une histoire de la peinture à Lyon
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une histoire de la peinture à Lyon
Patrice Béghain une histoire de la peinture à Lyon de 1482 à nos jours Sommaire une histoire de la peint ure à Lyon Pour commencer… chapitre 1 1482Jean Hey, le Maître de Moulins, est au service du cardinal de Bourbon . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . page . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . page chapitre 2 1496 Jean Perréal est le premier des signataires des statuts des peintres et artistes lyonnais chapitre 3 1523 Guillaume II Le Roy illustre un manuscrit de Pierre Sala chapitre 4 1544 Le tableau L’Incrédulité de saint Thomas est commandé à Francesco Salviati pour la chapelle chapitre 5 1564 Catherine de Médicis visite l’atelier de Corneille de Lyon chapitre 6 1623 Horace Le Blanc est nommé peintre de la Ville chapitre 7 1628 François Perrier travaille à la chartreuse du Lys Saint-Esprit . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . page ...................................... 19 page 27 ........................................ page 41 ............................................ page 45 ............................. 1635 Jacques Stella peint L’Adoration des anges pour la chapelle Saint-Luc de l’église du couvent chapitre 9 1646Charles Le Brun est à Lyon 1655 Thomas Blanchet reçoit commande du plafond de la Grande Salle de l’Hôtel de Ville chapitre 10 13 des Gadagne de l’église des Jacobins . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . page 35 chapitre 8 7 page 53 des Cordeliers de Saint-Bonaventure . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . page 57 .................................... page 65 ........................ page 71 1662 chapitre 11 Pierre Paul Sevin est chargé du décor de la cour du Collège de la Trinité . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . page 81 chapitre 12 1684 Louis Cretey est chargé de peindre le décor du réfectoire de l’abbaye Saint-Pierre ........................... page 85 1697 chapitre 13 Daniel Sarrabat est désigné maître de métier des peintres . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . page 93 chapitre 14 1699 La rénovation de la chapelle des pénitents du Confalon entraîne le recours aux peintres de l’Académie royale ................... page 97 une histoire de la peinture chapitre 15 1734 Pierre-Charles Trémolières s’arrête à Lyon . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . page 103 1748 chapitre 16 Jean II Restout collabore au programme décoratif de l’église Sainte-Croix . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . page 107 chapitre 17 chapitre 18 1763 Le portraitiste Donat Nonotte succède au portraitiste Charles Grandon comme « peintre de la Ville » . . . . . . . . . page 115 1794 Philippe-Auguste Hennequin entreprend de peindre La Rébellion lyonnaise terrassée par le génie de la Liberté . . . . . . . . . . . . . . . page 123 1802 chapitre 19 Fleury Richard expose Valentine de Milan à Paris . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . page 131 1807 chapitre 20 Pierre Révoil est nommé professeur de peinture à l’École des Beaux-Arts . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . page 141 chapitre 21 1814 Le « salon des Fleurs » est aménagé au sein du Musée des Beaux-Arts ........................ page 149 1824 chapitre 22 Antoine-Jean Duclaux expose au Salon du Louvre Halte des artistes lyonnais à l’Île-Barbe . . . . . . . . . . . . page 155 chapitre 23 1833 chapitre 24 1836 chapitre 25 1843 Le double portrait d’Hippolyte et Paul Flandrin est exposé au Salon de Paris Victor Orsel expose Le Bien et le Mal . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . page 161 La Société des amis des arts organise son premier Salon . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . page 169 ............................................ page 179 1848 chapitre 26 Paul Chenavard reçoit commande des décors du Panthéon . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . page 189 1854 chapitre 27 Louis Janmot expose Le Poème de l’âme . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . page 199 chapitre 28 1856 Le décor de Jean-Baptiste Frénet pour la chapelle Sainte-Blandine d’Ainay est détruit . . . . . . . . . . . . . . . . . . . page 209 1862 chapitre 29 Joseph Guichard est nommé professeur de la classe de peinture à l’École des Beaux-Arts . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . page 213 chapitre 30 1865 François Vernay expose pour la première fois des natures mortes au Salon de Lyon . