise de pouvoir par
les communistes, en 1975.
En avril 2006, le Bloc 8406 a osé
promulguer publiquement son “Manifeste pour la liberté et la démocratie
au Vietnam”, qui réclame une transition politique vers une démocratie
pluraliste et retranscrit une section
de la Déclaration d’indépendance
américaine de 1776 : “Tous les hommes
naissent égaux… avec certains droits
inaliénables, parmi lesquels le droit
de vivre, la liberté et la recherche du
bonheur.” La publication du document a coïncidé avec la tenue du
Xe Congrès national du Parti communiste. Depuis, il a recueilli des
dizaines de milliers de signatures dans
tout le pays : des noms et des adresses
que les dissidents en exil craignent de
voir désormais figurer sur la liste noire
du gouvernement.
Shawn W. Crispin
T I M O R - O R I E N TA L
Un deuxième tour à haut risque
Les Timorais vont devoir
retourner aux urnes le 8 mai
pour se choisir un président.
Dans une ambiance de crise aiguë.
ucun des huit candidats en
lice pour le scrutin présidentiel du 9 avril dernier n’a atteint
les 51 % des voix nécessaires
pour l’empor ter dès le premier
tour. Un deuxième tour aura donc
lieu le 8 mai prochain. Il s’agira
de dépar tager le candidat du
FRETILIN, le par ti au pouvoir,
Francisco Guterres et le Premier
ministre sortant et Prix Nobel de
la paix José Ramos-Horta. Tous
les candidats contestent le résultat du vote et dénoncent le climat d’intimidation et de terreur
qui aurait dominé dans certaines
circonscriptions. La commission
nationale électorale a d’ailleurs
annoncé la possibilité de la
tenue d’un nouveau vote du fait
A
d’une erreur d’écriture dans une
des circonscriptions, qui aurait
produit 300 000 bulletins de
vote alors que seulement
quelque 100 000 électeurs
étaient inscrits.
Pourtant, les observateurs étrangers s’étaient félicités, en début
de semaine, du calme dans
lequel les quelque 500 000 électeurs est-timorais avaient pu exercer leur droit de vote. Depuis plus
d’un an, le pays, qui a obtenu
son indépendance de l’Indonésie lors du référendum organisé
en 1999, est secoué par des violences et des luttes entre des
factions rivales. Pas moins de
37 personnes ont été tuées dans
des affrontements, quelque
150 000 autres ont trouvé
refuge dans la capitale Dili et le
gouvernement a dû faire appel
à des forces étrangères, pour
rétablir l’ordre.
COURRIER INTERNATIONAL N° 859
26
Pour le journaliste australien
Mark Aarons, le fait que le candidat du FRETILIN ne l’ait pas
empor té dès le premier tour
vient sans doute du rôle joué
dans cette crise par l’homme
fort de cette formation politique,
Mari Alkatiri. Il était alors Premier
ministre et ses prises de position ont exacerbé les tensions
entre les différentes factions. En
juin 2006, il a été remplacé par
José Ramos-Hor ta pour tenter
d’apaiser la situation. Mark
Aarons estime, dans le quotidien
The Australian, que le FRETILIN
a été sanctionné par les électeurs parce qu’“Alkatiri et son
groupe ont été incapables d’offrir les choses les plus simples
à leurs concitoyens lorsqu’ils en
avaient la possibilité : l’éducation, la santé, les emplois, les
infrastructures et l’eau potable.”
Mais l’auteur remarque que
DU 19 AU 25 AVRIL 2007
l’éparpillement des voix lors de
l’élection présidentielle indique
qu’il sera difficile à un seul parti
de remporter une majorité lors
des élections législatives du
30 juin prochain. “Une lourde
responsabilité repose sur les
épaules de l’élite politique, qui
va devoir réfléchir à l’unité de sa
fragile nation, choisir un gouvernement de coalition sur une
base assez large et opter pour
un plan réaliste afin de
construire un pays viable.” Un
programme délicat pour le héros
de la lutte contre l’occupation
indonésienne et président sortant Xanana Gusmão. Il brigue
le poste de Premier ministre, qui
sera désigné à l’issue des élections législatives. Ce poste
devrait lui permettre de détenir
plus de pouvoir que lorsqu’il était
président, une fonction essentiellement honorifique.
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asie
INDE
Sonia Gandhi et ses éminences grises
La très puissante chef du Parti du Congrès s’est entourée d’une garde rapprochée composée
de cinq personnages clés, qui brillent par un dévouement absolu. Et par un mutisme à toute épreuve.
Sonia Gandhi
devant les drapeaux
du Parti du Congrès,
dont elle est
la présidente.
Dessin de Springs
paru dans le
Financial Times,
Londres.
THE TELEGRAPH
Calcutta
DE NEW DELHI
on nom ne dit sans doute rien
au plus grand nombre, mais
c’est par elle qu’il faut passer
pour accéder à Sonia Gandhi.
L’aam aadmi [“l’homme du peuple”]
– qu’il soit jeune handicapé ou femme
en détresse, petit commerçant du Nord
ou ouvrier du Sud – ne peut se faire
entendre par la présidente du Parti du
Congrès que si Archana Dalmia en
décide ainsi. Et si Sonia souhaite aller
à la rencontre des aam aadmi qui forment sa base électorale, par qui doitelle passer ? Eh bien, elle se tourne vers
un deuxième personnage, un ancien
militaire à la moustache taillée en
pointe. Le commandant Dalbir Singh
prépare ses tournées électorales et lui
fournit de précieuses informations : la
participation prévue, les pourcentages
hommes-femmes et riches-pauvres, et
même les prévisions météorologiques.
Archana et Dalbir ne sont pas les
seuls à exercer leur influence invisible
dans les coulisses du Congrès :Wasim
Ahmed, Mabel Rebello et Manish
Tewari font aussi partie du petit groupe
des éminences grises qui aident Sonia,
mais aussi le Premier ministre Manmohan Singh à traiter des questions
sensibles – celles relatives aux musulmans, aux chrétiens et aux réformes
économiques, par exemple – et à éviter gaffes et situations embarrassantes.
Venus de milieux familiaux et
d’horizons politiques divers, ces cinq
personnes aux opinions, intérêts et
styles différents ne rentrent dans
aucune catégorie standard. Courtisées
par les caciques du parti, les ministres
du gouvernement central et les hauts
fonctionnaires, elles évitent souvent les
médias et tiqueraient si on parlait à leur
propos de “réseau”. Mais qui sont-elles
vraiment ?
S
DR
COURRIER INTERNATIONAL N° 859
27
Manish Swarup/Ap/Sipa
chef de l’armée de l’air de l’époque,
S. K. Mehra, et a “passé quarante-cinq
minutes avec lui”. Deux ans plus tard,
Rajiv lui a confié la “salle de contrôle”
du Congrès – le moteur qui fait fonctionner les rouages du parti. “J’appelle
cela de la surveillance minute par minute,
mais, quand j’ai pris mes fonctions, il
n’existait pratiquement pas de liaisons
aériennes entre les diverses régions du pays,
pas de courriers électroniques, pas de téléphones portables ni d’ordinateurs. Je jonglais avec une trentaine de lignes téléphoniques”, se souvient-il.
A l’arrivée de Sonia, Dalbir et un
ancien fonctionnaire, R. D. Pradhan,
ont réorganisé la salle de contrôle de
manière à assurer “une diffusion verticale et horizontale de l’information vingtquatre heures sur vingt-quatre, sept jours
sur sept, afin que, même si quelque chose
d’important survenait à 23 h 30, le parti
soit en mesure de réagir”. Alors qu’il
a dû s’occuper de quatre élections
législatives générales et de près de
100 autres scrutins locaux [chaque
Etat de l’Union indienne est doté
d’une assemblée propre], il a veillé à
ce qu’aucune des 143 réunions auxquelles devait participer “Madame” ne
soit annulée. Il a connu son moment
de gloire quand Sonia lui a envoyé un
mot de félicitations pour son “travail
exemplaire”lors des législatives de 2004.
Mais se vanter est la dernière chose
qu’il ferait. “C’est le meilleur moyen de
se faire des ennemis”, confie-t-il.
Une stratégie qui vaut également
pour Wasim Ahmed. Lorsque Manmohan Singh, Sonia et le ministre des
DR
jouit visiblement de l’entière confiance
de “Madame”. Son secret, dit-on dans
le parti, tient au fait qu’elle est d’une
discrétion absolue sur ses liens avec l’héritière de la dynastie Nehru-Gandhi,
qu’elle ne voit pratiquement jamais les
ténors du parti, et qu’elle ne travaille
qu’avec un simple fonctionnaire,
Manish Chatharth, qui fait partie de
son équipe.Tant mieux, car les Gandhi
exigent de leurs amis et collaborateurs
une loyauté indéfectible et un culte
du secret à la sicilienne. Ceux qui
enfreignent la règle non écrite tombent
immédiatement en disgrâce.
Passons maintenant à Dalbir Singh.
Chez lui, ce n’est pas seulement la
moustache qui rappelle Hercule Poirot,
mais aussi sa passion pour l’ordre, la
méthode et l’attention méticuleuse
qu’il porte aux détails. Il a consigné les
“besoins de Madame” dans un carnet
de manière qu’elle ne soit jamais privée de nourriture en avion ou d’un
châle quand le temps se rafraîchit. Et,
chaque fois qu’elle utilise son bureau
au siège du Congrès, il le décore des
fleurs blanches qu’“elle adore”. Lors de
ses visites – qui constituent de véritables événements tant elles sont
rares – elle reste dans cette pièce.
Le seul autre bureau où elle se rend
est celui de Dalbir, comme tant de
présidents du parti et de Premiers
ministres l’ont fait avant elle.
Dalbir, un ancien de la guerre de
1971 contre le Pakistan, n’avait aucune
expérience politique quand il a rencontré Rajiv Gandhi, en 1987, à un
dîner organisé par le commandant en
DR
Avant chaque nomination préélectorale de candidats, les militants sont bien
plus nombreux à se presser dans le
bureau d’Archana Dalmia, caché dans
l’arrière-cour du siège du Congrès, que
dans celui de la présidente du parti.
Elle est la seule secrétaire nationale qui
dépend directement de Sonia. Archana
est entrée en politique par hasard parce
que “Rajivji me fascinait”, se souvientelle. Elle a participé à la création de
la cellule des doléances au sein du
Congrès, et elle a continué de la diriger
après 1989 quand Rajiv a pris la tête
de l’opposition.
Lorsque Sonia a pris le relais [en
1998], “j’ai commencé à comprendre ce
qu’elle désirait – je ne connaissais pas
Rajivji suffisamment, poursuit-elle.
Je n’aime pas me mettre en avant et
j e m e consacre entièrement à l’aam
aadmi. Je m’occupe personnellement des
demandeurs d’emploi.” La jeune femme
DES RELAIS POUR TOUCHER
DIFFÉRENTES COMMUNAUTÉS
DR
RARES SONT CEUX QUI ONT
LA CONFIANCE DE “MADAME”
De haut en bas :
Archana Dalmia,
Dalbir Singh,
Wasim Ahmed,
Mabel Rebello,
Manish Tewari.
Affaires étrangères Pranab Mukherjee ont décidé de s’adresser aux “têtes
pensantes” de la communauté musulmane, c’est lui qui a servi de relais.
C’est pourtant un homme qui avait été
élevé dans l’hostilité au Congrès, puisqu’il a longtemps appartenu à un parti
opposé, le Janata Dal [Parti du peuple].
Mais l’année 1998 a constitué pour lui
un tournant. Le Janata Dal s’est en
effet allié au BJP [Bharatiya Janata
Party, Parti du peuple indien, formation nationaliste hindoue], ce qui a
laissé Wasim quelque peu dubitatif.
Aussi, après que Sonia eut pris la relève
et le Congrès donné des signes d’ouverture, il a vu une possibilité de sortir du dilemme.Wasim serait maintenant proche d’Arjun Singh, l’actuel
ministre du Développement des ressources humaines. L’année dernière,
il a accompagné celui-ci en Arabie
Saoudite et a eu “le privilège de serrer la
main au roi Abdullah et d’être le premier
à l’informer que Manmohan Singh se rendrait dans son pays en 2007”.
DU 19 AU 25 AVRIL 2007
Mais, chaque fois que le parti a besoin
de prendre position sur les questions
concernant les chrétiens, c’est vers la
combative Mabel Rebello qu’il se
tourne. La sénatrice du Jharkhand
[dans le nord-est du pays] a fait des
zones tribales de sa région son terrain
de chasse. Le Congrès juge utiles ses
contacts avec l’Eglise et les ONG dans
la partie centrale et orientale de l’Inde.
Pourtant, Mme Rebello n’avait jamais
pensé à se présenter aux élections.
“Rajiv Gandhi m’encourageait souvent à
entrer en lice. Mais j’ai refusé parce que,
une fois que vous descendez dans l’arène,
vous vous heurtez à toutes sortes de contestations. Il faut sans cesse combattre les
adversaires immédiats.”
Manish Tewari, enfin, est l’homme
que Manmohan Singh et P. Chidambaram, son ministre des Finances, sont
allés chercher parmi les personnalités des deuxième et troisième cercles
du parti pour expliquer leurs politiques
de réformes à la base et ne pas paraître
sur la défensive. Cet homme affable
– dont le père, V. N. Tewari, était un
proche d’Indira Gandhi [ancienne Première ministre et belle-mère de Sonia]
et a, comme elle, été assassiné par des
militants sikhs – se considère comme
un produit du “climat idéologique” des
années 1980, qui faisait grand cas
de la laïcité et du nationalisme. Ancien
président des Jeunes du Congrès et
secrétaire général de l’Union nationale
des étudiants de l’Inde (NSUI), devenu
juge à la Cour suprême, Manish est
le secrétaire général du Congrès chargé
des Affaires du Gujarat, où le BJP est
au pouvoir. Et on n’a pas besoin de
préciser qu’il est, comme les autres
éminences grises qui entourent Sonia
Gandhi, totalement dévoué à la cause
congressiste.
Radhika Ramsehan
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asie
CORÉE DU SUD – CHINE - JAPON
La guerre cybernétique fait rage
Le web est le théâtre d’un affrontement sans merci entre internautes coréens, chinois et japonais à propos
des différents sujets, historiques ou d’actualité, qui opposent ces trois pays.
importante capacité de destruction.
Remettre en état un serveur paralysé
est une opération longue et coûteuse.
Les Chinois sont considérés comme
les meilleurs hackers du monde.
L’Union des honkers [“pirate rouge”
en chinois] se livre régulièrement
à des actions organisées. Ces quelque
100 000 hackers ont déjà attaqué les
sites coréens d’organisations officielles
telles que l’Agence pour le développement de la défense, l’Institut d’analyses
sur la défense, le Centre de recherches
sur l’énergie atomique, mais aussi ceux
d’ONG, d’universités et d’entreprises.
Font également partie de leurs cibles
des sites japonais comme celui de
la maison d’édition Fusosha, qui a
publié des manuels scolaires révisionnistes. Les hackers japonais répondent
naturellement à ces attaques. On
dénombrerait plus de 1 000 sites japonais sur l’île Tokdo/ Takeshima, objet
d’un contentieux territorial entre
les Coréens et les Japonais.
D’après son directeur, So Yong-ha,
le site Internet coréen Tokdocenter.org
a renforcé son système de défense :
“Des conflits avec les Japonais sont devenus inévitables depuis que nous militons
SISA JOURNAL
Séoul
Caggle Car toons
U
Dessin
de Deng Coy Miel,
Singapour.
Il se vante d’avoir imposé cette année
à la BBC un intitulé double – “mer
du Japon/mer de l’Est” – pour les
eaux qui séparent la Corée et le
Japon. A la suite du Projet Nord-Est,
par lequel les Chinois, entre autres,
s’approprient le Koguryo en lui attribuant une origine chinoise, VANK
a entamé une action pour raviver
la mémoire de ce royaume coréen
[37 avant J.-C. - 668].
VANK est devenu la cible privilégiée des hackers chinois et japonais
et a subi plusieurs attaques. La guerre
cybernétique entre les trois pays
est très organisée et dotée d’une
Mont Baekdu
C H I N E
Pékin
Mer du Japon
Île Tokdo/ /Mer de l’Est
C. DU Takeshima
NORD
Tokyo
Séoul
CORÉE
DU SUD
Ancien royaume coréen du Koguryo
(37 av. J.-C. - 668 apr. J.-C.)
JAPON
0
500 km
Courrier international
ne véritable guerre virtuelle se livre actuellement entre la Corée du
Sud, la Chine et le Japon.
Le Projet Nord-Est [mis en place par
les Chinois dans le nord-est de leur
pays afin de renforcer leur légitimité
historique sur ce territoire, niant du
même coup les traces de la très
ancienne présence coréenne
dans cette région], l’île Tokdo
[Takeshima en japonais, île
revendiquée par la Corée du
Sud et par le Japon], les manuels scolaires ou les “femmes
de réconfort” constituent autant de sujets qui opposent les
internautes des trois pays
dans des affrontements
au caractère de plus en
plus nationaliste. Cette
“guerre sans canons”
s’étend sur quatre fronts.
Des sortes de “corps
diplomatiques” non
gouvernementaux s’efforcent de faire connaître
leur version des faits à travers des sites Internet. Des
groupes de hackers tentent
de les neutraliser. Des troupes
sont par ailleurs chargées de fabriquer et de diffuser des jeux ou des
séquences vidéo concernant ces sujets
d’histoire. Et des internautes se mobilisent comme des fourmis dans les
cas graves.
En Corée du Sud, le site VANK
(<www.prkorea.com>) joue le rôle
d’un QG. Sous l’apparence d’un
innocent site d’information, il se
montre quelquefois plus efficace dans
ses actions que le gouvernement.
Depuis sa création, en 1999, il a
réussi à amener 300 interlocuteurs
à corriger certaines inexactitudes.
pour l’annulation du nouveau traité de
pêche entre la Corée et le Japon [conclu
en 1999, il définit l’île Tokdo/Takeshima
comme faisant partie d’une zone d’exploitation commune].”
Afin de pouvoir réagir aux actions
des hackers chinois et japonais, des
étudiants et des cadres coréens ont
formé en 2001 la Troupe 515, dont
les trois grandes lignes d’action sont
l’analyse, la pénétration et la protection.
En dehors de ces acteurs principaux, d’autres internautes sont mobilisés en cas de conflit. Récemment, les
Coréens et les Japonais se sont violemment affrontés en ligne après les
propos du Premier ministre japonais
Shinzo Abe sur les “femmes de réconfort”. [Il a déclaré qu’il n’y avait
aucune preuve d’une coercition exercée par l’armée japonaise à l’encontre
de ces femmes, originaires de Corée et
d’autres pays occupés par le Japon (Voir
CI n°855 du 22 mars 2007).] Certains
Japonais continuent à défendre les propos de Shinzo Abe en caricaturant les
Coréens sur Internet.
Les moyens évoluent aussi. Ainsi,
les Japonais diffusent massivement
des séquences vidéo contenant leurs
messages politiques à travers le site
américain YouTube. Les jeux ne sont
pas non plus oubliés. C’est ainsi que
les internautes sud-coréens en ont
inventé un qui s’attaque à l’ancien
Premier ministre japonais Koizumi,
en riposte aux produits que les Japonais ont conçus dans le but de masquer leur passé d’envahisseurs.
“Pour gagner cette guerre cybernétique,
il nous faut des blogueurs qui connaissent
bien les dossiers”, déclare Pak Ki-tae,
directeur du site VANK, qui envisage
de former 200 000 blogueurs et de
gérer de manière organisée des sites
Internet influents sur ces thèmes
brûlants.
Chong Rak-in
K I R G H I Z I S TA N
Le pays où la révolution ne fait rien changer
Deux ans après le renversement
du président Akaev, les élites
victorieuses s’entre-déchirent.
Coup de gueule.
e personnel politique kirghiz n’a
pas changé depuis 1990. On
retrouve toujours ceux qui occupaient à l’époque – et même avant,
du temps de l’URSS – des postes
de hauts fonctionnaires. Ils ont
commencé par servir le Parti communiste avant de “se prendre de
passion”, à la suite de l’effondrement de l’Union soviétique, pour
Askar Akaev [le président du Kirghizistan à par tir de l’indépen-
L
dance, en 1991, et jusqu’à sa
déposition lors de la “révolution des
tulipes”, le 24 mars 2005]. Celuici leur a généreusement distribué
biens matériels et bonnes places.
Mais ils l’ont chassé du pouvoir
pour se mettre au service de Kourmanbek Bakiev, qui a lui aussi
distribué postes et prébendes.
Mais visiblement pas à tout le
monde. Aujourd’hui, ils veulent
l’évincer à son tour. [Le Premier
ministre, Félix Koulov, l’autre vainqueur de la “révolution des tulipes”,
est à la tête de l’opposition].
S’il est difficile de dire ce qu’il
adviendra, il est encore plus diffi-
cile de comprendre ce qui pousse
les Kirghiz à faire confiance à pareils
“serviteurs du peuple”.
Le vocabulaire politique du pays se
compose désormais de termes tels
que “front”, “junte”, “état d’urgence”
ou “troubles”. Que s’est-il passé
pour que le Kirghizistan, autrefois
qualifié de “Suisse de l’Asie”, de
“seconde Malaisie”, ait dégringolé
au niveau d’un pays africain déchiré
par des guerres tribales ? Comment
notre société est-elle passée du
statut de “pays des droits de
l’homme”, d’“oasis de démocratie”,
à une situation où prédominent
l’instabilité politique et la menace
COURRIER INTERNATIONAL N° 859
28
permanente de coups d’Etat et de
révolutions ? Moins de deux ans
après les événements de mars, qui
furent qualifiés de “révolution populaire”, certains de leurs leaders,
insatisfaits du résultat, ont souhaité
une seconde révolution. Cette fois,
si elle a finalement lieu, elle ne sera
certainement pas “fleurie”.
Des mots comme “front”, “junte”,
“état d’urgence”, “troubles” ont
vidé de leur sens les événements
d’il y a deux ans. Au vu de l’instabilité politique actuelle, on
s’est aperçu que la révolution du
24 mars 2005 n’avait pas atteint
les objectifs au nom desquels les
DU 19 AU 25 AVRIL 2007
gens s’étaient emparés des bâtiments administratifs dans tout le
pays ainsi que de la MaisonBlanche (le siège du gouvernement) à Bichkek. Sans être un
expert politique, chacun a pu se
rendre compte que ces événements n’avaient été qu’un banal
transfert de pouvoir.
Au point où nous en sommes, il
serait bon de demander aussi bien
au pouvoir officiel qu’à l’opposition
combien il faudra de révolutions
ou de coups d’Etat avant que les
citoyens cessent de se consacrer
au pugilat politique.
Ferghana.ru (extraits), Moscou
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m oye n - o r i e n t
●
ISRAËL
Azmi Bishara va-t-il être banni ?
Pour avoir publié un document qui prône l’abolition de la définition d’Israël comme Etat juif, le député arabe
Azmi Bishara risque d’être privé de son siège à la Knesset. Résumé de la controverse en cours.
appels de Bishara à déjudaïser Israël
ont franchi la ligne rouge.
Il est difficile de trouver un responsable arabe israélien qui n’assimile
pas l’affaire Bishara à de la persécution
politique. Jaafar Farah, directeur de
Mussawat [“égalité”, en arabe], une
organisation qui lutte pour les droits
civiques des Arabes d’Israël, souligne
que c’est en fait depuis les accords
d’Oslo de 1993 – ratifiés grâce au vote
des députés arabes siégeant à la Knesset – que ces derniers font l’objet d’attaques systématiques de la part de la
droite nationaliste, attaques dont les
autorités se font le relais.
HA’ARETZ (extraits)
Tel-Aviv
ombreux sont ceux qui,
dans la population arabe
israélienne, pensent que
“l’affaire Bishara” n’aura
pas une fin heureuse. Au mieux, diton, cette affaire n’est qu’une attaque
de plus contre les dirigeants arabes
israéliens, mais sans conséquence
grave pour la communauté ; au pire,
il s’agit du premier acte d’une campagne concertée pour restreindre les
libertés politiques des Arabes d’Israël.
Azmi Bishara est l’homme politique
arabe le plus connu en Israël et l’Arabe
d’Israël le plus connu dans le monde
arabe. Certains Arabes israéliens, qui
préfèrent parler sous couvert de l’anonymat, ne se privent pas pour autant
d’émettre des critiques acerbes envers
cet animal politique, même si tous sont
d’accord pour considérer qu’une
censure de Bishara ne serait pas une
bonne nouvelle.
Hanine Zuabi, membre du bureau
politique du parti Balad [acronyme
hébreu du Rassemblement national
démocratique, qui signifie “pays” en
arabe], de Bishara, voit deux raisons
aux ennuis du député. Premièrement,
la guerre du Liban [de l’été 2006] et
l’identification entre une majorité
d’Arabes d’Israël et le Hezbollah. Rien
de mieux, estime cette proche de
Bishara, qu’une attaque contre les dirigeants arabes israéliens pour masquer
cette défaite. Seconde raison aux
ennuis de Bishara, la publication, il y
a quelques mois, du mémorandum
“Vision d’avenir”, dans lequel on
trouve, entre autres revendications, un
N
LE DÉDAIN DE BISHARA POUR
LE TRAVAIL PARLEMENTAIRE
Dessin de Krauze
paru dans The
Guardian, Londres.
appel à abolir la définition d’Israël
comme Etat juif. Pour beaucoup de
politiciens israéliens peu suspects
d’hostilité envers la minorité arabe,
comme Youli Tamir [ministre travailliste] et le député Yossi Beilin [président du Meretz, gauche pacifiste], les
Cela dit, tout le monde ne se sent pas
embarqué dans la même galère que le
député Bishara. Même s’il y a unanimité pour reconnaître sa puissance
intellectuelle et sa contribution au
renouvellement du débat arabe en
Israël, nombreux estiment qu’il n’est
pas un homme politique conséquent,
voire que son parti n’est qu’un rassemblement d’admirateurs aveugles.
Pour Faïz Abbas, du quotidien nazaréen As-Sinnara,“il n’a jamais caché son
dédain pour le travail parlementaire. La
Knesset n’a jamais été pour lui qu’un
tremplin vers une carrière internationale.
Azmi n’aime que lui-même.”
D’autres sont moins crus que Faïz
Abbas. Pour Jaafar Farah, “Bishara tient
certes un discours ferme sur les droits
civiques des Arabes d’Israël. Mais il ne
faudrait pas oublier que cette voie a été
ouverte par une génération précédente qui
a dû se montrer plus courageuse que la
nôtre.” Farah est d’accord avec Hanine
Zuabi pour considérer que le document de Bishara “Vision d’avenir” a
fait sortir l’establishment de ses gonds.
