« TRANS`ART »
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« TRANS`ART »
« TRANS’ART » Par Pierre RESTANY J’ai subi la fascination de Zine de façon absolument directe pour des raisons peut-être un peu sentimentales. Quand j’étais très jeune, avant la seconde guerre mondiale, je vivais à Casablanca, et j’avoue que pour un enfant très jeune de mon âge, le passage régulier, surtout au moment des fêtes, des Aissaouas était une sorte d’intervention fantaisiste qui meublait ma mémoire, j’étais évidemment très fasciné par ce genre de rituels extrêmement précis, codifiés et fortement spectaculaire. Donc quand Zine est venu me voir à Paris pour me parler justement de sa démarche, je dois dire que j’ai fait tout de suite le rapport entre les Gnaouas et les Aissaouas. Les Gnaouas font partie de ces confréries qui développent des rituels de langage inspirés soit de l’Afrique comme les Gnaouas, soit beaucoup plus des traditions berbères peut-être pré-islamiques ou para-islamiques. Cet animisme qui consiste justement à rentrer en transe, c’est à dire à faire un peu l’âme du corps, de façon à se servir du corps comme un moyen d’expression, comme un objet ; c’est évidemment le lien entre la démarche picturale de Zine et ces rituels et ces traditions gnaouas. Le support, c’est évidemment le corps, c’est évidemment les tissus imprégnés de couleurs, et l’action c’est l’empreinte, le corps qui au cours de la transe vient s’apposer sur un support de tissu, inscrit des empreintes successives, répétitives, jusqu’au moment où s’arrête la transe, s’arrête le rituel, et nous sommes ensuite en présence d’une œuvre qui finit dans la mesure où elle a constitué la trace en temps réel de l’événement, de sa croissance rythmique, de son paroxysme, de son début et sa fin. La chose est claire et cohérente : il ya dans ce langage de Zine quelque chose d’extrêmement cohérent qui est justement cette logique interne d’un rituel qui est employé à des fins de langage pictural pour faire la peinture. Ce qui m’a beaucoup frappé, dans démarche de Zine, c’est que ces rituels de transe, ces rituels de l’empreinte humaine sont en quelque sorte immémoriaux. On les retrouve à l’époque des cavernes et dans toutes les civilisations tribales, de la Nouvelle Guinée à l’Afrique centrale, mais en même temps, elles viennent se greffer sur des recherches extrêmement modernes : et c’est là, je pense que l’on peut parler plus encore que de la modernité, de la post-modernité de Zine. Car le fait d’employer ce langage du corps en transe de façon à créer par l’empreinte successive une œuvre qui est elle-même le produit de l’espace et du temps de la manifestation, ce phénomène est un phénomène qui s’apparente beaucoup à l’approche conceptuelle de l’art corporel. Le body art a été extrêmement actif et célèbre en Europe et en Amérique au début des années 70. On peut dire toute la décennie 70-80 a été marqué par ce courant, ses protagonistes et ses diverses interventions. L’on se rappelle de l’Américain Vito Acconci par exemple, ou du Français Journiac, de l’Italienne Gina Pane Il a donc là un courant formel extrêmement important. Mais ce qui me partait être plutôt la quintessence de la clé de lecture, c‘est le rapport que l’on peut faire entre Zine et Yves Klein qui est l’un des personnages importants du nouveau réalisme, qui en est en quelque sorte le co-fondateur avec moi. Comme tout le monde sait, Yves Klein se servait de modèle préalablement empreints de peinture bleue (le bleu était sa couleur), modèles qui venaient apposer leur corps enduit de peinture bleue sur une surface de tissu ou de papier. Les résultats de ZINE sont souvent assez proches des résultats d’ Yves Klein. Ces résultats se traduits par des anthropométries, c’est à dire des empreintes du corps. Mais ce qui est intéressant dans ces empreintes individuelles, c’est qu’elles intéressent toute la partie du corps qui est indépendante de la tête, indépendante donc du contrôle conscient. Ces empreintes intéressent les seins, le ventre et le sexe, ces à dire les trois fonctions vitales qui sont indépendantes du contrôle du cerveau : la respiration, la digestion et l’orgasme. En réalisant cette démonstration, Yves Klein entendait justement définir cette notion de pinceau vivant à partir de l’empreinte de la femme. Et quand ces 1 empreintes deviennent plus complexes, elles donnent les résultats que nous propose aujourd’hui à la fin de la transe gnaoua, le peintre marocain Zine. Lorsque les empreintes d’ Yves Klein ne sont plus limitées à ces parties essentielles su corps (les seins, le ventre et le sexe) et qu’elles sont apposées de façon répétitives cela donne le résultat à peu similaire de ce que nous propose Zine et Yves Klein se rapprochent, dans la mesure où les ressemblances au niveau des empreintes répétitive sont extrêmement frappantes. Mais au delà