l`evolution de l`industrie aeronautique : quel positionnement pour

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l`evolution de l`industrie aeronautique : quel positionnement pour
L’EVOLUTION DE L’INDUSTRIE AERONAUTIQUE :
QUEL POSITIONNEMENT POUR AIRBUS
Nicolas MOUCHNINO & Joël Thomas RAVIX
Université de Nice Sophia Antipolis, GREDEG, CNRS, UMR 6227
Introduction
Le marché de l’aéronautique présente deux caractéristiques principales. D’une part, il
s’agit d’un marché mondialisé qui bénéficie d’un chiffre d’affaires en croissance depuis
plusieurs années, avec des perspectives toujours soutenues. Cependant, sa dépendance au
trafic aérien le rend très cyclique. En effet, le trafic aérien conditionne la prise de
commandes des avions ainsi que les lancements de programmes. On s’accorde pour
reconnaître que le trafic aérien devrait augmenter de 5% par an environ à l’horizon 2026, le
trafic de marchandises de 6% par an environ sur la même période. Deux marchés
rassemblent aujourd’hui la majorité du trafic : les Etats-Unis et l’Europe. Le marché intérieur
américain représente à lui seul, plus d’un tiers du trafic aérien mondial, mais près de 40%
des vols internationaux ont l’Europe comme point d’arrivée ou de départ. Demain le Moyen
Orient et l’Asie deviendront incontournables avec une croissance du trafic aérien supérieure
aux moyennes mondiales.
D’autre part, le marché de l’aéronautique est un marché complexe du fait de sa
segmentation. Il existe 4 principaux segments d’activité :
• Les avions long courrier qui sont essentiellement les avions commerciaux de ligne
pouvant transporter de 100 à plus de 400 passagers. Ce segment correspond à un
duopole que se partage Airbus et Boeing
• Les avions régionaux qui sont des appareils commerciaux d’une capacité inférieure à
100 places, assurant des liaisons interrégionales. Ce segment est plus oligopolistique
puisque d’autres entreprises comme Bombardier, Embraer, Canadair ou ATR
interviennent sur ce segment, mais aussi Airbus et de Boeing de manière plus
ponctuelle avec l’A318 et le B737.
• Les avions d’affaires ou privés pouvant transporter jusqu’à 12 passagers sur des
distances de 3000 Km environ pour lesquels interviennent des entreprises très
spécialisées comme Dassault, Cessna ou Learjet.
1
• Enfin, le dernier segment est encore plus spécifique puisque c’est celui des
hélicoptères civils où interviennent des entreprises principalement sécialisées sur ce
créneau comme Eurocopter, Bell, ou encore Agusta.
En dehors de l’activité issue de la fabrication d’appareils neufs, il existe une activité
liée à la maintenance aéronautique (entretien et rechange de pièces) qui est importante en
raison de la durée de vie d’un avion qui est de l’ordre de 25 à 30 ans pour un appareil civil,
35 ans pour un avion de fret.
Toutefois, si on se limite à une simple approche par le marché, on n’observe que la
partie émergée de l’iceberg, c’est-à-dire les relations entre les clients (les compagnies
aériennes) et les grands constructeurs. Or, l’industrie aéronautique se présente comme une
filière, au sein de laquelle interviennent de nombreuses entreprises de taille diverse et qui
occupent des positions différentes.
Plus généralement, cette industrie a connu au cours de ces dernières années des
bouleversements qui sont pour l’essentiel liées à une complexification croissante des
produits et à une accélération de l’innovation. Ces phénomènes ont entraîné une
transformation des modes de production, avec le passage de ce que l’on qualifie aujourd’hui
de « production modulaire », qui s’est accompagnée une modification de l’organisation de
cette industrie. Ce sont les enjeux engendrés par cette transformation que nous allons
essayer d’apprécier en commençant par préciser la signification du passage à une
production modulaire.
1. La production modulaire dans l’aéronautique :
Dans l’aéronautique, les avionneurs ont cherché à réduire la complexité du produit
avion en adoptant une démarche que l’on peut qualifier de « modulaire ». Cette démarche,
dans un premier temps, s’inscrit dans une réflexion d’origine technologique et centrée sur le
produit. Elle consiste à décomposer un avion de ligne en modules principaux présentant une
fonction clairement identifiable et relié par des interfaces plus ou moins stables et
standardisées (Frigant, 2003). Cependant, la modularité ne se limite pas uniquement à une
décomposition technique du produit, dans un second temps, elle semble s’accompagné
d’une profonde transformation de la structure industrielle, fondées sur une multiplication des
relations interentreprises et sur l’enrichissement de ces relations.
1.1.
La modularité technique dans l’aéronautique
L’intérêt d’une telle démarche se retrouve à plusieurs niveaux. Tout d’abord, elle
permet de concevoir une gamme plus large de produits reposant sur l’adoption d’une
2
« architecture-produit » unique, où les modules permettent de différencier l’offre. Ainsi, la
« famille A320 » partage en commun un ensemble d’équipement (tableau de bord,
procédures de pilotage, avionique, voilure, etc.), seule la longueur du fuselage et les
motorisations diffèrent (Frigant, 2003). Le possible « mixage » des différents modules permet
de répondre à des segments plus spécifiques de marché sans modifier l’architecture globale,
comme par exemple dans la famille A320, où il est possible de distinguer plus d’une dizaine
de version avec des caractéristiques différentes (A320-100 ; A320-200 ; A320 Prestige ;
A319-100 ; A319CJ ; A319LR ; A321-100 ; etc.).
