Responsabilité de l`avocat qui défend un confrère

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Responsabilité de l`avocat qui défend un confrère
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Lexbase La lettre juridique n˚658 du 9 juin 2016
[Avocats/Responsabilité] Jurisprudence
Responsabilité de l'avocat qui défend un confrère
N° Lexbase : N2930BWG
par Gaëlle Deharo, Professeur, Laureate International Universities
(ESCE), Centre de recherche sur la justice et le procès, Université
Paris 1
Réf. : TGI Paris, 6 avril 2016, RG n˚ 14/15 929 (N° Lexbase : A7900RL8)
La fonction de la responsabilité civile est de rétablir aussi exactement que possible l'équilibre détruit par
le dommage et de replacer la victime aux dépens du responsable dans la situation où elle se serait trouvée
si l'acte dommageable n'avait pas eu lieu. Soumis à une obligation générale de loyauté, de prudence et
de diligence, l'avocat est tenu à une obligation absolue de conseil comprenant l'obligation d'informer et
d'éclairer son client, dans la limite de la mission qui lui est confiée et, à défaut de rapporter la preuve qu'il a
rempli son devoir de conseil, il doit réparer le préjudice direct, certain et actuel en relation de causalité avec
le manquement commis, sur le fondement de l'article 1147 du Code civil (N° Lexbase : L1248ABT). Telle est
la substance du jugement rendu le 6 avril 2016 par le tribunal de grande instance de Paris.
"La question des honoraires est importante d'une part pour l'image de la profession, d'autre part parce que de
nombreux litiges entre l'avocat et son client trouvent leur origine, voire leur prétexte, dans la facturation" (1). Cette
question était, une nouvelle fois, à l'origine de l'affaire soumise au tribunal de grande instance de Paris.
Saisi d'un litige opposant un avocat à son client sur le montant de la rémunération, le Bâtonnier taxa les honoraires
dus par le client à l'avocat. Un recours fut formé. Estimant un volume horaire de travail de l'avocat moins important,
le magistrat délégataire du premier président de la cour d'appel fixa le montant des honoraires à un niveau bien
inférieur à celui qui avait été déterminé en première instance.
L'affaire aurait pu en rester là, mais l'avocat insatisfait de la décision décida de rechercher par la voie indemnitaire
la satisfaction qu'il n'avait pas obtenue dans le cadre du litige portant sur la rémunération. Poursuivant son confrère,
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chargé de le représenter dans la procédure d'appel en contestation des honoraires, l'avocat demandait réparation du
préjudice subi du fait de la perte d'une chance d'obtenir confirmation de la décision du Bâtonnier. Plus précisément,
le demandeur estimait qu'en raison de la défaillance du défendeur, il ne lui avait pas été possible de communiquer
à la cour des pièces qui auraient permis une évaluation plus favorable du montant des honoraires. Le défendeur
répliquait, quant à lui, que le demandeur ne rapportait pas la preuve de l'obligation qui lui incombait de représenter
son confrère, ni du préjudice allégué.
Ce sont ainsi deux questions distinctes qui étaient posées à la juridiction : la première portait sur la preuve du
mandat de représentation, alors que la seconde relevait de la perte de chance procédant de la faute alléguée de
l'avocat.
Après avoir rappelé que "la fonction de la responsabilité civile est de rétablir aussi exactement que possible l'équilibre détruit par le dommage et de replacer la victime aux dépens du responsable dans la situation où elle se serait
trouvée si l'acte dommageable n'avait pas eu lieu", les juges ont reconnu l'existence d'une obligation incombant au
défendeur de représenter son confrère et, par conséquent, un manquement à son obligation de diligence (I), mais
ont rejeté la demande tendant à l'indemnisation de la perte de chance (II).
I — Le manquement du défendeur à son obligation de diligence
Le demandeur alléguait de ce que le défendeur avait été chargé de la défense de ses intérêts dans la procédure
en contestation des honoraires. Il invoquait, au soutien de sa prétention, des éléments de preuve de rendez-vous
ainsi que des échanges de pièces par télécopies. Ayant ainsi chargé son confrère de la défense de ses intérêts,
l'absence de celui-ci à l'audience d'appel aurait, selon l'argumentation du demandeur, privé le client de la possibilité
de faire valoir correctement des pièces importantes. Il aurait ainsi perdu une chance d'obtenir une évaluation plus
favorable de sa rémunération.
Le défendeur contestait, quant à lui, l'existence de cette obligation et, par conséquent, le manquement à son obligation de diligence. Il invoquait au soutien de son argumentation le fait qu'il n'avait touché aucun honoraire de la
part du demandeur et n'apparaissait pas dans la procédure.
Saisi de la question, le tribunal de grande instance de Paris a rejeté l'argumentation du défendeur : les juges ont
relevé que celui-ci, au vu des pièces produites, ne pouvait sérieusement contester qu'il s'était vu confier le soin de
défendre les intérêts de son confrère.
