La petite fille et la mort - L`Argentine et ses écrivains
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La petite fille et la mort - L`Argentine et ses écrivains
Livres Hebdo numéro : 0672 Date : 12/01/2007 Rubrique : avant critiques Auteur : Véronique Rossignol Titre : Laura Alcoba 18 janvier > ROMAN France La petite fille et la mort La clandestinité et la répression, au temps des généraux en Argentine, vues à travers les yeux d’une fillette. A quelques semaines de la mort de Pinochet et alors que des procès sont encore en cours pour juger les responsables de la répression politique des années de dictature, le récit de Laura Alcoba, son premier livre que Gallimard publie dans « la blanche », trouve une poignante résonance. Sans trémolos, avec une très grande sobriété, parfois même avec une certaine ironie, l’Argentine, née en 1968, retrouve trente ans après les faits l’intime perception faite d’intuition et d’incompréhension mêlées d’une enfant de huit ans regardant les actes des adultes. Ce sont quelques mois entre 1975 et novembre 1976, avant et après le coup d’état militaire, à La Plata dans la banlieue de Buenos Aires : Laura Alcoba est la fille unique d’un couple de Montoneros, les opposants à la junte, contraints de vivre dans la clandestinité. Le père arrêté, la mère et la fillette se cachent dans une maison où un élevage de lapins dissimule en réalité el embute, une des imprimeries du mouvement. Dans la « maison aux lapins », elles habitent avec Diana, enceinte, et son compagnon Daniel que l’on appelle Cacho : le petit groupe s’occupe de produire et de diffuser des journaux et des tracts, emballés dans du papier cadeau, en vertu du principe de « l’excessive évidence », un précepte que « l’Ingénieur » qui a conçu l’imprimerie, s’inspirant de la nouvelle La lettre volée d’Edgar Poe, a appliqué au camouflage de la porte d’accès du local secret. « La terreur à hauteur d’enfant », c’est ce dont se souvient Laura Alcoba. Les trajets en voiture allongée sous une couverture, l’impossibilité de dire son vrai nom, les coups d’œil en arrière quand on marche dans la rue pour vérifier que l’on n’est pas suivi, la petite fille a connu cette peur de tous les instants à l’âge qui devrait être celui de l’insouciance. Elle a porté la responsabilité écrasante de la vie de ses parents qu’elle pouvait mettre en danger rien qu’en parlant à des inconnus. Vivre une guerre « comme si de rien n’était ». Manger ses tartines de dulce de leche sur la table de la cuisine où l’on nettoie les armes. N’avoir aucun ami de son âge puis, bientôt, ne plus pouvoir même aller à l’école et passer ses journées cloîtrée en compagnie de la lumineuse Diana. Laura et sa mère sont parvenues à quitter le pays pour rejoindre la France grâce aux relations du grand-père avocat et, quelques mois plus tard, « la maison aux lapins » a été prise d’assaut… Tous sont morts mais l’enfant de Diana, une petite fille de quelques mois, a disparu, peut-être adoptée, comme tant d’autres à cette époque, par des proches du régime… Et si Laura Alcoba sait qui a dénoncé les militants, elle ignore quel a été le sort du bébé. « Si je fais aujourd’hui cet effort de mémoire […], dit-elle, ce n’est pas tant pour me souvenir que pour voir, après, si j’arrive à oublier un peu. » On en doute. VERONIQUE ROSSIGNOL Laura Alcoba Manèges. Petite histoire argentine GALLIMARD TIRAGE : 2 500 EX. PRIX : 12,90 EUROS ; 144 P. ISBN : 978-2-07-078203-1 SORTIE : 18 JANVIER