Le colloque international "Totem et publicité"

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Le colloque international "Totem et publicité"
Nouveau livre : "L'effroi du néo-management", Chantal Cazzadori
Trois expériences impossibles aujourd'hui?
http://www.chantalcazzadori.com
Le colloque international "Totem et publicité"
Date : 4 juin 2008
a eu lieu à DAKAR, du 27 au 30 octobre 2008.
Un évènement qui a réuni des participants de France, de Belgique et d'Afrique. L'équipe de
l'association "Vivre Art" (1), de Dakar sous la direction de Martine Fourré, est à l'initiative de
ces échanges, débats et rencontres. Les organisateurs sont la Société de Psychopathologie et
d’hygiène mentale de Dakar (SPHMD) présidés par les Professeurs Momar Gueye, et Elimane
Kane.
Ces notes prises à l’issue du colloque et retravaillées après coup, sont ma contribution à cet
évènement. Elles ne relatent bien sûr qu’une partie des riches interventions. Les intéressants
débats avec une audience nombreuse et participative, les films visionnés ainsi que la visite du
Musée de Dakar animée par le Professeur René Collignon, anthropologue au C.N.R.S. de
Paris, ont nourri abondamment mes réflexions.
C’est en allant voir un film que ce colloque m’a re-questionnée. Est-ce un retour du refoulé des
notes prises durant ces trois jours, que j’ai ressorties pour qu’elles fassent trace d’un
passage, le mien, par delà nos deux rives ? En tout cas, c’est avec plaisir que je vous livre les
points clefs de ce premier colloque inter-disciplinaire organisé par l’Université de Dakar. Il nous
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reste à communiquer ces échanges nécessairement, dans et au-delà de nos frontières
respectives.
Le malaise dans la civilisation ne cesse de faire symptôme. Dans le dernier film italo-brésilien
de Marco Bechis, "la terre des hommes rouges", qui vient juste de sortir sur les écrans
parisiens, il est aussi question du Totem : un TOTEM à abattre, me semble-t-il !
Une fiction qui parle de ces Indiens de la Tribu Kaiowa, au Brésil, au coeur de la révolte,
décidés à ne plus "faire de la publicité" leur travail journalier, pour touristes à l'affût de l'indigène
typique des temps perdus. Chargés de mimer jusqu'à la caricature leur identité et leur image,
en un spectacle dérisoire et grotesque, parqués dans une réserve pour figurer à la demande
ces scènes pittoresques, leur mascarade annonce la couleur, aux premières prises de vue, sur
le fleuve de la forêt amazonienne. C'est ainsi que se dissipe une culture ethnique, qui se vend
pour satisfaire de nouveaux besoins d'un monde qui ne rencontrera jamais l'autre, le particulier,
le singulier d'en face, que l'on jouit de voir. C'est à la suite de deux suicides des leurs, que la
tribu décide résolument de quitter sa condition d'exploitée à bas prix, pour retrouver sa dignité à
travers ses coutumes, ses racines, sa terre. La dimension du sacré, du totem ancestral,
redonne pour quelque temps une autre grandeur à leur vie précaire. Le chaman reprend son
initiation sur le territoire reconquis à la hâte, sans autorisation, autour d'un campement de
tentes faites de bâches de plastique noir. Tout s'organise autour des rites et des tabous, un
totem s'érige dans le champ de terre rouge, duquel a été spolié les ancêtres. Le sacré fait figure
de représentation, la cohésion du groupe s'établit sur la filiation, les idéaux et les chefs. Au sein
même de cette petite communauté, deux mondes s'affrontent : celui des anciens qui voudrait
transmettre intégralement sa culture totémique sans tenir compte de la réalité ambiante du
monde de leurs jeunes enfants, porteurs des nouveaux symboles issus de l'ère numérique, de
la télévision, des marques publicitaires ; et, un monde nouveau, accessible si l’on paie le prix
de l'esclavage, ce que le Chaman interdira dorénavant.
En Afrique, le TOTEM est en voie de disparition ; de plus en plus de foyers sont équipés de
télévisions au dépend des traditions et croyances qui font ciment social et lien collectif à la fois
protecteur et soutenant.
