Nos Amours Bêtes - Manège de Reims
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Nos Amours Bêtes - Manège de Reims
©Elisabeth Carecchio Nos Amours Bêtes Fabrice Melquiot & Ambra Senatore Aimer ce qui n’est pas aimable… Dossier pédagogique Jeudi 4 avril 2013 Séances à 10h et à 14h30 au Manège de Reims Sommaire Biographies Le spectacle Mentions Notes d’intention Extrait du texte de Fabrice Melquiot Monstres, animaux et métamorphoses : le cycle du fiancé animal Trois questions à Ambra Senatore Article de presse Pédagogie & ressources Renseignements pratiques Biographies Ambra Senatore (chorégraphie et mise en scène) Ambra Senatore est née à Turin en 1976. Elle s’est formée en danse moderne avec Dominique Dupuy et Karin Waehner, en danse expressionniste avec Jean Cébron et Malou Airaudo ainsi qu’en danse contemporaine avec Raffaella Giordano, Carolyn Carlson, Bill T. Jones, Nigel Charnock, Michele Abbondanza, Antonella Bertoni et Roberto Castello. En 2001, elle a suivi les cours de l’Accademia Isola Danza di Venezia, dirigée par Carolyn Carlson. Puis elle a collaboré avec Jean Claude Gallotta, Giorgio Rossi, Georges Lavaudant, Marco Baliani, Roberto Castello et Antonio Tagliarini. Suite à un doctorat en danse contemporaine, elle a publié le livre La danza d’autore. Vent’anni di danza contemporanea in Italia en 2007 et elle a enseigné l’histoire de la danse à l’Université de Milan. Avec des images pleines d’une ironie réjouissante et d’une douce folie, œuvrant par fines touches, Ambra Senatore fait une analyse à l’humour distancié, facétieuse et maligne. Elle travaille sur la dynamique du mouvement dansé, nourri d’éléments de théâtralité, d'actions et de gestes quotidiens, en explorant la construction d’une dramaturgie qui passe par l’action et la présence des corps. http://www.ambrasenatore.com Fabrice Melquiot (texte et dramaturgie) Fabrice Melquiot est écrivain pour le théâtre. Associé pendant six ans à la Comédie de Reims, Fabrice Melquiot est bien connu des rémois : Bouli Miro, Marcia Hesse sont quelques unes de ses œuvres qui ont été créées à Reims, mises en scène par Emmanuel Demarcy-Mota. Il a publié une quarantaine de pièces chez L’Arche Editeur : L’inattendu, Percolateur Blues, Le diable en partage, Kids, Autour de ma pierre il ne fera pas nuit, La dernière balade de Lucy Jordan, Ma vie de chandelle, C’est ainsi mon amour que j’appris ma blessure, Le laveur de visages, Exeat, Je rien Te deum, Marcia Hesse, Tasmanie, Lisbeths... Ses premiers textes pour enfants Les petits mélancoliques et Le jardin de Beamon sont publiés à l’Ecole des loisirs et diffusés sur France Culture. Il reçoit le Grand Prix Paul Gilson de la Communauté des radios publiques de langue française et, à Bratislava, le Prix européen de la meilleure œuvre radiophonique pour adolescents. En 2003, Fabrice Melquiot s’est vu décerner le prix SACD de la meilleure pièce radiophonique, le prix Jean-Jacques Gauthier du Figaro et deux prix du Syndicat National de la Critique : révélation théâtrale de l’année, et pour Le diable en partage : meilleure création d’une pièce en langue française. Perlino Comment inaugure la collection de théâtre jeunesse de l’Arche éditeur, suit Bouli Miro, également sélectionné par La Comédie Française ; ce sera le premier spectacle jeune public à être présenté au Français. La suite des aventures de Bouli, Bouli redéboule, a été présentée, toujours à la Comédie Française en 2005-2006. Depuis, Bouli Miro a élu domicile au Théâtre de la Ville où Emmanuel Demarcy-Mota a mis en scène Wanted Petula et Bouli Année Zéro. D’autres metteurs en scène ont choisi de se confronter à son écriture (Dominique Catton, Patrice Douchet, Paul Desveaux, Vincent Goethals, Christian Gonon, Michel Belletante, Michel Dydim, Stanislas Nordey, Gilles Chavassieux, Gloria Paris, Jean-Pierre Garnier, Marion Lévy, Franck Berthier, Roland Auzet, Nino D’Introna...). Ses pièces, traduites en plusieurs langues, ont été