Guide d`observation lunaire 1

Transcription

Guide d`observation lunaire 1
Petit guide d’observation lunaire (1)
Les quatre premiers jours de la lunaison
Avant-propos
Si vous demandez à des astronomes amateurs quel est le premier objet céleste qu’ils ont
observé, il y a de grandes chances qu’ils vous répondent en chœur « la Lune ». Tout le monde est,
surtout si c’est la première fois, émerveillé par l’image du satellite naturel de la Terre, et il n’est
pas rare lors des soirées d’observation d’entendre quelqu’un s’écrier « Wouaouw, c’est splendide ! »,
ou proférer toute autre expression – peut-être nettement moins poétique… !
Seulement voilà, le moindre petit instrument révèle déjà des centaines de cratères, et il
faut bien se dire que si on se limite à une observation furtive, ils se ressemblent tous. La Lune
risque donc d’être plus ou moins rapidement délaissée, notamment au profit d’objets du ciel
profond ; et les amateurs fuiront l’astre de la nuit entre le premier et le dernier quartier, tant son
éclat empêche toute observation sérieuse d’objets de faible luminosité.
Alors, est-il vraiment intéressant d’observer la Lune? La réponse est sans équivoque oui,
pour autant que l’on se donne la peine de passer du stade de la contemplation au stade de
l’observation.
Au fil de quelques articles, je vais vous montrer que la Lune est un astre étonnamment
riche en formations diverses, et ce quel que soit le moment de la lunaison et la puissance de
l’instrument d’observation dont on dispose.
Mon but n’est pas ici de présenter un historique des formations lunaires ou d’aborder les
subtilités de la mécanique céleste, mais simplement de vous apprendre à repérer et observer
certaines formations plus ou moins classiques qui, je l’espère, vous plairont.
Vous trouverez donc dans les prochains numéros de Galactée une série d’articles
décrivant quelques formations visibles pendant une période de quelques jours de la lunaison. Les
formations seront classées par difficulté et par intérêt d’observation. Je mentionnerai également la
taille minimale de l’instrument à l’aide duquel les observations pourront être effectuées.
Les objets que nous allons rencontrer peuvent être observés soit durant la phase
croissante (de la nouvelle Lune à la pleine Lune) ou la phase décroissante (de la pleine Lune à la
nouvelle Lune). Certaines formations seront plus intéressantes à observer lors de l’une de ces
deux phases ; par exemple, le Mur Droit est très facile à observer un jour après le premier
quartier, mais son observation est plus délicate après le dernier quartier (nous verrons pourquoi
dans un prochain article !)
Quel instrument utiliser ?
Contrairement aux idées reçues, lunettes et télescopes se valent pour l’observation de la
Lune. Si vous voulez que l’observation soit confortable, je vous conseille d’utiliser, en fonction de
la turbulence ambiante, un grossissement compris entre D et 2 D , où D désigne le diamètre de
16
l’objectif de la lunette ou du télescope, exprimé en millimètres. Nul besoin d’oculaire à grand
champ, un oculaire classique de type Plössl par exemple fera parfaitement l’affaire. Pour les
mordus, sachez qu’une tête binoculaire améliorera grandement la qualité et le confort de vos
observations lunaires. Un filtre n’est pas indispensable à fort grossissement ; par contre, à faible
grossissement, un filtre se révélera utile entre le premier et le dernier quartier, tant l’éclat de notre
satellite devient aveuglant dès que votre instrument atteint un certain diamètre ; vous avez le
choix entre un filtre lunaire classique (de teinte verdâtre), un filtre polarisant (simple ou double),
un filtre jaune clair, voire un filtre rouge selon vos goûts.
Une bonne carte – ou un bon atlas lunaire – est vivement recommandé. Pour ma part, la
référence est l’« Atlas de la Lune », d’Antonin Rükl, publié par les éditions Gründ ; il est
malheureusement temporairement épuisé mais peut être facilement trouvé chez les bouquinistes.
J’utilise également l’« Atlas virtuel de la Lune », téléchargeable gratuitement à l’adresse
http://www.astrosurf.com/avl/FR_index.html.
Une dernière recommandation… N’oubliez pas qu’un télescope ou une lunette renverse
les images (ce n’est pas grave, il suffit pour comparer avec votre carte de faire pivoter celle-ci de
180° !) Par contre, l’utilisation d’un renvoi coudé inverse en plus les images selon une symétrie
gauche-droite ; c’est plus gênant, une comparaison avec une carte demande ici une certaine
gymnastique mentale. Notons qu’il existe cependant des cartes incorporant cette inversion
gauche-droite (une carte de ce type, la Sky & Telescope’s Mirror-Image Moon Map, est commercialisée
par la grande revue revue américaine Sky and Telescope).