La publicité, qui arrive par la toile ou l'écran, prend le rôle d'un nouveau totem ; elle agit à bas
bruit sur les inconscients des êtres en quête de rêves et d'un ailleurs. De nouveaux mythes
hauts en couleurs, à forte puissance figurative, vont naître pour combler la place vide du totem
disparu. Le sacré sera remplacé par l'objet de consommation, toujours nouveau, jamais
rassasiant, incitant indéfiniment le désir du sujet. Une société de marchandisation déploie peu à
peu tous ses artéfacts incitant Monsieur tout le monde à jouir vite, sans souci de réalité, de ses
nouveaux dieux d'adoration à travers les marques et comportements stéréotypés.
Dans la fiction-documentée du film de Marco Bechis, le TOTEM s'accapare du psychisme : il
crée des fonctions et des rôles régulateurs nouveaux, où le sacré et le maudit, agissent comme
un système subtile de relations sociales, régies par les lois de la parenté, avec leur efficacité
symbolique.
Durant le colloque, Charles Di, Docteur en Psychologie, spécialiste en ethnopsychiatrie en
France, posait la question du Trauma généré de la disparition du TOTEM, du vide créé par son
recul en Afrique, soulignant combien "la publicité peut enserrer le sujet d'une pensée qui
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l’empêcherait de penser ; ça a choisi, le sujet n'est plus ! il serait par conséquent urgent
d'inventer de nouveaux totems dans des formes nouvelles."
Mamadou Mbody, Docteur en Psychologie, Maître de conférences à l'Université de Dakar, nous
faisait à son tour remarquer, la dislocation des liens familiaux, lorsque le TOTEM n'est plus
tabou. La disparition du totem joue un rôle dans le changement des mentalités. Il précisera :
"L'affaiblissement de la loi du père, de sa parole, faisant défaut à l'enfant, les interlocuteurs
changent. La mère souvent dans une profonde solitude, non soumise aux pratiques rituelles
disparues, va livrer son enfant au groupe. Les lignades se sont appauvries au Sénégal, la
socialisation se fait hors les sphères habituelles. Par les représentations et les interdits transmis
lors des légendes racontées, le sacré faisait son effet sur l'enfant qui pouvait ainsi naviguer,
construire et structurer sa subjectivité. « Livré à la toile, l'enfant sans interlocuteur humain se
construit une représentation de sa culture faite de bulles d'illusions, de stratégies solitaires, en
rupture de lien et de sens. Aujourd'hui, dans les écoles, l’échange de vidéos pornos se
monnaie à coup de coca-cola… ». L'accession des enfants au monde des adultes, sans
intermédiaires, sont prioritairement happés par le monde virtuel qui les met à la merci de la rue,
menaçant ainsi de rompre leur attache sociale, instaurant une confusion entre la réalité et le
virtuel. La déritualisation conduit les jeunes vers des comportements déroutants, sans
séparateur, faisant perdre les références liées aux modèles identificatoires du groupe familial
élargi. Dans ce nouveau contexte, comment s'effectuera pour le sujet sa construction réelle,
imaginaire et symbolique, s'il grandit dans un monde déconnecté de son assise relationnelle par
la médiation des images ?
Retour au film : le réalisateur transpose en fiction le désespoir d'un clan qui essaie de "renaître"
par l'opération d'une révolte pour réparer une terrible injustice faite par les blancs qui ont spolié
leurs ancêtres de leur terre d'origine, ils invoquent rituellement les Dieux de leur nouveau
Totem installé au centre du champ pour se le réapproprier. Même si le totem retrouve
temporairement son efficacité symbolique pour mobiliser le groupe, le temps de l'espoir d'une
reconquête, leurs adolescents incarnent leur malaise, tenaillés entre l'exigence de préserver
l'identité de leur tribu et la nécessité de subvenir à leurs besoins. La forêt est vide, la chasse et
la cueillette sans grand succès. Il s'agit maintenant de voler pour vivre. Retravailler serait trahir
son clan qui décide de son indépendance sur le lieu mythique sans ressource, saigné à blanc
comme eux-mêmes Leur transgression pour vivre coûte que coûte sur ce territoire raflé à leur
tour au riche propriétaire blanc, sans foi ni loi, leur sera capitale. Soumis par une attaque
surprise de nuit par les "oiseaux blancs impérialistes", (Birdwatchers, titre original du film - ceux
qui observent les oiseaux- désignent aussi bien les touristes guetteurs d'oiseaux que les
indigènes exhibés ), le leader référent du groupe a été assassiné par une bande payée par le
propriétaire des lieux. Leur monde s'écroule, les "esprits" sont vaincus, la présence maléfique
s'impose. Le totem à abattre serait-il sans objet ? Cette communauté exangue à la culture
mourante se solde par les suicides des jeunes adolescents et l'assassinat de leur chef indigène.