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . page 223 1867 chapitre 31 Auguste Ravier s’installe à Morestel . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . page 229 à Lyon chapitre 32 1869 chapitre 33 1883 Pierre Puvis de Chavannes est préféré à Paul Chenavard pour le décor du grand escalier du Musée des Beaux-Arts Paul Borel entreprend le cycle de la chapelle de l’École Saint-Thomas d’Aquin d’Oullins . . . . . . . . . . . . . . . . page 239 chapitre 34 chapitre 35 . . . . . . . . . . . . . page 1885 Vincent Van Gogh s’intéresse aux canuts ................................................... 245 page 253 1911 Auguste Morisot peint le triptyque Ombre, Lumière, Ténèbre et Pierre Combet-Descombes expose le triptyque Le Fer et le Feu, Les Hauts-Fourneaux de Chasse au Salon d’automne . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . page 257 chapitre 36 1914 La « Section Beaux-Arts » de l’Exposition internationale urbaine accueille Matisse et Picasso chapitre 37 chapitre 38 .................... 1925 Les Ziniars fondent le Salon du Sud-Est 1936 Le Salon d’automne accueille la première exposition des membres du futur groupe Témoignage ..................... page 265 page 273 . . . . . . . . . . . . . . . . . page 283 1937 chapitre 39 Louis Bouquet entreprend la fresque de l’Hôtel des Postes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . page 291 chapitre 40 chapitre 41 chapitre 42 Albert Gleizes 1947 expose à la chapelle du Lycée Ampère .................................. Jacques Truphémus est présent dans l’exposition 1948 « Sanzisme » à la chapelle du Lycée Ampère ............................ La galerie Folklore de Marcel Michaud accueille 1958 la première exposition personnelle de Max Schoendorff page 299 page 309 . . . . . . . . . . . . . . . page 317 1966 chapitre 43 Philippe Dereux publie le Petit Traité des épluchures . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . page 325 chapitre 44 1968 Jean Raine s’installe à Lyon ......................................................... page 329 1981 chapitre 45 Georges Adilon renonce à la couleur, choisit la laque noire comme matière et le papier blanc comme support . . . . . . page 337 chapitre 46 Pour suivre… La génération de 1980 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . page 343 bibliographie Annexes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . page 357 table des illustrations . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . page 361 index patronymique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . page 363 remerciements . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . page 368 i page 7 Pour commencer… L’objet de ce livre, fondé sur l’apport de la recherche et complété, quand cela s’est avéré nécessaire, par des investigations personnelles, est compris dans son titre : Une histoire de la peinture à Lyon. Mes premiers mots sont évidemment de gratitude à l’égard des historiens, des critiques d’art et des conservateurs qui, à travers monographies, catalogues et articles, m’ont fourni une matière sans laquelle une telle entreprise n’eût tout simplement pas pu être engagée. En outre, au fil de rencontres et d’entretiens, de nombreux chercheurs, mais aussi des artistes ou leurs proches, s’agissant de l’époque contemporaine, ont complété et enrichi ma connaissance et mon interprétation des faits et des œuvres ; qu’ils en soient chaleureusement remerciés1. J’ai choisi de tracer, en quarante-six chapitres, une sorte de chronique de la peinture à Lyon, à partir d’un choix de dates significatives, que j’assume. Les dates ont été retenues de façon à mettre en évidence, autour d’un peintre ou d’un groupe de peintres, un moment-clé dans l’histoire de la peinture à Lyon, et permettent d’évoquer, selon le cas, la scène artistique contemporaine, le développement d’un genre ou l’affirmation d’un courant pictural particulier. L’usage de l’article indéfini dans le titre n’est pas un artifice de style, mais, en même temps qu’un témoignage de prudence, un signe de modestie. Écrire, au lieu d’une, l’histoire de la peinture à Lyon eût été présomptueux de la part d’un auteur qui se veut avant tout un amateur instruit ; en outre, cela eût supposé un ouvrage d’une ambition et d’une importance telles que le recours au collectif se serait imposé et que le projet eût assurément excédé les limites d’un seul volume. Quoique se voulant le plus représentatif possible, ce livre ne vise donc pas à l’exhaustivité et on n’y trouvera