Ensuite, la modularité permet d’augmenter l’échelle de la production au niveau de
chaque gamme. Par exemple, les avionneurs rassemblent sur un site identique l’assemblage
d’une famille d’avion afin d’amortir au mieux les équipements. Ainsi, par exemple, l’ensemble
des A380 devrait être produit sur le site de Toulouse. La différenciation du produit est alors
assurée sur la chaîne de production grâce à l’apport de modules différents. De plus,
l’adoption d’interfaces plus ou moins standardisées permet la mise en commun de modules,
ce qui implique qu’un même module sera amorti sur l’ensemble de la famille mais aussi sur
d’autres familles d’appareils. Par exemple, Airbus utilise certains modules comme
l’avionique, les tableaux de bord sur la famille A320 et la famille A330 (Frigant, 2003).
Enfin, la modularité permet d’améliorer sensiblement la performance des modules
sans pour autant modifier l’architecture d’ensemble du produit. En effet, il est possible de
faire évoluer un avion tout au long du programme en remplaçant des modules ou un
ensemble de modules. Par exemple, Airbus a redessiné de nouveaux pylônes et raccords
de fonctionnement de la voilure ce qui a permit de diminuer la consommation de carburant.
Cela permet également de répondre aux mutations de la demande qui ne peuvent pas être
anticipées à l’origine du programme. Par exemple, CFM International1 et par IAE2 proposent
pour les moteurs de l’A320 des kits de mise à niveau afin de se conformer aux nouvelles
normes environnementales (Cochennec, 2008). En outre, la possibilité de modifier
l’agencement interne des modules sans intervenir sur l’architecture permet de répondre aux
problèmes d’obsolescence des composants. Les avionneurs ont tendances à intégrer des
technologies souvent anciennes pour des raisons de sécurité, ce qui pose le problème de la
disponibilité des composants incorporés. Par exemple, au niveau de l’électronique il peut
arriver que certains équipements soient entièrement « reconçus » car les composants ne
sont plus produit ou ne peuvent être remplacés.
1
2
Entreprise commune entre General Electric et Snecma (Groupe Safran)
International Aero Engines, consortium entre Rolls-Royce, Pratt&Withney, Japanese Aero Engines
Corporation et MTU aero engines.
3
Cependant, le produit avion n’est pas totalement modulaire, il peut être défini comme
« impur » au sens d’Ulrich (1995). Cette « impureté » vient, d’une part des conditions de
stabilité des interfaces et d’autre part, du « mapping »3 entre fonction et composant. Il
s’avère, en effet, très difficile de stabiliser l’architecture lorsque le produit intègre des
technologies hétérogènes, qui connaissant des évolutions asynchrones (Brusoni, Prencipe,
Pavitt, 2001). C’est le cas pour le fonctionnement d’un avion qui repose sur une
interdépendance entre l’électronique et la mécanique pour laquelle il est difficile de mettre en
place des interfaces stables. Enfin, il existe souvent une faible correspondance entre la
dimension physique et fonctionnelle des modules. Plus spécifiquement, le schéma des
interdépendances entre fonction et composant et de type « many-to-one »4 . Il arrive souvent
pour avion qu’un module est constitué d’éléments physiquement compactent mais dont la
« mono-fonctionnalité » n’est pas présente. L’absence de mono-fonctionalité réduit
considérablement l’autonomie des équipes lors des phases de conception.
Pour autant, cette double contrainte ne signifie pas que la modularité productive soit
impossible. Elle nécessite, cependant, pour être réalisé, la mise en place d’une organisation
industrielle spécifique.
1.2.
L’industrie aéronautique : une organisation modulaire spécifique.
De profondes transformations sont intervenues dans l’industrie aéronautique au cours
des trente dernières années. Elles s’expriment par une nouvelle division des tâches mais
également une modification profonde des relations interentreprises. Ces diverses
transformations se sont réaliser progressivement.
1.2.1. L’évolution
du
positionnement
d’Airbus
dans
l’industrie
aéronautique
Jusqu’à la fin des années soixante-dix les différents avionneurs européens mais
aussi américains maîtrisaient l’ensemble des métiers nécessaires à la conception et à la
production d’un avion. Cette logique, notamment en France, était fortement marquée par une
présence de l’Etat qui régulait l’industrie du transport aérien5. Dans cette logique dite
d’arsenal (Dupuy, Gilly, 2004), l’Etat était l’unique acteur car il définissait et finançait
l’ensemble des programmes (cas du Caravelle). La division du travail est alors très restreinte
du fait d’une forte segmentation des marchés qui oblige les Etats à soutenir leur industrie
aéronautique. Le tissu des sous traitants était totalement captif du donneur d’ordre. En effet,
3
Schéma qui relie une fonction à un module déterminé.