“Cela dit, non seulement l’idée de faire
d’Israël ‘l’Etat de tous ses citoyens’a fourni
un alibi à la droite israélienne pour frapper, mais en outre cette revendication n’est
pas partagée par une minorité arabe qui
veut se voir reconnaître des droits collectifs.Israël n’est pas la France républicaine.”
D’autres s’interrogent sur la
sagesse politique des visites incessantes
de Bishara en Syrie et chez le Hezbollah. “Pourquoi Bishara s’est-il sans cesse
affiché en compagnie de dictateurs de la
pire espèce, comme le président syrien ElAssad ?” Et de rappeler la colère de
[l’intellectuel syrien] Sadeq Jalal AlAzem : “Dites à Bishara que nous aussi
nous voulons voir la Syrie devenir un Etat
de tous ses citoyens. Nous voulons également la démocratie.”
Beaucoup se demandent si Azmi
Bishara va revenir de son exil temporaire et volontaire en Jordanie. S’il
devait s’établir à l’étranger, ce serait
un rude coup porté à l’idée de soumoud [“ténacité”, en arabe] et un message doublement négatif : la droite
israélienne comprendrait ce départ
comme la preuve qu’il suffit de presser un peu les Arabes pour qu’ils
s’écrasent ; les Arabes israéliens comprendraient que, dès les premiers
ennuis, leurs dirigeants s’effacent. Et
Jaafar Farah de conclure : “Bishara
doit affronter ses adversaires israéliens.
Cet enjeu concerne toute la communauté
arabe. Après tout, l’ouvrier d’Oum AlFahm [localité arabe en Israël] doit lui,
chaque matin, affronter un climat bien
plus irrespirable quand il quitte sa ville.”
Meron Rapoport
C U LT E
Quand les rabbins font construire des mosquées
Le parti ultrareligieux Shas avait obtenu
15,4 millions d’euros pour la construction
d’édifices religieux. Or une partie
de cette somme va servir à bâtir
des mosquées, note Ha’Aretz.
ême dans ses cauchemars les plus
horribles, le guide spirituel du Shas
[le par ti des ultrareligieux orientaux], le
rabbin Ovadia Yossef, n’aurait jamais osé
imaginer la prochaine décision du gouvernement Olmert. Grâce aux accords de coalition négociés au printemps 2006 entre
Ehoud Olmert et le Shas, l’Etat va allouer
21,3 millions de shekels [3,9 millions d’euros] à la construction d’églises et de mosquées. Cette somme viendra s’additionner
aux 8,4 millions de shekels [1,5 million
d’euros] déjà inscrits au budget des aides
aux lieux de culte non juifs, sans parler de
M
10 autres millions de shekels [1,8 million
d’euros] inscrits aux exercices précédents
mais pas encore dépensés.
Il ne fait aucun doute que la construction
de synagogues et en par ticulier de mikvehs [bains rituels] figure en tête des priorités du rabbin Yossef. C’est pourquoi le
Shas avait réclamé – et obtenu – un budget additionnel de quelque 85 millions de
shekels [15,4 millions d’euros] pour bâtir
des édifices religieux, au moment des
accords de coalition de 2006. Mais le cabinet du conseiller juridique près le gouvernement a très vite fait remarquer que les
règles d’équité imposent que les édifices
religieux non juifs reçoivent des fonds propor tionnels à ceux octroyés aux édifices
juifs. En clair, il devrait s’agir de 20 %,
ce qui correspond aux 20 % de non-juifs
recensés en Israël. Comme il était inima-
ginable que les financements promis au
Shas soient revus à la baisse, le gouvernement a donc dû prendre la décision de
débloquer un total de 106,3 millions de
shekels [19 millions d’euros], dont
21,3 millions de shekels [3,9 millions de
shekels] seront inscrits au budget du ministère de l’Intérieur pour bâtir des lieux de
culte non juifs.
Israël doit-il s’attendre à un boom dans la
construction d’édifices religieux chrétiens
et musulmans ? Pas forcément. Ces trois
dernières années, le budget alloué à la
construction de lieux de culte oscillait
entre 17 et 20 millions de shekels [entre 3
et 3,6 millions d’euros]. Il semble donc
qu’il n’existe pas, dans le secteur arabe
israélien, suffisamment d’organisations
r eligieuses caritatives pour pouvoir
bénéficier de l’offre budgétaire de l’Etat.
COURRIER INTERNATIONAL N° 859
29
DU 19 AU 25 AVRIL 2007
D’autant que le taux de fertilité du secteur
arabe israélien est en train de chuter.
Entre 1985 et l’an 2000, le taux de fertilité des musulmanes israéliennes était
de 4,7 enfants. Or, révèle le Bureau central de statistique, ce taux est tombé à 4
depuis 2005. Inversement, le taux de fertilité de la population juive ne cesse de
grimper, essentiellement à cause du dynamisme démographique des haredim
[ultraorthodoxes]. Le taux de fertilité des
juives israéliennes est aujourd’hui de
2,7 enfants par femme. Vu que le taux de
fertilité des Arabes chrétiennes est aussi
faible qu’en Europe, le taux de fertilité des
Arabes israéliens dans leur ensemble n’est
plus que de 3,6 enfants. En clair, l’écar t
de fertilité entre Israéliens musulmans et
juifs n’est plus que de 1 enfant
Shahar Ilan, Ha’Aretz (extraits), Tel-Aviv
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m oye n - o r i e n t
T U R QU I E
Une manifestation anti-islamiste “fascisante”
Venus pour défendre la laïcité, des centaines de milliers de Turcs ont fini par verser dans un nationalisme
inquiétant en conspuant tour à tour l’UE, les Etats-Unis et le FMI, note le quotidien Milliyet.
MILLIYET
POINT DE VUE
Istanbul
ors de la manifestation organisée à Ankara le 14 avril,
un orateur s’est écrié à la
tribune : “Nous ne sommes
pas des putschistes, nous sommes des révolutionnaires !” Il y avait une grande
foule, et de nombreux drapeaux turcs
flottaient au vent. Un slogan se faisait
entendre : “L’armée kémaliste* va s’exprimer !” Ensuite, une annonce :
“Deniz Baykal, le président du CHP
[kémaliste], est parmi nous !” Le ton de
la manifestation était très guerrier et
extraordinairement nationaliste. A
les écouter, la Turquie serait un pays
sous occupation qui se prépare à
une nouvelle guerre de libération !
L’Union européenne, l’Amérique et
le FMI ont été conspués. Comme
dans les années 1960, le slogan “Non
à l’impérialisme ! Oui à une Turquie
vraiment indépendante !” résonnait de
toutes parts. A cette époque, on courait manifester au cri de “Pour une Turquie indépendante et vraiment démocratique !” Nous n’étions soi-disant pas
indépendants puisque nous étions liés
à l’Amérique, pas plus que nous ne
vivions en démocratie puisque c’était
toujours des “agents de l’Amérique”
tels que Süleyman Demirel [plusieurs
fois Premier ministre et président de
la République de 1993 à 2000] qui
sortaient systématiquement vainqueurs des urnes. Nous considérant
comme des “démocrates révolutionnaires”, nous adorions les portraits
d’Atatürk et nous pensions pouvoir
réaliser une révolution démocratique
en organisant des manifestations et
en favorisant l’émergence d’une junte
putschiste au sein de l’armée. Mais
la plupart des jeunes qui manifestaient à cette époque étaient loin de
savoir ce qui se tramait en coulisse,
L
Un retour en
arrière est devenu
impossible
Dessin de Stavro
paru dans Al-Balad,
Beyrouth.
■ Erdogan
président ?
Le Premier ministre
se présentera-t-il
aux élections
présidentielles ?
Les médias turcs
épient les moindres
faits et gestes
dans l’espoir
de savoir s’il va
ou non se porter
candidat à ce poste
honorifique. Ayant
jusqu’au 25 avril
pour déposer
sa candidature,
Erdogan laisse
encore planer
le doute. Il dispose
d’une majorité
au Parlement
(ce sont les députés
qui élisent
le président)
et aurait donc
toutes les chances
d’être élu, mais
l’opposition massive
des milieux laïcs –
qui craignent
une islamistation
du pays – le pousse
à la prudence.
notamment dans les rangs de l’armée.
C’est ainsi qu’après le putsch du
12 mars 1971, des tragédies se sont
produites et que des jeunes révolutionnaires ont été pendus.
“LA TURQUIE EST LAÏQUE
ET ELLE LE RESTERA”
Au cours de cette manifestation, la
Turquie a été dépeinte d’une façon
telle que tous ceux qui défendent
aujourd’hui le principe d’une bonne
entente avec les Etats-Unis, d’une candidature de la Turquie à l’Union européenne et d’une ouverture du pays
vers l’extérieur sur la base de l’économie de marché apparaissent forcément comme des “collaborateurs”
ou des “traîtres à la patrie”. Ce rassemblement du 14 avril aura ainsi été
marqué par un esprit ultranationaliste
et par un discours fascisant. Je ne crois
pas qu’une telle ambiance soit de
nature à créer la stabilité, le calme et
la paix dans notre pays. Cette méthode
est en effet très dangereuse : dans un
passé pas si lointain, elle a surtout
contribué à polariser la société, divisant la Turquie en plusieurs fronts
opposés. Dans ce contexte, il est nécessaire de se rappeler ce que le pays a
vécu pendant les années 1960, et surtout au cours de la décennie 1970.
Que de sang versé et que d’énergie
gaspillée ! L’avez-vous oublié ? ! J’entends dans ce rassemblement des slogans affirmant que “la Turquie est laïque
et [qu’]elle le restera”. Bien sûr qu’elle
va le rester. La Turquie dispose de suffisamment d’expérience pour pouvoir
protéger la République laïque dans un
cadre démocratique. Contrairement à
ce que vient encore de déclarer l’actuel président de la République,
Ahmet Necdet Sezer, le régime n’est
pas menacé pas plus que la République n’est en danger.
Hasan Cemal
* Par allusion à Kemal Ataturk, fondateur
de la Turquie moderne et laïque.
■ “Il s’agit probablement du plus
grand rassemblement de l’histoire
turque. Cela doit dès lors nous amener à réfléchir sur la crainte que traduit une telle mobilisation. Lorsque le
Premier ministre Erdogan fut élu maire
d’Istanbul [en 1994], des inquiétudes
similaires s’étaient déjà manifestées :
assisterait-on à une séparation des
sexes dans les transpor ts publics ?
Le por t du voile deviendrait-il obligatoire ? C’est donc plus par rappor t à
leurs standards de vie personnels que
des citoyens lambda ont senti le
besoin de se rendre à cette manifestation dans un contexte for tement
idéologique.
Pourtant, les standards de vie en Turquie se modernisent d’une telle
façon qu’il est désormais impossible
d’envisager un quelconque retour en
arrière. Sur fond de disparition de la
paysannerie et de consolidation de la
petite-bourgeoisie, l’erreur consiste
à voir dans ce passage douloureux
l’opposition de deux visions du
monde”, écrit Ahmet Turan Alkan dans
le quotidien d’Istanbul Zaman. Mais
l’élite bureaucratique, qui refuse de
par tager le pouvoir, fait tout pour
amener cette lutte sur le terrain idéologique.
La meilleure illustration en est que les
propos très durs du président Sezer,
évoquant la semaine dernière la
“menace” planant sur le régime, ont
été tenus à l’Académie militaire, un
lieu où le citoyen ordinaire n’a jamais
le droit de pénétrer.
HABIBIMOL.COM
Recherche homme pieux mais surtout riche et beau
Les sites de rencontres islamiques sont-ils
si différents des autres ? Pour le savoir,
un journaliste du quotidien Hürriyet
s’est rendu sur le plus connu d’entre eux.
près la littérature islamique, la tenue
islamique, la banque islamique, les
journaux islamiques, le supermarché islamique et les défilés de mode islamiques,
voilà maintenant la dernière nouveauté :
les sites de rencontres islamiques ! Dès
que j’ai appris la nouvelle, j’ai voulu me
plonger sur le site web le plus populaire en
la matière, <www.habibimol.com> [ce qui
signifie “sois mon habib” : le mot “habib”
est emprunté à l’arabe, la langue sacrée
du Coran, pour ne pas avoir à prononcer
crûment le mot turc signifiant “amoureux”].
A
Mais, à ma grande déception, la page d’accueil m’envoyait l’avertissement suivant :
“Vu le grand nombre de visiteurs, l’accès
habituel de notre site Internet est momentanément interrompu.”
Quand j’ai enfin réussi à entrer sur le site,
je suis tombé sur une page où figuraient
des voiles de mariée et des roses – une
impression kitsch à souhait. J’ai sauté les
rubriques du genre “Les devoirs de la
femme envers l’homme selon l’islam”, pour
passer directement à celle des “Candidates”. Celles qui ne sont pas à cheval sur
les règles islamiques n’hésitent pas à y
montrer leur photo. D’autres, plus rigoureuses sur les principes religieux, se contentent de se faire représenter par une petite
branche de rosier ou par un papillon bleu.
L’ensemble des candidates déclarent
qu’elles accordent la priorité à tout prétendant se présentant comme un “bon croyant,
avec une foi solide”. Mais les autres conditions qu’elles posent ne sont pas des plus
simples à remplir. Car un homme a beau afficher une foi inébranlable, il n’a aucune
chance auprès de nos candidates s’il n’a
pas un emploi bien rémunéré. Par ailleurs,
un homme a beau être un bon musulman et
disposer d’une situation stable, il doit aussi
être conforme aux canons de la beauté masculine. Du côté des hommes, des concepts
similaires guident les choix et les qualités
dont se vantent les postulants. Ils placent,
juste derrière les critères spirituels, les critères matériels indispensables pour plaire
au sexe opposé. Après s’être présentés en
COURRIER INTERNATIONAL N° 859
30
DU 19 AU 25 AVRIL 2007
bons croyants, ils ajoutent aussitôt l’atout
décisif destiné à faire craquer les éventuelles
candidates au mariage : “J’ai un bon
salaire”… Et, éventuellement, d’autres
détails du genre “Je possède une voiture,
un appartement”.
Au fur et à mesure de mes balades sur ce
site, je n’ai pu m’empêcher de remarquer
une grande contradiction entre ce que les
candidats prétendent faire et ce qu’ils font
réellement. Au point de m’adresser intérieurement à Yunus [un mystique soufi du
XIIIe siècle] en ces termes : “Il était sans
doute plus facile de devenir derviche à une
époque où les moyens techniques d’incitation au péché étaient limités. Pourrais-tu
rester derviche à l’ère d’Internet ?”
Ahmet Hakan, Hürriyet, Istanbul
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Page 31
afrique
●
BÉNIN
Le billet de banque comme argument électoral
Programmées pour le 25 mars dernier, les élections législatives ont finalement eu lieu le 31 mars. Elles ont donné
la majorité à la coalition Force Cauris pour un Bénin émergent (FCBE), qui soutient le président Boni Yayi.
LES ÉCHOS DU JOUR (extraits)
Cotonou
a démocratie béninoise est
décidément devenue une
“démocratie du portefeuille”. Dès la fin 2006,
les partis politiques et mouvements
soutenant l’action du président de la
République ont annoncé la couleur
en organisant des meetings de “remerciement” pour son élection à la magistrature suprême. Une précampagne
électorale qui ne disait pas son nom,
renforcée au fil du temps par les multiples visites du chef de l’Etat à travers le pays. Officiellement, pour la
mise en œuvre des grands chantiers
visant à faire du Bénin un pays émergent. Soit.
Après la débâcle des partis traditionnels à l’élection présidentielle de
mars 2006, les Béninois s’attendaient
à des législatives particulièrement
tumultueuses au cours desquelles
l’argent jouerait un rôle encore plus
important que par le passé. Qu’à cela
ne tienne, la campagne n’a pas démenti les pronostics. Si les quelques
incidents enregistrés n’ont pas mis le
pays à feu et à sang, les dons et libéralités – pourtant proscrits – se sont
révélés des pratiques courantes et
banalisées. Au grand dam des représentants de la Cour constitutionnelle,
qui étaient censés veiller au grain.
Phénomène jadis circonscrit aux
centres urbains, des groupes constitués dans l’unique but de rançonner
tous les candidats ont fait leur apparition même dans les hameaux les
plus reculés du pays. “Une fois élus,
certains députés ne reviennent plus se
préoccuper de nos problèmes sociocommunautaires. Et ce n’est que quatre ans
après qu’ils viennent quémander nos
suffrages. C’est pour cela que nous en
profitons pour leur prendre une partie
L
de l’argent qu’ils ont acquis grâce à nos
suffrages”, confie un villageois dans
le département de l’Atacora, dans le
nord-ouest du Bénin.
L’occasion nous a été ainsi offerte
de surprendre un groupe de jeunes
partis monnayer leurs voix contre des
espèces sonnantes et trébuchantes
auprès d’un candidat auquel ils ont
promis un résultat inégalé au décompte du bureau de vote du quartier. Avisé qu’il est, le candidat en
question leur a donné rendez-vous le
lendemain du scrutin pour toucher
leur pactole. Les intéressés n’ont pas
cru devoir se présenter à nouveau,
conscients qu’il s’agissait d’un marché de dupes et qu’ils n’avaient pas
voté pour lui, comme le prouvait le
résultat ridicule qu’il a obtenu.
outre la mouvance présidentielle,
qui arrive en tête du scrutin avec
37 députés, l’Alliance pour une dynamique démocratique (ADD) obtient
20 députés, le Parti du renouveau
démocratique (PRD, conduit par
Me Adrien Houngbédji) 10 députés,
l’alliance Force clé 4 députés, l’alliance Union pour la relève (UPR)
3 députés, Force espoir 2 députés,
pour ne citer que ceux-là.
C’EST LE PLUS OFFRANT
QUI GAGNE L’ÉLECTION
DES CENTAINES DE MILLIERS
DE FRANCS POUR LES PAYSANS
Dans un autre village de l’Atacora,
après le meeting d’un candidat, un
paysan a exigé, faute d’argent à partager, du sodabi (alcool local) à boire
plutôt que des promesses. Les anecdotes sont légion, les unes aussi croustillantes que les autres. Des faits ahurissants vécus pendant la campagne
électorale dépassent l’imagination.
Des électeurs se disputant des sacs
de sel ou de riz, des ballons ou de l’argent sont autant de scènes ordinaires
auxquelles beaucoup ont eu le loisir
d’assister.
Les législatives du 31 mars dernier ont vu pleuvoir beaucoup plus
d’argent sur les masses rurales que
par le passé. A telle enseigne que ceux
qui voient rarement passer entre leurs
mains 10 000 francs CFA [environ
15 euros] au fil d’une année se sont
retrouvés avec des centaines de milliers de francs en poche en l’espace
de quelques minutes. Comme s’ils
avaient gagné au loto.
Seulement, il arrive quelquefois,
comme à Tanguiéta, que la bagarre s’en
mêle au moment du partage de la
cagnotte et que le perdant se retrouve
à l’hôpital Saint-Jean-de-Dieu avec de
graves brûlures au corps. Le hic est
que cet incident s’est produit à la suite
du meeting de la Force Cauris pour
un Bénin émergent (FCBE), l’alliance de partis et mouvements de
la mouvance présidentielle. Quand
on sait que le président de la République a promis de faire de la lutte
contre la corruption son cheval de
bataille, il y a matière à réflexion sur
la manière dont des candidats de la
liste pour laquelle il a battu campagne
ont agi en certains endroits du territoire national.
Sous réserve de confirmation ultérieure par la Cour constitutionnelle,
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31
Dessin de
Smirnov, Moscou.
■
Repères
Le Bénin s’est ouvert
à la démocratie
en 1990. Boni Yayi,
un ancien banquier
qui s’était engagé à
débarrasser le pays
de la corruption,
avait créé la surprise
en mars 2006
en se faisant élire
président avec
75 % des suffrages.
La coalition
de partis qui le
soutient a obtenu
35 des 83 sièges
de députés.
DU 19 AU 25 AVRIL 2007
Sur plus de 2 000 candidats, qui
représentaient 26 partis ou alliances
de partis, on connaît donc aujourd’hui les 83 députés qui siégeront
pour le compte de cette législature,
la cinquième depuis la désormais
historique conférence des forces vives
de la nation qui a inauguré le renouveau démocratique au Bénin. Une
expérience de plus sur le chemin de
la démocratie, même si celle-ci a été
jalonnée de plus de couacs que par
le passé, tant dans la préparation du
scrutin que dans la campagne électorale à proprement parler.
En somme, aujourd’hui au Bénin,
c’est le plus offrant, en termes d’espèces sonnantes et trébuchantes, qui
gagne une élection. Ce qui laisse à
désirer après les grands espoirs de
réelle démocratie suscités par le modèle
béninois au début des années 1990.
Vous avez dit que la “démocratie du
portefeuille” ou la “ventrocratie” valait
mieux que le débat d’idées ?
La formule est bien connue :
plutôt que des arguments convaincants, il faut des billets de banque
convaincants. Et on ne va pas plus
loin. En attendant le jour où une
grande majorité de Béninois auront
compris le sens d’un suffrage dans
une démocratie.
Bickel Gildas Enagnon
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●
Dessin de Kal,
Etats-Unis.
LA FRANCE VOTE
■ La presse internationale s’est
passionnée pour cette présidentielle. Peutêtre, comme l’explique le New Statesman,
parce que la France reste “la nation la plus
turbulente d’Europe”. Ou parce que le
suspense se maintient jusqu’au bout.
■ Les journaux du monde entier ont
multiplié les reportages, comme le
Los Angeles Times, qui est allé à Evreux
prendre le pouls du pays. ■ D’autres ont
décortiqué les programmes, jaugé les
candidats et même appelé à voter pour
l’un ou l’autre ! C’est le cas de The
Economist (pour Nicolas Sarkozy) ou du
Soir (contre). ■ Bref, tout le monde
attend avec intérêt les résultats de
“l’élection la plus excitante depuis 1981”.
“Chers amis, je vais vous quitter…” Dessin de Tom, Amsterdam.
Feu sur la présidence !
Le metteur en scène allemand Benjamin Korn encourage les Français
à se débarrasser une bonne fois pour toutes d’un président omnipotent.
DIE ZEIT (extraits)
Hambourg
a France est tombée sur la tête ! Depuis
le “non” tonitruant à l’Europe – le crépuscule des dieux de Chirac –, on n’y parle
plus que d’un seul sujet : qui sera le prochain président ? A la une des quoditiens
et des hebdomadaires, à la télévision, les
candidats nous scrutent : Sarkozy et sa tête de
polichinelle, Royal et son éternel sourire, Le Pen
le bouledogue, et Bayrou le nounours.Tous les
demi-dieux et les fausses divinités, les politiciens
ambitieux et leur petite troupe de partisans se
battent pour l’Elysée. Ils se font des croche-pieds
et se jettent des peaux de banane : les trotskistes
et les souverainistes, les racistes et les socialistes,
les communistes et les altermondialistes, tous
ces candidats de droite comme de gauche qui
ne peuvent pas se sentir, surtout parce qu’un
seul d’entre eux – comme dans une fécondation – touchera au but.
Mais le jeu en vaut-il la chandelle ? Oh que
oui ! Le pouvoir illimité ! Divin emploi que
celui de président de la République. Il trône
là-haut, dans les nuages, alors qu’au-dessous
règne le chaos. D’autres acolytes malchanceux,
engloutis par les scandales, démissionnent et
sont condamnés par la justice, tandis que,
furieusement, il jette ses éclairs, annule une loi
adoptée par le Parlement et, comme un enfant
avec ses soldats de plomb, joue avec les institutions politiques de son pays. Il est assez courant de dire que la Constitution française a été
enfantée par la Révolution. Elle est le résultat d’une histoire pleine de soulèvements, de
L
COURRIER INTERNATIONAL N° 859
32
DU 19 AU 25 AV RIL 2007
contre-révolutions, de barricades et de restaurations. Elle porte encore des traces de sang
séché. Son texte assemble deux institutions qui,
depuis la prise de la Bastille, sont imbriquées
impitoyablement l’une dans l’autre : la monarchie et la république.
L’héritier de la Révolution, c’est le gouvernement ; l’héritier des rois, le président. En
France, le président est couramment appelé “le
Prince”. Il habite “le palais”, ses ministres sont
souvent des “barons”. Le président est audessus des lois. Le Parlement est impuissant.
Les ministres, courbés comme des esclaves, peuvent à tout instant être congédiés. Souverainement, il peut changer son Premier ministre,
dissoudre l’Assemblée nationale et convoquer
de nouvelles élections. Son pouvoir est absolu.
Il est le chef des armées, décide de la politique
étrangère et a seul le pouvoir d’appuyer sur le
bouton nucléaire. Il fait la pluie et le beau temps.
Il nomme les préfets et le corps diplomatique,
l’administrateur général de la ComédieFrançaise ou celui de l’Opéra-Bastille.
Cette situation, très différente de celles de
l’Allemagne, de la Grande-Bretagne ou des
Etats-Unis, est la partie émergée de l’iceberg
présidence, qui confine à l’humiliation permanente des règles démocratiques. Le président n’est pas seulement inattaquable sur
le plan politique et juridique. Son budget
échappe à tout contrôle : parler d’argent est si
vulgaire. On préfère parler des coucheries présidentielles. L’argent, c’est trop intime. Le budget de l’Elysée est un scandale politique dont
on parle à mots couverts. Après tout, ce sont
les “dessous” de la nation.
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Dessin de Mix paru
dans L’Hebdo, Lausanne.
PAT R I O T I S M E
Quel sang impur ?
La Marseillaise est vraiment trop martiale
pour un commentateur habitué aux
“verts pâturages” de l’hymne national suédois.
aut-il que la France ait si peu confiance en elle
pour se donner du courage avec un chant patriotique barbare avant de se frotter au monde ? Généralement, plus le pays est pauvre, plus les discours
patriotiques pompeux et enflammés y sont nombreux, accompagnés, comme il se doit, de l’hymne
national. La France n’a aucune raison de se ranger
dans cette catégorie en coqueriquant La Marseillaise à tout bout de champ. C’est un chant
superbe, reconnaissons-le, souligné par une mélodie militaire irrésistiblement entraînante. Vous l’avez
sûrement déjà fredonnée :
“Tada tadaa taa taa taa TAA ta-ta
tom-tom tom-tom tom, tam-taram.”
Et les paroles ! “Allons enfants de la Patrie… humhum hum-hum hum, tradilaa.” Bon d’accord, ici,
en Suède, on ne les connaît pas par cœur. Avant
toute chose, je souhaite avertir les lecteurs sensibles que je vais révéler dans un instant ce que
l’élégante Madame Royal* s’époumone à faire
chanter dans ses meetings. Disons-le tout de
suite : cela risque de choquer les personnes qui
ont grandi au son de ritournelles innocentes telles
que “Ta terre, ton ciel, tes verts pâturaaaaaages”
[paroles de l’hymne suédois Du gamla, du fria].
Bref, accrochez-vous !
