Un statut et une profession reconnue
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Un statut et une profession reconnue
8 SUDPRESSE LUNDI 22 AVRIL 2013 ARRONDISSEMENT DE LIÈGE – SOCIÉTÉ Enquête dans le milieu de la prostitution liégeoise Christie Morréale (PS) est allée à la rencontre des prostituées pendant plusieurs mois Alors que le débat sur la création d’un Eros Centers à Liège est au point mort, l’ex-sénatrice esneutoise Christie Morréale vient de se plonger pendant plusieurs mois dans l’univers de la prostitution liégeoise. Ses conclusions : toutes les personnes prostituées ne sont pas des femmes en séjour illégal, exploitées par un proxénète, toxicomanes, qui travaillent au noir et sont heureuses de ne payer aucun impôt sur leur fortune colossale. Un statut officiel et un Eros Center permettraient sans aucun doute de freiner, sinon d’éradiquer, les côtés pervers de ce métier qui reste le plus vieux du monde… l NEWS l’iceberg, explique-t-elle, mais il y a aussi tout le reste. La prostitution, c’est en effet un même terme pour beaucoup de réalités qui sont toutes différentes. Il y a en effet la prostitution de rue, les vitrines, mais aussi les salons de massage ou les bars à champagne, qui se dissimulent parfois dans de superbes maisons de maître. Souvent, il est même impossible de savoir, si on n’est pas initié, que des femmes se prostituent derrière ces murs. » Et le profil de ces « personnes prostituées », comme Christie Morréale appelle maintenant toutes ces dames, est lui aussi fonction de la manière dont elles travaillent. « Dans les rues, il s’agit souvent de femmes qui sont précarisées et toxicomanes. En vitrines et Qu’on le veuille ou non, la prosti- dans les salons, on peut par contre tution existe et existera sans rencontrer des femmes beaucoup doute toujours. Certains choi- plus instruites, qui ont choisi cette sissent de la dissimuler au fond vie en connaissance de cause. » de sombres impasses, d’autres Pas question toutefois de dissimupréféreraient la ler une réalité centraliser qui est parfois dans des lieux moins heu« officiels », reuse. La traite comme les Eros des êtres huCenters en promains, le jet à Liège et à proxénétisme, Seraing. Mais le « l’exploitation débat fait rage locative » entre les parti(louer à des tasans de ce prorifs prohibitifs jet destiné à endes vitrines) cadrer – et existent bel et donc à sécuriEt conti« LA PROSTITUTION, bien. ser – le milieu nueront à exisC’EST UN TERME QUI ter si aucune de la prostitution et ceux qui RECOUVRE BEAUCOUP mesure n’est voient dans ces prise. Pour RÉALITÉS » Eros Centers du DEChristie Christie MorMorréale, EX-SÉNATRICE PS « proxénétisme réale, cette sopublic », encoulution, c’est rageant ce « fléau moral » qu’est l’Eros Center : « Il est faux de dire la prostitution. que la création d’un tel centre enChristie Morréale, l’ex-sénatrice couragerait la prostitution. La prosPS esneutoise, a décidé de s’im- titution existera toujours et l’intermerger dans cet univers souvent dire n’amènerait qu’à une précariméconnu du grand public. sation accrue des prostituées. Un « Parce que beaucoup discutent de Eros Center permettrait par contre la prostitution, mais en restant d’éviter toute une série d’exploitadans une vision moralisatrice, sans tions. La traite des êtres humains avoir discuté avec ces femmes de la serait beaucoup plus difficile, les réalité qu’elles vivent au quoti- loyers seraient fixes, les conditions dien. » Elle a donc passé plusieurs d’hygiène et de sécurité seraient asmois à rencontrer les premières surées… » intéressées, pour dresser un por- Certes, l’Eros Center ne résoutrait de ces femmes qui s’ex- drait pas tous les problèmes, posent en vitrines dans les rues mais il permettrait au moins de de Marnix à Seraing ou Varin à remettre dans le circuit officiel Liège, ou qui vendent leur corps un grand nombre de ces dames, sur les trottoirs du quartier Ca- qui ne demandent manifestethédrale à Liège. Un portrait ment que ça… l contrasté : « Il y a le côté visible de GEOFFREY WOLFF l INFOGRAPHIE SUDPRESSE VRAI OU FAUX ? EXPLOITATION TOXICOMANIE STATUT SOCIAL EMPLOI ELLES SONT TOUTES VICTIMES DE TRAITE DES ÊTRES HUMAINS : C’EST FAUX ELLES SONT TOUTES TOXICOMANES ET PAS TRÈS INSTRUITES : C’EST FAUX ELLES TRAVAILLENT TOUTES AU NOIR ET EN SONT RAVIES : VRAI ET FAUX LA PROSTITUTION N’EST PAS UN MÉTIER COMME LES AUTRES : VRAI « Il faut sortir du cliché selon lequel toutes les personnes prostituées sont victimes de proxénètes