L`anorexie un trouble de plus en plus courant - Eki-Lib
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L`anorexie un trouble de plus en plus courant - Eki-Lib
L’ANOREXIE UN TROUBLE DE PLUS EN PLUS COURANT NON SEULEMENT DAVANTAGE DE FEMMES SONT ATTEINTES D’ANOREXIE, MAIS LES HOMMES S’Y METTENT AUSSI. RADIOSCOPIE D’UNE MALADIE COMPLEXE. TEXTE : PASCALE NAVARRO ILLUSTRATION : LINO « Tandis que je mange, je compte les calories qui entrent dans mon estomac. Autour de moi, il y a des bruits, des voix. Ma famille est animée ; ils discutent, ils mangent avec appétit, mais moi, je suis dans une autre réalité. » C’est ainsi que Marie-Eve Matte, 25 ans, décrie sa vie d’anorexique dans son récit Devant le miroir. Ces dernières années, plusieurs Québécoises ont publié leur témoignage sur l’anorexie-boulimie (Les affamées : Regards sur l’anorexie, La tortue sur le dos : Ma lutte contre la boulimie, Devant le miroir) et deux documentaires sont en production. Dans La peau et les os – 17 ans plus tard, Hélène Bélanger-Martin est passée derrière la caméra pour raconter le chemin qu’elle a parcouru depuis son adolescence. À l’époque, elle tenait le rôle principal dans La peau et les os, de Johanne Prégent, un film qui levait le voile sur le mal qui la rongeait. « Les troubles alimentaires continuent de faire des ravages, explique Hélène Bélanger-Martin, et je pense que bien des anorexiques se reconnaîtront dans mes paroles. Tant qu’à être identifiée publiquement comme telle, j’ai choisi d’aller au fond des choses ; parce que je n’ai plus honte de moi, ni de ce que je suis ni de ce que j’ai été… » Quant à Catherine Veaux-Logeat, cinéaste québécoise d’à peine 34 ans, elle explore dans son documentaire Duel en 2 voix le conflit intérieur vécu par de jeunes anorexiquesboulimiques. Une maladie, pas une coquetterie Car bataille il y a. Bataille entre « la petite fille blessée qui aimerait qu’on l’aime et qu’on la réconforte, et la grande fille autoritaire qui commande de s’affamer et de tout contrôler », dit la réalisatrice. Catherine, une belle jeune femme souriante, sportive et pleine de vie interviewée par Catherine Veaux-Logeat, explique très bien comment le contrôle de son alimentation était devenu sa principale fierté. « Prendre trois livres, raconte-t-elle, c’était trois livres de contrôle en moins. » « Les filles que je soigne ici sont toutes d’excellentes élèves qui ne donnent jamais de souci à leur entourage », confirme le pédiatre Jean Wilkins, spécialiste des troubles alimentaires et fondateur en 1974 de la Clinique de médecine de l’adolescence. « Ce sont souvent des enfants modèles, je dirais même « modelées », et elles font tout pour se conformer à ce qu’on attend d’elles. » Une observation qu’illustre Annick Loupias devant la caméra de Catherine Veaux-Logeat : « On ne m’a pas donné le droit d’être malheureuse, de souffrir et d’être en colère. » Mais cette souffrance s’est retournée contre moi, relate celle qui témoigne dans La tortue sur le dos : ma lutte contre la boulimie, livre qui a trouvé un large public ici et en France. « Heureusement, nous connaissons mieux la maladie aujourd’hui, confie Annick. Nous en parlons plus et mieux; et nous comprenons de plus en plus que c’est une vraie maladie et non une coquetterie de jeune fille. » Il suffit d’aller faire un tour au septième étage de l’unité de soins pour adolescents de l’hôpital Sainte-Justine de Montréal pour réaliser que les troubles alimentaires sont autre chose qu’un caprice. Dans les couloirs silencieux déambulent des adolescentes filiformes, âgées de 10 à 18 ans. « Lorsque j’accueille les patientes ici, dit le Dr Wilkins, c’est que leurs signes vitaux sont alarmants. Il vaut toujours mieux éviter les hospitalisations mais, quand on arrive ici, c’est qu’on est au bout du rouleau. » En fait, il est très difficile d’amener les anorexiques à consulter. « Ça prend du temps avant de réaliser qu’on a vraiment un problème », confie Isabelle, une