La Foire de Bologne comme révélateur de l`édition italienne : Où va

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La Foire de Bologne comme révélateur de l`édition italienne : Où va
La Foire de Bologne comme révélateur de
l’édition italienne : Où va le livre pour
l’enfance ?
Elena Paruolo est professeur de Langue et littérature anglaise à l’université de Salerne (Italie) et
membre du comité scientifique du réseau « Littératures d’enfance » de l’Agence universitaire de la
francophonie.
Poursuivant une démarcher entreprise en 2004, elle propose de faire un tour d’horizon de la situation
du livre pour l’enfance en Italie, à la lumière de la Foire de Bologne 2006, qui s’est déroulée du 27 au
30 mars.
Dans cet article nous nous proposons de faire le point sur quelques nouveaux livres et réécritures de
titres anciens présentés par les éditeurs italiens [1] à la Foire Internationale du Livre pour Enfants de
Bologne 2006 (27-30 mars) [2] et nous le ferons avec l’aide de la presse, et notamment des journaux la
Repubblica, Il Messaggero, Avvenire AV, il Manifesto, Corriere della sera, Il Secolo XIX, il Giornale,
l’Unità, La Stampa, Il Mattino.
Quelques données générales
La Foire de Bologne [3], lancée modestement en 1964 avec très peu d’exposants, reçoit en cette année
2006, pour sa quarante-troisième édition, environ 1200 exposants, dont 1100 étrangers provenant de 64
pays. Elle a fermé ses portes après de nombreuses présentations d’ouvrages et de tables rondes [4], de
contrats signés, d’affaires conclues, de prix décernés [5].
La première impression qui s’impose en lisant les commentaires de différents spécialistes du secteur est
qu’il n’y a pas de “grandes” nouveautés, cette année : “Ils cherchent tous” - observe Donatella Ziliotto,
écrivaine - “le fameux livre qui devrait se révéler le bestseller. Mais ils ne le trouvent pas parce qu’en
réalité il n’y est pas. Les auteurs sont nombreux, la production de livres procède à rythmes
soutenus” [6]. “Il y a d’innombrables titres “charmants” et inoffensifs, prêts à engorger les librairies
pour disparaître en quelques mois... mais il y a aussi des ferments qui promettent énormément”,
souligne Il Manifesto (26 mars). Et, certains des meilleurs volumes, curieux et insolites, “proviennent
de l’espace relativement marginal des livres documentaires” [7]. “Disons qu’il y a eu des temps
meilleurs” - commente de son côté l’Avvenire (24 mars) - “Au cours des années quatre-vingt-dix, le
livre pour enfants était la poule aux œufs d’or des éditeurs... mais le pari n’a pas marché. La lecture
n’augmente pas, ni chez les petits ni chez les grands [8]... Et les grands éditeurs se sont jetés sur le
commercial.” “Le marché n’offre pas seulement de la médiocrité” - souligne Pino Boero, professeur de
littérature pour l’enfance à l’Université de Gênes - “aujourd’hui comme hier il y a de beaux livres et
même si on ne lisait que les clones de Harry Potter ou les livres commerciaux, je m’en contenterais
plutôt que de céder au néant de la Télé” [9].
Comme toujours les avis sont partagés !
Une autre impression ressentie, c’est que l’illustration prend la part du lion avec un record
d’expositions à l’intérieur et à l’extérieur de la Foire. Genre toujours en hausse par rapport à l’écriture
du texte [10] ce qui n’est pas tellement surprenant si l’on pense que les enfants d’aujourd’hui sont, en
effet, les « enfants de la vidéo sphère » [11], et que dès ses origines, en particulier les livres pour les
plus petits, ont été liés à l’illustration, comme ce fut le cas pour les contes de Perrault ou les œuvres de
Comenius. Le rapport des enfants et des jeunes avec le livre a changé ; le livre est de plus en plus
considéré aussi comme un objet de consommation, par conséquent les éditeurs éprouvent plus que
jamais la nécessité d’inaugurer de nouvelles modalités de lecture, plus adaptées aux exigences d’une
société technologique et médiatique. Déjà en 1981, marquant une étape importante dans l’histoire des
éditions italiennes pour enfants, naissait une collection de poche, des éditions EL, illustrée en couleur,
appelé justement « Un livre en poche » (à mettre dans son manteau, dans le cartable, à regarder durant
la récréation, à feuilleter le matin, en attendant le petit déjeuner ou à l’arrêt de l’autobus, pour snober la
télévision), voulue pour promouvoir et diffuser un produit à bas prix et de haute qualité (une invitation
à la démocratisation de la lecture) où les illustrateurs les plus confirmés du monde entier (entre autres
Michael Foreman, Helme Heine, Tony Ross, Pef... ) donnaient vie avec leurs travaux ( dessins
humoristiques, caricatures) à une petite galerie d’art contemporain qui amusait et amuse encore
aujourd’hui les enfants. N’oublions pas que l’édition pour l’enfance se trouve dans l’obligation de
conjuguer marketing, éducation et loisirs, et que l’intention est bien toujours d’instruire en divertissant.