La Marseillaise commence par une exhortation
directe aux “enfants de la Patrie”, appelés à se
mettre en route, car “le jour de gloire est arrivé”.
L’auteur des paroles, Claude Joseph Rouget de
Lisle, explique que “contre nous – les citoyens français – de la tyrannie (en 1792, c’est l’Autriche)
l’étendard sanglant est levé. Entendez-vous, s’enquiert-il, dans les campagnes, mugir ces féroces
soldats ?” Autrement dit, les ennemis braillent : ils
beuglent et mugissent tels des bestiaux.
Mais ça ne s’arrête pas là : “Ils viennent jusque
dans nos bras”, prévient Rouget de Lisle. Et pour
faire quoi ? Eh bien, “pour égorger nos fils et nos
compagnes”. Je vous avais prévenus ! On est bien
loin du “pays silencieux, beau et joyeux” [de l’hymne
suédois]. Et ce n’est pas fini : “Aux armes, citoyens,
formez vos bataillons !”, exhorte le chant. Le but
de la manœuvre est exprimé en des termes aussi
clairs et brutaux que dans le dernier vers du premier couplet : “Qu’un sang impur abreuve nos
sillons”. Rien que ça ! Si ce n’est pas là une incitation à la violence et à la haine raciale, qu’estce que c’est ? On croirait une réplique tirée d’un
jeu vidéo gore : “Crève ! Crève ! Crève ! Ton sang
impur irriguera mes pâtures ! Prends ça !”
C’est généralement le premier couplet de La Marseillaise que l’on chante. Il existe un certain nombre
d’autres couplets, tous plus patriotiques et guerriers les uns que les autres. Nous y échappons,
mais il est dommage qu’un responsable politique
moderne comme Ségolène Royal appelle à verser le sang de féroces ennemis. Ce texte est d’un
autre temps, certes, mais il crée tout de même un
sentiment malsain.
F
■
Mais le comble, c’est l’immunité juridique
présidentielle. Dans des affaires qui remontent
à l’époque où Chirac était maire de Paris, plusieurs de ses proches ont été condamnés, mais,
comme le procureur l’a regretté, “les chaises
d’illustres prévenus sont restées vides”. Le président ne peut ni être mis en examen ni être
entendu comme témoin, il contemple l’agitation terrestre d’un calme olympien. Comme les
monarques, les présidents français commettent
leurs plus beaux assassinats au sein de leur
propre famille. Ils déchaînent des guerres de
succession acharnées où l’on se plante un couteau dans le doss le sourire aux lèvres.
Tout cela n’a jamais entaché la réputation
des présidents.Toutes les fautes de Mitterrand,
les mensonges éhontés sur son état de santé, les
écoutes illicites de l’Elysée, son amitié pour
René Bousquet, responsable de la déportation
de Juifs à Auschwitz… Rien n’a jamais ébranlé
son pouvoir. De la même façon, tout a paru glisser sur Jacques Chirac alors que les Français
l’avaient communément surnommé “Supermenteur”. Face à la fourberie et aux promesses
non tenues de ses dirigeants, le peuple français
est devenu apathique.
LA FRANCE N’EST NI UNE MÈRE
NI UNE PUTAIN, MAIS UN PAYS !
L’impartialité du président est le mensonge le
plus enraciné de la Ve République. Comment des
politiques qui ont été extrêmement partiaux toute
leur vie peuvent-ils se permettre de braconner
sur le terrain idéologique de leur adversaire. Ségolène Royal a commencé à glisser dans ses discours les icônes de la droite nationale : Jeanne
d’Arc et le général de Gaulle. Nicolas Sarkozy
– dont les témoins de mariage étaient le milliardaire Bernard Arnaud et le patron de TF1, Martin Bouygues – s’est mis à citer Emile Zola et
Léon Blum. Ils sautent allégrement de gauche à
droite. Ils aiment la France et le claironnent.
“Vive la France !” trompetait de Gaulle. “Aimezla ou quittez-la !” tonitrue Sarkozy à la face des
immigrés, en roulant des mécaniques. “La France
aime tous ses enfants !” vocalise Royal. “La France
est une femme, philosophe de Villepin, elle a envie
d’être prise, ça la démange dans le bassin.” Le populisme fleurit. Or la France n’est ni une mère,
ni une maîtresse, ni une putain, mais un pays fait
de jeunes, de vieux, de pauvres, de riches, de gens
hostiles et de gens serviables. Le mot magique
“France” est censé souder les électeurs autour
du candidat. Il a un effet anesthésiant et correspond à un besoin d’harmonie nationale qui
revient périodiquement. Mais il est mensonger.
N’est-il pas infantile de penser qu’un
homme seul puisse changer le destin d’une
nation ? Prenons la seule proposition profonde
de Ségolène Royal : sa volonté de décentraliser
le pays. Elle devrait commencer par l’abolition
du président, qui centralise et monopolise tous
les pouvoirs de l’Etat. Il faut en finir avec le président, c’est la seule solution. Mais pour cela…
il faut l’accord du président. Pendant ce temps,
Jacques Chirac erre, perdu, dans les galeries de
son palais. Il décore ici ou là quelques vieilles
connaissances. Il nomme un ambassadeur pour
hisser les couleurs dans une île lointaine au petit
matin. Il a, paraît-il, perdu toutes ses illusions
sur la nature humaine. Il aurait dû se regarder plus tôt dans le miroir.
Aucun bruit du monde extérieur ne traverse
les murs de son palais, où vécut jadis la Pompadour, encore moins les lamentations des sansabri parqués dans leurs tentes le long du canal
Saint-Martin. Le président leur a fait cadeau,
dans sa superbe allocution du jour de l’an, non
d’un logement, mais d’un droit opposable qui
finira dans la fosse commune des lois sans
conséquence. Reste qu’un beau discours c’est
presque une bonne action. Et, en France, on
méprise les partis, mais on révère l’homme qui
domine l’Etat.
Benjamin Korn
COURRIER INTERNATIONAL N° 859
33
The Economist
L’hebdomadaire
britannique appelle
à voter pour Nicolas
Sarkozy. Certes, concède
le journal, “la présence
de Ségolène Royal
au second tour serait
souhaitable”, mais
“elle se place solidement
derrière la doctrine
de la vieille gauche.”
Quant à François Bayrou,
“il n’a pas réussi
à défendre l’idée d’un
marché libre et soutient
désespérément
l’intervention de l’Etat.”
Reste donc Sarkozy,
qui “sort du lot”
et qui “ne cache pas
que la France a besoin
d’un changement radical”.
■
Le Soir
Le quotidien bruxellois,
pour sa part, a décidé
de voter contre
le candidat de l’UMP.
Une démarche
“exceptionnelle”, précise
Joëlle Meskens dans
son éditorial du 14 avril.
“Oui, Nicolas Sarkozy
est dangereux. Parce
que le candidat de l’UMP
à l’Elysée a franchi la
ligne rouge. Ses propos
sur le caractère inné
de la pédophilie ou
de la tendance suicidaire
bouleversent tous les
principes de l’humanisme.
[…] A quoi bon
l’éducation, la famille,
l’amour, l’apprentissage
de la tolérance si le seul
destin décide de faire
d’un homme un héros
ou un monstre ?”
DU 19 AU 25 AVRIL 2007
Lars Ryding, Svenska Dagbladet, Stockholm
* En français dans le texte.
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e n c o u ve r t u re
Fini la diplomatie gaullienne !
Quel que soit le vainqueur, la politique étrangère
de la France ne sera plus marquée par l’obsession
de la grandeur. Personne ne devrait s’en plaindre.
NEW STATESMAN
Londres
ifficile de trouver, dans tout le monde
occidental, une personnalité politique qui
puisse espérer un pouvoir personnel plus
grand que celui dont va jouir Nicolas Sarkozy, Ségolène Royal ou François Bayrou, puisque c’est très probablement l’un
d’entre eux qui sera le prochain locataire de l’Elysée. Fort d’une victoire “propre” et du parlement
godillot qui sera sans doute élu dans son sillage,
le prochain président dirigera seul, comme la
Constitution du général de Gaulle le préconise.
On pourrait débattre des raisons de la résignation des parlementaires à ce rôle de laquais (que
Sarko aussi bien que Ségo disent vouloir améliorer), mais le lieu serait mal choisi. On préférera donc s’intéresser ici aux rapports qu’aura le
vainqueur avec le vaste monde. Car, si le président français n’échappe pas à certaines contraintes
en politique intérieure, les affaires étrangères restent son exclusivité, son “domaine réservé”.
Sur le thème de l’Europe, le conservateur
Nicolas Sarkozy est le plus fervent partisan de
l’union politique. Il appelle de ses vœux une
Constitution européenne allégée, qu’il ferait ratifier par le Parlement afin de ne pas donner à ses
contrariants compatriotes une nouvelle chance
de jeter le texte aux oubliettes lors d’un référendum. Quant aux Turcs, désolé, mais vous
n’êtes pas européens, dit le candidat de l’UMP.
D
■
New Statesman
L’hebdomadaire
britannique de centre
gauche consacre
un numéro spécial
à “la plus turbulente
des nations d’Europe”
à la veille de “l’élection
la plus excitante depuis
vingt-six ans. Depuis
l’arrivée au pouvoir
de François Mitterrand,
en 1981”. Pourquoi ?
Parce que “la France
a besoin de profondes
réformes” et que
la personnalité des
principaux candidats
“présage, de façon
différente, un nouveau
départ” pour le pays.
Ségolène Royal, elle, promet de soumettre la
Constitution à un nouveau référendum, à condition que le texte garantisse le maintien de l’Etatprovidence – ce dont Sarkozy semble moins soucieux. Il y eut une période éloquente, lors d’une
brouille sur la politique agricole commune, où
Jacques Chirac, se souvenant de la dignité supérieure de son poste, qualifia Tony Blair de “grossier jeune homme”. Gordon Brown n’aura pas à
faire face à de tels emportements. Nicolas Sarkozy, malgré sa réputation de franc-tireur,
éprouve une admiration presque gênante pour
les résultats économiques du Royaume-Uni. Il
joue dans la campagne le rôle du “candidat
anglais” et chante sans cesse les louanges du faible
taux de chômage britannique, de la façon dont
les Anglais* gèrent leurs problèmes, du libéralisme à la Thatcher-Blair-Brown. Si l’Irak ne fait
évidemment pas partie de sa lubie anglaise, le
candidat de l’UMP aime à commencer ses
phrases par “Quand j’étais à Londres…”
DE MEILLEURES RELATIONS
AVEC LES ÉTATS-UNIS
Sarkozy l’impulsif, Sarkozy le nerveux, s’annonce
comme un partenaire plus facile pour Gordon
Brown. Car Royal la sereine, bien que partageant
l’essentiel des convictions travaillistes du futur
Premier ministre britannique, n’a pas hésité à
faire de Jeanne d’Arc son modèle. Ce qui pourrait se révéler gênant pour un Anglais. Et l’adoption de La Marseillaise ainsi que son appel au drapeau tricolore montrent que Ségolène Royal est
vraiment en pleine crise “Pucelle d’Orléans”.
Le changement de locataire à l’Elysée aura pour
principal (et salutaire) effet de faire évoluer les
relations transatlantiques. Les désaccords et
rancœurs sur la guerre en Irak avaient souligné l’antagonisme entre deux conceptions du
monde, celles des Etats-Unis et de l’Europe
continentale. Mais Sarkozy est un atlantiste, au
diapason des méthodes américaines sur de nombreux sujets à l’exception du conflit au MoyenOrient. Il a probablement raison d’affirmer qu’il
peut parler aux Américains en ami et, le cas
échéant, leur dire sa désapprobation en toute
franchise. Et, contrairement à Jacques Chirac,
il maîtrise le vocabulaire pour ce faire. De son
côté, Ségolène Royal a tout pour s’entendre
avec un président des Etats-Unis démocrate,
même si les prévisions optimistes annonçant
une grande et belle histoire avec Hillary Clinton sont sans doute exagérées.
Sarko et Ségo se présentent tous deux comme
des personnalités nouvelles. Ils veulent incarner
la nouveauté aux yeux du monde autant qu’à ceux
des Français. Mais quel visage prendra cette nouveauté ? Laissez-moi pronostiquer quelque chose
d’assez inédit en son genre : une prise de distance
avec l’obsession française de la grandeur. Car
la grandeur ne colle pas avec la personnalité de
Sarko, ni d’ailleurs (je le dis au risque de m’attirer quelques ennuis) avec la féminité de Ségo et
son identification insistante à la maman française
de tous les jours. Ce retour à plus d’humilité serait
sans doute une bonne nouvelle pour la diplomatie
mondiale. Car même en Afrique, où tous les chefs
d’Etat français depuis de Gaulle se sont employés
à tisser leurs propres réseaux occultes afin d’imposer leur volonté politique, la grandeur française n’est pas toujours une bénédiction.
David Lawday
* En français dans le texte.
COUP DE GUEULE
La cause européenne ridiculisée
Les principaux candidats sont tétanisés
par l’Europe. Quant aux “nonistes”,
leurs divisions confinent à l’absurbe.
e 29 mai 2005, jour où la France a dit
“non” à la Constitution européenne,
devait être le jour fondateur d’une nouvelle
Europe. La reconstruction de l’Union sur de
nouvelles bases. De cet acte de résistance
que reste-t-il aujourd’hui ? Les partisans du
“non” de gauche se divisent. Narcissisme
des petites différences, querelles de personnes et appareils de partis ont mis à terre
des espoirs redevenus illusions. Pas si
simple de réconcilier communistes, trotskistes, anarchistes, étatistes, souverainistes,
altermondialistes et antilibéraux.
Le “non” de droite, quant à lui, n’a jamais prétendu à l’unité. MM. Le Pen et de Villiers ne
cachent pas leur haine réciproque. Le seul
élément unificateur de cette constellation protéiforme, qui s’étale de l’extrême droite à l’extrême gauche, est le protectionnisme. Bref,
ce n’est pas de ce côté qu’il nous faut chercher un projet cohérent et fondateur. Trop oc-
L
cupés à se disputer la paternité de cette grande victoire à la Pyrrhus, les partisans du “non”
ont aujourd’hui perdu toute crédibilité. Du reste, on voit mal quels Etats européens seraient
prêts à rallier leur croisade protectionniste.
En face, les partisans du “oui”, et singulièrement les principaux candidats à l’élection
présidentielle, n’ont toujours
pas proposé de projets
concrets pour sortir l’Union
européenne de l’ornière. Ainsi
Nicolas Sarkozy adopte-t-il une posture messianique peu en phase avec la
réalité politique de l’Union. Il veut sauver
cette Europe des échecs, cette Europe
qui ne protège pas, cette Europe qui ne
vaut rien à la France. Ce faisant, il flatte le
sentiment général d’euroscepticisme et se
présente comme celui par qui tout arrivera.
Hélas pour lui, non seulement sa présentation des succès et des échecs de l’Europe
est largement biaisée mais, bien plus, le
temps où le président français pouvait décider seul – avec son alter ego allemand –
de l’orientation générale de la construction
européenne est bel et bien révolu. Douze
ans de chiraquisme et un élargissement à
l’Est mal préparé sont passés par là et ont
réduit comme peau de chagrin l’influence
de la France dans l’Union.
Ségolène Royal est, quant à elle, à peu près
inexistante sur le terrain européen. Tout
au plus l’entend-on répéter, avec d’autres,
que la Banque centrale européenne (BCE),
dans sa lutte aveugle contre l’inflation, est
une des causes du taux de chômage français et de la “vie chère”, contraire
à l’“ordre juste” qu’elle souhaite
instaurer. Tout d’abord, constatons que l’objectif unique de
la BCE de lutte contre l’inflation a été fixé par le
traité de Maastricht, traité ratifié par référendum. Du reste, imaginer un seul instant
que l’Allemagne accepterait de revenir sur
l’indépendance de la BCE démontre à quel
point la candidate se berce d’illusions politiques. François Bayrou, enfin, est sans
doute le candidat dont l’engagement européen est le plus affirmé. Son projet consiste
COURRIER INTERNATIONAL N° 859
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DU 19 AU 25 AV RIL 2007
à refonder l’Europe autour d’un groupe restreint d’Etats – ceux de la zone euro – désirant aller plus loin et plus vite, notamment
sur les questions de recherche et de
défense. Si le projet est séduisant, il semble
omettre que cette volonté fédéraliste n’est
pas partagée par l’ensemble des pays de
la zone euro. Ainsi, les Pays-Bas ont, d’après
un sondage Eurobaromètre, voté “non” à la
Constitution en grande partie par crainte de
se voir déposséder de leur souveraineté
nationale. Si profondes et sincères que
soient les convictions de M. Bayrou, il ne
nous explique toutefois pas concrètement
comment il compte dépasser cet écueil.
On le voit donc, quand la France a la gueule
de bois, c’est toute l’Union qui a mal à la
tête. A l’heure actuelle, dans de nombreux
dossiers, qu’il s’agisse des questions institutionnelles ou de la politique agricole commune, la France est désormais un frein plus
qu’un moteur à l’intégration. Alexandre
Defossez, La Libre Belgique (extraits), Bruxelles
Dessin de Mayk paru dans Sydsvenskan, Malmö.
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A Ï E ! LA FRANCE VOTE
●
MÉDIAS
Un petit effort, Madame
Célèbre pour ses retards, la candidate socialiste
donne du fil à retordre aux journalistes
étrangers. De ce fait, leurs rédactions accordent
plus de place à Sarkozy.
a campagne présidentielle en France est particulièrement suivie en Grèce et en Europe, et,
si chaque pays de l’Union y consacre un angle
différent, une chose apparaît clairement : les candidats ne sont pas traités de la même manière.
Non par favoritisme mais certainement pour des
raisons pratiques. Prenons l’exemple des deux candidats les plus exposés. Nicolas Sarkozy est déjà
célèbre pour ses prises de position au cours des
émeutes de novembre 2005, ses voyages dans le
monde entier, dont les Etats-Unis, et parce qu’il
est le candidat choisi par Jacques Chirac. Il est
donc inutile de rappeler sa couleur politique, il suffit de reprendre ou de diffuser l’une de ses phrases,
souvent courtes et pugnaces, pour bien faire son
travail de journaliste. A l’inverse, l’ensemble de
la presse rencontre de grandes difficultés avec
Ségolène Royal. Physiquement, elle a tout de la
femme française : élégante, calme et posée mais
elle refuse obstinément de donner aux autres pays
l’occasion de mieux la connaître. D’abord, elle
méprise la presse et ne supporte pas d’être interpellée par les journalistes. C’est la championne
toutes catégories pour poser des lapins. En effet,
elle donne des rendez-vous qu’elle annule, sans
justification, au dernier moment. Mieux, elle refuse,
après ses meetings, de répondre aux questions de
la presse étrangère si celles-ci n’ont pas de rapport avec le thème de son discours. Enfin, elle n’oublie jamais de faire une remarque désobligeante
aux journalistes qui tendent le micro au mauvais
moment ou qui s’impatientent. Nos confrères japonais, chinois ou coréens se sont vu refuser le “pool
asiatique” qu’ils avaient constitué pour épargner
le temps précieux de la candidate ! Et il en est
de même pour les Italiens, Espagnols et Grecs.
Inutile d’envoyer les questions à l’avance ou de
supplier son service de presse afin d’avoir une
déclaration, Ségolène Royal dit toujours non.
S’il n’est pas possible de la présenter au public ou
aux médias par le biais d’interviews ou de citations,
il n’est pas possible non plus de reprendre des
extraits de ses discours. Sa voix monocorde
presque trop travaillée et la longueur interminable
de ses phrases dont le sujet et le complément sont
séparés par quelques dizaines d’adjectifs ne
conviennent pas aux journaux télévisés, en Grèce
ou ailleurs. Impossible de la couper correctement
pour retransmettre un extrait d’un meeting : il faudrait
sacrifier toute l’actualité internationale pour laisser à Ségolène le temps de finir une phrase. Les
journalistes ont donc trouvé une solution : ils préfèrent utiliser le commentaire off sur des images
muettes de la candidate. Mais, même dans ce cas,
les problèmes sont loin d’être réglés : chaque
semaine, les journalistes s’échinent à sérier la pléthore de propositions de Mme Royal pour les résumer et les transmettre aux Grecs et en grec. La plupart du temps, les rédactions athéniennes n’ont
pas la patience de leurs correspondants : elles coupent les sujets sur Mme Royal et illustrent la campagne électorale française avec… une petite phrase
de Nicolas Sarkozy. O Kosmos tou Ependyti, Athènes
L
Sarkozy ou Sárközy ?
Les origines magyares du candidat
de la droite ne sont pas
significatives. Penser le contraire,
c’est naviguer dans les eaux
troubles de l’extrême droite.
NÉPSZABADSÁG
Budapest
out Alattyán [le village où le père de Nicolas
Sarkozy passait ses vacances scolaires, à une
centaine de kilomètres de la capitale, Budapest] croise les doigts pour le jeune Sárközy.
Tous voudraient qu’il devienne président de
la République française. J’espère qu’il est au
moins aussi bon que son grand-père, M. György, et
qu’il aime autant son peuple que ses ancêtres ont aimé
les habitants d’Alattyán”, nous a déclaré une
femme qui avait connu l’autre jeune monsieur,
le père de Nicolas Sarkozy. Comme c’est
mignon : nous sommes fiers de nos “pays” qui
ont fait carrière dans le vaste monde. Alattyán
est fier de Nicolas, comme Budakeszi l’est de
Joschka Fischer et Karcag du Prix Nobel Avram
Hershkó. Et, ici, on se souvient encore de ce
reporter de télévision enthousiaste qui, dans les
années 1980, au début de la carrière d’André
Agassi, avait vérifié si la nouvelle étoile du tennis n’était pas par hasard un Ágasi ou Ágassy ?
Les origines hongroises du père de Sarkozy
sont une curiosité, en effet ; mais il vaut mieux
les traiter comme telle. “A mes yeux, vous n’êtes
pas algérienne mais française, de même que je ne suis
pas hongrois mais français”, a répondu Sarkozy à
une Lilloise sur un ton très sérieux dans une
émission de télévision. Est-ce par prudence, dans
une campagne présidentielle dont l’un des
thèmes principaux est l’immigration ? En partie, certainement. Mais il s’agit d’autre chose
aussi : du droit qu’a chacun de choisir qui il veut
être. Car celui qui conteste l’identité de quelqu’un – à coups de faux arguments, en se référant à des aïeux à peine connus – navigue dans
T
des eaux troubles. Pourquoi diable Sarkozy, qui
est né à Paris, ne parle pas le hongrois et n’a gardé
que des contacts superficiels avec son père, seraitil hongrois ? A cause de son sang, peut-être ?
Dans l’espace culturel français, très fortement centralisé par la langue, le système éducatif et les valeurs républicaines, cette idée ne
peut surgir et se développer qu’à l’extrême
droite du spectre politique. Selon Le Pen, Sarkozy aurait dû faire carrière en Hongrie. Le leader du Front national rappelle que, dans les
veines de l’épouse de Sarkozy, Cécilia, il n’y a
pas une goutte de sang français – et oublie que,
suivant sa logique, il devrait considérer sa propre
femme comme une Grecque ou une Néerlandaise. Mais qui cela intéresse-t-il ? Des centaines de milliers de personnes vivent en Alsace
en portant des patronymes germaniques sans
pour autant se considérer comme allemands.
Le Prix Nobel Richárd Zsigmondy ne se disait
pas hongrois lui non plus, alors que nous nous
plaisons à le considérer comme tel.
NE RÊVEZ PAS, UNE FOIS ÉLU,
SARKOZY OUBLIERA LA HONGRIE
Les autres cultures, surtout les grandes, nous
engloutissent ; dans le meilleur des cas, elles nous
permettent de transmettre à nos enfants la langue
et les traditions de nos aïeux. Là, il s’agit d’un
choix individuel. La conception française ouvre
probablement moins d’espace à la double identité
que ne le permettent l’américaine et la hongroise,
car, pour la République française, l’origine ethnique est secondaire. A Paris, il y a de nombreux
Hongrois de la seconde génération qui parlent
leur langue maternelle et gardent le contact avec
la patrie de leurs parents. Pour Sarkozy, ce n’est
pas le cas. Afin de nous épargner de cruelles
désillusions, il vaut mieux s’y faire dès aujourd’hui : si Sarkozy était élu président de la République française, il ne soutiendrait aucune “ligne
hongroise” au sein de l’Union européenne et
n’installerait certainement pas le terminus du
métro parisien à Alattyán.
László Szöcs
COURRIER INTERNATIONAL N° 859
35
Dessin de Mohr
paru dans la Frankfurter
Allgemeine Zeitung,
Allemagne.
■
Yeni Safak
La presse turque suit
avec attention
la campagne
présidentielle française.
Le quotidien stambouliote
Yeni Safak, proche
de l’AKP, titre “La Turquie,
la question à laquelle
ils ne répondent jamais”.
Et, surprise, il place
Marie-George Buffet
dans le carré de tête
des principaux candidats.
Une place de choix
qui devrait ravir
la candidate communiste,
car son parti ne l’a pas
occupée depuis 1981 !
DU 19 AU 25 AVRIL 2007
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Page 36
e n c o u ve r t u re
Bayrou bande mou*
L’aventure à gauche du candidat centriste
n’a aucun avenir. La bonne vieille Démocratie
chrétienne italienne en fournit la preuve.
IL FOGLIO
Milan
es derniers sondages sont unanimes : Nicolas Sarkozy, le candidat de la droite UMP
est solidement en tête, Ségolène Royal est
deuxième, François Bayrou, anciennement
de droite et maintenant lorgnant à gauche,
est en troisième position. Jean-Marie Le
Pen, candidat de l’extrême droite, est quatrième.
Ségolène Royal donne l’impression que le pire
est derrière elle : face à l’offensive de Bayrou, qui,
des semaines durant, a semblé en mesure de la
doubler et de lui ravir le droit de participer à la
finale du 6 mai, elle n’a pas flanché. Elle n’a pas
joué petit bras, n’a pas tremblé, ni n’a laissé le
candidat de l’extrême centre lui couper les
jambes, et pour ceux qui la connaissent cela n’a
rien de surprenant. Elle a fait preuve d’une
trempe remarquable, elle a su repousser les
attaques et mettre les sceptiques au pas. L’écart
entre sa courbe de popularité et celle de Bayrou
ayant commencé à se réduire dangereusement
début février, les stratèges socialistes ont alors
craint le moment où elles se croiseraient. En fait,
ces fameuses courbes se sont frôlées mais jamais
croisées. Ségolène Royal est restée devant, et
maintenant elle creuse, au moins un tantinet,
l’écart, et une soudaine inversion de tendance
est peu probable à quelques jours du scrutin.
Entre autres parce que la nouveauté, ce n’est pas
tant la force retrouvée, rénovée, raffermie de
Ségolène Royal que l’affaiblissement inattendu
de Bayrou.
