Ce Poilu qui n`a jamais pu reposer en paix
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Ce Poilu qui n`a jamais pu reposer en paix
8 HISTOIRE VIVANTE LA LIBERTÉ VENDREDI 24 OCTOBRE 2008 Ce Poilu qui n’a jamais pu reposer en paix LE SOLDAT INCONNU • Inhumé en 1920 sous l’Arc de Triomphe, ce militaire devait être le martyr des 300 000 disparus français durant la Grande Guerre. Il a surtout été récupéré par les extrémistes de tout poil. THIERRY JACOLET S’il pouvait aujourd’hui parler du fond de son trou, le soldat inconnu n’aurait qu’une chose à dire: qu’on lui foute la paix! Depuis qu’il a pris place le 11 novembre 1920 sous l’Arc de Triomphe, à Paris, il est constamment dérangé dans son repos. Militaires, anciens combattants, politiciens et curieux n’ont cessé de défiler devant sa tombe. On chante la «Marseillaise», on discourt, on blablatère... Sans oublier que chaque jour vers 18 h 30, un comité vient raviver la flamme. Mais ce sont surtout les extrémistes de tout poil qui se sont longtemps déchirés autour de cette tombe. internationale qui a permis de mettre un nom sur une victime à partir d’une alliance. Et chaque année, la terre vomit des corps. Le plus célèbre cas est celui d’Alain Fournier, l’auteur du «Grand Meaulnes», dont le corps a été découvert en 1991. A la fin de la guerre, le deuil est terrible pour les familles des disparus qui ne savent pas si leurs proches sont morts ou prisonniers. Elles n’ont aucun corps à pleurer. Il faut un lieu pour fixer la douleur. Querelles partisanes «Le soldat inconnu leur a donné une tombe de substitution», souligne Jean-Yves Le Naour. «C’est un corps privé pour toutes les familles avant d’être un symbole public. Elles peuvent y apporter des fleurs L’extrême droite en fait un héros sacrifié pour le pays. Pour les communistes, il est une victime du capitalisme JEAN-YVES LE NAOUR Imaginez cet homme sans nom, sans visage et sans passé, mort au combat, jamais démobilisé depuis 90 ans, et en plus tiraillé. Qui aurait voulu connaître un sort aussi peu enviable? Peutêtre les 300 000 militaires français morts dans l’anonymat – sur un total de 1,4 mio –, eux qui auraient espéré une sépulture. Car durant la Grande Guerre, les soldats ont plus peur de disparaître sans laisser de trace que d’être broyés dans cette grande boucherie. Ne pas mourir anonyme «Les hommes ne veulent pas mourir comme des chiens», éclaire Jean-Yves Le Naour, historien et auteur de plusieurs ouvrages sur le soldat inconnu 1. «Ils veulent des rites funéraires qui leur donnent une certaine dignité humaine. C’est pourquoi les soldats ont combattu en copains. C’était une façon de tenir. Si l’un tombe, un camarade ne le laissera pas sur le champ de bataille.» Environ 50 000 auront la chance d’être identifiés dans l’immédiat après-guerre. En 2007, encore, un Lausannois a dirigé sur internet une équipe comme elles vont sur la tombe d’un proche.» Mais le soldat inconnu va malgré lui faire l’objet de querelles partisanes. La gauche et la droite s’arrachent sa symbolique. Tout le monde s’accuse de profaner la tombe. Les groupes politiques le revendiquent, les ultranationalistes en tête avec les Croix-deFeu, les maurrassiens, les pétainistes... «L’extrême droite en fait un héros qui s’est sacrifié volontairement pour le pays», observe l’historien. «Alors que les communistes voient le soldat inconnu comme la victime du capitalisme, mort pour sauver des intérêts qui n’étaient pas les siens.» La mort entache même celui qui incarne la paix. Lors de la première manifestation collective de résistance en France, le 11 novembre 1940, des étudiants et lycéens s’inclinent sur la tombe, avant d’être dispersés à coups de mitrailleuses. Certains seront déportés ou fusillés. Le dernier grand affrontement autour du symbole a lieu le 7 mai 1968, lors des manifestations étudiantes. Daniel Cohn-Bendit en tête, on enton- Un Suisse trouble-fête Un Suisse a joué un rôle de trouble-fête dans la polémique qui a présidé à l’inhumation du soldat inconnu. Ecrivain et journaliste maurrassien, JeanGustave Binet-Valmer écrit un billet de mauvaise humeur au président français Alexandre Millerand en octobre 1920. «Il était mécontent que la République veuille fêter ses 50 ans, en oubliant les soldats», rappelle l’historien Jean-Yves Le Naour. Cet ultranationaliste est le fondateur et l’animateur de la Ligue des chefs de section et du soldat combattant après la guerre, groupuscule d’extrême droite. «Cet homme s’est engagé dans la Légion étrangère. Il faut dire qu’un certain nombre de Suisses se sentaient plus Français que les Français à l’époque.» Jean-Gustave Binet-Valmer et le journaliste Gabriel Boissy brandissent même une menace si le gouvernement ne décide pas d’inhumer également le 11 novembre le soldat inconnu. Leur projet? Déterrer un soldat et barrer le passage du cortège de Gambetta avec de gros bras proches de l’Action française. Le Conseil des ministres préfère