Association Française des Opérateurs de Réseaux et
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Association Française des Opérateurs de Réseaux et
Contribution de l’AFORST à la consultation publique de l’ORECE relative au nouveau remède de séparation fonctionnelle Le 19 novembre 2010 à Paris L’AFORST souhaite remercier l’Organe des régulateurs européens des communications électroniques (ORECE) de lui offrir la possibilité de se prononcer sur son projet d’orientations sur la séparation fonctionnelle consacrée aux articles 13a et 13b de la directive « accès » révisée du 25 novembre 20091. L’AFORST se joint à la contribution de l’ECTA et laisse le soin à ses membres de commenter en leur nom propre le document objet de la présente consultation. Notre Association souhaite toutefois porter à l’attention de l’ORECE les remarques en prévision de l’adoption d’un document final. L’AFORST souhaiterait revenir sur les dysfonctionnements persistants observés sur le marché français et qui pourraient justifier l’imposition d’une séparation fonctionnelle, y compris sur ce marché perçu comme concurrentiel. Imposée en dernier ressort et à titre exceptionnel par le régulateur national lorsque « les obligations appropriées imposées en vertu des articles 9 à 13 n’ont pas permis d’assurer une concurrence effective et que d’importants problèmes de concurrence et/ou défaillances du marché persistent en ce qui concerne la fourniture en gros de certains marchés de produits d’accès », l’obligation de séparation fonctionnelle peut constituer un outil de dissuasion et une incitation efficace au comportement vertueux de l’opérateur historique mais aussi et surtout une mise en œuvre effective du principe de non discrimination concernant les goulets d’étranglement durable. Ainsi, contrairement au leitmotiv des opérateurs historiques, la séparation fonctionnelle n’est pas une mesure de « sur » régulation mais un moyen de garantir une mise en œuvre réellement effective et simplifiée du principe de non discrimination en permettant de garantir l’équivalence d’accès au bénéfice des opérateurs alternatifs. Elle est alors un outil de dérégulation progressive permettant de cibler les goulets d’étranglement durables, d’optimiser l’investissement et de stimuler l’innovation. Plus de dix ans après l'ouverture du marché des télécoms à la concurrence, l’opérateur historique français conserve toujours un quasi monopole sur l'accès qui lui assure une puissance d’action unique via des rentes significatives liées à l'abonnement téléphoniques et à ses produits de gros. Plusieurs éléments permettent de se prononcer en faveur de la séparation fonctionnelle de France Télécom, seul remède à même d’assurer une mise en œuvre effective du principe de non discrimination toujours insuffisamment garanti en France. Directive 2009/140/CE du 25 novembre 2009 modifiant les directives 2002/21/CE relative à un cadre réglementaire commun pour les réseaux et services de communications électroniques, 2002/19/CE relative à l’accès aux réseaux de communications électroniques et aux ressources associées, ainsi qu’à leur interconnexion, et 2002/20/CE relative à l’autorisation des réseaux et services de communications électroniques. 1 En effet, outre les dernières réflexions du Président de l’Autorité de la Concurrence devant le Club Parlementaire du Numérique2, l’AFORST constate et rapporte périodiquement : I. 12 ans après la libéralisation, un marché français qui reste très largement dominé par France Telecom II. les dysfonctionnements et insuffisances de l’obligation de séparation comptable3; III. Seule la séparation fonctionnelle peut garantir une réelle non discrimination opérationnelle ; I/ 12 ans après la libéralisation, le marché français reste très largement dominé par France Télécom Le marché français de détail est souvent perçu comme parmi les plus concurrentiels d’Europe. S’il est vrai que le marché du haut débit a été fortement dynamisé par le dégroupage et les investissements massifs des acteurs alternatifs, il n’en reste pas moins utile de prendre une photographie plus large du marché des télécoms dans son ensemble. En effet, la position toujours de quasi-monopole de France Télécom sur les marchés de l’accès et de la téléphonie fixe n’est pas sans conséquence. Malgré des tarifs d’abonnement parmi les plus chers d’Europe selon les derniers rapports d’implémentation du cadre communautaire, FT conserve 90% de la valeur du marché de la téléphonie fixe, marché supérieur à celui de l’ADSL en valeur (7Mds contre 4 à 5 seulement). Qui plus est les sommes versées par les opérateurs alternatifs au titre de l’accès au réseau de l’ancien monopole permettent à France Télécom de capter une grande partie de la valeur du marché de l’ADSL. Cette situation explique que France Télécom conserve un chiffre d’affaires quatre fois supérieur au chiffre d’affaires cumulé de tous les opérateurs alternatifs. Ces derniers investissent pourtant proportionnellement plus que l’opérateur historique : 47% des investissements du marché sont faits par les opérateurs alternatifs qui n’ont cependant en partage que 23% de l’EBITDA. Bruno Lasserre, Président de l’Autorité de la Concurrence, cité par EuroTMT : « il ne faut pas se l'interdire si [la séparation fonctionnelle entre réseaux et services] s'avère être le seul instrument à même de garantir une concurrence effective ». 