Un module assure plusieurs fonctions (Ulrich, 1995)
5
En France, au niveau de la production l’entreprise Aérospatiale (ex-SNIAS) était détenue par l’Etat
jusqu’en (1999). Au niveau de la demande l’Etat français a été actionnaire majoritaire de Air Inter
(fusionner avec Air France par la suite) et Air France jusqu’en 1999.
4
4
les tâches externalisées se faisaient sur la base d’un cahier des charges très précis qui
intégrait à la fois, les spécifications du produit mais aussi les équipements qui devaient être
utilisés.
A partir des années quatre-vingt, les avionneurs ont externalisé une part de plus en
plus importante de leur activité mais il reste le nœud des flux d’approvisionnement et de la
conception. A titre d’indication, la part des achats d’Aérospatiale dans les années quatrevingt représentait moins de 40% de son chiffre d’affaire alors que dix ans plus tard elle
représentait 70%. Cette externalisation rapide a eu des conséquences importante sur la
production (problème de suivie et de qualité) mais aussi l’élaboration de nouveaux
programmes puisque cette gestion décentralisée rendait très difficile et coûteuse la
coordination de l’ensemble des sous-traitants (au début des années quatre vingt dix
d’Aérospatiale devait gérer un réseau de plus de 700 sous-traitants).
La fin des années quatre-vingt a vu la limite d’un modèle d’externalisation
essentiellement basé sur la sous-traitance de capacité et surtout a connue la remise en
cause des financements publics (Accord-cadre de l’Organisation mondiale du commerce
signé en 1992 régissant les subventions accordées à l’industrie). Les avionneurs faisaient de
plus en plus appel à la sous-traitance de spécialité. L’objectif ici était double, d’une part,
diminuer le nombre des sous-traitants en confiant des sous-ensembles plus grands afin de
réduire les coûts de coordination, et d’autre part, chercher d’autres sources de financement
en confiant une partie marginale de la conception des modules à des sous-traitants. Les
tâches confiées aux sous-traitant se faisaient sur la base d’un cahier des charges plus large
et fonctionnel.
Pour autant, la structure industrielle reste très centralisée autour des
avionneurs qui contrôlaient en interne la conception alors même que l’avion commençait à
être modulaire (Talbot, 1998).
Ces dix dernières années ont vu l’émergence d’une organisation modulaire qui
découle d’un nouvel approfondissement de la division du travail avec la mise en place du
programme A380 et qui se renforce avec le programme A350 et le plan Power8. Les
avionneurs ne peuvent plus maîtriser l’ensemble des compétences nécessaire à la
production et à la conception d’un avion du fait de sa complexité technologique. En effet, les
systèmes prenant une part de plus en plus importante dans le produit avion (Kechidi, 1996)
l’avionneur n’arrive pas à maîtriser ces activités complémentaires qui nécessitent des
compétences trop éloignées des siennes (Richardson, 1972). Ne pouvant intégrer
l’ensemble du processus de production les avionneurs se cantonnent alors au rôle
d’architecte, et externalisent une grande partie de ces activités complémentaires. Ils fixent
l’architecture-produit et les interfaces correspondantes (Ulrich, 1995), et ils assurent au final
l’assemblage et la médiatisation du produit. Cependant, ce positionnement des avionneurs
5
dans un simple rôle d’architecte reste difficile au regard des contraintes d’intégrité du produit
(Mouchnino, Sautel, 2007).
1.2.2. L’émergence de nouvelles relations interentreprises au sein de
l’industrie aéronautique
L’industrie aéronautique se compose, aujourd’hui, d’un ensemble d’activités
intereliées. Chaque activité est réalisée par des entreprises qui détiennent les compétences
adéquates. La coordination de ces activités, qui sont fragmentées dans l’ensemble de
l’industrie, revient aux avionneurs qui organisent le processus productif. La diversité des
technologies intégrées dans l’avion pose le problème de la coordination d’activités
hétérogènes et dispersées. En effet, les avionneurs et les « sous-traitants » ne peuvent pas
se cantonner à une simple relation de fourniture. Une coordination qualitative en amont de
chaque programme est nécessaire pour définir des interfaces suffisamment stables
permettant la comptabilité des diverses technologies, mais également afin d’assurer
l’efficacité du processus productif.
Par conséquent, cette double contrainte oblige, d’une part, l’avionneur à conserver
une base de connaissance plus large que sa sphère productive. En effet, la réalisation d’une
architecture est une phase qui nécessite une vision d’ensemble du système productif et donc
une connaissance sur les divers sous ensemble et leurs interactions. Cette compréhension,
par les avionneurs, des interdépendances nécessite une connaissance du fonctionnement
interne des modules. Toutefois, l’hétérogénéité des évolutions technologiques existant au
sein des systèmes ne permet pas de stabiliser durablement l’architecture. Par exemple,
l’introduction progressive de l’électronique dans l’avion a entraîné des effets systémiques
(freins, moteurs, pressurisation de la cabine, dégivrage des ailes, etc.). L’externalisation de
la production de plusieurs modules oblige Airbus à poursuivre ses recherches sur des
technologiques complémentaires touchant à la composition interne des modules (exemple :
électronique de puissance, composites, etc.) nécessaire à la détermination optimale des
interfaces. La nécessité de « connaître d’avantage que l’on ne produit » (Prencipe, Brusoni,
2001) permet de coordonner et d’accompagner l’évolution du produit.