Dans le cadre de l’ - qui permet de connaître et d’apprécier les artistes sélectionnés chaque année par un
Jury international - la Hongrie, pays invité d’honneur de 2006, a présenté le travail de ses meilleurs
illustrateurs dans une exposition intitulée « Hongrie - un livre ouvert : 30 illustrateurs 30 livres ». Des
prix pour l’illustration et les bandes dessinées ont été attribués par l’Académie des Beaux-arts de
Bologne - ainsi que par la Foire, l’ENSAD (Ecole Nationale Supérieure des Arts Décoratifs) de Paris et
la revue class="spip"Hamelin - à de très jeunes artistes dont l’œuvre a fait l’objet d’une exposition à la
Maison Française de Bologne, intitulée « Mon lit est un bateau - 100 ans de Little Nemo entre Paris et
Bologne ». Ces artistes ont réinterprété - pour le centenaire de la publication de son premier épisode
(15 octobre 1905) sur les pages du New York Herald, - le personnage de Little Nemo et sa signification.
Son créateur, Winsor McCay, est encore aujourd’hui peu connu malgré son indiscutable grandeur
comme dessinateur et pionnier du cinéma d’animation.
Les domaines de questionnement de la Presse
Dans l’ensemble, à travers la lecture des journaux cités (du 24 au 31 mars 2006), il semble que
l’essentiel des articles a porté en particulier sur la mise en évidence les questionnements suivants à la
base de quelques nouveaux titres et de vieux titres reproposés par les éditeurs cette année : plus de
réalisme ou toujours la fantasy ? ; le refus de la guerre ; le respect écologique de l’environnement ; une
forte présence de thèmes socio-historiques et philosophiques ; la dimension interculturelle ; l’amour
entre enfants et entre adolescents....
La Presse n’a pas pris en compte certains aspects de la politique du livre définie tant au niveau national,
par le Ministère de l’Education Nationale, etc., que régional ou local par les collectivités territoriales.
Elle a par contre mis en évidence la nécessité pour les auteurs et les éditeurs de se renouveler sans
cesse (ce qui peut comporter le danger, lié au profit, d’obéir aveuglément aux modes du moment !)
pour faire face aux goûts de nouveauté et au principe de rotation des objets culturels qui n’épargnent
pas les livres. Ceux-ci rivalisent avec les jeux informatiques, les films et cédéroms de l’industrie des
loisirs, mais occupent une place à part dans la constellation des médias, assurant, dans la “vidéo
sphère”, une stabilité et une présence concrète du message que les univers virtuels ne peuvent assurer.
C’est de livres que nous parlerons ici.
A. PLUS DE REALISME OU TOUJOURS LA FANTASY ?
Dans un article intitulé “ la fantasy ça suffit : les enfants préfèrent la réalité”, le quotidien L’Unità, dans
son édition du 24 mars 2006, souligne comment “chez plusieurs auteurs et éditeurs on note un
engagement authentique dans la recherche des stratégies nécessaires pour offrir au jeune lecteur une
vision réaliste, correcte et prenante du monde qui l’entoure sans perdre pour autant l’opportunité de
connaître des mondes différents, jamais privés de métaphores significatives”. La preuve en est dans des
romans comme Nato straniero (Né étranger) (Fatatrac), de Janna Carioli, histoire d’un enfant
musulman qui vit la solitude et l’extranéité dans une métropole occidentale où ses parents sont accablés
par la clandestinité. C’est le cas aussi avec Il bambino nascosto (L’enfant caché) [12] (éditions EL),
d’Isaac Millman, qui raconte les aventures d’un enfant juif obligé de se cacher pour fuir l’horreur des
camps d’extermination dans la France occupée, faite de dangers et de cachettes, de rencontres avec des
personnes égoïstes ou généreuses, de moments tragiques et de petites joies inattendues. Storia di Ouiah
che era un leopardo (Histoire de Ouiah qui était un léopard) (Fabbri), de Francesco D’Adamo nous
emmène aussi dans une Afrique, réelle et féroce mais pleine de rêves et de magie, où des enfants jouent
à la guerre. Les enfants plus grands enseignent aux petits le courage, le goût de la provocation et de la
vengeance. En réalité, il s’agit d’enfants soldats entraînés pour faire un travail précis : attaquer d’autres
personnes.