L
Dessin de Mix
paru dans L’Hebdo,
Lausanne.
maison socialiste par la candidature d’une femme
et a décidé d’exploiter l’horreur du vide pour
s’avancer sur son côté gauche. Mais la manœuvre
a échoué, en raison du caractère de la candidate.
Maintenant Bayrou se trouve dans une situation paradoxale. S’il est éliminé au premier tour,
il ne peut pas rester cohérent avec son discours
antisystème qui renvoie droite et gauche dos à
dos et, en même temps, donner des consignes
de vote à ses électeurs. Et quand bien même, il
n’est pas sûr que ces dernières soient écoutées.
En revanche, s’il devait se retrouver en finale
contre Sarkozy, nous pouvons être certains qu’il
ne recevra de Ségolène Royal et des socialistes
aucun soutien, sinon froid et formel.Tout d’abord
parce que, si chacun veut l’emporter, ni lui ni
elle ne croient avoir la mission sacrée de faire
NE JAMAIS ABANDONNER
UN ALLIÉ FORT POUR UN FAIBLE
Les stratèges des autres candidats sont convaincus que la soudaine flambée de celui qui était
venu perturber la donne et qui pensait ressusciter en France des tendances politiques et des
comportements disparus depuis un demi-siècle
a atteint son maximum et a amorcé son reflux.
Bref, Bayrou commencerait à “bander mou”*.
Il y a quelques semaines, il a expliqué à ce journal, et non sans une certaine suffisance, qu’en
allant de la droite vers le centre pour faire des
œillades à gauche, il ne s’était aucunement inspiré d’éventuels modèles italiens. Et pourtant
il aurait mieux fait de se souvenir de l’âge d’or
du centrisme de la jadis toute-puissante Démocratie chrétienne italienne qui, elle, au moins, s’y
connaissait en matière de manœuvre politique.
La Démocratie chrétienne savait, par exemple,
qu’on ne quitte jamais une alliance forte pour
une autre, plus faible et plus incertaine. Elle savait
aussi que l’on peut tout faire en politique, sauter de droite à gauche puis de gauche à droite, à
condition d’avoir une écurie où les chevaux puissent se reposer – ou au moins un bout de prairie où paître. Mais Bayrou ne possède rien de
tout cela. Il a quitté la droite et l’UMP de Sarkozy sans s’être assuré de nouveaux réseaux. Il
a surévalué le dépit, le malaise provoqué dans la
perdre l’autre. Ensuite, si les socialistes devaient
pour la deuxième fois consécutive être exclus du
second tour, ils s’embarqueraient dans une crise
sans précédent et aux issues improbables. En
clair, ils auront autre chose à faire que de soupeser l’intensité de leur soutien à un candidat
plus ou moins tonique, d’autant que les élections
législatives ne sont pas loin. Parce qu’au fond
Bayrou n’est qu’un homme de droite et n’est
jamais allé à l’école des sages (celle des ex-Démocrates chrétiens italiens), il se retrouve au milieu
du gué, sans les alliés qu’il avait et sans ceux qu’il
espérait avoir. La condition idéale pour se faire
réduire en bouillie dans cette guerre électorale
où il n’y aura pas de prisonniers.
Lanfranco Pace
* En français dans le texte.
EXCEPTION FRANÇAISE
Stupéfiante extrême gauche
Le quotidien brésilien O Globo s’étonne
de la place prise par le folklore
révolutionnaire dans la campagne.
out à coup, tout le monde se lève et
chante L’Internationale. Non, cette
scène n’a pas lieu dans un pays communiste, mais à Creil, une ville de la banlieue parisienne qui compte 30 000 habitants dont un tiers d’ouvriers. Candidate
à la présidence de la République, Arlette
Laguiller, de Lutte ouvrière, s’y époumone
en expliquant à l’auditoire de la salle des
fêtes municipale combien le pays est brisé
par le capitalisme. Les 400 personnes
présentes, qui ont payé 13 euros pour un
dîner – avec salade, cochonnailles, fromage, vin et discours politique – écoutent,
enthousiastes. “Nous ne pouvons pas laisser la société s’enfoncer dans l’abîme !”
s’emporte l’oratrice.
Dix-huit ans après la chute du mur de
Berlin, la France, sixième puissance industrielle mondiale, fait partie des rares pays
T
COURRIER INTERNATIONAL N° 859
membres de la riche Union européenne
qui réunissent autant de candidats d’extrême gauche pour une élection présidentielle : cinq sur douze ! Trois sont trotskistes, issus de partis dont certains sont
nés à la fin des années 1920 : Arlette
Laguiller, Olivier Besancenot (LCR) et
Gérard Schivardi (Parti des travailleurs).
Non seulement ces candidats se chamaillent entre eux pour la sixième ou septième place, mais ils combattent parallèlement leur ennemi historique, le Parti
communiste français et sa candidate,
Marie-George Buffet.
Mon collègue Zheng Ruolin, qui est correspondant à Paris du quotidien de Shanghai Wen Hui Bao, n’en revient pas : “Je
viens d’un pays théoriquement communiste, dit-il, et je ne peux qu’être perplexe
quand je vois qu’en France L’Internationale est chantée par plusieurs candidats
qui rêvent d’une utopie socialisante garantissant le travail à vie ainsi qu’un logement
bon marché, voire gratuit pour tous.”
36
DU 19 AU 25 AV RIL 2007
Le scénario s’est encore compliqué avec
l’apparition de José Bové, sans parti, qui
critique tous les autres en expliquant qu’il
est le seul porte-parole légitime de la
gauche contestataire. Il ne rate jamais une
occasion d’épingler les autres, rappelant
au passage que parmi ses partisans se
comptent de nombreux… trotskistes.
Dans le programme des cinq candidats,
on trouve à peu près le même menu : la
France doit travailler moins – et non plus,
comme le prêche la droite. Par ailleurs,
ils attaquent les multinationales, proposent de réduire le profit des actionnaires
et de nationaliser des entreprises. Si Bové
était élu, les exportations agricoles brésiliennes ne pourraient pas entrer sur le
marché français. Il défend un système
quasi autarcique, du genre “chacun produit pour son peuple”, et souhaite le retrait
du chapitre agricole des négociations de
l’OMC. Rien de moins.
Deborah Berlinck,
O Globo (extraits), Rio de Janeiro
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A Ï E ! LA FRANCE VOTE
●
“On est français,
on vote Le Pen”
VU D’ISRAËL
Des Juifs frontistes
Marquée par une recrudescence d’agressions
antisémites, la communauté juive se réfugie
à droite, voire à l’extrême droite.
Tensions dans les cités, sentiment d’abandon ou
envie de “foutre la m…” : de plus en plus de Français
d’origine maghrébine s’apprêtent à voter Le Pen.
LE QUOTIDIEN D’ORAN
Oran
l y a plus de dix ans, alors que j’étais en
reportage dans le nord de la France, j’ai
interviewé une famille française d’origine
maghrébine dont le père, la mère et les deux
filles m’ont soudain affirmé qu’ils voteraient
à l’avenir pour le Front national (FN). “On
est d’ici maintenant. Rentrer au bled, c’est fini. On
est tellement français qu’on va voter Le Pen”, m’a
dit la mère dans un français laborieux. Elle parlait fort avec de grands gestes, approuvée sans la
moindre once de gêne par son époux et sa progéniture. “Les seuls qui sont venus taper à notre
porte sont les gens du Front national. Pour les autres,
on n’existe pas”, a surenchéri l’aînée, consciente
de mon trouble.
De retour à Paris, je me souviens que de
nombreux confrères et amis n’avaient pas voulu
me croire. La chose – des Maghrébins votant Le
Pen (!) – leur paraissait impossible ou relevant
d’une plaisanterie de mauvais goût. Moi-même,
j’ai vite mis de côté cette anecdote et j’avais tort.
Erreur professionnelle… La percée du Front
national au sein de la population française d’origine étrangère n’était pas une fiction.
Depuis, rares sont ceux qui contestent l’influence grandissante du FN chez les minorités
visibles, comme en témoigne la visite hautement
symbolique de Jean-Marie Le Pen sur la dalle
d’Argenteuil. On se souvient aussi de l’affiche
électorale de ce parti qui représentait une Beurette incitant à voter FN. Aujourd’hui, à Sarcelles
ou dans les quartiers nord de Marseille, le patron
de l’extrême droite française peut désormais
compter sur quelques dizaines de milliers de bulletins de vote supplémentaires, ce qui n’incite
guère à l’optimisme pour le résultat du 22 avril
prochain. Que s’est-il donc passé pour que l’on
en arrive à cette situation ?
Il y a d’abord un premier constat. Les principales victimes de l’insécurité entretenue par les
voyous qui sèment la terreur dans les quartiers
sont leurs voisins, qui partagent le plus souvent
la même origine qu’eux. Et c’est sur cela qu’a
(bien) joué la propagande du Front national.
“Les militants du FN nous expliquent qu’on n’a rien
à craindre d’eux. Qu’ils nous respectent en tant que
Français et qu’ils ont besoin de notre aide pour mettre
de l’ordre dans la cité. Il y a des gens sensibles à ce
genre d’arguments”, m’a dit un jour un jeune
comptable d’origine algérienne vivant à Juvisy.
De l’extérieur, les “quartiers” sont vus de
manière uniforme avec l’image récurrente de
populations soudées contre “les autres”, habitants des villes, “gaulois” ou autres supposés nantis. Rien n’est plus faux. Les tensions au sein
d’une même cité, voire d’un même immeuble
sont importantes. Contrairement à une idée
reçue, la solidarité y est rare et, si les jeunes font
I
“Les premiers
produits de luxe que
nous allons interdire
sont importés
de France : liberté,
égalité et fraternité.”
Dessin de Zapata,
Caracas.
■
Tout va mal !
Pour le quotidien
flamand De Morgen,
la France – en
piteux état – est “
à la recherche de
son image perdue” :
le chômage atteint
près de 10 %.
Les 35 heures n’ont
créé que trop peu
d’emplois ;
le pouvoir d’achat
n’a fait que reculer
ces dernières
années ; la croissance
économique est loin
derrière celle de la
plupart des autres
pays européens ;
l’ascenseur social
est en panne,
la République prône
la liberté, l’égalité
et la fraternité avec
une grande capacité
d’intégration. Mais
la réalité est tout
autre. Les minorités
visibles qui vivent
dans les banlieues
sortent difficilement
du lot et se sentent
discriminées. Le rôle
de la France dans
le monde a décliné,
elle réussit
difficilement
à se réconcilier avec
le monde globalisé.
La dette de l’Etat
dépasse les 60 %
du PIB et augmente
rapidement.”
l est presque certain que c’est l’extrême droite
de Jean-Marie Le Pen qui va bénéficier de la
peur installée dans le cœur des Juifs de France,
qui, depuis 2000 et le début de la seconde Intifada, ont été en France l’objet d’attaques. Sept
ans plus tard, le calme est revenu et, si les agressions antisémites n’ont pas entièrement cessé,
elles sont bien moins graves. Mais, politiquement, tout a changé. Avant, les Juifs ne votaient
pas pour Le Pen, car ils voyaient en lui un raciste
et un xénophobe. Tant qu’ils se sentaient protégés, ils condamnaient sa personne et ses opinions. Mais maintenant qu’ils se sentent abandonnés par l’Etat, certains considèrent qu’il offre
une solution adaptée.
Alors que l’Etat n’a pas voulu admettre la présence
de plus en plus importante d’éléments extrémistes
au sein de la communauté musulmane, Le Pen
martèle avec encore plus de force ses opinions
bien connues : les musulmans, ou la plupart d’entre
eux, devraient retourner dans leur pays. L’ennemi
de mon ennemi est soudain devenu un ami. Dans
la petite ville pittoresque d’Aix-en-Provence, un
médecin juif m’a expliqué, il y a quelques jours,
que beaucoup de ses amis ont l’intention de voter
pour Le Pen. “Evidemment, parce que c’est lui le
meilleur pour les Juifs de France”, ajoute-t-il. L’un
de ses amis, un professeur d’économie qui prenait
part à la discussion, a reconnu que, même si les
choses s’étaient améliorées, la plupart des Juifs
d’Aix-en-Provence voteraient soit pour le candidat
de droite, Nicolas Sarkozy, soit pour Le Pen. “J’ai
l’impression que Le Pen va faire un bon score aux
élections”, confie-t-il.
Aux dernières élections, en 2002, Le Pen a obtenu
des scores impressionnants dans les villes mixtes
où les Français “de souche” vivent aux côtés des
immigrés musulmans. C’est pour cette raison que
Sarkozy, le candidat en tête, fait tout ce qu’il peut
pour essayer de récupérer les votes qui ont déjà
atterri dans le camp de Le Pen.
Dans une large mesure, ce sont les Juifs de France
qui ont tracé le nouveau chemin que l’élection est
en train de suivre. Certes, dans cette campagne
électorale, tout le monde parle d’économie, de chômage, d’éducation, des plus démunis, du niveau
des universités, de la nécessité de renforcer la
puissance militaire, de la place de la France en
Europe et de ses relations avec les Etats-Unis ;
mais, ce qui flotte au-dessus de toutes ces questions importantes, c’est l’identité française.
Dans quel pays veulent-ils vivre et à quoi veut ressembler la France de demain ? Voilà les deux questions que les électeurs français posent à leurs candidats. Qui aurait pensé que la France serait, elle
aussi, rattrapée par la politique des identités et
incapable de se sortir de ce piège. Un siècle après
la séparation de l’Eglise et de l’Etat et l’introduction d’un mode de vie effaçant les identités, la
France se retrouve à lutter pour ce qui reste de
la révolution républicaine. A cet égard, il n’y a pas
que les Juifs qui jouent un rôle important depuis
l’automne 2000 – les musulmans aussi sont
influents depuis les émeutes de l’automne 2005.
I
les quatre cents coups ensemble, les parents,
dépassés, s’épient, se jalousent et s’en veulent
mutuellement. Il y a, par exemple, un phénomène dont on parle peu dans la presse française
et qui est celui de la délation. Comme dans certains villages, les lettres anonymes dénonçant
le voisin qui touche des allocations familiales ou
un RMI indus ne sont pas rares.
Comme ailleurs, on y pourfend “les profiteurs”
et on maudit ceux qui amènent le désordre et
qui, finalement, sont les responsables de cette
punition collective qu’est la stigmatisation des
quartiers et de tous leurs habitants.
LE FN N’EST PLUS PERÇU
COMME UN VRAI DANGER
Et, quand un militant du FN se pointe et affirme
la main sur le cœur qu’il sait distinguer le bon
grain de l’ivraie, il est souvent bien mieux entendu
et accueilli qu’un agité du Kärcher ou qu’un
vague représentant du PS. Une autre raison
majeure de la percée du Front national chez les
Beurs, c’est qu’en France ce parti n’est plus perçu
comme un danger et le travail de séduction entrepris par Marine Le Pen n’en est pas la seule explication. En bref, le FN ne fait plus peur aux
Franco-Maghrébins, du fait de sa banalisation,
d’autant que ses idées ont été récupérées d’une
manière ou d’une autre par le reste de la classe
politique. Enfin, il y a un autre phénomène qui
pousse certains Beurs à voter Le Pen. C’est l’envie de perturber le système, de “foutre la m…”,
pour dire les choses de manière triviale. Les manifestations d’entre les deux tours en 2002 ont eu
cet effet étrange qu’elles ont convaincu de nombreux habitants des quartiers populaires que Le
Pen élu nuirait plus aux Français des belles villes
et des beaux villages qu’à eux. Raisonnement
idiot mais contre lequel la classe politique républicaine ne s’est guère mobilisée. Attention, le
22 avril, il y aura encore danger.
■
COURRIER INTERNATIONAL N° 859
37
DU 19 AU 25 AVRIL 2007
Daniel Ben-Simon, Ha’Aretz (extraits), Tel-Aviv
32-39 en couv
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Page 38
e n c o u ve r t u re
La campagne est passée par la Creuse
Du côté de Guéret, on se bat
pour conserver ses services publics
et sa jeunesse. Reportage.
LE TEMPS
Genève
n aurait pu croire que les candidats à la
présidentielle négligeraient la Creuse et
son chef-lieu, Guéret, que ses habitants
situent volontiers au “centre du centre”
de la France. Cette région rurale, la plus
âgée et l’une des moins peuplées du
pays, est un peu la province de la province :
ici, lorsqu’on parle de “métropoles”, on ne pense
pas à Paris ni à Lyon, distantes de plus de
350 kilomètres, mais à Montluçon, Châteauroux
ou Limoges, ailleurs considérées comme des
villes secondaires et un peu assoupies. Le spacieux QG où se trouve le bureau d’André
Lejeune, sénateur socialiste de la Creuse,
témoigne de l’hégémonie que la gauche exerce
dans cette région depuis longtemps. Une identité “rouge” forgée d’abord dans l’anticléricalisme, puis dans les maquis implantés par la
Résistance au cœur des forêts creusoises. A Guéret, ville administrative, il y a peu d’industries
mais beaucoup de fonctionnaires, ce qui offre
un substrat idéal au vote socialiste.
O
LA RÉGION SE SENT À LA MERCI
DE FORCES QUI LA DÉPASSENT
Après la venue de Ségolène Royal, “le moral
remonte, les militants y croient, Sarkozy fait peur”,
explique André Lejeune. Mais ce vétéran de la
politique, qui a été vingt ans maire de Guéret,
a rarement vu une élection aussi indécise. La
médiatisation à outrance, orchestrée depuis Paris,
semble déconcerter les électeurs au lieu de les
éclairer. Ces hésitations s’expriment dans les
conversations passionnées que l’on entend à
L’Atelier, l’un des rares lieux de la Creuse où l’on
peut assister à des soirées électro ou à des
concerts punk. Ce café alternatif ouvert il y a
trois ans à Royère-de-Vassivière, petit bourg du
sud du département, attire une espèce devenue
rare dans la région : des jeunes gens, pour la plupart engagés dans les milieux associatifs et séduits
par les thèses altermondialistes.
“Je voterai Ségolène Royal au premier tour, affirmait jeudi dernier une cliente accoudée au bar.
— Mais c’est grave, tu ne votes pas pour tes idées,
répond sa voisine.
— Je voterai par trouille,oui”, concède la première.
La serveuse approuve. “Malheureusement, je
voterai Royal au premier tour, par sécurité. Sinon,
j’aurais voté Besancenot [le candidat de la LCR]
ou José Bové.” Son raisonnement est simple :
choisir la candidate socialiste dès le premier tour,
c’est se prémunir contre le cauchemar absolu
des électeurs de gauche, une finale SarkozyLe Pen. Claire Debout, institutrice à Guéret
et altermondialiste convaincue, n’est pas de cet
avis. Elle trouve Ségolène Royal trop “molle”,
inconsistante. “Ce qu’elle propose, c’est du pipeau.”
Pour l’instant, elle ne sait pas quel bulletin elle
glissera dans l’urne le 22 avril : “Là, je suis encore
en pleine réflexion.” La même perplexité se lit dans
les yeux clairs et las d’Alain Priot, responsable
creusois du syndicat Force ouvrière. Depuis des
années, il livre un combat désespéré pour retarder la fermeture des services publics dans le
département. Toutes les infrastructures sont
menacées : la ligne de chemin de fer est à l’agonie, la succursale de la Banque de France risque
de fermer, les services de France Télécom et
d’EDF sont en pleine restructuration. Des moratoires ont été obtenus pour garder certains services hospitaliers, mais le syndicaliste ne se fait
pas d’illusions. “Les moratoires, ça ne nous fait pas
avancer beaucoup. Ça donne juste le temps d’accepter, de se résigner.” Il a depuis longtemps cessé
de croire qu’un retour de la gauche au pouvoir
stopperait l’inexorable recul de l’Etat. Face à ce
phénomène, les habitants de la région réagis-
Dessin de Patrick
Chappatte paru dans
Le Temps, Genève.
sent avec une sorte d’humour noir. Le record
de vitesse atteint par un TGV le 3 avril dans l’est
de la France a suscité d’amères plaisanteries.
“Comment ça va changer ma vie, ça !” persiflait
le lendemain un client du Havane, le bar-tabac
branché de Guéret. “Ils ont dépensé des millions
pour leur record et, pendant ce temps, ils continuent
à fermer des gares.”
Eloignée des grands axes et peu connue des
touristes, la Creuse se sent à la merci de forces
qui la dépassent : les nouvelles règles budgétaires
françaises, qui forcent l’Etat à rationaliser ses
dépenses, la réduction des aides européennes
due à l’élargissement de l’Union, voire ce fameux
libéralisme mondial dont bien des gens de gauche
pensent qu’il est en train de “tout tuer”. Certaines
entreprises de la région ont changé plusieurs fois
de nom ou de propriétaire, et les pages du journal local, La Montagne, sont pleines de titres
inquiétants : il est question de redressement judiciaire, de salariés à recaser, de plan social ou
de la prochaine fermeture de l’abattoir de Guéret.
Pourtant, lorsqu’elles se produisent, les délocalisations se font moins en direction de la Slovaquie ou du Vietnam que de zones voisines
comme l’Auvergne, plus peuplées et plus dynamiques économiquement. C’est un effet pervers
de la décentralisation : une compétition sans
merci s’est instaurée entre les régions françaises.
Cela n’empêche pas une légère brise d’optimisme de souffler sur le département : après des
années de déclin, la chute de la population
semble sur le point d’être enrayée. Il semblerait
qu’en fin de compte la Creuse ait peut-être un
avenir. Ses habitants espèrent seulement que le
prochain président – ou la prochaine présidente –
saura s’en souvenir.
Sylvain Besson
V U D E PA R I S
Quand les bobos font leurs calculs
■ Lorsque Christine Perez, une femme au
foyer de 42 ans, reçoit ses amis à dîner,
elle leur demande d’inscrire leurs pronostics sur des bouts de papier qui sont
ensuite soigneusement placés dans une
enveloppe. “Le 22 avril, je réunirai ma
famille et mes amis pour une grande fête.
Nous suivrons la soirée électorale à la télé
et nous ouvrirons les enveloppes pour voir
qui avait raison. De semaine en semaine,
le jeu s’affine. A l’origine, nous n’étions
qu’une petite bande de vieux, tous quinquagénaires, mais, peu à peu, les enfants
des copains se sont joints à nous. La
semaine dernière, nous étions vingt-cinq !”
s’amuse-t-elle.
Il y a trois grands prétendants à la mandature suprême : M. Sarkozy, Mme Royal
et M. Bayrou. Ce dernier est talonné par
Jean-Marie Le Pen et son discours axé sur
le renvoi des immigrés dans leurs pays
d’origine. Derrière ce peloton de tête arrive
une petite troupe bruyante, glapissante
et hargneuse, issue de la gauche comme
de la droite et qui devrait accumuler un
COURRIER INTERNATIONAL N° 859
peu plus de 12 % des suffrages. Les amis
et la famille de Mme Perez ne font aucun
mystère de leurs sympathies pour la
gauche. En temps normal, ce n’est pas le
choix qui manque. Mais, cette fois-ci, ils
sont prudents car ils ne souhaitent pas
réitérer le scénario d’avril 2002.
“Je me souviens : au bord des larmes,
j’ai dû voter Chirac, explique Florence, la
fille de Christine. Au premier tour, j’avais
choisi Arlette Laguiller. Je ne me le suis
jamais pardonné. Nous n’avons pas le
droit de faire deux fois la même erreur.
Cette fois, je ne sais absolument pas ce
que je vais faire. Dois-je voter Ségolène
au premier tour et prendre le risque de
la voir perdre face à Sarkozy ou bien fautil essayer de hisser Bayrou au second
tour sous prétexte que ce que je crains
le plus, c’est la victoire de Sarkozy ?
C’est un choix difficile.”
M. Bayrou, un homme à l’allure sérieuse,
avec un front légèrement dégarni et des
yeux d’épagneul, a fait une campagne
sobre avec un discours simple. “Je n’ai
38
DU 19 AU 25 AV RIL 2007
aucune envie de me retrouver dans un
grand parti avec des gens de droite, ronchonne Christine Perez. Si Bayrou est
élu, ce sera la fin du Parti socialiste tel
que nous le connaissons. Qui sait à quelle
instabilité politique cela peut nous
conduire ? Je devrais peut-être mettre mes
réticences de côté et voter pour Ségolène.
Je ne l’aime pas, mais, quitte à me pincer le nez, je crois que la situation impose
que je donne ma voix à ma famille politique. Surtout quand je pense à ce qui arrivera si Sarkozy est élu – davantage de lois
répressives et de police dans les rues,
plus de clientélisme et d’autoritarisme.
Là, je me demande : vaut-il mieux voter
Bayrou au premier tour ? Je n’ai pas encore
décidé. Je ne sais que faire et je n’en dors
plus la nuit.” Elle n’est pas la seule à se
ronger les sangs. Les Français hésitent
comme jamais pour cette élection qui
s’avère être la plus passionnante, la plus
inédite et la plus exaspérante que la
France ait connue depuis des décennies.
Vaiju Naravane, The Hindu, Madras
32-39 en couv
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A Ï E ! LA FRANCE VOTE
●
Du changement, oui, mais pas trop
Que veulent les Français ? Le Los Angeles Times
a mené l’enquête à Evreux, une ville qui semble
résumer tous les maux et les contradictions
de la France d’aujourd’hui.
LOS ANGELES TIMES
Los Angeles
D’ÉVREUX
es Français veulent le changement. Ils
ont besoin de changement. Enfin, juste
un peu. Et, tout compte fait, peut-être
même pas du tout. Le directeur de la
communication d’Evreux, Patrick Lage,
soupire : à l’approche de l’élection présidentielle, ce débat sur la réforme lui rappelle
étrangement les difficultés qu’a connues la ville
normande, il y a quelques années, pour la réfection des rues. Lorsque le nouveau maire, JeanPierre Nicolas, a annoncé la remise en état
complète de la voirie municipale, ses administrés ont applaudi des deux mains. Mais,
quand les ouvriers ont commencé à éventrer
rue après rue, les riverains se sont mobilisés
pour les arrêter. Ils ont dit “non” parce que
le chantier était décidément trop bruyant.
“Non” parce que les ouvriers faisaient le boulot en dépit du bon sens. “Non” parce qu’il
valait mieux reporter les travaux – après les
vacances, par exemple (les Français adorent
dire “non”). Cette ville de 51 000 habitants
présente un grand nombre des caractéristiques
de la France d’aujourd’hui, y compris ses problèmes et ses charmes évidents. Nichée dans
une vallée à mi-chemin entre Paris et les plages
de Deauville, la cité possède un centre-ville
animé qui s’organise autour d’une magnifique
cathédrale et de la rivière Iton.
L
Dessin de Côté,
Canada.
travail et de faire repartir la machine économique.
