Régulation industrielle : le vin à bonne température, avant

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Régulation industrielle : le vin à bonne température, avant
Reportage
Vu
chez
Dubœuf
Solutions
REG UL AT I ON IN D US T R I E L L E
Le vin à bonne température,

C
onnu dans le monde entier,
Georges Dubœuf est ce que l’on
peut appeler un “industriel du
vin”. Après un démarrage modeste dans la région du Beaujolais, il a construit au fil des décennies un véritable empire
du négoce en vin, avec des fournisseurs désormais issus de nombreuses autres régions
viticoles. Ainsi figurent aujourd’hui dans ses
gammes des vins de Côtes du Rhône,
Bourgogne, Languedoc-Roussillon ou encore Jardin de la France (Val de Loire). La
société vend globalement 30 millions de cols
(ou bouteilles) chaque année, toutes appellations confondues.
De par son activité de négociant, Georges
Dubœuf cherche sans cesse à établir des partenariats avec de nouveaux viticulteurs partenaires, afin d’étoffer la gamme des vins
proposés. Mais il s’agit aussi de tirer vers le
haut les gammes existantes en élaborant de
nouvelles cuvées, et
cela passe par une
L’essentiel
maîtrise maximale de
tous les paramètres de
 Duboeuf a créé une cuverie
vinification. Pour cela,
pour vendre des vins de
le dirigeant a entrepris
propriétaire, et ainsi tirer vers
le haut sa gamme de
la construction d’une
produits
nouvelle cuverie, qui
est devenue opération Celle-ci est équipée
d’automates et de régulanelle en 2002. Cette
teurs Omron, qui a dévecuverie installée à
loppé des solutions
Lancié, dans le Rhône,
spécialement étudiées pour
est d’une taille impresle marché viticole
sionnante, avec une
 Les régulateurs sont
capacité de pas moins
capables de passer d’un
de 20 000 hectolitres
mode de régulation “chaud”
(hl) répartis en 52
à un mode “froid”
cuves de vinification et
 A2E, intégrateur basé à Dôle
98 cuves de stockage.
(39), a développé une
Un dimensionnement
application de supervision
en rapport avec les vospécifique
lumes traités : en pé-
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La maison Dubœuf est sans conteste “le” poids lourd de l’industrie vinicole du
Beaujolais. Son propriétaire, Georges Dubœuf, s’est lancé en 2002 dans la construction d’une nouvelle cuverie, afin de diversifier davantage son activité et proposer des vins avec une production maîtrisée d’un bout à l’autre de la chaîne.
Omron, fabricant japonais d’automatismes, a été associé au développement de
cette cuverie au travers de sa gamme de régulateurs spécialement adaptés au
marché vinicole.
La cuverie compte près d’une centaine de cuves de stockage telles que celles-ci.
riode de vendanges, ce sont plus de 120 tonnes de raisins qui franchissent chaque jour
les portes de la cuverie. Malgré tout, la production de cette cuverie reste fortement
marginale au regard des activités de négoce
et d’assemblage, et elle ne représente que 5 %
des ventes du groupe Dubœuf.
Pour mener à bien les travaux de construction du centre de vinification, Georges Dubœuf
fait appel à un cabinet d’architecte local, et
celui-ci délègue à différents intégrateurs
toute la partie technique (cuves et tuyauterie, pressurage et contrôles de température).
Les consignes sont claires, et conformes à
l’esprit de la maison Dubœuf : il s’agit d’obtenir la maîtrise la plus complète possible du
goût et de la qualité des vins, en utilisant tous
les moyens techniques disponibles. Il faut
donc que la nouvelle cuverie embarque tou-
tes les technologies modernes pour surveiller
le processus de vinification. Un intégrateur
spécialisé dans la climatisation industrielle
obtient le marché de la gestion du chaud et
du froid dans la cuverie. Il conçoit et dimen-
Les régulateurs Omron E5CN sont regroupés par tableaux et positionnés au pied des cuves.
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Ci-dessus : Le principe de régulation permet d’alimenter les cuves avec de l’eau chaude pour activer la fermentation malo-lactique.
A gauche : deux vues d’écran du����������
logiciel de supervision : une vue d’ensemble de la cuverie ainsi qu’une des pages de contrôle des températures.