créées en Espagne, Grèce, Allemagne, Canada, Russie, Italie, Japon, Etats-Unis, Canada, Mexique... Si l’essentiel de son écriture est tourné vers le théâtre, une autre passion l’anime : la poésie. Deux recueils ont été publiés à L’Arche : Veux-tu ? et Graceful. En 2008, il a reçu le Prix du Jeune Théâtre de l’Académie Française pour l’ensemble de son œuvre. Depuis 2009, Fabrice Melquiot est auteur associé au Théâtre de la Ville à Paris. Depuis 2012, il dirige le théâtre Am Stram Gram de Genève. http://www.fabricemelquiot.fr Le spectacle Nos Amours Bêtes Dans toutes les cultures, des fables, comme La Belle et la Bête, mettent en scène la figure du fiancé animal pour nous parler de nos liens, de nos attachements, de nos appartenances, du corset de notre apparence aussi. Qu’est-ce qui est beau, qu’est-ce qui fait qu’on aime ? L’infirme, le laid, le monstrueux, le disgracieux, quand je le regarde avec les yeux, est-il chez les bêtes ou chez les hommes ? Comment le voir jusqu’à l’aimer, par-delà son apparence ? Comment voir en deçà ? Tu m’aimes ? Tu m’aimes comment ? Pourquoi tu m’aimes ? Jusqu’à quand ? Danse avec moi. Parle avec moi. Jouons. Arrête de répéter que tu m’aimes, ça m’agace. Pourquoi tu grognes ? Pourquoi ton poil se hérisse quand je t’embrasse ? Tu me trouves belle ? Tu me trouves bête ? Parfois, les accidents, c’est heureux. Regarde la lumière. Traverse l’obscurité. N’aie l’air de rien. Aie l’air de tout. Sois libre de te laisser pousser des sabots à la place des pieds. J’ai été beau, j’ai été belle, j’ai été bête. Et toi, les petits riens, tu sais quoi en faire, des petits riens ? Regarder sans les yeux, est-ce que tu as appris ? L’écrivain Fabrice Melquiot et la chorégraphe Ambra Senatore se sont inspirés pour ce spectacle d’un conte rare à découvrir, venu d’Islande : La Peau de la phoque. Avec ses jeux de rôle, ses confrontations impromptues et son regard oblique sur nos attitudes et postures, la chorégraphe turinoise Ambra Senatore élabore avec finesse une danse espiègle, pleine d’humour et de légèreté, mais qui sait aussi préserver des instants de pure grâce, ou de tendre étrangeté. Il s’agit de sa première collaboration sur scène avec un écrivain, un défi qu’elle relève pour le plus grand bonheur du spectateur. Une danse qui s’adresse à tous, nourrie de théâtralité, d’actions et de gestes du quotidien en lien avec les mots de l’écrivain. Ils sont cinq, danseurs et comédiens. Entre danse et théâtre, Ambra Senatore et Fabrice Melquiot leur inventent un dialogue inédit. Le bruit que fait la danse quand elle parle. Une musique d’enfance à retrouver, pour rire, pour jouer. Mentions du spectacle Chorégraphie et mise en scène : Ambra Senatore Texte et dramaturgie : Fabrice Melquiot, d’après le conte islandais La peau de la phoque Avec : Aline Braz Da Silva, Antonio Buil, Arnaud Huguenin, Madeleine Piguet-Raykov, Barbara Schlittler. Création sonore : Nicolas Lespagnol-Rizzi Lumière : Joël L’Hopitalier Création 2013 Am Stram Gram le Théâtre Genève ©Elisabeth Carecchio Notes d’intention Quand la danse rencontre les mots L’écrivain Fabrice Melquiot a anticipé mes désirs avec sa proposition de collaboration en me lançant un défi stimulant. Je n’ai jamais travaillé à partir d’un texte, ni autour d’un texte. Et en général je ne pars même pas d’une thématique, mais de certaines petites suggestions, souvent d’une image en mouvement très claire, autour de laquelle la pièce se construit sans que j’aie prévu à l’avance sa forme finale. Le parcours de création clarifie au fur et à mesure quel est le cœur du travail. Ce qui m’intéresse c’est de travailler sur des portraits humains et sur le croisement entre la vraie vie et la fiction propre au spectacle. De garder une relation concrète, directe entre scène et spectateurs. Je veux inventer une danse qui rencontre les gens et propose une relation d’humanité, laissant place à la fragilité, au doute, au sens critique, au partage et à l’humour. Je