dont elles dépendent, estime Christie Morréale. C’est vrai pour certaines, qui peuvent effectivement avoir été victimes d’une filière de traite des êtres humains et se trouver en plus en séjour illégal, mais d’autres travaillent pour elles et ont fait ce choix en connaissance de cause. C’était le cas notamment d’une dame de 60 ans, qui vivait ce métier avec beaucoup de détachement depuis des années. Elle attendait le client en tricotant, avec son petit chien à côté d’elle. » « C’est le cas très souvent pour les filles actives dans la prostitution de rue. Celles-là travaillent essentiellement pour avoir de quoi se payer leur dose. Mais d’autres, qui travaillent en vitrine ou dans un salon, ont un profil tout à fait différent : elles ne se droguent pas et sont beaucoup plus instruites. J’ai ainsi rencontré une dame qui a travaillé très longtemps comme infirmière à la Citadelle. Elle a décidé d’essayer la prostitution quand une amie à elle a acheté un salon. Et ça fait maintenant près de dix ans qu’elle fait ça. Elle préfère ça aux nuits passées à l’hôpital. » « Leur statut, c’est le vrai problème. Certaines sont indépendantes, mais elles sont peu nombreuses, notamment parce qu’il leur faut alors un diplôme de gestion. Elles peuvent en « louer » un, mais ça se paie évidemment. Quelques-unes sont salariées en tant que masseuses ou qu’esthéticiennes, mais c’est anecdotique, car le risque existe alors que leur employeur soit poursuivi pour proxénétisme. La plupart travaillent donc sans statut, mais parce qu’elles n’ont pas le choix. Elles n’ont en effet alors aucune protection sociale. J’ai rencontré une d’entre elles qui avait travaillé jusqu’à 7 mois de grossesse… » Ce n’est pas un métier comme un autre : VRAI Pour certains, la prostitution est un métier comme un autre. Christie Morréale apporte quand même un bémol à cette affirmation. « Non, ce n’est pas un métier comme un autre. Je vois mal un jour le Forem proposer à une chômeuse un emploi en tant que prostituée, ou offrir des formations dans ce domaine. Mais ça reste une profession quand même, qu’il faudrait encadrer, mais avec des règles particulières, plus adaptées à leur situation. » C’est d’ailleurs tout l’enjeu de l’enquête réalisée par Christie Morréale : offrir un statut à toutes ces dames, et ainsi éviter leur clandestinité. LEURS REVENDICATIONS Un statut et une profession reconnue Hier, le PS a annoncé lors de son congrès la création d’un groupe de travail chargé de se pencher sur le cas des prostituées. Christie Morréale et ses futurs collègues se baseront snotamment sur les revendications des prostituées, suite aux difficultés qu’elles rencontrent quotidiennement. « Elles évoquent surtout l’inadaptation de leur statut, explique Christie Morréale. Pour être indé- pendantes, il leur faut un diplôme de gestion, ce qui est inconcevable. En outre, les cotisations sociales sont inadaptées à leur situation. Il faudrait en effet peut-être envisager des cotisations dégres- sives, vu que, plus elles vieillissent, moins elles gagnent d’argent. » L’autre problème soulevé par ces dames, c’est le retour de manivelle lorsqu’elles régularisent leur situation. « Certaines d’entre elles bénéficient d’allocations sociales alors qu’elles se prostituent. Quand elles veulent régulariser leur situation, elles s’exposent donc à une amende considérable. Une d’entre elles a ainsi dû repayer 30.000 euros, ce qui en fait maintenant réfléchir plus d’une. Il faudrait donc peut-être envisager une espèce d’amnistie fiscale dont pourraient bénéficier les personnes prostituées qui voudraient officialiser leur situation. Et elles paieraient ensuite leurs impôts, comme tout le monde. C’est vrai qu’aujourd’hui, certaines sont bien contentes de ne pas en payer, mais beaucoup préféreraient le faire et bénéficier en contrepartie d’une sécurité sociale. On l’a vu avec les aide-ménagères. Avant, elles travaillaient toutes en noir et aujourd’hui, elles sont heureuses d’avoir une situation légale. » Des avancées qui, si elles devaient être concrétisées un jour, n’auraient que des avantages, estime Christie Morréale : « Elles seraient rassurées par ce statut, qui les protégerait. Elles ne seraient donc plus contraintes d’avoir un proxénète, parce qu’elles auraient enfin des droits et pourraient les faire valoir légalement. Ce qui, inévitablement, ferait reculer la traite des êtres humains et l’exploitation des prostituées. » l G.W. 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