de ces analogies formelles ce que Zine et Klein ont en commun, c’est justement ce concept généreux, ce concept fondamental vis à vis de la vie. Cette transe, même si elle s’inspire d’un rituel immémorial d’origine africaine, païenne et animiste, cette transe est là comme toutes les manifestations de cette philosophie élémentaire animiste, cette transe a une Vertu, une dimension humaine fondamentale. Quand Yves Klein prend l’empreinte du corps en le limitant aux organes qui assument ces fonctions fondamentales de l’individu, ces fonctions vitales indépendantes de la tête et du cerveau, la respiration, la digestion et l’orgasme, il entend prouver une chose qui est justement aussi l’évidence profonde de Zine. Et cette chose fondamentale, élémentaire, simple, c’est que la vie ne nous appartient pas ; nous en sommes des locataires. Notre corps, qui respire, qui digère et qui fait l’amour, il le fait en dehors du contrôle conscient de notre cerveau. Mais ce sont ces manifestations-là qu’on appelle la vie, que l’on appelle la sensibilité. Cette sensibilité, nous n’en sommes que locataires. Et pourtant, c’est cette sensibilité qui nous caractérise. On dit qu’un homme à telle ou telle sensibilité, et on le juge en tant que tel. Et pourtant la vie ne nous appartient pas. Nous en avons, encore une fois, la responsabilité ponctuelle et éphémère. Et Zine aussi a très bien compris ça ! et donc, en ce servant du phénomène de la transe ou des pinceaux vivants pour réaliser ses œuvre d’empreintes répétitives, Zine exalte, comme Yves Klein, la valeur purifiante, la valeur éternelle de la vie dans ces traces, dans ces manifestations éphémères ; mais la vie laissée ses traces dans les peintures de la transe elle laisse ses traces dans les anthropométries d’ Yves Klein, mais elle continue à aller ailleurs, parce que la vie n’a pas de frontières, elle est un élément du cosmos, elle est énergie à l’état pur. Et je pense que la beauté de ce genre de démarches comme celle de Zine, ou comme celle d’ Yves Klein, résident dans cette conscience énorme de la modestie de l’humain. L’homme n’est encore une fois que le locataire et l’utilisateur éphémère de la vie, de la vie dans son énergie. Et le fait que les artistes pensent à capter cette énergie, à la fixer dans un moment de son éphémère, c’est la justification de toutes les poésies, et c’est la justification aussi de ce que peut être l’Art dans une époque nouvelle, dans cette époque de notre société post-industrielle, dans cette condition post-moderne que nous vivons aujourd’hui, où le dispositif planétaire de production a changé, où nous devons affronter une nouvelle étape de la société industrielle, sa saturation industrielle précisément. Parce que contrairement à ce que pensent beaucoup de gens, la société post-industrielle n’est pas une société qui a su surpasser et dépasser le phénomène industriel. Non ! C’est une société qui est saturée d’industrie. Tous les phénomènes vitaux sont des phénomènes industriels, nos sentiments sont des objets industriels, nos émotions sont des objets industriels. Alors il est normal que les émotions de la transe gnaoua se fixent par leur empreinte répétitive dans des peintures qui sont les objets de la transe, les objets de la communication, de la conscience et de la responsabilité de l’artiste qui assume tout ce dispositif et de connaissances et d’auto-expression. En ce sens, Zine est exemplaire : il fat partie de ces chercheurs pour qui la sociologie de l’époque industrielle a été remplacée par l’anthropologie culturelle de la société post-industrielle. Il est un des acteurs, un des chercheurs, un des expérimentateurs de cette nouvelle sensibilité dont nous avons un besoin absolu pour rechercher notre cerveau, pour rechanger nos émotion, et pour assurer à part entière la présence nouvelle de l’homme par rapport à la machine. La condition post-moderne c’est précisément ce défi qu’il entend assumer, c’est à dire un homme qui soit capable d’un nouveau dialogue avec la machine, autrement dit avec la troisième génération des computers. 2 Le computer aujourd’hui n’est plus le meilleur ami de l’homme, n’est plus en quelque sorte esclave mécanisé. Il est devenu son partenaire, son associé, et il a des exigences considérables dont il faut tenir compte, il a toutes les ouverture et toutes les limites de l’intelligence artificielle. Mais intelligence artificielle ou pas, c’est une intelligence. Il faut donc la capter en tant que telle, la saisir, la manipuler et y répondre de façon appropriée et de façon ouverte au dialogue. Et c’est là où se pose le grand problème de l’interactivité, c’est à dire justement cette notion qu’entre la machine et l’homme le dialogue est possible à partir de programme concerté. Et il existe aussi cette même concertation des programme dans l’organisation de la transe chez Zine, la façon