D’autre part, il doit développer des relations de coopérations avec les acteurs
impliqués dans les différents programmes. Afin de coordonner le système productif et fixer
les interdépendances, l’avionneur associe dès les phases amont du programme l’ensemble
des acteurs qui interviennent dans le cycle de vie du produit. Les relations entre les
avionneurs et systémiers se concrétisent à travers la mise en place de dispositifs collectifs
de coordination qui permettent un échange d’information et de connaissance tout au long du
programme. Ces différentes coopérations entre les avionneurs et les systémiers sont
6
devenues essentielles au regard de la nature des innovations mais aussi des besoins
d’adaptation. Ainsi Airbus met en place au début de chaque programme des « plateaux de
développements » qui permettent d’associer dès la phase de conception les partenaires
potentiels. Cette modalité tend à se renforcer dans le programme A350 et A30X et plus
généralement à travers la mise en place de la « New system policy » qui consiste à intégrer
de plus en plus tôt les partenaires. L’intérêt est d’optimiser l’architecture et de clarifier les
tâches de chaque participant dès la phase de développements.
Cette approche repose sur l’utilisation de méthodes de travail en groupes intégrés
(équipe multi-métiers) rassemblant des équipes d’ingénieur de chez Airbus et des fabricants
de module sur une période qui peut aller de 6 mois à deux ans (Igalens et Vicens, 2006). Le
codéveloppement permet d’avoir à disposition des savoirs spécifiques sur chacun des
modules. La déperdition des savoirs, du fait de l’externalisation de la production des
modules, est alors atténuée par l’association des acteurs spécialisés aux phases de
conception préliminaires. Par ailleurs, le travail collectif ainsi que la gestion des flux d’intrants
lors de la production accroît les volumes d’informations entre les différents partenaires. La
coopération passe alors par la mobilisation cohérente des technologies d’informations et de
communication (maquette numérique 3D, conception assisté par ordinateur,…) mais
également sur la mise en place de langage commun (harmonisation de la documentation,
etc.). Les outils et méthodes permettant la coordination du processus de coordination sont
essentiels du fait de la complexité des combinaisons. Par exemple, les problèmes de l’A380
montre l’importance de ces instruments et surtout leurs cohérences à l’intérieur d’Airbus. Les
logiciels de conception6, de gestion et les méthodes de travail varient au sein des différentes
entités d’Airbus. La multiplicité des combinaisons demandées par les clients a rendu difficile
la coordination du processus de production et d’assemblage.
Une critique peut toutefois être formulé. Ce type de modalité n’est pas sans poser de
problème stratégique pour l’architecte. En effet, la difficulté pour Airbus mais aussi Boeing
repose sur la propriété de l’architecture qui est essentielle pour assurer les futures évolutions
du produit. L’ouverture de l’architecture, expose Airbus et Boeing au risque de se voir
contester les positions de leader au sein de la hiérarchie.
6
http://www.usinenouvelle.com/article/page_article.cfm?idoc=96425&numpage=11.
La schématique électrique est réalisée en France sur SEE Electrical Expert de l'éditeur français
IGE+XAO, mais les Allemands travaillent avec Catia V4 et certains en seraient encore à Cadam 2D
pour les plans de production » (UsineNouvelle).
7
1.2.3. L’impact de la modularité sur la chaîne de fournisseurs :
Une nouvelle spécialisation s’opère dans la chaîne des fournisseurs qui fait écho au
repositionnement et à la spécialisation des donneurs d’ordre comme Airbus et Boeing. Cette
réorganisation de la chaîne productive peut être perçu comme une « pyramide
hiérarchisée » (Kechidi, 2006) où il est possible de distinguer plusieurs niveau :
•
Les systémiers et sous-systémiers, deviennent les seuls interlocuteurs d’Airbus (avec
certains équipementiers) et se voient confier la responsabilité complète de grands
sous ensembles (conception, production, certification, voir parfois les tests). En effet,
les entreprises qui veulent rester au rang 1 voient de ce fait augmenter le périmètre
physique des pièces qui leur sont confiées, mais aussi le contenu des activités lié au
cycle de développement du module. De plus, elles doivent désormais gérer les flux
de production des acteurs de rang inférieur. La création de nouvelles compétences
au sein de ces entreprises nécessite la mobilisation de ressources considérables
(financière et humaine).
L’externalisation s’effectue au profit des fournisseurs de
plus grande taille voir de taille mondiale pour ceux de rang 1 (Frigant 2008) capables,
d’assumer des coûts important de R&D, et d’assurer l’échelle de production au
niveau mondial. Les bénéfices de cette stratégie restent encore difficilement
perceptibles au regard des complications que subit Boeing et ses grands partenaires
avec son programme 787.
•
Les fabricants de modules (ou équipementiers), ils fournissent des modules
techniquement autonomes, mais de plus en plus leur maintient au rang 1 se trouve
contesté. En effet, la réduction du nombre de fournisseurs oblige les entreprises de
rang 1 à fournir des sous-ensembles de plus en plus complets déjà testés et certifiés.
Dès lors certains équipementiers voient leur module intégré dans des sous
ensembles et systèmes plus complets.