Aussi, aux termes de l'article 411 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L6512H7C), la faute de l'avocat
consistait dans le fait de ne pas accomplir correctement les actes de la procédure (2) et se trouvait caractérisée
en l'espèce par la défaillance du défendeur qui "soumis à une obligation générale de loyauté, de prudence et de
diligence, est tenu à une obligation absolue de conseil comprenant l'obligation d'informer et d'éclairer son client,
dans la limite de la mission qui lui est confiée, et, à défaut, de rapporter la preuve qu'il a rempli son devoir de
conseil, il doit réparer le préjudice direct, certain et actuel en relation de causalité avec le manquement commis sur
le fondement de l'article 1147 du Code civil".
La méconnaissance par le mandataire de son "devoir" d'exécuter le mandat relève de l'appréciation souveraine
des juges. Or, ceux-ci relevaient en l'espèce que le défendeur était tenu de se présenter à l'audience et que le fait
qu'il n'avait pas reçu d'honoraires ne saurait être pris en compte : "étant relevé qu'il avait accepté la mission et que
s'il pouvait décider de ne pas la poursuivre, il lui appartenait alors de prévenir son client en temps utiles, afin de
permettre à celui-ci de le remplacer, ce qui n'a pas été le cas en l'espèce".
Cette décision trouve ancrage dans la jurisprudence antérieure qui, d'année en année, est venue ciseler et alourdir
la responsabilité de l'avocat (3) à l'égard de ses clients (4), fussent-ils avocats. La jurisprudence, en effet, se montre
assez sévère à l'égard de l'avocat défaillant : professionnel du droit qualifié, il doit offrir à son client une prestation
de conseil complète et vierge de toute faute à tous les stades de son intervention (5). Il est tenu de mettre ses
compétences au service de son client et de faire preuve de toutes diligences utiles pour assurer la défense de ses
intérêts (6) et présenter le plus habilement possible les prétentions et les moyens du mandant (7). Le jugement du
tribunal de grande instance de Paris soulignait, en l'espèce, la fermeté de la jurisprudence en la matière en insistant
sur "l'obligation générale de loyauté, de prudence et de diligence" et "l'obligation absolue de conseil" dont l'avocat
n'est, selon la jurisprudence de la Cour de cassation, pas déchargé par les compétences des parties (8).
Bien que la juridiction ait caractérisé la faute de l'avocat dans l'exécution de son obligation de diligence, cela ne suffit
cependant pas à engager la responsabilité de l'avocat : "il convient d'en examiner les conséquences préjudiciables
pour le demandeur, s'agissant de la perte définitive de la chance de voir réexaminer en voie d'appel l'affaire l'opposant à son client et le cas échéant, de la disparition d'une éventualité favorable". C'est sur ce point que s'opposaient
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encore le demandeur et le défendeur.
II — La perte de chance procédant de la faute de l'avocat
Le demandeur estimait n'avoir pas été en mesure de présenter des pièces importantes caractérisant un volume
horaire de travail plus important que celui retenu en appel et justifiant, par conséquent, une rémunération plus
importante. Il arguait donc de la perte d'une chance d'obtenir une rémunération plus intéressante en raison de la
défaillance de l'avocat et en sollicitait la réparation (9).
La perte d'une chance se définit comme la disparition actuelle et certaine d'une éventualité favorable (10) que la
jurisprudence sanctionne sur le fondement de la responsabilité civile (11).
Malgré l'importance de la jurisprudence, la mise en œuvre de la perte de chance reste délicate. L'appréciation de
l'aléa caractéristique de la perte de chance impose au juge de réaliser un diagnostic rétrospectif de ce qu'aurait
été la solution du litige si le demandeur n'avait pas été privé de l'événement favorable par la défaillance de l'avocat
(12). En conséquence, les prétentions indemnitaires sont rejetées lorsque les clients ne justifient pas d'un préjudice
direct et certain résultant de la perte d'une chance raisonnable de succès (13). Dans le même sens, l'aléa n'est pas
caractérisé, et la perte de chance est donc rejetée, si la situation était vouée à l'échec depuis le début car la victime
ne peut invoquer aucun préjudice (14).
C'est dans cette perspective que les juges ont, en l'espèce, rappelé que "la perte de chance doit être mesurée
en considération de l'aléa jaugé et ne saurait être égale à l'avantage qu'aurait procuré cette chance si elle s'était
réalisée". Deux principes classiques sont ainsi convoqués par le tribunal de grande instance de Paris :
- L'existence de l'aléa est nécessaire pour établir la perte de chance. Sous cet éclairage, c'est à un examen de
l'affaire au fond que les juges se sont livrés en l'espèce : après avoir rappelé la procédure applicable en matière de
contestation des honoraires, le tribunal de grande instance de Paris a apprécié ce qu'aurait pu être la solution si la
défaillance de l'avocat n'avait pas privé le demandeur de la possibilité de présenter les pièces litigieuses en appel.