dont il contrôle l’activité des danseurs gnaouas, la façon dont il dispose les couleurs, dont il calcule en quelque sorte les différentes couches d’impression. Cette espèce d’interactivité aboutit au résultat final qui est l’œuvre en tant que trace de l’humanité profonde. Et je pense que ce recyclage d’un rite à des fins d’expression postmoderne, est une chose capitale pour l’avenir de notre sensibilité et de notre nouvelle culture. Certes Zine n’est pas le seul à opérer dans ce secteur expérimental des sensibilités nouvelles et de la nouvelle culture. Il a évidemment son approche qui est une approche anthropologie et culturelle. Mais il fait partie d’une famille éparse qui sera de plus en plus nombreuse et qui sera justement celle de la création d’une culture appropriée à ce présent permanent qui est le nôtre depuis que cette société post-moderne coexiste avec la vieille modernité qui elle essaye de se mettre à jour, tant que la post- modernité, elle vit le plein présent de ses recherches et de ses intuitions. Ces intuitions post-modernes : c’est justement la démarche de Zine que je voudrais saluer ici comme un facture de culture nouvelle qui vient se rapprocher et s’insérer dans très grande interrogation qui, elle n’a pas de limites et qui est vraiment planétaire. Ce sont ces frontières que Klein considère comme n’existant pas entre la transendence et le sublime. L’œil, le regard de Klein, plus forts que du célèbre Picasso ne voient pas de différence entre la transcendence et le sublime parce que le sublime c’est justement cet immense respect de la vie à travers l’empreinte du corps et le sublime de Zine, c’est exactement le même. Je pense, et c’est là précisément où le problème me fascine : c’est dans l’objectivation du rite que nait le nouveau langage. Je crois que les gens ont très souvent tendance quand ils ont besoin d’une expression nouvelle, quand ils ont besoin de référence ne serait ce que verbale ou conceptuelle, ils ont toujours tendance à spéculer sur l’intervention d’un phénomène de type religieux, d’un phénomène transcendental. Ce n’est pas grave dans l’immédiat de la sensation ou dans celui du concept. Mais c’est grave à longue échéance parce que entre le religieux de types créateur, expérimental au niveau du langage et de la communication entre les hommes et le religieux tout court , la différence est extrêmement fluide et le fait de lier comme par une sorte d’automatisme, l’émergence du neuf l’émergence de l’imprévu, l’intervention du hasard, la surprise poétique … au niveau de la religion, c’est quelque chose de très douteux et de très dangereux parce que à la limite ça peut justifier tous les intégrismes, tous les abus religieux au nom de cette dimension de créativité qui n’apparaitrait que lorsqu’apparaît le sentiment religieux. L’homme a besoin de se dépasser lui-même, et peut être et ça aussi c’est dans les éléments de notre culture nouvelle postmoderne peut-être que ce dépassement est une chose qui doit être considérée de façon objective de façon rationnelle comme le constat d’un phénomène objectif dont la finalité est justement la poésie et non pas la référence à un rite religieux ou à un dogme et c’est là un problème important que pose Zine et que pose Klein et que celui- ci essayait de résoudre par cette es pèse de dépassement dans l’amalgame de la transcendence du sublime du religieux et de la poésie. Je pense que nous sommes arrivés à une époque où il n’est pas innocent ni inoffensif de mêler le sentiment religieux au sentiment poétique hélas peut être mais en tous les cas ce problème sera un des problèmes qui va se poser à ce présent permanent de notre culture. Donc on ne peut pas y échapper parce que tout est lié. 3 Tout ce que j’ai dit à propos de Zine sur ses correspondances ou de ses relations avec l’œuvre d’Yves Klein ce n’est pas du tout par hasard ; c’est parce que ce problème de l’utilisation objective de la transe est un problème qui fait partie de ma vision du monde. D’abord de ma vision du nouveau réalisme qui n’est autre comme je le disais déjà en 1960 que l’expression de nouvelles approches perceptive du réalisme (Viennent des noms qui avaient souscrit à la déclaration de Restany sur le « nouveau réalisme »)… Comme on peut le constater les noms que je cite sont des noms qui dominent aujourd’hui le monde de la créativité contemporaine. Tous ces noms célèbres qui se basent dans leurs expressions créatives respectives sur des rituels fondamentaux d’expression qui se traduit ensuite en langage, adhèrent à des problème qui font partie d’une idée de la transe comme la dynamique libératrice de langage qui se servent de ce néo-primitivisme pour s’approcher être plus perceptible par les éléments de notre intelligence sensuelle et sensible, beaucoup plus que par les éléments de notre sensibilité mentale car il y a un relais de