Document de travail de Risak - Guide du Portage Salarial Européen
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EUROPEAN LABOUR LAW NETWORK – 7 T H ANNUAL LEGAL SEMINAR NOUVELLES FORMES DU TRAVAIL ET DROIT DE L’UE 27 ET 28 NOVEMBRE 2014, HILTON, LA HAYE, LES PAYS-BAS Crowd work ‐ Première approche d'une «nouvelle» forme d'emploi Document de travail Prof. Martin Risak, Vienne I. Qu'est‐ce que le crowd work ? 1. Le phénomène Les développements des technologies de l'information et de la communication n'entraînent pas seulement des changements profonds dans les relations de travail conventionnelles qui, de plus en plus, s'affranchissent des frontières et se flexibilisent, mais ils favorisent également l'émergence de « nouvelles » formes d'emploi, que l'on observe souvent dans la zone d'ombre entre travail salarié et travail indépendant. Parmi ces nouvelles formes d'emploi, ce que l'on appelle le crowdworking présente un intérêt particulier, car il recèle le potentiel de modifier fondamentalement la manière d'exécuter un travail. Il s'agit ici d'activités qui étaient exécutées à l'origine par des partenaires contractuels individuels (en général, des salariés) mais qui ne le sont plus, car elles ont été externalisées en étant proposées à un plus grand nombre de personnes (la crowd) à travers une plate‐forme1 internet de crowdsourcing. Ce processus est appelé crowdsourcing2, et les clients sont des crowdsourcers, pour lesquels les crowd workers exécutent des prestations. La plupart du temps, ces acteurs ne sont toutefois pas en contact les uns avec les autres, la relation étant gérée par un intermédiaire, la plate‐forme de crowdsourcing.3 Le crowdsourcing peut avoir lieu en interne ou en externe, selon que la crowd se compose du personnel interne à l'entreprise (p. ex. chez IBM) ou d'individus, pour la plupart anonymes (crowd externe). Dans le cas du crowdsourcing externe, on a la plupart du temps recours à des plates‐formes de crowdsourcing gérées par des tiers et disposant d'une crowd active. Dans la suite du présent document, nous n'aborderons que le crowdsourcing externe, car sa version interne est généralement associée à des contrats de travail existants, et pose donc des problèmes moins fondamentaux. L'éventail des tâches déléguées à la crowd externe est large.4 Celles‐ci peuvent aller d'activités simples, répétitives, faiblement rémunérées, dont l'exécution est très fortement standardisée ou automatisée (p. ex. la rédaction de textes pour accompagner des images, la catégorisation de données et de produits, la traduction ou la correction de courts textes) à des activités qualifiées 1 Concernant l'application très connue Amazon Mechanical Turk (www.mturk.com), voir STRUBE. 2014. Vom Outsourcing zum Crowdsourcing. In : BENNER. Crowdwork – zurück in die Zukunft. p. 75 et suivantes. 2 Cette notion est la combinaison des mots outsourcing et crowd, et a été utilisée pour la première fois par Howe (The Rise of Crowdsourcing. Wired Mag, 2006, 14.6, 1). 3 Cf. LEIMEISTER, ZOGAJ, BLOHM. 2014. Crowdwork – digitale Wertschöpfung in der Wolke. In : BENNER. Crowdwork – zurück in die Zukunft. p. 15 et suivantes. 4 Voir à ce propos FELSTINER. 2011. Working the Crowd : Employment and Labour Law in the Crowdsourcing Industry. Berkeley J. Emp. & Lab. L. 143 (159) ; LEIMEISTER, ZOGAJ, BLOHM. In : BENNER. Crowdwork. p. 20. La présente conférence est financée par le programme pour l’emploi et l’innovation sociale (EaSI). Ce programme est mis en œuvre par la Commission européenne. Les informations contenues dans cette publication ne reflètent pas nécessairement la position ou l’opinion de la Commission européenne. telles que la programmation informatique ou le design de produits, en passant par des tâches plus complexes et nécessitant plus de temps, comme le test de logiciels ou la détection d'erreurs sur un site internet. Les formes sous lesquelles les missions sont offertes sur les plates‐formes sont également diverses. Un dénominateur commun est la volonté d'une certaine forme de concurrence entre les crowd workers. Des micro‐tâches doivent être réalisées rapidement et représentent une sorte de travail à la chaîne numérique, ce qui s'illustre