Pour Carla Poesio, spécialiste de littérature pour l’enfance et, depuis plus de quarante ans, conseillère
de la Foire de Bologne : “la fantasy est désormais devenu une idée fixe et elle est reproposée d’année
en année à toutes les sauces : farcie d’horror, avec des décors historiques, avec des envolées
humoristiques.” [13] Ce n’est pas un hasard qu’un best-seller annoncé, cette année aussi soit
précisément une fantasy. Il s’agit de Il libro del drago (Le livre du dragon) [14] - arrivé à Bologne dans
l’édition de Mondadori - de Matthew Skelton (trente-cinq ans, anglais de naissance mais élevé au
Canada) qui raconte - en une trame pleine de mystères, de coups de théâtre, d’illusions et d’un soupçon
de magie - comment, dans une bibliothèque de l’Oxford gothique, un garçon appelé Blake, “qui
n’aimait pas particulièrement lire”, trouve par hasard un livre extraordinaire qui lui pique un doigt et lui
suce le sang. Ce livre, aux pages complètement blanches faites avec la peau d’un dragon, contient tout
le savoir du monde ; il est arrivé à Oxford cinq siècles auparavant grâce à Endemyion Spring, le jeune
orphelin muet, adopté à Magonza par Johann Gutenberg - l’inventeur de l’imprimerie -, et il se laisse
lire seulement par quelques prédestinés qui doivent être “vertueux, honnêtes et sincères” - comme
Blake - pour pénétrer dans les secrets du savoir. Dans le livre évoluent des personnages réels, comme
Gutenberg, déjà cité ; le graveur hollandais L.J. Coster ; George Psalmanazar, auteur au XVIIIe siècle
d’une célèbre histoire de l’imprimerie. On a observé du côté de la critique qu’il s’agit d’une œuvre
peut-être trop cultivée pour des enfants de 10-13 ans, mais son auteur ne semble pas être du même
avis !
“Les jeunes lecteurs” - déclare-t-il - “n’ont pas besoin de tout comprendre. Et de toute façon, je crois
que les jeunes sont beaucoup plus intelligents qu’on ne le croit. Sûrement plus que les adultes” [15].
“Ce roman” - explique-t-il - “est une occasion pour parler du Moyen Âge, en prenant les distances des
épigones (nombreux) de Harry Potter” [16].
B. PHILOSOPHIE - ET GRANDES QUESTIONS DES PLUS PETITS.
La Repubblica du 24 mars souligne que la véritable caractéristique de la Foire 2006 ce sont les
philocontes [17] et les livres sur les grandes questions destinés aux lecteurs d’environ sept ans. Pour il
Messaggero du 27 mars la philosophie- est “l’authentique nouveauté de cette Foire invitée, sur les
traces de Platon, à mieux réfléchir sur ce que veulent les enfants : réponses vraies à des questions
importantes”.
Philosophie et grandes questions ont donné vie à de nouvelles collections : il suffit de penser à Storie di
piccoli filosofi (Histoires de petits philosophes) publié par La Nuova Frontiera (petite maison d’édition
romaine), et à Piccole grandi domande (Petites grandes questions) publié par Giunti qui de cette
manière fait connaître au public italien la collection française “Philosenfants”.
Che cos’è il bene ? E il male ? [18] (où un enfant demande “je dois toujours obéir à mes parents ?”,
question dont la réponse est loin d’être évidente) et Che cos’è la vita ? [19] sont les deux premiers
titres de Giunti, signés Oscar Brenifier, philosophe français qui, à Nanterre en France, a développé un
intéressant projet à l’école primaire, soulignant comment à chaque question qu’un enfant peut poser
correspond plus d’une réponse qui, à son tour génère d’autres questions, car la pensée est un chemin
qui ne finit jamais [20]. Ces livres ne veulent pas fournir des réponses préfabriquées avec lesquelles
faire taire les plus petits, mais plutôt “encourager le développement d’une pensée autonome et la
capacité de réfléchir et de raisonner et donc de poser et de se poser toujours de nouvelles
questions.” [21]
Parmi les autres titres philosophiques présents à la Foire citons ici : Polvere di stelle (Poussières
d’étoiles) (Einaudi) de Stefano Bordiglioni, où un enfant demande à sa mère “mais moi où j’étais avant
de naître ?”, question sur laquelle l’auteur élabore un dialogue plein de poésie ; Bibi e la voce verde
(Bibi et la voix verte) (Adelphi) de l’écrivaine iranienne Azar Nafisi, histoire d’une petite fille
malheureuse à cause d’un déménagement dans une nouvelle résidence (qui ne lui plaît pas) qui
comprendra - à la fin - que sa véritable maison est son imagination que personne ne pourra jamais lui