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les automates et les machines spécifiques,
pour avoir travaillé avec des grands noms de
l’industrie agroalimentaire comme la
Fromagerie Bel (“Apéricube” et “Vache qui
rit”).
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sionne les chaudières et toute la tuyauterie
associée, puis recherche une solution de régulation capable de répondre aux exigences
de l’industrie vinicole. Le groupe japonais
Omron, un des géants de l’automatisme et de
la régulation, s’empresse de mettre en avant
sa gamme de régulateurs vinicoles et remporte le marché. L’intégrateur, qui n’est pas
spécialisé dans l’installation de ce type de
matériel, confie cette tâche à A2E. La petite
structure jurassienne de 7 personnes connaît
La mise en place d’une double
régulation chaud / froid
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Les régulateurs E5CN d’Omron Electronics sont
choisis car ils sont capables de piloter deux
sorties différentes, et donc de basculer rapidement entre un mode de régulation
“chaud” et un mode de régulation “froid”.
En effet, pour atteindre une consigne donnée, les modes de commande sont totalement différents si l’action du régulateur est
d’injecter du froid dans le circuit ou du
La maison Duboeuf
La maison Duboeuf, créée en 1964, est aujourd’hui reconnue comme l’un des
principaux “négociants éleveurs” français et l’un des plus grands exportateurs. Le
mérite en revient à Georges Duboeuf, propriétaire et fondateur de la société, et à sa
volonté de créer des vins adaptés à chaque marché. Il est connu du grand public
pour son Beaujolais Nouveau, sa vaste gamme de vins relativement “faciles à boire”,
mais aussi pour avoir “recréé” le métier d’assembleur, en étant un des premiers à
instaurer des processus à la technicité très importante. Le fonctionnement d’un
“négociant éleveur” est le suivant : les viticulteurs partenaires livrent leur récolte ou
leurs vins chez Dubœuf où ceux-ci sont goûtés, analysés, élevés et enfin assemblés
en fonction de la demande des clients. Les assemblages entre plusieurs viticulteurs,
plusieurs parcelles (zones de vignes délimitées), plusieurs cépages (types de raisins)
et plusieurs millésimes (années de récolte) sont tous faits à la maison mère de
Romanèche-Thorins (71).
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chaud. C’est ce qui rend ces régulateurs
adaptés au marché vinicole, car au cours des
différentes fermentations, on a besoin tantôt
de refroidir, tantôt de réchauffer les cuves.
Pour cela, on utilise un circuit d’eau à 7 °C
(pour refroidir) et un circuit à 43 °C (pour
réchauffer). François Lefebvre, chef de produits Composants chez Omron Electronics
France, précise que « les régulateurs installés sont
également capables de passer de l’un à l’autre de ces
modes de commande de manière autonome, dans un
mode spécial appelé “régulation chaud-froid” ». En
pratique, le déploiement d’une telle solution
est mis en œuvre en prévoyant deux circuits
indépendants, ce qui impose d’équiper chaque cuve de deux conduites, une pour l’eau
chaude, une pour l’eau froide. Pourtant, ce
n’est pas cette solution qui a été retenue dans
l’application de Duboeuf. Joël Ellien, directeur
de A2E, en explique la raison : « Cette solution
était à priori onéreuse et encombrante, d’autant que
l’installation comporte déjà pas mal de tuyauteries
(pour acheminer le vin). Alors nous nous sommes
posés la question de la pertinence de cette solution ».
Denis Lapalu, responsable du centre de vinification du site de Lancié, apporte la réponse :
« Le processus de vinification suit toujours le même
rythme pendant les vendanges et l’élevage. Ce processus est essentiellement constitué de fermentations,
qui sont des réactions chimiques exothermiques (qui
dégagent de la chaleur). Donc il s’agit de refroidir
les cuves la plupart du temps. Nous n’avons besoin
de réchauffer toutes les cuves qu’une fois par an, pour
activer la seconde fermentation, appelée fermentation
malo-lactique. La première fermentation devant ➜
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Le processus de vinification
A la fin des vendanges, les raisins sont passés en
cuves et doivent passer par deux étapes
essentielles avant l’obtention d’un vin : la
fermentation alcoolique et la fermentation malolactique. Toutes deux sont réalisées par des
micro-organismes (levures et bactéries) déjà
présents dans les raisins lorsqu’ils sont cueillis.