3 Décision 06-1007 de l’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes en date du 7 décembre 2006 portant sur les obligations de comptabilisation des coûts et de séparation comptable imposées à France Télécom 2 Part de l'EBITDA et des Capex des opérateurs alternatifs 50% 45% % Capex 40% % EBITDA 35% 30% 25% 20% 15% 10% 5% 0% 2007 2008 2009 Source : IDATE II/ les dysfonctionnements et insuffisances de l’obligation de séparation comptable Prévue à l’article 11 de la directive accès, la séparation comptable a été intégrée à l’article L.38 I 5 du CPCE qui contient les obligations de séparation comptable et de comptabilisation des coûts dans les termes suivants : « Isoler sur le plan comptable certaines activités en matière d’interconnexion ou d’accès, ou tenir une comptabilisation des services et activités qui permette de vérifier le respect des obligations imposées au titre du présent article […] ». Les obligations comptables doivent ainsi permettre de vérifier en particulier le respect de l’obligation de non discrimination dans la fourniture de prestations d’interconnexion ou d’accès, et des obligations de ne pas pratiquer des tarifs excessifs ou d’éviction et de pratiquer des tarifs reflétant les coûts. Dans ce contexte, et à la lecture des comptes séparés 2006, 2007 et 2008, l’AFORST a mis en évidence un certain nombre de dysfonctionnements. A titre d’illustration, nous pouvons citer notamment les points suivants : les comptes ne correspondent pas à ceux d’une entreprise séparée ; les comptes ne permettent pas une comparaison pluri annuelle ; les chiffres conduisent à s’interroger sur les méthodes économiques réglementaires actuelles ; les comptes ne permettent pas de s’assurer de l’absence de discrimination ; Le premier constat fait par les opérateurs alternatifs français est que les comptes séparés témoignent de la non orientation de certains tarifs vers les coûts. Les tarifs de gros de France Telecom sont déterminés sur la base d’une prévision de ses coûts pour les années à venir. Pour diverses raisons, ces coûts prévisionnels différent des coûts réels constatés ex post tels qu’ils sont connus en vertu de l’obligation de publication des comptes séparés. Ainsi, l’étude de ces comptes a montré qu’en 2006, 2007 et 2008 l’opérateur historique a dégagé un surplus annuel d’environ 400 millions d’euros par an par rapport à ses comptes prévisionnels vis-à-vis des opérateurs alternatifs. Au-delà de ces surmarges constatées, le régulateur n’a prévu aucun mécanisme correctif permettant de réparer les préjudices subis. Cet écart conséquent et constant, qui n’a pas été corrigé ex post, représente un avantage indu pour l’opérateur dominant et un facteur sérieux de distorsion de la concurrence. L’AFORST a donc saisi le régulateur français d’une demande de compensation pour ce trop perçu par France Télécom. Dans une décision du 17 juin 2009, l’ARCEP a constaté des écarts significatifs entre les coûts prévisionnels utilisés pour fonder les décisions tarifaires passées et les coûts réels pour 2006 et 2007 tels qu’ils peuvent être mesurés grâce à la séparation comptable. L’Autorité a estimé n’avoir cependant à sa disposition aucun mécanisme de compensation avec effet rétroactif. Seule correction, pour 2009, France Telecom a proposé de nouveaux tarifs, en faisant par exemple passer les frais mensuels de dégroupage de la paire de cuivre de 9,29 € par mois à 9 €. Mais, outre que cette baisse se fonde encore sur des prévisions de coûts pour 2009 dont l’expérience montre le risque de surévaluation, l’opérateur dominant ne propose nullement de compenser le trop perçu des années antérieures. Ce trop perçu s’élève à 392 M€ pour 2006, 508 M€ pour 2007 et 383 M€ pour 2008. Pour assurer une concurrence équitable entre les opérateurs il apparaît évidemment nécessaire de corriger a posteriori de tels écarts, et ceci quel qu’en soit le sens. Dans le secteur de l’énergie où un problème semblable s’est posé, la Commission française de Régulation de l’Énergie (CRE) a estimé nécessaire « de mettre en place un mécanisme permettant de mesurer, pour des postes préalablement identifiés, les écarts entre les charges et produits réels et les charges et produits sur la base desquels ses propositions tarifaires sont fondées ». Elle a créé à cette fin un « compte de régularisation des charges et des produits » (CRCP) dans lequel sont placés « tout ou partie des trop-perçus et, le cas échéant, tout ou partie des manques à gagner d’un gestionnaire de réseaux publics. Selon que le solde de ce compte est positif ou négatif, son apurement s’effectue par des diminutions ou des augmentations des charges à recouvrer par