disais que Fabrice a devancé mon désir, parce que j’ai depuis longtemps le désir de travailler en liaison avec un texte. À ce moment de mon parcours créatif, j’ai grande envie de chercher à construire une dramaturgie qui ne soit pas liée nécessairement à une narration, mais qui passe par l’action et par la présence des corps. Avec cette proposition du théâtre Am Stram Gram, je peux partager à quatre mains, avec quelqu’un que j’estime beaucoup, la construction d’une dramaturgie des corps qui passe par les mots et la narration. C’est la première fois que je travaille avec l’enfance et la jeunesse comme source de ma recherche, mais à dire vrai je pense toujours mes spectacles comme des spectacles pour tout public. Du point de vue de la danse, je veux continuer mon travail sur la dynamique du mouvement dansé, nourri d’éléments de théâtralité, d’actions et de gestes quotidiens, qui interviennent comme des coups de pinceaux ;; sur la construction et déconstruction d’images en mouvement ;; sur la distribution d’indices dont le sens se dévoile petit à petit. Je veux travailler sur une danse qui rencontre les gens. Il ne s’agit pas de plaire au goût commun, mais d’inventer une danse qui puisse être proche de la personne et proposer avec simplicité́ une relation d’humanité, laissant place à la fragilité, au doute, au sens critique, au partage et à l’humour. Je voudrais sur scène des présences intenses, des personnalités qui puissent émerger fortement à partir de la simplicité de leur posture et de leur mouvement naturel. Je veux chercher à travailler sur une écriture chorégraphique précise, centrée sur les relations dans l’espace de corps très sensibles et très conscients, mais pas trop affectés par le savoir d’une danse technique au sens traditionnel. Ambra Senatore Aimer ce qui n’est pas aimable À l’origine de La Belle et la Bête et de milliers de contes populaires à travers le monde traitant du Fiancé Animal, on trouve Amour et Psyché, conte d’Apulée présent dans L’Âne d’or ou les métamorphoses, roman écrit au deuxième siècle après J.C. Eros réclamait à Psyché l’obscurité pour s’aimer ;; aveugles l’un à l’autre, les corps et les instincts se rencontraient sans se voir, jusqu’à ce que la raison donne raison à sa curiosité et ne trahisse la confiance exigée, dans l’interdit transgressé. Le Fiancé Animal est une figure phare de l’imaginaire collectif. Sans frontière, le dragon partout devient prince, la grenouille se transforme en princesse, dès lors que le conte reconnait, pour et avec son lecteur, que l’on peut aimer ce qui n’est pas aimable. Question : qu’est-ce qui est beau ? Réponse : ce qui plaît à la vue. Mais puisque je dois apprendre à voir sans les yeux... Comment est-on belle ? Comment est-on beau ? Et comment est-on une bête ? Pudique, secrète, la bête s’exprime peu, écrasée par sa malédiction ; si son élu(e) la découvre, elle en meurt. Voilà des fables qui nous parlent de nos liens, de nos attachements, de nos appartenances, du corset de notre apparence. Je suis tous les regards qui se posent sur moi, mais je suis peut-être d’abord, dans les belles nuits de l’âme, l’absence totale de regard. J’aimerais m’inspirer de la chanson de geste1 pour traverser ces contes, la rapprocher d’un slam non asservi à la rime, que je juge souvent encombrante et désuète, il faudra trouver ma danse d’écrivain dans la légèreté d’un chant sans musique ;; c’est la langue qui dessinera une portée solitaire, indépendante de la création musicale et sonore, indépendante du silence qui donnera sa propre musique. Sur scène, danseurs et comédiens ou danseurs-comédiens ;; je ne souhaite pas anticiper l’écriture du texte, mais accumuler des matières (chansons, poèmes, récits, dialogues, monologues...) au préalable, puis déterminer au contact du plateau, en volonté de tissage avec la chorégraphie d’Ambra Senatore, ce qui est à garder, à adapter, à écarter. Le texte sera donc finalisé au moment des répétitions, au