Éléments constitutifs
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Éléments constitutifs
© Éditions Dalloz – 2016 725 Éléments constitutifs ♢ Pour reconnaître l’existence d’une société créée de fait, les juges o recherchent si les différents éléments du contrat de société ont été réunis (supra, n 35 s.) : les 1 apports qui ont dû être faits par tous les associés , leur participation aux bénéfices (ou aux 2 économies) et aux pertes, et bien entendu leur affectio societatis . 3 La preuve de ces différents éléments peut être faite par tout moyen (C. civ., art. 1871, al. 1) . 4 Souvent les apports, particularité de la société créée de fait, seront des apports en industrie , et plus spécialement de la part des femmes (concubines). Lorsque la totalité des ressources des associés provient de l’activité commune, il n’est pas difficile de prouver la participation aux 5 bénéfices ; plus délicate pourra être la preuve de la participation aux pertes . Quant à l’affectio 6 societatis, elle sera l’élément déterminant , qui prend ici une coloration particulière : elle doit se 7 manifester par une participation active sur un pied d’égalité à la vie de l’entreprise ; on ne 8 saurait se contenter d’une vague volonté d’association ou d’une simple cohabitation entre 9 personnes non mariées . 10 La Chambre commerciale, dans deux arrêts de principe du 23 juin 2004 , a précisé sa position de la façon suivante : « L’existence d’une société créée de fait entre concubins, qui exige la réunion des éléments caractérisant tout contrat de société, nécessite l’existence d’apports, l’intention de collaborer sur un pied d’égalité à la réalisation d’un projet commun et l’intention de participer aux bénéfices ou aux économies ainsi qu’aux pertes éventuelles pouvant en résulter ; que ces éléments cumulatifs doivent être établis séparément et ne peuvent se déduire les uns des autres ; Attendu qu’en l’espèce, ayant constaté 1 . Paris 12 nov. 1991, RJDA 3-1992, no 243, p. 187. . Le juge fiscal applique les mêmes critères que le juge commercial : CE 13 mars 1998, n° 163108, Carcassonne, Dr. fisc. 1998, no 26, comm. 588 ; CE 14 janv. 2002, n° 204573, Tronel-Peyroz, Bull. Joly 2002. 721, no 163 ; CE 2 juin 2003, n° 247795, Rachula, RJF 11/03, no 1257. Fiscalement, la société créée de fait relève du même régime que celui de la société en participation (CGI, art. 238 bis L), CE 5 juin 2015, n° 369859, Mme Tarajic, Dr. fisc. 2015, n° 36, comm. 536 ; supra no 710 ; notamment une société créée de fait non déclarée à l’administration fiscale n’est pas opposable à cette dernière : Com. 30 janv. 2001, n° 98-14.497, Troadec, Bull. Joly 2001. 521, no 135, J.-J. Daigre ; au regard de la TVA, CAA Nancy 14 mai 2013, n° 11NC00530, RJF 3/14, n° 239). Le décès de l’un des associés n’entraîne pas l’imposition immédiate des bénéfices et plusvalues si l’activité est poursuivie par les héritiers, CAA Nantes 20 avr. 2006, Catelli-Carissan, Dr. fisc. 2007, no 14, comm. 372. Elle bénéficie du principe de liberté d’affectation comptable (sur cette notion, supra nos 5 et 20). Concernant l’incidence du statut fiscal d’une société créée de fait sur une procédure de vérification de comptabilité : Com. 26 mars 2002, n° 97-20.734, Orcin, Bull. Joly 2002. 837, no 188, obs. P. Serlooten. Son immatriculation est soumise au régime fiscal des transformations de sociétés (sur cette question, supra no 127) : TA Toulouse 29 avr. 2003, Amans et SARL Musique d’Oc, Dr. fisc. 2004, no 7, comm. 237 ; RJF 6/04, no 853 ; CE 20 déc. 2013, n° 349787, Hyest, RJF 3/14, n° 224 ; Dr. fisc. 2014, n° 12, comm. 224. 3 . Com. 13 mars 1984, D. 1985. 244, Y. Reinhard. 4 . Civ. 1re, 16 juill. 1997, n° 95-11.837, RJDA 1997. 925, no 1352 (« apport en influence ») ; Com. 8 févr. 2000, n° 97-19.283, Bull. Joly 2000. 661, no 151, R. Baillod (apports en industrie insuffisants) ; Com. 5 avr. 2005, n° 04-10628, Bull. Joly 2005. 1137, no 251, R. Baillod (contrat de travail et non pas apport en industrie). 5 . Com. 30 mai 2000, n° 97-21.276, Bull. Joly 2000. 1094, no 273, P. Scholer ; Com. 16 juin 1998, n° 96-12.337, Dr. sociétés 1998, no 122, Th. Bonneau ; Bull. Joly 1998. 1278, no 382, S. Noémie (absence de pertes) ; Com. 20 janv. 1987, JCP 1988, II, 20987, G. Goubeaux ; Com. 21 avr. 1992, n° 90-20.451, Bull. Joly 1992. 