enlever ; Il principe e il pollo (Le prince et le poulet) (Editions Emme), de Moni Ovaia, qui (inspiré par
la tradition yiddish, et tout joué sur le paradoxe) raconte l’histoire d’un enfant qui croit être un poulet et
d’un sage qui le guérit en faisant semblant lui aussi d’être un poulet ; I più strani e importanti
perché [22] (il Castoro), de Martine Laffon et Hortense de Chabaneix, un livre “qui aide les grands à
donner les réponses qu’ils ne connaissent pas encore” [23] ; La notte [24] (Allons voir la nuit) (e/o) de
Wolf Erlbruch (auteur de chefs d’œuvre comme La grande domanda [25] et La creazione [26](La
création), qui raconte une promenade nocturne faite par un père - qui ne voit rien et ne s’aperçoit de
rien - et par son enfant, en chemise de nuit, qui continue à voir des personnages sortis des livres,
personnes extraordinaires : “c’est le regard de l’enfant qui transfigure tout ou c’est son père qui ne
réussit plus à voir ?” [27]. La Nuova Frontiera - de son côté - propose les aventures philosophiques de
Platon avec L’uomo più saggio del mondo (L’homme le plus sage du monde) et La caverna misteriosa
(La caverne mystérieuse) d’ Emiliano Di Marco : “Trop difficile ?” - se demande Il Messaggero - “Pas
du tout. Il y a de l’ironie et de l’amusement dans ces textes. Et dès le début on prend parti pour
Spallone, un petit garçon très intelligent, très curieux et aussi un peu casse-pieds, qui rêve de devenir
un grand sage alors que ses parents le voient déjà politicien, général ou dentiste.”
C. ECOLOGIE.
Pour il Giornale (24 mars), le respect de la nature - avec une claire exhortation à redécouvrir ses
rythmes lents et à respecter les animaux dans leur diversité - est un des thèmes présents à la Foire. On
peut en trouver un exemple dans Il Lupo siberiano (Le Loup de Sibérie) (Salani), d’Alver Metalli : une
“métaphore claire et sévère contre qui veut bouleverser les lois de la nature , mais aussi un acte
d’accusation contre l’incapacité des parents d’imposer des limites précises aux demandes de leurs
enfants” . C’est l’histoire de Totò, un bébé loup importé de la Sibérie dans la forêt amazonienne, où la
chaleur arrive jusqu’à 40 degrés, pour satisfaire les désirs d’une petite fille gâtée et capricieuse au point
de ne pas s’apercevoir de la souffrance d’un animal poussé à la limite de la mort et qui a dans les yeux
le souvenir de joyeuses courses dans la neige.
D. CONTRIBUTIONS ORIGINALES DES PETITES MAISONS D’EDITION.
Pour trouver des livres hors du commun, originaux et très soignés, il faut se tourner, comme toujours,
vers les petites maisons d’édition peu connues, car ce sont celles qui risquent le plus avec des choix
libres et courageux, et qui sont des lieux de recherche permettant de découvrir les jeunes artistes. Par
exemple Orecchio Acerbo (qui porte une grande attention aux thèmes éthiques et sociaux, illustrations
formidables, soin rigoureux du texte et un graphisme parfait, transformant le livre en une chose
vivante) a publié Occhiopin nel paese dei bei occhi (Occhiopin au pays des beaux yeux), écrit et illustré
par l’italo argentin Fabian Negrin, où nous trouvons un Pinocchio qui ne vit plus dans un petit village
de la Toscane mais qui, comme des millions d’autres enfants, habite dans une grande ville : l’histoire
d’un Pinocchio à l’envers, né enfant et transformé en pantin par une perfide Fée qui le punit pour son
incapacité de dire des mensonges (nous invitant ainsi à réfléchir sur le besoin d’évasion du
conformisme) ; et La notte di Q (La nuit de Q), de Michael Reynolds, qui s’inspire d’un événement
réellement arrivé : celui des animaux du petit zoo de la bande de Gaza sauvé par les efforts conjugués
de deux vétérinaires (un palestinien et un israélien) : enfermés à l’intérieur d’un autre et pas moins
terrible “zoo” humain, les habitants du jardin zoologique de Q à la fin auront de quoi manger et
démontreront leur gratitude.
Citons également la maison d’édition Corraini de Mantoue, qui transfère dans les livres pour l’enfance
le raffinement du meilleur design : son Libro degli omini (Livre des petits hommes), écrit par Lorenza
Branzi et dessiné par Andrea Branzi, affronte avec grande délicatesse le thème de la diversité des
peuples et des cultures ; Arnesi (Les outils), du japonais Taro Miura est splendide, mettant sous le
regard des enfants les gestes et les objets de différents métiers [28].