“J’ai un emploi, ma femme aussi et ma fille également, explique M. Poupardin. Mais on connaît
toujours quelqu’un qui n’en a pas. On croise des gens
sans travail dans la rue. C’est à se demander pourquoi ils ne trouvent pas de travail, alors que je ne
trouve pas de gens qualifiés à l’embauche.”
M. Poupardin, un grand gaillard de 55 ans
aux yeux bleus, me reçoit dans son bureau lambrissé d’aluminium situé aux abords de la ville.
Il a quitté Paris il y a trente ans pour venir chercher du travail ici. Il est à son compte depuis vingt
ans, emploie une douzaine de personnes et vit
bien. Mais, face à la bureaucratie et à la rigidité du droit du travail – qui lui impose, par
CHEZ LES RANGER, ON VIT BIEN
MAIS CHAQUE SOU COMPTE
CHEZ GUY POUPARDIN, ON RÊVE
DE RÉFORMES À LA THATCHER
Mais ici, comme dans le reste du pays, le chômage est élevé, frisant les 9 %, tandis que le
revenu moyen reste modeste, à 13 500 euros
annuels. Des vagues successives de fermetures
d’usines ont dévasté l’économie locale et, malgré les mesures d’incitation fiscale destinées à
attirer de nouvelles entreprises, Evreux stagne,
tandis que les équipementiers automobiles et les
usines d’assemblage électronique délocalisent
les emplois vers New Delhi ou la République
tchèque. A La Madeleine, un quartier situé en
lisière de la ville, ces retombées de la mondialisation sont on ne peut plus tangibles. Un tiers
des jeunes sont au chômage. Il y a deux ans, des
jeunes défavorisés, originaires pour beaucoup du
Maghreb et de l’Afrique de l’Ouest, ont mis la
ville à feu et à sang pendant dix jours, incendiant
des voitures et un centre commercial. “Que ce
genre de chose arrive à Paris, soit, mais ici, en province, à Evreux ?” s’étonne encore M. Lage, qui
n’a pas oublié le choc qu’a suscité ce déchaînement de violence.
Guy Poupardin, patron d’une petite entreprise de bâtiment, est presque décidé à voter pour
Sarkozy, qui, selon lui, serait le plus capable de
remanier le système, de réformer le marché du
de trois enfants est venue lui demander
600 euros pour envoyer sa fille de 12 ans en
classe de neige et son autre fille de 14 ans en
séjour découverte en Angleterre pendant les
vacances de février. Elle est repartie très déçue
de constater que la municipalité ne lui accordait
que 200 euros. “Cette dame et son mari travaillent
certes tous les deux très dur et n’ont pas de gros
salaires. Mais il y a des limites à ce que l’Etat peut
donner”, soupire Mme Jeanne. Elle espère que le
candidat centriste Bayrou saura faire changer
des habitudes et des façons de faire solidement
ancrées en France. Elle est pourtant réaliste :
quand elle entend Bayrou se réclamer de Blair
ou de l’ancien président américain Clinton, elle
réagit : “La différence, c’est que Blair est arrivé
après Margaret Thatcher, qui avait fait le gros du
travail. Le problème, en France, c’est que personne
n’a encore fait ce qu’il faut pour que les individus
commencent à modifier leurs attitudes.”
exemple, d’accorder cinq semaines de congés
à ses salariés –, il n’imaginerait pas recommencer aujourd’hui ce qu’il a fait il y a trente ans.
“Quand j’ai commencé, j’avais ça de paperasserie à
remplir”, dit-il en écartant le pouce de l’index de
trois centimètres. “Aujourd’hui, il y a ça”, poursuit-il en ouvrant grand la main. Il espère que
Nicolas Sarkozy aura le courage de mettre en
place autant de réformes que Margaret Thatcher
dans les années 1980, quand elle a métamorphosé la Grande-Bretagne.
Danielle Jeanne, maire d’Aulnay-sur-Iton,
un village situé à quelques kilomètres à l’ouest
d’Evreux, pense que la tâche la plus importante
– et la plus difficile – du prochain président de
la France sera de faire évoluer les mentalités.
C’est déjà très dur à l’échelle de son petit village
de 544 habitants. Il y a quelque temps, une mère
COURRIER INTERNATIONAL N° 859
39
DU 19 AU 25 AVRIL 2007
Stéphane et Anne-Claire Ranger sont sensibles
à ces critiques. Stéphane, 43 ans, dirige une
entreprise de marketing direct – pour laquelle il
n’a jamais touché la moindre subvention
publique, souligne-t-il fièrement. Anne-Claire,
41 ans, est fonctionnaire et appartient donc à ce
que l’on considère ici comme une classe privilégiée. Le père de Stéphane était coiffeur et AnneClaire assure venir de la “classe ouvrière”. Tous
deux font aujourd’hui partie de la classe moyenne
aisée, vivant avec leurs trois enfants dans une
maison qu’ils ont fait construire à Saint-Michel,
sur une colline surplombant les flèches de la
cathédrale d’Evreux.
Même s’ils sont loin des quartiers défavorisés, comme ceux qui entourent la fonderie
désaffectée de La Madeleine, les Ranger n’en
sont pas moins inquiets pour l’avenir. La valeur
de leur maison a doublé, mais pas leurs salaires.
Pour eux, “chaque sou compte” – ils n’ont même
pas encore acheté de rideaux pour la maison
qu’ils habitent depuis près de dix ans. Ils doivent travailler davantage chaque année pour
maintenir un niveau de vie qu’ils ont atteint au
prix de tant d’années et d’efforts. “Maintenant,
les cols blancs doivent être dynamiques, opportunistes
et travailler plus dur pour conserver leur emploi”,
assure Stéphane. Les Ranger attendent du prochain président qu’il annule la très polémique
semaine de travail de 35 heures. “C’est formidable de ne travailler que 35 heures par semaine,
commente Anne-Claire. Mais à quoi ça sert si on
n’a pas de quoi acheter des fleurs pour son jardin ou
se payer un cinéma ou encore un restaurant en
famille de temps en temps ?” Les Ranger ne songent pas un instant à voter pour la socialiste
Ségolène Royal, qu’ils jugent trop ancrée dans
les vieilles méthodes, et pencheraient davantage
pour Bayrou. Mais Stéphane craint que le projet de coalition du gentleman-farmer centriste
ne soit pas viable. Ils ont envie de changement,
mais ne sont pas certains que leurs compatriotes
puissent s’adapter. “Les gens sont vraiment très
conservateurs ici, dit Stéphane. Ils ont peur du lendemain et préfèrent donc s’accrocher à ce qu’ils ont.”
Geraldine Baum
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p o r t ra i t
Salam Fayyad
Le Palestinien
que tout le monde aime
HA’ARETZ (extraits)
Tel-Aviv
Le nouveau – et ancien –
ministre des Finances
palestinien, Salam Fayyad, profite
de ses derniers instants de liberté
pour prendre congé de ses confrères
israéliens. Bientôt, le premier gouvernement d’union
nationale dirigé par le Hamas doit entrer en fonctions.
Fayyad a déjà pleinement conscience que, en intégrant
un gouvernement où siège le mouvement islamiste, lui,
l’homme politique palestinien le plus respecté des Occidentaux, vient de s’inscrire sur la liste de plus en plus
longue des responsables palestiniens proscrits par Israël.
Beaucoup de responsables israéliens, qu’ils soient
haut placés ou non, sont amers de cette rupture. Quiconque a eu l’occasion de rencontrer Salam Fayyad est
tombé sous son charme. Que ce soit à Jérusalem, à
Washington, à Paris, à Londres ou ailleurs, Fayyad avait
fini par devenir l’“icône” palestinienne suprême, le partenaire idéal.Tzipi Livni [ministre centriste des Affaires
étrangères], Ephraïm Sneh [vice-ministre travailliste de
la Défense] et d’autres appréciaient de le rencontrer
dans les magnifiques jardins de l’hôtel American Colony,
à Jérusalem-Est [sur l’ancienne démarcation entre l’Est
et l’Ouest] ou sur la terrasse de l’hôtel King David à
Jérusalem-Ouest. Fayyad était sans doute l’unique Palestinien à qui les responsables étaient prêts à donner
les yeux fermés plusieurs centaines de millions de dollars en étant certains qu’ils serviraient réellement à
payer les salaires des fonctionnaires de l’Autorité palestinienne (AP), et à rien d’autre.
Pour prendre la mesure de la confiance bâtie entre
Fayyad et les décideurs israéliens, il suffit de se rappeler qu’il y a deux ans de cela Fayyad figurait parmi
les invités au mariage de la fille de Dov Weisglass [qui
dirigeait alors le cabinet du Premier ministre Ariel Sharon], et qu’il compte toujours parmi les relations de
Weisglass. Dans le plan de table, Fayyad fut carrément
placé non loin d’Ariel Sharon, et tous deux eurent l’occasion de discuter longuement, de l’apéritif au poussecafé. Autre preuve du statut privilégié de Salam Fayyad
auprès des Israéliens : l’invitation qu’il reçut fin janvier
pour prononcer une allocution à la Conférence d’Herzliya [conférence annuelle où politiques et militaires
israéliens dressent l’avenir stratégique de l’Etat]. Pour
Fayyad, cela consistait ni plus ni moins à entrer par
la grande porte au cœur de l’élite politique, économique
et militaire d’Israël. “Pour moi, la Conférence d’Herzliya,
c’est l’endroit où Sharon a annoncé le plan de désengagement israélien [de la bande de Gaza], soit l’un des événements les plus déterminants de la vie des Palestiniens depuis
longtemps.” Invité à parler d’économie et de finances,
Fayyad surprit et captiva l’auditoire en exposant sa philosophie politique. Les diplomates occidentaux, en Israël
et dans les Territoires, qui ont eu l’occasion de le croiser ces dernières semaines, dépeignent un Salam Fayyad
emballé à l’idée de récupérer les Finances, un portefeuille qu’il a dû abandonner en février 2006, après
la victoire du Hamas aux législatives. “Il mesure parfaitement l’ampleur du défi et à quel point son prestige est en
jeu. Mais c’est apparemment ça qui l’emballe.” Salam
Fayyad n’a pas encore de plan précis. Ce qu’il sait, c’est
qu’il devra persuader la communauté internationale de
surmonter ses doutes pour qu’elle
■ Un rêve
rétablisse des relations diploma“Il est de mon devoir
tiques avec l’Autorité. Fayyad est un
de travailler sans
oiseau rare. D’un côté, il est le polirelâche afin que
ticien palestinien le plus estimé d’Isles rêves de mon
raël et des Occidentaux, mais d’un
peuple deviennent
autre côté, il n’a aucune assise élecréalité. Nous rêvons
torale à Gaza ni en Cisjordanie.
de mener
une vie normale.
Avant les élections législatives de
Nous rêvons du jour
janvier 2006, le Fatah lui avait prooù les agriculteurs
mis le poste de Premier ministre s’il
palestiniens
acceptait de prendre sa carte du
de Cisjordanie
parti. Mais Fayyad sait lire une
ne verront plus leurs
carte, même politique, et il a vite
récoltes détruites
compris que le Fatah n’avait aucune
pour faire place à
chance de l’emporter. Il a alors créé
des routes réservées
le Parti de la troisième voie avec
aux Israéliens.
Notre dépendance
Hanane Achraoui et Yasser Abed
vis-à-vis de l’aide
Rabbo [deux leaders indépendants].
internationale
Ils n’ont obtenu que deux sièges,
est d’autant plus
mais cela a suffi pour maintenir
grande que notre
Fayyad sur l’échiquier.
développement
Fayyad est né en 1952 dans le
économique
village de Deir El-Ghussun, près
est bloqué. Mais
de Tulkarem. Contrairement à la
nous ne souhaitons
pas être une nation
plupart des personnalités palestide mendiants,
niennes, il n’a pas fait l’expérience
dépendante
de la Naqba [littéralement, le
du monde pour
désastre] de 1948. Il a obtenu un
nourrir son peuple”,
doctorat d’économie à l’université
écrit Salam Fayyad
du Texas et commencé à travailler
dans The Daily Star.
en 1987 à la Banque mondiale, à
Washington. Après la création de l’AP, en 1994, il est
retourné dans les Territoires en tant que délégué du
FMI. En 2001, il est passé au secteur privé et a été
nommé directeur de l’Arab Bank pour la Cisjordanie,
la principale banque du Moyen-Orient.
Il était en passe de réussir une brillante carrière
d’homme d’affaires lorsque celle qui est considérée
comme sa véritable “patronne”, Condoleezza Rice, est
entrée en lice comme conseillère à la Sécurité nationale, avant de devenir secrétaire d’Etat. Lorsque l’opération Rempart [l’encerclement du siège de Yasser Arafat, à Ramallah, en avril 2002] toucha à sa fin, les
pressions pour pousser Arafat à introduire des réformes
étaient à leur comble. Cela a débouché sur la création des postes de Premier ministre et ministre des
COURRIER INTERNATIONAL N° 859
40
Finances, ce dernier étant censé ôter à Arafat son pouvoir économique. C’est sous la pression de Rice et
consorts que Fayyad accepta le poste.
A peine nommé, Fayyad entreprit de sérieuses
réformes dans le système financier palestinien, au grand
dam d’Arafat, avec qui il entra en conflit, ce qui a forgé
sa réputation de personnalité indépendante et forte.
Dans le même temps, ses rapports avec le président
Bush devinrent de plus en plus chaleureux. Lorsqu’ils
se rencontraient, ils mettaient un point d’honneur à se
réserver au moins un quart d’heure pour se remémorer le bon temps des études à l’université du Texas et
commenter les derniers résultats de l’American Football League. Même le député [Likoud] et ex-ministre
des Affaires étrangères Silvan Shalom garde une impression positive de celui qu’il surnomme “le chouchou de
Condoleezza”.“Nous le considérions comme un négociateur fiable et comme la personne à qui confier la gestion des
transferts financiers vers l’Autorité palestinienne.” Les diplomates israéliens disent que, depuis le retour de Fayyad
aux Finances, les Européens sont aux anges. “Ils attendent tous le moment adéquat pour le rencontrer et n’en ont
plus que pour ‘Fayyad, Fayyad, Fayyad’.” C’est ce crédit illimité de l’Occident qui lui confère un pouvoir sur
la scène palestinienne.
Tous ceux qui l’ont rencontré expliquent que Fayyad
n’a tout simplement pas le profil auquel les personnalités politiques palestiniennes les ont habitués. “Il
a le profil de ces Palestiniens longuement formés en Occident, explique un diplomate israélien. Son attitude est
occidentale, directe, franche.Trop de Palestiniens commencent leurs conversations par un discours sur l’occupation,
histoire de se faire du bien. Lui ne fonctionne pas à coups de
slogans. Certes, il n’a pas le sens de l’humour d’un Saëb Erekat [négociateur palestinien, notamment à Camp David].
Mais, au moins, chez lui, une parole est une parole.” De
nombreux Israéliens soulignent aussi sa modestie.
“Lorsque vous rencontrez des responsables palestiniens,
impossible de ne pas être impressionné par leur voiture ou le
nombre de gardes du corps. Avec Fayyad, rien de tout ça.
Après tout, il aurait pu poursuivre une carrière bien plus
lucrative en Occident.”
Cela dit, pour l’instant, personne au sein du gouvernement israélien n’a l’intention d’établir la moindre
distinction entre Salam Fayyad et les ministres du
Hamas. Ehoud Olmert et Tzipi Livni répètent à l’envi
que quiconque siège aux côtés du Hamas sera boycotté.
Beaucoup, en Europe et aux Etats-Unis, ont beau penser autrement, il ne semble pas qu’Israël envisage de
changer d’avis à court terme. Pour Yossi Beilin, président du Meretz [à gauche du Parti travailliste, ancien
négociateur d’Oslo], “boycotter Salam Fayyad est le comble
de la bêtise. Il est unique au sein de l’AP. C’est aussi difficile pour lui de siéger avec le Hamas que pour le peuple hébreu
de traverser la mer Rouge. Mais il sait que ne pas prendre
le poste serait pire.”
Barak Ravid
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Heidi Levine/Sipa
●
Les enfants
palestiniens,
premières victimes
du conflit.
Ismael Mohamad/UPI/Hachette Photos
Mahmud Hams/AFP/Getty
■ Salam Fayyad
en 2003 devant
la Moqataa,
le palais présidentiel
de Yasser Arafat,
détruit par
les Israéliens.
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Le marché
aux armes de Gaza.
41
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Page 42
enquête
●
SUCCÈS D’UNE STRATÉGIE À LONG TERME
Toyota, le mouvement perpétuel
Tenace et patient, le groupe
japonais ne renonce jamais
à ses objectifs. Tel un rouleau
compresseur, il écrase lentement
ses concurrents. Il sera bientôt
le numéro un mondial du secteur.
THE NEW YORK TIMES (extraits)
New York
n cette fraîche matinée de janvier, au Centre des
congrès de Detroit, une petite meute de journalistes passait d’un stand à l’autre au gré des présentations. Les principaux constructeurs automobiles du monde dévoilaient ce jour-là leurs nouveaux
modèles. Des PDG, comme Rick Wagoner de General
Motors (GM), présentaient des voitures électriques
comme la Chevy Volt, qu’il n’est pas possible de produire en série – en tout cas pas avant que la technologie des batteries ait suffisamment évolué –, mais qu’il
est facile de pousser sur un podium devant un parterre
de photographes. On en aurait presque oublié que GM
a affiché 10,6 milliards de dollars de pertes en 2005 ou
que Ford envisage de supprimer 30 000 emplois.
Vers midi, la foule attendait que Toyota présente la
dernière (et la plus grosse) version de son nouveau pickup, le Tundra. Cela faisait plusieurs mois que je suivais
Toyota ; j’avais visité l’usine d’assemblage du Tundra à
San Antonio, le siège des ventes de l’entreprise près de
Los Angeles, le siège administratif de Manhattan et
l’usine de la Toyota Camry, près de Lexington dans
le Kentucky. J’en étais arrivé à la conclusion qu’à part
quelques rappels de pièces défectueuses (situation inhabituelle et humiliante pour le constructeur) Toyota
est l’une des plus solides entreprises qui soient.
Les performances réalisées par le groupe l’an dernier, sur un marché automobile pourtant essoufflé, sont
si éclatantes, si énormes qu’elles semblent ne pas avoir
d’équivalent, en tout cas dans le monde de l’industrie.
Un exploit comparable, peut-être, à celui d’une équipe
de base-ball qui remporterait 150 matchs sur 162. Selon
ses prévisions de production pour 2007 – 9,34 millions
de voitures et camions –, la marque japonaise devrait
bientôt supplanter GM comme premier constructeur
mondial d’automobiles. En 2006,Toyota a affiché un
bénéfice net annuel de 11,6 milliards de dollars, et sa
capitalisation boursière (c’est-à-dire la valeur de l’ensemble de ses actions) frôlait 240 milliards de dollars
– soit plus que celle de GM, Ford, DaimlerChrysler,
Honda et Nissan réunis.
A Detroit, lorsque le Tundra apparut enfin sur
scène, Jim Lentz, l’un des responsables de l’entreprise
pour l’Amérique du Nord, annonça à la salle bondée
que ce véhicule “changeait tout” pour Toyota. La
recherche, la conception, la mise au point et l’assemblage avaient été réalisés aux Etats-Unis. Et, selon
la présentation qu’en fit Lentz, le Tundra était le plus
robuste, le plus musclé et le plus viril des pick-up
jamais conçus. Cinquante ans après avoir pris pied
aux Etats-Unis,Toyota considère le Tundra non seu-
E
lement comme un nouveau modèle, mais aussi comme
l’aboutissement d’un demi-siècle d’expérimentations,
d’échecs et de résurrections. Et, comme le sait quiconque connaît un tant soit peu l’histoire de la marque,
l’entreprise nippone ne lance jamais d’initiative irréfléchie ou de promesse en l’air.
Grand, mince, natif du Midwest, Jim Press est président de Toyota Motor North America. Plus de la
moitié des bénéfices du groupe sont réalisés ici, et les
succès de la marque aux Etats-Unis et dans le monde
sont intimement liés. C’est Jim Press qui a ouvert le
marché nord-américain à Toyota. Il a aussi contribué
à faire de la Camry la voiture la plus vendue aux EtatsUnis, et de la Lexus le modèle de luxe le plus populaire du pays. Lorsqu’il a démarré sa carrière, Ford,
GM et Chrysler monopolisaient les ventes de véhicules aux Etats-Unis. Dans les statistiques, les
modestes performances de Toyota apparaissaient sous
l’intitulé “autres fabricants”. Peu après son arrivée,
Jim Press se rendit compte qu’il appréciait le côté
intime de l’entreprise : il pouvait parler en tête-à-tête
avec ses dirigeants et influencer les décisions com-
merciales. Lorsqu’il me raconta son premier voyage
au Japon, j’eus l’impression qu’il me relatait une expérience religieuse. “Quand vous êtes jeune, vous cherchez
ce type de bien-être ; vous ne savez pas ce que c’est, vous
sentez simplement que vous n’êtes pas vraiment bien”,
explique-t-il. Au Japon, il découvrit un foyer, un
endroit où tout, depuis la politesse des gens jusqu’à
l’organisation des usines, était empreint de sens.
Toyota est tout autant une philosophie qu’une
entreprise, un patchwork de traditions et de préceptes
qui ne trouvent pas facilement leur équivalent en Occident. Certains sont incisifs : “Mettre de la qualité dans
les processus” d’autres restent plus opaques : “Ouvrez
la fenêtre. Le monde est vaste !” Le principe phare de
Toyota, m’a confié Jim Press, est d’“enrichir la société
par la construction de voitures et de camions”. La formule
peut susciter le scepticisme, surtout venant d’une
entreprise si encline au marketing et aux relations
COURRIER INTERNATIONAL N° 859
42
publiques. Pourtant, au départ, en tout cas, elle n’était
pas destinée à devenir un slogan. L’idée était de garantir fiabilité et mobilité aux automobilistes tout en investissant les bénéfices dans de nouvelles usines, de nouvelles technologies et de nouveaux salariés. Elle traduit
aussi la contrainte obsessionnelle de toujours
construire de meilleures voitures, ce qui reflète la
croyance de Toyota dans le kaizen (amélioration permanente). Enfin, la formule affirme la responsabilité
de prévoir à long terme – sur les plans financier, technique et imaginatif. “Cette entreprise ne réfléchit pas
en termes de mois ou de trimestres”, souligne Michael
Robinet, vice-président de CSM Worldwide, un cabinet de consultants spécialisés dans l’industrie automobile, “elle pense en années et en décennies.”
L’un des exemples les plus frappants de cette
approche est celui de la Prius hybride. Il y a dix ans,
se souvient Jim Press, à peu près à l’époque où la Prius
voyait le jour, Ford créait le concept du très gros 4 x 4
de loisir. “Les deux entreprises avaient les mêmes atouts,
avaient effectué les mêmes recherches, observe-t-il. L’une
a parié sur l’hybride, l’autre sur les 4 x 4.” Pour Jim Press,
l’idée de produire de gros 4 x 4 était douteuse dès
le départ. “Nous nous sommes posé de nombreuses questions. A long terme, l’essence va-t-elle devenir plus chère
ou moins chère ? Le pétrole va-t-il se raréfier ou au contraire
devenir plus abondant ? L’air va-t-il devenir plus pollué
ou plus sain ? A partir de tout cela, faites-vous quelque
chose de proactif et d’innovant, pour être en phase avec la
direction que prend la société ? Ou bien vous cramponnezvous mordicus à ce qui s’est toujours fait ?” Il ne s’agit
pas d’altruisme, semble dire M. Press, mais d’un
exemple de la manière dont les entreprises survivent
dans la société. “Que faut-il faire pour préserver la capacité de vendre toujours plus de voitures et de camions ?”
interroge-t-il. Avec la Prius, il ne s’agissait pas de viser
un retour rapide sur investissement, mais de s’assurer qu’il soit lent et durable.
Même si le Tundra est loin d’être aussi écolo que
la Prius, il exprime lui aussi la patience caractéristique
de Toyota et sa conviction que l’entreprise doit veiller
à satisfaire tous les types de clientèle. Les véhicules les
plus vendus aux Etats-Unis sont les camionnettes Ford
de la série F. Les Chevrolet arrivent juste derrière. Ces
véhicules comptent parmi les biens de consommation
les plus lucratifs du marché, dégageant un bénéfice
de 6 000 à 10 000 dollars par unité vendue. “C’est le
créneau le plus rentable pour les constructeurs américains”,
explique Jeff Liker, professeur d’ingénierie à l’université du Michigan et auteur de plusieurs livres sur
Toyota. “Ils rentrent juste dans leurs frais sur les berlines
et perdent de l’argent sur les petits modèles. Tous leurs
bénéfices sont réalisés sur les gros 4 x 4 de loisir et les pickup. C’est la dernière position stratégique qu’occupent les
Américains.” A la question de savoir depuis quand Toyota
envisageait de sortir un vrai 4 x 4, Jim Press répond que
c’était une priorité depuis le début des années 1990,
à l’époque où son premier gros 4 x 4, le T100, avait fait
un flop. L’entreprise échoua de nouveau en 2000 avec
le premier Tundra. Le succès de GM et de Ford sur
le créneau des gros 4 x 4 indiquait cependant que le
Tundra nouvelle version pourrait rapporter d’énormes
profits. Il permettrait par ailleurs d’établir une fois pour
toutes la réputation de Toyota comme entreprise cent
pour cent américaine.
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On dit souvent que les constructeurs américains
sont handicapés par leur obligation de procurer une
assurance-maladie à leurs retraités.Toyota n’a pas plus
de 1 600 retraités aux Etats-Unis, et les syndicats ont
échoué à s’implanter dans la plupart de ses usines.
Mais le groupe a d’autres avantages stratégiques.
En premier lieu, ses énormes réserves de liquidités lui
permettent de consacrer des milliards de dollars à la
conquête de parts du marché nord-américain, tout en
prenant le temps de réfléchir à ce que sera la société
dans une vingtaine d’années.
“Toyota a toujours été là où est l’argent, remarque
John Casesa, un consultant industriel. Or il y a de l’argent à faire dans les 4 x 4. Le groupe japonais s’est fixé pour
mission de satisfaire toutes les catégories de clients. Mais
l’autre réalité, c’est que vous devez gagner beaucoup d’argent si vous voulez financer la recherche et le développement concernant les hybrides.” Selon Jim Press, le groupe
dépense 20 millions de dollars par jour pour la
recherche et la construction des usines. “Il consacre plus
d’argent que GM à la recherche, au développement et aux
investissements”, ajoute Sean McAlinden, économiste
au Center for Automotive Research, un cabinet de
consultants à but non lucratif du Michigan. “S’il continue, nous sommes fichus. Imaginons que nous sortions une
voiture d’aussi bonne qualité qu’une Toyota.Tout ce que
nous aurons, c’est une aussi bonne voiture qu’eux. Or il ne
s’agit pas seulement de les rattraper, il faut aussi prendre
de l’avance. Mais comment faire ?”