•
Au niveau des rangs inférieurs on retrouve des sous-traitants de spécialité ainsi que
des sous-traitants de capacité qui gravitent autour des entreprises de premier rang.
Sauf exception, elles n’ont plus de relation directe avec les avionneurs (donneurs
d’ordre).
1.2.4. L’organisation modulaire dans l’aéronautique : un bilan nuancé
Le passage à la modularité organisationnelle reste profitable pour l’avionneur, elle lui
permet de redistribuer une partie des risques et des coûts associés à l’activité productive.
L’autonomie croissante des producteurs de module s’accompagne d’une répartition
différente des responsabilités. Airbus partage ainsi les coûts de développement et de
8
conception des modules avec les différents partenaires. On estime que sur l’A380 les
équipementiers ont pris en charge 30% des dépenses de R&D (Haas, Larré, Ourtau, 2001).
De plus, la prise de responsabilité des partenaires de « rang 1 » s’accompagne d’une prise
de risque importante imposée par Airbus au travers les pratiques de « risk-sharing ». Plus
précisément,
les
investissements
en
équipements
et
de
R&D
(coûts
non
récurrents) consentis par les producteurs de modules ne sont récupère qu’à partir d’un
certain nombre d’avions vendus. Ainsi sur le programme A380, le point mort serait d’environ
300 à 400 appareils. Le cas échéant si le seuil n’est pas atteint le partenaire ne récupère pas
la totalité de son investissement. Par conséquent, le problème pour un fournisseur est de
s’assurer qu’il récupérera en volume produit les investissements qu’il a consentis au
développement du programme. La stratégie modulaire permet aux avionneurs de
transformer des coûts fixes qui reposent sur la détention d’actifs en coût variable à travers
l’achat de modules (Sautel, 2006).
Au niveau des « fournisseurs », le manque de recul ne permet pas de mesurer les
bénéfices d’un passage à la modularité organisationnelle. Néanmoins, la possibilité pour le
producteur de ne plus configurer son offre de manière spécifique à un producteur final lui
offre la possibilité d’une stratégie multi-clients. L’élargissement du marché rendu possible par
cette stratégie multi clients permet d’amortir les investissements sur une plus grande échelle
de production. C’est le cas de Latécoère qui a considérablement réduit sa dépendance en
partageant son chiffre d’affaire entre Airbus (39%) Dassault (24%) et Embraer (27%) (Usine
nouvelle, n°2783, juin 2001). Cette autonomie lui permet entre autre d’amortir ses
investissements en R&D en répartissant les coûts sur plusieurs clients ou plusieurs
programmes.
Par ailleurs, cette indépendance permet une spécialisation croissante des
fournisseurs sur un module bien précis et plus particulièrement sur des technologies bien
spécifiques. Concentré sur des ensembles plus restreints certains producteurs de modules
peuvent mieux maîtriser et renouveler les modules. Cette spécialisation permet alors aux
producteurs de module de se positionner sur des activités à plus fortes valeurs ajoutées que
la simple fabrication de pièce.
Toutefois, cette modularité imparfaite des activités, liée au fait qu’il n’existe pas une
déconnection totale entre production et connaissance, pose la question des bénéfices de
cette stratégie. En effet, les coûts de coordination s’avèrent plus élevés que dans une
stratégie purement modulaire. Les nombreuses interactions nécessaires lors des phases de
conception du produit et le développement de module spécifique entraîne un accroissent des
coûts de transaction. Ceci étant, le fait de confier des modules plus large a permis de
9
diminuer le nombre d’intervenant en contact direct avec les avionneurs, compensant au
niveau générale l’augmentation des coûts de coordination.
L’exemple de l’aéronautique civile a permit de montrer que l’efficacité d’une
architecture
produit
modulaire
s’accompagne
d’une
architecture
organisationnelle.
Cependant, il est important de ne pas négliger la variable stratégique. Il ne faut pas perdre
de vue qu’au delà de l’efficacité économique d’une structure productive, il existe des acteurs
qui sont toujours en rivalité. Or, la mise en place d’une organisation modulaire, modifie
complètement le rapport de force qu’entretiennent les acteurs au sein de l’industrie.
2. Les implications de la modularité pour l’aéronautique
L’établissement d’une architecture modulaire et son renforcement au niveau
organisationnel a permit une spécialisation accrue des acteurs. Dorénavant, la production
d’un avion se répartie sur un large ensemble de firmes spécialisés. Cette logique permet aux
avionneurs d’accéder et d’intégrer des technologies de plus en plus complexe au processus
de production.
L’efficacité économique d’une organisation modulaire repose sur le principe de
substituabilité des acteurs au sein du processus de production. Cependant, l’externalisation
des activités modifie le poids et surtout l’influence des fournisseurs dans l’industrie. Les
avionneurs voient leur importance diminuer au détriment de leurs partenaires qui sont de
moins en moins substituable. L’architecte est confronté à une double concurrence d’origine
horizontale mais aussi verticale.
2.1.