déjà dans le fait que l'appel d'offres, bien souvent, ne mentionne pas seulement une rémunération, mais également un délai prescrit. De plus, selon les conditions générales des plates‐formes de crowdsourcing, les crowdsourcers ont la plupart du temps le droit de rejeter la prestation et de refuser de rémunérer le travail fourni.5 Le travail est le plus souvent récompensé sous forme de prix attribués à la meilleure contribution, les autres projets déposés repartant alors bredouille.6 De temps à autre, des approches collaboratives sont suivies, à travers lesquelles un crowd worker soumet une contribution que d'autres peuvent alors modifier et compléter ‐ en règle générale à l'aide d'une fonction de commentaire.7 Les crowd workers constituent eux aussi un groupe hétérogène en termes d'intérêts personnels, et l'on peut pour l'essentiel les classer en trois groupes : (1) des personnes qui disposent d'autres sources de revenu et qui, avec le crowd work, « gagnent un petit quelque chose en plus » (p. ex. des étudiants, des retraités ou des hommes et des femmes au foyer) ; (2) des personnes pour lesquelles le crowd work est la seule ou, en tout cas, la première source de revenu, sachant qu'il y a là aussi des différences, à savoir entre (2a) des personnes généralement qualifiées, pour lesquelles le crowd work constitue une solution de transition et (2b) des personnes qui exercent ainsi durablement une activité au lieu d'être menacées par le chômage de longue durée ; (3) des personnes qui sont exclues du marché du travail régulier en raison de handicaps ou d'exclusion sociale.8 2. Implications économiques et sociales Les entreprises ont recours à la méthode du crowdsourcing pour plusieurs motifs, d'une part, pour la possibilité qu'il offre d'exploiter des potentiels de main d'œuvre qui ne sont pas accessibles dans d'autres formes de prestation de services, et pour tirer profit de ce que l'on appelle « l'intelligence collective » et, d'autre part, pour le potentiel qu'il recèle d'accroître la productivité et de réaliser des économies. Pour les micro‐tâches, précisément, des missions complexes sont découpées en sous‐ tâches très petites (microtasks), qui peuvent être réalisées assez facilement en ligne, en peu de temps. C'est la raison pour laquelle on parle ici parfois de travail à la chaîne numérique et de néotaylorisme.9 Ce sont précisément ces activités monotones et souvent simples qui sont sujettes à des problèmes de qualité, ce qui explique que le contrôle des crowd workers joue un rôle important. Les intermédiaires entre crowd workers et crowdsourcers, les plates‐formes de crowdworking, sont essentiels pour cette forme d'exécution du travail : ils mettent à disposition d'une part la crowd, d'autre part l'infrastructure permettant le traitement de la commande. Le travail doit souvent être exécuté à travers leur interface afin d'en garantir l'efficacité. Ils transmettent les travaux achevés, 5 C'est le cas de Mechanical Turk, cf. STRUBE, in : BENNER. Crowdwork, p. 83. Contrairement aux concours observés jusqu'à maintenant dans l'industrie créative (p. ex. en architecture) ce n'est pas un projet qui est évalué, mais le produit fini qui est soumis (p. ex. un logo ou un texte publicitaire). 7 LEIMEISTER, ZOGAJ, BLOHM. In : BENNER. Crowdwork, p. 27. 8 Cf. spamgirl, Sechs Dollar die Stunde sind das absolute Minimum, in : BENNER. Crowdwork, p. 99. 9 LEIMEISTER, ZOGAJ, BLOHM. In : BENNER. Crowdwork, p. 32. 6 ‐ Page 2 sur 7 ‐ prennent en charge le paiement des crowd workers, une communication directe entre ces derniers et les crowdsourcers n'étant généralement pas prévue. Une alternative basée sur l'utilisation de l'internet est ainsi possible pour exécuter une prestation en dehors des locaux d'une entreprise, et elle ne requiert pas, par ailleurs, de contact direct entre les prestataires (crowd workers) et les bénéficiaires de la prestation (crowdsourcers). Au‐delà de la possibilité d'externalisation, du transfert de certaines tâches à des entreprises spécialisées et du transfert de main d'œuvre, qui s'opère encore le plus souvent dans le cadre de contrats de travail, une autre option est offerte, qui ne repose plus sur des contrats de travail, mais