les tarifs d’utilisation des réseaux publics d’électricité au cours des années suivantes » (cf. exposé des motifs de la proposition tarifaire de la Commission de régulation de l'énergie pour l'utilisation des réseaux publics de transport et de distribution d'électricité du 29 juillet 2005). L’expérience de ces dernières années montre tout l’intérêt qu’il y aurait à envisager un mécanisme analogue pour les tarifs de gros des communications électroniques dans la mesure où ils sont régulés. Ce mécanisme permettrait d’assurer une concurrence équitable entre les opérateurs La situation présente apparaît en effet contraire à l’esprit du nouveau paquet télécom qui vise à préserver la concurrence et à stimuler le choix des consommateurs grâce à la prévisibilité et à la cohérence règlementaire. Si l’introduction d’un CRCP et la transposition en droit français des nouveaux pouvoirs de sanction conférés à l’ARCEP par le paquet télécom du 25 novembre 2009 peuvent constituer une réponse périodique aux dysfonctionnements de la séparation comptable, l’AFORST considère que seule la séparation fonctionnelle des entités de gros et de détails de France Télécom pourrait cependant apporter une réponse efficace et pérenne. En particulier, une séparation fonctionnelle permettrait de s’assurer que la part des tarifs de gros de France Télécom correspondant à l’utilisation de la boucle locale sert bien à financer uniquement l’exploitation et le renouvellement de la boucle locale, ce qui n’est actuellement pas le cas en France. France Télécom utilisant à d’autres usages la rente qu’elle tire de la boucle locale. Enfin, si la séparation comptable s’avère insuffisante en l’état pour remédier aux problèmes de discrimination tarifaire, certes identifiés mais non traités, elle est totalement inutile concernant la discrimination dite opérationnelle. III/ La carence de la régulation ex-ante pour garantir une réelle non discrimination opérationnelle L’examen de la situation via les conditions d’accès aux offres disponibles permet d’identifier la persistance de problèmes récurrents dans la mise en œuvre pratique du principe de non discrimination. Ces problèmes s’avèrent encore bien plus critiques dans le cas des clients entreprises. L’AFORST est d’avis que seule une séparation fonctionnelle permettrait de remédier efficacement à ces problèmes. L’asymétrie d’information : cœur du problème des offres passives Les offres de gros doivent prévoir une information pertinente, fiable et dans des délais compatibles avec la concurrence sur le marché. Il est essentiel que cette information soit livrée aux opérateurs alternatifs dans les mêmes conditions qu’aux services concernés de l’opérateur historique, et non de manière parcellaire et dilatoire, comme cela a pu être observé notamment pour le génie civil. Une vigilance toute particulière doit être accordée aux processus d’accès aux informations d’avant vente, y compris sur les évolutions à venir des tarifs de gros réputés sousjacents. Les opérateurs alternatifs devraient avoir accès de manière transparente aux informations cartographiques sur les fourreaux et les chambres mais aussi à toutes les informations techniques indispensables au déploiement de leur propre réseau pour le raccordement des sites de leurs clients ou de leurs propres équipements (NRA ZO). Enfin, France Télécom impose aux opérateurs alternatifs des quotas de production stricts en matière d’étude sans pour autant se les imposer à elle-même ce qui a pour effet d’engendrer des coûts et surtout des délais supplémentaires dans l’accès à l’information. L’exemple de l’accès au génie civil de France Télécom : Dans sa décision n°2008-0835, l’ARCEP a imposé à France Télécom de donner accès à son génie civil pour permettre aux opérateurs concurrents qui investissent dans la desserte résidentielle de déployer leurs réseaux en fibre. En pratique, les règles prévues par cette décision demeurent insuffisantes et ne sauraient être considérées comme une solution définitive et satisfaisante. En particulier, en cas de saturation des fourreaux, l’opérateur alternatif n’a connaissance des tronçons saturés que s’il a préalablement souscrit une option payante ad hoc. En outre, les opérateurs alternatifs souffrent de la longueur et de la complexité des délais d’instructions de l’opérateur historique. Il sont ainsi placés dans une situation d’asymétrie d’information importante : France Télécom étant seule à détenir toute l’information nécessaire qui lui permette de traiter la question pour ses besoins propres. Cette asymétrie d’information se révèle très préjudiciable pour le développement d’une saine concurrence et la couverture numérique du territoire national, d’autant que le génie civil représente plus de 70 % des investissements nécessaires au déploiement d’un réseau. La QoS : cœur du problème des offres actives L’une des caractéristiques principales des clients à haute valeur sont leurs exigences élevées en matière de QoS et de garantie de QoS. Il est crucial donc que les opérateurs