Enfin, n’hésitez pas à venir nous retrouver lors des Nocturnes afin d’observer la Lune à
l’aide d’un large éventail d’instruments ; et, pourquoi pas, à nous proposer une observation dans
une région qui vous tient particulièrement à cœur. Je me ferai également un plaisir de vous aider
si vous avez des difficultés à repérer l’une ou l’autre formation particulière.
La Lune au quatrième jour de la lunaison ( J. Bavais).
17
En route…
Pendant les 48 premières heures de la lunaison, la Lune est relativement « jeune », et donc
fort proche du Soleil dans le ciel : elle est noyée dans une épaisse couche atmosphérique, ce qui
nuit grandement aux observations à haute résolution. Il existe néanmoins une période plus
favorable que d’autres : de juin à juillet, l’angle formé par l’écliptique et l’horizon est maximum, et
la Lune n’est pas trop proche de l’horizon. Il est également possible d’observer les formations
que nous allons visiter pendant les deux à trois jours qui suivent la pleine Lune.
Le point de départ de notre balade sera la Mer des Crises, qui divise le croissant lunaire en
deux parties pratiquement identiques.
1) La Mer des Crises (Mare Crisium)
Difficulté : Intérêt : Instrument minimum : œil nu.
La Mer des Crises est l’une des formations les plus aisément repérables sur la Lune. Vue
de la Terre, elle ressemble à un énorme cratère ovale à fond lisse. Cette formation est en fait
parfaitement circulaire, c’est un effet de perspective qui nous la fait paraître comprimée
latéralement.
En l’observant à l’aide d’une
petite lunette, on peut voir à l’intérieur de
la Mer des Crises deux à trois petits
cratères du coté ouest. Avec un télescope
plus puissant et un grossissement
d’environ 200 fois, on peut en dénombrer
jusqu’à une petite dizaine selon les
conditions d’éclairement. Il est également
possible d’observer un ensemble
d’« ondulations » (les sélénographes
parlent de dorsales) orientées dans le sens
nord-sud ; celles-ci sont facilement
visibles aux alentours du troisième jour
lunaire, ou deux jours après la pleine La région de la Mer des Crises (A : la Mer des Crises ; B : le Lac
des Songes ; C : le cratère Cauchy ( J. Bavais).
Lune. Ces dorsales ont pour origine des
mouvements tectoniques, un peu à
l’image – à une échelle nettement moindre ! – de la formation des montagnes sur Terre
Enfin, il existe à l’ouest de la Mer des Crises une zone en forme de losange qui, à la pleine
Lune, prend une teinte particulière, intermédiaire entre le gris clair et le gris foncé : le Lac des
18
Songes (Lacus Somniorum). Cette formation est facilement visible à l’aide de jumelles ou d’une
longue vue.
2) Messier
Difficulté : Intérêt : Instrument minimum : lunette de 60 mm (grossissement 100 ä).
Voilà un cratère bien intéressant à observer ! Le
repérage en est assez simple : partant de la Mer des Crises,
il suffit de reporter une fois la distance de son grand axe
vers le sud ; vous tombez ainsi sur le cratère Langrenus,
dont le diamètre est de 133 km. Partant de Langrenus vers
le nord-ouest, on trouve le cratère Messier (9 ä 11 km), en
plein milieu de la Mer de la Fécondité (Mare Fecunditatis),
qui forme en fait un joli couple avec Messier A
(13 ä 11 km). En observant ces deux cratères de plus près
à
fort
grossissement,
on constate que
ceux-ci ont une
forme oblongue.
Comment trouver le cratère Messier en
On
pourrait
s’aidant de la Mer des Crises et du
croire qu’il s’agit
cratère Langrenus …
là d’un effet de
perspective comme pour la Mer des Crises, mais il n’en
est rien : il semble que Messier ait été créé par l’impact
d’une météorite tombant sous un angle faible, et que
l’objet incriminé ait rebondi pour former Messier A.
On peut également voir à l’ouest de ces deux cratères deux rayons (ejecta) s’étendant sur
une centaine de kilomètres et qui ont vraisemblablement été créés lors de la formation de
Messier.
3) Petavius
Difficulté : Intérêt : Instrument minimum : lunette de 60 mm (grossissement 100 ä).
C’est un de mes cratères préférés ! Son repérage est très simple : partant de la Mer des
Crises, il suffit de reporter deux fois la distance de son grand axe vers le sud. Il s’agit d’un grand
cratère de 177 km de diamètre, dont les remparts atteignent environ 3 000 m de hauteur. Son
19
originalité est de posséder une rainure (rima) partant de son pic central vers le sud-ouest, qui
coupe le cratère selon un rayon. Cette rainure est facilement visible à l’aide d’une petite lunette.