Les incidences sur la concurrence horizontale
Jusqu’à présent les travaux de recherche se sont essentiellement concentrés sur la
concurrence qui s’exerce au niveau produit final (système) entre Boeing et Airbus. Cette
vision repose sur le fait que l’avion est fortement intégré (homogène). La concurrence au
niveau des éléments qui compose le produit n’a pas d’intérêt. Le passage à une structure
modulaire conduit à distinguer les différents éléments qui composent l’avion. La codification
des interfaces permet normalement de limiter les interdépendances existant entre les sous
ensembles. Dès lors des acteurs autonomes et indépendants peuvent produire les sous
ensembles sans se soucier des problèmes de coordination et d’assemblage. A partir de là,
les sous ensembles qui composent l’avion peuvent être dégagés de leur participation au
produit. Une structure concurrentielle peut être mis en place à l’intérieur du produit et qui est
commun à tous les acteurs.
10
Ce cas peut être présenté dans la figure 1 (ci-dessous). Afin de
simplifier la
compréhension on considère que l’avion est constitué de deux éléments : le module A et B.
Ces modules sont distincts et reliés par une interface préalablement définie par les
architectes, Airbus ou Boeing. Les interfaces permettent à plusieurs fournisseurs de produire
des modules ayant la même fonction (sur système avioniques on peut distinguer :
Honeywell, Rockwell Collins, Thales, Goodrich, etc.). A chaque nouveau programme, Airbus
et Boeing mettent en concurrence les différents acteurs capables de réaliser les modules. La
spécialisation des activités permise par la décomposition du processus productif facilite
l’entrée des entreprises (des rangs inférieurs ou d’entreprises qui n’appartiennent pas à
l’aéronautique). Dès lors, une entreprise (fournisseur 5 dans le Figure 1) qui maîtrise les
compétences nécessaire à la fabrication du module A peut venir concurrencer les
entreprises déjà en place. En effet, l’abaissement des barrières technologiques peut inciter
de nouveaux acteurs à entrer sur le marché des modules à moindre frais.
Clients
Boeing
Module A
Fournisseur 1
Fournisseur 2
Airbus
Module B
Fournisseur 3
Fournisseur 4
Fournisseur 5
Figure1 : le renforcement de la concurrence intra module
Dans un deuxième temps, face à un architecte se cantonnant strictement dans son
rôle, certains fournisseurs ou systémiers peuvent être incités à acquérir des compétences en
termes de coordination et à rivaliser avec l’architecte. Il s’agit alors d’une concurrence
horizontale, car elle porte sur l’activité finale réalisée par Airbus et Boeing (Figure 2
ci-après). Les barrières à l’entrée constituée par des compétences technologiques sont
abaissées grâce à la présence de firmes capable de fournir les savoirs techniques
nécessaires à la réalisation du produit. De façon imagée, le nouvel entrant n’a plus qu’à « se
11
servir » dans les modules déjà présent et à les combiner afin de fournir un produit qui
correspond à la demande du client.
Clients
Boeing
Entreprise X
Module A
Fournisseur 1
Fournisseur 2
Airbus
Module B
Fournisseur 3
Fournisseur 4
Figure 2 : L’entré d’une firme sur le marché final
Cette concurrence peut être le fait de firme déjà présente dans l’architecture ou sur
des marchés proches. Ainsi, certains fournisseurs japonais de Boeing ont manifesté leur
intention d’entrer sur le marché des appareils à faible capacité (moins de 100 places). Le
même phénomène s’observe avec Bombardier qui a décidé de monter sur le marché des
appareils de plus de 100 places avec son Cseries qui vient concurrencer l’A318 et le B737300 (et l’ancien B717).
Nous avons montré que le fonctionnement ouvert d’une architecture modulaire est
favorable pour la concurrence et plus particulièrement pour le client final. Cependant, la mise
en place d’une architecture modulaire ouverte expose au risque de voir certains acteurs
« reprivatiser » à leur bénéfice cette architecture.
2.2.
Les incidences sur la concurrence verticale.
La forte concurrence et les stratégies multi-clients peuvent conduire à des
mouvements de concentration pour la fourniture d’un module et favoriser la formation
d’oligopoles au niveau des modules. Cette concentration découle de accroissement des
coûts et responsabilités supportées par les fournisseurs et qui est consécutive à l’adoption
de la modularité. En effet, les fournisseurs qui veulent rester au premier rang doivent prendre
en charge les actifs de production ainsi que les coûts de développements et de test. Au
regard de la taille mais aussi des capacités financières plus importantes, il n’est pas
12
impossible d’imaginer qu’un fournisseur puisse chercher à étendre son pouvoir à l’ensemble
de l’architecture.
2.2.1. Situation de monopole sur la fourniture d’un module
L’entreprise leader sur un sous ensemble peut en effet choisir de se rendre
propriétaire de l’architecture contenant son produit. Elle refuse dans ce cas de se conformer
aux interfaces standardisées et met en place des interfaces spécifiques entre son produit et
le reste des sous-ensembles. La stratégie consiste alors à profiter d’une position dominante
acquise au sein d’une concurrence intra module pour imposer une concurrence inter module.
La réussite d’un tel comportement repose sur la capacité d’attractivité du sous-ensemble
maîtrisé par la firme, qui doit être suffisante pour persuader les producteurs de modules
complémentaires de se conformer aux nouvelles interfaces privées. Bien évidemment cette
stratégie n’est possible que pour une entreprise qui parvient (par innovation) à détenir un
actif incontournable au sein d’une architecture unique puisqu’elle se retrouve en position de
monopole (Figure 3); ce qui lui permet de contrôler indirectement l’architecture et son
évolution en orientant l’innovation dans la direction qui lui est favorable.