Car Toyota ne cesse de progresser. En vertu de son
organisation interne, un ingénieur chargé de diriger un
nouveau projet dispose d’un budget énorme et assume
une responsabilité quasi absolue. Il estime qu’il est de
sa responsabilité de commencer par aller voir lui-même
ce que les clients désirent. Cette quête, qui peut évoquer celle du Graal, voit des ingénieurs en chef mener
d’héroïques expéditions solitaires dans l’ensemble des
Etats-Unis afin de déterminer la meilleure façon de
surpasser leurs concurrents. Comme me l’ont expliqué
l’ingénieur responsable du Tundra,Yuichiro Obu, et
son directeur de projet, Mark Schrage, un agriculteur
et un maçon ne se servent pas de leur pick-up de la
même façon ; les Texans apprécient les deux roues motrices, alors que, dans le Montana, on préfère les quatre
roues motrices. Les utilisateurs de pick-up ont aussi
des besoins différents en termes de puissance et de rapport de couple, car ils transportent
des chargements différents sur des ■ Histoire
terrains différents. Leurs attentes Toyota a été fondé
diffèrent également sur le plan du dans les années
volume de l’habitacle (de deux à 1930 par Kiichiro
cinq places) et sur la consomma- Toyoda, dont
tion de carburant. En août 2002, la famille avait fait
Yuichiro Obu et son équipe ont fortunee au début
donc entrepris de visiter différentes du XIX siècle
en fabriquant
régions des Etats-Unis ; ils se sont des métiers à tisser.
rendus dans des campements de Il fut alors décidé
bûcherons, des élevages de che- de placer la jeune
vaux, des usines et des chantiers de entreprise
construction pour y rencontrer des de construction
propriétaires de pick-up. En leur de- automobile sous
mandant de leur exposer de vive de meilleurs auspices
voix leurs besoins et leurs souhaits, en remplaçant le
Yuichiro Obu et Mark Schrage ont “d” du patronyme
familial par
pu déterminer leurs préférences en
un “t”, le nom
matière de capacité de traction et devenant ainsi
de puissance ; en les regardant tra- plus facile à écrire
vailler, ils ont appris des choses sur et à prononcer.
l’emplacement idéal du levier de vitesses ou compris que les poignées de portes et le bouton de la radio devaient être de très grande taille car les
conducteurs de ce genre de véhicules portent souvent des gants de travail. Enfin, ils se sont rendus dans
de nombreuses casses de camions du Michigan, où, en
examinant les carcasses rouillées des pick-up, ils ont pu
recenser les pièces qui avaient le mieux résisté.
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L’équipe de Yuichiro Obu, forte de plusieurs centaines d’ingénieurs, a fini par imaginer un modèle de
pick-up décliné en 31 versions. Les designers ne peuvent cependant pas se contenter d’imaginer le meilleur
pick-up qui soit ; ils doivent créer le meilleur pick-up
qu’il sera possible de produire en grande série. A chaque
étape, ils ont donc consulté les responsables de la fabrication afin de concevoir un véhicule – ou plutôt 31 véhicules – susceptible d’être assemblé de façon efficace et
systématisée.Toyota a dépensé à cette fin 1,28 milliard
de dollars pour bâtir son usine de San Antonio, capable
de sortir 200 000 véhicules par an. L’entreprise la considère comme l’une des plus modernes au monde.
Le succès de Toyota a souvent été attribué aux qualités nippones de persévérance et d’ingéniosité. L’un
des premiers universitaires occidentaux à avoir étudié en profondeur l’entreprise, Michael Cusumano,
aujourd’hui professeur en management au Massachusetts Institute of Technology (MIT), réfuta cette idée
lorsqu’il procéda au début des années 1980 à une comparaison entre Toyota et Nissan. “Les fondateurs et les
managers de Toyota ont créé et affiné la culture d’entreprise
de Toyota, laquelle est devenue beaucoup plus forte que la
culture japonaise, dit-il. Bien entendu, cette culture d’entreprise est fondée sur de nombreuses caractéristiques proprement japonaises – la précision, la qualité, la loyauté. Mais
la composante purement Toyota est incontestablement dominante.” Michael Cusumano ajoute que la localisation
du berceau d’origine de Toyota, dans une préfecture
rurale, bien loin des influences internationales qui s’exercent sur Tokyo, lui a assuré un isolement bénéfique.
L’entreprise commença à croître juste après la
Seconde Guerre mondiale, favorisée par une réglementation qui empêchait les grands constructeurs automobiles américains de prendre pied dans l’archipel.
Il n’en fallait pas moins une ingéniosité extraordinaire
pour prospérer dans l’économie dévastée de l’aprèsguerre. Confronté, par exemple, à la rareté des four-
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nisseurs de matériaux et de pièces, Toyota dut se
débrouiller pour en produire à partir de rien. Depuis
le début des années 1930, ses ingénieurs cherchaient
leur inspiration un peu partout, tout en disséquant les
produits américains afin de voir comment ils fonctionnaient. L’organisation et la conception du monde
propres à Toyota sont les purs produits d’une économie de pénurie. En 1950, la quasi-faillite de la société
consécutive à une année difficile contribua à façonner un peu plus sa philosophie de la frugalité. Elle
se concentra bientôt de façon obsessionnelle sur la
réduction du muda (gaspillage) et entreprit d’accumuler une énorme réserve de liquidités pour se prémunir contre tout nouveau coup dur.
L’entreprise bénéficia également de l’ingéniosité
d’un chef des ventes, Shotaro Kamiya. Durant
l’été 1957, il décida d’envoyer trois de ses salariés en
Californie pour une mission de repérage ; quelques
mois plus tard, Toyota ouvrait un modeste point de
vente à Hollywood, où était proposé un véhicule laid,
austère et peu puissant, baptisé Toyopet Crown –
“Toyopet is your pet !” clamait la publicité en identifiant la voiture à un animal de compagnie [pet, en
anglais]. Il s’en vendit exactement 288 exemplaires !
Les premières années américaines de Toyota furent
un désastre. Le constructeur vendit quelques Land
Cruiser, puis retira la Toyopet du marché.
Pendant ce temps, au Japon, ses ingénieurs tentaient de dessiner une voiture que les Américains
auraient envie d’acheter. Le résultat fut la
Corona 1965, un véhicule bon marché équipé de l’air
conditionné. A partir de là, les ventes progressèrent
régulièrement. Différents facteurs y contribuèrent – les
taux de change rendaient les importations japonaises
à la fois intéressantes pour les clients et rentables pour
Toyota. Le coût de la main-d’œuvre au Japon était
également plus bas. Mais le facteur sans doute le plus
déterminant fut le choc pétrolier. Quelques années
après que Jim Press eut commencé à travailler pour
Toyota Motor Sales en Californie, la crise pétrolière
du début des années 1970 orienta de nombreux clients
vers les voitures Toyota, moins gourmandes en essence.
Lorsque l’entreprise commença à implanter des usines
aux Etats-Unis, au milieu des années 1980, elle jouissait d’un respect croissant pour la qualité et la frugalité de ses véhicules.
Puis vint le succès de la Lexus au début des années 1990. “Lorsqu’ils ont vraiment décidé de s’attaquer
au marché américain, à la fin des années 1970, le produit qu’ils proposaient était très supérieur à ce que leurs trois
grands concurrents américains offraient”, rappelle Ron
Harbour, qui travaille pour un cabinet étudiant l’efficacité des usines automobiles. “Ils ont très vite créé cette
impression et ont bâti leur réputation dessus. Dans les années
qui suivirent, Ford et GM ont fait de gros efforts pour rattraper Toyota. Ils ont en partie réussi à combler leur retard,
mais, quand vous perdez votre réputation, il est très difficile de la regagner. On peut dire que GM, Ford et Chrysler ont perdu une génération entière de clients américains.”
Vous imaginez peut-être que Toyota s’est laissé griser par la façon dont les choses ont tourné. Ça n’est
sans doute que partiellement vrai. “Nous préférons que
Ford et GM soient forts, rectifie Jim Press. Quand vous
disputez un match, vous ne voulez pas gagner grâce aux
erreurs de l’adversaire.” Coauteur, en 1991, de The
Machine that Changed the World, un ouvrage consacré
à Toyota [réédité par Free Press en mars 2007 et non
traduit en français], Jim Womack a une formulation
plus directe : “La dernière chose qu’ils veulent, c’est voir
l’un ou l’autre de leurs concurrents américains mettre la
clé sous la porte.” D’abord, il serait politiquement désastreux pour l’entreprise japonaise d’être tenue pour
responsable de l’effondrement d’une grande institution américaine. “Et ça ne rapporterait absolument rien
à Toyota sur le plan commercial, ajoute Jim Womack. Ils
vendent déjà la totalité des véhicules qu’ils construisent.
Ce qu’ils visent, c’est un lent déclin continu – un déclin qui
suive le même rythme que leur capacité à s’agrandir. Ce
serait le scénario idéal pour eux.”
Toyota n’est toutefois pas infaillible. Le constructeur a essuyé dans les années 1990 un échec sur le marché des pick-up ; dans les revues spécialisées, ses véhicules sont parfois dépassés sur le plan de la sécurité et
de la satisfaction du client par d’autres constructeurs,
notamment Honda ; et la croissance de l’entreprise
pose à ses dirigeants des problèmes de contrôle de qualité. Toyota a également des soucis à l’extérieur des
Etats-Unis. “Le groupe est en position assez faible sur ce
que nous considérons comme le deuxième marché à plus
forte croissance du monde, c’est-à-dire l’Inde”, explique
Ashvin Chotaï, analyste chez Global Insight. En Chine,
pays où la croissance est la plus forte,Toyota vise 10 %
du marché en 2010, mais l’entreprise est confrontée à
la concurrence féroce de ses rivaux américains et asiatiques. Pourtant, quels que soient les résultats des ventes
du Tundra au cours des prochains mois, l’histoire de
l’entreprise montre qu’elle n’abandonne jamais un
objectif avant de l’avoir atteint.
Le président de Toyota, Katsuaki Watanabe, a récemment déclaré que son rêve était de fabriquer une voiture qui ne nuise à personne et qui nettoie l’air en roulant. Pour de nombreux consommateurs, les innovations
de la marque en matière de véhicules hybrides l’ont
dotée d’une sorte d’aura verte. Pourtant, la communauté écologiste est très méfiante à l’égard du progressisme tant loué du constructeur japonais. De nombreux défenseurs de l’environnement ont été consternés
de voir que Toyota était engagé (en tant que membre
de l’Alliance des constructeurs automobiles américaine)
dans une procédure visant à bloquer les nouvelles lois
californiennes sur la réduction des émissions de gaz à
effet de serre. D’autres considèrent comme contreproductifs les efforts déployés par l’industriel pour
vendre des pick-up et des 4 x 4 de loisir. “En essayant
de s’implanter sur le marché du pick-up,Toyota vise à
paraître aussi américain que possible, et non pas à être le
leader environnemental qu’il est pour les voitures”, déplore
Jason Mark, ancien responsable des questions auto-
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mobiles auprès de l’Union of Concerned Scientists.
John DeCicco, spécialiste de l’automobile chez Environmental Defense, un groupe écologiste dont le siège
est à New York, souligne que sur le court terme au
moins il vaut mieux ne pas tabler sur un passage rapide
aux véhicules fonctionnant à l’hydrogène. Car il y a de
bonnes raisons de penser que le tout-hydrogène
demeure un idéal lointain. D’abord, les voitures durent
longtemps. Ensuite, les constructeurs automobiles ont
pour objectif le profit, et toute nouvelle technologie
se doit d’être concurrentielle pour s’imposer sur le
marché. Or cela prend du temps : sept ans après son
introduction aux Etats-Unis, la Prius représente moins
de 1 % du marché automobile américain. C’est pourquoi John DeCicco presse plutôt les constructeurs de
réaliser des changements modestes sur des véhicules
populaires (en allégeant les 4 x 4 par exemple, ce qui
permettrait d’améliorer leur rendement énergétique).“Une petite amélioration de l’efficacité sur un produit largement diffusé, souligne-t-il, peut avoir un impact
sur les émissions de carbone plus important qu’un changement important sur un produit vendu en petite quantité.”
En tout cas, concevoir aujourd’hui des voitures
plus économes ne résoudra pas le problème à long
terme.Toyota prévoit d’être toujours en activité dans
cent ans, soit bien après que le pétrole aura été épuisé
ou rendu inutilisable à cause de son contenu en carbone. C’est pourquoi le groupe a tout misé sur les
technologies hybrides. Que l’avenir appartienne au
biodiesel, à l’éthanol ou à l’hydrogène n’a pour Toyota
aucune importance : son système hybride pourra être
adapté à n’importe lequel de ces carburants.
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Texte de Jon Gertner, illustrations de Nathan Fox
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économie
■ économie
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les capitaux
russes sont-ils
diabolisés en
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■ sciences
Des geais
qui ont
une mémoire
d’éléphant p. 49
i n t e l l i g e n c e s
●
Quand les planteurs de cacao sont aussi confiseurs
MATIÈRES PREMIÈRES Une bonne
■
idée des cultivateurs ghanéens :
investir dans une chocolaterie
au Royaume-Uni pour participer
à la valorisation de leurs fèves. Et
récupérer une partie de la plus-value.
THE ECONOMIST (extraits)
Londres
Des faisceaux
sonores
accrochés
à vos oreilles
p. 50
■ multimédia
i n t e l l i ge n c e s
Le clip vidéo,
une nouvelle
forme d’art p. 51
P
Dessin d’Igor
Kopelnitsky,
Etats-Unis.
■ Mauvaises
récoltes
Après avoir progressé
de 30 % depuis
décembre 2006,
le cours du cacao
a atteint
le mois dernier
son plus haut niveau
depuis quatre ans,
note The
Independent.
Le marché s’attend
en effet à une
médiocre récolte
en Afrique
de l’Ouest, où une
sécheresse sévit
depuis plusieurs
mois. La Côted’Ivoire, premier
producteur mondial,
est particulièrement
affectée. La récolte
devrait être
également décevante
au Ghana. Or
la demande ne cesse
de progresser.
Elle sera sans doute,
cette année,
supérieure
de 100 000 tonnes
à l’offre, estime
l’Organisation
internationale
du cacao. Certains
opérateurs privés
pensent que
le déficit pourrait
atteindre près
de 250 000 tonnes.
vus ? Pour l’heure, non. Divine Chocolate a acheté 1 200 tonnes de fèves
à Kuapa Kokoo l’année dernière aux
conditions du commerce équitable.
Mais 98 % de la production de la
coopérative est vendue aux prix des
matières premières à l’Office de commercialisation du cacao du Ghana, un
organisme officiel. Pour Sophi Tranchell, la structure de l’entreprise s’est
révélée son meilleur atout, car elle la
distingue de ses concurrents, attire des
soutiens de poids et mobilise les militants, qui pressent les distributeurs
d’acheter son produit. Divine Chocolate a également trouvé des sources originales de financement. Ainsi, des organisations caritatives et des organismes
de prêts au développement ont investi
dans l’affaire, et des agences d’aide au
développement garantissent ses
LA DEMANDE BOOSTE LES PRIX
Cours du cacao sur le marché à terme de Londres
(en livres sterling par tonne, 1 livre = 1,47 euro)
1 050
1 000
950
900
850
800
Oct.
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Nov.
Déc.
Janv.
Fév.
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Mars
Sources : Bloomberg, “The Independent”
■ technologie
rétendre que le chocolat de
Pâques est déposé par les cloches
revenant de Rome, c’est amusant,
mais il est bien plus probable
qu’il nous vient des petits planteurs
d’Afrique occidentale, région d’origine
de 70 % de la production mondiale de
cacao. Cette culture constitue une
importante source de revenus pour de
nombreux pays – le plus gros producteur, la Côte-d’Ivoire, tire 20 % de
ses recettes d’exportation du cacao.
Mais alors que les ventes mondiales
de chocolat s’élèvent à 75 milliards de
dollars par an, seule une infime fraction de cette somme tombe dans l’escarcelle des cultivateurs : environ
4 milliards de dollars par an, tirés de
la vente des fèves.
En d’autres termes, l’argent se
trouve dans le chocolat et non dans
le cacao – et les paysans africains ne
sont pas vraiment en position de se
diversifier dans la fabrication du produit fini. Quoique ! La société Divine
Chocolate a été créée au RoyaumeUni en 1998 [elle s’appelait alors The
Date Chocolate Company et vient
d’être rebaptisée pour prendre le nom
de son produit], avec comme actionnaire principal un groupe de planteurs
de cacao. Kuapa Kokoo, la principale
coopérat i ve d u G h a n a , f o r t e d e
4 5 0 0 0 membres, détient 45 % du
capital de Divine Chocolate et deux
sièges à son conseil d’administration.
Le chocolat est fabriqué en Allemagne
et vendu aux côtés d’autres marques
plus connues, “à un prix pas tellement
supérieur”, selon Sophi Tranchell, la
dirigeante de Divine Chocolate. L’entreprise a réalisé 9 millions de livres
sterling [13,2 millions d’euros] de
chiffre d’affaires en 2006, et a lancé
cette année une filiale américaine
contrôlée à 33 % par Kuapa Kokoo.
Avant de devenir actionnaires de
Divine Chocolate, la plupart des
membres de la coopérative n’avaient
jamais goûté au chocolat – nombre
d’entre eux n’en avaient même jamais
entendu parler. Mais les cultivateurs
manifestent désormais un grand intérêt pour leur entreprise : le nouvel
emballage a été au centre des conversations dans les villages de toutes les
régions productrices de cacao au
Ghana. “Les paysans sont très fiers de
posséder quelque chose de ce genre à
l’étranger”, confirme Erica Kyere,
responsable des études chez Kuapa
Kokoo. “Et ils sont très fiers d’employer
des Blancs, ça les fait rire.”
Cette intrusion dans le marché des
produits de consommation exposet-elle les planteurs à des risques impré-
emprunts. Sans Kuapa Kokoo, estime
la dirigeante, “il aurait été impossible de
créer une chocolaterie dans ce marché
mature et très concurrentiel avec aussi peu
de capitaux”. Au Royaume-Uni, Cadbury, Nestlé et Mars accaparent plus
de 80 % du marché.
D’autres entreprises ont adopté
des stratégies similaires. Par exemple,
des producteurs de fruits tropicaux
détiennent 50 % d’Agrofair, un distributeur néerlandais. Et la Papua New
Guinea Coffee Growers Federation,
qui rassemble 120 000 planteurs de
café en Papouasie-Nouvelle-Guinée,
contrôle 33 % de Coffee Pacifica, un
importateur de café coté en Bourse
aux Etats-Unis. En 2006, les ventes de
Coffee Pacifica aux Etats-Unis et en
Europe ont doublé, approchant les
3 millions de dollars.
Mais tous les producteurs ne sont
pas en mesure de suivre l’exemple de
cette coopérative, explique Anna
Laven, chercheuse à l’université d’Amsterdam qui s’est penchée sur le cas de
Kuapa Kokoo. Sans le soutien d’ONG,
d’une organisation solide et des canaux
d’exportation fiables, la plupart des
paysans ne peuvent accéder à ce type
de “valorisation fonctionnelle” de leur
production.
Divine Chocolate est une belle
exception à la règle. Dans quelques
semaines, son conseil d’administration
devrait annoncer la première distribution de dividendes de sa jeune histoire.
Une bonne nouvelle pour les membres
de Kuapa Kokoo.
■
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économie
Pourquoi les capitaux russes sont-ils diabolisés en Europe ?
PROTECTIONNISME
patrons ont maintenant une certaine
expérience dans ce domaine, et elle est
parfois très positive.
Prenons l’exemple du marché américain. Les Russes y ont effectué de
nombreuses acquisitions. Loukoil, le
géant du pétrole, s’y est montré pionnier en achetant, en l’an 2000,
1 300 stations-service de la société américaine Getty, auxquelles se sont ensuite
ajoutées 800 stations de ConocoPhillips. La société Severstal d’Alexeï
Mordachov a suivi, en 2003, déboursant environ 300 millions de dollars
pour les aciéries Rouge industries de
Dearborn, dans le Michigan. Nornikel
a investi à peu près autant dans le plus
gros producteur américain de métaux
platinoïdes, Stillwater Mining. En janvier 2007, Evraz Group a battu le
record russe de ce genre de transactions, en acquérant Oregon Steel Mills
pour 2,35 milliards de dollars.
■
Les pays de l’UE
sont toujours prompts
à invoquer leur
sécurité pour barrer
la route aux capitaux
russes, alors que
les Etats-Unis sont
plus accueillants.
ITOGUI (extraits)
Moscou
es Européens ne semblent toujours pas fixés au sujet du business russe en Occident : épiphénomène exotique ou réalité du
monde moderne des affaires ? Début
mars, la chancelière allemande,
Angela Merkel, a repoussé l’éventuelle
entrée d’actionnaires russes à la direction du consortium aérospatial EADS,
car ses activités “touchent aussi au secteur sensible de la défense”. Force est
donc de constater que les considérations politiques exercent encore une
forte influence.
Mais il y a malgré tout des progrès.
L’Occident tolère désormais nos projets d’investissements, pour peu qu’ils
concernent des chaînes de stationsser vice ou une usine isolée. En
revanche, lorsque la Vnechtorgbank a
acquis l’an dernier 5,2 % des actions
d’EADS, le tollé a été immédiat. Les
Européens se sont alarmés de l’intention des Russes de placer leur argent
dans la haute technologie et, surtout,
de siéger au conseil d’administration
du grand groupe aérospatial. Pourtant,
invoquer les problèmes de sécurité
L
Dessin de Vlahovic
paru dans NIN,
Belgrade.
n’est pas très judicieux quand on sait
qu’EADS possède 10 % de la société
russe Irkout, qui fabrique le tout dernier modèle de chasseur de combat
Su-30. En réalité, la sécurité n’est
qu’un prétexte commode pour nous
barrer l’accès à une entreprise.
C’ÉTAIT ENCORE BIEN PIRE
DANS LES ANNÉES 1990
En quoi l’achat d’actions d’un opérateur de téléphonie mobile pourraitil bien poser problème ? Ce genre de
société change souvent de propriétaire
et, dans ce contexte, la proposition du
conglomérat russe Sistema d’acquérir 10 % à 25 % des actions de
Deutsche Telekom [dont l’Etat allemand est actionnaire] semblait on ne
peut plus logique. L’entreprise allemande est en difficulté, l’argent russe
aurait pu l’aider. Pourtant, le BND,
le Service fédéral du renseignement
allemand, s’est vivement opposé à
cette opération, affirmant que l’Allemagne aurait risqué des “problèmes
de sécurité intérieure”.
Comme l’a déclaré récemment le
ministre des Affaires étrangères russe,
Sergueï Lavrov, les discriminations
politiques font perdre des milliards au
business russe. Ces derniers temps,
affirme-t-il, treize tentatives d’achat
d’actifs étrangers par des sociétés russes
ont été contrecarrées, le montant total
des sommes en jeu s’élevant à une cinquantaine de milliards de dollars.
La résistance a toutefois nettement
diminué par rapport à ce qu’elle était
dans les années 1990. Hors des secteurs et entreprises stratégiques, tout
dépend de la réputation des investisseurs, c’est-à-dire de la façon dont ils
ont déjà géré leurs actifs étrangers. Nos
DES CONGLOMÉRATS
À L’ÉTROIT DANS LEUR PAYS
Comme on dit souvent, il n’y a que le
premier pas qui coûte. “La tendance
est bien là, et elle est positive”, affirme
Anders Aslund, expert de l’Institut
d’économie internationale de Washington. “Les grands acteurs économiques
russes se sentent à l’étroit dans leurs frontières nationales : ils désirent s’étendre à
la fois de manière horizontale et verticale.” Plus mesuré, Brian Cox, viceprésident du Conseil américano-russe
de coopération des affaires, estime que
l’on “assiste simplement à l’amorce d’une
tendance”. “Mais, compte tenu des
moyens accumulés par de nombreuses
sociétés russes, leur envie d’investir sur
le marché américain, l’un des plus grands
et des plus riches du monde, va forcément
s’accentuer d’année en année.”
Sergueï Pankratov
RUSSIE
■ Sur la chaîne de fabrication ultramoderne de la verrerie Bor,
près de Nijni-Novgorod, des ouvriers en combinaison bleue
produisent des pare-brise pour les Ford et les Renault assemblées en Russie. L’entreprise était naguère si pauvre qu’elle
payait son personnel en nature, sous forme de machines à
coudre et d’aspirateurs. Mais, après une injection de 100 millions de dollars par la société belge Glaverbel, elle affiche
aujourd’hui une prospérité insolente : Bor fabrique les vitres
de presque toutes les voitures produites sur le territoire russe.
“L’avenir s’annonce radieux”, se félicite Valeri Tarbeïev, le
PDG. Car la demande est considérable. “Pour avoir une Ford
Focus neuve, il faut attendre jusqu’à six mois.”
Dans tout le pays, après sept années de croissance, les entreprises dépensent des milliards de dollars pour accroître leurs
capacités de production afin de satisfaire une forte demande.
Parallèlement, des multinationales comme Intel et Ford renforcent leur présence. C’est essentiellement à cette renaissance économique que Vladimir Poutine doit sa popularité.
Depuis son élection, en l’an 2000, le PIB par habitant a quadruplé, à près de 7 000 dollars, et 20 millions de personnes
sont sorties de la pauvreté.
Après la crise financière de 1998, la faiblesse du rouble a
permis aux industriels locaux d’être plus compétitifs face
aux importations. Des usines qui tournaient au ralenti se
sont mises à fonctionner à plein régime et la production
a augmenté. Puis l’envolée des prix du brut a provoqué un
Une économie en pleine croissance
Croissance réelle du PIB (en %)
Russie
Etats-Unis
Union européenne
10
8
6
4
2
0
2000 2001 2002 2003 2004 2005 2006
afflux de capitaux qui a alimenté encore un peu plus la croissance. A mesure que la manne pétrolière stimulait la
demande intérieure, les impor tations ont progressé. Les
entreprises locales ont compris qu’elles devaient investir
dans des technologies plus efficaces pour préser ver leur
compétitivité. Parallèlement, les banques, autrefois fragiles, ont plus volontiers prêté aux industriels, tandis que
la décélération de l’inflation réduisait le coût du crédit. Mais
COURRIER INTERNATIONAL N° 859
46
Sources : Service fédéral russe des statistiques, Eurostat, “The Wall Street Journal”
Des usines de plus en plus modernes
le plus important, sans doute, est la stabilité politique instaurée par Poutine, qui a donné aux entreprises suffisamment confiance en l’avenir pour qu’elles investissent.