où ‐ au moins au premier abord ‐ des travailleurs indépendants, les crowd workers, exécutent un travail sous leur responsabilité personnelle et, du moins formellement, de manière autodéterminée. Tout comme les travailleurs indépendants typiques, ils font certes face à un plus grand nombre de personnes pour fournir leurs prestations, mais ils se distinguent d'eux à travers leur collaboration avec un intermédiaire qui, à bien des égards, se trouve en position de supériorité : la plate‐forme de crowdsourcing. À l'instar de salariés conventionnels face à leur employeur, les crowd workers dépendent en effet des plates‐formes, puisque celles‐ci, à travers des systèmes de réputation (p. ex. l'évaluation des prestations exécutées et payées), recherchent la plupart du temps à entretenir des relations durables avec des crowd workers fournissant des prestations de qualité, régulièrement. Les tâches (tasks) plus attractives et mieux rémunérées ne sont en effet attribuées qu'à ceux qui jouissent d'une meilleure réputation, celle‐ci n'étant toutefois pas transférable d'une plate‐forme concurrente à l'autre. Souvent, sur des segments de l'économie particuliers, il n'existe que peu de plates‐formes en raison des coûts élevés d'infrastructure, de sorte qu'un changement de plate‐forme n'est que rarement réalisable. De plus, la situation économique des crowd workers pour lesquels cette forme de prestation constitue la source principale de revenu est comparable à celle de travailleurs salariés, ce qui soulève notamment la question du revenu minimum.10 À cela vient s'ajouter que, sur des plates‐formes internationales de crowdsourcing, se produit une situation de concurrence directe avec des personnes situées dans d'autres pays et dont le coût de la vie est moins élevé.11 II. Aspects juridiques du crowd work Une courte analyse sera exposée ici concernant les contrats dans le contexte du crowdsourcing typique, afin de mettre en lumière les problèmes juridiques qui se posent. 1. Relation contractuelle entre le crowd worker et le crowdsourcer La plate‐forme de crowdsourcing joue souvent seulement un rôle d'intermédiaire. Il existe alors une relation contractuelle directe entre le crowd worker et le crowdsourcer, qui prend généralement la forme d'un contrat de louage d'ouvrage, dont le contenu est pour l'essentiel défini par les modèles de contrat proposés par la plate‐forme de crowdsourcing, exception faite des obligations principales 10 p. ex. l'activiste de Turker Nation spamgirl, in : BENNER. Crowdwork. p. 109. Néanmoins, la barrière de la langue atténue les conséquences de cette situation, quoique les plates‐formes anglophones puissent au moins potentiellement faire appel à un grand nombre de crowd workers basés en Inde. 11 ‐ Page 3 sur 7 ‐ (description de la prestation et rémunération). En raison de la forte influence de la plate‐forme de crowdsourcing sur cette relation, il faut envisager de la considérer comme une relation contractuelle déguisée entre le crowd worker et la plate‐forme. L'autre constellation juridique est celle dans laquelle une relation contractuelle n'est établie qu'entre le crowd worker et la plate‐forme de crowdsourcing et aucune relation contractuelle directe n'existe avec le crowdsourcer. Dans ce cas, le résultat final est livré à la plate‐forme, qui procède également au contrôle de qualité et rémunère directement le crowd worker.12 Il n'existe là une relation contractuelle qu'entre la plate‐forme de crowdsourcing et le crowdsourcer ; d'un point de vue fonctionnel, le crowd worker est le sous‐traitant de la plate‐forme. 