Clients
Boeing
Module A
Airbus
Module B
Fournisseur 1
Fournisseur 3
Fournisseur 4
Figure 3 : Le monopole d’une entreprise sur la fourniture d’un module.
Une deuxième solution plus réaliste dans le milieu aéronautique, consiste à contester
le partage de la rente qui est issue de la coopération industrielle, entre les différentes parties
prenantes au produit. En effet, la position centrale de l’architecte lui garantit a priori un
certain contrôle sur cette rente. Cependant, la nécessité où il se trouve de coopérer
transforme les systémiers en interlocuteurs incontournables en vue de la réalisation de la
rente (schéma 3 le fournisseur 1 est incontournable pour la réalisation du produit). Par
13
conséquent, ces derniers sont en mesure d’exiger un partage qui leur soit plus favorable,
puisqu’ils sont désormais des parties prenantes du processus de conception et de
développement. Dans ce cas, la fragilisation de la position concurrentielle du grand
constructeur ne vient pas d’une contestation de son rôle d’architecte mais d’une contestation
verticale du partage de cette rente. A titre d’exemple, Hamilton Sundstrand7 s’est trouvé être
le seul fournisseur du système RAT8. Sa position centrale sur la fourniture de ce système a
renforcé son pouvoir de négociation sur Airbus et Boeing.
En outre, si la concurrence vient à se renforcer sur le marché final. Le pouvoir de
négociation et la contestation du partage de la rente sont beaucoup plus importants de la
part des producteurs de module. En effet, ayant plus facilement accès au marché final, à
cause de présence de plusieurs assembleurs/clients. Les fournisseurs sont alors en mesure
de peser plus fortement sur la négociation.
2.2.2. Une concentration conglomérale sur la fourniture de module :
Une entreprise ayant acquis une domination sur un sous-ensemble peut être tentée
d’accroître son pouvoir de marché au sein de l’architecture en produisant d’autres sousensembles qu’elle relie par des interfaces privées (figure 4 ci-après). De manière concrète
cela consiste pour une entreprise à développer des activités sur des marchés annexes soit
en interne soit par le rachat d’entreprises présentent sur ces marchés. Cette stratégie de
« remodularisation » revient à contourner la logique d’une structure modulaire, en
neutralisant la concurrence sur un sous-ensemble par l’utilisation d’un pouvoir de marché
complémentaire. Cette stratégie, qualifiée « d’umbundling »9, n’est bénéfique pour
l’entreprise que si les concurrents sont incapables de fournir un ensemble similaire. Par
conséquent, elle peut permettre à l’entreprise de disposer d’un pouvoir de négociation accru
vis-à-vis de l’architecte. Elle peut alors conditionner la vente de son module à la vente de
module complémentaire. Dès lors, elle se sert de son module « incontournable » (basé sur
des critères technologies, commerciaux,…) pour vendre des modules complémentaires
moins performants et ainsi éliminer la concurrence sur des marchés annexes.
7
Aujourd’hui cette technologie est également proposée par Honeywell.
« Emergency ram air turbine » Cette turbine fournit l’énergie nécessaire en cas de panne générale.
Elle permet de faire fonctionner les commandes vitales de l’appareil.
9
Vente liée.
8
14
Clients
Boeing
Airbus
Fournisseur (2+3)
Module A
Fournisseur 1
Fournisseur 2
Module B
Fournisseur 3
Fournisseur 4
Figure 4 : Concentration sur la fourniture de module
Ce risque a été soulevé par la commission européenne lors de la fusion entre
General Electric et Honeywell (3 juillet 2001). Honeywell fabrique des produits avionique et
non avioniques, et GE réalise des systèmes de contrôle de moteurs et développe des
activité de financement et crédit-bail dans l’aéronautique. Le refus de la commission vient du
fait que GE/Honeywell peuvent grâce à cette fusion fournir des systèmes intégrés (ne
permettant plus de différencier les modules) à prix réduit et surtout que le panel des produits
proposés ne permettent pas aux concurrents de proposer des offres similaires. Cette
situation aurait renforcer le pouvoir de la nouvelle entité formée par la fusion GE/Honeywell
au dépend des autres concurrents mais aussi des avionneurs.
Cependant, l’étude de la concurrence n’est pas indépendante de l’évolution du
processus de production. Les changements constants du processus productif orchestré par
les avionneurs obligent les fournisseurs de module à revoir constamment le périmètre de
leurs activités. Ainsi, GE en 2006 a fusionné avec Smiths Aerospace10 pour mieux intégrer
les composants électroniques et électriques à l’intérieur des modules.
10
Fournisseur de système pour les avionneurs et les fabricants de moteurs. Les activités de Smiths
Aerospace sont proches de celles de Honeywell.
15
2.2.3. Maîtrise amont et aval du processus de production:
La décomposition de la structure productive permet à certains acteurs de se
positionner à plusieurs niveaux de la chaîne productive. Dans une organisation modulaire,
l’architecte est le seul à être en relation avec le client final. Le fait que seul l’architecte
médiatise le produit ne permet pas au fournisseur d’accéder directement au marché final.
