Qualité et sécurité ferroviaire :de la sécurité à la fiabilité

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Qualité et sécurité ferroviaire :de la sécurité à la fiabilité
Mi-parcours du Predit 4 : le Carrefour de la recherche et de l’innovation dans les transports terrestres
Qualité et sécurité ferroviaire :
de la sécurité à la fiabilité
Président : René Amalberti, Conseiller santé MACSF, président du groupe opérationnel du Prédit
« Qualité et sécurité des systèmes de transport » - GO2
Patrice Aknin, Ifsttar
Fabien Santos, SNCF
Etienne Côme, Ifsttar
Frédéric Heer, Eolane
Marion Berbineau, Ifsttar
.I
Introduction – Patrice Aknin
Si les enjeux de la qualité et de la sécurité sont les mêmes pour tous les modes de
transports, les spécificités des modes guidés – infrastructures dédiées, problématiques
d’interopérabilité et cadre réglementaire européen – contraignent l’évolution du transport
ferroviaire.
Dans ce secteur des transports, la recherche s’axe principalement, en termes de qualité et
de sécurité, autour d’un service plus confortable, plus sûr et moins cher à exploiter et
d’une maintenance/surveillance des emprises et des mobiles plus performante parce que
prévisionnelle. Ces travaux nécessitent tous d’instrumenter les équipements, de collecter
des informations et, champ nouveau dans le métier du rail, d’analyser et de traiter ces
données. Les trois projets présentés illustrent parfaitement ces problématiques d’enjeux et
de solutions.
.II
Présentations
.1 DIAGHIST : Méthode de diagnostic prévisionnel de la performance des circuits
de voies des Lignes à Grande Vitesse – Fabien Santos et Etienne Côme
La recherche s’inscrit dans le contexte de libéralisation européenne du sillon ferré, qui
conduit la SNCF à remplacer la maintenance préventive par une maintenance
prévisionnelle. Son objectif était de mettre au point un d’outil de diagnostic précis de la
défaillance de l’infrastructure ferroviaire (détection, identification et localisation du défaut)
qui prenne en compte les dépendances spatiales (étendue du réseau) et temporelles
(variation de l’état des composants au cours du temps). Le cas retenu pour l’étude a été
celui du circuit de voie (cdv), système de détection de présence par propagation d’un
signal électrique qui permet d’assurer l’espacement des trains. Il constitue ainsi un
élément essentiel de la sécurité ferroviaire, de la régularité et de la fluidité de la circulation
et de fiabilité des installations. Sa surveillance et sa maintenance sont donc une donnée
essentielle de la performance de ce mode de transport. Sur le réseau à grande vitesse,
long de 3 000 km, où les cdv sont très longs, le signal est amplifié par une série de
condensateurs à raison d’un composant tous les 60 mètres. La surveillance est assurée
par la rame de mesure à grande vitesse, IRIS, qui circule 7j/7, 24h/24 et inspecte
l’intégralité du réseau en 15 jours.
Jusqu’à ce jour, l’analyse des signaux de mesure transmis par IRIS est effectuée à dire
d’experts. La volonté de la SNCF de renforcer le diagnostic précoce pour éviter les arrêts
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de circulation et limiter les coûts de maintenance a conduit à cette recherche de solution
automatisée. La problématique scientifique émergeant de cette application industrielle a
été d’établir le diagnostic automatique d’un système multi-composants dans lequel le
signal permettant d’établir ledit diagnostic mélange l’influence de tous les sous-systèmes
et d’un certain nombre de variables. Pour modéliser au mieux le comportement de ces
circuits de voies, le modèle statistique retenu, qui permet de décomposer une information
de ce type autour de chaque sous-système, a été enrichi des particularités
supplémentaires de ce système et l’ensemble des dégradations types des sous-systèmes
a fait l’objet d’une labellisation par les experts de la SNCF. Enfin, le modèle élaboré a
également pris en compte la complexité de l’expertise humaine face à ce genre de
signaux : il autorise les experts à être à la fois imprécis en cas de doute sur l’état ou la
localisation d’un composant et de spécifier leur degré d’incertitude.
La plus-value apportée par cette synthèse et cette fusion des données scientifiques et à
dire d’experts contribue à faire de cet outil d’aide à la décision un instrument fiable et
opérationnel à même d’assister la SNCF dans la mise en œuvre d’une maintenance
prévisionnelle du réseau. Aujourd’hui, le modèle a été implémenté sur la chaîne de
mesure de la rame IRIS et le démonstrateur mis en production.
Si le réseau ferré n’appartient plus à la SNCF, RFF lui en a délégué la gestion. C’est à ce
titre que la société est responsable de la qualité de sa maintenance. Par ailleurs, si la
maintenance a toujours été un élément essentiel du système ferroviaire, le contexte
concurrentiel change la donne économique de cette mission puisque la captation du sillon
est désormais imputée dans le coût de maintenance du réseau.