E. PETITE ENFANCE ET ADOLESCENCE.
En général, dans l’édition de la Foire 2006, les éditeurs italiens offrent leur meilleure production aux
deux extrémités des tranches d’âge : petite enfance et adolescence : “Est-ce que ce serait le signe d’un
pari perdu avec la tranche d’âge du milieu ?” - se demande Pino Boero - “trop conditionné par la
lecture scolaire entièrement tendue vers la didactique et l’évaluation ? Il est difficile de répondre ; il
reste, toutefois, que l’école offre souvent des textes “alourdis”, incapables de déclencher le plaisir de
lire” [29].
« Ce sont les adolescents » - déclare Il Messaggero (27 mars) - « le véritable problème et le véritable
pari des auteurs et des maisons d’édition” : ils lisent bien moins que leurs petits frères, les enfants
jusqu’à 13 ans, et ils sont capables de faire la fortune des auteurs d’un jour à l’autre.
Les livres qui s’adressent aux adolescents, ou aux jeunes adultes, proposent des thèmes rebattus comme
la guerre, mais surtout ils parlent d’amour [30]. Par exemple, Il mondo nei tuoi occhi (Le monde dans
tes yeux) publié par Fanucci. C’est un livre écrit à quatre mains : les chapitres concernant la fille
Costanza, sont de Loredana Frescura, ceux concernant le garçon, Angelo, de Marco Tomatis. Il raconte
l’histoire de deux jeunes de dix-sept ans, Costanza et Angelo, qui rencontrent l’amour, et se confrontent
avec les exigences d’une sexualité mûre désormais. L’amour physique entre eux ne sera pas consommé,
ce qui arrive au contraire à la meilleure amie de Costanza qui est enceinte et doit faire face à un autre
grave problème : celui de l’avortement. A piedi nudi, a cuore aperto (Pieds nus, à coeur ouvert)
(Fanucci) de Paola Zannoner - écrivaine très aimée des adolescents - parle de l’amour d’une jeune fille
de dix-sept ans, Rachele, pour un jeune arabe palestinien, Taisir, qui fréquente le même lycée qu’elle.
Et c’est au lycée, lors d’une assemblée où est présente une experte de la Shoa, que Rachele s’approche
de Taisir, qui pose fortement la “question palestinienne”, amenant la jeune fille à faire la réflexion
suivante : “Le problème n’est pas de montrer ce que tu n’es pas, mais ce que tu es”. Ayant derrière elle
une belle famille, cultivée, qui la soutient, Rachele s’approche d’une réalité complètement inconnue qui
la captive par sa complexité. “Essayer de regarder ce que fait l’autre est déjà un pas important”, dit
Zannoner qui ajoute : “C’est seulement à la télévision que les choses sont simples. La littérature doit au
contraire poser des problèmes, des occasions de débats” [31]. Même si la méfiance du jeune étranger
semble représenter un obstacle insurmontable, l’histoire finit bien, après des incompréhensions et des
souffrances, avec Taisir et Rachele qui affronteront ensemble le défi, courant en équilibre sur le
skateboard. Ce roman pose avec force et intelligence le problème du dialogue entre les cultures, comme
le souligne Il Messaggero du 27 mars : Taisir, avec son inséparable skateboard et le caractère “difficile”
de qui vit ou s’attend à la discrimination et à l’intolérance, est un de ces jeunes “nés en Italie, qui ont
grandi en Italie, mais qui ne sont ni chair ni poisson au moins jusqu’à leur majorité : seulement alors ils
pourront demander la nationalité. C’est ce que prévoient les lois italiennes qui ne se réfèrent sûrement
pas à l’hospitalité. On a toujours l’idée que celui qui émigre, celui qui vient de loin, est dangereux...
L’école est devenue, grâce à la sensibilité des enseignants, le véritable lieu d’écoute. Mais cela ne suffit
pas.”
Mahalia (Fabbri), de Jeanne Horniman, parle aussi d’amour et cette fois il s’agit d’amour paternel : le
héros est un père célibataire de 17 ans qui élève tout seul sa petite fille de six mois après avoir été
abandonné par sa jeune compagne, Emmy, qui décide de prendre des vacances sans fin pour s’occuper
d’elle-même. C’est un roman laïque - soutient Il Manifesto (26 mars) - orienté vers des formes de
famille non conventionnelles et des modes de vie non-conformistes : “un vrai soulagement pour les
adolescents qui vivent dans l’Italie du pape Ratzinger” ! Mais c’est aussi un roman ayant pour toile de
fond l’histoire d’un amour perdu qui produit une sensation de perte et de nostalgie [32].