2. Relation contractuelle entre le crowd worker et la plate‐forme de crowdsourcing Les crowd workers sont enregistrés sur la plate‐forme et sont ainsi disponibles pour d'éventuelles missions ‐ s'ils les acceptent, les conditions générales de la plate‐forme de crowdsourcing s'appliquent. Ainsi, il ne s'agit là que d'une convention standard qui n'oblige encore aucune des parties contractantes (quelles qu'elles soient) à l'exécution ou à la rémunération d'un travail. Si une commande est passée, il faut alors se poser la question de la base juridique, sachant que plusieurs options sont possibles légalement : La publication de la commande sur la plate‐forme constitue une offre soumise à la crowd, qui est alors acceptée à travers l'exécution de la prestation. En règle générale, l'autre partie, qu'il s'agisse de la plate‐forme ou du crowdsourcer, a le droit de rejeter la prestation. Ce contrat peut ‐ selon l'influence de cette autre partie sur l'exécution de la prestation ‐ être classé comme contrat de service ou comme contrat de louage d'ouvrage. La publication de l'offre est une promesse, c'est‐à‐dire un appel lancé à un cercle indéfini de personnes en offrant une récompense pour la prise en charge, et surtout pour le succès d'une mission.13 C'est alors soit le premier à livrer la prestation qui obtient la récompense, soit, dans le cas d'un concours avec un délai de dépôt, c'est celui qui offre la récompense qui décide qui doit la recevoir. Dans ces deux constellations, le crowd worker décide d'une part, sans obligation juridique, s'il souhaite fournir la prestation qui fait l'objet de l'appel d'offres sur la plate‐forme et, d'autre part, l'autre partie a la possibilité de rejeter la prestation fournie. Les conditions générales accordent d'ailleurs souvent à l'autre partie une grande marge de manœuvre, ce qui dissimule le risque pour le crowd worker de fournir la prestation et que celle‐ci parvienne au client, mais sans être payé pour le travail fourni. Si la plate‐forme de crowdsourcing fait uniquement fonction d'intermédiaire mettant une infrastructure à disposition, dans l'environnement de laquelle une relation juridique peut être établie entre le crowdworker et le crowdsourcer selon les modalités susmentionnées, elle ne réalise alors qu'un placement, un recrutement pour lequel, de manière générale, seul le crowdsourcer doit payer. Il faudrait étudier s'il n'y a pas là une mise à disposition de main d'œuvre, ce que contredisent toutefois l'absence d'une intégration du crowd worker à l'organisation du crowdsourcer et l'absence d'un droit de ce dernier à émettre des directives. 12 13 D'après STRUBE, in : BENNER, Crowdwork, p. 84, c'est le cas sur la plate‐forme allemande Clickworker. Cf. art. 657 du Code civil allemand (BGB), art. 860 du Code civil autrichien (ABGB). ‐ Page 4 sur 7 ‐ Si la prestation n'est pas fournie au crowdsourcer mais à la plate‐forme14, il faut alors se demander si cette relation juridique ne doit pas être considérée comme une relation de travail. À ce titre, il est essentiel que le travail soit réalisé dans le cadre d'une relation de dépendance personnelle. Celui qui fournit la prestation doit être intégré à une entreprise pour exécuter le travail et il doit être soumis au droit du bénéficiaire de la prestation à émettre des directives. Dans cette constellation, il faut clairement prendre en compte que la relation de travail est de très courte durée et que l'exécution de la prestation se fait par internet. Selon moi, il est crucial de savoir si la prestation doit être exécutée, pour ainsi dire, dans cet atelier virtuel, c'est‐à‐dire en utilisant une interface mise à disposition par la plate‐forme de crowdsourcing, et si cela comporte des mécanismes de contrôle.15 Il est aussi important de prendre en considération la possibilité d'exercer une certaine discipline sur les crowd workers à travers un système d'évaluation qui a un impact sur leurs chances de pouvoir prendre en charge des missions à venir, de même qu'il faut tenir compte de l'influence sur leur comportement professionnel, par exemple en leur prescrivant des délais. À cela s'ajoute assez souvent une ingérence si forte que, si elle ne constitue pas une dépendance personnelle « classique », elle y ressemble au moins beaucoup. Si aucun contrat de travail n'est conclu, on peut alors aussi envisager l'existence d'un statut intermédiaire entre travail indépendant et non‐ indépendant, statut dénommé en Autriche et en Allemagne par exemple comme « l'assimilation aux salariés » et auquel doivent s'appliquer les dispositions du droit du travail. Dans le cas d'une relation de travail, le droit du travail (notamment les dispositions relatives au salaire minimum, mais également les limitations du temps de travail et le droit à des congés payés) s'appliquerait, mais