La fermentation alcoolique consiste à transformer le sucre des fruits en alcool (ou plus
exactement le glucose en éthanol). Elle est
réalisée par des levures naturellement présentes
sur la pellicule du raisin, mais des levures
sélectionnées peuvent être ajoutées si elles sont
en nombre insuffisant dans la récolte. Cette
première étape dure une dizaine de jours
environ, et s’arrête d’elle-même une fois que
l’alcool a atteint un degré suffisamment élevé,
car ce dernier détruit les levures restantes. La
fermentation alcoolique s’effectue idéalement si
la température est comprise entre 24 et 28 °C,
c’est pourquoi il faut souvent avoir recours à un
circuit de refroidissement.
Une fois que le vin a atteint un degré suffisant
d’alcool, la fermentation malo-lactique est
enclenchée. Après les levures, ce sont cette fois
des bactéries qui engagent la réaction chimique,
afin de transformer l’acide malique en acide
lactique. Cela sert à diminuer l’acidité d’un vin
pour l’assouplir et l’arrondir, le rendre à la fois
plus équilibré et plus aromatique. Plus longue
que la précédente, la fermentation malo-lactique
dure parfois jusqu’à trois semaines, et s’accompagne également d’un dégagement de chaleur.
La température idéale pour cette fermentation
se situe autour de 18 à 20 °C.
Il est à noter que pour certains vins dont on veut
conserver l’acidité et la vivacité (vins blancs
principalement), il est possible de ne pas
effectuer la fermentation malo-lactique et de
mettre le vin en bouteille après la fermentation
alcoolique.
Avec l’aide de Philippe Jacquet, caviste à Besançon (25)
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être activée cuve après cuve, nous avons ajouté pour
celle-ci un système spécial d’échangeurs qui chauffent et mélangent le moût ». « Du coup, pour simplifier l’architecture, nous avons mis en place un
réseau unique d’alimentation en eau, accompagné
d’un système de vannes pour passer de l’eau froide
à l’eau chaude, et inversement », complète
M. Ellien. Les vannes
de changement de
La cuverie,
mode sont actionnées
en chiffres
manuellement, mais
ceci n’est pas un pro 150 cuves (de 100, 150 ou
blème ici, compte tenu
250 hl) et 154 régulateurs
que ce changement
 1 automate central
n’intervient qu’une
 1 réseau Ethernet entre
fois par an.
l’automate et le superviseur
Pour éviter d’avoir à
 12 km de câbles pour les
modifier un par un les
sondes et les régulateurs
paramètres des 150
 1 981 points de mesure (608
régulateurs, deux réenregistrés en continu)
gulateurs supplémen 322 alarmes remontées par
taires ont été installés
la supervision
(un pour la zone de
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vinification et un pour la zone de stockage).
Ceux-ci détectent le changement de température en entrée de circuit et pilotent tous les
régulateurs des cuves (avec l’accord de
l’automate central) pour les faire basculer
d’un mode vers un autre.
Les régulateurs E5CN autorisent des interventions sur tous les paramètres, directement
au pied des cuves. Les techniciens présents
sur le terrain peuvent ainsi prendre la main
en local, afin de modifier, forcer ou neutraliser l’une ou l’autre des sorties des régulateurs. Denis Lapalu explique qu’« il est souvent
nécessaire d’intervenir localement sur la température
d’une ou plusieurs cuves, car certaines contiennent
des vins différents des autres. C’est le cas principalement des cuvées haut de gamme (appelées “têtes de
cuvées” chez Duboeuf) qui demandent une attention particulière. Les consignes rentrées manuellement sont toujours prioritaires sur celles déterminées
via la supervision. C’est pour cette raison également
que nous avons préféré installer un régulateur par
cuve, placé à proximité, plutôt que d’opter pour une
solution centralisée à base de cartes de régulation
insérées dans des automates ».