cours du processus d’élaboration de la chorégraphie et de la mise en scène. Par-delà le dialogue entre danse et théâtre, rayonne dans Nos amours bêtes une puissance conciliatrice : celle du jeu, du jeu d’enfant, du jeu d’enfant détourné par les grands, ce jeu qui impose les règles à respecter, les défis à lancer, qui régit les échanges et bouscule les corps, parfois jusqu’au combat, parfois jusqu’à l’harmonie. Ici, on ne joue pour gagner qu’à condition que la victoire produise encore du jeu, nourriture frénétique de l’artiste et de l’enfant. Jouons ! Jouons ! C’est comme un appel au secours, une dernière volonté. Oui, il faut jouer ! Jouer à raconter, jouer à construire une pyramide avec quatre corps humains, jouer à faire chanter des galets, jouer à imiter les bêtes qu’on aime, jouer à s’aimer comme pour la vie entière pendant 50 minutes. Jouons ! Comme on dirait : sauvons-nous, regardons-nous, prenons l’air, cherchons des mystères, et coupons la tête à quelques questions. Jouons ! ©Elisabeth Carecchio Les chansons de geste sont des poèmes narratifs chantés qui traitent de hauts faits du passé. Le mot geste est issu du participe passé au neutre pluriel du verbe «gerere » qui signifie « faire ». Ainsi, le terme « gesta » signifie « les choses faites », d’où les « exploits ». Elles traitent de sujets essentiellement guerriers qui ont la particularité de se situer généralement à l'époque carolingienne, le plus souvent au temps de Charlemagne ou de son fils Louis le pieux. La plus ancienne chanson de geste est La chanson de Roland, datée sans doute des alentours de 1098. Source : http://www.chanson-de-geste.com 1 Extrait du texte de Fabrice Melquiot Inspiré du conte islandais La peau de la phoque2 Matin. C’est l’Islande. C’est le Myrdalur. C’est une plage du Myrdalur. Au bord de l’océan, cet océan si haut. C’est une plage du Sud dans un pays du Nord. Un matin de bonne heure, un matin froid. On voit des rochers noirs comme des yeux oubliés. Plus loin, dans les terres, le toit de tôle rouge d’une de ces maisons typiques du Myrdalur. Il pourrait y avoir une voiture abandonnée, sur le flanc. On devine de grands carrés d’herbe verte où court l’absence, organisée en troupeaux. Sur la plage, le long des rochers noirs, on voit quelqu’un. Quelqu’un qui marche. Sur le sable, une jeune fille est agenouillée. Elle est nue et elle tremble. Elle essaie de cacher son corps dans ses deux mains trop étroites. C’est la phoque à qui appartient la peau que l’homme a emportée. Comment s’appelle-t-elle ? D’où vient-elle ? C’est une jeune fille très belle, mais ça n’a aucune importance, puisqu’elle pleure. Il lui tend son manteau, l’invite à partager sa vie. Elle le suit et l’épouse. Elle, qui lui tourne le dos quand elle cuisine. Immobile, lui qui la regarde et se répète : c’est ma femme. Accrochée à une cordelette de cuir, la petite clé́ pend au cou de l’homme qui ne la quitte jamais. On dit qu’un jour il est parti pêcher. Un voisin l’a vu sourire quand il a quitté sa maison. D’autres disent qu’il pleurait. On dit qu’il a fait exprès d’oublier la petite clé argentée qui ouvre le coffre de bois noir. Avec la peau dedans. La peau trouvée par le passé. A l’entrée de la grotte où l’on dansait. On dit que la femme a saisi la peau de phoque, l’a posée sur ses épaules. Elle a dit adieu à ses enfants. ©Elisabeth Carecchio 2 Le conte original est tiré du recueil Des Belles et des Bêtes. Anthologie de fiancés animaux, collection Merveilleux n°23 Monstres, animaux et métamorphoses : le cycle du fiancé animal3 Les figures monstrueuses et animalières, anthropomorphiques ou pas, abondent, généralement comme élément dans l’initiation du héros. Elles prennent les caractéristiques les plus évidentes de la monstruosité : le gigantisme, l’hybridation ou l’aberration de la nature. Le motif de l’époux ensorcelé est un des plus courants, il entrecroise et se confond avec celui de la métamorphose. Au début d’un parcours initiatique, une