.2 SURTRAIN : Système d’audio et vidéo-protection pour les transports en commun – Frédéric Heer
Le projet, terminé depuis presque un an, s’inscrit dans la continuité des travaux menés sur
les analyses audio et vidéo. Mais son objectif n’était pas tant de détecter des comportements perturbants survenant à bord de rames que d’offrir à la SNCF d’une part un outil
d’analyse qui lui permette d’identifier et de localiser les cas menaçants pour les passagers
ou l’intégrité des installations, et d’autre part un service continu entre la surveillance embarquée et la surveillance au sol. Cette solution de surveillance intelligente globale doit, in
fine, améliorer la sécurité des passagers et des infrastructures.
La stratégie adoptée a été de miser sur la complémentarité des analyses audio et vidéo,
de travailler sur la robustesse des algorithmes de détection et de développer tous les services associés afin de démontrer un service continu de surveillance active des rames.
L’analyse audio, exploitée à partir d’un réseau de capteurs audio, permet de détecter et de
caractériser une situation de crise ou le bruit d’une bombe aérosol, qui étaient les deux
cas concrets retenus, et de les localiser. Cette dernière fonctionnalité permet d’orienter le
choix de la caméra qui remonte l’information à distance et répond à la problématique ferroviaire d’économie de la bande passante. L’opérateur au sol, qui reçoit l’image de la scène,
détermine ensuite le sujet qu’il veut suivre et que le logiciel d’analyse vidéo prend en
charge par le biais du réseau de capteurs de caméras.
Une rame TER laboratoire en situation commerciale a été entièrement équipée de capteurs vidéo et audio et d’un réseau haut débit en inter-caisse et le réseau de transmission
externe déployé en exploitant les lignes de trains selon la technique du courant porteur.
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• Un an après, où en est le projet ?
Les résultats de cette solution innovante sont intéressants, mais le projet n’est pas suffisamment mûr pour entrer en phase de prescription industrielle. Des compléments doivent
être apportés, notamment sur l’algorithmie et sur l’élaboration de calculateurs économiquement viables capables de supporter cette algorithmie. Par ailleurs, si le marché
s’oriente vers ce type de surveillance, dite intelligente, l’heure n’est pas encore aux prescriptions.
.3 MOCAMIMDONYN : Modèles de canaux MIMO dynamiques en tunnels pour l’optimisation des systèmes de transmission multi-antennes sans fil pour des applications Transports publics – Marion Berbineau
Le projet, qui s’inscrit dans un contexte d’utilisation croissante des systèmes de transmission sans fil dans les transports publics, a pour but d’optimiser les systèmes Multiple Input/
Multiple Output (MIMO) en tunnel. Ces canaux multi-antennes sont en effet relativement
nouveaux et, s’ils sont en partie entrés dans les standards, ils ne fonctionnent pas ou pas
parfaitement dans certaines conditions. Or leurs applications dans les transports, en
termes de sécurité ou de sûreté, se développent très rapidement et sollicitent des débits
pouvant aller jusqu’à 200 mégabits par seconde.
Les axes de recherche du projet Mocamimdonyn portent sur la connaissance et la modélisation de l’environnement spécifique des tunnels (mode de propagation très spécifique
des ondes radio-électriques), le développement des algorithmes adaptés à la triple nécessité de débits élevés, de réduction des coûts (recherche de performance et diminution du
point d’accès radio) et d’exploitation optimisée des ressources spectrales, et ce dans le
cadre d’un taux d’erreur cible fixé par l’industriel.
Faute de sites ferroviaires disponibles ou de simulateurs, les essais ont d’abord été effectués par modélisation du canal de propagation, dans les configurations ferroviaires les
plus pénalisantes (présence d’un train, train masquant, section étroite du tunnel, etc.) et
avec utilisation des deux fréquences typiques (ISM). Une phase de modélisation dynamique est en cours, phase qui prend en compte toutes les positions d’émission/réception
et toutes les positions de trains pour mettre en œuvre des modèles de propagation pour
des chaînes de communication. De même, une phase de comparaison d’algorithmes a été
ouverte pour les deux applications attendues. La prochaine étape sera celle des essais en
site réel : ils seront d’abord effectués en tunnel routier et puis dans le métro de Barcelone.
En termes de retombées industrielles et économiques, les objectifs de ce projet sont de
développer pour les transports publics des techniques de transmissions robustes qui permettent de réduire le nombre de points d’accès radio, de disposer des traitements adaptatifs et des communications coopératives qui sont le futur des télécommunications. D’un
point de vue plus académique, cette recherche doit permettre de développer la connaissance des modèles de canaux MIMO-dynamiques.
• La simulation en zone réelle, a priori indispensable, semble bien difficile. Ce genre
de site ne pourrait-il pas faire l’objet de simulations ?