Or, en l'espèce, les juges ont constaté que les pièces au soutien de la décision ne permettaient pas d'envisager
que le demandeur ait été privé de l'éventualité d'un événement favorable. En conséquence, les demandes tendant
à obtenir la condamnation de l'avocat à indemniser la perte de chance de son client sont rejetées.
- L'indemnité doit être appréciée indépendamment de celle qu'aurait procurée la chance si elle s'était réalisée. Le préjudice n'est que la perte d'une chance et l'avocat, si sa responsabilité est retenue, ne doit indemniser ses
clients que dans la mesure de la chance ainsi perdue. La Cour de cassation précise que la réparation d'une perte
de chance doit être mesurée à la chance perdue et ne peut être égale à l'avantage qu'aurait procuré cette chance
si elle s'était réalisée (15). Les juges du fond doivent donc distinguer l'indemnité de réparation et l'indemnisation de
la perte d'une chance (16) qui sera, d'une façon certaine, inférieure à l'intégralité de la rémunération obtenue en
première instance (17).
(1) J. — L. Gaineton, Profession, modes d'exercices, périmètre d'activité, Gaz. Pal., 26 juin 2012, n˚ 178, p. 12.
(2) P. Julien, N. Fricéro, Représentation en justice, Encycl. Juris. Classeur, fasc., 106, n˚ 149.
(3) Y. Avril, La responsabilité de l'avocat n'est pas subsidiaire, Gaz. Pal., 4 janvier 2011, n˚ 4, p. 15.
(4) Y. Avril, Responsabilité de l'avocat, Dalloz, 3ème éd. 2014.
(5) J. — L. Gaineton, J. Villacèque, La responsabilité civile de l'avocat encore renforcée, Gaz. Pal., 21 juin 2014,
n˚ 172 ; J. Julien, S. Davy, La responsabilité professionnelle de l'avocat in , B. Beignier, J. Blanchard (Dir.), Droit et
déontologie de l'avocat, LGDJ 2008, chap. 10, p. 401.
(6) P. Julien, N. Fricéro, op. cit. et loc. cit., n˚ 149. — Adde. Cass. civ. 1, 18 janvier 1989, n˚ 87-11.001 (N° Lexbase :
A8862AAH).
(7) M. Jaouen, Moyen de défense inopérant et stratégie judiciaire de l'avocat : l'immunité confirmée, Gaz. Pal., 19
janvier 2016, n˚ 3, p. 15.
(8) Cass. civ. 1, 27 novembre 2008, n˚ 07-18.142, F-P+B (N° Lexbase : A4608EBB). La jurisprudence est régulièrement réaffirmée pour les professions de conseils : voir par ex. pour les notaires : Cass. civ. 1, 13 décembre 2012,
n˚ 11-19.098, FS-P+B+I (N° Lexbase : A8294IYT).
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(9) Cass. civ. 1, 19 décembre 2013, n˚ 13-11.807, F-P+B+I (N° Lexbase : A7375KSX) ; A. — L. Fabas-Serlooten,
La certitude de la perte de chance procède de la faute de l'avocat, Gaz. Pal., 31 mars 2014, n˚ 64, p. 7.
(10) Cass. civ. 1, 21 novembre 2006, n˚ 05-15.674, F-P+B (N° Lexbase : A5286DSL) ; Cass. civ. 1, 4 juin 2007, n˚
05-20.213, FS-P+B (N° Lexbase : A5503DWQ).
(11) S. Guinchard, A. Varinard, T. Debard, Institutions juridictionnelles, Dalloz 2015, 13 éd., n˚ 1126, p. 1101.
(12) G. Deharo, Responsabilité de l'avocat : faute, péremption et radiation, JCP éd. G, 2013, 605.
(13) Cass. civ. 1, 30 avril 2014, deux arrêts, n˚ 12-22.567, FS-P+B+I (N° Lexbase : A6831MK9) et n˚ 13-16.380, FP+B+I (N° Lexbase : A6870MKN) — Adde Cass. civ. 1, 10 juillet 2014, n˚ 13-20.606, F-D (N° Lexbase : A4296MUN).
(14) P. Julien, N. Fricéro, op. cit. et loc. cit., n˚ 150 et 151.
(15) Cass. civ. 1, 21 février 2006, n˚ 04-10.314, F-D (N° Lexbase : A1749DN4).
(16) Cass. civ. 1, 21 février 2006, n˚ 04-20.844, F-D (N° Lexbase : A1814DNI).
(17) R. Martin, Droit de la profession d'avocat, JCP éd. G., 2006, doctr., 188, n˚ 20.
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