jeune femme (parfois un jeune homme) tombe sous l’influence d’un fiancé monstrueux que la transgression et l’amour véritable vont transformer en prince charmant. En général, il s’agit d’un personnage de haute naissance qui a été envoûté et transformé en animal par une sorcière ou un mage. L’amour d’un partenaire qui dépassera son dégoût réussira à lui redonner son apparence initiale. Ces récits expriment l’initiation sexuelle et spirituelle d’une jeune personne. Ces éléments récurrents se répètent sans cesse dans trois récits : le conte Amour et Psyché d’Apulée, La Belle et la Bête et Barbe-Bleue. Depuis Amour et Psyché, conte enchâssé dans L’Âne d’Or, d’Apulée (IIe siècle après J.-C.)4, les descriptions d’Éros en tant qu’être effrayant correspondent au fait que l’amour n’a pas de visage défini, qu’il est cruel car il fait souffrir. La Belle et la Bête5 est issu du même motif ;; c’est probablement un des contes ayant donné le plus de versions différentes6. Le monstre/animal symbolise la répugnance et la peur de la jeune fille devant le premier acte sexuel. Dans la plupart des versions c’est l’homme qui est transformé en bête, en raison de son rôle plus agressif dans les relations sexuelles. La femme doit surmonter son dégoût et voir finalement un beau jeune homme à la place d’un monstre. Seul le côté masculin de la sexualité est perçu comme bestial. C’est une initiation, un passage à l’âge adulte : la bête répugnante et terrible devient un beau prince quand la fille lui témoigne son amour véritable. À la fin de l’histoire, la jeune femme se détache du père (et donc de son attachement œdipien) de manière naturelle pour aller vivre auprès de la bête – qui n’en est pas une. (…) L’intrication d’Éros et Thanatos : le traumatisme et la perte Nous trouvons souvent dans ces contes une étroite relation entre amour et mort, principes opposés et reliés. Dans La Belle et la Bête, le père cueille la rose rouge pour sa fille – symbole de la défloration, d’un œdipe incestueux entre père et fille. La transgression d’un tel interdit moral doit être punie de mort, car l’Éros est mal employé. Ce motif se répète lorsque la Belle annonce qu’elle mourrait si elle ne retrouvait pas son père – qui est alors seul – ; elle recherche encore sa sexualité enfantine. Puis Éros et Thanatos s’équilibrent : la Bête se meurt d’un amour véritable et juste, ce qui établit dans l’esprit de la Belle sa propre sexualité. C’est grâce au déplacement de l’Éros du père sur la Bête que la Belle permet à celle-ci de renaître sous la forme d’un beau jeune homme. (…) Le cycle du fiancé monstrueux se perpétue sans cesse encore aujourd’hui dans des romans, des films ou des jeux d’ordinateur pour les nouvelles générations, prouvant ainsi la grande vitalité de ce thème universel. De Deerie Sariols Persson Source : http://www.cairn.info/revue-enfances-et-psy-2008-4-page-148.htm#no1 Conte en intégralité en cliquant sur le lien suivant : http://www.mediterranees.net/mythes/psyche/apulee.html 5 Versions de Mme Le-prince de Beaumont et de Mme de Villeneuve 6 Dans une monographie érudite de 1955, un folkloriste danois (J-Ö Swahn) fait le compte : plus de 1100 variantes de La Belle et la Bête parcourent le monde. Source : http://www.jose-corti.fr/titresmerveilleux/belles-betes.html 3 4 Trois question à Ambra Senatore Ambra Senatore est chorégraphe. En février 2013, elle crée avec Fabrice Melquiot « Nos Amours bêtes » au Théâtre Am Stram Gram, un spectacle danse et théâtre pour 5 interprètes. Le spectacle sera à l’affiche à Genève jusqu’au 10 mars, puis il partira en tournée. Que vous inspire ce thème des fiancés animaux ? Ce qui m’intéresse en tant que chorégraphe, c’est toujours de parler de l’être humain. Un thème, comme celui du fiancé animal, retient mon attention s’il me détache de mes habitudes, me rend curieuse et me permet d’explorer de nouvelles facettes de notre humanité. Au départ, quand Fabrice Melquiot m’a proposé ce thème