Montréalaise de 24 ans qui est passée par le service de psychiatrie de l’hôpital SainteJustine après sa tentative de suicide. « Quand on est atteinte de troubles alimentaires, on déploie des trésors d’imagination pour passer inaperçue. On met des objets lourds dans ses poches afin de tromper la balance ; on remplace les sacs de biscuits dans les armoires pour ne pas être soupçonnées d’avoir tout avalé avant de se faire vomir. Puis, un jour, un réalise qu’on ne peut plus continuer comme ça. Dans mon cas, j’ai compris que la moindre contrariété provoquait une crise de boulimie, et je me suis dit que ça n’allait plus. Mais j’ai vraiment beaucoup résisté avant d’entrer en thérapie. » Des causes multiples L’Association québécoise d’aide aux personnes souffrant d’anorexie nerveuse et de boulimie (ANEB Québec) vient au secours de femmes et d’hommes (voir l’encadré p. 4) qui souffrent de troubles alimentaires. Elle met en place des groupes de soutien et des services de référence et son personnel sillonne le Québec afin d’informer le public sur cette maladie de plus en plus répandue. « Seulement chez nous, fait observer Josée Champagne, directrice de l’organisme depuis 10 ans, on répondait à 3 000 appels en 2001. En 2004, ce sont 5 000 personnes qui ont eu recours à notre ligne d’écoute téléphonique. » Même son de cloche à l’hôpital Sainte-Justine. Le Dr Wilkins qui, dans les années 70, traitait annuellement deux ou trois jeunes atteints de troubles alimentaires, reçoit aujourd’hui 125 nouveau cas chaque année, dont 30 % nécessitent une hospitalisation. Il faut informer le public des dangers que l’on court à vouloir imiter les modèles irréalistes de la mode et de la publicité, insiste Josée Champagne. Pour Howard Steiger, psychologue, professeur de psychiatrie à l’Université McGill et directeur du Programme des troubles de l’alimentation de l’hôpital Douglas depuis 1986, il doit y avoir « collision » entre la pression sociale exercée sur une personne et sa vulnérabilité pour qu’elle développe un trouble alimentaire. « Les facteurs héréditaires doivent d’abord être présents afin que le problème surgisse, explique-t-il. Selon nos recherches, cette faiblesse se révèle souvent de nature hormonale. Elle est liée au fait que la sérotonine – qui contrôle l’anxiété, l’humeur et la sensation de satiété – ne parvient pas à jouer son rôle. » Le journaliste français Jean-Philippe de Tonnac, auteur de Anorexia : Enquête sur l’expérience de la faim, un nouvel essai sur la maladie, se montre critique envers les personnes atteintes. « On doit réaliser que les causes de l’anorexie sont d’abord en nous, fait-il remarquer. Le symptôme est comme une plante : plus vous tirez et plus vous trouvez que les racines sont longues. Elles sont prises dans un terreau : votre famille très souvent, qui est elle-même prise dans une culture (en l’occurrence occidentale) qui possède des valeurs propres. » Parmi lesquelles la valorisation de la souffrance et d’un certain masochisme. « Ainsi, au Moyen Âge, l’Église et les croyants glorifiaient les mystiques, ces femmes qui jeûnaient au nom de la foi. Elles étaient des icônes qui fascinaient, tout comme nous sommes aujourd’hui fascinés par des femmes qui se ruinent la santé pour rester maigres – même si nous prétendons le contraire. Mais c’est précisément cela qu’il faut interroger : pourquoi admirons-nous des gens qui testent leurs limites ? » Selon le journaliste, l’industrie de la beauté ne fait que tirer parti de notre fascination pour la maigreur. Avouons-le, c’est un point de vue qu’on entend peu. Mais il est difficile de nier que la conformité au modèle de la minceur exerce sur nous un attrait certain, car la culture et les valeurs qu’on nous transmet ont une portée déterminante sur la construction de notre personnalité et les choix que nous faisons une fois adulte. Le Dr Wilkins, qui soigne des mineurs, en témoignait lors des Journées de pédiatrie de Sainte-Justine au Centre