soient tous en mesure de répondre à ces besoins pour que la concurrence puisse se développer sainement. En effet, comme l’affirme l’ARCEP elle-même, la QoS des offres de détail des opérateurs alternatifs dépend grandement de celle offerte par l’opérateur historique sur les offres de gros. A de nombreux égards, la définition d’un produit de gros offrant des SLA « premium » serait donc une avancée importante pour permettre aux opérateurs alternatifs de vraiment jouer à armes égales avec l’opérateur historique. Pour répondre aux besoins spécifiques des entreprises, les opérateurs doivent notamment s’engager sur des garanties de temps de rétablissement (GTR) et des délais maximum d’interruption de service sur une période donnée. Pour les plus gros sites, des mesures particulières sont prises lors de l’établissement des accès pour veiller à limiter au maximum les risques de coupure de service, en particulier des accès fiabilisés (redondance d’équipements terminaux) et des raccordements sécurisés (utilisation de deux routes différentes pour le raccordement du site). Une révision des procédures entourant la publication par l’opérateur historique d’indicateurs clés de performance semble plus que nécessaire, ces améliorations pourraient notamment porter sur : - La mise en place de véritables audits de vérification, en particulier sur les indicateurs de performance technique. - L’instauration de sanctions véritablement dissuasives : un système de pénalités dissuasives devrait être intégré aux contrats entre l’opérateur historique et les opérateurs alternatifs. Ce système devrait prévoir un montant de pénalités croissant en fonction de la durée de l’indisponibilité du service. Il est en outre essentiel que toutes options disponibles et offertes sur le détail par l’opérateur historique soient également et instantanément disponibles sur les produits de gros aussi. Tout ce qu’une agence France Télécom propose doit pouvoir être également proposé par opérateurs alternatifs. De manière générale, l’opérateur historique devrait se calquer sur les prestations existantes qu’il propose sur le marché de détail. En particulier, la mise en place d’un responsable service client dédié aux offres de gros pourrait permettre d’assurer un suivi personnalisé du Réseau de l'opérateur tiers et notamment : - la rédaction et la mise en place d'un Plan Qualité Service Client (PQSC) : organisations, procédures et modes de fonctionnement conjoints pour le service après vente, la maintenance du Réseau et le suivi de la qualité de service ; - la fourniture de données statistiques de suivi des performances au travers de tableaux de bord mensuels et d’un bilan annuel ; - l'organisation de réunions périodiques avec l'opérateur alternatif afin de suivre les engagements contractuels Enfin, l’exigence de QoS se retrouve également dans les difficultés de migration de ce type de client pour qui une interruption de service est particulièrement inacceptable. Par exemple, dans le cadre de l’offre de gros Collecte Ethernet Optique Opérateur (CE2O), un client de détail ne peut changer de tranche de débits qu’au terme de procédures administratives très lourdes qui débouchent au final obligatoirement sur la réinitialisation du système et entraîne donc une coupure momentanée du service pour le client. Il s’agit d’une barrière à l’entrée très élevée pour que les offres de revente proposées par France Télécom soient réellement utilisables par les alternatifs. Ce type d’offres devrait être activables sur place, sans coupure pour le client, décorellées des procédures en place sur le détail. Conclusion Ainsi, au regard des défaillances de la régulation actuelle et des difficultés opérationnelles rencontrées par les opérateurs alternatifs, seule la séparation fonctionnelle de l’opérateur historique pourrait efficacement répondre au problème d’asymétrie de l’information, et plus généralement, garantir le respect du principe de non discrimination entre les acteurs du marché. Ceci pourrait s’avérer encore plus vrai avec le nouveau cycle d’investissement dans une nouvelle boucle locale fibre. L’ORECE reconnaît d’ailleurs que les investissements NGA devraient également être pris en compte là où la séparation fonctionnelle serait imposée. L’AFORST est donc favorable à la publication rapide des orientations de l’ORECE sur la séparation fonctionnelle. Il s’agirait d’un signe fort à l’attention des pouvoirs publics et plus particulièrement des régulateurs nationaux. Il est dans l’intérêt du marché et des utilisateurs finals que le remède de séparation fonctionnelle introduit lors de la révision du paquet télécom le 25 novembre 2009 soit un remède effectif et non considéré comme un simple dispositif d’ultime recours. La séparation fonctionnelle, garante d’une concurrence efficace sur le marché du haut et du très haut débit serait, pour l’AFORST, un puissant levier pour le développement d’une économie numérique favorable aux consommateurs, aux entreprises, à l’innovation et à l’emploi sur le long terme.