Le désespoir des anciens dans l'alcool révèle également l'ampleur de leur désarroi. Pourtant la
dernière image de la fiction lance un baroud d'honneur au monde : non ! Halte là, le dernier
suicide n'aura pas lieu ! L’adolescent, dans un sursaut, défait sa corde, reprend sa marche,
sans doute soutenu par les idéaux des siens vivants et disparus. La communication dans ce
groupe a vaincu l'isolement même si la crise identitaire est aiguë, là ça parle…donc ça peut
choisir… le sujet est et deviendra, osons cette alternative !!
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Michel Chauvière, Sociologue au CNRS de Paris, nous retraçait l'histoire de la disparition du
TOTEM en France et l'instauration de l'autorité parentale en I970. La laïcité nous réduit à nousmême disait-il : "Ni Dieu, ni César, ni Tribuns, que mettre à la place ? la nostalgie ? non bien
sûr, mais plutôt le pari sur l'enfant ". C'est le Droit écrit qui fait totem aujourd'hui, le dernier
totem qui nous permet de vivre ensemble. L'institution est là pour réaliser les droits acquis,
comme l'acte de parole posé et agit, par les hommes et les femmes responsables, pour
transformer l'oeuvre. Ce triptyque : Droit-Institution-acte est gage de développement social et
économique même s'ils sont en rapport conflictuel.
Yves Kaufmant, Psychanalyste Psychiatre, présentera à son tour les nouveaux TOTEMS érigés
par notre époque. Il donnera d'abord une définition de celui-ci : "ce qui fait totem c'est
l'ensemble des signes balisés, recouverts de signifiants, auxquels on se caractérise comme
semblable, (cravate, costume, grigri..). Puis, il rappellera que dans le totem, on trouve une
identification plus une vérité ; par exemple, dans le jeans, le mythe du cow-boy agit avec la
proximité du bleu de travail comme vérité. La Publicité jouerait l'effet pervers du pseudo-totem,
elle vend ce que nous ne voulons pas et dont nous n'avons pas besoin ; c'est assez
extraordinaire comme projet ! La suggestion faite par l'image porte sur l'identification primaire
du stade du miroir." L'image du plus de jouir véhiculée par les publicités est loin de l'absence
d'entraves de l'utopie soixante-huitarde, dans la mesure où elle proscrit le désir. Dans les fêtes,
toute parole est bannie, on ne sait plus avec qui on boit, baise, vomit.. Le mythe supposé
universel échoue, détrôné par la culture, le totem est à bout", ajoutera-t-il.
La jouissance organisée est maintenant ordinaire, banale, les images et les signifiants
nouveaux apparaissent et fabriquent des mythes aberrants et mensongers, articulés de façon
cohérente et logique.
Si nous rappelons le mythe Totem et Tabou, une fiction écrite par Freud, le désir des fils de
jouir exclusivement comme le père de la mère et de toutes les femmes, les a amenés à sa
mise à mort pour ensuite, le dévorer dans un repas totémique puis, finalement, remettre en
place l'interdit, afin d'éviter le fratricide qui les obsédait. Le père interdicteur, assassiné
réapparaît dans le totem qui fait loi par le tabou de l'interdit de l'inceste, du parricide et du
cannibalisme .Une histoire racontée pour dire l'importance symbolique du Nom du Père mort,
interdicteur, séparateur et castrateur, représenté par le Totem et ses tabous. L'autre tabou
moderne, érigé, serait celui du "tout financier incarné par la connotation « bling-bling », des
jouissances branchées". Le grand Autre lacanien incarné dans le Dieu Argent, construit sa cour
et ses idéaux mythiques. L'image influence et suggère ses adeptes et ses serviteurs, par son
effet hypnotisant. Nouvelle star de la Jouissance, elle réactive les processus primaires
pulsionnels au détriment de l'unité de pensée liée aux processus secondaires. Agir plutôt que
penser. Le leurre de la sensation l'emporte sur la construction logique et critique. Yves Kaufman
fera un parallèle avec les théories cognitivo-comportementales, suggérant aux patients, par
l'application de leur protocole, des images, pour vaincre l'angoisse sans en rechercher les
causes. Eliminer le symptôme en attaquant l'éprouvé au lieu de faire émerger les signifiants
propres du sujet. En fait, il s'agira plutôt de déplacer le symptôme, ce qui marquera l'échec
relatif de telles orientations, masquant la vraie problématique du patient.