des fiancés animaux, j’y ai d’abord pensé comme à une métaphore de l’amour, de la relation amoureuse. De multiples contes, dans tous les pays, nous parlent de cela. Pourquoi avez-vous choisi de travailler sur un conte venu d’Islande ? La Peau de la phoque est l’un des contes de fiancés animaux parmi les plus intéressants, car il met en scène un personnage qui passe de l’animal à l’humain et inversement, dans les deux sens donc. Au-delà de la relation amoureuse, il nous parle aussi de la transformation, de nos différents visages, nos peaux, nos facettes ; et de comment on passe de l’un à l’autre, tout le temps : il dit qu’on peut être bête et homme, mais plus encore, qu’on peut être tour à tour mille choses, mille animaux – comme ceux qui apparaîtront en fonction des spectateurs, dans le spectacle… On ne parle pas ici de se cacher derrière des masques, mais au contraire de laisser émerger, par le jeu, des éléments qui nous constituent, mais qui restent souvent cachés. Ce conte nous parle aussi du choix. Qu’est-ce que signifie le jeu, les jeux pour vous ? Je travaille sur cette notion de jeu depuis longtemps, c’était déjà présent dans la démarche de création de mes spectacles Passo (Pas – démarche) en 2010 et A Posto (En place) en 2011, même si le jeu n’apparaît pas en tant que tel dans ces spectacles. Dans John, mon dernier spectacle créé en 2012, il y a une vraie présence des jeux, et dans Nos Amours bêtes c’est également le cas. Le jeu, c’est un engagement très fort dans quelque chose qui n’est pas nécessaire, qui le devient cependant pour le joueur. Cela résonne très fortement pour moi sur le plan créatif, en tant que rapport à la fiction notamment. Le récit de La Peau de la phoque comprend pour nous une vingtaine d’images évocatrices et j’ai cherché comment leur traitement scénique pouvait rencontrer le jeu. Le but du jeu est ici d’arriver à raconter ce conte ! ©Elisabeth Carecchio ©Elisabeth Carecchio Article de presse (Théâtre de Genève, mardi 26 février 2013) Pédagogie & ressources Vidéos Fabrice Melquiot présente le projet de création Nos amours bêtes (avant de commencer la création, certaines informations ont évolué) http://www.dailymotion.com/video/xtrlud_nos-amours-betes_creation#.USOB5LTchz9 Présentation du spectacle (à une semaine de la création) : 18 minutes http://vimeo.com/60103592 Vous trouverez des informations sur les éléments du spectacle : Texte et conte Rapport danse et théâtre dans cette création La création sonore et musicale La création lumière Ce qu’aborde le conte : transformation (entre l’être humain et l’animal), la relation amoureuse, le choix… Anecdote cinématographique Jean Cocteau tourne la Belle et la Bête, pendant neuf mois, en 1945 et 1946. Plus le tournage avance, plus il est malade. Sa peau se recouvre d'eczéma, comme si un sortilège – ou une angoisse – le rapprochait de sa pauvre bête sentimentale. Dans l'introduction au journal si précis de son film (1), il écrit : «Le postulat du conte exige la foi et la bonne foi de l'enfance. Je veux dire qu'il faut y croire à l'origine et admettre que cueillir une rose puisse entraîner une famille dans l'aventure, qu'un homme puisse être changé en bête et vice versa. Ces énigmes rebutent les grandes personnes, promptes à préjuger, fières du doute, armées de rire.» D’autres contes faisant référence au fiancé animal Le Roi-Porc : Le Roi Porc (Il Re Porco) est un conte de fées figurant dans le premier volume – Deuxième Nuit, Première Fable – des Nuits facétieuses, publié en 1550 à Venise sous le nom de Giovanni Francesco Straparola. Il s'agit de l'un des premiers contes de fées littéraires publiés en Europe. À la fin du XVIIe siècle, Madame d'Aulnoy écrira, en français, sa propre version du conte, sous le titre Le Prince Marcassin. C'est également du Roi Porc que semble s'inspirer le conte la Belle et la Bête. 7 En intégralité en cliquant sur le lien suivant : http://lescontesdefees.free.fr/Contes/leroiporc.htm