pas évoqués tous les peintres qui ont vécu ou travaillé à Lyon, même si l’index final permet d’en retrouver de nombreux, qui font l’objet d’une simple mention ou d’un développement dans le cours du texte. Le choix de m’en tenir à la seule peinture est évidemment contestable ; ce n’est pas seulement d’aujourd’hui que des artistes s’illustrent dans des formes d’expression diverses. En tout temps, de grands artistes ont été peintres et sculpteurs, graveurs et peintres, voire sculpteurs, peintres et architectes ; à Lyon même, sans remonter jusqu’à la polyvalence des artistes du 15e siècle, l’exemple de Thomas Blanchet, au 17e siècle, l’atteste. L’époque contemporaine renoue avec cette situation, même si pendant longtemps – et jusqu’à aujourd’hui – la distinction académique des arts a impliqué, en France notamment, une spécialisation des pratiques. De fait, la quasi-totalité des peintres ici une histoire de la peinture à Lyon évoqués ne sont que peintres, même si quelques-uns excellent aussi dans l’art des multiples, gravures et lithographies, ou des monotypes. En revanche, mon choix de ne traiter que de la peinture m’a amené à exclure de cet ouvrage un aspect important de l’identité artistique de Lyon au 16e siècle, qu’illustrent de grands graveurs, qui ont d’ailleurs fait l’objet récemment d’études approfondies, et à écarter certains artistes de grande qualité, comme le graveur Marcel Roux, ou à n’évoquer que sous l’aspect restreint de son œuvre peint le graveur Jean-Jacques de Boissieu. Plus profondément, ce choix de traiter de la peinture exprime un intérêt tout personnel pour ce support bidimensionnel, de toile, de bois, de papier ou de carton, qui est une sorte de fenêtre éclairée sur un autre monde, offert en même temps que son accès nous en est irrémédiablement dénié. Mon point de vue sur la peinture est à cet égard celui d’un spectateur, qui contemple une scène dont il est exclu, avec un mélange de plaisir et de frustration, qui est la définition même de la jouissance. Au fil de l’évocation des principales étapes de la carrière des peintres évoqués et de l’environnement social, culturel et artistique dans lequel elle se déroule, j’ai d’ailleurs pris le temps de m’arrêter sur certains tableaux et d’en proposer une lecture, qui est forcément le fruit d’un compromis entre données objectives et approche affective. Si les clés d’un tableau nous sont pour l’essentiel fournies par une approche savante, l’effet qu’il produit est propre à chacun ; je revendique la plénitude heureuse du dialogue entre l’œuvre du peintre et l’intimité du spectateur, si justement évoquée par Delacroix : « Je crois fortement que nous mêlons toujours de nous-mêmes dans ces sentiments qui semblent venir des objets qui nous frappent. Il est probable que ces ouvrages ne me plaisent tant que parce qu’ils répondent à des sentiments qui sont les miens ; et puisque, quoique dissemblables, ils me donnent le même degré de plaisir, c’est que le genre d’effet qu’ils produisent, j’en retrouve la source en moi »2. Cette histoire de la peinture est circonscrite à Lyon et cette restriction ouvre aussitôt un double débat : celui de la pertinence de l’étude d’un art sur un territoire limité, et surtout celui de la mise en question de la notion, plus prégnante ici qu’ailleurs, d’école régionale. Le titre apporte une première réponse ; j’ai fait le choix d’écrire sur « la peinture à Lyon » plutôt que sur « la peinture lyonnaise ». Ce dernier concept est en effet historiquement situé ; il apparaît – dans la critique parisienne ! – au début du 19e siècle, pour qualifier le style des œuvres de Pierre Révoil et de Fleury Richard et de leurs élèves de l’École des Beaux-Arts, et alimente, tout au long du 19e siècle, un débat souvent polémique, où s’illustre notamment Baudelaire. Les termes du problème ont été rebattus ces dernières décennies, notamment au travers de la somme qu’Élisabeth Hardouin-Fugier et Étienne Grafe ont consacrée en 1995 à La Peinture lyonnaise au XIXe siècle et à l’occasion de l’exposition Le Temps de la peinture, organisée par le Musée des Beaux-Arts de Lyon en 2007, dans le catalogue de laquelle l’historien Pierre Vaisse a consacré un essai critique à la question. i page 9 Je n’ai pas souhaité reprendre ce corpus et les arguments avancés, dans l’examen contradictoire desquels on peut aisément s’enliser, mais partir des artistes et des œuvres. Jusqu’au début du 19e siècle, une évidence s’impose ; si Lyon est un important foyer de création picturale, essentiellement lié à la