en règle générale, on a affaire à de nombreuses relations successives, de très courte durée (quelques minutes). Celles‐ci devraient donc être examinées à l'aune de l'interdiction de discrimination des travailleurs sous contrat à durée déterminée et de la durée maximale de telles relations de travail. Une autre question, liée à l'intermittence du travail, pose problème, c'est celle du report du risque économique que représente l'inactivité pendant les périodes où les crowdsourcers ne publient pas d'appels d'offres. En raison des coûts associés à une relation de travail, le crowdsourcing serait sûrement bien moins attractif que jusqu'à maintenant si une telle évaluation des relations contractuelles était faite en l'état actuel des choses, singulièrement en ce qui concerne les micro‐tâches. 3. Relation contractuelle entre les crowdsourcers et la plate‐forme de crowdsourcing Lorsqu'il existe une relation directe entre les crowd workers et les crowdsourcers, il y a un contrat de recrutement, qui inclut éventuellement d'autres services au‐delà de la mise à disposition de la plate‐ forme, comme une présélection de la crowd, un découpage de la mission en sous‐tâches, la gestion de la rémunération, la mise à disposition d'un contrat cadre ou le contrôle de qualité. Si, au contraire, il n'existe pas de relation directe entre les crowd workers et le crowdsourcer, la plate‐ forme est alors elle‐même responsable de l'exécution de la prestation. Il y a ainsi un contrat, qui est en général un contrat de louage d'ouvrage, entre la plate‐forme et le crowdsourcer, qui se sert de la crowd pour l'exécution du contrat. 14 On peut également envisager un tel statut si l'on parvient à la conclusion que, malgré une relation juridique directe et formelle entre le crowd worker et le crowdsourcer, cette relation existe en fait entre le crowd worker et la plate‐forme, en raison de la véritable substance économique et de la manière dont le contrat est exécuté. 15 Les plates‐formes doivent ainsi régulièrement réaliser des captures d'écran des crowd workers ; cf. KITTUR et al. Die Zukunft der Crowdarbeit. In : BENNER. Crowdwork. p. 173 (200). ‐ Page 5 sur 7 ‐ III. Application de normes européennes 1. Droit applicable Pour des faits relevant de relations contractuelles et ayant un caractère international, le Règlement (CE) n° 593/2008 sur la loi applicable aux obligations contractuelles (Rome I) s'applique, l'article 3 stipulant que la loi qui régit le contrat est librement choisie par les parties. Cette liberté est cependant limitée pour les contrats de consommation et les contrats de travail, le niveau de protection du travailleur ne pouvant pas être inférieur à celui qui, à défaut de choix, aurait été applicable. On ne peut cependant pas parler de contrat de consommation dans un contexte de crowd work. En effet, précisément en raison de la nature de l'activité professionnelle ou technique des crowd workers, les contrats qui y sont associés ne remplissent pas les conditions de la définition de l'article 6 du Règlement Rome I. Dans le cadre de l'une des constellations décrites plus haut, on peut tout au moins justifier l'existence d'un contrat de travail. Puisque, dans ce cas, selon l'article 8 du Règlement Rome I, le libre choix du droit applicable ne peut pas avoir pour résultat de priver le travailleur de la protection qui, à défaut de choix, aurait été applicable, ce sont au moins les dispositions (relativement) contraignantes du droit du travail de l'État où le travail est habituellement exécuté qui s'appliquent. 2. Droit matériel européen du travail À cet endroit, seule une première réflexion peut être menée, une analyse plus en profondeur sera requise. Pour l'essentiel, les crowd workers évoquent trois domaines principaux nécessitant des améliorations : le montant de la rémunération, les conditions générales des plates‐formes de crowdsourcing formulées de manière très unilatérale (en particulier le droit de rejeter des travaux sans justification et sans obligation de rémunération, et l'évaluation négative des crowd workers qui y est associée) ainsi que l'impossible communication avec les crowdsourcers concernant les missions qu'ils publient.16 Si, comme