La Fauvette-qui-saute-et-qui-danse : En intégralité en cliquant sur le lien suivant : http://www.grimmstories.com/fr/grimm_contes/pdf/la_fauvette-qui-saute-et-qui-chante.pdf La femme en peau de phoque est un conte original du fait que ce soit une femme et non un homme qui se transforme en bête. Voici l’intégralité du conte ci-dessous : On raconte que les phoques sont des humains qui se sont noyés dans la mer. On n'a plus aucune preuve de cela. Parfois, quand il n'y a personne, les phoques viennent sur le rivage, ôtent leurs peaux et dansent sur le sable. Il y a bien longtemps, un pêcheur solitaire vivait dans une maison au sommet d'une falaise. Même s'il pêchait tout le temps, il se sentait seul. Certains jours la solitude lui pesait tant qu'il en pleurait. Un soir à la fin de l'été, le pêcheur était assis sur un rocher et regardait tristement la mer. Tout à coup, il entendit des bouts de musique et des rires emportés par le vent. Ça venait de l'autre bout de la plage. Il courut sur le sable et escalada les rochers pour observer l'autre côté. Juste en dessous il y avait des femmes nues qui dansaient et chantaient. Il n'avait jamais vu d'aussi beaux visages et des 7 http://fr.wikipedia.org/wiki/Le_Roi_Porc corps aussi joyeux. - "Oh! mais...je vous reconnais, murmura-t-il. Vous êtes les femmes-phoques ! Et qu'est-ce qui se passerait si je m'offrais une petite peau ?" Sur ces mots il dévala les rochers, courut sur le sable et vola en vitesse une peau argentée. Aussitôt les femmes se mirent à brailler comme des bébés-phoques et enfilèrent en vitesse leurs peaux de phoques et plongèrent dans l'eau. Pendant ce temps, le pêcheur s'en allait avec la peau de phoque sous le bras. Presque arrivé au sentier de la falaise, il entendit un pas derrière lui. Il se retourna et vit une femme qui tendait les bras en pleurant. - "Attendez Monsieur ! S'il vous plaît, rendez-moi ma peau !" Jamais le pêcheur n'avait vu une aussi belle femme. - "Ne retournez pas dans la mer, venez vivre là-haut avec moi et vous serez ma femme" dit le pêcheur. - "C'est impossible. Je ne suis pas comme vous." dit la femme. Le pêcheur répondit : - "Si vous voulez bien devenir ma femme, je vous rendrai votre peau dans sept ans exactement." Elle n'avait pas le choix. Le pêcheur l'enveloppa dans son manteau et l'amena chez lui. Pour dîner, il lui servit des petits gâteaux ronds et du porridge (une bouillie de flocons d'avoine). Pendant qu'elle mangeait, il alla dans la grange et cacha la peau de phoque sur une poutre du toit. Un beau jour, ils eurent un enfant. C'était le plus beau garçon de l'île. Il adorait sa mère. Il frottait ses joues contre les siennes, respirait le parfum de sa peau et caressait ses longs cheveux noirs. Sa mère l'impressionnait beaucoup. Elle faisait des dessins dans le sable et lui disait de deviner le dessin qui était en-dessous de sa main. Le petit répondait toujours rien. Elle lui apprenait à chanter des chansons mélancoliques, à siffler comme un merle et à creuser des roseaux. Mais au fil des années, la femme-phoque vieillissait. Quand les sept années furent passées, elle réclama sa peau de phoque. Le pêcheur ne voulait pas la lui rendre. Il avait peur qu'elle le quitte. Une nuit, ils se disputèrent et l'enfant se réveilla. Il vit son père claquer la porte. Il se rendormit en pleurant parce qu'il adorait sa mère et ne voulait pas la perdre. Quand il se réveilla le lendemain matin, son père était parti et sa mère dormait encore. Il sortit de la maison et le vent le poussa vers la grange. Il trébucha et reçut sur la tête un drôle de paquet tout mou qui tomba de la poutre. Il huma la peau et sut tout de suite que cela appartenait à sa mère. Il courut jusqu'à la maison et déposa la peau sur sa mère endormie. Aussitôt, elle se réveilla et enfila sa peau. - "Oh! Mon bébé, maintenant je dois retourner chez moi." Ces mots brisèrent le cœur de l'enfant. - "Emmène-moi, maman !" dit-il en pleurant. Elle regarda