Jean Paul Desgoutte, Linguiste et Documentaliste de film, reprendra le passage par le stade du
miroir, pour rappeler que l'identité est reçue de l'extérieur, par un autre qui nous nomme, nous
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décrit, et c'est à partir de cette profération, comme acte de parole, que se constitue notre noyau
d'identification à venir de façon imaginaire. Un regard sur notre reflet et celui de notre tuteur
primordial, donnera une image délimitant ainsi notre contour physique, notre limite, en indiquant
la séparation première d'avec la mère. « Le sujet est d'abord le produit de l'acte de parole et
d'un regard de reconnaissance, réceptacle ou destinataire d'une attention et d'une intention qui
le manifeste comme double ».
Parler avec la Télévision, tel est le titre de l'intervention de Jeanne Lafont, Psychanalyste,
Topologue et Docteur en philosophie à Paris. "Inspirée ou nourrie" par la publicité du produit
laitier DANETTE, une jeune autiste en institution suivie par J. Lafont, se lève comme la foule de
la pub, et sort son premier mot « DANETTE », lors d'une séance de travail. Une parole nouée
au mouvement de son corps témoignerait par la médiation de l'image publicitaire de son être là
? Dans cette autre langue que celle de sa mère, d'une autre culture, elle passe par la publicité,
elle qui ne parle pas encore, pour faire lien, écho, donner du sens à qui à quoi ? son bain de
langue, c'est aussi la télévision, le seul média français de son environnement familial. On
pourrait en effet dire, que si elle apprend la langue des autres, ses semblables, avec cet outil
moderne, ce serait aussi pour chercher à les rencontrer, en tout cas essayer de communiquer
à minima. Son corps est bien présent dans le temps de la séance, assise parterre, elle fait le
geste répétitif de ramener vers son sexe, la poussière du sol, dans ce jeu d'aller et retour, qui
rencontre-t-elle là aussi ? un corps-objet ? Fusionné à la mère, pris dans la relation duelle
d'avant le langage ? Avec son analyste, sa rencontre se fera, non pas avec une image muette,
mais avec la personne du transfert à qui elle s'adressera . Son analyste joyeusement surprise
rira comme par complicité, pour avoir regardé le même message, mais n'allons pas trop
vite...Le geste plus le mot renvoient à l'appropriation du son et de l'image, que l'enfant va
incorporer en spectateur, attentif du petit écran. Le nouage s'effectue entre le corps de
jouissance pulsionnelle et la parole comme jouissance découpée par le mot, il s'agit de deux
choses binaires non unitaires. La pulsion et le mot se nouent pour un dit entendu et vu dans le
miroir du petit écran, ce qui nous fait poser l'hypothèse, que si l'image de la publicité est à lire
comme un bain de langue, Danette n'est pas un mot, ni une signification, mais une écriture
sans subjectivation, celle d'avant le stade du miroir. Si l'enfant est entré dans la phonation, elle
ne parle pas d'elle-même. Sa parole n'est pas encore en place. Ce slogan Danette qui lui
permet de parler pour la première fois sans pour autant faire acte d'énonciation, indique que
quelque chose reviendrait sur elle-même, comme une aliénation à l'image du corps de l'Autre.
Le signe Danette serait-il la reproduction d'un slogan, mainte fois entendu, et utilisé là dans la
relation pour apprendre à parler la langue de l'autre, son alter ego par le truchement de l'image
télévisuelle ? Si la question du sens reste énigmatique, le regard associé à son écoute ne
viendra pas échouer là, dans une séance vide de signification. « Si tout sens qui garantit la vie,
la mort, l'amour est religieux, la télévision deviendrait-elle un nouveau TOTEM, dont la publicité
serait la nouvelle religion, que l'enfant coupé du monde extérieur se servirait comme support,
pour aller vers quelqu'un d'humain ? » J. Lafont, histoire à suivre, bien entendu !!