Le récit pour des enfants de 8-10 ans, La vera storia d’amore di Giacomo Candulli (La véritable
histoire d’amour de Giacomo Candulli) (Campanila), écrit par Elisa Rocchi raconte, sous forme de
journal - écrit avec le style d’un jeune garçon, amusant et riche d’émotions et de sentiments -, comment
Giacomo, huit ans, tombe amoureux d’Irena, sa compagne de classe. Il cherche en vain de l’aide sur la
manière de se comporter dans un livre pour adultes. Il se décide enfin à dire à la fillette qu’il l’aime, en
la regardant tout simplement dans les yeux, et elle partage son sentiment : “l’amour commence
tôt” [33] !
F. UN MONUMENT DE L’EDITION : LA CELEBRE BIANCA PITZORNO.
La Foire 2006 célèbre Bianca Pitzorno - considérée aujourd’hui comme la plus importante écrivaine
italienne pour l’enfance - avec une monographie publiée par Mondadori dédiée à ses 35 romans [34],
tous SITUÉS du côté des petites filles, petites filles sarcastiques et intrépides qui n’ont pas peur de
traverser des terrains inexplorés. Cette monographie est une lecture de l’œuvre proposée dans l’optique
d’un itinéraire possible de formation au féminin.
Quelques mots sur le dernier roman de Pitzorno, La bambinaia francese (La bonne d’enfants française)
(Mondadori, 2004), qui raconte l’histoire de Sophie Gravillon entre France et Angleterre. Dans un Paris
cultivé, impitoyable et révolutionnaire du début du XIXe siècle, à l’âge de huit ans, Sophie reste
orpheline ; elle est sauvée de l’orphelinat par une célèbre étoile de l’Opéra, Céline, qui fait semblant de
l’engager comme bonne d’enfants pour sa fille Adèle. Chez elle, Sophie connaîtra Toussaint, un garçon
provenant des Antilles, et avec lui elle aura le privilège d’être instruite par le parrain de Céline, un
vieux marquis dont les idées sont celles de la philosophie des Lumières... La bambinaia francese est
une réécriture de Jane Eyre de Charlotte Brontë.
G. LES REECRITURES.
Les réécritures sont très nombreuses à la Foire 2006. Il s’agit surtout de réécritures de contes mais aussi
de textes de grands auteurs comme Carlo Collodi et Emilio Salgari, fers de lance de deux tendances de
la littérature italienne pour l’enfance , c’est-à-dire “celle de Pinocchio, transgressive et fantastique... et
celle aventureuse et fantastique, qui veut émouvoir et faire rêver.” [35]
En témoignent Venti centimetri di bambino (Vingt centimètres d’enfant) (if), comptines d’Anna
Loffredo, qui racontent l’aventure délirante et surréelle d’un Petit Poucet postmoderne qui semble
refléter la tragédie de l’enfance contemporaine entre pauvreté, abandon et violence. Dans Cappuccetto
Oca (Le Petit Chaperon Oie) (Piemme) de Roberto Denti, la grand-mère est préoccupée par sa petitefille qui, depuis qu’elle est devenue célèbre avec l’histoire du loup, s’est monté la tête et se comporte
comme une oie. C’est ainsi qu’après quelques leçons à l’école de magie, elle lui prépare une belle
farce... Rencontre aussi du Pinocchio de Negrin, déjà cité, de Nella giungla di Sandokan (Dans la
jungle de Sandokan) (Gallucci) où l’on revit d’un point de vue naturaliste les aventures du héros de
Salgari sur le fond de la jungle peuplée d’animaux féroces. Citons enfin L’isola del tesoro (L’île au
trésor) (Piemme Junior) avec Geronimo Stilton (personnage d’une série de livres dont on a vendu 10
millions d’exemplaires en Italie), la souris journaliste inventée par Elisabetta Dami, qui se retrouve au
dix-huitième siècle sous l’apparence de Jim Hawkins, le protagoniste de L’île au trésor de Robert
Louis Stevenson.
H. L’ECRIVAIN POUR L’ENFANCE EN ITALIE.
Revenons à Bianca Pitzorno et à La bambinaia francese qui, comme l’admet l’auteur, est né de son
exigence de réélaborer le roman de Charlotte Brontë : “Jane Eyre” m’a toujours semblé d’abord un
roman antifrançais et ensuite une histoire où l’héroïne proclame les droits des femmes, mais en fait ne
montre aucune solidarité avec elles” [36]. Il y a en effet, un manque d’équilibre dans le roman, souligne
Mirca Casella dans sa monographie, entre la première partie où “Jane, enfant et petite fille, est
représentée orgueilleuse, rebelle, victime d’innombrables humiliations mais toujours prête à les
combattre... et la deuxième partie où, devenue institutrice privée, elle traite avec une froide indifférence
la petite Adèle, s’en occupant seulement par devoir.” [37] Pitzorno décide donc de réécrire ce roman
selon le point de vue de la bonne d’enfants française, “en donnant la parole et l’espace littéraire à qui
n’en a pas” [38].