la tête au cœur et c’est par le cœur que nous pouvons renouveler nos émotion et notre sensibilité et non par la tête. Donc je pense que la transe considérée comme un processus technique et dynamique d’expressivité place le problème du côté du sentiment et beaucoup moins du côté du mental et c’est comme ça que l’on fait des expériences sensibles et non pas en rationnalisant le scénario, les procédés, les moyens … la transe se caractérise par le fait qu’elle atteint à un moment donné de son expansion un degré incontrôlable un degré paroxystique. C’est la vérité de Zine et c’est là en même temps sa poésie parce que sans cet élément aléatoire, imprévisible, surprenant dans tous les sens du terme, il n’a pas de poésie possible. par exemple chez Klein s’il n’y avait pas ce grand pari sur les bonheurs du hasard alors ne s’agirait que d’un procédé qui dans le fond pourrait devenir une recette autrement dit un moyen d’expression facile. La transe fournit l’espoir et en même temps l’espoir réaliste, sensible d’un changement quelque chose qui peut arriver au cours du développement du dispositif d’expression et c’est là en effet que l’on en revient à l’humain au hasard et à la libre circulation de l’énergie dans l’espace et quand on voit ces œuvres de Zine après la transe on peut les considérer comme la transe d’une réelle vie qui est passée et qui a continué ensuite sa libre expansion. Mais en même temps, on peut aussi dire que la transe a appelé l’énergie, et que le phénomène qui s’est produit est un phénomène sans prix un phénomène exceptionnel qui nous donne véritablement beaucoup de foi et beaucoup d’espoir dans l’humanité. Il ya là en effet un procédé de fixation par l’empreinte. Ce mouvement où il y a des rythmes divers selon certainement le corps et la transe de chaque danseur comme c’était le cas chez Yves Klein avec le comportement différant des modèles. Je pense qu’il y a là une référence à ce moment de poésie qui fait que l’empreinte d’un corps vient s’inscrire sur le support et cette inscription elle-même est relayée par d’autre empreintes successives. Il s’agit là encore une fois d’un recyclage de l’homme par rapport à une nature moderne de type industriel, publicitaire, médiatique et surtout urbain. Jusqu’en 1968 cette nature urbaine était de type moderne voire même moderniste. Aujourd’hui nous vivons une grande transition et c’est encore une fois la ville qui va créer une nouvelle nature qui cette fois sera postmoderne et post-industrielle. Donc la transe est un des éléments de cette recherche beaucoup plus amples de rituels nouveaux de la communication. J’insiste ici encore une fois sur point capital qui est celui de la vision globale d’une nouvelle culture ou à une sensibilité nouvelles. On ne peut pas dire que l’on passe du jour au lendemain à une culture ou à une sensibilité nouvelles car on en peut jouer avec les sentiments comme s’ils étaient interchangeables. Bien entendu qu’ils sont des objets industriels mais il faut les traiter dans l’intégrité-même de leur identité et un sentiment sans identité n’est qu’une pulsion nerveuse totalement anonyme. Donc nous sommes absolument contraints si voulons changer de sensibilité et de culture pour répondre mieux aux nouvelles technologies de notre présent pour cela il faut passer à un stade qui pourrait être une espèce de stade zéro de la sentimentalité ou de l’émotion de façon 4 recréer les structures sensibles et émotive. La joie, la peur la jouissance, le plaisir, l’angoisse ne sont pas des clichés stéréotypés et anonymes dans leur répétition. Chaque fois que nous éprouvons une émotion très forte et très fondamentale nous l’éprouvons de façon très différente. Il n’y a pas des recettes pour être joyeux en même temps et tout le monde à la fois il n’y en a plus pour la peur. Je pense donc qu’on doit être extrêmement réaliste quand essayons de restructure nos sentiments et partir du moment où nous aurons l’impression l’intuition, le pressentiment, bientôt la certitude que dans l’arc extrêmement modeste de notre vie humaine, nous avons appris à être heureux d’une autre façon. Les relations affectives mêmes les plus indépendantes de notre cerveau sont elles aussi sujettes à différenciation et à l’évolution. Chaque individu pour le bien comme pour le mal, pour le meilleur comme pour le pire, n’adopte pas dès sa puberté un langage du sexe qui sera le même pendant toute sa vie. Et c’est ainsi que par exemple le fait de changer de partenaire peut aussi changer beaucoup de choses dans notre pouvoir émotionnel et affectif. Il faut donc faire en sorte que tout change au fond de nous et que tout change dans le sens de l’aventure, de l’esprit, et surtout de l’aventure du cœur et la transe est certainement l’un des moyens de cette aventure et sans doute l’un des exemples et l’un des modèles les plus édifiants. Pierre RESTANY 5