Un télescope de 200 mm, avec un grossissement de 200 ä, permettra de distinguer également une
rainure partant du centre du cratère vers le nord, mais celle-ci est un peu plus difficile à repérer.
Ces rainures ont vraisemblablement été formés par des coulées de lave lors de l’impact qui a
donné naissance à Petavius.
4) Janssen
Difficulté : Intérêt : Instrument minimum : lunette de 60 mm (grossissement 35 ä).
Le repérage du cratère
Janssen est aussi simple que celui des
formations
précédentes.
Pour
localiser Langrenus, nous avions, au
départ du bord sud de la Mer des
Crises, reporté une fois vers le sud la
longueur de l’axe nord-sud de cette
dernière, et pour Petavius deux fois
cette distance. Eh bien, pour Janssen
ce sera … trois fois ! (logique, non ?)
C’est un cratère facile à
repérer car, avec ses 190 km de
diamètre, c’est tout simplement le
plus grand de la région. Il s’agit d’un
À l’intérieur du cercle en pointillé, le grand cratère érodé Janssen avec
son système de rainures et, au nord, le cratère Fabricius. Au nord-est
de Janssen, la Vallée de Rheita.
20
cratère ancien, et par conséquent il est fortement érodé. A l’intérieur de celui-ci, dans la partie
nord, on trouve le cratère Fabricius, d’un diamètre de 78 km, ainsi qu’une multitude de cratères
plus modestes. Une autre particularité de ce cratère est la présence d’un système de rainures
(Rima Janssen), dont la plus grande a la forme d’une parenthèse ouverte qui part du bord
inférieur de Fabricius vers le bord inférieur de Janssen. Elle est très facile à observer à l’aide d’une
petite lunette et un grossissement de 100 ä environ.
5) Vallis Rheita
Difficulté : Intérêt : Instrument minimum : lunette de 60 mm (grossissement 100 ä).
Au nord-est de Janssen, à une distance égale à une fois son diamètre, se trouve une
curieuse formation, la Vallée de Rheita (Vallis Rheita). Celle-ci est constituée d’une série de
cratères juxtaposés de même diamètre, rigoureusement alignés selon un axe nord-ouest – sud-est.
Comme je l’ai signalé pour le cratère Janssen, nous nous trouvons dans une zone très dense en
cratères, ce qui peut vous dérouter pour le repérage.
6) La Mer Marginale (Mare Marginis)
Difficulté : Intérêt : Instrument minimum : jumelles (10 ä 50 par exemple), et de la patience…
La Lune ne présente pas toujours exactement la même portion de sa surface à la Terre.
En effet, le phénomène de libration – qui est dû à l’excentricité de l’orbite lunaire – permet en fait
d’apercevoir environ 59 % de la surface lunaire !
À gauche, la Lune, photographiée à un moment où la libration est défavorable ; à droite la libration est favorable : Mare
Marginis est visible ! ( J. Bavais)
21
La Mer Marginale que je vous propose de découvrir est située sur le bord est extrême de
la Lune, et à cause de la libration, elle n’est pas observable en permanence. Cette formation se
trouve à l’est de la Mer des Crises ; la photo ci-dessus vous permettra de la repérer. D’autres mers
extrêmes, visibles uniquement sous de bonnes conditions de libration, se trouvent du côté est de
la Lune.
Une autre observation intéressante : quand la libration est favorable, on peut repérer des
cratères qui sont invisibles à d’autres moments à l’est du limbe lunaire, quelques heures après la
pleine lune.
7) Torricelli
Difficulté : Intérêt : Instrument minimum : lunette de 60 mm (grossissement 100 ä).
Le bombardement de météorites qui a donné naissance aux cratères lunaires voici
plusieurs millions d’années s’est effectué de manière complètement aléatoire, et a parfois produit
des bizarreries comme le cratère Torricelli. Ce cratère est assez facile à repérer : il se situe en plein
milieu du Golfe de l’Aspérité1 (Sinus Asperitatis), lui-même localisé au sud de la Mer de la
Tranquillité (Mare Tranquillitatis).
A : le cratère Torricelli ; B : le Golfe de l’Aspérité ; C : le cratère Beaumont ; D : la Mer du
Nectar ; E : le cratère Fracastor.
Souvent appelé improprement Golfe des Aspérités (ce qui donnerait Sinus Asperitatum en latin) ; les sources
anglophones donnent souvent, plus correctement, Bay of Roughness, qu’on peut traduire par Golfe de l’Âpreté.