avancé plus haut, il s'agit d'une relation de travail (et si la CJE en juge également ainsi pour l'application des normes européennes), les dispositions européennes relatives au droit du travail s'appliquent, celles‐ci se trouvant généralement dans les directives et devant être mises en œuvre par les États membres. À cet égard, la Directive 2003/88/CE relative au temps de travail apparaît comme particulièrement importante, puisqu'elle régule le temps maximum de travail et prévoit tant des périodes minimales de repos que des congés payés. Bien que l'UE n'ait aucune compétence sur les questions de rémunération (art. 153, paragraphe 5, du TFUE), il est possible que, dans ce domaine, sur la base de la règle de conflit de lois, les dispositions de l'État où la prestation est exécutée s'appliquent. L'examen du contenu des conditions générales au regard du droit en matière de protection des consommateurs serait tout naturel en raison du grand déséquilibre entre les parties contractantes, mais ce droit exclut explicitement les contrats de travail du champ d'application des conditions 16 Cf. spamgirl, in : BENNER. Crowdwork. p. 104 ; IRANI, SILBERMAN. Turkopticon. In : BENNER. Crowdwork. p. 146. ‐ Page 6 sur 7 ‐ générales.17 Toutefois, les contrats de travail conventionnels ne nécessitent pas de contrôle de leur contenu, pour la simple raison qu'un minimum de conditions de travail équitables est garanti par des mécanismes collectifs (notamment les conventions collectives) et par les normes du droit du travail, ce qui n'est pas le cas pour les crowd workers, en tout cas s'ils ne sont pas considérés comme salariés. 3. Cogestion Si les crowd workers devaient être catégorisés comme salariés, ils jouiraient au moins des droits minimaux d'information et de consultation au titre de la Directive 2002/14/CE, ce qui rendrait les activités de la plate‐forme plus transparentes pour eux et leur garantirait une certaine influence. Un examen au cas par cas doit certainement avoir lieu pour savoir dans quelle mesure le processus de crowdsourcing peut être considéré en soi comme un transfert d'entreprise ou d'une partie d'entreprise au sens de la Directive 2001/23/CE sur le transfert d'entreprises. Cependant, bien des éléments montrent qu'il n'existe pas d'unité économique préservant son identité, puisque l'on observe une modification fondamentale de la manière d'exécuter la prestation et que, par définition, les crowd workers ne travaillent pas pour un crowdsourcer unique, mais qu'ils prennent en charge les commandes de divers crowdsourcers. IV. Premier résultat intermédiaire et recommandation Le crowd work est une nouvelle forme d' « emploi » qui peut mener à une modification en profondeur de la manière d'exécuter un travail, et qui recèle un fort potentiel d'exploitation des prestataires. Ceci est dû en particulier à l'absence, acceptée par les parties, de conditions de rémunération minimale et d'autres dispositions de protection, ainsi qu'à l'existence de conditions manifestement injustes dans le contrat. Pour l'instant en tout cas, les dispositions du droit du travail relatives à la protection ne s'appliquent pas aux crowd workers, alors que, à mon avis, nombreux sont les arguments en faveur d'une relation de travail entre les crowd workers et la plate‐forme de crowdsourcing. Que l'on soit d'accord ou non avec ce point de vue, il est en tout cas indéniable que la situation sociale des crowd workers est comparable à celle des salariés dans de nombreuses constellations. C'est pourquoi, vu la situation économique et celle de l'emploi, il est souhaitable d'appliquer des dispositions de protection (en particulier en matière de rémunération et de temps de travail) aux crowd workers, ainsi que des droits d'information et de consultation face à la plate‐forme de crowdsourcing. Selon moi, toute mesure qui sera prise devra se fonder sur une analyse comparative approfondie des pratiques de crowdsourcing, critère tout aussi essentiel que leur évaluation fondamentale au regard du droit européen du travail et des divers ordres juridiques en vigueur dans les États membres de l'Union. Octobre 2014 17 Cf. considérant n° 8 de la Directive 2011/83/UE. ‐ Page 7 sur 7 ‐