L’an dernier, ces investissements ont fait un bond de 13,5 %,
soit l’un des taux annuels les plus élevés depuis l’effondrement de l’Union soviétique. Si le secteur des ressources naturelles s’est d’abord taillé la part du lion, il est aujourd’hui
dépassé par l’agroalimentaire et l’automobile.
Néanmoins, le taux d’investissement reste très inférieur à
ceux d’autres économies en pleine expansion, à 18 % du PIB
contre 40 % en Chine, par exemple. D’aucuns craignent que
ce ne soit insuffisant pour maintenir l’économie à flot en cas
de plongeon des cours de l’or noir. Malgré les efforts de diversification engagés par le Kremlin pour réduire la dépendance
vis-à-vis du pétrole et du gaz, la Russie est loin de constituer une solide base d’exportation pour les industriels occidentaux, comme le sont devenus la Chine et certains pays
d’Europe de l’Est.
Les problèmes politiques, comme la corruption et un régime
de style autocratique, pourraient également mettre en péril le
rebond actuel. “L’interventionnisme accru de l’Etat empêche
le secteur privé d’être aussi dynamique qu’aux Etats-Unis ou
en Chine”, note John Litwack, chef économiste au service Russie de la Banque mondiale. “Si les Russes veulent vraiment
avoir une économie fondée sur l’innovation, il faut qu’ils décenGuy Chazan, The Wall Street Journal (extraits), New York
tralisent.”
DU 19 AU 25 AVRIL 2007
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sciences
i n t e l l i g e n c e s
●
Des geais qui ont une mémoire d’éléphant
ETHOLOGIE Certains
Le Dr Clayton a publié ses résultats en 1998 et conclu que les geais
remplissaient les critères d’une mémoire “de type épisodique”. Elle a
approfondi la question depuis. L’année dernière, par exemple, son équipe
a découvert que les geais se rappelaient non seulement où et quand ils
avaient dissimulé de la nourriture,
mais aussi s’ils étaient observés à ce
moment-là. Si un sujet s’aperçoit
qu’un autre le regarde pendant qu’il
cache de la nourriture, il a tendance
à récupérer son butin plus tard pour
le cacher ailleurs.
■
oiseaux posséderaient,
comme les humains,
la faculté d’utiliser leurs
expériences passées
pour anticiper l’avenir.
THE NEW YORK TIMES (extraits)
New York
’être humain a la capacité innée
de voyager dans le temps, par
l’esprit. Nous pouvons revivre
des événements qui se sont produits il y a longtemps ou nous projeter dans l’avenir. Certains psychologues avancent que la faculté de
revivre le passé s’est développée chez
nos ancêtres pour leur permettre de
planifier l’avenir et que cette capacité
fut essentielle à la réussite de notre
espèce.Toutefois, certains spécialistes
du comportement animal estiment
qu’à cet égard nous ne sommes pas
uniques en notre genre. Des expériences récentes suggèrent que les
animaux peuvent faire de même.
Nicola Clayton, spécialiste de
psychologie comparative à l’université
de Cambridge (Grande-Bretagne), a
cherché à savoir si les geais buissonniers présentaient une mémoire épisodique. Ces oiseaux cachent chaque
année des milliers de morceaux de
nourriture et se rappellent toutes les
cachettes. Le Dr Clayton s’est demandé s’ils se souvenaient uniquement du lieu ou de l’action de cacher
la nourriture. Elle a sélectionné deux
types d’aliments, des chenilles de
phalène [un papillon] et des cacahuètes. Les geais préfèrent les chenilles fraîches aux cacahuètes. En
revanche, si les chenilles sont mortes
L
LES OISEAUX PRÉVOIENT
LEURS BESOINS FUTURS
depuis quelques heures, leur préférence va aux cacahuètes.
Dans une cage, le Dr Clayton a
laissé les geais cacher les deux types
d’aliments avant de faire sortir les
oiseaux. Elle les y a remis ensuite, certains au bout de quatre heures, d’autres
au bout de cinq jours. Le temps passé
avait un effet significatif sur le type de
nourriture que les sujets recherchaient.
Ceux des oiseaux qui avaient attendu
quatre heures avaient tendance à dénicher les chenilles alors que ceux ayant
dû attendre cinq jours dédaignaient les
chenilles et prenaient les cacahuètes.
Pour s’assurer que les oiseaux ne faisaient pas leur choix grâce à leur odorat, les cachettes étaient vidées et le
contenu remplacé par du sable.
Dessin
de M. Kalman
paru dans
The New Yorker,
New York.
Cependant, certains chercheurs ne
sont pas convaincus. “Les animaux
semblent vivre dans le présent”, affirme
Thomas Suddendorf, spécialiste de
psychologie comparative à l’université
du Queensland, en Australie. Pour lui,
un geai peut se rappeler le type de
nourriture qu’il a cachée et le lieu où
il l’a cachée sans pour autant avoir de
conscience ni de mémoire. “Ce n’est
pas vraiment l’information qui caractérise le voyage mental dans le temps.
Je sais que ma mère m’a donné naissance en Suède en 1967, mais ça ne veut
pas dire que je peux forcément revivre cet
événement.”
La mémoire épisodique dépend
également de nombreuses autres facultés qui n’ont été clairement démontrées que pour l’esprit humain, ajoute
le Dr Suddendorf. Elle s’est développée une fois que nos ancêtres se sont
séparés de la lignée des autres singes.
D’ailleurs, son avantage ne résiderait
pas dans le fait qu’elle permet de
connaître le passé, mais plutôt dans la
possibilité d’anticiper l’avenir.
En réponse, le Dr Clayton a récemment mené une expérience sur la
faculté d’anticipation des geais buis-
sonniers. Les oiseaux ont été placés
dans trois compartiments communicants pendant six jours. Chaque matin,
on les enfermait pendant deux heures
soit dans un compartiment où ils ne
recevaient rien à manger, soit dans un
autre où ils recevaient des pignons en
poudre (qu’ils peuvent manger mais
pas stocker dans des cachettes). Pendant le reste de la journée, ils pouvaient
se déplacer librement et continuer à
s’empiffrer de pignons en poudre.
Le septième jour, les chercheurs
ont remplacé les pignons en poudre
par des pignons entiers. S’ils en avaient
envie, les oiseaux pouvaient alors les
cacher dans des bacs à glaçons disposés dans les compartiments où ils
étaient enfermés le matin. “Si je suis
un oiseau, je peux cacher une partie des
provisions là-dedans. De cette façon, si je
me réveille là le matin, j’aurai mon petit
déjeuner”, explique le Dr Clayton. Elle
a en effet constaté que les sujets mettaient de côté trois fois plus de pignons
dans le compartiment où il n’y avait
d’habitude rien à manger. Selon elle,
cela montrerait que ces oiseaux peuvent agir par anticipation pour satisfaire leurs besoins futurs et, donc,
qu’ils savent ce dont ils auront besoin
et où ils en auront besoin.
Pour la plupart des spécialistes du
comportement animal, cette étude
est concluante. Même le Dr Suddendorf, qui était si réticent vis-à-vis
des études précédentes, est intrigué
par ces résultats. “Est-ce qu’ils peuvent
prévoir une semaine, un mois à l’avance
comme les humains ? Est-ce que leur
faculté de prévoyance se limite à la nourriture ?” se demande-t-il. “C’est une
bonne chose que l’on s’y intéresse, ajoute
Suddendorf. Dans cinq ans, les choses
devraient être beaucoup plus claires.
Le futur s’annonce radieux pour les
recherches qui s’intéressent à l’avenir.”
Carl Zimmer
la santé vue d’ailleurs
Un dopant contre la maladie de Parkinson
’essai clinique sur la maladie de Parkinson annoncé fin mars par l’Institut
national des troubles neurologiques et des
accidents vasculaires cérébraux (NINDS)
de Bethesda (Maryland), aux Etats-Unis,
comptera parmi les plus importants jamais
réalisés dans ce domaine et sera expérimental à plus d’un titre. Non seulement il
testera les effets d’un supplément nutritionnel sur la maladie en faisant appel
à 1 720 participants (dont la moitié recevront un placebo), mais le choix de la créatine [un acide aminé naturel présent dans
le cerveau et les muscles] – une molécule
censée avoir un ef fet dopant – comme
agent est lui aussi nouveau.
Le NINDS commence à recruter des patients chez qui la maladie neurodégénérative n’en est encore qu’à ses débuts
pour les soumettre à un essai de phase III
[phase d’étude où l’on compare, notamment, le traitement à un placebo] et voir
L
si une forme purifiée de la molécule peut
la molécule présente chez tous les orralentir l’avancée de la maladie. Si la
ganismes vivants et qui fournit l’énergie
molécule passe l’épreuve avec succès,
nécessaire à leur fonctionnement] dans
l’institut pourra ajouter de nouveaux
les cellules. Elle a aussi pour
composés. “L’ensemble de la
effet de protéger les miprocédure est inhabituelle”,
tochondries [organite
concède Debra Babcock, direccellulaire qui produit
trice scientifique de l’essai du
l’énergie de la celluNINDS sur la créatine. “C’est
le], dont le dysfoncun essai clinique nouveau
tionnement cause
pour nous et un nouveau
la mor t de cer tains
type d’inter vention sur la
groupes de neurones
maladie.” La créachez les personnes
tine, qu’on peut
atteintes de la maladie
acheter sans orde Parkinson.
donnance dans
Reste à savoir si suf fides magasins de
samment de patients se
diététique américains [son
por teront candidats, sacommerce a été récemment léchant que la plupar t ne
galisé en France], est connue Dessin d’Antonio Ballesteros recevront qu’un placebo.
paru dans La Vanguardia,
pour augmenter les réser ves
Debra Babcock espère que
Barcelone.
d’ATP [adénosine triphosphate,
le fait de proposer gratui-
COURRIER INTERNATIONAL N° 859
49
DU 19 AU 25 AVRIL 2007
tement de la créatine pure attirera des
volontaires. Mais, pour Joel Perlmutter,
neurologue de la faculté de médecine de
l’université de Washington, dont le laboratoire est l’un des cinquante et un du
pays à participer à l’essai, le recrutement
pourrait poser “des problèmes logistiques
importants”.
De plus, bien que la créatine revête à ses
yeux un intérêt certain, Perlmutter a des
doutes quant à son mécanisme d’action
contre la maladie de Parkinson. Mais,
même si cette molécule devait se révéler
inef ficace, il considère que l’opération
aura tout de même le mérite de renseigner les chercheurs sur la manière de
conduire des essais à grande échelle sur
la maladie de Parkinson et d’identifier de
nouveaux biomarqueurs [réponses biologiques de l’organisme après exposition
Jennifer Couzin,
à un médicament].
The New York Times, New York
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technologie
i n t e l l i g e n c e s
●
Des faisceaux sonores accrochés à vos oreilles
HI-FI Participer
■
à une vidéoconférence
ou écouter de la
musique sans gêner
les autres ? Microsoft
propose une solution.
Caméra digitale
Haut-parleur
TECHNOLOGY REVIEW
Cambridge (Massachusetts)
ous sommes de plus en plus
nombreux à utiliser l’ordinateur
pour nos conversations vocales,
notamment grâce à des logiciels
de messagerie instantanée tels que
Skype. Mais, en règle générale, il faut
soit être équipé d’un casque-micro,
soit utiliser un micro normal et veiller
à ce que le son des haut-parleurs
ne dérange pas le voisinage. Pour
résoudre ce problème, une équipe de
chercheurs de Microsoft dirigée par
Ivan Tashev travaille sur un programme qui, en théorie, devrait permettre de focaliser le son émis par un
ensemble de haut-parleurs directement sur nos oreilles, formant ainsi un
véritable casque virtuel. Quelques centimètres seulement à l’extérieur de la
zone où le son est envoyé, et on entend
plus rien.Tashev affirme que son algorithme sera utilisable pour une grande
variété d’enceintes bon marché.
L’objectif est de “diriger un son
précis pour qu’une personne puisse se
déplacer dans son bureau en continuant
à l’entendre”, pendant une vidéoconférence, par exemple. La position de
l’auditeur dans la pièce serait localisée par différents périphériques puis
transmise au logiciel de gestion de
son des enceintes. Le casque virtuel
suivrait ainsi l’utilisateur dans ses
déplacements [voir schéma]. Ces périphériques, poursuit Tashev, seraient
d’une part une caméra associée à un
logiciel de traitement d’image, et
d’autre part un ensemble d’au moins
quatre microphones programmés
pour situer la position de l’utilisateur
par écholocation [comme pour un
sonar, le son émis par les haut-parleurs rebondit sur le sujet et revient
vers les micros]. Cette association
permet de diriger les sons vers le sujet
avec plus de précision et aussi de les
diffuser sur une plus grande distance.
L’idée de diriger le son ne date
pas d’hier. Les systèmes radar de l’armée et les appareils à ultrasons courants – comme ceux qui servent à
faire des échographies – le font
depuis des décennies. Ces équipements emploient ce qu’on appelle le
beamforming [formation de faisceaux]. Mais il est plus difficile d’appliquer cette technique à des sons
audibles, comme la musique ou la
voix humaine, parce qu’il faut
prendre en compte une gamme de
fréquences plus large. De plus, les
basses fréquences requièrent des installations matérielles et informatiques
différentes que celles utilisées pour
les hautes fréquences. Les techniques
de traitement de signaux sonores ont
tellement progressé que certains
Faisceau sonore
focalisé
Microphones
intégrés
N
Le programme de Microsoft permet de concentrer
le son émis par des haut-parleurs sur une zone précise.
Ainsi, seul l’utilisateur peut l’entendre.
De plus, si le sujet se déplace, une caméra et des micros
intégrés à l’écran localisent automatiquement sa position.
Le son va suivre son mouvement.
Caméra digitale
Faisceau sonore
focalisé
Courrier international
UN LOGICIEL QUI CRÉE DES ÉCOUTEURS VIRTUELS
appareils grand public utilisent déjà
la formation de faisceaux. Yamaha
vend ainsi des haut-parleurs home
cinéma qui dirigent le son et le font
rebondir sur les murs afin de créer
des enceintes virtuelles derrière la
tête de l’auditeur. Mais ces systèmes
restent rares et surtout chers.
Les ingénieurs de Microsoft veulent développer un logiciel nécessitant le moins de réglages possible en
usine et par l’acheteur.Tashev et son
équipe ont réécrit un programme de
traitement de son déjà connu. “Nous
écrivons les algorithmes pour différentes combinaisons de haut-parleurs”, précise Tashev. Pour que
des haut-parleurs différents diffusent la même qualité de son, il
faut un réglage extrêmement
précis, mais les chercheurs n’en
sont encore qu’à déterminer la
meilleure façon de respecter les
tolérances des enceintes. “Nous
devrons faire certaines concessions”,
admet-il. Mais il précise que le projet n’en est encore qu’à son stade
initial. De plus, pour que l’algorithme
de formation de faisceaux fonctionne
correctement, il doit prendre en
compte la réflexion du son sur les
murs et les fenêtres de la pièce.
Selon Tashev, bien qu’un prototype expérimental soit déjà disponible, cette technologie ne pourra
être commercialisée avant au moins
trois ans. Microsoft devra alors trouver la façon la plus adéquate d’intégrer le programme dans Windows
Media Player, mais aussi s’assurer
que les pilotes d’installation pour ses
nouveaux périphériques soient inclus
dans son système d’exploitation.
Enfin, il lui f audra trouver des
entreprises prêtes à fabriquer des
enceintes destinées à une telle application. Mais d’après Tashev, si ce
produit est un jour disponible sur le
marché, tous ces efforts seront largement récompensés. Nous pourrons enfin avoir une conversation
privée sur notre ordinateur ou participer à une visioconférence avec
une liberté totale.
Kate Greene
EN BREF
●
■ Invention
John Jostins, le concepteur
de R2D2, célèbre robot de
la série des films Star Wars,
vient de créer un véhicule
qui marche à l’hydrogène.
L’hydrogène sous sa forme H2
est un carburant dit propre,
puisque sa combustion ne
donne que de la vapeur d’eau.
La voiture de Jostins, appelée
Microcab, serait donc
parfaitement écolo et aurait
une autonomie de près de
160 km avec une batterie
pleine. Très légère (250 kg)
et totalement silencieuse,
la Microcab se veut aussi
un peu plus rapide que
le droïde qui a rendu célèbre
son inventeur, puisque
le véhicule atteindrait
une vitesse de 45 km/h,
rapporte la revue Nature.
Le quotidien genevois
Le Temps annonce qu’à la fin
du mois, au Japon, les
nouveaux téléviseurs d’Hitachi
comporteront un disque dur
amovible sous la forme
d’une cartouche de poche.
Les téléviseurs intégrant
un disque dur à haute
capacité existent déjà
depuis plus de cinq ans, mais
jamais un tel périphérique
de mémoire n’aura été
aussi petit et transportable.
On pourra stocker dans
ce support des émissions
et des longs-métrages
COURRIER INTERNATIONAL N° 859
50
en haute définition qui
pourront être consultables
sur PC ou, mieux encore,
dans sa voiture à l’aide
d’un autoradio-vidéo adapté.
La société japonaise imagine
même des bornes de vente
installées, par exemple,
dans les stations-service,
où chacun pourra glisser
sa cartouche afin de récupérer
un film, moyennant
un prix d’achat.
■ Shopping
Le futur téléphone cellulaire
en projet chez Sony Ericsson
pourra vous dire si
le chemisier qui vous fait
tant envie va vous aller sans
même l’essayer. Il faudra pour
DU 19 AU 25 AVRIL 2007
cela saisir votre poids, votre
taille, votre âge et votre
couleur de cheveux. Mieux
encore, à condition de faire
un enregistrement 3D
de votre corps par scanner,
votre portable pourra se baser
sur ce modèle informatique.
Au moment de vos achats,
vous repérerez le code
d’identification du vêtement
choisi. Vous entrerez ce code
dans votre téléphone
et vous enverrez ces données
au central informatique
du magasin. Un écran
affichera alors un avatar
virtuel de vous-même portant
les habits sélectionnés,
explique l’hebdomadaire
britannique New Scientist.
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multimédia
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●
Le clip vidéo, une nouvelle forme d’art
TENDANCE Les films
■
qui accompagnent
les derniers tubes
permettent
à des jeunes cinéastes
de laisser libre cours
à leur imagination.
NÚ Films
NRC HANDELSBLAD
Rotterdam
onne nouvelle pour le clip musical. Grâce à l’iPod vidéo, tout le
monde peut maintenant voir ses
propres films, sans dépendre de
la programmation des chaînes de
télé. Voilà qui ouvre la voie au clipsingle : un clip vidéo qu’on achète
comme un disque simple. Fin janvier, au MIDEM, le Marché international de l’édition musicale à
Cannes, le clipsingle a effectivement
occupé le devant de la scène. Les
maisons de disques espèrent que ce
nouveau produit leur permettra de
compenser le recul des ventes de CD.
On assiste donc à un tournant,
notamment pour le clip vidéo en tant
que “forme artistique”, dans la mesure
où, depuis des années, c’est le clip et
non le morceau en soi qui constitue le
support de la musique pop. Les clips
vidéo représentent l’art de la jeunesse.
Les jeunes ne peuvent peut-être pas
distinguer un Matisse d’un Picasso,
mais ils voient la différence entre un
bon et un mauvais clip. Ils regardent
la distribution des MTVVideo Music
Awards et discutent souvent avec passion des clips sur des forums de discussion comme Videopinie.nl.
B
Louis-Philippe Eno
lors de l’enregistrement
du titre Montréal
– 40 °C, avec
son groupe Malajube,
en 2006.
■
Exemple
Depuis Madonna,
le clip est
une manière pour
les stars de rectifier
leur image. Dans
She’s Madonna,
le nouveau clip
de Robbie Williams,
on voit l’idole
de la pop en dragqueen. Soucieux
de ne pas devenir
trop classique
en tant que sexsymbol, il s’arrange
pour corriger cette
image. Avec ce clip,
il dit à ses fans :
“N’allez pas croire
que vous savez
qui je suis !”
Les artistes s’y intéressent depuis
les années 1970. Certains cinéastes ont
fait leurs premières armes dans ce
monde, comme Michel Gondry, dont
les films (Eternal Sunshine of the Spotless
Mind,La Science des rêves) sont influencés par le style extravagant de ses clips
musicaux : un montage rythmé, une
expérimentation avec la couleur et
l’éclairage. Dans Army of Me, un clip
de Björk réalisé par Gondry, la chanteuse pose une bombe dans un musée
d’art moderne. Une sorte de clin d’œil
sur la relation entre l’art et les clips.Tout
est bizarre chez Gondry.Tout y est possible. Dans le clip de Björk, un avion
entre dans une ampoule et une molaire
qui vient d’être extraite se transforme
en un gigantesque diamant. Le surréalisme, avec lequel Dalí et Buñuel
entendaient changer le cinéma, est
encore bien vivant.
Globalement, deux tendances se
dégagent. Le maître de la première tendance, pour l’heure, c’est le rappeur
50 Cent. Beaucoup de nu et une succession d’images affriolantes. Parallèlement, il existe un autre courant plus
créatif (étonnant, subversif) qui exploite
pleinement les caractéristiques for-
COURRIER INTERNATIONAL N° 859
51
melles du genre. Les clips extravagants
de Björk (Isobel, Hyperballad, Human
Behavior) font partie de ce “contrecourant”, mais aussi ceux de Pink,
Christina Aguilera et Robbie Williams.
Les Beatles et Bob Dylan faisaient déjà
des clips vidéo dans les années 1960,
mais ce n’est qu’à partir de la création
de MTV, en 1981, qu’une véritable
culture du clip vidéo a vu le jour. Avant
cette époque, un clip se composait surtout d’images tirées d’un concert. Le
sentiment de “ne pas avoir été là”
dominait. Mais les premiers véritables
clips vidéo ont vite changé les choses,
en créant un monde imaginaire et en
mettant en scène des choses inconcevables sur une scène.
Thriller (1983), de Michael Jackson, a conféré à ce genre ses lettres
de noblesse. Le spectateur/auditeur
était tenu en haleine pendant quatorze
minutes avec une courte histoire d’horreur, la durée du morceau étant prolongée pour atteindre trois fois la durée
initiale. En l’occurrence, l’image a déjà
pris le dessus, puisqu’elle détermine le
temps que doit durer le clip. Thriller
a d’emblée imposé le clip artistique
comme le petit frère du long-métrage
cinématographique. Madonna, pour
sa part, a donné au clip le ton de la
provocation. En 2006, son fameux
Like a Prayer (1989) a été élu par
MTV comme étant le clip vidéo le plus
“iconoclaste” de tous les temps.
L’art et les clips ne forment pas
des mondes séparés. A l’automne dernier, le musée d’Art contemporain de
Montréal a proposé l’exposition
“Vidéomusique”, qui comprenait
26 clips de réalisateurs comme Spike
Jonze, Michel Gondry, Chris Cunningham et Louis-Philippe Eno. Aux
Pays-Bas, le Stedelijk Museum, le
Centraal Museum, le Vleeshal et le
DU 19 AU 25 AVRIL 2007
Groninger Museum ont mis en avant
tous les acquis de ce média. Ces dernières années, on s’est beaucoup intéressé à l’œuvre d’un artiste réalisateur
de clips comme Chris Cunningham.
Ce Britannique a commencé sa carrière comme créateur d’effets spéciaux
et a participé, entre autres, aux films
Judge Dredd, Alien Resur rection
et A.I. Il a ensuite fait des clips pour
Madonna, Björk, Portishead et Squarepusher. Mais c’est pour Aphex Twin
qu’il a réalisé ses clips les plus marquants et les plus perturbants. Dans
Come to Daddy, qui date de 1997, un
groupe d’enfants, qui ont tous la tête
de Richard D. James (Aphex Twin),
harcèle une vieille dame. Avec Flex
(2000), axé sur l’anatomie et la sexualité, Cunningham montre qu’il n’y a
qu’un pas entre le clip et l’art. La
musique a été composée par Richard
D. James à partir des images – et non
le contraire.
Les vidéos de Cunningham montrent que les clips ne doivent pas nécessairement faire plaisir au spectateur,
mais peuvent aussi f acilement
le perturber. Les changements de plan
abrupts sont davantage la règle que
l’exception. Curieusement, pourraiton se dire, le clip a ainsi popularisé les
principes du cinéma de montage russe
(Vertov, Eisenstein). Alors que, dans
les films hollywoodiens, les changements de plan restent aussi invisibles
que possible – il s’agit de préserver la
continuité d’une histoire “passionnante” –, le réalisateur de clip découpe
et assemble à son gré. Le clip est ainsi
devenu, la forme artistique définitive
de la musique pop. La chanson semble
être reléguée au rang de bande sonore
du clip. En ce sens également, le clip
est peut-être bien l’art de l’avenir.
Colin van Heezik
52-53 voyage
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Page 52
voya ge
●
PÈLERINAGE EN PATAGONIE
Chez Butch Cassidy et le Kid
Cholila, petit village argentin perdu
au pied de la cordillère des Andes,
a hébergé les célèbres hors-la-loi de 1901
à 1907. Evocation d’une époque légendaire.
P r o v i n c e d e R ÍI O N E G R O
Province
de CHUBUT
Cholila
e
i
o
n
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P. N. Esquel
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Alerces
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C O R D I L L È R E
A R G E N T I N E
P
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D
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S
CHILI
0
60 km
0
500 km
PÁGINA 12
Buenos Aires
e voyageur qui parcourt pour la première
fois la Patagonie argentine découvre des
lacs tels qu’il n’en verra nulle part ailleurs
sur la planète. La silhouette grandiose de
la cordillère des Andes, en arrière-fond, fait
de cette région de la province de Chubut un
paradis terrestre insoupçonné. Les bourgs et
petits villages qui poussent à la faveur du tourisme s’intègrent aussi bien au paysage qu’à
la mémoire collective de ces lieux. Fondés il y
a un peu plus de cent ans, ils entretiennent le
souvenir d’histoires qui remontent à l’arrivée
de leurs fondateurs, au tout début de la colonisation et à l’apparition des premiers grands
latifundia. Chacun de ces lieux a quelque chose
à raconter, des récits qui se transmettent de père
en fils, des histoires secrètes et mystérieuses. La
province de Chubut, attribuée en 1902 à l’Argentine, fut le théâtre, entre eaux bleues et
neiges blanches, de certaines d’entre elles. Pour
les revivre, il suffit de se rendre dans le petit village de Cholila, porte d’entrée du parc national Los Alerces et de ses paysages de rêve.
En 1900, Cholila était un simple hameau dispersé. Les premiers habitants – Tehuelches, Araucanos et Mapuches –, qui étaient arrivés dans
la région un millénaire auparavant, lui avaient
donné son nom indien, signifiant “belle vallée”.