Au-delà de ce dernier roman, l’oeuvre de l’écrivaine sarde a représenté, au cours des années quatrevingt, une “rupture” significative dans la littérature pour l’enfance italienne, qui a suivi une autre
“rupture”, celle opérée par Gianni Rodari au cours des années cinquante [39]. Les deux écrivains ont en
commun non seulement le fait d’avoir profondément innové dans le domaine de la littérature pour
l’enfance - caractérisée, avant eux, par une forte tendance moraliste (remontant à Edmondo De Amicis :
Cuore (Coeur), 1886), et conçue comme instrument de conformation aux valeurs dominantes [40] mais aussi d’avoir surmonté la difficulté à se délivrer d’une sorte de cage dans laquelle en Italie sont
enfermés la littérature pour l’enfance. Plus qu’un véritable écrivain, l’écrivain pour l’enfance est perçu
comme une sorte d’opérateur pédagogique/culturel.
“Je suis et je dois rester une écrivaine pour enfants”, affirme Pitzorno, ajoutant : “le même destin échut
à un classique comme Rodari. Chez nous les auteurs pour adultes peuvent de temps en temps
“descendre” vers les enfants [...] Il n’arrive jamais le contraire” [41]. Ces mots nous rappellent ceux
d’un autre écrivain italien, Stefano Bordiglioni, interviewé par la revue Tratti (dans un des volumes
présentés à la Foire) : “Etant professeur des écoles depuis trente ans, je suis habitué à être peu
considéré [...] je ne trouve pas étrange d’être considéré comme une sorte de maître/pédagogue, qui écrit
des histoires “pour enfants”, conçues comme une forme d’écriture inférieure. En réalité [...] écrire pour
les enfants est difficile, et notamment du fait que si un adulte peut faire semblant qu’un livre lui plaise,
un enfant ne fait jamais semblant, il le dit clairement....” [42].
Ces propos montrent bien le fait que l’édition pour l’enfance en Italie est un secteur dans lequel les
débats sur la nature et la qualité de la littérature destinée aux enfants et sur les conceptions du livre ou
de l’enfance, sont permanents et loin d’être épuisés.
[1] Sur trois mille éditeurs en Italie 228 sont spécialisés pour les enfants. Les périodiques spécialisés
pour l’enfance qui font un important travail d’information sont : LiBeR, LGArgomenti, Andersen, Il
Giornalino, Il Pepe verde, Hamelin, Baribal, Mondoerre, il Giornalino di Giulio Coniglio (Cf. Il
Mattino, 27 mars)
[2] Pour une lecture de la Foire 2004 cf. Elena Paruolo, “Les grandes tendances de l’édition jeunesse en
Italie à travers la réaction de la presse italienne à la 41e édition de la Foire Internationale du Livre pour
Enfants (Bologne, 14-17 avril 2004) », in Réseau Littératures d’enfance, AUF, Collection : Textes en
ligne, mise en ligne : Juillet 2004.
[3] Comme l’année précédente, la Foire s’est dédoublée : d’une part, la Foire Internationale du Livre
pour enfants ; de l’autre Docet : exposition-marché des éditeurs italiens, consacré en particulier aux
enseignants, avec idées et matériels pour l’éducation et la pédagogie. Cette année Mondadori et Fabbri,
les deux grands leaders, ont déserté Docet.
[4] Nombreuses celles sur la traduction. En effet, cette année aussi, comme en 2005, la Foire, a
renouvelé son intérêt pour la profession de la traduction en créant un calendrier intense de rencontres. géré par l’association Biblit - a organisé un Colloque (“Beyond Boundaries : Translating Cultural
Difference in Children’s Books”), et plusieurs événements consacrés aux professionnels de la
traduction, acteurs importants dans la création, le succès et la diffusion d’un livre.
[5] Les prix (attribués par le Jury international constitué d’Antonio Faeti -Italie ; Elisabeth Lortic France ; Maria Linsmann - Allemagne) - pour les ouvrages d’imagination (fiction), les livres de
vulgarisation scientifique et d’actualité (non fiction), les éditions des pays émergents (New Horizon) et
la nouvelle catégorie réservée aux ouvrages de vulgarisation musicale à l’occasion du 250ème
anniversaire de la naissance de Mozart qui a séjourné à Bologne lors de ses études au Conservatoire sont allés, dans l’ordre, à Aufbau-Verlag : Rote Wangen (Allemagne) ; Carl Hanser Verlag : Mussen
Tiere Zahne putzen (Allemagne) ; Petra Ediciones : Dias tonaltin (Mexique) ; Candlewick Press : Jazz
A.B.Z : An A to Z Collection of Jazz Portraits (USA).