Les actions des fournisseurs sont alors largement dépendantes de la stratégie des
architectes. La modularité productive permet de court-circuiter cette hiérarchie (figure 5 cidessous). Une entreprise positionnée en amont de l’architecte (fournisseur 4), peut chercher
à se positionner en aval de l’architecte (symbolisé par la grande flèche dans la figure 5),
dans le cas présent cela peut être réalisé en proposant directement au client des activités de
service (maintenance, réparation, financement, leasing, etc.). Cette stratégie permet à un
fournisseur de contourner le pouvoir de l’architecte et par conséquent de renforcer sa
position sur le marché des modules.
Clients
Boeing
Module A
Fournisseur 1
Fournisseur 2
Airbus
Module B
Fournisseur 3
Fournisseur 4
Figure 5: Maîtrise d’une activité aval d’un fournisseur de module.
Conclusion
L’industrie aéronautique doit faire face à deux principaux défis. Le premier se situe au
niveau organisationnel. En effet, l’intégration de fonctionnalités et de technologies nouvelles
nécessite la maîtrise de compétences toujours plus nombreuses et diverses afin de réaliser
le produit. L’incapacité des principaux avionneurs à maîtriser l’ensemble des activités
nécessaires à la réalisation d’un avion les oblige à se repositionner en amont (conception
générale) et en aval (assemblage et vente) du processus de production. Cependant, cette
16
stratégie, qui se matérialise par l’externalisation des activités de conception et de production
de modules, ne résout pas tous les problèmes rencontrés par Boeing et Airbus. Ainsi, Boeing
a été contraint d’acquérir en plein programme une partie de la société Global Aeronautica
(co-entreprise entre Alenia Aeronautica (50%) et Vought Aircraft Industries (50%)) qui réalise
le pré assemblage d’une partie du fuselage du 787, et ceci afin de reprendre la main sur la
gestion de la chaîne de fournisseurs. De son coté, Airbus a également subit des retards sur
l’A380 principalement liés à des problèmes coordination techniques entre le site de
production allemand (Hambourg) et le site d’assemblage français (Toulouse). L’utilisation de
logiciels différents entre les deux sites a obligé Airbus, lors de l’assemblage, à « câbler » les
différents tronçons de l’avion à la main11, en raison des nombreuses modifications de
configuration demandé par les clients. Ces problèmes mettent en avant la nécessité de
repenser et de recréer de nouveaux outils organisationnels essentiels à la coordination des
activités internes à l’entreprise (qui passe en partie par l’homogénéisation des outils et
méthodes de travail), mais aussi externes à l’entreprise (mise en avant par le projet
VIVACE12 de l’Union Européenne). Par conséquence, la complexité croissante de l’avion,
liée à l’externalisation mais également aux évolutions hétérogènes des technologies, impose
plus que jamais aux avionneurs de coordonner l’ensemble des activités du processus de
production.
Le second défi, qui n’est pas indépendant du premier, concerne les enjeux
concurrentiels. En effet, la mise en place d’une organisation modulaire, qui consiste à
répartir les activités sur un grand nombre d’acteurs indépendants, modifie considérablement
les différents rapports de force existant au sein de l’industrie aéronautique. L’externalisation
des activités engendrée par la modularité a permis aux donneurs d’ordre de reporter une
partie des investissements, mais également des risques liés à un programme, sur les
fournisseurs et les sous-traitants. Cette stratégie a cependant considérablement fragilisé leur
position au bénéfice de grands « sous traitants » mondiaux, seuls capables d’assumer les
investissements et les risques, qui sont parfois aussi important que les avionneurs13. En
effet, les avionneurs se voient d’une part contester le partage de la valeur ajoutée qui
découle de la collaboration, mais aussi concurrencer du fait de la baisse des barrières
technologiques facilitant l’entrée sur le marché final. Cette situation concurrentiel peut
11
12
Ce problème se retrouve également sur l’avion militaire A400M.
“Value Improvement through a Virtual Aeronautical Collaborative Enterprise”. Un des objectifs de ce
projet étant de faciliter la collaboration d’entreprises autour d’un programme grâce à la création
d’une entité provisoire permettant à “un système d’entreprise ayant des systèmes d’information
hétérogènes de travailler ensemble tout en gardant pour chacune son patrimoine, ses procédés,
ses méthodes, ses outils…. » (Musquère, 2007).
13
Par exemple, Honeywell a un chiffre d’affaire d’environ 31 milliards de dollar (2006) proche de celui
d’Eads (environ 39 milliards d’euro en 2006). La société General Electric, quand à elle, est
largement supérieure à EADS avec environ 172 milliards de dollar de chiffre d’affaire.
17
évidemment nuire dans le temps à la nature des relations collaboratives mises en place afin
d’élaborer le produit.
La compréhension des transformations récentes de l’industrie aéronautique doit
prendre en compte de manière simultanée les considérations productives, mais aussi les
considérations concurrentielles. En effet, la stratégie d’externalisation n’est tenable que si les
avionneurs sont « capables » de cordonner dans le temps les évolutions du processus de
production fragmenté entre des acteurs ayant des objectifs divergents.
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