commande religieuse et civile, il n’y a guère de spécificité lyonnaise. La position géographique de Lyon, entre Paris, voire l’Europe du Nord, et l’Italie, où séjournent, plus ou moins longtemps, la plupart des peintres européens, fait qu’à l’aller ou au retour, nombre d’entre eux s’y arrêtent et parfois y demeurent. Ils y travaillent alors dans l’esprit des grands courants de l’art international, nordique ou italien. C’est le cas, au 17e siècle, pour Jacques Blanchard, François Perrier, Charles Le Brun, PierreCharles Trémolières, qui peignent à Lyon, y réalisant parfois des ensembles importants, et qui, sans être en aucune façon lyonnais, ont de ce fait toute leur place dans cet ouvrage. Certains de ceux qui s’y fixent y implantent et y perpétuent parfois – et c’est incontestablement une particularité –, comme Horace Le Blanc pour le maniérisme ou Blanchet pour le baroque, des styles qui ne sont plus en vogue à Paris. Il est significatif en revanche que le Lyonnais Jacques Stella, devenu après ses années italiennes un parfait représentant du grand style classique français, ne s’installe pas dans sa ville natale. L’affaiblissement de la scène artistique locale et une centralisation renforcée, à la fin du 17e siècle et dans le cours du 18e siècle, profitent aux peintres de l’Académie royale, qui dominent alors le marché lyonnais de la commande religieuse. La création, par Napoléon, de l’École des Beaux-Arts – qui, plus qu’ailleurs, joue à Lyon un rôle déterminant dans la succession et le renouvellement des générations –et le développement de la Fabrique changent la donne au début du 19e siècle. Si « l’école lyonnaise », célébrée dans les Salons parisiens de l’Empire et des débuts de la Restauration, notamment dans les Lettres à David sur le Salon de 1819 par quelques élèves de son École3, passe vite de mode, il est incontestable que le siècle est marqué à Lyon par une affirmation spécifique, dans deux genres : la peinture de fleurs, évidemment liée au travail de la soie, et, dans la seconde moitié du siècle, la peinture de paysage, qui est sans doute, avec les artistes qui gravitent autour de Ravier, un des apports majeurs, encore trop méconnu, de Lyon à la peinture française du 19e siècle, pourtant fortement mis en avant dans les expositions rétrospectives de 1904 et de 1914. À cela, il convient assurément d’ajouter la dimension spiritualiste et philosophique, tant décriée par Baudelaire, qui caractérise un ensemble d’artistes et d’œuvres, dont les rapports avec les peintres allemands contemporains, trop souvent méconnus, voire déniés, commencent à être mieux établis. Le mysticisme lyonnais, fréquemment évoqué, traverse les siècles, puisqu’on peut en trouver la résurgence, au siècle suivant, chez Auguste Morisot ou Pierre Combet-Descombes, comme dans l’inspiration du groupe Témoignage et dans l’accueil favorable que reçoivent à Lyon les évolutions d’Albert Gleizes, ou, plus près de nous, dans l’œuvre de Patrice Giorda. C’est, à mes yeux, un caractère une histoire de la peinture à Lyon permanent du foyer lyonnais de peinture, qui s’inscrit dans un dialogue original avec l’apport tout aussi important des peintres de paysages et des peintres de fleurs, acharnés, eux, à rendre compte de la beauté du monde et de la densité des choses. De ces éléments rapidement évoqués, que conclure, sinon qu’il n’y a pas de permanence, en peinture, d’une « école lyonnaise », mais des identités lyonnaises, fondées sur l’excellence dans quelques genres ou liées, de façon récurrente, aux fondamentaux spiritualistes d’une ville marquée par une riche histoire religieuse, et surtout des parcours artistiques singuliers, du type de ceux que Delacroix mettait en avant pour combattre la notion d’école : « Ce mot d’école ne signifie rien ; le vrai dans les arts est relatif à la personne seule qui écrit, peint, compose, dans quelque genre que ce soit… »4. Sans aller jusqu’à écarter aussi radicalement les effets d’une situation politique et d’un environnement culturel particuliers qui, en un lieu et un temps donnés, peuvent favoriser l’apparition de caractères communs à un groupe d’artistes, il n’y a en tout cas rien de comparable, à Lyon, aux foyers structurés et durables que l’histoire de l’art a pu mettre en évidence en Italie, dans un contexte totalement différent. À Lyon, comme dans les autres grands foyers artistiques français, c’est sans doute, comme le relève justement Pierre Vaisse, « le besoin d’affirmer une spécificité locale face à Paris » qui amène, parfois légitimement, à