Les essais en réel portant sur le canal de propagation sont effectivement un point délicat
du projet dans la mesure où ils demandent des équipements très lourds, très précieux et
très chers et où les sites réels disponibles sont très difficiles à trouver. Tout chercheur
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travaillant sur ces sujets rêve de disposer d’un simulateur de tunnel et divers projets
envisagent la construction d’un « morceau » de tunnel.
• De tels simulateurs engendrent non seulement des coûts de construction, mais
également de fonctionnement qui posent la question de leur business plan
Si la virtualisation des essais est une solution, ce n’est toutefois qu’une solution approchée
et, faute d’accès facile à l’environnement ferroviaire réel, le simulateur reste indispensable
à la validation du modèle construit par la recherche. Cet aspect de la recherche,
chronophage et onéreux, est souvent mal analysé, mais cet investissement est
scientifiquement rentable, à défaut de l’être économiquement.
.III
Débat
La complémentarité entre recherche théorique et recherche plus
appliquée
Quelles problématiques et quelle attitude des opérateurs soulève la question de
l’accès aux données, aux infrastructures et aux véhicules dans le cadre d’un projet
de recherche ?
La problématique ferroviaire se situe précisément dans l’accessibilité aux données brutes,
et donc aux infrastructures et aux matériels en situation réelle. L’essai ferroviaire en réel
n’est en effet jamais anodin et toujours onéreux car les contraintes du système ferroviaire
sont multiples et fortes (techniques, organisationnelles, commerciales, légales, de
sécurité, etc.). D’où l’intérêt de disposer d’outils laboratoires dédiés comme la rame IRIS.
La définition de zones étalons ou de simulateurs peut également être envisagée. Mais
cette solution, qui ne pourra jamais simuler la diversité des environnements, ne sera qu’un
premier pas : la meilleure solution restera toujours celle de l’expérimentation en milieu
réel.
Quelle est la place de la simulation/modélisation dans cette recherche ferroviaire ?
La simulation/modélisation est indispensable dans la mesure où les recherches
nécessitent souvent d’être confrontées à des problématiques de situation dégradées ou
dangereuses difficilement reproductibles en réel. Seule la simulation/modélisation permet
cet accès à l’ensemble des configurations possibles dans toutes les circonstances. Les
bonnes méthodes sont celles qui associent les modèles et les retours sur données réelles.
La complémentarité de la modélisation/simulation et des données du terrain est un enjeu
très fort de la recherche ferroviaire. Ainsi, la modélisation/projection de la loi de défaillance
a-t-elle été un élément essentiel de la performance du système de surveillance des voies
ferrées élaboré par le projet Diaghist. Or, pour parvenir à ce modèle, de très nombreux
allers/retours d’étalonnage ont été nécessaires entre les équipes de recherche et les
experts terrain de la SNCF. Cette coopération exemplaire entre recherche, science et
industrie a permis de partager et d’enrichir les savoir-faire et ainsi de valoriser les 30 ans
d’expérience de la SNCF dans le domaine de la LGV. La France dispose désormais d’une
nouvelle longueur d’avance en matière de maintenance de ces réseaux. C’est un atout
qu’il conviendrait de valoriser dans le cadre développement mondial de la LGV.
L’un des enjeux et l’une des difficultés majeurs de la modélisation résident dans l’accès à
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des données brutes inscrites dans la profondeur du temps. La création des telles bases de
données est problématique : elle exige de la part des industriels de collecter, conserver,
mettre en qualité leurs informations. Leur exploitation exige des scientifiques de les
compléter pour pallier la censure que s’imposent les industriels, intégrer tous les cas non
observés par le terrain, notamment de dysfonctionnement complet, et prendre en compte
l’évolution des composants dans le temps. Le couplage des bases de données de
l’exploitation et de la maintenance représente également une difficulté non négligeable de
l’exploitation optimale de l’information.
Notons que le disque dur implémenté, support de stockage des données, est le maillon
faible de la chaîne de modélisation. Les équipes de recherche, qui n’ont pas la main sur
cet outil, ne connaissent en effet pas le taux de confiance que l’on peut accorder à un
disque dur soumis à rude épreuve en milieu ferroviaire, tant en termes de températures
que de chocs excessifs.
La modélisation 3D de l’environnement est un élément déterminant et une stratégie
désormais classique d’élaboration de solutions d’analyse vidéo. Elle permet d’adapter et
d’affiner les algorithmes qui permettront de détecter et de situer la personne ciblée en
prenant en compte toutes les situations d’occultation ou de mobilité.
Remarques de conclusion
Théorie et démonstration sont complémentaires et constituent le continuum indispensable
de la recherche. C’est un cercle vertueux qu’il n’est pas toujours facile de mettre en place
dans le milieu ferroviaire, mais qui doit néanmoins être construit.
À ce titre, il serait sans doute profitable de développer des fertilisations croisées entre les
métiers du transport routier, aérien et ferroviaire.
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