Martine Fourré, Psychanalyste, Docteur en psychologie à Dakar, à l'initiative de ce colloque
préparé pendant trois ans avec les partenaires locaux et étrangers, nous parlera du TOTEM
sans tabou.
Elle commencera son propos par une histoire vraie, d'un enfant scolarisé qui, brusquement, a
sauté du deuxième étage de sa classe pour disparaître et réapparaître le soir, comme si de rien
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n'était, affolant les autorités et secours locaux à sa recherche. Identifié aux héros des clips
virtuels, il a volé, plané, attéri sans le moindre danger de mort, comme s'il avait incorporé la
toute puissance de ses fans.
L'image de soi se construit aussi dans le miroir que représente les supports de la publicité, des
films de série, des héros portés à l'écran etc… l'identification se ferait immédiatement et
prendrait valeur de référence pour un groupe d'âge donné, ou d'une catégorie sociale. Prenons
l'exemple des japonaises habillées comme dans les bandes dessinées des mangas qui
classifieront d'emblée leur sentiment idéal d'appartenance. Les média véhiculeraient ainsi des
modèles parfaits eu égards aux humains faillibles, manquants voir impuissants. Le monde
virtuel joue le rôle d'excitateur de la libido, trouble la notion du temps et paupérise l'imagination.
La jouissance est prompte, sans recul possible pour penser, élaborer, facilitatrice d'une
passivation de la pulsion qui consiste à se faire bouffer, avaler par le flot continue des infos,
bien installé dans le « ventre moelleux du canapé familial », jolie formulation de Martine Fourré.
Si le contrôle parental ne s'établit pas, des troubles d'hyperactivité, de déconcentration, de
désocialisation apparaîtront . « Les totems publicitaires des écrans pixellisés transmettent sans
tabou la part voilée de chacun qui fait notre singularité » . Régressé au stade d'avant le
langage, le sujet cultive un fantasme qui peut le faire passer de l'autre côté du miroir, passage à
l'acte sans réfléchir, compulsivement pris dans l'imaginaire de cette relation scopique au reflet
des images publicitaires. On meurt, on ressuscite, on est fort et violent, on gagne sans perdre,
on se croit face à un semblable pas traversé par les interdits qui contredisent les désirs
incestueux, sans avoir à franchir les étapes d'une construction faite par le défilé des castrations
symboligènes comme les nommait Françoise Dolto. Il s'agit bien ici du déni de la castration, de
la différence sexuée, de la menace structurante que la culture appelle non pas sans douleur, au
renoncement des pulsions, pour mieux vivre son rapport à l'autre humain. D'autres questions
toutes aussi fondamentales nous interpellent : où est le rôle de l'écriture pour servir de support
à la pensée si le livre disparaît ? Quand la communication parentale se tarie, laissant la place à
l'idéologie des écrans qui envahit et aliène, que devient l'enfant en construction psychologique ?
Trop de culture médiatique avalée, non digérée, non problématisée favorise le culte de l'ego,
l'agressivité qui gagnera sa place sur l'autre, occultant la faille dans la source du désir qui
disparaîtra. Tout deviendra alors interchangeable, monnayable, laissant prédominer l'émotion,
la sensation sur la raison critique d'un discours troué, imparfait, contradictoire mais porteur
d'idées propres à faire penser.
Le sacré et le tabou ont quitté le champ de la réflexion, la transparence devient un nouveau
culte pour nier le manque. Comme si aucune image ne nous manquerait. « Le : « d'où je
viens ? » n'est pas le sujet, porté ici par les mirages du comblement jouissif de sa pulsion de
l'immédiateté, de la résistance à la frustration"( M.Fourré). Déni du manque, déni du pas tout, la
publicité fait plus que vendre des produits, sa duperie, son illusion non explicitée, relayée par la
parole, le livre, la réflexion et la communication des adultes pourrait-elle alors rendre l'autre fou
?