forcer le trait, quand ce n’est pas, plus prosaïquement, un souci de communication, qui apparaît autant pour les peintres du début du 19e siècle que pour ce que l’on a appelé, au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, à l’intention des collectionneurs rebutés par l’abstraction, « la nouvelle école figurative de Lyon ». Mais il faut bien prendre en compte que, de Richard à SaintJean, de Flandrin à Janmot, de Chenavard à Puvis de Chavannes, sans oublier, dans un contexte national et international d’éclatement des scènes locales, la génération des peintres lyonnais des années 1980, c’est à Paris souvent que, de par la volonté des artistes eux-mêmes, se sont faites ou défaites les carrières et les réputations lyonnaises, au détriment parfois d’un certain nombre d’artistes majeurs qui, comme Combet-Descombes ou Adilon, chacun sur un versant du 20e siècle, ayant choisi de demeurer à Lyon, n’ont pas connu l’audience que mérite leur œuvre. Cette Histoire de la peinture à Lyon s’efforce, sans s’enfermer dans ce débat, au final réducteur, au point qu’il a parfois, du fait même de l’irrédentisme de la critique lyonnaise, favorisé la mise à l’écart des peintres lyonnais dans l’étude de l’histoire de la peinture française, de rendre compte de l’existence et de la permanence, de la fin du 15e siècle jusqu’au début du 21e siècle, d’un foyer artistique ouvert et divers, en évoquant autant la peinture qu’on y produit que celle qu’on y voit. À cet égard, la présence de L’Incrédulité de saint Thomas de Salviati dans l’église des Jacobins, jusqu’à la Révolution, l’Exposition internationale de 1914, la rétrospective Gleizes de 1947 ou la programmation, i page 11 à partir de la fin des années 1970, de l’Espace lyonnais d’art contemporain sont des événements aussi importants que le travail régulier à Lyon de tel ou tel peintre, qui y accomplit toute son œuvre, ou les expositions, si stimulantes, d’artistes proprement lyonnais, qui scandent la première moitié du 20e siècle. De même, l’existence de grands ensembles décoratifs aujourd’hui disparus ou la présence, dans une église ou un couvent, de tableaux qui ont désormais quitté la ville, sont des éléments majeurs de la vie artistique lyonnaise. Si cet ouvrage est ainsi une sorte de mémorial de la peinture à Lyon – c’est une des fonctions de l’histoire de nous rappeler ce qui a été –, il témoigne surtout, je l’espère, de la place que les arts – en l’occurrence la peinture – y occupent. On a trop souvent ressassé – et les artistes n’ont pas été les derniers à se prêter, pour des raisons que l’on peut aisément comprendre, à cette complainte – que cette ville de négoce était réfractaire aux arts, pour ne pas tenter de montrer qu’au fil d’une histoire changeante, elle a suscité, accueilli et abrité, parfois à son corps défendant, de grandes aventures artistiques. L’auteur anonyme d’une lettre aux administrateurs du Département de Rhône-et-Loire écrivait à l’automne 1792, à propos d’un projet de musée : « Empressez-vous, Messieurs, à produire aux yeux de vos concitoyens des ouvrages trop longtemps ignorés, et vous verrez que votre cité vous produira des hommes ». Ramener à la lumière du temps présent des œuvres oubliées, rappeler des cheminements artistiques individuels, trop souvent négligés à Lyon même et ignorés ailleurs, c’est non seulement faire œuvre de piété, mais de citoyenneté, en un temps où la mémoire est plus que jamais une exigence politique. Notes 1 On trouvera en fin de volume la liste des personnes que je souhaite remercier, mais je tiens à assurer de ma vive reconnaissance, dès cette introduction, trois d’entre elles, qui m’ont apporté un concours précieux : - Gérard Bruyère, documentaliste au Musée des Beaux-Arts, qui m’a non seulement fait profiter de sa connaissance incomparable de la vie artistique lyonnaise, mais a bien voulu accepter de relire cet ouvrage avant sa publication, l’enrichissant ainsi de ses remarques pertinentes et m’évitant quelques erreurs ; - Laurence Berthon, documentaliste au Musée des Beaux-Arts, qui m’a ouvert généreusement certaines archives et a mis à mon service sa connaissance de la peinture à Lyon au 20e siècle ; - Dominique Dumas, bibliothécaire au Musée des Beaux-Arts, qui, avec ses collègues, a grandement facilité mes recherches. 2Eugène Delacroix, Journal, 20 octobre 1853, Paris, José Corti, 2009, p. 695 [éd. Michèle Hannoosh]. 3 Voir le chapitre 20 du présent ouvrage. 4Eugène Delacroix, Journal, 20 octobre 1853, Paris, José Corti, 2009, p. 906 [éd. Michèle Hannoosh].