1
22
Le cratère Torricelli, enclavé dans un ancien
cratère complètement érodé.
Torricelli a la forme d’une … poire couchée sur le
flanc ; il résulte de la « fusion » de deux cratères – le plus
petit cratère ayant été formé après le plus gros. Cette
forme caractéristique est facilement identifiable à l’aide
d’une petite lunette. Un plus gros télescope révèle que
Torricelli se trouve en fait sur un cratère fantôme, c’est-àdire un cratère dont les remparts ont été complètement
engloutis pendant la formation du Golfe de l’Aspérité.
8) Fracastor
Difficulté : Intérêt : Instrument minimum : jumelles (10 ä 50).
Fracastor est le type même de cratère érodé sur un de
ses flancs. La lave qui a formé la Mer du Nectar (Mare
Nectaris) a débordé, ce qui explique que le fond du cratère ait
la même teinte que la Mer du Nectar. Le rempart nord n’a pas
résisté face à la poussée de lave, et a donc été englouti. On
peut néanmoins deviner une partie de celui-ci à fort
grossissement à l’aide d’un télescope de 200 mm : on observe
un ensemble d’irrégularités entre les deux « cornes » qui
délimitent le cratère. Au nord-ouest de Fracastor se trouve un
autre cratère fort similaire, le cratère Beaumont. Celui-ci a
semble-t-il connu le même destin que son grand frère.
Gros-plan sur le couple FracastorBeaumont
9) Rimæ Cauchy
Difficulté : Intérêt : Instrument minimum : télescope de 200 mm (100 ä).
Cauchy est un petit cratère situé à proximité du centre de la Mer de la Tranquillité. Au
nord et au sud de Cauchy, deux rainures s’étendent sur une distance de 200 km selon l’axe estouest ; celles-ci sont légèrement incurvées respectivement vers le bas (rainure nord) et vers le haut
(rainure sud).
C’est une belle formation à observer avec un télescope relativement puissant. Si je
l’observe facilement à l’aide d’un télescope de 200 mm, je n’ai jamais réussi à la trouver à
l’oculaire de la lunette de 60 mm. Si vous possédez un instrument de diamètre intermédiaire (au
moins 100 mm de diamètre à mon avis), je pense qu’elle devrait être à votre portée.
23
Le cratère Cauchy et les rainures qui l’encadrent.
10) Posidonius
Difficulté : Intérêt : Instrument minimum : lunette de 60 mm (grossissement 100 ä).
Posidonius est un superbe cratère, situé sur le rempart nord-est de la Mer de la Sérénité ;
c’est l’une des formations les plus remarquables de la face visible de la Lune. Il forme un couple
avec le cratère Chacornac, qui est accolé à son rempart sud-est. L’intérêt de Posidonius réside
dans son système de failles internes. Les deux plus grandes sont visibles à l’aide d’une petite
lunette ; avec un télescope plus puissant, l’image est saisissante et inoubliable, tant les rainures
sont nombreuses et variées !
11) Dorsa Smirnov
Difficulté : Intérêt : Instrument minimum : lunette de 60 mm (grossissement 35 ä)
Lorsque je vous ai parlé de la Mer des Crises, nous avons vu que la Lune a dans le passé
connu une activité tectonique plus ou moins semblable à celle de la Terre, ce qui a provoqué des
glissements de pans entiers de terrain lunaire qui se sont accumulés pour former des dorsales.
L’une des plus remarquables est la Dorsale Smirnov (Dorsa Smirnov) – aucun rapport avec la
vodka du même nom ! Celle-ci se trouve à l’intérieur de la Mer de la Sérénité, du côté est, et est
orientée selon un axe nord-sud. La dorsale se divise en deux à la hauteur du cratère Posidonius, et
elle repart vers l’ouest dans sa partie basse. En utilisant un faible grossissement, la dorsale donne
l’impression de former une vague, et je me suis souvent posé la question de savoir si ce genre de
24
formation n’avait pas influencé les premiers observateurs, qui ont cru voir dans ces vastes
étendues des « Mers » lunaires.
Les cratères Posidonius (A) et Chacornac (B), et la Dorsale Smirnov (C).
Dans le prochain article, nous rendrons visite aux formations intéressantes à observer du
cinquième jour de la lunaison au premier quartier. Je vous parlerai notamment d’un trio célèbre –
Cyrille-Catherine-Théophile –, d’un autre trio non moins célèbre – Ptolémée-AlphonseArzachel –, et de formations exotiques en tout genre.
Bonnes observations !
Giuseppe Monachino
25