De nombreuses mentions, dont When Everybody Wore a Hat (USA) ; Magic Bottles (Séoul, Corée du
Sud), Encyclopédie des grands écrivains pour les petits lecteurs (France) ; Tap,tap, Tap (Téhéran,
Iran) ; The Silver Fish (Al Samara Al Fadiah) (Egypte) ; Wherses : A Celebration of Outstanding
Women ; Piano Piano (Italie).
[6] Il Giornale, 24 mars.
[7] Il Manifesto, 30 mars.
[8] Fini le boom des années quatre-vingt-dix, aujourd’hui, le marché du livre pour enfants en Italie est
difficile. Le livre doit rivaliser avec les moyens de communication les plus modernes, avec la
télévision, l’ordinateur, et l’école italienne n’a jamais institutionnalisé la bibliothèque comme lieu
spécifique, patrimoine de base, avec un personnel spécialisé qui aiderait enseignants et élèves au sein
de l’école elle-même. Si en 2004 64% des enfants avait lu une moyenne de 2,1 livres, en 2005 36% des
enfants, entre 5 et 13 ans déclarent n’avoir lu aucun livre et ce pourcentage monte à 40% pour les
lecteurs âges de 14 à 18 ans. Mais si le jeune lecteur est paresseux, les maisons d’édition continuent à
lui fournir des livres. Durant ces vingt dernières années, selon les données de l’Istat, la production a
doublé. Parmi les titres publiés, 58% sont des nouveautés, tandis que 41,2% sont des réécritures ou des
rééditions. Les quatre régions en Italie où se concentre la production de livres pour l’enfance sont la
Lombardie, le Piémont, le Frioul-Vénétie-Julienne et l’Emilie-Romane. 52% des titres publiés sont
étrangers. Ils proviennent des États-Unis, de Grande-Bretagne, du Canada, de France et d’Allemagne.
Un espace de plus en plus grand est dédié à l’Asie. (cf. Il Secolo XIX, 27 mars).
[9] l’Avvenire, 24 mars.
[10] Il Mattino, 29 Mars. Tous les écrivains n’acceptent pas ce triomphe de l’illustration. Certains
manifestent une certaine résistance à son égard préférant demeurer fidèles à la linéarité et à la littérarité
du texte seul et donc refusant de voir leurs oeuvres illustrées.
[11] Formule tirée du titre de la première partie du livre de Jean Perrot, Jeux et enjeux du livre
d’enfance et de jeunesse, Les éditions du Cercle de la Librairie, Paris, 1999, p. 23.
[12] The Hidden Child
[13] Il Secolo XIX, 27 mars.
[14] Endemyion Spring.
[15] Il Messaggero, 28 mars.
[16] Il Mattino, 29 mars.
[17] Le Français Michel Piquemal parle des « philocontes » comme d’un nouveau genre dérivant de
contes et de philosophie.
[18] Le bien et le mal, c’est quoi ?
[19] La vie, c’est quoi ?
[20] Il Messaggero, 27 mars.
[21] Il Manifesto, 30 mars.
[22] Les livres des pourquoi.
[23] La Repubblica, 24 mars.
[24] sNachts.
[25] La grande question.
[26] De Schepping.
[27] Il Manifesto, 26 mars.
[28] Il Manifesto, 26 mars
[29] Il Secolo XIX, 25 mars
[30] La Stampa, 25 mars.
[31] Il Messaggero, 27 mars.
[32] La Stampa, 25 mars.
[33] Ibid.
[34] Mirca Casella, Le voci segrete. Itinerari di iniziazione al femminile nell’opera di Bianca Pitzorno
(Les voix secrètes. Itinéraires d’initiation au féminin dans l’oeuvre de Bianca Pitzorno), Mondadori,
Milano, 2006.
[35] I “tusitala”. Scrittori italiani contemporanei di letteratura giovanile (Ecrivains italiens
contemporains de littérature pour la jeunesse), sous la direction de Enzo Catarsi e Flavia Bacchetti,
Edizioni del Cerro, Pisa, 2006
[36] In Le voci segrete, op. cit. p. 234.
[37] Ibid. p. 233.
[38] Ibid. p. 237.
[39] Cf. I “tusitala”, op. cit. p. 16.
[40] Ibid.
[41] La Repubblica, 24 mars.
[42] « Il piacere di raccontar storie ai bambini : intervista a Stefano Bordiglioni » (Le plaisir de
raconter des histoires aux enfants : interview à Stefano Bordiglioni), in Tratti. L’identità aperta della
letteratura per l’infanzia (L’identité ouverte de la littérature pour l’enfance), sous la direction de
Roberta Pederzoli, no. 71, anno XXII, printemps 2006, p. 156.