la mer, puis son fils, et elle hésita. Elle ne pouvait le laisser, car c'était toute sa vie. Elle prit l'enfant, descendit le sentier pour se rendre à la plage et là, elle s'arrêta, car elle ne s'avait quoi faire. Puis elle eut une idée. Subitement, elle posa sa bouche sur la sienne et souffla trois fois dans ses poumons. Puis l'attrapant comme un balluchon, elle plongea dans la mer. Tous deux nagèrent ensemble, en respirant comme des phoques. Ils arrivèrent dans une grotte sous-marine où ils trouvèrent toute une famille de phoques qui jouaient et dansaient. Un vieux phoque argenté vint les saluer. - "Bienvenue ma fille, dit-il en souriant. Tu nous amènes un bel enfant." - "Mais il ne peut pas rester ici, dit-elle. Il doit retourner là-haut." Ensuite, tous les trois commencèrent à pleurer. Sept jours plus tard, la mère-phoque était redevenue comme avant. Le grand-père et la mère accompagnèrent l'enfant jusqu'à la côte. Quand ils arrivèrent-là, ils le posèrent sur un rocher. - "Je serai toujours avec toi, dit-elle à son fils." Elle s'en alla. Depuis ce jour, l'enfant a bien grandi. Il est devenu un grand conteur et chanteur que tout le monde aime. Quand au père, on n'entendit plus parler de lui... Bibliographie BETTELHEIM, B., Psychanalyse des contes de fées, Robert Laffont, 1976 GARCIA-DEBANC, C., Objectif écrire, CDDP Lozère, 1987 Groupe d’Ecouen, Former des enfants producteurs de textes, Hachette éducation, 1988 JEAN, G., Le pouvoir des contes, Casterman, 1990 LEON, R., La littérature de jeunesse à l’école, Paris, Hachette éducation, 1994 LOISEAU, S., Les pouvoirs du conte, " L’éducateur, Paris, PUF, 1992 MALHERBE, G., Du silence à la création de contes, " Cahiers pédagogiques n°309, décembre 1992, P. 32-33 MILLE ANS DE CONTES DE MER, Paris, Milan, 1994 RAPHOZ, F., Des Belles et des Bêtes. Anthologie de fiancés animaux, Collection Merveilleux n°23, éditions Corti, 2003 SANZ, M., Lire et écrire des contes, cycle des approfondissements, Larousse-Bordas, 1997 SOUPAULT, R. et Ph., Histoires merveilleuses des cinq continents : sur les routes, l’aventure, Pocket junior, 1997 VIALA, J.P., HALUSKA, P., Lire, écrire et produire en classes difficiles, Hachette éducation, 1996 SOYEZ LES BIENVENUS ! La plupart de nos propositions étant accessibles aux collégiens et lycéens, nous aurons plaisir à vous accueillir tout au long de la saison (pour vous renseigner sur les séances tout public, reportez-vous sur www.manegedereims.com). Pour les séances scolaires (en journée), les spectacles sont accessibles au tarif de 4 € par élève. Les accompagnateurs du groupe bénéficient d'1 place gratuite par groupe de 10 élèves maximum. Pour les adultes accompagnateurs supplémentaires, la place est à 6 €. Pour les groupes scolaires, en soirée les spectacles sont accessibles au tarif de 6 € par élève. Les accompagnateurs du groupe bénéficient de places gratuites dans certaines proportions. Pour les adultes accompagnateurs supplémentaires, la place est à 10 €. Laurette Hue, au service des relations avec le public du Manège de Reims, est votre nouvelle interlocutrice pour le suivi des réservations scolaires : [email protected] Afin de préparer vos élèves au spectacle, nous élaborons - aussi souvent que possible - des ateliers du regard et des ateliers pratiques. Pour tout renseignement, le service des relations avec le public se tient à votre disposition. Ressources en ligne : www.manegedereims.com La page Facebook du Manège de Reims : http://url.exen.fr/43680/ La page Public en Herbe 2012-2013 : http://mutualise.artishoc.com/reims/media/5/public_en_herbe_12-13.pdf Vos interlocuteurs au Manège Laurette Hue 03 26 47 98 72 / [email protected] Votre interlocutrice pour toutes les réservations scolaires Céline Gruyer 03 26 47 97 70 / [email protected] Elise Mérigeau 03 26 46 88 96 / [email protected] Responsables des relations avec le public Rémy Viau – [email protected] Enseignant relais, responsable du service éducatif