Une traçabilité complète, malgré
son absence de la supervision
Tous les viticulteurs et viniculteurs de France
sont soumis à des exigences de traçabilité
pour la commercialisation de vins d’appellation. Par vin d’appellation, on désigne un
vin protégé par des réglementations portant
sur la provenance et les méthodes de fabrication. Cette réglementation a été mise en
place en 2002 pour toutes les appellations
françaises. Et étant donné que l’on ne retrouve chez Dubœuf que des vins AOC, depuis
l’appellation régionale “Beaujolais Villages”
jusqu’aux appellations locales (Morgon,
Juliénas ou Moulin à Vent, entre autres), la
traçabilité a pris une importance capitale au
sein de la société. Un logiciel de traçabilité
commun à tout le groupe a été développé,
mais il n’est pas intégré au logiciel de supervision de la cuverie. Il s’agit d’une base de
données informatisée reprenant la numérotation des parcelles et tous les traitements qui
y ont été effectués, et ceci pour chacun des
En plus des cuves en inox, la cuverie de Lancié compte quelques cuves en bois. A l’intérieur de celle de droite, on aperçoit un “drapeau”,
sorte de radiateur qui permet le passage de l’eau dans la cuve.
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Dubœuf
Le centre de vinification de Lancié, dans le Rhône, a été construit pour l’élevage et le stockage de quelques vins de la gamme Duboeuf.
Les assemblages sont ensuite effectués à Romanèche-Thorins, en Saône-et-Loire.
fournisseurs de Dubœuf (120 viticulteurs rien
que pour ce centre de vinification, un millier
de fournisseurs au total).Toutes les parcelles
sont divisées en îlots, et le système permet
d’éditer des étiquettes avec des numéros de
lots pour les bacs de vendanges. La traçabilité
des fournisseurs est donc assurée, mais elle
continue également après les vendanges. En
effet, la base de données reprend les identifiants du chai ou de la cuverie, et prend en
compte le processus de vinification : produits utilisés lors des fermentations successives, courbe de suivi de densité et courbe
de température de la cuve. « Ce système a été
mis en place préalablement aux normes relatives aux
appellations, ajoute Denis Lapalu. Et même s’il
n’est toujours pas connecté au logiciel de supervision
de la cuverie, il a un réel intérêt et participe activement à l’amélioration de nos procédés ».
Au-delà des normes françaises, il a fallu que
les installations satisfassent aux différentes
normes internationales. Une partie très importante de la production est en effet destinée à l’exportation, notamment vers le Japon
et les États-unis. Pour ces derniers, des agents
de la FDA (Food and Drugs Administration)
sont venus vérifier la conformité des machines et infrastructures dès que les travaux de
la cuverie furent terminés. Les contrôles ont
porté sur la sécurité alimentaire, la chaîne
d’embouteillage et la gestion d’accès aux
différentes zones de la cuverie.
Un superviseur sur mesure
Le logiciel de supervision de la cuverie a été
développé par la société A2E. Il est relié à
l’automate central par un réseau Ethernet, et
permet de surveiller et de modifier la température des 150 cuves (inox et bois) présentes dans le bâtiment. Pour cela, des sondes de température Omron Pt100 sont reliées
à l’automate et à la supervision. C’est pour
l’instant le seul paramètre géré par la supervision, car les mesures de densité du vin dans
les cuves sont toujours effectuées à la main,
en attendant l’installation de densimètres.
Mais le logiciel est déjà prévu pour prendre
en charge cette mesure de la densité, ainsi
que certains évènements comme les dates de
remplissage ou de nettoyage des cuves, par
exemple. Dans l’industrie vinicole, et contrairement à d’autres industries, l’augmentation de la technicité et l’informatisation du
process ne garantissent pas un gain en rapidité de production. Les améliorations doivent être longuement étudiées et doivent
avant tout servir la qualité du vin. Mais
M. Dubœuf n’en est pas moins favorable à
l’utilisation de moyens modernes pour surveiller la production. « Le fait de connecter les
régulateurs à Ethernet et à un logiciel de supervision
présente un double intérêt, conclut Denis Lapalu.
D’une part, nous avons une vision globale de la cuverie et nous pouvons affecter des consignes de température à des zones tout entières. D’autre part, le
système permet une remontée des alarmes. En effet,
si l’on ne s’aperçoit pas qu’une vanne ou qu’un
régulateur est tombé en panne, le risque financier est
très important ; si une cuve n’est plus régulée en
température pendant une phase critique, ce sont plusieurs centaines d’hectolitres de vin qui peuvent être
perdus ».
Frédéric Parisot
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