666, no 218, A. Cuisance ; Civ. 1re, 11 févr. 1997, n° 95-13.029, Bull. Joly 1997. 472, no 189, J. Vallansan (contribution aux pertes tirées de l’engagement de caution pris par un concubin) ; Aix 26 sept. 1997, Bull. Joly 1998. 262, no 98, E. Lepoutre (capitaine de navire). 6 . V. par ex. Civ. 1re, 3 déc. 2008, n° 07-13.043, BRDA no 1-2009, p. 2. 7 . Com. 8 mars 1994, n° 92-10381, JCP E 1994, I, 363, no 1, A. Viandier et J.-J. Caussain ; Saint-Denis 15 nov. 1992, JCP E 1993, I, 215, no 1, A. Viandier et J.-J. Caussain (soumission au chef de famille dans une société réunionnaise, rendant impossible la reconnaissance d’une société créée de fait) ; Civ. 1re, 10 févr. 1998, n° 95-22.325, Bull. Joly 1998. 789, no 255, B. Saintourens ; Rev. sociétés 1998. 303, J.-J. Daigre ; Toulouse 21 juill. 1999, JCP E 2000. 731 (subordination juridique de la concubine). 8 . Com. 9 nov. 1981, Rev. sociétés 1983. 91 (1re esp.), Y. Chartier ; Com. 18 déc. 1990, n° 89-15.838, Bull. Joly 1991. 326, no 101, B. Saintourens ; Com. 8 janv. 1991, n° 89-15.766, Bull. Joly 1991. 330, no 102 ; Paris 6 avr. 1999, Bull. Joly 1999. 1168, no 270, B. Saintourens ; Colmar 9 oct. 2013, Bull. Joly 2014. 226, B. Dondero (infirmières exerçant au sein d'un même cabinet). 9 . Civ. 1re, 18 juill. 1995, Dr. sociétés 1995, no 207, Th. Bonneau ; Civ. 1re, 15 oct. 1996, Dr. sociétés 1997, no 2, Th. Bonneau ; Com. 7 avr. 1998, n° 96-13.400 ; Bull. Joly 1998. 792, no 256, Y. Dereu ; Versailles 28 nov. 1996, Bull. Joly 1997. 147, no 49, G.B. (concubins homosexuels) ; Paris 21 juill. 2002, RTD com. 2002. 678, Cl. Champaud et D. Danet (simple coopération professionnelle). 10 . Arrêts publiés au Bulletin et dans le rapport annuel de la Cour, Bull. Joly 2005. 295 ; no 49 s., J. Vallansan. La même solution avait été donnée par la 1re Chambre civile, 12 mai 2004, n° 01-03.909 (3 esp.) D. 2004. 1672, A. Lienhard et Rev. sociétés préc. 2 que Mme Y... ne faisait pas la preuve, qui lui incombait, que les concubins avaient eu l’intention de s’associer pour la construction de l’immeuble dans lequel leur relation avait perduré, la cour d’appel n’était pas tenue de répondre aux conclusions tendant à établir sa participation financière à la construction et à l’amélioration de cet immeuble, que cette constatation rendait inopérantes... ». La preuve de la société créée de fait est toutefois facilitée quand elle incombe aux tiers, car « si l’existence d’une société créée de fait exige la réunion des éléments constitutifs de toute société, l’apparence d’une telle société s’apprécie globalement, indépendamment de la 11 révélation de ces divers éléments » . 12 Cette reconnaissance de l’apparence , très favorable aux créanciers, ne joue cependant qu’à l’égard des tiers contractants ; entre associés, la nécessité de prouver l’existence des différents éléments constitutifs demeure. Comme l’a indiqué la Cour de cassation dans ses arrêts du 23 juin 2004, ces éléments cumulatifs doivent être établis séparément et ils ne 13 peuvent se déduire les uns des autres . La Cour de cassation ne reconnaît désormais que rarement l’existence d’une société créée de fait entre 14 concubins, estimant généralement que la preuve autonome de l’affectio societatis n’est pas rapportée . 11 . Com. 11 juill. 2006, n° 05-15.736, Dr. sociétés 2006, no 159, F. X. Lucas ; Com. 3 nov. 1988, Bull. Joly 1989. 87, no 21 ; Rev. sociétés 1990. 242, J. Prieur ; Com. 11 juill. 1988, Bull. Joly 1988. 664, no 215, P. Le Cannu ; Com. 15 nov. 1994, n° 9312.835, Rev. sociétés 1995. 33, J.-F. Barbièri. Cf. M. de Gaudemaris, Théorie de l’apparence et sociétés, Rev. sociétés 1991. 465, spéc. nos 25 s. 12 . La Cour de cassation a été jusqu’à admettre qu’un jugement rendu contre une société créée de fait (sic) pouvait être exécuté à l’encontre de personnes qui avaient laissé prospérer l’apparence d’une société entre eux, Civ. 2 e, 22 mai 2008, Bull. Joly 2008. 866, no 183, B. Dondero. 13 . V. égal. Com. 22 févr. 2005, n° 02-10.357, Bull. Joly 2005. 894, no 201, P. Scholer ; Civ. 1re, 26 janv. 1983, Bull. civ. I, no 40, p. 34 ; Civ. 1re, 3 juin 1997, RJDA 1997. 827, no 1203 (entre le bénéficiaire d’une ouverture de crédit et une banque). 14 . Com. 3 avr. 2012, BRDA no 10-2012, p. 4. Cf. égal. F. Chénédé, Pour un affinement de la théorie des quasi-contrats au service de la liquidation patrimoniale du concubinage, D. 2010. 718.