Au terme de ce congrès, que de sujets de réflexions s’offrent à nous ! A approfondir bien
évidemment ! Toutefois, j’aimerai insister sur certains points qui, à mon sens, méritent un
éclaircissement.
Dans la présentation du sujet annoncé, « Totem et Publicité », la télévision et les médias
fabriquant de nouvelles représentations, devaient nous interroger sur l’influence qu’ils
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produisent sur l’éducation, l’identification, le besoin de reconnaissance de l’homme d’Afrique,
qui délaisserait de fait, ses croyances et traditions. Il m’est apparu qu’une confusion
s’insinuait entre télévision ou internet et publicité. En effet, ce n’est pas l’objet télévision ou
l’objet internet qui posent problème, mais plutôt l’utilisation que l’on en fait en tant que vecteur
de messages imaginaires d’illusion et de duperie. L’addiction à la télévision n’est pas le fait
d’Arte ou de chaînes sans publicité. Elle repose sur un besoin identificatoire et une demande
de jouissance sans limite. Cette reconnaissance identificatoire on la retrouve dans la pub ou les
jeux vidéo qui nous conduisent à la déréalité, à tel point qu’ils créent de nouveaux Dieux, qui
viennent brûler le totem et ses représentations collectives.
La publicité est omniprésente, sur les murs et les médias modernes pour créer un nouveau
culte, un espace de rêve et de vérité qui pourrait avoir à terme, une dimension religieuse dans
le collectif. L’être humain en quête de jouissance essaiera de la récupérer par son reflet, son
image, son prochain porteur d’un trait d’identification commun avec lui. Comme le sujet se voit
dans son semblable, son moi idéal sera jubilatoire d’autant qu’il cherchera ensuite dans le
groupe un idéal qui le réunira autour d’un leader. Dans « psychologie collective et analyse du
moi » Freud parle d’une foule constituée déjà par deux personnes. Le groupe dans sa
dynamique suscite bonheur, espoir, idéalisation dans la réalisation d’un désir transcendé par
ses idéaux qu’authentifie son maître à penser
Le chef expliquera pourquoi l’impossible est là, castrateur et blessant, il soulagera ainsi les
attentes trop fortes, irréalistes. Il pourra même attiser nos fantasmes pour espérer que l’interdit
se réalise. Dans la solitude de l’homme déconnecté de ses alter ego, seul face à son écran et
sa toile, il sera soumis tout aussi jouissivement par ses pensées, aux images et messages
d’addiction, produits sans recours à la médiation d’un ancien, maire, maître ou médecin. Là
est toute la différence, entre faire du lien social influencé par les médias et s’aliéner, seul face
aux séries B, et aux publicités sur écrans informatiques et/ ou de la télévision. Si le chef promet
monts et merveilles, ou interdit drastiquement telle pratique, initiant ainsi l’aspect religieux du
lien social, la publicité n’est elle pas, elle aussi, un danger pour la pensée ? Une nouvelle
possibilité de fabriquer du religieux, par la puissance médiatique des nouveaux supports non
discutés, non problématisés par une culture de la parole, de la tradition, de la confrontation à
autrui, ne serait-elle pas le vrai piège ? Le pouvoir des média a toujours été dénoncé, parlé,
discuté comme celui de la publicité.
Ce qui nous questionne aujourd’hui c’est l’attrait du monde virtuel qui entre partout et nous
désubjectivise par sa quantité d’info, de messages faux, vrais, que nos enfants non cadrés ou
nos errances d’adultes pourraient mettre à mal. Hier, samedi I7 janvier, un reportage de
quelques minutes, au journal télévisé de France 2, de 20H, tentait d’alerter les parents devant
la consommation abusive de jeux virtuels par les collégiens. Une association parlait des coûts
répercutés sur les factures mensuelles des téléphones, allant jusqu’à des sommes énormes,
pour prolonger l’attrait des jeux qui se poursuivent sur des durées annulant le temps réel. La
jouissance rapide, sans entrave voit là sa réalisation annulant toute critique. La Publicité
associée à la virtualisation à outrance de nos représentations n’ouvriraient-elles pas un espace
possible à l’injonction du religieux ? La quête d’idéal étant ce qui soutient l’homme dans ses
espérances ne s’aveuglerait-il pas dans une pensée devenue unique qui pourrait alors trouver
son soulagement dans le crédit fait à telle marque, tel objet, telle idéologie, malmenant le sacré
et le tabou par l’éloge du tout marchandisable ?