Le peuplement de cette colonie rurale embryonnaire avait débuté en 1897, après que Ventura
Solís, éleveur de son état, eut posé le pied sur ces
terres. Une fois établi à Cholila, Solís devint guide
et conseiller des premières expéditions destinées
à délimiter les frontières avec le Chili, dirigées par
L
■
A la une
Le supplément
tourisme du
quotidien argentin
Página 12, qui paraît
chaque dimanche,
invitait le 4 février
dernier à découvrir
la région australe
du pays sous
le titre “Contes
de la Patagonie”.
Le gang de
la “horde sauvage”
photographié en 1901
à Fort Worth (Texas).
Robert Leroy Parker,
alias Butch Cassidy,
est assis à droite.
Harry Longabaugh,
alias Sundance Kid,
est assis à gauche.
COURRIER INTERNATIONAL N° 859
Louisiane, trois hommes de l’agence de détectives Pinkerton lancés à ses trousses. Harcelée
par Pinkerton, la bande finit par se séparer et
Butch Cassidy et Sundance Kid s’enfuirent pour
New York, en compagnie d’Etta Place, une femme
alliant une beauté étourdissante à un courage
exceptionnel. Les murs se couvrirent d’affiches
offrant la somme astronomique de 10 000 dollars de récompense pour la capture de chacun
des bandits, mais tous trois s’étaient évanouis
dans la nature sans laisser la moindre trace.
Et pour cause : à l’automne 1901, deux
hommes et une femme avaient débarqué
incognito à Buenos Aires, mêlés à la foule
des passagers du vapeur Soldier Price. Le trio
s’installa à l’hôtel Europa, sur l’avenue de Mayo,
déposa 30 000 dollars en or dans une banque
de la rue Florida et rendit enfin visite au directeur des Terres qui attribua une concession
de 6 000 hectares dans la lointaine localité de
Cholila. Butch Cassidy, Sundance Kid et leur
redoutable compagne s’étaient présentés
comme étant Santiago Ryan, Henry Place et
Etta Place, éleveurs de leur état.
Les voici qui s’enfoncent, à cheval, dans la
Patagonie profonde pour apercevoir enfin, au
terme de plusieurs jours de chevauchée, leur destination finale. Avec sa végétation austère et les
nuées de sable soulevées par le vent, Cholila leur
rappelle leur Utah natal. Ils y construisent un
ranch dans le plus pur style de l’Ouest américain
et utilisent leur butin de la banque du Nevada
pour acheter leurs premières têtes de bétail. Ils
bâtissent ensuite une grande écurie et quatre
étables en bordure du ruisseau qui traverse leurs
terres.Vers 1905, ils ont entièrement acheté leurs
6 000 hectares. “Je possède 300 bovins, 1 500 brebis, 28 chevaux de selle, 2 péons qui travaillent pour
moi, une maison de quatre pièces, des hangars, une
Granger Collection/Rue des Archives
El Maitén
l’ingénieur Francisco Pascasio Moreno. Les prairies généreuses de ces vallées fertiles allaient peu
à peu attirer des colons gallois, des bergers chiliens, des immigrants libanais, de petits éleveurs
nord-américains et une poignée d’aventuriers.
Il fallut attendre 1904 pour qu’apparaissent la
première école et le premier poste de police.
A la même époque, le Far West américain – à
des milliers de kilomètres de là – voyait s’éteindre
le monde des cow-boys, celui-là même qui allait
passionner l’industrie cinématographique un
siècle plus tard. Adulés par le peuple et poursuivis par la bourgeoisie, capables d’attaquer des
banques ou des trains chargés d’or en Californie, les hors-la-loi de l’Ouest étaient des sortes
de Robin des bois aux yeux du peuple. Ce fut le
cas de Henry McCarthy – plus connu sous le
nom de Billy the Kid – ou encore de Jesse James,
peu après la guerre de Sécession [1861-1865].
Vers la fin du XIXe siècle, une autre bande de malfaiteurs ravagea à son tour les grandes plaines
américaines. Mais qui se souvient de la “horde
sauvage”, formée de Harry Longabaugh – passé
dans l’histoire sous le pseudonyme de Sundance
Kid –, de Robert Leroy Parker, alias Butch Cassidy, et de leurs acolytes Will Carver, Ben Kilpatrick et Harvey Logan ?
Leurs faits d’armes furent pourtant nombreux. Ces bandits n’hésitèrent pas à prendre la
pose, vêtus de leurs plus beaux costumes, devant
l’objectif d’un photographe de Fort Worth, au
Texas, dans le seul but d’envoyer un exemplaire
du cliché au directeur de la banque de Winnemucca [dans le Nevada], à qui ils venaient de
voler près de 32 000 dollars ! Et si la plupart des
admirateurs de Butch Cassidy assurent qu’il n’a
jamais tué personne, d’autres soulignent qu’après
l’attaque du Great Express en 1901 (butin :
50 000 dollars) il assassina dans un hôtel, en
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carnet de route
Y ALLER
■ Le village de Cholila se trouve au
nord de la province de Chubut, en Patagonie
argentine, à 150 km d’Esquel, à 70 km d’El
Bolsón, à 150 km de Bariloche et à 2 000 km
de Buenos Aires. Il faut compter au moins
800 euros pour un vol AR Paris-Buenos Aires
sans escale. Mais il ne faut pas oublier le surcoût
du trajet final en avion, en bus ou en voiture.
La route d’Esquel à Cholila n’est que partiellement
goudronnée, mais permet de traverser le magnifique parc national Los Alerces. Cholila se trouve
à quelques kilomètres d’El Maitén, le terminus
du célèbre train Patagonia Express, surnommé
aussi “la Trochita”.
À SAVOIR ■ En Argentine, les saisons sont inversées par rapport à l’Europe. L’été dure jusqu’à
la fin mars. Janvier et février sont les meilleurs
mois pour visiter la Patagonie. En automne,
d’avril à juin, le climat est encore agréable. L’hiver, plus frais et humide, débute mi-juin.
À DÉGUSTER
Craig Lovell/Corbis
Galen Rowell/Corbis
■ Le maté est la boisson traditionnelle en Argentine. En Patagonie, on
rencontre beaucoup de gens qui en consomment à toutes les heures de la journée. Cette
infusion, vaguement comparable au thé, est
préparée à par tir de la yerba maté (thé
des jésuites). Le maté se prépare dans un
récipient spécifique (également appelé maté,
du quechua mathi, qui signifie “calebasse”) et
se boit à l’aide d’une bombilla, c’est-à-dire
d’une pipette métallique (en argent si possible)
équipée d’un filtre, A première vue très simple,
la préparation du maté est tout un art et donne
lieu à un véritable rituel.
étable et quelques poules. La seule chose qui me
manque, c’est une cuisinière, car je vis toujours dans
une amère solitude”, écrit Butch Cassidy à une
amie détenue dans une prison d’Ashley, aux
Etats-Unis.
Le respectable éleveur qui se fait désormais
appeler Ryan n’est toutefois pas homme à se reposer sur ses lauriers ; il monte bientôt un magasin
qui devient le grand rendez-vous des hommes du
village. C’est là que l’on parle des événements quotidiens de la région – le bétail, les affaires et les
femmes –, de superbes créatures qui ont appris
à manier les armes sous la houlette d’Etta Place.
On dit qu’Etta est très respectée à Cholila, non
seulement pour les deux revolvers qu’elle porte
ostensiblement à la ceinture, mais aussi parce
qu’elle affirme qu’une femme de l’Ouest “doit être
préparée à élever des enfants, cuisiner et défendre sa
terre, sa personne et son homme”. On raconte aussi
qu’elle pose une bouteille vide sur chacun des deux
piliers du portail de sa ferme et que, tenant entre
les dents les rênes de son cheval lancé au grand
galop et un revolver dans chaque main, elle vise
les bouteilles, puis les fait voler en éclats au
premier coup de feu.
Dans le parc
national Los Alerces.
En 1907, les infatigables détectives de
l’agence Pinkerton retrouvent les traces de la
bande. Butch Cassidy et Sundance Kid s’enfuient vers la province de San Luis, attaquant
au passage la banque de la Nación à Villa Mercedes, passent au Chili et, de là, poursuivent leur
cavale jusqu’en Bolivie. Selon une des versions
de l’histoire, ils sont cernés par une cinquantaine de policiers dans le petit village bolivien
de San Vicente : Sundance est blessé et Butch
se suicide. Une autre version assure que ce personnage de légende serait mort de vieillesse dans
un hôpital des Etats-Unis.
A Cholila, il ne reste que quelques cabanes en
rondins à demi délabrées pour évoquer le ranch où
vivaient ces célèbres bandits. Les autres bâtiments
qui, jadis, étaient situés au bord du ruisseau ont été
partiellement occupés jusqu’en 1998. Mais on peut
aujourd’hui les visiter. Un projet de restauration
a mobilisé les meilleurs charpentiers de la région
pour transformer ces simples bâtisses en un musée
destiné à perpétuer le souvenir de cette histoire qui,
voilà bien longtemps, fut le point de rencontre entre
le Far West et la lointaine Patagonie.
Marina Combis
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DU 19 AU 25 AVRIL 2007
A VOIR ■ Le parc Los Alerces (alerces : cyprès
de Patagonie) est l’un des plus beaux parcs
nationaux d’Argentine. Il a été créé en 1937 afin
de protéger cette espèce dont certains spécimens
traversent les siècles. Les arbres les plus
anciens du parc ont entre 2 500 et 3 500 ans.
D’une superficie de 263 000 hectares, le parc
Los Alerces compte une dizaine de lacs et de
nombreux cours d’eau. La plupar t des infrastructures du parc se trouvent autour du lac
Futalaufquen : station-service, camping, restaurants, bungalows. On peut aussi demander un
permis de pêche et s’inscrire pour des trekkings.
A REVOIR ■ Un classique du cinéma américain :
Butch Cassidy et le Kid, western réalisé en
1969 par George Roy Hill et interprété par Paul
Newman et Robert Redford. Même si on ne voit
pas Cholila dans le film.
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l e l i v re
épices & saveurs
●
LE MEILLEUR DES MONDES
Perdu de vue
Dans un pays qui vient de sortir d’une
effroyable guerre civile, une animatrice
radio aide les gens à retrouver leurs proches
disparus. Le premier roman de l’Américain
d’origine péruvienne Daniel Alarcón.
BELGIQUE Complètement
■
siphonnés !
A
LOS ANGELES TIMES (extraits)
L
■
Kim Kulish
Los Angeles
a guerre, pour Daniel Alarcón, est une
bataille de mots. Le pays non identifié
d’Amérique du Sud où se déroule Lost City
Radio*, son remarquable premier roman,
est officiellement en paix après des années de
guerre civile. Les places de la capitale détruites
par les bombes ont été reconstruites mais il reste
des terrains minés, surtout dans la conversation.
Les localités sont désormais désignées par des
numéros ; il est interdit de mentionner leur ancien
nom et prononcer celui d’une personne qui a été
déclarée traître à la patrie par les autorités, c’est
s’exposer à une arrestation immédiate.
Au début du roman,Victor, 11 ans, vient d’arriver de la forêt lointaine. Son village, 1797, l’a
chargé de remettre une liste des habitants disparus à Norma, qui anime une émission très populaire intitulée Lost City Radio. Le problème, ce
n’est pas la liste elle-même : les personnes disparues constituent le fonds de commerce de
l’émission. Dans la décennie qui a suivi la guerre,
des millions de personnes déplacées et de pauvres
ont afflué dans les bidonvilles de la capitale.
Norma invite les auditeurs à lancer un appel à
l’antenne pour retrouver leurs proches disparus. Quand quelqu’un entend son nom et contacte
le studio, une rencontre est organisée. Bien
entendu, comme l’émission est diffusée sur la
radio nationale, qui est d’ailleurs la seule du pays,
un tri préalable est fait.
Norma est l’arme secrète de l’émission. “Elle
savait quand laisser sa voix trembler, quand s’attarder sur un mot, quels textes prononcer à toute
allure… comme si les mots eux-mêmes étaient en feu”,
écrit Alarcón. Mais si le ton empathique de
Norma atténue la douleur des souvenirs, elle ne
les efface pas, comme le montre très vite le roman.
Au début, c’est le triste sort de Victor qui
semble émouvoir Norma : sa mère vient de périr
noyée, et l’instituteur qui l’accompagnait à la capitale l’a abandonné en chemin. Mais l’animatrice
est en plein conflit d’intérêts. Son mari, professeur d’ethnobotanique, effectuait souvent des
recherches près de 1797. Il a disparu il y a dix ans
lors d’une expédition de collecte. Tout ce que
Norma a réussi à savoir, c’est que cet amoureux
des plantes, qui affirmait avoir renoncé à la politique, a été depuis accusé de choses horribles, par
exemple d’avoir inventé une méthode de torture
particulièrement atroce.
Dans son scénario le plus optimiste, Norma
imagine que Rey se cache dans la forêt et qu’un
jour il entendra sa voix. Le messager de 1797
Biographie
Pour la revue
littéraire Granta,
Daniel Alarcón,
29 ans, est l’un
des vingt meilleurs
jeunes romanciers
américains
du moment.
Né à Lima,
au Pérou, il réside
aux Etats-Unis,
où ses parents
médecins ont
émigré quand
il avait 3 ans.
Cet anthropologue
de formation,
qui a suivi
le prestigieux atelier
d’écriture
de l’université
de l’Iowa, s’est fait
connaître en 2003
en publiant un récit
dans la revue The
New Yorker. Après
War by Candlelight,
son recueil
de nouvelles
très remarqué
paru en 2005 (non
traduit en français),
il vient de publier
son premier roman,
Lost City Radio.
ujourd’hui, tout restaurant un peu branché
se doit d’adopter les artifices de la cuisine
moléculaire et donc d’afficher sur sa carte
des plats agrémentés d’écumes ou d’espumas
[mousses ultralégères salées ou sucrées]. Mais
d’où vient cette nouvelle mode éphémère ? Du
pape de la gastronomie moléculaire, le Catalan Ferran Adrià, bien sûr, qui a eu l’idée géniale
de détourner le vieux siphon relégué au fond du
placard pour réinventer le principe de la mousse
en lui donnant encore plus de légèreté. Mais
alors que d’autres techniques sont difficiles à
reproduire à la maison, comme le sorbet à l’azote
liquide, le siphon permettra aisément d’apporter la touche de modernité et de raffinement aux
plats les plus variés.
Le principe consiste à donner à la fois de la
consistance et de l’inconsistance afin de créer
une nouvelle texture. Pour ce faire, il faudra utiliser un liquide : un jus, de la crème, une infusion, un bouillon, un coulis… Pas besoin d’ajouter qu’une centrifugeuse ou un robot réglé sur
haute vitesse seront utiles pour obtenir une
consistance idéale et sans morceaux. Car le
moindre élément solide risquerait d’entraver la
bonne marche de la recette.
Pour les préparations salées, on privilégiera, par
exemple, le Tabasco, et pour les sucrées, le sirop
de canne. Ensuite, il suffira d’ajouter un épaississant, de la gélatine, du blanc d’œuf (plus efficace en poudre), de l’agar-agar, de la lécithine
de soja…
Fermer le siphon en respectant bien la notice de
l’appareil, insérer une ou deux capsules de N2O,
secouer deux ou trois fois – étape importante
afin de bien répartir le gaz – et le tour est joué.
Plus le siphon restera au réfrigérateur, plus la
préparation sera ferme. Avec la possibilité de
réinventer certains classiques, on comprend dès
lors pourquoi tant de gens deviennent accros de
cet élégant objet qu’est le siphon !
serait-il une réponse ? Victor, qu’elle héberge,
et Manau, l’instituteur, qu’elle traque, deviennent
des alliés et les pièces d’un puzzle.
Dans un autre contexte, l’histoire de Norma
et Rey contiendrait des éléments de comédie à
côté du tragique. En sortant un peu éméchés de
la soirée dansante où ils se sont rencontrés, vingt
ans plus tôt, ils sont tombés sur des soldats et
Norma est rentrée seule chez elle avec le portefeuille de Rey dans la poche. Rey ne donne pas
signe de vie pendant un an et Norma réalise que
cet homme qu’elle connaît à peine lui a confié un
dangereux secret. Avec le recul, elle essaie de comprendre l’attirance qu’elle a pour lui et qui persiste même après qu’il est réapparu, affirmant ne
pas souvenir d’elle. Est-ce sa force ou sa faiblesse
qui l’attirait ? Ou bien le côté romantique de la
situation ? La guerre, écrit Alarcón, avait éclaté à
peine quelques semaines auparavant et était
encore à ce point lointaine que “beaucoup d’étudiants y songeaient encore avec excitation, comme si
c’était une fête à laquelle ils seraient bientôt conviés”.
Peu de romanciers débutants parviennent à
jouer aussi habilement sur autant de registres
simultanément – roman historique, policier, conte
moral. Lost City Radio est un morceau de bravoure. L’un des procédés favoris d’Alarcón
consiste à mentionner un événement ou un mot
sans la moindre explication ou traduction, les précisions arrivant plusieurs chapitres plus loin. Ainsi,
un mot mystérieux, tadek, apparaît pour la première fois en relation avec le village de Victor ; le
terme revient ensuite dans une conversation à
propos d’un article de journal et l’on apprend
qu’il s’agit d’une sorte d’ordalie ; enfin, alors que
le roman approche de sa conclusion déchirante,
Alarcón nous fait vivre le tadek à travers les yeux
des personnes obligées d’y prendre part.
Le monde qu’Alarcón dépeint dans Lost City
Radio peut sembler exotique. Pourtant, quand
l’auteur explore ce processus mental très particulier par lequel un conjoint fait de la trahison
la base de son couple, un indicateur préfère la
plausibilité à la véracité, une ville qui n’est pas
en guerre considère les soldats en armes comme
une présence nécessaire, alors ce pays étranger
et sans nom ne semble plus aussi éloigné que
cela du nôtre.
Ariel Swartley
* HarperCollins, New York, 2007. Pas encore traduit
en français.
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DU 19 AU 25 AVRIL 2007
Tiramisu aérien (pour
un siphon de 0,5 litre)
Ingrédients 250 g de mascarpone, 200 ml de
crème fraîche liquide, quelques cuillerées de
sirop de sucre de canne, biscuits boudoirs, de
l’amaretto, café bien fort, cacao en poudre.
Préparation Deux bonnes heures avant de passer au desser t, mélanger le mascarpone, la
crème et le sirop ; la préparation ne doit pas être
trop dense, mais, si c’est le cas, ajouter encore
un peu de crème fraîche. Verser dans le siphon.
Insérer la cartouche de N2O. Secouer deux ou
trois fois et mettre au réfrigérateur. Au moment
de servir, mélanger le café chaud et l’amaretto
dans une assiette creuse et y tremper les boudoirs. Dresser 4 ou 5 biscuits sur chaque assiette
de service. Actionner le siphon pour répartir un
peu de crème de mascarpone sur chaque
assiette puis saupoudrer de cacao.
Hubert Heyrendt, La Libre Belgique (extraits), Bruxelles
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insolites
●
Fonctionnaire européenne
cherche fonctionnaire européen
B
Tous ont entre 35 et 55 ans, sont de
nationalités diverses, mais rares sont les
Belges. Une faiblesse que Laura, Italienne de 50 ans et présidente d’Eurosingles, aimerait voir disparaître.
Le repli des fonctionnaires ? S’il existe,
c’est une affaire de “caractère et parfois de
mauvaise volonté”, disent Bernard et
Laura. Ou de timidité et d’obstacle linguistique. L’intégration à Bruxelles ? “Difficile quand on débarque, qu’on se retrouve
seul et qu’on ne connaît rien au pays”,
explique Bernard. Sans compter cet obstacle au mélange : “Le rythme de travail
intense des fonctionnaires et leur niveau
d’éducation et de formation très élevé” qui
rendent les affinités parfois difficiles avec
des gens non issus du sérail… Prétentieux ? Non. Une réalité, selon Bernard. “Et Eurosingles apporte cette
garantie de sensibilités communes.”
Pour Laura, le problème vient
aussi de Bruxelles elle-même.
“Ce n’est pas une ville hypersociable.” La faute peut-être à
une vision déformée de ces
travailleurs… mais plus sûrement au sentiment de dépossession urbaine des “autochtones”. “Bien sûr, certains
fonctionnaires se prennent pour
Dieu, concède Laura. Mais c’est
loin d’être la majorité. Ces gens
imbus, on les retrouve dans tous les
milieux, ça n’a rien à voir avec le
fait d’être fonctionnaire européen.”
A la tête d’Eurosingles, elle fera tout
pour éviter “les mêmes cercles de nationalités”. Mais, pour cela, il lui faudra
soumettre les utilisateurs à la question
et organiser un référendum interne.
Car elle ne se voit pas non plus “tout
chambouler.”
La Libre Belgique (extraits), Bruxelles
Un billet
anticorruption
Avec le billet de zéro roupie,
Fifth Pillar, dans le Mumbai
les Indiens auront moins de
Mirror. “Un conducteur de
mal à dire non aux fonction-
rickshaw motorisé s’est fait
Photos : Lesley Leslie-Spinks
ernard travaille depuis douze ans
à la Commission européenne. Il
est belge, divorcé. Bernard a toujours aimé la photo, la marche,
les sorties entre amis, et, surtout, partager ses passions. Alors un jour, il y
a trois ans, il s’est inscrit sur un site de
rencontres après avoir vu une annonce
dans le journal de la Commission. Quel
site ? Eurosingles, fondé en 2003 par
une autre fonctionnaire européenne.
Un site exclusivement destiné aux fonctionnaires de l’UE : agences, représentations permanentes, ambassades,
Eurocontrol, OTAN et autres organisations internationales. Ils sont aujourd’hui près de 180 membres.
Pas de chat, de flash ou de “blonde aimant
cuisiner” à attendre ici. Seulement des
profils présentant leurs fonctions et
centres d’intérêt. Avec un point commun : trouver la “moitié” et éviter les
pièges – ces clichés entourant les fonctionnaires européens, majoritairement et
“erronément” perçus comme “très bien
payés et jouissant d’excellentes conditions de
travail”. Bernard a souffert d’être pris
“pour une vache à lait.” Comme d’autres,
il ne veut pas que les écarts de salaires
ruinent sa vie affective.
Sur Eurosingles, pas d’ambiguïté possible. Ni de mauvaise surprise. Car si
on s’y inscrit librement dans un premier temps on ne passe pas allégrement le filtre du modérateur. Critère
d’éligibilité : disposer d’une adresse en
ec.europa.eu, cec.eu.int, europarl.eu.int
ou encore hq.nato.int (OTAN). Un gage
d’authenticité et de salaire équivalent. Et
une façon de rester en milieu connu.
Pour se rencontrer, on clique sur la page
des uns et des autres, on se met directement en contact avec la personne ou on
participe aux sorties proposées.
Pour (très) jeune
public
n Suède, le goût du théatre, ça commence
à l’âge des couche-culottes. Babyrama, à
l’affiche du Stadsteater de Stockholm,
s’adresse aux bébés de 6 mois à 1 an. A
défaut de fauteuil d’orchestre, les spectateurs
sont à quatre pattes ou suspendus dans des sièges
kangourous. Les acteurs, tantôt adultes, tantôt
transformés en bébés à l’aide de masques, leur
parlent du confort de l’univers fœtal, symbolisé par de grands tissus rouges, de la naissance
et des péripéties de la vie en poussette. Le tout
dans un mélange de langues, en passant allégrement du suédois au chinois. Ecrite par une analyste
spécialiste de l’enfance, Ann-Sofie Barany, la pièce est
mise en scène par Susanne Osten, un grand nom du
théâtre suédois. Manifestement, Babyrama a trouvé son
public. Le spectacle, qui reprend fin avril, en est à sa deuxième
saison. L’an dernier, la plupart des bambins ont vaillament maintenu
leur attention pendant les quarante minutes de représentation. Et pour les spectateurs qui passeraient leur temps à brailler, pas de souci : ils pourront revenir
gratis, note le Dagens Nyheter.
E
Conte de fées
es mariages gays, c’est aussi chez
Mickey. Aux Etats-Unis, les couples
homosexuels peuvent désormais
sceller leur union dans tous les
parcs à thème de Disney, avec Minnie
pour demoiselle d’honneur. Les packages “Conte de fées” sont enfin ouverts
L
aux gays et lesbiennes. “Nous ne sommes
pas là pour porter des jugements sur le
mode de vie de nos hôtes”, indique Donn
Walker, porte-parole de Disney Parks
and Resorts. “Notre métier, c’est l’accueil,
et nos parcs sont ouverts à tous.”
(The Guardian, Londres)
patte pour traiter le moindre dossier. A pre-
par un policier qui lui a dit qu’il le laisserait
mière vue, la fausse coupure émise par le
repartir s’il faisait ‘un petit geste’. Le conduc-
Guère grégaire
groupe anticorruption Fifth Pillar (Cinquième
teur lui a donné un billet de zéro roupie. Le
Le Finlandais aime son intimité. “Même à jeun”, à en croire un conseiller municipal
Pilier) ressemble au billet de 50 roupies. Sauf
policier a été choqué, mais il a souri et l’a
d’Helsinki, “il répugne à partager un banc public”. M. Sture Gadd demande donc à la
que, sous le visage de Gandhi, un message
laissé partir.” Faire installer le téléphone,
municipalité davantage de bancs, mais plus petits. Et pourquoi pas des chaises ? A cause
proclame : “Je promets de ne jamais donner
renouveler son passeport : la plupart des
des vols, indique Hufvudstadsbladet.
ni accepter de pots-de-vin.”
démarches s’accompagnent en général du
naires qui se font graisser la
arrêter au milieu de la nuit
Fifth Pillar a émis 25 000 coupures, distri-
paiement d’un pot-de-vin, rapporte The Times.
buées dans la ville de Madras, au sud du pays.
Le billet de zéro roupie, “c’est un mouvement
Le groupe a pris toutes les dispositions légales
de résistance passive, à la Gandhi, contre la
pour ne pas être taxé de contrefaçon : le verso,
corruption”, déclare Vijay Anan. Un combat
notamment, ne peut prêter à confusion. “Les
ambitieux : les bakchichs versés chaque
gens ont déjà commencé à les utiliser, et ça
année par les citoyens lambda se monte-
marche”, rapporte Vijay Anan, président de
raient à plus 3,6 milliards d’euros par an.
COURRIER INTERNATIONAL N° 859
Dans nos cordes
es cordes de pendaison de mauvaise qualité, ça suffit. Le Koweït envisage
sérieusement de changer de fournisseur. Le ministère de l’Intérieur s’est
tourné vers Singapour : le matériel asiatique est meilleur marché et plus résistant que les cordes égyptiennes, à en croire les autorités. “Les nouvelles cordes
peuvent être stockées plus longtemps que les cordes égyptiennes [...], qui entraînaient
parfois la décapitation des criminels condamnés à la pendaison”, a déclaré un responsable du ministère.
(The Daily Star, Koweït)
L
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