éviter le scandale. Le 2 novembre 1920, il annonce le dépôt du projet de loi en faveur du soldat inconnu. Sa dernière demeure sera le Panthéon. «Mais le lieu est trop marqué à gauche pour les nationalistes», glisse l’historien. Il faudra encore bien des joutes verbales dès le 4 novembre par journaux interposés et au parlement pour que le gouvernement accepte quatre jours plus tard de transférer le corps sous l’Arc de Triomphe. TJ ne «L’Internationale» devant la flamme, avant que le débat ne divise l’Assemblée nationale. Dans la foulée de cette agitation sociale, c’est sur sa tombe que le Mouvement de libération des femmes voit le jour en 1970 avec ce slogan: «Il y a plus inconnu que le soldat inconnu: sa femme!» Sentinelle de paix Que reste-t-il du symbole aujourd’hui? «Le soldat inconnu a changé de sens avec son époque», estime Jean-Yves Le Naour. «Avec le recul des idéologies et surtout du nationalisme – il se porte mal aujourd’hui avec la réconciliation francoallemande et la construction européenne –, le soldat est abandonné comme symbole politique de combat. Il incarne désormais une sorte de sentinelle de la paix qui nous oblige à rester vigilants.» Cette symbolique dépasse le cadre de la seule guerre de 1914-18. Le soldat inconnu incarne les atrocités de la guerre, les morts pour la nation, même ceux de 1945 et d’Algérie... «Il ne peut y avoir qu’un seul symbole national. Les soldats inconnus de la Seconde Guerre mondiale, d’Indochine, d’Algérie, on les a placés à part, dans une basilique dans le Pas-deCalais.» Partout dans le monde Ailleurs dans le monde, une cinquantaine de soldats inconnus ont été inhumés après la Première Guerre mondiale. La Grande-Bretagne enterre le sien le même jour que la France. Puis, c’est au tour du Portugal, de l’Italie, des Etats-Unis, de la Roumanie... Le symbole est repris pour rendre hommage aux soldats anonymes qui ont donné leur vie durant les guerres du XXe siècle. Dernier pays en date à enterrer un anonyme, la Nouvelle-Zélande en 2004. La Suisse? Rien. Il faut dire qu’elle s’est bien débrouillée pour éviter de participer aux dernières grandes boucheries. I Jean-Yves Le Naour, «Le soldat inconnu vivant, 1918-1942», Ed. Hachette et «Le soldat inconnu», Ed. Gallimard. A lire aussi: Nicolas Offenstadt, «Le Chemin des Dames: de l’événement à la mémoire», éd. Stock. Véronique Fourcade, «Le dernier poilu», Ed. Stock. 1 D’innombrables personnalités politiques se sont inclinées sur la tombe du soldat inconnu depuis 1920, comme le président israélien Shimon Peres en mars 2008. KEYSTONE «Il honore les sans-grade» Raconter l’histoire d’un homme qui n’a pas d’histoire: l’exercice paraît périlleux à première vue... Jean-Yves Le Naour: Je pensais que ce serait difficile au départ. Mais c’est justement ça l’intérêt: il ne bouge pas sous l’Arc de Triomphe et tout le monde s’agite autour. Il voit passer le siècle du fond de son trou. Pourquoi cette symbolique du soldat inconnu apparaît-elle lors de la Première Guerre mondiale et pas avant? Le soldat inconnu est caractéristique du temps démocratique. Sous Napoléon, il y a eu de belles boucheries. Mais l’Arc de Triomphe rend hommage aux victoires de Napoléon et à ses généraux. On honore les chefs mais pas les soldats. A l’âge démocratique, on honore le sacrifice collectif des sans-grade, des poilus, des paysans et ouvriers morts pour la patrie. Mais surtout pas les chefs qui commandent à l’arrière. La société ne voit comme héros que ceux qui sont tombés pour que le pays vive. Aucun monument ne rendait hommage aux soldats auparavant? On commence après la guerre de 1870-71 à ériger des monuments collectifs, mais ils n’étaient pas nominatifs. Ils étaient plutôt élevés pour tels régiments ou telle région. Mais on n’était pas dans l’idée de glorifier l’individu sacrifié librement. Les monuments aux morts fleurissent pour la première fois en France après 1918? Oui. Les 36 000 communes françaises élèvent un monument aux morts pour rendre hommage au sacrifice des soldats locaux. Après 1918, comme le gouvernement mettait du temps à rendre un hommage officiel aux soldats, elles ont voté la construction des monuments. Pourquoi un mort comme symbole d’une victoire? C’est une étrange victoire en 1918. Le pays est exsangue, traumatisé moralement et physiquement. C’est un recueillement quand on inhume ce soldat inconnu. Le 11 novembre a une connotation de deuil, mais pas de victoire. Plus personne ne se souvient qu’on a inhumé le cœur de Gambetta ce jour-là pour fêter les 50 ans de la République. PROPOS RECUEILLIS PAR TJ SEMAINE PROCHAINE ESCLAVES DU TEMPS MODERNE L’esclavage perdure en Mauritanie, même s’il est interdit depuis 1981. Les Maures ont asservi les populations noires. C’est dans ce contexte qu’intervient SOS Esclaves, qui organise de véritables libérations d’esclaves. RSR-La Première Du lundi au vendredi 15 h à 16 h Géopolis Histoire vivante Dimanche 20 h 35 Lundi 22 h 40