Dans les débats, ce sujet me semble avoir été trop peu posé, heureusement, dans la toute
dernière intervention du Docteur Abdoulaye Elimane Kane, l’impact de la publicité comme
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annonciatrice d’un nouvel espace religieux a bien été repris, sous forme de petites histoires
réalistes et très édifiantes.
Retournons en Afrique, qui en 30 ans, est passé de la Brousse à l'ère de l’internet. La publicité
s'est inventée sans totems, que pourrait-on inventer dans l'au-delà de l'image ? Comme le disait
dans la conclusion du colloque le Docteur Abdoulaye Elimane Kane, Professeur titulaire du
département de philosophie de l'UCAD de Dakar : « Qui est le vrai sujet de l'image ? Nous ou
l'autre qui parle ? la Vérité est entre les deux, c'est un bricolage entre nous-mêmes et l'image
de la télévision, ni exclusivement de nous, ni exclusivement d'eux, mais dans l'entre deux. »
MODE, NET et IMAGE de SOI :
Pour conclure, j’apporterai une note optimiste à ce colloque : je viens de vivre, en tant que
grand’mère d’une pré-adolescente de 13 ans bientôt, un moment où le net a aussi joué un rôle
de tiers auxiliaire, d’une grande efficacité symbolique. « J » est venue me voir à Paris, durant
un week-end. Elle a choisi son programme : faire les soldes , puis aller se baigner dans un
grand espace aquatique et ludique. Le corps et son image étaient au rendez-vous,
contrairement aux visites précédentes où la culture, expo, cinéma, découvertes étaient
prédominants. Faire de multiples essayages avec les vêtements choisis dans mes armoires,
apprendre à se maquiller, chausser les talons, arranger sa coiffure, l’occupa des heures sous
mon regard admiratif, appareil photo à la main, finalisant ces essais par un défilé de mode
impromptu.
Cet avant temps d’apprivoisement de son image modifiée, vieillie de quelques années, fut suivi
par un temps virtuel où le net permit de continuer l’expérience de maîtrise de soi. Livrée à ellemême, je l’autorisais à accéder à ce champ virtuel qu’elle occupa deux heures durant,
habillant à son tour tel mannequin, avec des effets de tous styles et genres. Le lendemain, elle
choisissait pour de bon, dans une multitude de vêtements soldés, lequel lui conviendrait le
mieux. Elle me demanda de rester à ses côtés, mais fit son choix elle-même, selon ses goûts
propres.
La deuxième séance de défilé de mode reprise ensuite, avec ses nouveaux vêtements, seyants
et en rapport avec son âge, non tentée par ceux qui « faisaient plus lycéens que collégiens, ou
un peu trop femme.. ». Jouer, fictionner, fantasmer, anticiper son image avec des outils
modernes trouvés sur le site permettent à l’imaginaire de se déployer, de s’identifier sans
entraves. Ce temps pour rêver devient structurant s’il est soutenu par le regard de l’autre (le
mien en l’occurrence) nommant et communicant. La série de photos des défilés de mode fut
elle aussi coupée, revue, corrigée pour finir dans sa clef usb, destinée à un ailleurs, le sien,
celui du partage avec les copines et éventuellement la famille. Nous avons vécu avec jubilation
ce stade du miroir-net puisque l’inter était là, par la parole, les échanges de regards de
reconnaissance d’un corps en pleine métamorphose.
Temps précieux puisqu’il fabrique aussi du lien trans-générationnel subjectivant pour nous
deux !
Internet, publicité incluse, ne joue-t-il pas le rôle du Totem dès lors qu’il n’induit pas un
isolement, mais plutôt un échange fait de partage ou de différents ?
Chantal Cazzadori
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Psychanalyste à Paris et à Amiens
Janvier 2009
[email protected]
(1) L'association VIVRE ART, propose à des pré-adolescents (et à leurs parents) des séjours
au Sénégal de courte et moyenne durée, dans le but de faire le point sur leurs difficultés, leurs
projets, leur entrée dans la vie. (Extrait de la brochure).
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