Mont-Royal, à Montréal, en décembre dernier : « J’ai reçu deux garçons qui se faisaient vomir. Au cours des rencontres, j’ai découvert que leurs parents les avaient terrorisés au sujet de l’obésité et entretenaient au discours de terreur autour de l’alimentation. On ne soupçonne pas l’effet que peuvent avoir certains mots sur les jeunes. » Preuve de la complexité de cette maladie, les jeunes filles interviewées par Catherine Veaux-Logeat – tout comme celles rencontrées à l’unité de soins de l’hôpital Sainte-Justine – nient, quant à elles, l’influence du modèle de la femme mince. Selon Patricia, 16 ans, présentement en thérapie, « quant on est anorexique, on veut juste disparaître, ne plus avoir de corps. La mode n’a rien à voir là-dedans. » Pas d’âge pour l’anorexie À l’hôpital Douglas, le Dr Steiger et son équipe combinent recherches et traitements dans leur Programme des troubles de l’alimentation, ouvert aux adultes de 18 ans et plus. Alors qu’on pense généralement que seules les adolescentes sont anorexiques, le Dr Steiger et l’ANEB Québécois disent intervenir régulièrement auprès de femmes dans la cinquantaine et la soixantaine, voire plus. En juin 2004, l’hôpital Douglas a d’ailleurs ouvert le premier « hôpital de jour » au Québec à traiter les troubles du comportement alimentaire. On y accueille 15 personnes qui, pendant la journée, préparent leurs repas et travaillent à leur guérison au moyen de thérapies de groupe. Ce mode de vie structuré, associé à une certaine autonomie (le fait de rentrer chez soi après le repas du soir), permet une guérison en douceur. Annick Loupias a participé au programme du Dr Steiger, mais n’a pas apprécié le principe de la thérapie de group. « Tout dépend des tempéraments, mais je considère que l’anorexie et la boulimie sont des problèmes qu’il faut travailler seul à seul avec un thérapeute. En particulier à cause de la manipulation, qui est très présente dans cette maladie : on peut facilement brouiller les cartes de son thérapeute par toutes sortes de moyens. Je le sais, je l’ai fait ! Quand on est seul avec lui, en revanche, il voit plus vite les détours qu’on prend. » Isabelle, aujourd’hui jeune professionnelle dynamique qui croque dans la vie, pose un regard lucide sur son passé : « Avant l’anorexie, c’est la détresse qu’il faut arriver à voir chez la personne concernée. Quand je rencontrais d’autres anorexiques, j’était frappée de constater à quel point ces filles-là (et je devais être pareille) étaient renfermées, ne voulaient pas prendre de place, ne parlaient pas fort. Cette grande détresse-là, cette solitude, c’est le point de départ de la maladie. » Les hommes aussi… « À 15 ans, je mangeais de moins en mois ; à 17 ans, presque rien, jusqu’à 21 ans. À 35 ans, je ne savais pas encore que j’avais été anorexique. On ne m’avait jamais parlé de ça », témoigne Jean-Philippe de Tonnac, journaliste au Nouvel Observateur et auteur d’Anorexia – Enquête sur l’expérience de la faim, un essai foisonnant sur l’anorexie, qui interroge autant la science que la sociologie et la littérature. Bien que l’anorexie soit associée aux femmes, elle touche aussi la gent masculine. Environ un homme sur dix, selon les statistiques nord-américaines, serait atteint de troubles alimentaires. Sans compter ceux qui souffrent d’ « anorexie renversée », une variante de troubles alimentaires qui se manifeste par la volonté d’être toujours plus musclé et plus gros. De plus en plus d’hommes sont atteints de troubles alimentaires, lit-on sur le site de l’ANEB Québec (Association québécoise d’aide aux personnes souffrant d’anorexie nerveuse et de boulimie). Ceux-ci représentent d’ailleurs 10 % des personnes qui font appel à cet organisme. « Et il faut beaucoup de courage à ces hommes, souligne Josée Champagne, directrice de l’ANEB, car l’anorexie et la boulimie sont généralement considérées comme des maladies de femmes… À tort, bien sûr. »
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